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1757. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Jasmin. (Troisième volume de ses Poésies.) (1851.) » pp. 309-329

C’est pour cette classe nombreuse de lecteurs que je voudrais aujourd’hui expliquer, avec plus d’ensemble que je ne l’ai pu faire autrefois, ce qu’est véritablement Jasmin, le célèbre poète d’Agen, le poète de ce temps-ci qui a le mieux tenu toutes ses promesses. Jasmin, né à Agen vers la fin du dernier siècle, est un homme qui doit avoir environ cinquante et un ans, mais plein de feu, de sève et de jeunesse ; à l’œil noir, aux cheveux qui, il y a peu de temps, l’étaient encore, au teint bruni, à la lèvre ardente, à la physionomie franche, ouverte, expressive. […] Écoutons sa charmante réponse et la leçon qui s’adresse à d’autres encore qu’au poète potier : Monsieur, Je n’ai reçu qu’avant-hier, veille de mon départ, votre cartel poétique : mais je dois vous dire que, l’eussé-je reçu en temps plus opportun, je n’aurais pu l’accepter. […] Durant quelque temps elle lutta encore et essaya de se maintenir à l’état littéraire ; mais, tout centre politique étant détruit dans le Midi, cette langue, la première née ou du moins la première formée des modernes, tomba décidément en déchéance et passa à l’état de patois. […] Dumon, qui reste un homme de tant d’esprit et de littérature : mais c’est s’honorer et bien prendre son temps que de lui dire devant tous aujourd’hui : Je vous suis autant que jamais reconnaissant.

1758. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

C’est assez de gloire, c’est trop de plaisirs ; il est temps de nous donner des vertus. […] Sous la Restauration, M. de Bonald ne fit qu’appliquer aux choses publiques, et aux discussions politiques dans lesquelles il fut mêlé, son invariable doctrine de tous les temps. […] Tel qu’il était, il mérita une double réputation durant tout ce temps des quinze années, la réputation d’oracle et d’homme de génie dans son parti, parmi le petit nombre des esprits opiniâtres et immuables, et même, jusqu’à un certain point, dans tous les rangs des royalistes intelligents : auprès des autres, des libéraux, il passait pour un gentillâtre spirituel, entêté, peut-être un peu cruel, et il jouissait de la plus magnifique impopularité. […] Votre secret sera dans le cœur d’un honnête homme, et il n’en sortira que lorsque le temps sera venu. […] Le déiste, pour lui, n’existe pas : « Un déiste, dit-il, est un homme qui, dans sa courte existence, n’a pas eu le temps de devenir athée. » — (Voir un morceau intitulé « De l’origine du langage », par M. 

1759. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Fiévée fut de tout temps l’homme qui se paya le moins des solennités de convention et des déclamations historiques. […] Forcé de sortir de Paris en Vendémiaire, il raconte très spirituellement sa fuite et les divers incidents du voyage, la patache de ce temps-là, la patache primitive en plein vent, et dans toute sa rusticité originelle : « J’en ai vu depuis, dit-il, mais corrompues par le luxe qui nous envahit ; elles sont couvertes. » Les dialogues qui égayent le chemin sont d’excellentes scènes de mœurs. […] Une grande dame, Mme de Senneterre, après avoir, dans le temps de son opulence, doté une jeune paysanne orpheline, et s’être hâtée de la marier à un homme du commun, pour empêcher son fils, qui en était amoureux, de l’épouser, est ruinée par la Révolution et réduite elle-même à servir. […] Il ne lui manqua rien de ce qui constituait alors un royaliste comme il faut, et il s’arrêta à temps pour pouvoir ensuite reparaître un constitutionnel libéral. […] Il passa à une coalition avec les libéraux, avec les Benjamin Constant, les Casimir Périer, et finalement nous l’avons vu collaborateur du journal Le Temps avec M. 

1760. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

Lancé à cet âge dans le tourbillon des événements publics, on ne peut lui demander compte que de la ligne générale qu’il suivit, et non des accidents particuliers ; il eut quelques écarts de plume ou de parole : et qui donc n’en eut point dans ces temps de convulsion universelle ? […] Michaud un proscrit, et le rendit pour un temps à la poésie, aux affections douces, au rêve. […] Ce qu’il ne disait pas et ce que peut-être il ne voyait pas assez, c’est que beaucoup de ces choses qu’il jugeait perdues n’étaient pas si éloignées de renaître dans le temps même où il les regrettait. […] Le journaliste du temps du Directoire avait gardé des guerres de plume de la Révolution et de sa persécution de Fructidor un certain goût pour la liberté de la presse ; il l’aimait comme un Vendéen qui aurait continué d’aimer la guerre des haies et des buissons. […] Faites-leur dire, pour leur bien, que les temps de La Quotidienne sont passés.

1761. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

C’était un cas de mort, en ce temps-là, que d’être le fils de Montesquieu ou de Buffon, et le plus sûr était de le faire oublier. […] Walckenaer, le grand investigateur biographe, eut le plaisir d’en faire part, dans le temps, au public lettré. […] Le goût de l’étude fut de tout temps sa grande passion. […] Un prince se console de la perte d’une place par la prise d’une autre : dans le temps que le Turc nous prenait Bagdad, n’enlevions-nous pas au Mogol la forteresse de Candahar ?  […] Vers le même temps, Montesquieu était bien mieux dans sa voie lorsqu’il faisait, à l’Académie de Bordeaux (novembre 1725), un petit discours à la louange de l’étude et des sciences.

1762. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — I. » pp. 91-108

Le jeune administrateur, comme on l’appelait encore, s’y montre avec tous ses avantages de physionomie, de regard, de représentation : il est peint assis, jusqu’à mi-jambe, en habit habillé, avec dentelles, coiffure du temps ; la main gauche est étendue sur une console d’où tombe en se déroulant une carte de la province : ses doigts distraits s’y posent et s’y déploient quelque peu complaisamment. […] On hésita quelque temps : les soupçons se portèrent, entre autres, sur Rulhière, sur l’abbé de Périgord (M. de Talleyrand) ; tout le monde sut bientôt que l’intendant du Hainaut était l’élégant coupable. […] Les révolutions sont des moyens périlleux de se régénérer et de se redonner des idées, de la vivacité, du nerf ; on perd souvent à ces tours de force et à ces convulsions bien autant qu’on y gagne, et ce n’est qu’après un long temps qu’on peut démêler avec quelque justesse les semences nouvelles qui ont réellement levé, et ce qui a pris racine avec vigueur au milieu des déchirements et des décombres. […] Mais le cercle soi-même élégant où il vit, et qui semblait tout l’univers du temps de Louis XVI, n’est plus qu’un très petit cercle aujourd’hui, eu égard à l’avènement de toutes les classes et au travail de chaque jour auquel presque tous sont assujettis. […] Il est le moraliste qui nous a le mieux décrit et présenté le Français de son temps, le Français déjà formé avant 89 et ne pouvant que souffrir et perdre après cette date, qui sépare deux régimes par un abîme.

1763. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — I. » pp. 180-197

Mais moralement il retrouve ses avantages ; il s’efforce à tout moment de rendre son commentaire utile en l’appliquant à notre temps, à nous-mêmes, aux vices de la société et à la maladie de nos cœurs : « Bossuet est surtout l’homme de l’âge où nous sommes », pense-t-il ; et il en donne les raisons, qui sont plutôt de sa part d’honorables désirs que des faits manifestes et concluants pour tous. Il serait facile ici de le mettre aux prises avec M. de Lamartine qui, tout en admirant Bossuet, est d’un avis contraire ; mais on me permettra plutôt de me détourner quelque temps des commentateurs et des peintres pour aller droit au maître. […] Depuis ce temps, quels discours pourraient vous dépeindre leur faim enragée, leur fureur et leur désespoir ? […] Il aime ces formes souveraines ; il étend la main sur les choses, et, durant le temps qu’il parle, il ne peut s’empêcher de faire l’office du Dieu son maître. […] Quand Bossuet, plus tard, dans son oraison funèbre du prince, parlera avec tant de répulsion des discordes civiles et « de ces choses dont il voudrait pouvoir se taire éternellement », il rendra un sentiment bien réel et vif qui lui avait arraché dans le temps même ce cri de douleur et d’alarme.

