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1416. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — I » pp. 93-106

Les deux premiers volumes de La Démocratie en Amérique (1835), qui, d’emblée, obtinrent à leur auteur tous les suffrages non seulement en France, mais dans les deux mondes avaient le mérite de faire très bien connaître la constitution américaine et l’esprit de ce peuple, de cette société neuve, en même temps que d’y joindre de fortes réflexions, de fines remarques à l’adresse des sociétés modernes et de la France en particulier. […] On y rencontre à chaque page un esprit ferme, exact, sensé, fin, moral, ami des considérations, qui raisonne à l’occasion de chaque incident, mais qui raisonne bien, d’une manière solide et élevée, et qui, quand il décrit, nous rend en fort bonne prose ce dont Chateaubriand le premier nous a donné la poésie en traits hasardeux et sublimes, — Et il a lui-même jugé en termes excellents cette poésie un peu arrangée et toute chateaubrianesque du désert, quand il a dit (non pas dans cette relation, mais dans une de ses lettres) : « Les hommes ont la rage de vouloir orner le vrai au lieu de chercher seulement à le bien peindre. […] Ici, les chapitres sont fort justes, et le caractère de profondeur qu’ils ont et qu’ils affectent répond bien à toutes les circonstances dès longtemps connues.

1417. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — II » pp. 261-274

Il s’imaginait aussi qu’il pourrait être fort utile à l’Académie quand il en serait ; de là un redoublement de zèle. […] Saint-Simon, qui s’est donné carrière en toute rencontre sur le frère aîné de l’abbé et sur les Saint-Pierre, comme il les appelle, indiquant que l’abbé et ses frères étaient cousins germains, par leur mère, du maréchal de Bellefont, ajoute : « Voilà une parenté médiocre, on sait en Normandie quels sont les Gigault (Bellefont). » Mais de loin cela nous paraît être de fort bonne maison, et l’on en jugeait ainsi, même sous Louis XIV, à deux pas de Saint-Simon. […] Firmin Didot, qui n’est pas un utopiste et qui sait le grec, aurait fort envie d’imprimer ces mots plus simplement dans une nouvelle édition revue et corrigée du dictionnaire de l’usage, telle qu’on l’attend et qu’on l’espère bientôt de l’Académie française après un quart de siècle d’intervalle.

1418. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

Dans les tentatives plus fortes qu’il a faites, comme André del Sarto et Lorenzaccio, M. de Musset a moins réussi que dans ces courtes et spirituelles esquisses, si brillantes, si vivement enlevées, dont les hasards et le décousu même conviennent de prime abord aux caprices et, en quelque sorte, aux brisures de son talent ; mais, jusque dans ces ouvrages de moindre réussite, on pouvait admirer la séve, bien des jets d’une superbe vigueur, de riches promesses, et dire enfin comme, dans son Lorenzaccio, Valori dit à Tebaldeo, le jeune peintre : « Sans compliment, cela est beau ; non pas du premier mérite, il est vrai : pourquoi flatterais-je un homme qui ne se flatte pas lui-même ? […] De beaux vers, la Nuit de Mai, où la plainte est comme étouffée, la Nuit de Décembre, où elle éclate, et de laquelle je ne voudrais retrancher que le dernier paragraphe (Ami, je suis la Solitude), avaient entretenu cet intérêt à la fois littéraire et romanesque, que la Confession d’un Enfant du siècle, fort vivement attendue, semble devoir combler. […] Car l’auteur a beau dissimuler et ne faire semblant de rien ; la nouvelle Mme Pierson, fort charmante à son tour, n’est plus la même que la première ; celle qui a la blouse bleue n’est plus celle qui, un peu dévote et très-charitable, parcourait à toute heure, en voile blanc, ces campagnes qui l’avaient vu couronner rosière.

1419. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « I. Leçon d’ouverture du Cours d’éloquence française »

Mais en répondant à l’appel de Sainte-Beuve, il retint de la forte discipline de Benoist une méthode impersonnelle et rigoureuse, le respect des textes et des faits, l’habitude de l’enquête patiente et scrupuleuse, la défiance de l’esprit brillant et de l’esprit de système. […] A vrai dire, l’état civil d’Armande est fort louche ; et les vraisemblances communes sont pour que Madeleine Béjart ait eu plus d’un amant. […] Or Armande est fort suspecte. « Cependant, à examiner d’un peu près les faits qu’on lui reproche, il n’en résulte qu’une chose, c’est qu’elle rendit Molière très malheureux.

1420. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VII. Maurice Barrès et Paul Adam » pp. 72-89

Maurice Barrès nous enchanta si fort, si profondément, il y a huit ou dix ans déjà, que je craignais une lassitude pareille à rouvrir Sous l’œil des barbares et l’Homme libre. […] Oui, il y a de notre faute, car j’y regarde de près, et vraiment, c’est plus « fort » que jamais comme construction et comme style. […] Elles suffiraient à nous prouver, ce que nous savions déjà, que Paul Adam est le plus fort de nous tous.

1421. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IV. La littérature et le milieu psycho-physiologique » pp. 126-137

Retz est « un petit homme noir qui ne voit que de fort près, mal fait, laid et maladroit de ses mains à toutes choses » 47. […] Saint-Pavin, l’esprit fort, le poète, l’ami de Ninon, trace de lui-même ce portrait peu flatté 49 : Mon teint est jaune et safrané, De la couleur d’un vieux damné, Pour le moins qui le doit bien estre Ou je ne sçay pas m’y connoistre. […] Le Français de nos jours a introduit dans son alimentation le thé, qui était pour nos grand’mères une tisane, le grog, le punch, avec les biftecks et les poudings ; le Français, devenu de la sorte mangeur de viandes saignantes et de pâtisseries lourdes, amateur de condiments violents et de boissons tour à tour fortes ou fades, est le même qui goûte les brusques secousses de l’humour, les drames de Shakespeare, les romans de Dickens, la gaieté macabre des clowns et les sports de tout genre.

1422. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre II » pp. 12-29

Cette fois ce n’était pas la jalousie seulement qui faisait le tourment de la reine, c’était une fort légitime inquiétude sur son sort, sur le sort de son fils ; et comme Henri IV avait répudié Marguerite de Valois pour l’épouser, elle craignait d’être répudiée à son tour pour faire place à la princesse de Condé : ainsi, au supplice de l’amour négligé se joignaient le tourment de l’orgueil profondément blessé, le sentiment des droits les plus sacrés, outrageusement menacés, un esprit de vengeance sans retenue. […] Il était fort naturel à la jeune marquise de s’intéresser à la reine malheureuse dont elle était l’alliée ; mais il lui était pénible d’avoir à disputer sa confiance aux Concini, qui l’avaient captée par l’espionnage et la délation, et n’étaient occupés qu’à irriter une jalousie trop bien fondée. […] » Ces citations ne sont-elles pas un commentaire fort clair des paroles de M. 

1423. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces diverses — Préface du « Rhin » (1842) »

L’écrivain qui parle ici se donna donc en toute conscience et en tout dévouement au grave travail qui surgissait devant lui ; et, après trois mois d’études, à la vérité fort mêlées, il lui sembla que de ce voyage d’archéologue et de curieux, au milieu de sa moisson de poésie et de souvenirs, il rapportait peut-être une pensée immédiatement utile à son pays. Études fort mêlées, c’est le mot exact ; mais il ne l’emploie pas ici pour qu’on le prenne en mauvaise part. […] L’auteur, à cet égard, a poussé fort loin le scrupule.

1424. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre dixième. »

Voilà le cartésianisme de La Fontaine fort ébranlé. […] La loi du plus fort, soit. […] La chanson du berger est fort jolie ; mais on est un peu scandalisé de la morale de la pièce et du conseil que l’auteur donne aux rois.

1425. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre IV. Suite du parallèle de la Bible et d’Homère. — Exemples. »

On voit la terre, qui nous paraît si vaste, déployée dans les airs comme un petit pavillon, ensuite emportée avec aisance par le Dieu fort qui l’a tendue, et pour qui la durée des siècles est à peine comme une nuit rapide. […] « Ulysse, prenant dans sa forte main un pan de son superbe manteau de pourpre, le tirait sur sa tête pour cacher son noble visage, et pour dérober aux Phéaciens les pleurs qui lui tombaient des yeux. […] » Joseph embrassa aussi tous ses frères, et il pleura sur chacun d’eux118. » La voilà, cette histoire de Joseph, et ce n’est point dans l’ouvrage d’un sophiste qu’on la trouve (car rien de ce qui est fait avec le cœur et les larmes n’appartient à des sophistes) ; on la trouve, cette histoire, dans le livre qui sert de base à une religion dédaignée des esprits forts, et qui serait bien en droit de leur rendre mépris pour mépris.

1426. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Beaufort » pp. 308-316

Ainsi l’exécution se fait avant que le patient soit préparé ; n’importe, dit Naigeon ; frappez, frappez fort, ce n’est guère que quelques goutes de sang, pour tout celui que sa maudite religion fera verser. ce sont deux instans confondus. […] On voit à droite Midas de profil, assis, fort embarrassé de draperies, ignoble, lourd et court. […] Quand on a le courage de faire le sacrifice de ces épisodes intéressans, on est vraiment un grand maître, un homme d’un jugement profond ; on s’attache à la scène générale qui en devient tout autrement énergique, naturelle, grande, imposante et forte.

1427. (1860) Ceci n’est pas un livre « Décentralisation et décentralisateurs » pp. 77-106

Sur les cinq (la moyenne est indulgente), un a du talent, un vrai talent ; les quatre autres n’ont qu’une vocation littéraire fort discutable. […] Les quatre, qui ont lu les Treize de Balzac, et qui se sentent fort gênés par le cinquième, se réunissent dans un serment d’extermination ; car le cinquième empoche, à lui seul, les dépenses d’admirations et d’applaudissements que font les 80 000 habitants de l’endroit. — Écrasons l’infâme ! […] Il faut que les idées et les mots vivent, que leur pouls batte fort — pour qu’on le sente battre seulement un peu.

1428. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’empire russe depuis le congrès de vienne »

L’aristocratie de Saint-Pétersbourg, qui s’est faite européenne aussi pour des motifs moins élevés que ceux du czar Pierre, cette aristocratie qui n’est pas plus Russe que Catherine, qui était Allemande, qu’Alexandre et Nicolas eux-mêmes, lesquels, à travers la langue officielle de leurs ukases, apparaissent comme des princes fort distingués, mais entièrement européens de mœurs, de connaissances et de génie ; l’aristocratie de Saint-Pétersbourg n’est pas plus une société que des régiments de Cosaques ne sont un peuple. […] Quand on fit le procès à ce chef-d’œuvre, qu’on lira encore quand on saura la Russie par cœur, personne ne se dit que Custine était de cette famille de jugeurs dont madame de Staël se vantait d’être, — madame de Staël, qu’il rappelle d’ailleurs pour le style et pour sa manière habituelle et soudaine de faire partir l’étincelle de l’aperçu. « Je serais conduite à l’échafaud, — disait un jour madame de Staël, — qu’en chemin, je crois, je voudrais juger le bourreau. » Custine avait plus difficile à faire : il avait à juger ceux qui voulaient le séduire, et il a été plus fort que ses séducteurs. […] Cela donnait à penser qu’il y avait des choses bien fortes… Il n’y a rien !

1429. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

Il manie la langue avec une élégance forte et travaillée, et il lui communique l’éclat concentré d’une pensée souvent profonde, creusée toujours. […] « Quand leurs fortes mains, qu’ils avaient tenues si longtemps appuyées sur la terre asservie, détournées enfin de leur spécialité par le spiritualisme chrétien, voulurent se lever vers le ciel, aussitôt la terre leur échappa !  […] Les siens, d’une extrême ténuité, ne répondaient pas à sa forte charpente.

