Il suit de là qu’aux yeux du spectateur mis au fait de la prétention du personnage, tous les actes de celui-ci font apparaître, au moyen d’une, intuition directe, la contradiction qu’il porte en lui, le défaut d’équilibre et d’harmonie dont son énergie est atteinte et qui la rend boiteuse.
C’est ainsi que le pouvoir de se concevoir autre se manifeste avec une clarté d’autant plus vive chez tous les personnages de Flaubert, que ceux-ci, par leur impuissance à s’identifier avec le modèle qu’ils ont élu, nous laissent mieux voir l’écart entre la réalité qu’ils représentent, dont ils ne peuvent se détacher et qui persiste sous nos yeux — et celle que leurs gestes nous dessinent.
Si nous remontons encore plus loin dans cette vie obscure et parasite qui précède la naissance, ce n’est plus par le témoignage des hommes, c’est par l’induction et l’analogie que nous sommes autorisés à croire que la sensibilité n’a jamais été complètement absente, et que les premiers instincts accompagnés d’une conscience confuse ont dû coïncider avec l’éclosion même de l’être nouveau ; mais enfin à ce dernier moment ou plutôt à ce point initial où a dû commencer, s’il a commencé, l’être qui plus tard dira je ou moi, à ce moment tout fil conducteur nous fait défaut : la conscience, le souvenir, le témoignage, l’induction, l’analogie, tout vient à nous manquer, et l’œil se perd dans un immense inconnu.
Albalat a lu, la plume à la main, annoté, disséqué les pages de tous nos écrivains français ; et, les textes sous les yeux, il explique comment on peut s’y prendre pour écrire sans recherche, mais avec précision, goût, sobriété et, si possible, de façon originale6. » M. de Gourmont lui-même le reconnaît : « Ce livre, dit-il, est bien meilleur que son titre, en ce sens qu’il soulève toutes sortes de questions de psychologie linguistique, alors qu’ou aurait pu s’attendre à un simple manuel scolaire… L’œuvre garde des parties excellentes ».
Sous un certain point de vue on pourrait affirmer que toutes les générations, qui sont contemporaines aux yeux de Dieu, le sont aussi aux yeux du sage.
Il condamne l’entreprise de « peindre avec des mots qui ne s’adressent qu’à l’oreille ou à l’esprit les objets qui ne parlent qu’aux yeux ». […] Il n’y a rien, selon lui, qui soit au-dessus de l’intellection, et en elle réside à ses yeux, lorsqu’elle est complète, la suprême béatitude. […] Cette gaieté a diminué Voltaire aux yeux des pontifes et des jocrisses. […] Il songe au suicide : « Sur ma cheminée, deux pistolets me regardaient avec leurs yeux ronds : je les considérai très longtemps. […] Et à ses yeux Frédéric est un Français, le roi de la pensée.
Ils n’ouvroient les yeux que sur les beautés de détail des anciens, & les fermoient sur l’ensemble. […] Quelle mutilation dans cet endroit où le poëte Grec personifie les prières, où l’on reconnoît ces filles du maître du tonnerre à la tristesse de leur front, à leurs yeux remplis de larmes, à leur marche lente & incertaine, placées derrière l’injure, l’injure arrogante, qui court sur la terre d’un pied léger, levant sa tête audacieuse .
Je puis citer un autre exemple dont j’ai été vivement frappé, lorsque je l’ai constaté de mes propres yeux. […] Quel est le géologue qui a vu de ses propres yeux tous les spécimens divers de chaque espèce fossile ou vivante ?
Mais les circonstances les empêchent de paraître comme eux ; en attendant examinez l’esprit, la beauté de leurs yeux, la vivacité ou la noblesse même de leur langue grecque vulgaire.
La grande lumière ne m’éclaire pas, elle m’éblouit : mes yeux ne sont pas accoutumés à tant de clartés.
Vous soupirez à Dieu pour l’absence de vos amis et fidèles serviteurs, et en même temps ils sont ensemble soupirant pour la vôtre et travaillant à votre liberté ; mais vous n’avez que des larmes aux yeux, et eux les armes aux mains ; ils combattent vos ennemis et vous les servez ; ils les remplissent de craintes véritables, et vous les courtisez pour des espérances fausses ; ils ne craignent que Dieu, vous une femme, devant laquelle vous joignez les mains quand vos amis ont le poing fermé ; ils sont à cheval, et vous à genoux ; ils se font demander la paix à coudes et à mains jointes ; n’ayant point de part en leur guerre, vous n’en avez point en leur paix.