1764. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

Ramond y fit son apprentissage d’explorateur hardi et léger ; dans ses promenades et ses excursions d’alentour, il exhalait ses rêves de première jeunesse, revoyait en idée les vieux temps évanouis, les comtes et les prélats guerroyants, les beautés recluses et plaintives, et il repeuplait à son gré de scènes touchantes ou terribles les ruines gothiques, les torrents et les rochers. […] Charles Nodier, qui fut en son temps un des enthousiastes et des adeptes du genre, a cru pouvoir donner de d’Olban une nouvelle édition, chez Techener, en 1829. […] Il l’accompagnait, en le publiant, d’une lettre explicative qui peut faire juger des hardiesses et des espiègleries littéraires du temps : Je vous envoie, madame, disait Dorat, l’extrait (il aurait pu dire la presque totalité) de cette singulière brochure, que le hasard a fait tomber entre mes mains, et qui, malgré la confusion des idées, l’oubli de tous les principes et de toutes les règles du théâtre, m’a paru mériter votre attention. […] Il faudra plus de vingt ans encore pour que le Werther de la France, celui qui s’approprie si bien à elle par sa beauté mélancolique, sa sobriété, même en rêvant, et son noble éclair au front, pour que René en un mot puisse naître ; il faudra plus de temps encore pour que l’élégie vraiment moderne, inaugurée par Lamartine, puisse fleurir et se propager. […] On sent à cette vive peinture que Ramond, malgré sa précoce expérience, n’a pas épuisé encore cette puissance d’enthousiasme, cette ardeur de confiance et d’initiation qui peut entraîner même les plus éclairées des jeunes âmes : ici, il est presque fasciné par Lavater, il le sera tout à l’heure et pour quelque temps par un moins digne, par Cagliostro, un Lavater bien moins innocent.

1765. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Eugénie de Guérin, Reliquiae, publié par Jules Barbey d’Aurevilly et G.-S. Trébutien, Caen, imprimerie de Hardel, 1855, 1 vol. in-18, imprimé à petit nombre ; ne se vend pas. » pp. 331-247

Quelques années s’écoulèrent : Maurice, dit encore sa sœur, était enfant imaginatif et rêveur : il passait de longs temps à considérer l’horizon, à se tenir sous les arbres. […] On a des vers de lui adressés en ce temps à M.  […] » La femme, avec son sourire et son indulgence, revenait donc à temps pour adoucir ce que la noble vierge féodale paraît avoir de trop rigoureuse austérité. […] Cependant avec les mois et les années l’ombre s’étend ; il se fait une sorte de calme monastique autour d’elle et en elle, la paix et la monotonie du désert : Il fut un temps où je décrivais avec calme les moindres petites choses. […] « Rien que les larmes, disait-elle, font croire à l’immortalité. » — Et de ses lectures : « Ce n’est pas pour m’instruire, c’est pour m’élever que je lis. » Mlle de Guérin, dans sa piété de plus en plus épurée, caressait pourtant une idée encore terrestre, c’était de voir recueillis en un volume les productions, les essais trop épars de ce frère chéri et qui, tout à la poésie, n’avait pas eu le temps de songer à la gloire.

1766. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Pour écrire des lettres excellentes et durables en tant que pièces littéraires, je ne sais que deux manières et deux moyens : avoir un génie vif, éveillé, prompt, à bride abattue, et de tous les instants, comme Mme de Sévigné, comme Voltaire ; ou se donner du temps et prendre du soin, écrire à main reposée, comme Pline, Bussy, Rousseau, Paul-Louis Courier : — en deux mots, improviser ou composer. […] De bonne heure il déclare son goût pour la campagne, pour la résidence rurale et sa noble tranquillité ; il ne vient à Paris que pour affaires, à son corps défendant : il ne paraît en aucun temps avoir pris plaisir à se plonger dans le tourbillon. […] Lui qui rend si pleine justice à Voltaire, il reste fidèle à ses connaissances et à ses admirations du bon cru : le président de Brosses demeure pour lui jusqu’à la fin « le plus digne de ses amis comme le plus savant de nos littérateurs. » L’homme qui a le plus fait pour Buffon en ce temps-ci, en commentant ses idées, en rééditant ses œuvres et en conférant ses manuscrits, M.  […] Autant qu’il m’est permis d’avoir un avis en telle matière, je ne trouve pas que Buffon ait en rien manqué à la reconnaissance ni à l’hommage qu’il leur devait, et que, ce me semble, il leur a très équitablement payés en temps et lieu convenable : ce qui n’empêche pas qu’après coup il ne soit intéressant de se rendre mieux compte des services qu’il a dus à chacun d’eux. […] Vous savez qu’il doit remettre quinze cents francs dans ce même temps à feu votre femme.

1767. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

Je parlais il y a peu de temps et ici même de Joseph de Maistre, et j’en parlais d’après les jugements d’un esprit exact et rigoureux, d’un savant moderne, M.  […] L’absence même d’un secrétaire est chose heureuse ; il n’a ni le temps, ni l’idée de se corriger, de se modérer, et nous avons à tout coup le premier jet du volcan. […] Et voilà que quelque chose de ce qui s’est passé dans les temps antiques recommence sous nos yeux, au grand étonnement et au scandale de plusieurs. […] Il faut entendre de Maistre, témoin de cette scène qu’il raconte, et jouir de son étonnement. « Pendant ce temps, ajoute-t-il, Alexandre Ier proclame au milieu de la Germanie qu’il combat pour l’honneur et la liberté de l’homme. […] pourquoi ne pas s’emparer de ce qui se passe sous nos yeux, pour se rendre compte de la manière dont les choses ont dû se passer dans des temps hors de notre portée et qui nous fuient ?

1768. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les Saints Évangiles, traduction par Le Maistre de Saci. Paris, Imprimerie Impériale, 1862 »

Ce beau volume, chef-d’œuvre de typographie, qui s’offre à nous encadré, illustré d’ornements en tête et à la fin des chapitres, parsemé d’images sur bois figurant les Évangélistes ou les scènes des Évangiles, a cela de remarquable qu’il a été composé et imprimé en très peu de temps ; on avait dit qu’on n’irait pas à l’Exposition de Londres, que l’Imprimerie Impériale n’y serait pas représentée cette fois. […] On se mit donc à l’œuvre avec émulation et zèle ; l’honneur de l’Imprimerie Impériale était en jeu ; chacun le sentait ; chacun, dans cette sphère laborieuse où le ressort est intact comme dans une armée, fit son devoir à l’envi, depuis le chef des travaux typographiques jusqu’au dernier pressier, et l’on arriva à temps sans que l’œuvre produite accusât en rien la précipitation et sans qu’elle éveillât chez les connaisseurs en telle matière d’autre sentiment que celui d’une approbation sans réserve pour une exécution si parfaite. […] C’est une sorte de signalement qu’est censé envoyer au Sénat romain un Lentulus, gouverneur de la Judée, dans le temps où les prédications de Jésus commençaient à faire du bruit : « On voit à présent en Judée un homme d’une vertu singulière qu’on appelle Jésus-Christ. […] Remonter, comme quelques-uns l’ont voulu, pour les types et figures des personnages sacrés, aux peintres antérieurs à Raphaël, c’est à peine se rapprocher des temps évangéliques ; c’est retomber, moins par simplicité que par système, dans les tâtonnements, les roideurs et les gaucheries du pinceau. Quant à revenir aux Catacombes, ce serait prendre un grand parti et certainement se rapprocher de Jésus ; mais l’idée d’un tel art est encore à l’état archéologique, et l’Imprimerie Impériale, dont l’objet essentiel est la typographie, et pour qui l’ornementation n’est que l’accessoire, ne pouvait ni ne devait, quand elle en aurait eu le temps, hasarder une telle nouveauté.