1430. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VIII. M. de Chalambert. Histoire de la Ligue sous le règne de Henri III et de Henri IV, ou Quinze ans de l’histoire de France » pp. 195-211

Seulement ce travail qui était la partie importante et capitale d’une histoire, telle que M. de Chalambert concevait la sienne, ce travail, rejeté dans une introduction, n’est point la forte et étreignante analyse que nous aurions désirée et qui eût silencé, — comme disent si heureusement et si impérieusement les Anglais, — tous ces écrivains sans vigueur d’initiative qui, avec plus ou moins d’érudition, rabâchent, même en Allemagne, les idées de la Henriade et peuvent très justement s’appeler les ruminants de Voltaire ! […] On a le droit de s’étonner du silence des historiens qui ne parlent jamais de l’industrie protestante qu’à propos de la révocation de l’édit de Nantes, sous Louis XIV, et négligent de poser au xvie  siècle cette question de vie et de mort qui donne un intérêt si suprême, un instant si marqué, une âme si forte à l’intérêt catholique ! […] Par cette retenue, il ne dit pas quel malheur ce fut, en réalité, pour la France du Moyen Âge et de saint Louis, que l’avènement de la maison de Bourbon dans la personne d’Henri IV, et quelle politique à bascule allait remplacer cette forte organisation catholique de tout un pays, l’exemple du monde, que les Valois avaient compromise et que les Guise auraient sauvée !

1431. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le comte de Gasparin » pp. 100-116

Je comprends qu’on soit le disciple d’un homme, mais le disciple de plusieurs sociétés n’est pas aussi aisé à admettre, et quand il ajoute, pour être plus clair et pour n’arriver qu’à être plus vague : « de la partie de ce siècle sur laquelle les Apôtres eux-mêmes ont exercé leur direction », je ne comprends plus du tout, ou plutôt je comprends que le protestant Gasparin n’est que le disciple de lui-même, et que sa foi religieuse ne relève que de sa critique, de la partie du siècle dont il se dit le disciple, et de sa propre interprétation… La personnalité protestante du comte de Gasparin est si large, si forte et si absorbante, qu’il n’admet que celle de Dieu vis-à-vis de la sienne. […] C’est qu’elle est, au spirituel comme au temporel, la plus forte direction que puissent avoir les hommes. […] Seulement, je doute fort que le comte de Gasparin eût eu la même hardiesse que Proudhon.

1432. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VIII. Du mysticisme et de Saint-Martin »

Certes, la longue chaîne du mysticisme a bien des anneaux ; mais depuis le Fakir de l’Inde livré aux voluptés et aux martyres de l’extase jusqu’à ces Illuminés des voies intérieures dont parle Saint-Martin, en parlant de lui-même, tous les mystiques ne sont guères, en fin de compte, que les victimes plus ou moins foudroyées du sentiment religieux, trop fort pour l’homme, quand il se confie sans réserve à sa chétive et traître personnalité. […] Mais la Critique, qui a ses convictions, qui n’examine, ne raisonne et ne conclut que du milieu d’elles, a le droit de demander au philosophe pourquoi, dans un livre où toutes les questions liées à son sujet sont touchées de manière à les faire vibrer dans les esprits, il a négligé d’appuyer plus longtemps et plus fort sa juste et pénétrante analyse sur le côté fécond et sanctifié du mysticisme. […] Mais nous qui ne sommes ni professeur, ni philosophe, Dieu merci, nous à qui la suite des temps a trop appris que le Spiritualisme du dix-neuvième siècle a fait autant de mal que le Matérialisme du dix-huitième, nous nous intéressons fort peu à ce débat entre Garat et Saint-Martin.

1433. (1892) Portraits d’écrivains. Première série pp. -328

Cela même est l’un des secrets de sa forte. […] La tentation est trop forte. […] Mais l’amour est le plus fort. […] Dumas une forte part de romantisme. […] Trois hommes forts.

1434. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Note »

Lorsque M. de Chateaubriand revint de Rome à l’avènement du ministère Polignac, j’allais le voir quelquefois les matins : j’essayais de lui faire agréer les idées et comprendre le sens novateur de la jeune école romantique à laquelle il n’était guère favorable ; il avait fort connu Victor Hugo, mais il ne le voyait pas alors ; je faisais de mon mieux ma fonction de critique-truchement et négociateur. […] D’ailleurs, j’avais fort étudié Rancé de longue main pour mon Port-Royal, et j’en pris occasion de dire de lui bien des choses que M. de Chateaubriand affaibli avait oubliées ou méconnues.

1435. (1874) Premiers lundis. Tome I « M.A. Thiers : Histoire de la Révolution française Ve et VIe volumes — I »

Que si l'on entend par là désigner l’absence de tout pouvoir supérieur, de toute autorité souveraine, on se méprend fort ; car jamais gouvernement, quel qu’il fût, monarchie ou dictature, ne fut plus exigeant, ni plus obéi que la Convention d’alors et ses comités ; et, plus on avance dans cette sombre époque, ou, en d’autres termes, plus cette prétendue anarchie augmente, plus aussi la force du pouvoir se centralise et s’accélère dans sa marche irrésistible. […] Le pouvoir, comme on voit, en changeant de mains, se simplifiait, se concentrait sans cesse, et ses faisceaux, toujours moins nombreux et plus forts, frappaient des coups de plus en plus pressés et sûrs.

1436. (1875) Premiers lundis. Tome III « Le roi Jérôme »

Il lui confia 25,000 hommes de troupes bavaroises et wurtembergeoises, avec lesquelles le prince Jérôme s’empara de la Silésie, et rendit à la grande Armée, alors en Pologne, d’utiles services : « Le prince Jérôme, disait l’empereur dans un de ses bulletins, fait preuve d’une grande activité et montre les talents et la prudence qui ne sont d’ordinaire que les fruits d’une longue expérience. » — Le 14 mars 1807, Napoléon nommait son jeune frère général de division, et le 4 mai il écrivait au roi de Naples, Joseph : « Le prince Jérôme se conduit bien, j’en suis fort content, et je me trompe fort s’il n’y a pas en lui de quoi faire un homme de premier ordre.

1437. (1875) Premiers lundis. Tome III «  La Diana  »

En ces tristes journées on est tenté de se demander vraiment si l’on est une nation forte, sérieuse, ayant le caractère fait. […] Comme alors la France serait belle et forte, non-seulement dans ces grands jours qui ne sont qu’à elle dans l’histoire et par où elle éclate au monde, mais aussi dans ce tous les jours qui est bien de quelque prix dans la vie des peuples et dans celle des individus.

1438. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre V. Résumé. »

À leur tête, le roi, qui a fait la France en se dévouant à elle comme à sa chose propre, finit par user d’elle comme de sa chose propre ; l’argent public est son argent de poche, et des passions, des vanités, des faiblesses personnelles, des habitudes de luxe, des préoccupations de famille, des intrigues de maîtresse, des caprices d’épouse gouvernent un État de vingt-six millions d’hommes avec un arbitraire, une incurie, une prodigalité, une maladresse, un manque de suite qu’on excuserait à peine dans la conduite d’un domaine privé  Roi et privilégiés, ils n’excellent qu’en un point, le savoir-vivre, le bon goût, le bon ton, le talent de représenter et de recevoir, le don de causer avec grâce, finesse et gaieté, l’art de transformer la vie en une fête ingénieuse et brillante, comme si le monde était un salon d’oisifs délicats où il suffit d’être spirituel et aimable, tandis qu’il est un cirque où il faut être fort pour combattre, et un laboratoire où il faut travailler pour être utile  Par cette habitude, cette perfection et cet ascendant de la conversation polie, ils ont imprimé à l’esprit français la forme classique, qui, combinée avec le nouvel acquis scientifique, produit la philosophie du dix-huitième siècle, le discrédit de la tradition, la prétention de refondre toutes les institutions humaines d’après la raison seule, l’application des méthodes mathématiques à la politique et à la morale, le catéchisme des droits de l’homme, et tous les dogmes anarchiques et despotiques du Contrat social  Une fois que la chimère est née, ils la recueillent chez eux comme un passe-temps de salon ; ils jouent avec le monstre tout petit, encore innocent, enrubanné comme un mouton d’églogue ; ils n’imaginent pas qu’il puisse jamais devenir une bête enragée et formidable ; ils le nourrissent, ils le flattent, puis, de leur hôtel, ils le laissent descendre dans la rue  Là, chez une bourgeoisie que le gouvernement indispose en compromettant sa fortune, que les privilèges heurtent en comprimant ses ambitions, que l’inégalité blesse en froissant son amour-propre, la théorie révolutionnaire prend des accroissements rapides, une âpreté soudaine, et, au bout de quelques années, se trouve la maîtresse incontestée de l’opinion  À ce moment et sur son appel, surgit un autre colosse, un monstre aux millions de têtes, une brute effarouchée et aveugle, tout un peuple pressuré, exaspéré et subitement déchaîné contre le gouvernement dont les exactions le dépouillent, contre les privilégiés dont les droits l’affament, sans que, dans ces campagnes désertées par leurs patrons naturels, il se rencontre une autorité survivante, sans que, dans ces provinces pliées à la centralisation mécanique, il reste un groupe indépendant, sans que, dans cette société désagrégée par le despotisme, il puisse se former des centres d’initiative et de résistance, sans que, dans cette haute classe désarmée par son humanité même, il se trouve un politique exempt d’illusion et capable d’action, sans que tant de bonnes volontés et de belles intelligences puissent se défendre contre les deux ennemis de toute liberté et de tout ordre, contre la contagion du rêve démocratique qui trouble les meilleures têtes et contre les irruptions de la brutalité populacière qui pervertit les meilleures lois. […] les princesses du sang   De plus grandes dames encore…  On commençait à trouver que la plaisanterie était forte.

1439. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Avertissement »

« Elle nous raconta, dit une élève de Saint-Cyr, que, lui ayant dit un jour (au petit duc du Maine, qu’elle élevait) d’écrire au roi, il lui avait répondu, fort embarrassé, qu’il ne savait point faire de lettres. […] écrivez-le, cela est fort bon.”

1440. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le termite »

Il lui arrive quelque chose de fort simple : il est à la campagne ; le printemps lui fait aimer une femme, et son amour lui fait trouver la nature plus belle. […] Il y en a toujours bien un sur deux qui est fait sur ce modèle ; et c’est fort inquiétant.

1441. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saint-Pol-Roux (1861-1940) »

Saint-Pol-Roux, la Procession qu’imagina son rêve, — et mon ravissement au spectacle des splendides reposoirs que son art sincère édifia… Il sera celui qu’il a défini, le Poète : l’entière humanité dans un seul homme, — car il marche, hautain, à la conquête de l’avenir, en semant, avec le geste large des forts, à la volée, le bon grain d’où naîtront des fleurs éternelles comme les pierreries. […] Saint-Pol-Roux dans sa préface… Je dirai seulement à ceux qu’étonna déjà la verve estomirante de l’auteur des Reposoirs de la Procession  : lisez la Dame à la Faulx, c’est de beaucoup ce qu’il a fait de plus fort.

1442. (1911) La valeur de la science « Introduction »

Si nous voulons agir, au contraire, si nous voulons être forts, il faut que nous soyons unis. […] Si nous ne devons pas avoir peur de la vérité morale, à plus forte raison il ne faut pas redouter la vérité scientifique.

1443. (1887) Discours et conférences « Discours à l’Association des étudiants »

Je passe ainsi mon temps à cumuler des amitiés fort diverses et à escorter de mes regrets, par tous les chemins de l’Europe, les gouvernements qui ne sont plus. […] Le sol tremble quelquefois ; mais les tremblements de terre n’empêchent pas le pied du Vésuve d’être un lieu fort agréable.

1444. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XII » pp. 100-108

C’était la guerre de la Fronde : guerre singulière, assez mal observée et fort mal caractérisée par les historiens, qui n’y ont vu qu’un soulèvement à l’occasion d’un accroissement d’impôts, ou une suite de l’esprit de révolte dont la Ligue avait fait une habitude. […] Les premiers Frondeurs qui se déclarèrent en 1648, furent le duc d’Orléans, frère de Louis XIII, oncle du roi, âgé de quarante ans ; le prince de Conti, frère puîné du prince de Condé, âgé de vingt-cinq à vingt-six ans ; le duc de Beau fort, fils de César de Vendôme, et petit-fils d’Henri IV, âgé de trente-deux ans ; le duc de Vendôme (César), fils ainé d’Henri IV, père du duc de Beaufort, âgé de cinquante-quatre ans ; le duc de Nemours ; le duc de Bouillon ; le maréchal de Turenne, âgé de trente-sept ans ; le prince de Marsillac, depuis duc de La Rochefoucauld, âgé de quarante-cinq ans ; le coadjuteur, depuis cardinal de Retz ; le maréchal d’Hocquincourt.