Au milieu des pages fort mélangées que lui a consacrées son ami Mérard de Saint-Just, il en est une qui me paraît rendre avec réalité et sans complaisance sa figure, sa physionomie finale, et les qualités qui s’y dévoilaient peu à peu aux yeux de l’amitié : Grand et maigre, est-il dit, le visage long, des yeux petits et un peu couverts, la vue extrêmement basse, un nez d’une longueur presque démesurée, le teint assez brun, tout cet ensemble ne lui donnait pas une figure aimable : il l’avait sérieuse ; mais son air imposant, même un peu sévère, loin d’avoir rien d’austère ni de sombre, laissait paraître assez à découvert ce fonds de joie sage et durable qui est le fruit d’une raison épurée et d’une conscience tranquille.
» Le roi était plus qu’à demi gagné ; M. de Saint-Pol, lisant cela dans ses yeux, essaya de le retenir : « Sire, voudriez-vous bien changer d’opinion pour le dire de ce fou qui ne se soucie que de combattre, et n’a nulle considération du malheur que ce vous serait si perdions la bataille ?
[NdA] Il y aurait aussi à voir si du Vair et Charron, se rencontrant si bien, n’ont pas sous les yeux un même auteur et exemplaire ancien qu’ils traduisent.
Montluc a parlé quelque part de cette antique qualité de la noblesse de France, à laquelle il suffit d’un petit souris de son maître pour échauffer les plus refroidis : « Et sans crainte de changer prés, vignes et moulins en chevaux et armes, on va mourir au lit que nous appelons le lit d’honneur. » Henri exprime ce même feu de dévouement en deux mots et en le peignant aux yeux.
À chaque expérience qui se fait devant eux dans la vie, ils ferment les yeux et continuent leur démonstration après comme devant.
Le jeune vicomte de Rohan fit sa première campagne sous ses yeux au siège d’Amiens, à l’âge de seize ans : ce fut sa première école de guerre.
Je ne veux rien diminuer des mérites de la margrave, après m’être attaché avec tant de soin à les rassembler et à les offrir aux yeux du lecteur.
Je conjecture de toutes ces choses que Mme la duchesse de Bourgogne aura la satisfaction de voir madame sa sœur reine de cette grande monarchie, et, comme il faut une dame titrée pour conduire cette jeune princesse, je vous supplie de m’offrir, madame, avant que le roi jette les yeux sur quelque autre.
Si pour lui, dans l’ordre intellectuel, le vrai est tout entier d’un côté et le faux de l’autre, dans l’ordre moral le bien absolu, à ses yeux, est également tout d’un côté, et le mal du côté opposé ; à droite les bons, à gauche les méchants ; les agneaux séparés des boucs, pas de mélange !
La pauvre petite reine, qui est fort jolie, n’a d’autre plaisir, quand elle ne voit pas Mme de Villars seule pour lui parler de la France, que de manger beaucoup, ce qui fait qu’elle engraisse à vue d’œil : « La reine d’Espagne, bien loin d’être dans un état pitoyable, comme on le publie en France, est engraissée au point que, pour peu qu’elle augmente, son visage sera rond.
Dans la famille Racine, le génie n’est pas à vue d’œil comme dans la famille Pascal.
Enfin, outre cette apparition aux saintes femmes et aux disciples, il y en avait une tout exprès pour saint Thomas l’incrédule, et qui se passait également sous les yeux des fidèles.