1769. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

Les enfants reçoivent la vie goutte à goutte, ils ne lient point ensemble les trois temps de l’existence ; le désir unit bien pour eux le jour avec le lendemain, mais le présent n’est point dévoré par l’attente, chaque heure prend sa part de jouissance dans leur petite vie : chaque heure a un sort tout entier indépendamment de celle qui la précède ou de celle qui la suit, leur intérêt ne s’affaiblit point cependant par cette subdivision ; il renait à chaque instant, parce que la passion n’a point détruit tous les germes des pensées légères, toutes les nuances des sentiments passionnés, tout ce qui n’est pas elle enfin, et qu’elle anéantit. […] Si l’objet qui vous est cher vous est enlevé par la volonté de ceux dont elle dépend, vous pouvez ignorer à jamais ce que votre propre cœur aurait ressenti, si votre amour, en s’éteignant dans votre âme, vous eût fait éprouver ce qu’il y a de plus amer au monde, l’aridité de ses propres impressions ; il vous reste encore un souvenir sensible, seul bien des trois quarts de la vie ; je dirai plus, si c’est par des fautes réelles dont le regret occupe à jamais votre pensée, que vous croyez avoir manqué le but où tendait votre passion, votre vie est plus remplie, votre imagination a quelque chose où se prendre, et votre âme est moins flétrie que si, sans événements malheureux, sans obstacles insurmontables, sans démarches à se reprocher, la passion par cela seulement qu’elle est elle, eût, au bout d’un certain temps, décoloré la vie, après être retombée sur le cœur qui n’aurait pu la soutenir. […] J’ai essayé si ce qu’il y a de poignant dans la douleur personnelle, ne s’émoussait pas un peu, quand nous nous placions nous-mêmes comme une part du vaste tableau des destinées, où chaque homme est perdu dans son siècle, le siècle dans le temps, et le temps dans l’incompréhensible. […] Ces êtres seuls n’ont plus de droits à l’association mutuelle de misères et d’indulgence, qui, en se montrant sans pitié, ont effacé dans eux le sceau de la nature humaine : le remords d’avoir manqué à quelque principe de morale que ce soit, est l’ouvrage du raisonnement, ainsi que la morale elle-même ; mais le remords d’avoir bravé la pitié, doit poursuivre comme un sentiment personnel, comme un danger pour soi, comme une terreur dont on est l’objet ; on a une telle identité avec l’être qui souffre, que ceux qui parviennent à la détruire, acquièrent souvent une sorte de dureté pour eux-mêmes, qui sert encore, sous quelques rapports, à les priver de tout ce qu’ils pourraient attendre de la pitié des autres ; cependant, s’il en est temps encore, qu’ils sauvent un infortuné, qu’ils épargnent un ennemi vaincu, et, rentrés dans les liens de l’humanité, ils seront de nouveau sous sa sauvegarde. C’est dans la crise d’une révolution qu’on entend répéter sans cesse, que la pitié est un sentiment puérile, qui s’oppose à toute action nécessaire, à l’intérêt général, et qu’il faut la reléguer avec les affections efféminées, indignes des hommes d’état ou des chefs de parti ; c’est au contraire au milieu d’une révolution que la pitié, ce mouvement involontaire dans toute autre circonstance, devrait être une règle de conduite ; tous les liens qui retenaient sont déliés, l’intérêt de parti devient pour tous les hommes le but par excellence : ce but, étant censé renfermer et la véritable vertu et le seul bonheur général, prend momentanément la place de toute autre espèce de loi : hors dans un temps où la passion s’est mise dans le raisonnement, il n’y a qu’une sensation, c’est-à-dire, quelque chose qui est un peu de la nature de la passion même, qu’il soit possible de lui opposer avec succès ; lorsque la justice est reconnue, on peut se passer de pitié ; mais une révolution, quel que soit son but, suspend l’état social, et il faut remonter à la source de toutes les lois, dans un moment où ce qu’on appelle un pouvoir légal, est un nom qui n’a plus de sens.

1770. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Il serait temps, ce me semble, de renoncer à ces définitions restrictives et craintives, et d’en élargir l’esprit. […] Oui, il l’est aujourd’hui pour l’Angleterre et pour le monde ; mais, du temps de Pope, il ne l’était pas. […] Fontanes, en son temps, paraissait un classique pur à ses amis ; voyez quelle pâle couleur cela fait à vingt-cinq ans de distance. Combien de ces classiques précoces qui ne tiennent pas et qui ne le sont que pour un temps ! […] On n’a plus le temps d’essayer ni l’envie de sortir à la découverte.

1771. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

Elle n’a donc qu’un parti à prendre : dans les moments où il faut se décider absolument à choisir un drapeau, adopter celui qui lui paraît le plus ressembler au drapeau de la cause qu’elle croit juste ; puis, le reste du temps, revenir à elle-même, rentrer dans ses propres voies moins militaires et moins stratégiques, et suivre sur la lisière les sentiers où de tout temps ont aimé à se rencontrer la méditation, la fantaisie, l’étude ; en un mot, tantôt gracieuse ou tantôt sévère, quelqu’une des Muses. […] Ta Louise comme ta Denise est volage, et même un peu perfide, non parce qu’elle est du xviiie  siècle et qu’elle a vu dans le château de Fontenay je ne sais quel petit boudoir mystérieux, non parce qu’elle a lu dans je ne sais quelle bibliothèque défendue ; elle est volage, parce qu’elle l’est de nature, et que, de tout temps, elle l’eût été. […] Le xviiie  siècle tout entier n’est pas un seul et même tourbillon ; il faut y distinguer bien des temps et des moments, et, dans chaque moment, distinguer encore les classes différentes de la société. […] Les chapitres en sont divers, variés, bigarrés comme la vie littéraire de ce temps-ci. […] Il y a lieu de peindre, dans un temps, tout ce qui a vécu, brillé, fleuri à son heure ; ayez seulement la couleur du sujet et le rayon.

1772. (1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle

Et cette Poésie demeure, grande, nécessaire, digne à travers tous les temps de l’admiration profonde de tous, car ses poètes firent leur devoir : devoir le seul à des époques de sensation ; de foi et de non-savoir seuls — et ne disaient-ils dès lors en le vers seul logique et, lorsque sa loi sue permet de le délivrer de monotonie, seul magnifique, l’alexandrin. […] Ce fut le temps du vers parfait pour lui-même, sans suite d’idée, mais où par quelques très purs et subtils poètes passe de plus en plus en l’intellect l’immédiate sensation avant eux immédiatement écrite. […] Sully-Prudhomme, Mallarmé et Kahn, voilà donc ce que produit la conscience non déguisée que la Poésie, en d’autres temps logique telle qu’on la conçoit, ne peut plus être la même en les temps nouveaux peu à peu découverts : une pensée malgré tout religieuse, des principes à priori et rêveries paradoxales, erreurs pédantes de raisonnement et d’expérience scientifique. […]   Étant donné tel état de l’esprit à exprimer, il n’est donc pas seulement à s’occuper de la signification exacte des mots qui l’exprimeront, ce qui a été le seul souci de tout temps et usuel : mais ces mots seront choisis en tant que sonores, de manière que leur réunion voulue et calculée donne l’équivalent immatériel et mathématique de l’instrument de musique qu’un orchestrateur emploierait à cet instant, pour ce présent état d’esprit : et de même que pour rendre un état d’ingénuité et de simplesse, par exemple, il ne voudrait pas évidemment dès saxophones ou des trompettes, le poète instrumentiste pour ceci évitera les mots chargés d’O, d’A et d’U éclatants. […] Mais la vie intellectuelle, il me semble, s’activera demain, et les années plus vite se rempliront, et ce n’est pas en vain que mon rêve prend forme en la science… Et qu’importe : j’ai le temps, et mon temps viendra.

1773. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

Cousin aux personnages du même temps, peints par M.  […] Sainte-Beuve, dans une autre préface, se souvint qu’il avait écrit lui-même l’histoire de Port-Royal et de ses religieuses, et qu’en outre il avait fait le portrait de plusieurs grandes dames du temps. […] Le cardinal de Retz, dom Robert des Gabets, Roberval, M. de La Clausure, l’abbé Gautier, tous les personnages d’une académie cartésienne, une foule de pièces de Leibnitz, Malebranche et Descartes, des lettres de Spinoza, quantité de morceaux sur Mme de Longueville, Mme de Sablé, Pascal, sa famille : il a fourni des mémoires et des documents sur tous les personnages illustres de ce temps. […] Si le lecteur daigne regarder autour de lui, il verra cent exemples de ces vocations contrariées par les circonstances, de ces esprits prématurés ou tardifs, de ces hommes de talent qui eussent été des hommes de génie s’ils étaient venus à temps. La Nature nous jette au hasard dans le temps et dans l’espace ; et pour un qui se développe, il y en a mille qui avortent, ou qui restent à demi formés.