1445. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIX » pp. 207-214

— L’assiéger — L’entreprise est fort belle, Et digne seulement d’Alexandre ou de vous : Mais Rome prise enfin, seigneur, où courons-nous ? […] Racine était courtisan quand Titus, se séparant de Bérénice, retraçait à Louis XIV le courage qu’il avait montré, l’empire qu’il avait eu sur lui-même, en éloignant Marie Mancini, dont il était fort amoureux et qu’il avait en la fantaisie l’épouser ; mais par cet acte de courtisan, il remplissait habilement un devoir de citoyen, et concourait avec Bossuet à dégager le jeune prince des chaînes de madame de Montespan, et à l’armer de sa propre vertu contre une passion désordonnée.

1446. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXX » pp. 330-337

Madame de Sévigné, fort aimée de madame Scarron, était instruite, comme madame de Coulanges, de beaucoup de particularités secrètes des relations de la gouvernante avec madame de Montespan et le roi. […] Remarquez enfin dans la lettre de madame de Coulanges le mot qui commence la phrase qui suit la nouvelle : « Cependant, dit-elle, elle est plus occupée de ses anciennes amies qu’elle ne l’a jamais été. » Cependant vient bien après l’approbation d’un homme tel que le roi ; mais quel ridicule serait égal à celui de madame de Coulanges disant : M. de Coulanges mon mari trouve madame Scarron de fort bonne compagnie, et cependant elle veut toujours bien nous regarder !

1447. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Lettre, à Madame la comtesse de Forbach, sur l’Éducation des enfants. » pp. 544-544

Tout bien considéré, la vie étant l’objet le plus précieux, le sacrifice le plus difficile, je l’ai prise pour la mesure la plus forte de l’intérêt de l’homme ; et je me suis dit : Si le fantôme exagéré de l’ignominie, si la valeur outrée de la considération publique ne donnent pas le courage de l’organisation, ils le remplacent par le courage du devoir, de l’honneur, de la raison. […] Lui prêcher toutes les vertus, serait une tâche trop forte pour vous et pour lui.

1448. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 41, de la simple récitation et de la déclamation » pp. 406-416

Nous trouvons même dans les usages de ce temps-là une preuve encore plus forte du plaisir que donne la simple récitation des vers qui sont riches en harmonie. […] Ainsi quoique les hommes soient plus capables que les femmes d’une application forte et d’une attention suivie, quoique l’éducation qu’ils reçoivent les rende encore plus propres qu’elles à bien apprendre tout ce que l’art peut enseigner, on a vû néanmoins depuis quarante ans sur la scéne françoise un plus grand nombre d’actrices excellentes que d’excellens acteurs.

1449. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVI »

Le chapitre qui a si fort irrité ce jeune critique se réduit à une modeste démonstration que je crois très acceptable. […] Quand on voit ces grands artistes, entre trois ou quatre expressions, se décider presque toujours pour la plus forte, n’a-t-on pas le droit de traduire ce fait en formule et de tirer un conseil de ce procédé ?‌

1450. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Léon Feugère ; Ambroise-Firmin Didot »

Toujours est-il que ce reproche que la critique est en droit d’adresser à Feugère, et qu’elle ne lui ménagera pas, implique la condamnation d’un livre qui pouvait, avec les connaissances multipliées de l’auteur, être une œuvre historique, importante et forte, et qui, dédoublée des doctrines qui sont l’âme orageuse de la littérature au xvie  siècle, tombe à n’être plus qu’une critique de lexicographe et un maigre travail de grammairien ! […] Choses du métier, bibliographie, critique aiguisée d’érudition, vies des hommes illustres ou considérables dans l’art dont il raconte les développements et les découvertes, tout se trouve donc dans cette forte brochure, qui n’est pas seulement l’histoire des faits, mais, de plus, l’exposé fidèle des diverses législations qui ont, principalement en France, régi l’imprimerie, ce grand domaine matériel et intellectuel de l’État.

1451. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Armand Baschet »

J’avoue que je suis fort à la piste de ces livres-là. […] si vous mettez encore que c’est le fils d’Henri IV, par-dessus le marché, lequel recule si fort devant ce qui eût fait si bravement avancer son père, et qu’enfin ce sont tous des grands seigneurs du pays et tous les ambassadeurs étrangers, à commencer par celui de Notre Très Saint Père le Pape, sa barrette de cardinal à la main, qui font la chaîne autour de ce coquebin de tous les diables, non pour l’éteindre, mais pour l’allumer, et pour le décider une bonne fois à ce que ce polisson de Beaumarchais appelait la consommation du badinage, est-ce que le comique ne prend pas alors des proportions incommensurables ?

1452. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

Crainte contre crainte, il ne reste qu’à savoir laquelle des deux sera la plus forte. […] Tout cela est fort libre, débraillé même, bien éloigné de la décence moderne. […] L’alliance est si forte que, sous Cromwell, les ecclésiastiques en masse se firent destituer pour le prince, et que les cavaliers par bandes se firent tuer pour l’Église. […] Son médecin contait qu’il avait été fort mélancolique pendant des années entières, avec des imaginations bizarres, et la persuasion fréquente qu’il allait mourir. […] Tu as ramassé ensemble toute la grandeur si fort tendue, tout l’orgueil, la cruauté, l’ambition de l’homme, et couvert tout ensemble de ces deux mots étroits : Hic jacet.

1453. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

On a fort exagéré sa culture livresque. […] A l’autre extrémité on peut voir la politique, sur laquelle tout électeur et à plus forte raison tout élu s’estime compétent. […] Ce siècle est grand et fort, un noble instinct le mène. […] A plus forte raison existe-t-il autant de durées vivantes qu’Il y a de vies humaines. […] Et le premier paraît plus fort, le second nous devient plus cher, de cette captivité même.

1454. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Parti du fort Chipiouyan, le 3 de juin 1789, il est de retour à ce fort le 12 de septembre de la même année. […] Mackenzie se retrouve enfin au fort Chipiouyan. […] Mackenzie cite des traits de mœurs fort touchants. […] Locke, Anglais, dont les écrits sur cette matière sont fort estimés, et avec raison. […] Où sont les éducations sévères qui préparaient des âmes fortes et tendres ?

1455. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

On peut prendre idée de la forte acquisition et de la dépense intellectuelle de Gandar durant tout ce temps par ses discours et programmes imprimés, mais surtout dans ses lettres, qui nous initient à ses efforts et à cette suite, à cette simultanéité de riches et fécondes études. […] On a fort exalté depuis un certain nombre d’années les génies supérieurs, austères, grandioses, jusqu’à en écraser parfois les plus charmants. […] Particulièrement j’ai fait un portrait d’Hamlet qu’on a fort applaudi ; on m’a dit que c’était ma meilleure leçon. » Et encore : « (12 juin 1858.)… Depuis trois ou quatre mois, j’ai beaucoup, beaucoup gagné. […] On ne saurait s’étonner que la correspondance de ce temps nous montre Gandar toujours fort occupé de beaux-arts et de peinture. […] Son rôle politique en ce moment s’est borné à ce simple discours. » Ce qui n’empêche pas que son discours, même avec ses conclusions modérées, ne renfermât des choses fort vives.

1456. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Saint-Arnaud. Ses lettres publiées par sa famille, et autres lettres inédites » pp. 412-452

… Chef d’un détachement, il raconte à son frère ses battues dans les bois : pourra-t-il atteindre une des deux bandes qu’il poursuit, l’une forte de six hommes et l’autre de quinze : « Demain sera un grand jour pour moi. […] Nous sommes, même avec les réserves de la correspondance publiée, dans le secret de bien des misères qu’on a eu à traverser, et où on l’a échappé belle : il y a tel retour de Mascara à Mostaganem (juillet 1841) où il est fort heureux qu’on n’ait pas été attaqué plus sérieusement. […] Un moment, au plus fort des débats Pritchard, il croit à une rupture inévitable avec l’Angleterre : « Il faudra en venir aux coups tôt ou tard, parce que l’esprit national et la masse de la nation, raisonnable ou non, entraînera et débordera le gouvernement lui-même… Enfin, tout se complique tellement que la bombe éclatera, et ses éclats tueront bien des médiocrités, et nous… nous monterons. » Nous monterons ! […] Nous allons trouver sur le Danube un ennemi fortifié, bien établi dans un camp retranché, qui rend son armée, déjà forte, très mobilisable. […] Les Anglais sont comme moi, mais moins forts jusqu’à présent.

1457. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Mais avant ce livre, et durant ses années les plus valétudinaires qui correspondent au temps du siège de Lyon, il s’était fort occupé de l’Épopée lyonnaise, grand poëme en prose, dont parle la Préface générale, et qui ne fut jamais imprimé. […] La Harpe avait été fort frappé que, dans le livre du Sentiment, l’auteur eût appelé l’Élysée du Télémaque un véritable paradis chrétien ; il lui enviait cette idée : « Moi qui ai fait un éloge de Fénelon, je n’ai pas songé à cela, s’écriait-il, et voilà qu’un jeune homme a mieux trouvé : le Seigneur est avec ceux qui font le bien !  […] Damiron, comme au fond sa pensée, nourrie d’histoire et de psychologie, exercée à de fortes études, n’en est plus à la simple foi, mais à la conception systématique, il faut, pour qu’il puisse l’accommoder aux formes de la poésie, qu’il la ramène par artifice à une inspiration qui n’est point naïve…. […] Ceux qui se récriaient si fort à mon sujet, ce n’étaient certes ni l’excellent Paulin, de tout temps mon ami, ni les rédacteurs habituels, Chambolle, Littré, etc. ; c’étaient les causeurs-amateurs, les inutiles et les bruyants, les flaneurs de haute hâblerie republicaine, Thibaudeau en tête. […] Le voyage était fort lent, fort interrompu à chaque relais par toutes sortes d’incidents.

1458. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Les livres et les belles-lettres peuvent n’être que fort secondaires pour eux, et l’historien lui-même, qui s’en passe moins aisément, y voit surtout l’usage positif et sévère. […] Ses relations avec le moine Schneider, telles qu’il s’est plu à nous les peindre, ne sont-elles pas une réflexion fort élargie, une pure réfraction du souvenir à distance au sein d’une vaste et mobile imagination ? […] Dans ces premiers accès d’enthousiasme germanique, Nodier ne savait que fort peu l’allemand ; il lisait plus directement Shakspeare ; mais il avait pour ainsi dire le don des langues ; il les déchiffrait très-vite et d’instinct, et en général il sait tout comme par réminiscence. […] Il publia presque en même temps le petit roman des Proscrits, et, dans un genre fort différent, une Bibliographie entomologique ; il avait écrit des articles dans un journal d’opposition intitulé le Citoyen français, qui paraissait pendant la première année du Consulat. […] Ce livre des Questions de Littérature légale, fort augmenté depuis l’édition de 1812, et qui, sous son titre à la Bartole, contient une quantité de particularités et d’aménités littéraires des plus curieuses relativement au plagiat, à l’imitation, aux pastiches, etc., etc., est d’une lecture fort agréable, fort diverse, et représente à merveille le genre de mérite et de piquant qui recommande tout ce côté considérable des travaux de Nodier.