Développons, autant qu’il est en nous, l’intelligence, la moralité, les habitudes de travail dans toutes les classes de la société française ; cela fait, nous pourrons mourir tranquilles ; la France sera libre, non de cette liberté absolue qui n’est point de ce monde, mais de cette liberté relative qui seule répond aux conditions imparfaites, mais perfectibles, de notre nature. » C’est fort sensé, et du moins, on l’avouera, très spécieux ; mais cela ne satisfait point peut-être ceux qui sont restés entièrement fidèles à la notion première et indivisible de liberté, et je ne serai que vrai en reconnaissant qu’il subsiste, toutes concessions faites, une ligne de séparation marquée entre deux classes d’esprits et d’intelligences : Les uns tenant ferme pour le souffle de flamme généreux et puissant qui se comporte différemment selon les temps et les peuples divers, mais qui émane d’un même foyer moral ; estimant et pensant que tous ces grands hommes, même aristocrates, et durs et hautains, que nous avons ci-devant nommés, étaient au fond d’une même religion politique ; occupés avant tout et soigneux de la noblesse et de la dignité humaines ; accordant beaucoup sinon à l’humanité en masse, du moins aux classes politiques avancées et suffisamment éclairées qui représentent cette humanité à leurs yeux.
Il explique l’animosité des Jésuites contre lui par un passage du livre des Progrès de la Révolution (1829), et il ajoute après avoir cité ce passage : « On conçoit donc pourquoi leur institut ne nous paraissait pas suffisamment approprié aux besoins d’une époque de lutte entre le pouvoir absolu des princes et la liberté des peuples, dont le triomphe à nos yeux est assuré, » et il oublie que, pour l’accord logique, il faudrait était assuré, ce qui serait inexact en fait, et même entièrement faux, puisqu’en 1829 ce n’était point par ce côté, mais par l’autre bout, qu’il remuait les questions sociales.
Je ne concevrai jamais, je l’avoue, par quel procédé de l’esprit l’on peut arriver à donner à la moitié de ses facultés le droit de proscrire l’autre : et si l’organisation morale pouvait se peindre aux yeux par des images sensibles, je croirais devoir représenter l’homme employant toutes ses forces sous la direction de ses regards et de son jugement, plutôt que se servant d’un de ses bras pour enchaîner l’autre.
Plutôt qu’à la beauté, il s’intéresse à l’énergie : et l’effort, la lutte ne sont pas à ses yeux imperfection et souffrance ; il n’y a de joie que là, parce que là seulement il y a vie.
Lesage fait défiler sous nos yeux un long cortège d’originaux, ridicules ou odieux.
« Il était laid, nous dit un contemporain628 : sa taille ne présentait qu’un ensemble de contours massifs ; quand la vue s’attachait sur son visage, elle ne supportait qu’avec répugnance le teint gravé, olivâtre, les joues sillonnées de coutures ; l’œil s’enfonçant sous un haut sourcil, … la bouche irrégulièrement fendue ; enfin toute cette tête disproportionnée que portait une large poitrine… Sa voix n’était pas moins âpre que ses traits, et le reste d’une accentuation méridionale l’affectait encore ; mais il élevait cette voix, d’abord traînante et entrecoupée, peu à peu soutenue par les inflexions de l’esprit et du savoir, et tout à coup montait avec une souple mobilité au ton plein, varié, majestueux des pensées que développait son zèle. » Et Lemercier nous montre « les gestes prononcés et rares, le port altier » de Mirabeau, « le feu de ses regards, le tressaillement des muscles de son front, de sa face émue et pantelante ».
Il n’est pas possible aujourd’hui, moins encore qu’au xviiie siècle, de s’enfermer dans la littérature d’art, et il faut qu’un homme qui ne se désintéresse pas des choses de l’esprit, ait l’œil ouvert sur ce qui se passe dans les mondes divers de l’érudition, de la science et de la philosophie.
Nous traçons ce trait à l’œil.
La vieille manière d’envisager l’immortalité est à mes yeux un reste des conceptions du monde primitif et me semble aussi étroite et aussi inacceptable que le Dieu anthropomorphique.
La rétrogradation n’a lieu qu’aux yeux qui n’envisagent qu’une portion limitée de la courbe.
Ghiberti s’écrie « qu’une statue a des suavités infinies que l’œil ne peut comprendre, que la main seule peut découvrir par le toucher ».
Ce qui semble naïveté chez eux n’est qu’une grâce et une fleur de langage qui orne leur maturité, et d’où leur expérience, si consommée qu’elle soit, prend à nos yeux je ne sais quel air de nouveauté précoce, qui la rend agréable et piquante, et qui l’insinue.