1774. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXII. »

La filiation de cette poésie jusqu’à nos temps les plus modernes, la tradition tour à tour naïve ou raffinée qu’ont exploitée dans l’Europe du Nord tant de talents célèbres, les nouvelles créations ou du moins les nouvelles théories sorties de cette libre étude, ont trouvé d’habiles interprètes et d’habiles critiques. […] Dans les temps agités qui suivirent le règne glorieux d’Élisabeth, dans ces jours de sombre enthousiasme et d’énergie guerrière, entre le fanatisme de la religion et celui de l’honneur, l’imagination savante n’avait, en étudiant Pindare, réussi qu’à le parodier gravement et à gâter son audace par de froides affectations. […] Un autre temps et un autre génie devaient donner à l’Angleterre l’idée, ou du moins la forme artificielle, mais vivante encore, de l’enthousiasme lyrique. […] Il ne fut qu’un contemplateur studieux ; il n’entretint jamais le beau monde de ses pensées ou de ses passions intimes, dans un temps où le génie faisait volontiers de ses petits secrets personnels des événements publics. […] Si un sérieux jugement peut se fonder sur les échantillons trop peu nombreux que nous a laissés le ravage du temps, Pindare, pour la grandeur des images et la majesté, est surpassé par M. 

1775. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. Louis de Viel-Castel » pp. 355-368

On dirait que les uns veulent s’excuser de l’avoir perdue par la direction qu’ils lui ont imprimée dans les derniers temps de son existence, et les autres de lui avoir fait une guerre acharnée et mortelle, qui ne peut trouver sa justification que dans l’impossibilité avérée de la redresser et de la mener à bien. […] Je ne prétends pas ici traiter la question dans son étendue, ni même l’effleurer, n’étant pas de ceux qui se plaisent à soulever de telles discussions rétrospectives, et je n’ai pas oublié d’ailleurs qu’à défaut d’un gouvernement alors selon nos vœux, il y a eu pour les esprits des saisons bien brillantes : mais ce qu’il faut bien dire quand on vient de parcourir le tableau fidèle de cette première Restauration, c’est que je ne crois pas qu’il se puisse accumuler en moins de temps plus de fautes, de maladresses, d’inexpériences, d’offenses choquantes à la raison, à l’instinct, aux intérêts d’un pays, ni qu’on puisse mieux réussir (quand on y aurait visé) à établir dans les esprits, au point de départ, la prévention de l’incorrigibilité finale des légitimités caduques et déchues, de leur incompatibilité radicale avec les modernes éléments de la société, et de leur impuissance, une fois déracinées, à se réimplanter et à renaître. […] Ce que l’historien dit là des premiers jours de la lieutenance générale du comte d’Artois en 1814, il pourra le redire, avec de bien légères variantes, des derniers temps de son règne en 1829 : tant ce que j’appelle le principe d’incorrigibilité, du premier au dernier jour, et sauf de bien courtes trêves, a persisté et prévalu ! […] L’abbé de Montesquiou le dit un jour très vivement au roi, à propos de M. de Blacas : « Votre Majesté ne doit pas oublier que, si les Français ont passé à leurs souverains toutes leurs maîtresses, ils n’ont jamais pu supporter un favori. » La politique de Louis XVIII, à son meilleur temps, fut viciée au cœur par le favoritisme. […] Et l’on daignait de plus vous amnistier, et reconnaître que vous en étiez venus avec le temps au même point que les émigrés, bien que par le chemin le plus long, tandis que ceux-ci avaient suivi la ligne droite.

1776. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — II » pp. 161-173

Nous ne nous attacherons pas à suivre Joubert dans les diverses actions qui marquent les temps glorieux de cette multiple campagne. […] Mandé la veille de la bataille de Castiglione, il arrive à temps pour y prendre sa bonne part : J’arrivai à l’heure indiquée (le 4 août à six heures du soir) : Voilà Joubert, dit un des aides de camp du général en chef, c’est un bon augure pour la journée de demain. — « Il faut encore que tu donnes un coup de collier, me dit Bonaparte, et nous nous reposerons ensuite. » Je l’ai vivement donné ce coup de collier… On sourit involontairement : on songe à cette longue série de coups de collier, depuis Montenotte, depuis Castiglione jusqu’à Moscou, jusqu’à Montmirail. […] On est au cœur de l’hiver ; l’opération peut rencontrer des difficultés très grandes, et Joubert n’est pas homme à se les dissimuler : elles sont présentées avec des alternatives de crainte, même d’accablement, puis tout à coup des reprises d’ardeur et d’espérance, dans des lettres charmantes et naïves (sauf quelques lauriers qu’il craint de voir changer en cyprès ; c’était le style du temps). […] Il faudrait dans une réimpression, si elle se fait, en rapprocher les lettres que Napoléon écrivait à Joubert dans le même temps, pour le guider, pour le rassurer. […] Pendant ce temps, il faut être juste, on faisait des caricatures et des chansons sur Joubert dans son pays natal.

1777. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

Le sujet de cette confession est celui-ci : Un jeune homme qui a dix-neuf ans au commencement du récit et vingt et un ans à la fin, Octave, né vers 1810, de cette génération venue trop tard pour l’Empire, trop tard (malgré sa précocité) pour la Restauration, et qui achève, en ce moment, son apprentissage dans le conflit de toutes les idées et sur les débris de toutes les croyances, Octave est amoureux ; il l’est avec naïveté, confiance, adoration, et, jusque-là, il ressemble aux amoureux de tous les temps ; mais au plus beau de son rêve, un soir à souper, étant en face de sa maîtresse, sa fourchette tombe par hasard, il se baisse pour la ramasser, et voit… quoi ? […] L’exemple d’Octave me semble donc un cas particulier qui ne fait pas loi, et ce qu’il a de plus général dans la dernière partie ne se rattache pas à ce qu’Octave a été libertin, mais à ce qu’il est homme, impatient, excessif, se lassant vite, triste et ennuyé dans le plaisir, habile à exprimer l’amertume du sein des délices : or, cela était vrai du temps de Lucrèce, du temps d’Hippocrate77, comme du temps d’Adolphe et du nôtre. […] La Confession montre qu’il aurait l’haleine ; mais il ne s’y est pas assez donné le temps de la confection.

1778. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

Les points de vue et les perspectives qu’on a sur elle n’ont cessé de varier aussi et de se diversifier selon les degrés successifs que cette étude a parcourus, et selon les points du temps où le spectateur s’est trouvé placé : chaque siècle depuis le xvie a eu de ce côté son belvéder différent. […] Ils commentaient Corneille, ils analysaient Racine ; mais, dès qu’il s’agissait des Anciens, le temps manquait évidemment ; on courait, on tranchait d’un mot. […] Ce désaccord, qui tenait à la rapidité des temps et à l’empressement honorable des premières générations, a graduellement cessé ; depuis une douzaine d’années surtout, l’Université ne se lasse pas de former dans ses écoles, d’exercer dans ses concours, une jeune et forte milice qui soutiendrait le choc dans les luttes philologiques contre nos rivaux d’outre-Rhin, et qui n’a pas à rougir non plus devant les souvenirs domestiques, devant les traditions exhumées de la vieille Université d’avant Rollin. […] On a beaucoup parlé d’art dans ces derniers temps, et il faut convenir, en effet, que jamais peut-être l’art n’a été mieux compris, mieux étudié dans ses variétés brillantes, dans ses branches parallèles et ses transformations successives à travers l’histoire ; et pourtant l’époque elle-même, malgré l’éclat de ses débuts, ne paraît pas destinée à prendre rang dans ces grands moments et siècles, comme on les appelle, qui comptent entre tous, qu’on vénère de loin, et qui se résument d’un nom. […] Personne n’est plus là pour arrêter à temps et redresser.