1459. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre III. Services locaux que doivent les privilégiés. »

En nombre de cas, les paysans acquéreurs leur ont volontairement restitué leurs terres au prix d’achat  Autour de Paris, près de Romainville, après le terrible orage de 1788, on prodigue les aumônes ; « un homme fort riche distribue aussitôt pour son compte quarante mille francs aux malheureux qui l’entourent » ; pendant l’hiver, en Alsace, à Paris, tout le monde donne ; « devant chaque hôtel d’une famille connue brûle un vaste bûcher, où nuit et jour les pauvres viennent se chauffer »  En fait de charité, les moines qui résident et sont témoins de la misère publique restent fidèles à l’esprit de leur institut. […] Dans le diocèse d’Auxerre, pendant l’été de 1789, les Bernardins de Rigny « se sont dépouillés, en faveur des habitants des villages voisins, de tout ce qu’ils possédaient : pain, grains, argent et autres secours, tout a été prodigué envers douze cents personnes qui, pendant plus de six semaines, n’ont cessé de venir se présenter chaque jour à leur porte… Emprunts, avances prises sur les fermiers, crédit chez les fournisseurs de la maison, tout a concouru à leur faciliter les moyens de soulager le peuple ». — J’omets beaucoup d’autres traits aussi forts ; on voit que les seigneurs ecclésiastiques ou laïques ne sont point de simples égoïstes quand ils résident. […] D’ailleurs la familiarité engendre la sympathie ; on ne peut guère rester froid devant l’angoisse d’un pauvre homme, à qui, depuis vingt ans, l’on dit bonjour en passant, dont on sait la vie, qui n’est pas pour l’imagination une unité abstraite, un chiffre de statistique, mais une âme en peine et un corps souffrant. — D’autant plus que, depuis les écrits de Rousseau et des économistes, un souffle d’humanité chaque jour plus fort, plus pénétrant, plus universel, est venu attendrir les cœurs. […] Naturellement, toute pensée politique manque. « On ne peut imaginer, dit le manuscrit, personne plus indifférente pour toutes les affaires publiques. » Plus tard, au plus fort des événements les plus graves et qui les touchent par l’endroit le plus sensible, même apathie. […] Près de là, l’abbé de la Croix-Leufroy, « gros décimateur, et l’abbé de Bernay, qui touche cinquante-sept mille livres de son bénéfice et ne réside pas, gardent tout et donnent à peine à leurs curés desservants de quoi vivre ». — « J’ai dans ma paroisse, dit un curé du Berry88, six bénéfices simples dont les titulaires sont toujours absents, et ils jouissent ensemble de neuf mille livres de revenu ; je leur ai fait par écrit les plus touchantes invitations dans la calamité de l’année dernière ; je n’ai reçu que deux louis d’un seul, et la plupart ne m’ont pas même répondu. » — À plus forte raison faut-il compter qu’en temps ordinaire ils ne feront point remise de leurs droits.

1460. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre I. De l’action »

         Six forts chevaux tiraient un coche. […] C’est pourquoi chacun d’eux, ayant pris sa hache, se rendit auprès du même fleuve pour couper du bois, et, ayant jeté fort à propos sa cognée dans le courant, s’assit en pleurant. […] Supposons que notre poëte, ayant relu sa fable du loup et de l’agneau, ne l’ait pas trouvée assez forte et cherche un autre exemple afin de mieux prouver que La raison du plus fort est toujours la meilleure. […] Y a-t-il un raisonnement plus fort que cet argument personnel : Toi-même tu te fais ton procès ; je me fonde Sur tes propres leçons. […] Ce discours un peu fort     Doit commencer à vous déplaire.

1461. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

Si ce jeune poète n’eût pas été doué par la nature d’une originalité forte et inventive, il aurait certainement commencé comme tout le monde par l’imitation des modèles morts ou vivants qu’il avait à côté de lui. […] Bernardin de Saint-Pierre, Mme de Staël, M. de Chateaubriand, André Chénier, Hugo, Vigny, Sainte-Beuve, moi-même nous avions touché trop fort et trop longtemps la note grave, solennelle, religieuse, mélancolique, quelquefois larmoyante, quelquefois trop éthérée, du cœur humain. […] « Oui, j’aime fort aussi l’Espagne et la Turquie. […]     « Oui, j’aime fort aussi les dieux… ………………………………………………… …………………………………………………     « Vous me demandez si j’aime la sagesse ? « Oui, j’aime fort aussi le tabac à fumer.

1462. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

Le fait est que j’ai rencontré, en revenant ici, le lieutenant G…, et que j’ai fait la sottise de lui prêter l’insecte, qu’il a porté au fort ; impossible donc de le voir avant demain matin. […] Pour notre compte, nous regrettons que Baudelaire ait interverti l’ordre normal de sa publication, et n’ait pas commencé par les œuvres fortes. […] Poe a vécu toute sa vie, qui, du moins, fut fort courte, dans le mépris, dans la misère, et dans un travail acharné, car il travailla comme un nègre de son pays à esclaves ; mais la sueur à laquelle nous devons manger notre pain coula pour rien sur son front stoïque. […] Et c’était logique et justice, que le plus fort de tous les Bohèmes contemporains naquît au sein de la Bohème du refuge et du sang-mêlé de toutes les révoltes ! […] Evidemment, s’il avait été un autre homme, il aurait pu combler avec des affections fortes ou des vertus domestiques cette solitude qui a fait pis que de dévorer son génie ; car elle l’a dépravé.

1463. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre II. Les Normands. » pp. 72-164

Chanteurs, point du tout ; ils parlent, c’est là leur fort, dans leurs poëmes comme dans leurs chroniques. […] La race forte, fougueuse et brutale se jette sur l’ennemi à la façon d’un taureau sauvage ; les habiles chasseurs de Normandie la blessent avec dextérité, l’abattent et lui mettent le joug. […] Il veut s’amuser, c’est là son fort. […] Ils y tiennent si fort que les nobles de Henri II envoient leurs fils en France pour les préserver des barbarismes. […] Il faut bien que le Normand apprenne l’anglais pour commander à ses tenanciers ; sa femme, la Saxonne, le lui parle, et ses fils le reçoivent des lèvres de leur nourrice ; la contagion est bien forte, puisqu’il est obligé de les envoyer en France pour les préserver du jargon qui, sur son domaine, menace de les envahir et de les gâter.

1464. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

C’est chez les peuples admirés comme les plus prospères et les plus puissants que l’oppression a été la plus forte. […] C’est sans doute que la perception même des idées est fort vive chez la femme ; aussi font-elles d’excellents critiques spontanés. […] Mais le sexe fort manque de toutes les grâces qui donnent du prix à cette mimique endiablée. […] L’esthétique de Hugo ne s’en montre pas moins en ceci fort savante, mais d’une autre manière qu’il ne dit. […] On entend bien que l’Emphase romantique est d’une espèce fort distincte.

1465. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

Dès lors les choses les plus fortes, perdant leur hardiesse dans ma bouche, acquirent innocemment le crédit qui leur était nécessaire. […] « En ce moment il part ; et, couvert d’une nue, « Du fameux fort de Skink prend la route connue. […] Obligé de choisir entre lui et ces grands maîtres, je me range de leur côté, je l’avoue, et je crois que c’est en cela seulement qu’on peut courir au parti le plus fort. […] Jamais poète donna-t-il une image plus forte du pouvoir d’un dieu suprême. […] Comparez quelques-uns des êtres fictifs entre eux, leur différence vous paraîtra fort distincte.

1466. (1913) Les idées et les hommes. Première série pp. -368

Sa forte image est un emblème des vertus que cet art exige. […] Ils disaient, fort dédaigneusement : « C’est de la littérature », comme on dit : « Ce n’est rien ». […] Que de scènes traitées avec la plus forte maîtrise ! […] Plus ce rêve était fort et puissant, plus ils ont été solidement construits. […] Le colonel, fort honnête homme, fut parfait pour son beau-fils.

1467. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

, Goethe docteur en droit, beau, noble, aimable, après de fortes et libres études commencées à Leipzig, continuées à Strasbourg, et ayant su résister dans cette dernière ville à l’attraction vers la France, est rappelé à Francfort sa cité natale, et de là il est envoyé par son père à Wetzlar en Hesse pour se perfectionner dans le droit et y étudier la procédure du tribunal de l’Empire ; mais en réalité, et sans négliger absolument cette application secondaire, il est surtout occupé de lire Homère, Shakespeare, ou de se porter vers tout autre sujet « selon que son imagination et son cœur le lui inspireront ». […] Goethe, sage et fort jusque dans ses oublis, s’éloigna à temps. […] Il a (comme dans Werther) le nœud de ruban rose qu’elle portait au sein la première fois qu’il la vit ; il est fort question à plusieurs reprises d’une certaine camisole à raies bleues dans laquelle elle est adorable en négligé, et qu’il regretterait de loin de lui voir quitter. […] Un second événement, qui dut lui donner de l’aiguillon dans l’intervalle, fut le mariage de Kestner avec Charlotte, qui s’accomplit vers Pâques 1773 ; non pas qu’il eût du tout, à cette occasion, l’envie de se brûler la cervelle ; il a soin, dans sa correspondance, de rejeter bien loin une pareille pensée, et je crois fort que c’est sincère. […] La différence des impressions du lecteur à celles de l’auteur est ici par trop forte et trop criante ; elle n’est pas juste.

1468. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

Nous n’entendons pas ici précisément parler des deux brochures politiques de M. de Chateaubriand : nous en serions fort mauvais juge, incapable que nous nous trouvons, par suite d’habitudes anciennes et de convictions démocratiques, d’entrer dans la fiction des races consacrées et des dynasties de droit. Nous serions même fort tenté de croire que l’illustre écrivain n’a lancé ces manifestes que par engagement de position, par sentiment de point d’honneur, et comme on irait galamment sur le pré pour une cause à laquelle on se dévoue plutôt qu’on n’y croit. […] Cette faculté d’indignation honnête, ce sens d’énergie palpitante et involontaire que rien n’attiédit, et qui se fait jour, après des intervalles, à travers le factice des diverses positions, est une marque distinctive de certaines âmes valeureuses, et constitue une forte portion de leur moralité. […] En attendant, on le mit en nourrice au village de Plancoët ; il s’attacha fort à sa bonne nourrice, la Villeneuve, qui seule le préférait ; il s’attacha d’une amitié bien délicate, en grandissant, à la quatrième de ses sœurs, négligée comme lui, rêveuse et souffrante, et qu’il nous peint d’abord l’air malheureux, maigre, trop grande pour son âge, attitude timide, robe disproportionnée, avec un collier de fer garni de velours brun au cou, et une toque d’étoffe noire sur la tête. […] Le premier voyage à Paris, en compagnie de mademoiselle Rose, marchande de modes, qui méprise fort son vis-à-vis silencieux ; l’entrevue avec le cousin Moreau, qui n’est pas le grand général, avec madame de Châtenay, cette femme de douce accortise ; l’amour de garnison au profit de Lamartinière, la présentation à Versailles, la journée de la chasse et des carrosses, tous ces riens plus ou moins légers du monde extérieur sont emportés avec une verve de pur et facile esprit à laquelle le sérieux poëte ne s’était jamais nulle part aussi excellemment livré.

1469. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre premier »

En France, tout ce qui n’est pas une connaissance intéressant le plus grand nombre, ou, une règle de conduite pour quiconque a la bonne volonté, risque fort de n’être qu’une superfluité et un défaut. […] Ainsi, chez les anciens, quoique la forme de la société, essentiellement pratique et publique, retînt naturellement les écrivains dans la réalité, la part de la vaine curiosité et des spéculations oiseuses y est fort considérable particulièrement chez les Grecs. […] C’est ce spectacle que nous offrent tous nos chefs-d’œuvre ; il ne s’y voit autre chose qu’une raison supérieure rendue assez forte, par l’amour de la vérité, pour dominer l’imagination et les sens, et pour tirer d’admirables secours d’où lui viennent d’ordinaire les plus grands dangers. […] Ce sont deux effets différents de deux constitutions physiques, plus fortes que la résistance que l’âme y oppose. […] Plus de ces termes vagues où le lecteur s’aventure comme dans des pays de découvertes ; plus de tours incertains et équivoques qui sont goûtés comme l’allure propre à l’écrivain ; plus de nuances infinies : ne serait-ce pas fait de ce plaisir de deviner et de rêver que prise si fort le public allemand ?