Et continuant de parler d’elle : « C’est, ajoutait-il, comme une nuance de raison et d’agrément qui occupe les yeux et le cœur de ceux qui lui parlent ; on ne sait si on l’aime ou si on l’admire : il y a en elle de quoi faire une parfaite amie, il y a aussi de quoi vous mener plus loin que l’amitié. » Et l’éloge continue sur ce ton délicat.
La philosophie l’ennuya ; elle se faisait encore en latin et dans la forme du syllogisme : il demanda de s’en affranchir, et son père lui permit de terminer en liberté ses études sous ses yeux.
Mazarin l’avait mis en méfiance du surintendant, et, en même temps, il lui avait offert le remède : « Sire, je vous dois tout, avait-il dit à son lit de mort, mais je crois m’acquitter en quelque sorte avec Votre Majesté en lui donnant Colbert. » Depuis longtemps, Colbert avait l’œil sur les procédés de Fouquet, sur ses irrégularités et ses dilapidations ; il avait adressé à Mazarin des mémoires détaillés à ce sujet ; il allait continuer plus expressément le même rôle auprès de Louis XIV et par son ordre ; et, s’il était poussé dans cette chasse ardente qu’il faisait au surintendant par tous les aiguillons de son ambition personnelle, il ne l’était pas moins par tous les instincts de sa nature exacte et rigide : intérêt à part, il devait en vouloir au surintendant de toute l’indignation et de toute la haine que peut avoir contre un magicien plein de maléfices et de prestiges le génie de la bonne administration et de l’économie.
Mais on peut croire que Chateaubriand eût moins loué Carrel écrivain, si celui-ci eût eu dans le talent quelque chose de cet éclat particulier qui, de loin, signalait aux yeux l’épée de Roland dès qu’elle apparaissait dans la mêlée.
Quoi qu’en aient dit des gens mal informés, qui la peignent telle qu’elle a pu être aux Carmélites et à Port-Royal, elle possédait, je ne puis en douter en regardant les portraits authentiques qui sont sous mes yeux, ce genre d’attraits qu’on prisait si fort au xviie siècle, et qui, avec de belles mains, avait fait la réputation un peu usurpée d’Anne d’Autriche.
Ce château qu’elle comparait à l’Arche de Noé, et que d’autres de ses panégyristes comparaient au mont Thabor, tant ils supposaient à celle qui l’habitait des contemplations célestes, passait pour une Caprée et pour un repaire abominable auprès des ennemis qui n’y plongeaient de loin que des yeux de la haine.
Sauvo dans un judicieux feuilleton du Moniteur (4 janvier), de voir cette attention soutenue, ce passage continuel des mêmes yeux sur deux imprimés différents, ces coups de crayon donnés à tous deux successivement, et surtout ces cris de joie, ces applaudissements immodérés qui se faisaient entendre lorsque certaines situations, certains passages ou même quelques vers paraissaient établir des ressemblances entre l’ancien et le nouvel ouvrage.
Plus d’une fois il s’élève ; le sentiment de la réalité et la vivacité de son affection humaine lui suggèrent une sorte de poésie : Je dois bientôt quitter celle scène, écrivait-il à Washington (5 mars 1780) ; mais vous pouvez vivre assez pour voir notre pays fleurir, comme il ne manquera pas de le faire d’une manière étonnante et rapide lorsqu’une fois la guerre sera finie : semblable à un champ de jeune blé de Turquie qu’un beau temps trop prolongé et trop de soleil avaient desséché et décoloré, et qui dans ce faible état, assailli d’un ouragan tout chargé de pluie, de grêle et de tonnerre, semblait menacé d’une entière destruction ; cependant, l’orage venant à passer, il recouvre sa fraîche verdure, se relève avec une vigueur nouvelle, et réjouit les yeux, non seulement de son possesseur, mais de tout voyageur qui le regarde en passant.
À la nouvelle des progrès de Démétrius, il avait dit à ses boyards en les regardant dans le blanc des yeux : « Voilà votre ouvrage !
Nous avons été rendus sensibles aux beautés des littératures étrangères, nous ne pouvons plus maintenant fermer volontairement les yeux.
Il aura une tendance générale à faire beaucoup d’espèces, parce que, comme l’amateur de Pigeons ou d’autres volatiles dont j’ai déjà parlé, il sera sous l’impression de la différence des formes qu’il a constamment sous les yeux ; et il n’aura par contre, pour corriger cette première impression, qu’une connaissance superficielle et un sentiment moins vif des variations analogues des autres groupes en d’autres contrées.