1779. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Il y a dans Shakespeare des beautés du premier genre, et de tous les pays comme de tous les temps, des défauts qui appartiennent à son siècle, et des singularités tellement populaires parmi les Anglais, qu’elles ont encore le plus grand succès sur leur théâtre. […] Cette répugnance orgueilleuse pour l’enthousiasme de l’obéissance, qui a été de tout temps le caractère des Anglais, a dû inspirer à leur poète national l’idée d’obtenir l’attendrissement plutôt par la pitié que par l’admiration. […] Les mœurs d’Angleterre, par rapport à l’existence des femmes, n’étaient point encore formées du temps de Shakespeare ; les troubles politiques avaient empêché toutes les habitudes sociales. […] Les irrégularités de temps et de lieux y sont beaucoup plus remarquables. […] Shakespeare se ressent aussi de l’ignorance où l’on était de son temps sur les principes de la littérature.

1780. (1858) Cours familier de littérature. V « Préambule de l’année 1858. À mes lecteurs » pp. 5-29

Est-ce que ce Cours familier de Littérature, ouvrage essentiellement neutre et étranger aux querelles du temps, ne laisse pas scrupuleusement en dehors toutes ces questions inviolables de conscience et toutes ces questions irritantes de partis qui ne sont propres qu’à distraire, hors de propos, la jeunesse de l’étude des belles œuvres de l’esprit humain ? […] IV Cependant, qu’ils me permettent une seule observation sur la différence des temps et des procédés entre la Némésis et leur diatribe. […] … Te souviens-tu du temps où tes Guêpes caustiques, Abeilles bien plutôt des collines attiques, De l’Hymète embaumé venaient chaque saison Pétrir d’un suc d’esprit le miel de la raison ? […] C’était aussi le temps où ces jouets de l’âme, Tes romans, s’effeuillaient sur des genoux de femme, Et laissaient à leurs sens, ivres du titre seul, L’indélébile odeur de la fleur du Tilleul ! […] Pour bêcher plus à l’aise, Il fait bien moins de vent au pied de la falaise ; Heureux qui du gros temps, où sombra son bateau, A sauvé comme toi sa bêche et son râteau !

1781. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leconte de Lisle, Charles-Marie (1818-1894) »

Leconte de Lisle, qui n’est encore apprécié que de quelques-uns, a un caractère des plus prononcés et des plus dignes entre les poètes de ce temps. […] Il se fait dans les Érinyes une effroyable consommation de chiens, de serpents, de porcs, de taureaux, de tigres : c’est une étable et une ménagerie… [Le Temps (13 janvier 1873).] […] Sa tête a un aspect guerrier et dominateur, et tant par la ferme ampleur que par le développement des joues, indique les appétits d’un conducteur d’hommes qui se nourrit de science et de pensées, comme il eût mangé sa part des bœufs entiers au temps d’Achille, et qui, s’il n’est qu’un buveur dans la réalité matérielle, peut vider d’un trait le grand verre, pareil à la coupe d’Hercule, dans lequel […] Ce poète impersonnel, qui s’est appliqué avec un héroïque entêtement à rester absent de son œuvre, comme Dieu de la création, qui n’a jamais soufflé mot de lui-même et de ce qui l’entoure, qui a voulu taire son âme et qui, cachant son propre secret, rêva d’exprimer celui du monde, qui a fait parler les dieux, les vierges et les héros de tous les âges et de tous les temps, en s’efforçant de les maintenir dans leur passé profond, qui montre tour à tour, joyeux et fier de l’étrangeté de leur forme et de leur âme, Bhagavat, Cunacepa, Hy-pathie, Niobé, Tiphaine et Komor, Naboth, Quai’n, Néféroura, le barde de Temrah, Angantyr, Hialmar, Sigurd, Gudrune, Velléda, Nurmahal, Djihan-Ara, dom Guy, Mouça-el-Kébyr, Kenwarc’h, Mohâmed-ben-Amar-al-Mançour, l’abbé Hieronymus, la Xiraéna, les pirates malais et le condor des Cordillères, et le jaguar des pampas, et le colibri des collines, et les chiens du Cap, et les requins de l’Atlantique, ce poète, finalement, ne peint que lui, ne montre que sa propre pensée, et, seul présent dans son œuvre, ne révèle sous toutes ces formes qu’une chose : l’âme de Leconte de Lisle. […] Certes, le poète n’échappait point à la loi commune, et chacune de ces œuvres qu’il avait libérées du temps par sa volonté créatrice fut, à sa manière, une œuvre de circonstance, enfantée dans la douleur.

1782. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre II » pp. 12-29

Le salon ou cabinet, devenu si fameux par la réunion des hommes célèbres et des femmes illustres du temps, était au rez-de-chaussée. […] C’est un des griefs du temps présent contre la marquise de Rambouillet d’avoir été appelée Arthenice. […] Cependant, toutes les femmes célèbres du même temps étaient connues et célébrées sous un nom particulier. Et ce temps n’est pas le seul où les poètes aient donné un nom poétique aux femmes qu’ils ont chantées ; depuis Horace jusqu’à nos jours, cet usage a été pratiqué. […] XXXI, p. 259 que Ravaillac avait été vu, peu de temps avant l’assassinat, à Bruxelles ; circonstance qui ne se trouve dans aucun livre français.

1783. (1901) La poésie et l’empirisme (L’Ermitage) pp. 245-260

Il n’en acceptera point d’autre que celui-ci : s’employer à son œuvre ainsi que le moindre artisan, — pour en doter un jour sa patrie, son temps et les hommes. […] Mais le temps vient où vieillit le poète ; il a perdu la fraîcheur d’âme indispensable au créateur. […] Entre lui et tel artiste enfermé des années dans un labeur très lent, il n’y eut guère plus qu’une différence de temps. […] Les jeunes combattants ne pouvaient se tromper sur la valeur des forces ennemies… Car il est temps de rendre à la poussée lyrique dont la clameur emplit ces quinze ou vingt dernières années, son sens réel et sa juste physionomie. […] Il apparaît dès aujourd’hui le vrai classique, et dont le temps ne fait que commencer encore. » J’ai nommé Gustave Flaubert.

1784. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre dixième. »

Iris je vous louerais, il n’est que trop aisé : Madame de la Sablière était en effet une des femmes les plus aimables de son temps, très-instruite, et ayant plusieurs genres d’esprit. […] Toute action qui forme le nœud ou l’intérêt d’un Apologue, est supposée se passer dans les temps fabuleux, au temps (comme dit le peuple) où les bêtes parlaient. […] Ce trait ne pèche point contre la règle que nous venons d’établir, parce que le temps où Ulysse vivait est supposé compris dans l’époque que nous avons indiquée ; d’ailleurs, ce rapprochement des voyages d’Ulysse avec celui de la tortue est si plaisant, que le lecteur s’y rendrait bien moins difficile. […] Il vit avec le temps Qu’il y gagnait beaucoup….

1785. (1860) Ceci n’est pas un livre « Décentralisation et décentralisateurs » pp. 77-106

il est temps que ça finisse ! […] « Il est temps que ça finisse !  […] Il serait temps d’aviser. » On se met en marche, les gardes lâchent les chiens… Bianchon demandait une inspiration au Seigneur… Tout à coup, une idée providentielle traverse son front, et je le vois introduire sournoisement — avant de charger son fusil — un grain de plomb dans la cheminée. […] Il fut un temps où la France aussi était féodale, et tout entière — esprit de localité. […] Les Quatre se frotteront les mains, jusqu’à ce que trois se disent qu’il est temps de dévorer le quatrième : car les loups se mangent entre eux, quoi qu’en dise la sagesse des nations.