1470. (1890) L’avenir de la science « VIII » p. 200

Quant à la critique des textes, leur position était fort différente de la nôtre. […] La rareté des livres, l’absence des index et de ces concordances qui facilitent si fort nos recherches obligeaient à citer souvent de mémoire, c’est-à-dire d’une manière très inexacte  Enfin les anciens n’avaient pas l’expérience d’un assez grand nombre de révolutions littéraires, ils ne pouvaient comparer assez de littératures pour s’élever bien haut en critique esthétique. […] Elle se contente d’emprunter des exemples à cette indigeste compilation, puis se met à l’ouvrage sur ses propres frais, sans se soucier de connaissances littéraires fort inutiles. […] Pour faire l’histoire de l’esprit humain il faut être fort lettré. […] Les visions pseudo-daniéliques sont à mes yeux le plus ancien essai de philosophie de l’histoire, et restent fort intéressantes à cet égard.

1471. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 août 1885. »

Davidsohn, avec sa moustache noire, son gilet blanc et sa politesse correcte et raide d’Allemand bien élevé, je revois les acteurs et les décors, et je retrouve l’enthousiasme, l’enthousiasme qui se communiquait de place en place et que j’éprouvais, moi, pauvre diable d’étudiant égaré dans cette élite, plus fort, plus entraînant que je ne l’ai jamais éprouvé depuis. […]   — « Que de fortes bûches soient empilées, là, au bord du Rhin, en amas : haut et clair, flambe le brasier, par qui le noble corps du plus auguste Héros soit consumé ! […] Que le feu qui me brûle purifie l’Anneau, de la Malédiction : vous, dans le flot dissolvez le, et, purement, gardez le brillant Or, qui, pour le Malheur, vous fut volé. »   Elle se tourne vers le bûcher, où gît le cadavre de Siegfried, et elle arrache à un homme une forte torche. […] » Woglinde et Wellgunde l’entourent de leurs bras et l’entraînent dans le gouffre ; Flosshilde élève l’Anneau, jubilante ; puis les trois Filles, gaîment, jouent avec l’Anneau et nagent en rond, — tandis qu’à travers la nuée, une lueur de flammes poind, avec une croissante clarté… Et les Hommes, en un muet saisissement, contemplent l’embrasement de l’horizon, une rouge lumière, lointaine et forte, semblable à l’aurore boréale, le reflet d’un prodigieux Incendie, un Crépuscule, dans le Ciel. […] On voit par ce compte-rendu que le wagnérisme est rapidement considéré comme un lien fort avec le romantisme allemand et que les théories du compositeur sont vues comme l’aboutissement d’une longue réflexion théorique sur l’art en Allemagne.

1472. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « I »

Chronique wagnérienne Le mois de février n’est pas précisément celui des souhaits et ces étrennes, et j’arrive sans doute fort tard pour offrir mes vœux de joyeuse chronique aux bénévoles lecteurs de la Revue Wagnérienne. […] Au point de vue de l’instrumentation, ce qui caractérise plus particulièrement cette magistrale symphonie, c’est l’intéressant et très heureux emploi du piano dans l’orchestre ; le rôle de l’orgued, quoique fort beau, n’y est pas néanmoins aussi remarquable. […] Plusieurs de ces vœux sont en train de se réaliser, et si, à propos de Reichstag et de bottes, M. de Bismarck ne nous met point dans les roues quelques-uns de ces bâtons de forte taille en la pose desquels il défie toute concurrence, nous avons de beaux mois wagnériens en perspective. […] On y rencontre une fort belle scène dans laquelle la princesse veut empêcher Lohengrin de partir pour combattre ses ennemis. […] C’est un travail bibliographique qu’on nous présente sous ce titre, et il est fort intéressant, sans d’ailleurs faire double emploi avec aucun autre ouvrage relatif à Wagner.

1473. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

L’œuvre la plus forte, d’après nous, doit être la plus sociale, celle qui représente le plus complètement la société même où l’artiste a vécu, la société d’où il est descendu, la société qu’il annonce dans l’avenir et que l’avenir réalisera peut-être. […] C’est là un travail fort difficile. […] Les anthropologistes ne considèrent même pas comme fixe l’hérédité des caractères de sous-race, de clan, de tribu, de tribu, et à plus forte raison de peuple, de nation. […] A Paris, l’hétérogénéité sociale atteint un tel degré que personne ne se trouve empêché de manifester son originalité ; et, comme tout artiste est orgueilleux de ses facultés, il n’en est que fort peu, et des plus médiocres, qui consentent à se renier, et à flatter pour un plus prompt succès le goût de telle ou telle section du public. » Aussi, dans un milieu aussi défini socialement que le Paris de la fin du second empire et du commencement la troisième république, les esprits les plus divers ont trouvé place (voir M.  […] Brodie Junes et moi, dit Darwin, avons été des amis intimes pendant trente ans, et nous ne nous sommes jamais complètement entendus que sur un seul sujet, et, cette fois, nous nous sommes regardés fixement, pensant que l’un de nous devait être fort malade. » 36.

1474. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre II : Examen critique des méditations chrétiennes de M. Guizot »

J’ai donné mes plus fortes années aux affaires publiques. […] Guizot, si forte qu’elle soit, peut avoir la prétention d’une démonstration scientifique ? Est-ce qu’elle est fondée sur autre chose que des raisons, des considérations plus ou moins fortes, plus ou moins plausibles, plus ou moins décisives ? […] Tant qu’il y aura des âmes chrétiennes, il y aura un christianisme, et les preuves, si faibles qu’elles puissent être, seront toujours assez fortes. Quand il n’y aura plus d’âmes chrétiennes, il n’y aura plus de christianisme, et les preuves, si fortes qu’elles soient, seront toujours trop faibles.

1475. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

Il est fort concevable que la franchise de Zola ait rencontré, dès la première heure, un acharnement et une férocité d’insultes dont la bassesse émanait de ce « groupe de puritains jésuites boutonnés dans leur redingote, ayant peur des mots, tremblant devant la vie, voulant réduire le vaste mouvement de l’enquête moderne au train étroit de lectures morales et patriotiques »10. […] Malgré la belle santé apparente et le fort parfum qui s’en dégage, son œuvre ne me donne pas assez l’impression d’un équilibre puissant de la vie intérieure et extérieure, d’une vision pleine et harmonique du monde. […] « Et malgré nos réserves, (dont vous devez, en partie du moins, comprendre la justesse), c’est la sympathie puissante qui l’emporte pour votre œuvre saine et forte, et nous ne sommes pas près d’oublier quelques-unes de vos pages admirables sur les bêtes, sur l’art ; sur la femme, sur l’humanité. […] Quand bien même vos plus fortes œuvres, l’Assommoir, Germinal, la Terre, ne parleraient pas assez haut pour votre gloire (ce que je crois inadmissible), votre nom restera toujours synonyme d’une formidable prise de corps avec la réalité, d’une énorme poussée vitale. Le flot d’injures ignobles déversé sans trêve sur vous, s’adresse à l’apôtre réaliste, et voilà pourquoi, vis-à-vis de ces basses insultes, nous ne marchanderons jamais notre sympathie à l’homme fort et sain qui a creusé la terre d’un soc aussi vigoureux.‌

1476. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Il est en pied, visible à partir du genou, immobile ; et néanmoins, à première vue, l’imagination se représente la détente brusque des jambes, flexibles et fortes comme l’acier des arbalètes, qui donneront un élan redoutable à ce buste élégant, dès que l’ennemi se montrera. […] Il a raison encore, parce que la description prolongée suspend l’action et arrête l’émotion, cette petite cloche dont la vibration, plus ou moins forte, doit s’entendre toujours. […] Jamais de heurts, d’invraisemblances, de mots trop forts pour les choses à exprimer et qui ressemblent à des navires de haut bord qu’on noliserait pour porter un sac d’avoine, ou quelques graines potagères. […] Étrange et forte preuve de notre noblesse native, puisque les romanciers n’ont point coutume, que je sache, de faire un dénouement de bonheur acquis et durable à la passion triomphante, et qu’elle n’éprouve jamais tant les amants que le lendemain du jour où ils sont réunis. […] Il dit du peintre Van Orley : « Vous trouvez en lui du gothique et du florentin… ici la pâte lourde et cartonneuse, la couleur terne et l’ennui de pâlir sur des méthodes étrangères ; là des bonheurs de palette, et la violence, les surfaces miroitantes, l’éclat vitrifié propres aux praticiens sortis des ateliers de Bruges. » Quelles images neuves, et quelle langue nouvelle aussi, combien forte !

1477. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

Il garde pour dernier trait le mot le plus fort, et marque la symétrie des idées par la symétrie des phrases. […] Incessamment vous voyez danser des bergers ; ils sont fort courtois, bons poëtes et métaphysiciens subtils. […] Nous aussi, nous avons des passions, mais nous ne sommes plus assez forts pour les porter. […] Au plus fort de l’invention, Spenser reste serein. […] Il est si fort à son aise dans ce monde, que nous finissons par nous y trouver comme chez nous.

1478. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

L’une de ces odes n’offre qu’une des milles variantes de l’Amour enchaîné de roses, l’autre est à la Lune ; cette dernière a droit de passer pour un fort gracieux pastiche et très-propre à faire illusion. […] A côté des satisfactions fort douces qu’il y recueillit, il ressentit bien des ennuis, bien des gênes, sans parler de celles qui tenaient à sa situation personnelle. […] Mais, après avoir touché une à une toutes les vanités, tous les caprices de la gloire, l’avoir poussée et harcelée en ses derniers retranchements, Parini n’en conclut pas moins qu’il faut suivre sa vocation d’écrivain quand elle est telle, et obéir coûte que coûte à son destin, avec une âme forte et grande153. […] Je crains fort que ce ne soit seulement ϰαť Ạσφ сδελὸν λειμῶνα (le long de la prairie d’Asphodèle)160. […] Les temps se précipitent et empirent : c’est à tort que l’on confierait à des neveux gâtés (a putridi nepoti) l’honneur des âmes fortes et la vengeance suprême des vaincus.

1479. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre I. Principe des mœurs sous l’Ancien Régime. »

Jadis, aux premiers temps féodaux, dans la camaraderie et la simplicité du camp et du château fort, les nobles servaient le roi de leurs mains, celui-ci pourvoyant à son logis, celui-là apportant le plat sur sa table, l’un le déshabillant le soir, l’autre veillant à ses faucons et à ses chevaux. […] Les dieux eux-mêmes sont de leur monde  Enfoncée par l’effort de toute une société et de tout un siècle, l’empreinte de la cour est si forte, qu’elle s’est gravée dans le détail comme dans l’ensemble et dans les choses de la matière comme dans les choses de l’esprit. […] À plus forte raison faut-il que les ministres, ambassadeurs, officiers généraux, qui tiennent la place du roi, représentent d’une façon grandiose. […] Mémoires de Laporte (1632). « M. d’Épernon vint à Bordeaux, où il trouva Son Éminence fort malade. […] Sa Majesté commence à manger fort vite, sans regarder personne, tenant les yeux baissés sur son assiette.

1480. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Que dehors, dans le fort, on ne cannonne plus, pour que rien ne soit perdu de la mélodie ! […] Mais l’éducation française — et du léger siècle — rendit sa métaphysique fort simple, aisément explicable dans la forme, encore, du Roman. […] Le second désir mauvais est le désir de la femme, parce qu’il nous sépare de tous, nous fait sentir, plus forte, notre personne individuelle. […] Dans les champs, entre les forêts qui protègent et les plaines fertiles qui nourrissent, il habitera, sain, fort, joyeux. […] Malade, il oubliera les besoins de la santé, éprouvera plus grande la joie de se voir fort et jeune, dans la jeunesse et la vigueur de son fils.

1481. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre V : Lois de la variabilité »

Ainsi que l’ont remarqué plusieurs auteurs, les parties homologues ont une forte tendance à adhérer les unes aux autres. […] Cette époque est rarement fort reculée, puisque chaque espèce ne vit guère au-delà d’une période géologique. […] Je donnerai deux exemples de ce fait, les premiers que je trouve inscrits sur ma liste, et comme les différences y sont de nature fort étrange, leur connexion avec la loi que je pose ne saurait être accidentelle. […] Chez le Cheval nous trouvons une forte tendance à présenter les mêmes caractères, partout où apparaît la teinte gris-brun, celle qui approche le plus de la couleur générale des autres espèces du genre. […] Quand des races de diverses couleurs sont croisées, même parmi les plus anciennes et les plus pures, les métis ont une forte tendance à prendre la couleur bleue et les marques caractéristiques.