Depuis Sous l’œil des barbares, on n’avait pas vu de début aussi remarquable. […] Osera-t-on insinuer qu’en pareil cas la bonté divine ne se manifeste que d’une façon relative, par des pis-aller, et que l’on comprend au moins aussi bien le Saunderson de Cheselden et de Diderot disant au révérend Holmes : « Voyez moi bien, Monsieur Holmes, je n’ai point d’yeux. […] Pour les maîtres les plus anciens, les éditions de l’époque, surtout celles du seizième siècle, sont tellement plus jolies à l’œil que les meilleures d’aujourd’hui !
Mêlée à celle de nos pères les barbares, elle sut raffiner, assouplir et pour ainsi dire spiritualiser ces idiomes grossiers qui sont devenus ce que nous voyons… Qu’on jette les yeux sur une mappemonde, qu’on trace la ligne où cette langue universelle se tut : là sont les bornes de la civilisation et de la fraternité européennes… Le signe européen, c’est la langue latine. » [Joseph de Maistre, Du Pape.] […] Originalité de Bodin ; — sa conception de l’histoire ; — et que, pour l’apprécier, il convient d’avoir sous les yeux l’Utopie de Th. […] Hippolyte, vers 545-690 ; vers 1360 et suiv. ; vers 1963-2150]. — La première tragi-comédie : Bradamante. — Que la Bradamante de Garnier marque un moment décisif dans l’histoire du théâtre : la tragédie « recule » et cède la place à la tragi-comédie. — Coup d’œil sur l’état du théâtre en Europe à la même époque. — Si cette éclipse de la tragédie est ou non un symptôme d’émancipation à l’égard des anciens ?
Le butin et l’honneur, le traitement et l’honneur lui semblent trop une seule et même chose ; l’un est à ses yeux la mesure exacte de l’autre.
Duclos a cinquante-neuf ans : le profil est net, tranché, spirituel, le front beau, l’œil vif, ouvert et assez riant ; la ligne du nez et du menton est prononcée et bien formée sans rien d’excessif ; la lèvre entrouverte et parlante vient de lancer le trait, elle n’a rien de trop mince ; et l’ensemble de la physionomie non plus n’a rien de dur.
On a dit qu’il baissait volontiers les yeux en parlant, et qu’il s’interdisait cette éloquence du regard que Massillon s’accordait quelquefois : cela est possible ; mais, dans tous les cas, cette forme de débit n’était qu’une convenance de plus, une manière de pousser plus avant, et comme tout droit devant lui, dans sa démonstration inflexible et sévère.
Présenté au jeune roi, qui n’avait que six ans plus que lui, La Fare entrait dans le nouveau régime quand tout commençait et sous l’œil du maître ; il n’avait qu’à y tourner son esprit avec quelque suite pour se concilier la faveur : « J’oserais même dire que le roi eut plutôt de l’inclination que de l’éloignement pour moi ; mais j’ai reconnu dans la suite que cette impression était légère, bien que j’avoue sincèrement que j’ai contribué moi-même à l’effacer. » Doué d’un esprit fin et libre, d’un jugement élevé et pénétrant, il aima mieux être indépendant qu’attentif et flatteur, et ce n’est pas ce qu’on peut lui reprocher ; mais il devint évident par la suite qu’il prit souvent pour de l’indépendance ce qui n’était que le désir détourné de se retirer de la presse et de chercher ses aises.
Il s’était trouvé présent à Ferney le jour que M. de Voltaire reçut les Lettres de la montagne, et qu’il y lut l’apostrophe qui le regarde ; et voilà son regard qui s’enflamme, ses yeux qui étincellent de fureur, tout son corps qui frémit, et lui qui s’écrie avec une voix terrible : « Ah !
Je ne vois point ce pays-là des mêmes yeux ; j’y crois démêler des agréments qui peuvent toucher l’esprit ; je n’y vois point ce qui vous choque : j’y vois, au contraire, le centre du goût, du monde, de la politesse, le cœur, la tête de l’État, où tout aboutit et fermente, d’où le bien et le mal se répandent partout ; j’y vois le séjour des passions, où tout respire, où tout est animé, où tout est dans le mouvement, et, au bout de tout cela, le spectacle le plus orné, le plus varié, le plus vif que l’on trouve sur la terre.