1786. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VIII. M. de Chalambert. Histoire de la Ligue sous le règne de Henri III et de Henri IV, ou Quinze ans de l’histoire de France » pp. 195-211

Et ce n’est ni d’Aubigné, ni Matthieu, ni aucun des écrivains, qu’on ne lit plus, du temps agité et terrible où la Ligue luttait contre une royauté hérétique, qui pouvait fausser pendant longtemps le sens de l’histoire. […] Avec un poème qui singe l’histoire, et un poème, c’est comme des chansons : Cela vaut mieux qu’un livre, et court tout l’univers, Voltaire, qui n’était ni protestant, ni royaliste, ni convaincu de rien ; Voltaire, une vraie âme de son temps, une âme de la Régence ! […] Charmant et détestable sorcier, espèce de Circé à sa façon qui changeait les hommes en bêtes, pour peu qu’ils missent le bout des lèvres dans la coupe de ses écrits, Voltaire, sur cette question de la Ligue comme sur tant d’autres questions d’histoire, a perverti le sens public pour un temps qu’on peut prévoir, mais qu’il est impossible de mesurer. […] Son Histoire de la Ligue, vraie d’aperçu, mais faible d’aperçus, n’a point les qualités perçantes auxquelles est tenu, dans notre temps, tout livre d’histoire qui doit s’élever au-dessus des routines, porter la lumière en arrière et en avant des faits qu’il raconte, et avertir le législateur. […] car si vous mettiez saint Louis dans le temps de Henri IV, il serait parmi les ligueurs !

1787. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Gaston Boissier » pp. 33-50

Avant d’être païennes, elles sont ce que la philosophie de leur temps les a faites. […] Il a été, je crois, quelque temps, le suppléant de Philarète Chasles. […] À qui persuadera-t-on qu’il n’est que la conséquence naturelle de la logique invincible des choses, et que la planche une fois unie et huilée par le temps, le progrès et les philosophies, le paganisme y ait moelleusement glissé jusqu’où le Christianisme l’attendait, et dans lequel il est, ma foi ! […] — enveloppée long temps et développée lentement dans ce livre de La Religion romaine, rallongée d’une autre religion romaine, sorties l’une de l’autre. […] C’étaient les abbés Poulie d’un temps qui n’avait pas encore d’abbés.

1788. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Goethe »

Peu de temps après, ils se marièrent. […] Or, tout le monde n’a pas les vices du cardinal de Retz à dix-huit ans… Lorsqu’on se renferme dans les données d’une passion qui ne pouvait pas aliéner un cerveau de la force de celui de Goethe au point de le lui faire brûler d’un coup de pistolet, y a-t-il donc réellement, dans son action honorable et prudente, de quoi changer subitement en posthume héros de moralité sensible un homme dont le cœur même fut littéraire, et auquel, cet amour passé qui dura le temps d’une bluette, la plus incroyable prospérité vint donner bientôt toute la dureté d’un caillou ?… En effet, telle est, dépouillée de tout artifice et de toute mise en scène romanesque, l’histoire constatée par la publication du petit-fils de Kestner ; tel est le lieu commun de cœur qui est devenu Werther, ce soi-disant chef-d’œuvre auquel la Mode a mis un jour l’estampille de la Gloire, que le Temps saura bien effacer. […] Seulement, nous disons qu’entre la peine du cœur et l’œuvre de l’esprit il y a d’ordinaire, pour les âmes véritablement passionnées, le travail du temps, l’apaisement nerveux, le calme revenu dans l’intelligence, tandis que pour Goethe, cette grande victime, comme l’appelle un de ses éloquents admirateurs, M.  […] Mais c’est ici que je me sens un peu embarrassé, je l’avoue… Goethe, cet homme dont on a fait le plus grand poète et le plus grand inventeur de notre temps, ne m’a jamais, à moi, paru si grand que cela, et j’ai dit ailleurs24 la mesure exacte dans laquelle je reconnais son génie et admets sa sincérité… Or, c’est au milieu de ce travail que le livre de Paul de Saint-Victor m’est tombé sur la tête comme une tuile.

1789. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Monselet »

Et les plus grands inventeurs eux-mêmes qui aient vécu dans les temps modernes, c’est-à-dire à l’époque de la Critique par excellence : Goethe, Walter Scott, Chateaubriand, Balzac, n’ont pas dédaigné d’être des critiques ; et ils savaient qu’ils doublaient leur gloire en l’étant au même degré qu’ils avaient été des inventeurs ! […] Pierre de Saint-Louis, de la province de Provence (1668), j’en ai rencontré de magnifiques, et que les plus grands poètes de ce temps de langue mûrie auraient été fiers designer : Phares des tours du ciel, lampes inextinguibles, Qui rendent, sans rien voir, toutes choses visibles ! […] Louvet n’a jamais rien observé que ce qui fait baisser les yeux à un honnête homme, et le nom qu’il mérite ne peut s’écrire en littérature, tandis que Monselet, qui a sans doute pour Louvet l’indulgence d’un biographe de Rétif de la Bretonne, ne manque point d’observation réfléchie, et « la bonne humeur » dont il nous parle aussi dans sa préface et dont nous aurions souhaité qu’il eût voilé quelques éclats, est de cette bonne humeur à la façon des satiriques, qui ont une manière de rire à eux, comme rirent, de leur temps, Johnstone et Le Sage… Monselet s’est calomnié gratuitement en se comparant au plat et indécent auteur de Faublas. […] Comme Le Sage, comme Johnstone, ses devanciers et ses maîtres, il a toujours un de ses yeux embusqué sur les vices et les ridicules de son temps, et voilà surtout ce qui nous intéresse en lui ; car nous ne tenons pas infiniment à cette manière de battre et de couper le jeu de cartes du roman que le xviiie  siècle croyait ingénieuse et que ses plus grands esprits — comme Swift, par exemple, — ne dédaignèrent pas. […] Il pensait, ce grand homme ignoré, que le nombre des âmes créées était fixe, et que les divers personnages qui se succèdent dans ce carnaval de Venise du genre humain et de l’histoire étaient toujours remplis par les mêmes acteurs, lesquels, leur rôlet fini, allaient changer de costume dans la loge de leurs tombes, et en ressortaient, avec d’autres oripeaux et d’autres masques, pour recommencer sur nouveaux frais leur éternel personnage, avec ses modifications variées de temps et de lieu.

1790. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Le Comte de Gobineau »

Il y a quelque temps, le roi Amédée abdiqua en Espagne et filait avec sa jeune femme au bras. […] On en peut, à la rigueur, faire façon, et en pendant quelques-uns d’entre eux de temps à autre, le reste se peut employer, sinon dans les voies honnêtes, du moins dans les voies utiles. […] Jamais la misanthropie d’Alceste, qui n’est après tout qu’une boutade de salon laquelle n’a jamais crevé le plafond, jamais celle de La Rochefoucauld, qui n’est que de l’égoïsme aux caillots biliaires dans le ventre, ni celle de La Bruyère qui n’est qu’un chagrin d’homme vieilli, faisant payer au monde le regret caché de n’être plus jeune, ni celle de Rousseau qui n’est que la révolte d’un laquais contre sa livrée, ni celle plus cruelle de Chamfort qui hachait, avec les couteaux à dessert des soupers qu’il faisait chez les grands seigneurs de son temps, la gorge d’une société assez bête pour la lui tendre, comme il se la hacha à lui-même avec son rasoir pour s’éviter l’échafaud, ni enfin aucune des misanthropies célèbres qui ont laissé leur empreinte sur notre littérature et l’ont marquée ou du sillon brûlant de la colère ou du sillon froid du mépris, n’ont l’étoffe, l’étendue, le complet, et, qu’on me permette ce mot ! […] Par ce temps d’inepte philanthropie, c’est le misanthrope de la Philanthropie se détachant, pour le juger, de l’insolent tout le monde, et les gens d’esprit qu’il venge des sots par sa misanthropie — des sots, ces affreux étouffoirs par le nombre ! […] Les diplomates, ces hommes de l’action, n’ont guères le temps, je crois, de s’asseoir dans leur rêve et de le réaliser comme les artistes qui ne bougent pas du fond du leur.

1791. (1895) Impressions de théâtre. Huitième série

Celle de Cinna, au financier Montauron, le Turcaret du temps, fut fâcheusement célèbre. […] Tel, de notre temps, le naturalisme succéda au lyrisme romantique. […] J’avais, il y a déjà sept ou huit ans, (comme le temps passe !) […] Il était temps ; car, vraiment, nous avions notre ration d’horrible. […] Sujet d’aujourd’hui, et de tous les temps.