1482. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

Il serait fort étrange que quelqu’un se fût jamais imaginé d’apprendre à un Chien à tomber d’arrêt, si quelques Chiens n’avaient montré une tendance naturelle à le faire ; or l’on sait qu’une pareille tendance se manifeste quelquefois chez diverses races, et je l’ai constatée moi-même chez un pur Terrier. […] Dès que la disposition à arrêter fut devenue assez forte dans une race pour être remarquée et appréciée, la sélection méthodique, avec ses effets héréditaires, et l’éducation, avec ses moyens de contrainte, agissant sur chaque génération successive, eurent bientôt achevé l’œuvre de transformation. […] Si leurs services se sont trouvés de quelque utilité à l’espèce au milieu de laquelle elles sont ainsi nées par hasard, au point qu’il fût plus avantageux à cette espèce de capturer des travailleurs que de les procréer, l’habitude acquise de recueillir ou de dérober des œufs étrangers seulement pour s’en nourrir pourrait en être devenue plus forte ou s’être transformée par sélection naturelle, de manière à avoir pour but principal d’élever des esclaves. […] Nous pouvons conclure de là en toute sécurité que, si les instincts actuels de la Mélipone, qui n’ont rien de fort extraordinaire, étaient susceptibles de quelques légères modifications, cet insecte pourrait arriver peu à peu à construire des cellules d’une perfection aussi merveilleuse que celles de notre Abeille domestique. […] Pour ce qui concerne les instincts, la différence entre les ouvrières et les femelles fertiles est fort analogue à celle qu’on observe chez les Abeilles.

1483. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Et n’y aurait-il pas pour l’humanité une autre vie possible, en dehors de cette éternelle soumission d’esprit et de corps à une poignée de prévaricateurs, forts d’insolence et d’hypocrisie ? […] Il est probable que si Henri IV avait montré plus de fermeté, s’il avait refusé l’abjuration, et surtout si le parti qui l’aida à conquérir le pouvoir avait été plus fort, l’avenir religieux de la France aurait alors changé brusquement. […] « Deux chefs de famille de la ville de Meaux, de condition fort médiocre, ont écrit à leur évesque depuis quelques jours qu’il leur restoit beaucoup de scrupule sur quelques points de doctrine, et principalement sur celuy du Purgatoire. […] A cette époque, ce sont les protestants qui représentent la vraie France, industrieuse et sagace, d’esprit ouvert et de forte activité. […] Une forte part de ces proscrits vient coloniser la Prusse, fonde sa puissance militaire.

1484. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

Il y a là cependant un point fort obscur, et un problème beaucoup plus grave qu’on ne se l’imagine généralement. […] Quant à la sensation plus particulière qu’elle éprouve dans le bras qui travaille, elle reste constante pendant fort longtemps, et ne change guère que de qualité, la pesanteur devenant à un certain moment fatigue, et la fatigue douleur. […] Il suffira, pour s’en convaincre, de lire la remarquable description que le même auteur a donnée du dégoût : « Si l’excitation est faible, il peut n’y avoir ni nausée ni vomissement… Si l’excitation est plus forte, au lieu de se limiter au pneumo-gastrique elle s’irradie et porte sur presque tout le système de la vie organique. […] On conçoit qu’un nerf transmette une douleur indépendante de toute réaction automatique ; on conçoit aussi que des excitations plus ou moins fortes influencent ce nerf diversement. […] Quand vous dites qu’une pression exercée sur votre main devient de plus en plus forte, voyez si vous ne vous représentez pas par là que le contact est devenu pression, puis douleur, et que cette douleur elle-même, après avoir passé par plusieurs phases, s’est irradiée dans la région environnante.

1485. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

L’individu a son expression la plus haute et exerce son action la plus forte dans une discipline librement consentie. […] C’est une faute de goût, une rupture de l’unité artistique ; et de fait la parabole somptueuse de D’Annunzio, dont l’idée centrale me serait d’ailleurs fort sympathique, demeure très inférieure au sobre récit de Matthieu. […] Se domani mi si dirà : “D’Annunzio ha scolpito una statua meravigliosa, ha dipinto mirabilmente un quadro, io vi crederò, per la fede che ho nella poliedricità del suo ingegno forte e superiore. […] Macinate forte, schiavi, ch’ io vi darò per cena orzuola intrisa con la crusca e condita d’olio glasso. […] Aujourd’hui encore je la crois non pas nécessaire, mais du moins fort utile à la concentration dramatique ; pour les raisons pratiques énoncées plus haut, et pour une raison psychologique bien plus profonde.

1486. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

Mirabeau toujours préoccupé de l’idée que Vauvenargues n’est pas ambitieux, qu’il est philosophe par tempérament et par choix (il le juge trop sur la mine, et par le dehors), qu’il est porté à l’inaction et au rêve, le presse souvent et dans les termes d’une cordiale amitié de se proposer un plan de vie, un but, de ne plus vivre au jour la journée : « Nous avons besoin de nous joindre, mon cher ami ; vous appuieriez sur la raison, et je vous fournirais des idées. » Vauvenargues décline ce titre de philosophe auquel, dit-il, il n’a pas droit : Vous me faites trop d’honneur en cherchant à me soutenir par le nom de philosophe dont vous couvrez mes singularités ; c’est un nom que je n’ai pas pris ; on me l’a jeté à la tête, je ne le mérite point ; je l’ai reçu sans en prendre les charges ; le poids en est trop fort pour moi. […] J’aimerais la santé, la force, un enjouement naturel, les richesses, l’indépendance, et une société douce ; mais comme tous ces biens sont loin de moi, et que les autres me touchent fort peu, tous mes désirs se concentrent, et forment une humeur sombre que j’essaye d’adoucir par toute sorte de moyens. […] Serré de près dans ses retranchements, Vauvenargues répond et ne peut dissimuler quelques-unes des idées que nous lui savons sur et contre la littérature : Je n’ignore pas les avantages que donnent les bons commerces ; je les ai toujours fort souhaités, et je ne m’en cache point ; mais j’accorde moins que vous aux gens de lettres : je ne juge que sur leurs ouvrages, car j’avoue que je n’en connais point ; mais je vous dirai franchement, qu’ôtez quelques grands génies et quelques hommes originaux dont je respecte les noms, le reste ne m’impose pas. […] Il est vrai qu’on se fait une réputation et qu’elle impose au grand nombre, mais c’est l’acheter chèrement, et il est encore plus pénible de la soutenir ; et, quand il n’y aurait d’autre désagrément que de lire tous les mauvais livres qui s’impriment, afin d’en pouvoir raisonner, et d’entendre tous les jours de sottes discussions, ce serait encore trop pour moi… Il me serait fort agréable d’avoir de la réputation, si elle venait me chercher ; mais il est trop fatigant de courir après elle, et trop peu flatteur de l’atteindre, lorsqu’elle coûte tant de soins.

1487. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — II » pp. 126-147

La plupart de ces livres n’ayant jamais été traduits auparavant, on est fort obligé à un auteur qui a pris la peine de les mettre en notre langue. […] Il nous explique cela bien doucement quelques années après, à l’occasion de manuscrits considérables qu’il se voit obligé de retenir en portefeuille, « parce que, dit-il ingénument, les libraires qui regardent leur profit s’en sont un peu défiés pour le débit, ne l’ayant eu que fort médiocre pour mes autres ouvrages et même pour ma traduction de Virgile, qui est la plus juste, la plus belle et la plus élégante de toutes celles que j’ai faites, lesquelles néanmoins25 vont fort lentement en comparaison de beaucoup d’autres qui se débitent en foule… » Personne plus que lui ne donne de curieux détails sur son propre discrédit et sur sa baisse de plus en plus profonde. […] Chapelain était fort savant, d’une science solide, et il se montra judicieux, bien qu’avec pesanteur, tant qu’il n’eut affaire qu’à des auteurs et à des ouvrages qui se rapportaient aux habitudes de toute sa vie et qui dépendaient de l’école littéraire où avait été nourrie sa jeunesse.

1488. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. De Pontmartin. Causeries littéraires, causeries du samedi, les semaines littéraires, etc. »

Il fait un tableau rapide et fort incomplet de la littérature en France depuis la Révolution. […] Un jour, à une fin de chronique littéraire2, parlant de la Dame aux Camélias et lui opposant la vertu des bourgeoises et des chastes Lucrèce, il a dit : domum mansit, lanam fecit ; d’où je conclus qu’au collège il était plus fort en discours français qu’en thème3. […] M. de Pontmartin, qui s’est chargé plus d’une fois de venger marquis et marquises contre les railleries et les trivialités des auteurs modernes de romans et de comédies, serait fort embarrassé des grossièretés de style de ce marquis-là. […] Pour mon compte, je dois cependant convenir, sans prétendre faire le généreux, que sa plaidoirie en faveur de Chateaubriand, à l’occasion et à l’encontre d’un livre que j’ai publié, m’a frappé comme très-spirituelle, très bien menée, très-soutenue d’haleine, fort juste en bien des points ; et il me coûte d’autant moins de le reconnaître, qu’au fond ses conclusions à lui (sauf le ton de la chanson) ne sont pas si différentes des miennes, et qu’un abîme, quoi qu’il en dise, ne nous sépare pas.

1489. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Lettres inédites de Michel de Montaigne, et de quelques autres personnages du XVIe siècle »

Priant Dieu, Monsieur de Montaigne, qu’il vous ait en sa sainte garde. » Montaigne s’honora fort, et avec raison, de cette charge de maire ; il y fut réélu après deux années, en 1583. […] Montaigne aimait et admirait fort son père, « l’âme la plus charitable et la plus populaire qu’il eût connue. » Mais lui, il n’est point tel ni débonnaire de nature et d’humeur à ce degré ; il n’est point disposé à être, comme son père, perpétuellement agité et tourmenté des affaires de tous ; il confesse ne pouvoir le suivre et l’égaler en cela ; il n’est pas homme à se jeter à tout moment, comme un Curtius, dans le gouffre du bien public. […] Mais il était temps qu’une situation si tendue cessât ; on l’entrevoit, pour peu qu’elle se prolonge, un peu trop forte et trop onéreuse pour Montaigne. […] En de telles circonstances, le devoir d’un maire semble tout tracé : il est à son poste d’honneur au fort du danger ; il fait ce que firent, à Dreux le poète Rotrou, victime de son zèle ; l’évêque Belzunce à Marseille, et d’autres encore ; — ce que fit le maréchal d’Ornano, maire lui-même de Bordeaux, dans une autre épidémie de 1599.

1490. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Lorsqu’on interroge sur lui, lui-même d’abord, bon témoin, des plus véridiques, et ceux qui l’ont connu, on arrive à se faire une idée fort juste de sa personne et de son genre d’originalité. […] Lorsque ma fortune a été un peu arrangée, et que les passions ont commencé à se ralentir chez moi, ce qui est arrivé de bonne heure, n’étant pas né très fort, c’est dans ce temps-là que j’ai cherché dans mon cabinet des ressources contre l’ennui. » A un moment, un peu tard comme Béranger, à trente-huit ans seulement, il trouva sa veine ; il fit sa première comédie, La Vérité dans le vin, la meilleure qu’il ait jamais faite (1747), et il devint le divertisseur en vogue du comte de Clermont, et surtout du duc de Chartres, bientôt duc d’Orléans. […] Il est difficile d’intéresser la postérité à des conseils assez fins de tour et de forme, mais fort vulgaires de fond, donnés à un jeune employé des finances pour lui apprendre le moyen de se faire bien venir de ses chefs : « Mon cher fils, — mon cher enfant, — faites-vous une besogne particulière et séparée de vos devoirs journaliers ; intéressez l’amour-propre de vos supérieurs (voire directeur entre autres), en les consultant sur cette besogne particulière, en les priant d’être vos guides… C’est M. de Saint Amand qu’il vous importe d’enjôler (sans fausseté, pourtant). […] Là où l’on a cru voir de l’amertume chez Collé critique, il n’y a que de l’antipathie, ce qui est fort différent.