Un roi qui a Racine pour lecteur eut, à la rigueur, ménager ses yeux.
Il eut le déboire, il est vrai, de perdre Bouchain presque sous ses yeux, sans pouvoir le secourir ; désagréable échec, et même assez grave en ce qu’il livrait passage à l’ennemi entre l’Escaut et la Sambre, et lui permettait désormais de porter la guerre sur une partie de la frontière moins susceptible de défense.
Mme Roland n’était guère femme à aimer par les yeux et à se laisser prendre à la beauté physique.
On prend Menin sous ses yeux ; Ypres capitule en sa présence.
A ce dernier trait prévu, l’aimable nièce de M. de Feletz baissait les yeux, le spirituel vieillard lançait un vif éclat de rire, et toute la table faisait écho. — Et c’est là ce que j’appelle du bon xviiie siècle.
Pendant que vous avez été à la tête des relations extérieures, j’ai voulu fermer les yeux sur beaucoup de choses.
Il avait gravé au fond du cœur l’antique programme d’Horace : « Quem tu, Melpomene, semel… Celui, ô Melpomène, que tu as regardé d’un œil d’amour au berceau, celui-là, il ne sera ni lutteur aux jeux de Corinthe, ni vainqueur aux courses d’Élide, ni général triomphateur au Capitole ; mais il aimera les belles eaux de Tibur, et il trouvera la gloire par des vers nés à l’ombre des bois. » Et dans le cas présent d’ailleurs, il y avait mieux, il y avait de quoi tenter et retenir toute l’ambition d’une âme de poëte.
Hier enfant, ce fils est devenu un homme ; il veut être libre, se croit son maître, prétend aller seul dans le monde… Jusqu’à ce qu’il ait acheté son expérience, vos yeux ne trouveront plus le sommeil, que vous ne l’ayez entendu revenir !
La chose est bien plus visible encore si l’on compare entre elles, non plus deux sensations différentes du même sens, mais les sensations de deux sens différents, même lorsqu’elles sont produites par la même cause extérieure, par exemple le chatouillement de la peau et le son produit par les mêmes vibrations de l’air, la sensation de douleur et le cercle lumineux produit par la même compression de l’œil, les sensations de lumière éclatante, de son sifflant, de choc ou de picotement, produites par la même électricité appliquée aux différents sens.
Ou plutôt ne se douta-t-il pas qu’il avait devant les yeux un monde nouveau ?
Des scènes décousues qui défilent devant nous comme une collection d’images sous les yeux d’un enfant, nulle préoccupation des caractères, des sentiments et de la vie intérieure, une stricte déclaration des pensées précisément nécessaires pour rendre les actes intelligibles dans leur suite, mais non pas dans leur production, un courant facile et plat de style où sont semés des îlots de rondels, motets et chansons, certains raffinements d’art, et point de poésie : voilà ces Miracles de Notre-Dame.
Et la raison, la voici : tous ces poètes, qui se sont frottes à la robe de Ronsard, ne sont que d’enthousiastes écoliers, qui, les yeux fixés sur les grands modèles, essaient d’en copier de leur mieux le tour et la forme extérieure.
Des tourterelles sveltes et vives, des merles bleus si légers qu’ils posent sur une herbe sans la faire plier, des alouettes huppées, qui viennent presque se mettre sous les pieds du voyageur, de petites tortues de ruisseaux, dont l’œil est vif et doux, des cigognes à l’air pudique et grave, dépouillant toute timidité, se laissent approcher de très près par l’homme et semblent l’appeler.
Je m’arrête jusqu’à ce que la goutte de lumière dont j’ai besoin soit formée et tombe de ma plume. » Ce ne sont donc que gouttes de lumière que cette suite de pensées ; l’œil de l’esprit finit par s’y éblouir.
« L’Égypte, dit Eudore dans Les Martyrs, toute brillante d’une inondation nouvelle, se montre à nos yeux comme une génisse féconde qui vient de se baigner dans les flots du Nil. » Voilà l’image que le poète pittoresque est allé chercher ; il l’a trouvée, il remporte avec lui.