1792. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — V » pp. 123-131

Villars en a consigné le récit dans son journal, et comme cette version est la plus circonstanciée et la plus exacte qu’on ait de l’aventure, je la mets ici, d’autant plus que je ne vois pas qu’aucun biographe soit allé la chercher dans Villars : Dans le même temps (avril 1726), Voltaire fut mis à la Bastille, séjour qui ne lui était pas inconnu. C’était un jeune homme qui, dès l’âge de dix-huit ans, se trouva le plus grand poète de son temps, distingué par son poème de Henri IV, qu’il avait composé dans ses premiers voyages à la Bastille, et par plusieurs pièces de théâtre fort applaudies. […] Le prêtre qui l’exhortait au moment de la mort lui disait que Dieu, en lui laissant le temps de se reconnaître, lui faisait plus de grâce qu’au maréchal de Berwick, qui venait d’être emporté devant Philipsbourg d’un coup de canon. « Il a été tué ! J’avais toujours bien dit, s’écria Villars mourant, que cet homme-là était plus heureux que moi. » — Berwick étant mort seulement le 12, et si loin de là, Villars a eu tout juste le temps d’apprendre la nouvelle et de dire ce mot.

1793. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — I » pp. 143-149

Je laisse parler Duclos, le meilleur témoin de ce temps ; La Motte, dit-il, Saurin, Maupertuis, étaient les plus distingués de chez Gradot. Boindin, l’abbé Terrasson, Fréret et quelques artistes s’étaient adonnés au café Procope, et s’y rendaient assidûment, indépendamment de ceux qui y venaient de temps en temps, tels que Piron, l’abbé Desfontaines, Lesage et autres. […] L’abbé Prévost y insiste et le discute, au sujet même de l’abbé de Pons : Je ne sais, dit-il22, par quel préjugé on s’est persuadé depuis quelque temps que les cafés sont une mauvaise école pour l’esprit et pour le goût.

1794. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — I »

Il y a dans Werther un passage qui m’a toujours frappé par son admirable justesse : Werther compare l’homme de génie qui passe au milieu de son siècle, à un fleuve abondant, rapide, aux crues inégales, aux ondes parfois débordées ; sur chaque rive se trouvent d’honnêtes propriétaires, gens de prudence et de bon sens, qui, soigneux de leurs jardins potagers ou de leurs plates-bandes de tulipes, craignent toujours que le fleuve ne déborde au temps des grandes eaux et ne détruise leur petit bien-être ; ils s’entendent donc pour lui pratiquer des saignées à droite et à gauche, pour lui creuser des fossés, des rigoles ; et les plus habiles profitent même de ces eaux détournées pour arroser leur héritage, et s’en font des viviers et des étangs à leur fantaisie. […] C’est un plaisir singulier de l’entendre librement discourir sur tout ce qu’il voit et ce qu’il sent, avec abandon, naïveté, complaisance, et quelquefois, s’il en a le temps, et si le caprice lui vient, avec art et curiosité. La vie, le sentiment de la réalité, y respirent ; de frais paysages, l’intelligence poétique symbolique de la nature, une conversation animée et sur tous les tons, l’existence sociale du xviiie  siècle dans toute sa délicatesse et sa liberté, des figures déjà connues et d’autres qui le sont du moment qu’il les peint, d’Holbach et le père Hoop, Grimm et Leroy, Galiani le cynique ; puis ces femmes qui entendent le mot pour rire et qui toutefois savent aimer plus et mieux qu’on ne prétend ; la tendre et voluptueuse madame d’Épinay, la poitrine à demi nue, des boucles éparses sur la gorge et sur ses épaules, les autres retenues avec un cordon bleu qui lui serre le front, la bouche entr’ouverte aux paroles de Grimm, et les yeux chargés de langueurs ; madame d’Houdetot, si charmante après boire, et qui s’enivrait si spirituellement à table avec le vin blanc que buvait son voisin ; madame d’Aine, gaie, grasse et rieuse, toujours aux prises avec le père Hoop, et madame d’Holbach, si fine et si belle, au teint vermeil, coiffée en cheveux, avec une espèce d’habit de marmotte, d’un taffetas rouge couvert partout d’une gaze à travers la blancheur de laquelle on voyait percer çà et là la couleur de rose ; et au milieu de tout ce monde une causerie si mélangée, parfois frivole, souvent souillée d’agréables ordures, et tout d’un coup redevenant si sublime ; des entretiens d’art, de poésie, de philosophie et d’amour ; la grandeur et la vanité de la gloire, le cœur humain et ses abîmes, les nations diverses et leurs mœurs, la nature et ce que peut être Dieu, l’espace et le temps, la mort et la vie ; puis, plus au fond encore et plus avant dans l’âme de notre philosophe, l’amitié de Grimm et l’amour de Sophie ; cet amour chez Diderot, aussi vrai, aussi pur, aussi idéal par moments que l’amour dans le sens éthéré de Dante, de Pétrarque ou de notre Lamartine ; cet amour dominant et effaçant tout le reste, se complaisant en lui-même et en ses fraîches images ; laissant là plus d’une fois la philosophie, les salons et tous ces raffinements de la pensée et du bien-être, pour des souvenirs bourgeois de la maison paternelle, de la famille, du coin du feu de province ou du toit champêtre d’un bon curé, à peu près comme fera plus tard Werther amoureux de Charlotte : voilà, et avec mille autres accidents encore, ce qu’on rencontre à chaque ligne dans ces lettres délicieuses, véritable trésor retrouvé ; voilà ce qui émeut, pénètre et attendrit ; ce qui nous initie à l’intérieur le plus secret de Diderot, et nous le fait comprendre, aimer, à la façon qu’il aurait voulu, comme s’il était vivant, comme si nous l’avions pratiqué. […] Il avait passé tout ce temps à jouir d’une petite retraite qu’il s’est faite dans la forêt.

1795. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre II. Utilité de l’ordre. — Rapport de l’ordre et de l’originalité »

On refuse souvent de se livrer à ce travail, parce qu’on croit gagner du temps et avoir plus tôt fait. Il est très vrai qu’il y a des esprits d’une malheureuse fécondité, qui savent parler avant d’avoir pensé, échauffés de je ne sais quelle chaleur, qui emporte leur langue ou leur plume d’une folle et infatigable allure : n’ayant pas toujours le temps de se rendre compte de ce qu’ils disent, confiants en leur démon et dans la bonne foi du public, qui saura bien y trouver un beau sens. Mais, en général, on ne fait point par-là économie de son temps ni de sa peine. […] Et les plus grands écrivains de tous les temps et de tous les pays ont-ils fait autrement ?

1796. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VI. L’Astronomie. »

Ce n’est pas tout : l’Astronomie ne nous a pas appris seulement qu’il y a des lois, mais que ces lois sont inéluctables, qu’on ne transige pas avec elles ; combien de temps nous aurait-il fallu pour le comprendre, si nous n’avions connu que le monde terrestre, où chaque force élémentaire nous apparaît toujours comme en lutte avec d’autres forces ? […] Et alors ne pourra-t-on pas se demander si les lois dépendant de l’espace ne dépendent pas aussi du temps, si elles ne sont pas de simples habitudes, transitoires, par conséquent, et éphémères ? […] Certes, ce point de vue n’est pas le mien ; moi, au contraire, si j’admire les conquêtes de l’industrie, c’est surtout parce qu’en nous affranchissant des soucis matériels, elles donneront un jour à tous le loisir de contempler la Nature ; je ne dis pas : la Science est utile, parce qu’elle nous apprend à construire des machines ; je dis : les machines sont utiles, parce qu’en travaillant pour nous, elles nous laisseront un jour plus de temps pour faire de la science. […] On aurait pu raisonner de même du temps de Ptolémée ; alors aussi, on croyait tout savoir, et on avait encore presque tout à apprendre.

1797. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Conclusions » pp. 169-178

Peu de temps après le banquet, ce désaveu parut sous la forme du manifeste de l’École romane 34. […] Il y a aussi les réunions de vélodrome, les courses de bicyclettes, celle de Bordeaux-Paris, la course internationale d’automobiles Paris-Lyon, etc… Où, dans ce tohu-bohu, trouver le temps d’ouvrir les livres ? […] Nous en reparlerons demain, Elles ont le temps d’attendre, étant immortelles. […] D’ici là nous aurons le temps de préparer des merveilles.