1491. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

Les ambassadeurs suisses firent alors un dernier et suprême effort de médiation ; dans une lettre des plus pressantes qui fut lue en chaire par toutes les paroisses vaudoises, ils disaient81 : « Nous avons vu que vous avez beaucoup de peine à vous résoudre de quitter votre patrie, qui vous est d’autant plus chère que vos ancêtres l’ont possédée par plusieurs siècles et défendue valeureusement avec la perte de leur sang ; que vous vous confiez que Dieu, qui les a soutenus plusieurs fois, vous assistera aussi et que vous appréhendez même qu’une déclaration pour la sortie ne soit qu’un piège pour vous surprendre et accabler : nous vous dirons pour réponse que nous convenons avec vous que la loi qui oblige à quitter une chère patrie est fort dure ; vous avouerez que celle qui oblige à quitter l’Éternel et son culte est encore plus rude, et que de pouvoir faire le choix de l’un avec l’autre est un bonheur qui, en France, est refusé à des personnes de haute naissance et d’un éminent mérite, et qui s’estimeraient heureuses si elles pouvaient préférer une retraite à l’idolâtrie. » Quelle tache et quelle honte pour la France de Louis le Grand qu’une atroce injustice comme celle-ci trouve presque à se glorifier et à s’absoudre par l’exemple d’une injustice plus abominable encore, dont elle offrait alors au monde l’odieux et parfait modèle ! […] La pureté du petit troupeau d’Israël ramené par Arnaud s’était, d’ailleurs, fort altérée et mélangée d’éléments impurs. […] On disait que, quand il était de tranchée, « la besogne avançait du double. » Le siège fut long, difficile ; M. de Vauban prétendait que « jamais place n’avait désiré plus de canon que celle-ci pour la réduire. » Il disait aussi que « Monseigneur était si affriandé à la tranchée qu’il y voulait retourner toujours. » Le roi s’étonnait de cette longueur (relative) du siège ; Louvois, pour s’éclairer, réclamait des relations précises et presque journalières des meilleurs officiers, et il en voulait surtout de Catinat, « Sa Majesté, lui disait-il, ayant une fort grande foi à vos relations et me les ayant demandées souvent. » Louis XIV savait que Catinat ne mentait pas, —  ne brodait pas. […] Les premières instructions qui lui furent données étaient restreintes et conditionnelles : détruire les Barbets d’abord, traverser le Piémont, porter la contribution dans le Milanais en assurant par l’occupation des postes nécessaires ses communications avec Pignerol ; puis, par de secondes instructions plus circonstanciées, on lui recommandait d’avoir raison à Turin des tergiversations du duc que l’ambassadeur du roi, M. de Rébenac, ne serrait point d’assez près ; de forcer ce prince à donner satisfaction au roi sur les points en litige, tels que l’envoi des régiments Piémontais en France, et la remise immédiate de deux places fortes, Verrue et surtout la citadelle de Turin, le menaçant de toute la sévérité du roi s’il n’obtempérait.

1492. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

Je pencherais volontiers au fond pour cet avis, mais je crains fort que le relevé ne se fasse pas et que l’héritage ne reste un jour en voie de liquidation. […] Comme je ne me pique pas le moins du monde d’être agréable aujourd’hui, je dirai, même aux dames, toute ma pensée : « Tout le monde (c’est La Bruyère qui parle)185 connoît cette longue levée qui borne et qui resserre le lit de la Seine, du côté où elle entre à Paris avec la Marne qu’elle vient de recevoir : les hommes s’y baignent au pied pendant les chaleurs de la canicule ; on les voit de fort près se jeter dans l’eau, on les en voit sortir, c’est un amusement. […] Au théâtre, ce qui décidera un spirituel dramaturge à lâcher cinq actes assez flasques au lieu de trois bien vifs, c’est qu’il y a plus forte prime pour les cinq. […] Je me permets tout bas de penser que ce laisser-aller est une erreur ; rarement les moindres choses (à plus forte raison les grandes) s’organisent d’elles-mêmes.

1493. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Elle raconte et confesse, en fort bon style didactique, ses propres luttes épineuses sur l’article de la vanité : « Voilà, ma bonne amie, une peinture ingénue des révolutions dont mon cœur fut le théâtre !  […] La jeune fille forte, sensée, de l’imagination la plus droite et la plus sévère qui fût jamais, distingue du premier jour un être qui est l’assemblage de toutes les fadeurs et les niaiseries en vogue, et elle croit saisir en lui le type le plus séduisant de son rêve. […] En vain se répète-t-elle le plus qu’elle peut et avec une grâce parfaite : « Je veux de l’ombre ; le demi-jour suffit à mon bonheur, et, comme dit Montaigne, on n’est bien que dans l’arrière-boutique ; » sa forte nature, ses facultés supérieures se sentent souvent à l’étroit derrière le paravent et dans l’entresol où le sort la confine. […] En même temps le talent d’écrire y gagne ; la jeune fille, désormais femme forte, est maîtresse de sa plume comme de son âme ; phrase et pensée marchent et jouent à son gré.

1494. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVII. Rapports d’une littérature avec les littératures étrangères et avec son propre passé » pp. 444-461

Les guerres d’Italie, un peu plus tôt, aidèrent fort la Renaissance à traverser les Alpes. — Une alliance a des résultats non moins graves. […] Il n’est pas de grand homme qui n’ait eu aux yeux des générations successives plusieurs physionomies fort dissemblables, et par suite des influences très différentes sur leur esprit. […] Je crois, par exemple, qu’Aristote eût été fort surpris des choses que les scolastiques lui faisaient dire et même des préceptes tyranniques qu’un abbé d’Aubignac prétendait tirer de sa Poétique. […]   Ce qui peut en cas pareil consoler les plus désireux de voir leur patrie grande et forte, c’est que, si la France s’inspire parfois de ses voisins, ceux-ci le lui rendent avec usure.

1495. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XII »

Zadig, dans le conte de Voltaire, devine, sans l’avoir vu, que le cheval échappé du roi de Babylone a cinq pieds de haut, le sabot fort petit, qu’il porte une queue de trois pieds et demi de long, que les bossettes de son mors sont d’or à vingt-trois carats, et que ses fers sont d’argent à onze deniers. […] L’amour le plus fort doublé du caractère le plus énergique suffirait à peine à porter le poids d’une femme déchue aggravé par un enfant, témoin vivant de sa faute. […] Que cet amour, plus fort que le préjugé, soit aussi plus fort que la raillerie et le blâme.

1496. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

» Je crois sentir, en un mot, dans ce style si régulier, si ferme, si admirable aux pages heureuses, un fond de prononciation âcre et forte, qui prend au gosier, un reste d’accent de province. […] J’ai les cheveux fort bruns et très avantageusement placés ; le front un peu élevé, et d’une forme régulière ; les sourcils noirs et bien arqués ; les yeux à fleur de tête, grands, d’un bleu foncé, la prunelle petite, et les paupières noires ; mon nez, ni gros, ni fin, ni court, ni long, n’est point aquilin, et cependant contribue à me donner la physionomie d’un aigle. […] René, qui se flatte si fort de s’être séparé de son célèbre devancier, s’est écrié tout comme lui dans Les Natchez : « C’est toi, Être suprême, source d’amour et de beauté, c’est toi seul qui me créas tel que je suis, et toi seul me peux comprendre !  […] Il a, à proprement parler, réfléchi et étudié fort peu, et n’a, en vérité, qu’un fonds peu étendu de connaissances.

1497. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

Mais ce n’est que lors du mariage de son ami le duc de Chartres, le futur Régent, avec une des filles bâtardes de Louis XIV, que la curiosité de Saint-Simon s’avoue tout entière et se déclare : « Il m’en avait depuis quelques jours transpiré quelque chose (de ce mariage), et, comme je jugeai bien que les scènes seraient fortes, la curiosité me rendit fort attentif et assidu. » Louis XIV et sa majesté effrayante qui impose à toute sa famille, la faiblesse du jeune prince qui, malgré sa résolution première, consent à tout, la fureur de sa mère, l’orgueilleuse Allemande, qui se voit obligée de consentir elle-même, et qui nous est montrée, son mouchoir à la main, se promenant à grands pas dans la galerie de Versailles, « gesticulant et représentant bien Cérès après l’enlèvement de sa fille Proserpine » ; le soufflet vigoureux et sonore qu’elle applique devant toute la Cour à monsieur son fils, au moment où il vient lui baiser la main, tout cela est rendu avec un tour et un relief de maître. […] On marie le duc du Maine ; M. de Montchevreuil, qui avait été son gouverneur, demeure auprès de lui en qualité de gentilhomme de sa Chambre : Montchevreuil, dit-il, était un fort honnête homme, modeste, brave, mais des plus épais. […] Ainsi donc, sans prétendre garantir l’opinion de Saint-Simon sur tel ou tel personnage, et en en tenant grand compte seulement en raison de l’instinct sagace et presque animal auquel il obéissait et qui ne le trompait guère, on ne peut dire qu’en masse il ait calomnié son siècle et l’humanité ; ou, si cela est, il ne l’a calomniée que comme Alceste, et avec ce degré d’humeur qui est le stimulant des âmes fortes et la sève colorante du talent.

1498. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

C’est ainsi encore qu’il fera dire à un solliciteur, dans L’Intrigant malencontreux : « Monsieur Mitis, tâchez donc de placer mon fils dans un bureau ; vous me rendrez un grand service : il n’est bon à rien du tout. » Et ceci encore, dans le proverbe de Madame Sorbet, à qui on propose de jouer la comédie : « La comédie, je crois que nous la jouerions fort mal tous les deux ; nous avons trop de franchise, trop de naturel pour faire jamais de bons acteurs. » Marmontel, définissant un genre de finesse analogue à celui-ci, l’appelle une certaine obliquité dans l’expression qui donne à la pensée un air de fausseté au premier abord. […] La belle veuve, à le voir si tranquille en ce jour solennel, et si bien établi tout le soir dans le salon, en est piquée et presque irritée ; elle va jusqu’à se repentir, et elle ne sait pas dissimuler devant ses bonnes amies, qui ne demandent pas mieux que de surprendre sa faiblesse ; retirée chez elle, elle est près de se porter à quelque résolution extrême, et de vouloir continuer ses habitudes de veuve, lorsque pourtant, bien qu’un peu tard et fort tranquillement, M. de Gerfaut arrive. […] Je dis lecture, car je n’ose toutefois supposer que l’aimable troupe de société qui contribua si fort à mettre à la mode les proverbes de M.  […] Théodore Leclercq a très bien peint sa douce paresse et son humeur peu ambitieuse, qui laissait à son observation tout son jeu et toute sa lucidité : « Assez bon observateur, dit-il, positivement parce que je reste en dehors des prétentions actives, je regarde faire, et j’écris sans remonter plus haut que le ridicule, qui est mon domaine, laissant des plumes plus fortes que la mienne combattre ce qui est odieux. » Là où il est le plus charmant et le plus naturellement dans son domaine, c’est quand il peint les légers ridicules dont il ne s’irrite point, mais dont il sourit et dont il jouit, les ridicules des gens qu’on voit et qu’on aime à voir, avec qui l’on joue la comédie sans qu’ils se doutent qu’ils la jouent doublement eux-mêmes.

1499. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

Quand il part pour la guerre d’Amérique, il nous peint en traits fort gais les officiers généraux les uns après les autres : tout l’état-major y passe. […] Pauvre cour, qui s’amusait ou s’effrayait si fort d’une plume blanche, quand déjà toute la monarchie était sapée et que le respect des peuples se convertissait sourdement en haine et en mépris ! […] Il faut écouter à ce sujet Lauzun lui-même nous disant avec une splendide insolence : « J’avais alors des dettes considérables, et, quoi que l’on en ait dit, cela n’était pas fort extraordinaire. […] Il y a des traits fort spirituels ; il fait surtout plaisir à ceux qui ont connu, non Émilie, comme écrit Mme Necker, mais Amélie, et il fait mal quand on pense que cette excellente femme, recommandée à un Ange pour ses derniers moments, a été livrée au bourreau.