Resté le dernier survivant de la génération d’écrivains à laquelle il appartenait, il lui faisait honneur à nos yeux ; il la personnifiait par les meilleurs côtés ; c’est en la jugeant par lui qu’on s’en pouvait former l’idée la plus favorable.
Je lui pardonne d’être injuste, furieux, absurde en parlant de la Révolution, qu’il ne devait pas comprendre dans son ensemble, et dont le détail même n’était pas sous ses yeux.
Mais que de choses aussi il savait voir et dévorer d’un seul coup d’œil !
est plus grand à ses yeux que Raphaël.
Mme des Ursins nous associe sans difficulté à ses sentiments et nous entraîne, tant que sa résistance à la paix semble chez elle l’inspiration directe, le cri du patriotisme et de l’honneur : on ne lui pardonne pas seulement cette opiniâtreté, on l’en admire ; mais, dès qu’on y soupçonne une ambition et une cupidité personnelle, l’impression devient toute contraire, et son rôle se gâte à nos yeux, Or, il est certain que, vers la fin de cette période sanglante et dans les négociations si lentes qui la terminèrent, elle fit tout pour obtenir des puissances contractantes une souveraineté en son nom dans les Pays-Bas ; le roi d’Espagne s’obstinait sur cette condition si peu convenable et si disproportionnée aux grands intérêts en litige, et il refusait de signer la paix avec la Hollande, si les Hollandais, non contents de mettre Mme des Ursins en possession de cette souveraineté, ne s’en faisaient, de plus, les garants vis-à-vis de l’empereur.
Le caractère de courtisan n’est point très noble ni très relevé ; mais le duc d’Antin en a été en son temps un type si accompli, si merveilleux et si fin, qu’il mérite de rester à son rang dans une galerie morale, comme représentant à nos yeux l’espèce.
J’ai sous les yeux les deux imprimés.
Paul-Louis Courier, né à Paris sur la paroisse Saint-Eustache, le 4 janvier 1772, d’un père riche bourgeois, et qui avait eu maille à partir avec un grand seigneur, fut élevé en Touraine sous les yeux et par les soins de ce père qui le destinait à servir dans le corps du génie et qui l’appliqua en attendant aux langues anciennes.
Les yeux, organes délicats et très exposés, sont soumis aux nerfs volontaires ; les oreilles, moins exposées, sont moins soumises aux nerfs volontaires et ne se font sentir à nous que dans la maladie ; l’estomac et les intestins sont, pour le cerveau, relativement insensibles, sauf en cas de grave perturbation.
L’œil n’a qu’une quantité d’éblouissement possible.
D’abord, le front large présente une apparence de convexité où le cerveau évolue à son aise ; les yeux ont une sorte d’attirance magnétique ; ombragés sous des sourcils épais, à demi cachés sous des paupières presque immobiles, ils donnent l’impression d’un être mystérieux à la fois cruel et doux ; la dilatation des paupières, le teint vermeil des lèvres dénotent de formidables appétits sensuels.
Le soleil est sain à ceux qui peuvent le regarder, et les vrais aigles n’ont pas de ces taies sur les yeux !
Or, malgré des qualités indéniables, malgré le bruit qui s’est attaché aux Histoires de Jacques II et de Guillaume III, en Angleterre et en Europe, ce n’est pas l’historien qui, dans l’avenir, aux yeux des connaisseurs, sera le plus élevé des deux.
Or, cet Edgar Poe, il faut bien l’avouer, tout en convenant de son génie, n’est au fond qu’un puffiste sublime, qui méprise son public et le lui prouve, sans le lui dire, en lui construisant une littérature à le dompter, ce public américain qui aime les tours de force, et à le tenir les yeux dilatés dans la terreur des extraordinaires histoires qu’il lui raconte.
Il fit voir à tout le monde que nous avons connaissance de nos sensations, de nos idées, de nos plaisirs, de nos peines, de nos désirs, de nos résolutions ; que cette connaissance est perpétuelle ; qu’elle est commune à tous les hommes ; que ni les yeux, ni les oreilles, ni les mains, ni aucun sens n’y a part ; que néanmoins elle est indubitable, et que lorsque nous mangeons une pêche, nous ne sommes pas plus assurés de la présence de la pêche que de la présence de notre plaisir.
Un jour, un de ces larmoyeurs, le plus brillant de tous, qui écrivait ce jour-là avec une plume prise à l’aigle noir de Bossuet « qu’on put s’étonner de la quantité de larmes que contenait l’œil des femmes des rois », n’écrivait ainsi que parce que la Révolution, cette horrible Sérieuse, était venue ! […] et que la conversion n’a pas fait taire comme le poète Werner, dont elle silença le génie, — l’ancien romancier, toujours vivant et vivace, trouvait son compte encore dans cette histoire du Mont Saint-Michel, qui semble un roman, tant elle est belle, aux yeux vulgaires sans Dieu et sans Archange pour l’expliquer.
Ces Mémoires en grande partie terminés et en vue du public, Sully songea à les faire imprimer, et, pour plus de sûreté, il voulut que ce fût sous ses yeux, dans une de ses maisons seigneuriales.
Puis il lui montre en perspective une maison charmante à la porte de Lausanne et donnant sur la descente d’Ouchy, onze pièces tant grandes que petites tournées au levant et au midi, une terrasse, une treille, le fameux berceau ou l’allée couverte d’acacias, tous les accidents d’un terrain agréablement diversifié à l’œil, les richesses d’un jardin anglais et d’un verger, surtout la vue du lac et des monts de Savoie en face.
Lavallée a eu soin de placer aussi un portrait de l’illustre fondatrice, où revit cette grâce si réelle, si sobre, si indéfinissable, et qui, sujette à disparaître de loin, ne doit jamais s’oublier quand par moments la figure nous paraît un peu sèche ; il l’emprunte aux Dames de Saint-Cyr dont la plume, par sa vivacité et ses couleurs, est digne cette fois d’une Caylus ou d’une Sévigné : Elle avait (vers l’âge de cinquante ans), disent ces Dames, le son de voix le plus agréable, un ton affectueux, un front ouvert et riant, le geste naturel de la plus belle main, des yeux de feu, les mouvements d’une taille libre si affectueuse et si régulière qu’elle effaçait les plus belles de la Cour… Le premier coup d’œil était imposant et comme voilé de sévérité : le sourire et la voix ouvraient le nuage… Saint-Cyr, dans son idée complète, ne fut pas seulement un pensionnat, puis un couvent de filles nobles, une bonne œuvre en même temps qu’un délassement de Mme de Maintenon : ce fut quelque chose de plus hautement conçu, une fondation digne en tout de Louis XIV et de son siècle.
En voici une qui saute aux yeux et qui n’est qu’embarrassante.
La Bruyère, avec un style tout personnel, a imité un genre déjà créé. » Je sais que, de nos jours, des bibliophiles enthousiastes, qui avaient sans doute, ce jour-là, sous les yeux un bel exemplaire des portraits dédiés à Mademoiselle, se sont écriés que ce recueil était l’origine du genre des portraits, et que, sans ce précédent, La Bruyère peut-être n’aurait pas fait les siens.
Voici la page : « Mirabeau était harassé : il avait déjà le germe de la maladie dont il est mort ; ses yeux enflammés et couverts de sang sortaient de leur orbite ; il était horrible ; mais jamais je ne lui ai vu plus d’énergie, plus d’éloquence : « Il n’est plus temps, me dit-il, de calculer les inconvénients.
Je lui présente l’impossibilité où je me trouve de servir plus longtemps, découragé et humilié à mes propres yeux.
Fils d’un père greffier, né d’aïeux avocats (1636), comme il le dit lui-même dans sa dixième épître, Boileau passa son enfance et sa première jeunesse rue de Harlay (ou peut-être rue de Jérusalem), dans une maison du temps d’Henri IV, et eut à loisir sous les yeux le spectacle de la vie bourgeoise et de la vie de palais.
» « Il n’a donc jamais, celui-là, dans ses infortunes, levé les yeux vers le ciel ?
Avant lui, Du Bellay et De la Taille n’avaient fait qu’y toucher : Vauquelin fit cinq livres de satires, discours d’un bon homme qui sait par cœur Horace, Perse, Juvénal, et qui a ouvert les yeux avec indulgence sur le monde.