1500. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Mémoires du cardinal de Retz. (Collection Michaud et Poujoulat, édition Champollion.) 1837 » pp. 40-61

Retz appartient à cette grande et forte génération d’avant Louis XIV, dont étaient plus ou moins, à quelques années près, La Rochefoucauld, Molière, Pascal lui-même, génération que le régime de Richelieu avait trouvée trop jeune pour la réduire, qui se releva ou se leva le lendemain de la mort du ministre, et se signala dans la pensée et dans le langage (quand l’action lui fit défaut) par un jet libre et hardi, dont se déshabituèrent trop les hommes distingués sortis du long régime de Louis XIV. […] Et Retz, dans cette comparaison, a le désavantage d’avoir survécu, d’avoir assisté à l’entier avortement de ses espérances, de s’y être en partie démoralisé, rabaissé et dégradé, comme il peut arriver aux plus fortes natures à qui le but échappe. […] La domination de Richelieu avait été si forte et si absolue, la prostration qui en était résultée dans tout le corps politique avait été telle, qu’il n’avait pas fallu moins de quatre ou cinq ans pour que la réaction commençât à se faire sentir, pour que les organes publics qu’il avait opprimés reprissent leur ressort et cherchassent à se réparer ; et encore ils ne le firent, comme il arrive d’ordinaire, qu’à l’occasion de mesures toutes particulières qui les irritaient personnellement. […] Il faudrait tout citer, tout rappeler dans ses tableaux d’une touche à la fois si forte et si ravissante.

1501. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

Une autre ode de Le Brun à Buffon, fort belle, est celle où il l’exhorte à mépriser l’envie et à poursuivre sa carrière sans s’arrêter aux détracteurs. […] Mme Lebrun, qui attendait ce soir-là de fort jolies femmes, imagina de costumer tout son monde à l’antique pour faire une surprise à M. de Vaudreuil : « Mon atelier, dit-elle, plein de tout ce qui me servait à draper mes modèles, devait me fournir assez de vêtements, et le comte de Parois, qui logeait dans ma maison rue de Cléry, avait une superbe collection de vases étrusques. » Chaque jolie femme qui entrait était à l’instant même déshabillée, drapée, coiffée en Aspasie ou en Hélène. […] Le Brun, que l’on supposait un des auteurs du journal et qui y était fort loué en même temps que ses ennemis y étaient bafoués, écrivit pour démentir le bruit de sa collaboration ; mais il avait certainement part à cette feuille, qui contenait d’ailleurs des morceaux critiques distingués. […] Il avait de la galanterie plus que du sentiment, mais souvent une galanterie fort ingénieuse et délicate (lire de lui, au premier livre des Épigrammes, La Méprise, ou les Flambeaux changés).

1502. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — I. » pp. 1-22

Un de ses principes était : « Il vaut mieux mériter sans obtenir, qu’obtenir sans mériter ; et avec une volonté constante et forte, quand on mérite, on finit toujours par obtenir. » Le père de Marmont, bien qu’il donnât à son fils une éducation si fortemnt préparatoire pour la guerre, l’aurait voulu diriger cependant vers une autre carrière, et préférablement dans l’administration. […] Pendant l’armistice qui partage en deux cette campagne et dans les semaines qui précèdent la bataille de Leipzig, Marmont est continuellement rapproché de Napoléon, qui l’appelle, le consulte, admet la discussion sur les plans à suivre et passe outre, emporté par un mouvement plus fort d’impatience ardente et de passion : Son esprit supérieur lui a certainement alors montré les avantages d’un système de temporisation, mais un foyer intérieur le brûlait ; un instinct aveugle l’entraînait quelquefois contre l’évidence, parlait plus haut et commandait. […] En plus d’une occasion, notamment à Rosnay (le 2 février) il eut à décider l’affaire de sa personne et à se jeter au fort du péril, comme il avait fait dix-huit ans auparavant à Lodi : Il y a un grand charme, remarque-t-il à ce sujet, et une grande puissance à obtenir un succès personnel, à sentir au fond de la conscience que le poids de sa personne, et pour ainsi dire de son bras, a fait pencher la balance et procuré la victoire. […] Joignez-y sa tenue martiale et ce costume qui lui est particulier, le frac sans broderie, le chapeau à plumes blanches, un pantalon blanc toujours et de fortes bottes à l’écuyère.

1503. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

Nisard quelques-unes des pages les plus heureuses et les plus fortes que l’on ait écrites sur ce grand sujet. […] Boileau n’est pas, comme on l’a cru, un poëte de cour ou un poëte académique : c’est un poëte vrai, plus fort qu’élégant, plus mâle que délicat, c’est une raison vivante, un cœur sans molle tendresse, mais plein d’ardeur pour la vertu, c’est une âme d’honnête homme. C’est le vieux bourgeois de Paris, non le bourgeois badaud comme l’Étoile, notant jour par jour ce qui se passe dans la rue ; non le bourgeois railleur et frondeur comme Gui Patin, qui se dédommage dans les lettres familières du décorum des fonctions officielles ; non le bourgeois pédant et esprit fort comme Naudé, qui fait le politique parce qu’il a été le secrétaire d’un cardinal italien ; non le bourgeois naïf et licencieux, comme la Fontaine, qui flâne en rêvant ; — c’est le bourgeois parlementaire, né près du palais de justice, ayant jeté aux orties le froc de la basoche, mais ayant conservé le goût des mœurs solides et des sérieuses pensées, le bourgeois demi-janséniste, quoique dévoué au roi, aimant Paris, peu sensible à la campagne, détestant les mauvais poètes et les fausses élégances des ruelles et des salons, peu mondain, indifférent aux femmes, et par cela même un peu gauche, un peu lourd, mais franc du collier. […] La Fronde, bien entendu, est un événement perdu auquel on ne fait que de vagues et lointaines allusions : à plus forte raison a-t-on oublié le xvie  siècle.

1504. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre III : Concurrence vitale »

Il nous importe fort peu qu’une multitude de formes douteuses reçoivent les noms d’espèces, sous-espèces ou variétés, et quel rang, par exemple, les deux ou trois cents espèces douteuses de plantes anglaises doivent tenir, si l’existence de variétés bien tranchées est une fois admise. […] — Les causes qui mettent obstacle à la tendance naturelle des espèces à se multiplier sont fort obscures. […] Je n’en veux donner qu’un exemple, qui, bien que fort simple, m’a vivement intéressé. […] Mais s’il est aisé de donner ainsi en imagination à une forme quelconque certains avantages sur les autres, fort probablement dans la pratique réelle nous ne saurions en une seule occasion ni ce qu’il faudrait faire, ni comment y réussir.

1505. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

. ; mais la boutade la plus piquante, le coup de boutoir le mieux appliqué, ne valent pas la pleine main, douce et forte, d’une conviction réfléchie. […] Je rentrai dans le bercail de la foi et je reconnus volontiers la toute-puissance de l’Être suprême, qui règle seul les destinées du monde et à qui j’ai confié aussi l’administration de mes propres affaires, fort embrouillées alors que je les gérais moi-même. […] Quand le poète, le véritable poète est le fond d’un homme, et que cet homme est assez richement doué pour avoir une spécialité en dehors de sa poésie, il est plus fort — et on le comprend bien !  […] Dans l’article sur l’Histoire de la littérature allemande, par Menzel, qui finit par une si grande position faite à Goethe, et qui me plaît moins, de toute la différence qu’il y a pour moi entre Goethe et Cervantes, le critique, très jeune, du reste, quand il écrivit ce morceau, aie mérite de son article borné par son admiration exagérée de jeune homme pour Goethe, admiration qui s’amortit plus tard dans l’esprit devenu plus mâle de Henri Heine, lequel commença bien par toutes les idolâtries de son temps, mais fut plus fort qu’elles.

1506. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Aussi comme il rit, comme il rit, se comparant sans cesse aux chenilles humaines, lui si fort, si intelligent, lui pour qui une partie des lois conditionnelles de l’humanité, physiques et intellectuelles, n’existent plus ! […] Bien des spectacles qui excitent en nous le rire sont fort innocents, et non-seulement les amusements de l’enfance, mais encore bien des choses qui servent au divertissement des artistes, n’ont rien à démêler avec l’esprit de Satan. […] L’instrument funèbre était donc là dressé sur des planches françaises, fort étonnées de cette romantique nouveauté. […] Cela est visible, non-seulement dans certains animaux du comique desquels la gravité fait partie essentielle, comme les singes, et dans certaines caricatures sculpturales antiques dont j’ai déjà parlé, mais encore dans les monstruosités chinoises qui nous réjouissent si fort, et qui ont beaucoup moins d’intentions comiques qu’on le croit généralement.

1507. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

» Sortez de vous-même, contemplez la nature ; la même question retentit plus forte, et l’homme tressaille en entendant la voie de l’immensité. « Quand cet être si fort, si fier, si plein de lui-même, si exclusivement préoccupé de ses intérêts dans l’enceinte des cités et parmi la foule de ses semblables, se trouve par hasard jeté au milieu d’une immense nature, qu’il se trouve seul en face de ce ciel sans fin, en face de cet horizon qui s’étend au loin et au-delà duquel il y a d’autres horizons encore, au milieu de ces grandes productions de la nature qui l’écrasent, sinon par leur intelligence, du moins par leur masse ; lorsque, voyant à ses pieds, du haut d’une montagne et sous la lumière des astres, de petits villages se perdre dans de petites forêts, qui se perdent elles-mêmes dans l’étendue de la perspective, il songe que ces villages sont peuplés d’êtres infirmes comme lui, qu’il compare ces êtres et leurs misérables habitations avec la nature qui les environne, cette nature elle-même avec notre monde sur la surface duquel elle n’est qu’un point, et ce monde à son tour avec les mille autres mondes qui flottent dans les airs et auprès desquels il n’est rien : à la vue de ce spectacle, l’homme prend en pitié ses misérables passions toujours contrariées, ses misérables bonheurs qui aboutissent invariablement au dégoût. » Il se demande si la vie est bonne à quelque chose, et ce qu’il est venu faire dans le petit coin où il est perdu. […] Malebranche est allé plus loin ; il a prouvé, et fort rigoureusement, que Dieu n’a point en vue le bien des créatures, mais sa gloire, qu’il fait tout pour lui et rien pour elles, et qu’il ne serait pas Dieu, s’il était humain. […] Leurs amis considéraient avec curiosité l’opposition parfaite de leurs natures, et un soir, dans la petite maison, on s’amusa fort en écoutant Pope, cervelle bizarre, qui, par un jeu d’imagination, transformait M. 

1508. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

Elle avait sous les yeux, parmi les ouvrages qui se présentaient à son examen, des études de l’Antiquité, tentées avec ingénuité et avec franchise120 ; des drames où la passion romanesque traverse l’histoire et ne craint pas de se rencontrer en présence des plus grands noms121 ; des comédies surtout, où des scènes et des caractères fort gais ont charmé le public122, et où des figures aimables, entremêlées à d’autres qui ne sont que plaisantes, lui ont procuré et lui procurent chaque jour un divertissement plein de distinction et d’élégance123. […] Ainsi amenée par le résultat de son examen, et par les termes de l’arrêté où elle était circonscrite, à réunir des ouvrages fort différents et même disparates, la Commission a l’honneur, monsieur le ministre, de vous désigner l’auteur de la comédie Les Familles, et les auteurs du drame La Mendiante, comme dignes à quelque degré, et à des titres divers, de la prime proposée.

1509. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVI » pp. 100-108

Il eût été fort possible, par exemple, et l’on conçoit très-bien que Villemain, né en d’autres temps, et venu un peu plus tôt, n’eût jamais parlé, comme il l’a fait, de Shakspeare. […] — Il a été fort question de l’abbé de Genoude dans ces derniers temps.

1510. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « [Addenda] »

Les modernes sont moins indulgents, et l’on flétrit aujourd’hui d’un nom très peu littéraire ces frauduleux pastiches en matière historique, qui, une fois mis en circulation, et quand ils rencontrent leur homme, atteignent souvent à une valeur vénale fort élevée. […] J’emprunte ces paroles à un fort bon écrit de M. 

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