1798. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre IV. Moyens de déterminer les limites d’une période littéraire » pp. 19-25

Il en est qui se retrouvent en tout temps ; d’autres qui durent plusieurs siècles ; d’autres qui s’effacent au bout de trente ou quarante ans ; d’autres qui périssent en une quinzaine d’années ou même au bout de deux ou trois ans. […] La mort du grand roi est le fait décisif qui se dresse, comme une véritable borne, sur la route parcourue par le temps et qui nous permet de dire : Ici un monde finit et un autre commence. […] Autant d’indices révélateurs qui confirment le droit que nous avons de dire : Vers ce temps-là, quelque chose de nouveau apparut. […] Il partagea son discours, suivant l’usage du temps, en tranches innombrables.

1799. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre onzième. »

C’est ce qui fut démontré peu de temps après. […] Je veux, dit le dieu de la guerre… Cette idée de représenter tous les dieux, ou tous les génies, ou toutes les fées qui se réunissent pour doter un prince de toutes les qualités possibles, est une vieille flatterie, déjà usée dès le temps de La Fontaine. […] Ce sont là des sujets, Vainqueurs du Temps et de la Parque. Les fables de La Fontaine seront bien aussi victorieuses du temps, et ne dureront pas moins que les plus beaux monumens consacrés à la gloire de Louis XIV.

1800. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre II. Harmonies physiques. — Suite des Monuments religieux ; Couvents maronites, coptes, etc. »

Tous les jours, reproduit sous des traits inconstants, Le fantôme du siècle emporté par le temps Passe, et roule autour d’eux ses pompes mensongères. […] C’est l’airain qui, du temps formidable interprète, Dans chaque heure qui fuit, à d’humble anachorète Redit en longs échos : Songe au dernier moment. […] La force étoit sans frein, le faible sans asile : Parlez, blâmerez-vous les Benoît, les Basile, Qui, loin du siècle impie, en ces temps abhorrés, Ouvrirent au malheur des refuges sacrés ? […] Toutefois quand le temps, qui détrompe sans cesse, Pour moi des passions détruira les erreurs, Et leurs plaisirs trop courts souvent mêlés de pleurs, Quand mon cœur nourrira quelque peine secrète, Dans ces moments plus doux, et si chers au poète, Où, fatigué du monde, il veut, libre du moins, Et jouir de lui-même, et rêver sans témoins, Alors je reviendrai, solitude tranquille, Oublier dans ton sein les ennuis de la ville, Et retrouver encor, sous ces lambris déserts Les mêmes sentiments retracés dans ces vers.

1801. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Rome et la Judée »

Dans ce temps-là, Franz de Champagny était jeune, et on pouvait tout en attendre. […] Influence du temps, cette climature qui joue sur notre esprit comme l’autre atmosphère sur nos organes ! […] Nous demandions pour notre part que cette lubie des temps actuels lui passât très vite, et nous avions appris avec bonheur qu’il préparait un livre d’histoire sur une époque limitrophe à celles que, dans les Césars, il avait déjà étudiées et sur lesquelles il s’était montré si vivant, si compétent et si renseigné. […] Quoique la spécialité biographique, l’art de faire bomber ou creuser un visage, soit ce qui a le plus résisté dans le talent fin et curieux de Champagny, qui fut plutôt, autrefois, dans son meilleur temps, un graveur historique qu’un historien, et qu’on ait reconnu sa pointe, malgré son émoussement, dans les profils qu’il trace d’Othon, de Vespasien et de Vitellius, il est moins heureux cependant avec des têtes comme celles d’Apollonius, de Simon le Magicien et de Cérinthe, que Suétone et Tacite ne lui ont pas préparées, marquant avec l’ongle, leur ongle coupant et terrible, les endroits où le burin devait appuyer !

1802. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Louis Nicolardot » pp. 217-228

Tout y est : la santé, les maladies, les indispositions, les bains, les médecines, les dîners, les jeux, les loteries, les bals, les chasses, les comédies, les revues, les pensions, les libéralités, les messes, les communions, les dévotions, et tous les événements du temps et leurs dates. […] On dirait, au dégagé de la note, à la prestesse de la date sur laquelle il ne pèse que le temps de la tracer, que ces faits ne le regardent pas, ces faits menaçants, précurseurs, qui commencent d’aiguiser, sur une pierre invisible, la hache qui lui coupera le cou ! […] Nicolardot émerveillé a risqué cette grande épithète de Nemrod, et c’est comique, l’effet de ce nom appliqué au Louis XVI des idées communes, à cet homme bonhomme avant le temps, à ce ventru, à ce gros pacifique auquel nous sommes accoutumés. […] Vous auriez vu Louis XVI à Fontenoy, si, de son temps, il y avait eu un Fontenoy !

1803. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « De Cormenin (Timon) » pp. 179-190

De cette masse de flèches qui ont si bien sifflé dans le temps, et percé, — semblait-il, — et fait tant pousser, aux uns des cris de joie, et aux autres des cris de douleur, on a choisi celles-ci et on en a composé comme un carquois en ces deux volumes ; et c’est ce carquois, jugé si formidable, que nous venons à l’instant de peser, et qui, le croira-t-on ? […] Mais, sous la Restauration comme sous la monarchie de Juillet, Cormenin, qui s’intitule Timon, ne se montre pas une seule fois pamphlétaire, lui qu’on a cru sur parole le plus grand pamphlétaire de son temps. […] On dirait qu’au lieu d’être un pamphlétaire convaincu, sincère et fort, Cormenin-Timon n’était qu’un rhétoricien qui, dans ses Orateurs, a passé tout son temps à professer la rhétorique. […] À ne le voir que dans les deux volumes qui vous font tomber de si haut, on peut affirmer que son talent ne fut que l’occasion prise, en passant, aux cheveux, et secouée, et que, comme tous ces talents qui ne furent que l’attrapement de l’occasion et le secouement de la circonstance, au bout d’un certain temps on ne devait plus le reconnaître.

1804. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Gères. Le Roitelet, verselets. »

C’est une loi du temps et de tous les temps que quand des poètes grands ou petits, vrais ou faux, immortels ou éphémères, ont été la chimère de leur époque, comme dit saint Bernard. — l’admiration ou la mystification de leurs contemporains, — ils laissent sur l’imagination publique des teintes dont elle reste colorée. […] Il n’imite pas pour imiter, mais il rappelle les poètes de son temps, et il les rappelle parce qu’au lieu de s’isoler d’eux il s’y associe ; parce que vivant intellectuellement avec eux, il les sent trop, les connaît trop et trop les aime. […] Voilà ce que M. de Gères est essentiellement pour la forme ; seulement cette forme, même quand il la soigne le plus, n’est pas chez lui comme chez tant de poètes de ce temps l’unique préoccupation de sa pensée.

1805. (1891) Esquisses contemporaines

Quand la vie de l’homme ne serait qu’une seconde au sein du temps et qu’un atome au sein de l’univers, cet atome est plus grand que l’univers et plus vaste que le temps, parce qu’il sait ce qu’il doit et que ce qu’il doit est éternel. […] Il serait temps de travailler à combler cette lacune. […] Il est rare que les individualités puissantes naissent en des temps médiocres. […] La survivance de son mysticisme le lui permet et le lui permettra quelque temps encore. […] Le journal Le Temps des 16 et 30 décembre 1887.

1806. (1874) Premiers lundis. Tome I « Œuvres de Rabaut-Saint-Étienne. précédées d’une notice sur sa vie, par M. Collin de Plancy. »

Il publia vers le même temps le Vieux Cévenol ou la Vie d’Ambroise Borély, personnage fictif, sur la tête duquel sont accumulées toutes les persécutions exercées contre les protestants depuis la révocation de l’édit de Nantes. […] Depuis son arrivée à Paris, le temps avait marché vite. […] Quelques nuages se promènent encore sur le ciel de la France  ; mais la Constitution est faite, la masse de la France est assise … Illusion naïve du savoir et de la vertu, qui fait sourire en même temps qu’elle attriste, illusion de tous les temps, de tous les lieux, de tous les hommes, la nôtre aussi, toutes les fois qu’il nous arrive de juger le passé d’hier avec nos idées du réveil et de croire y lire l’éternel avenir !

1807. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le théâtre annamite »

Cependant tant de niaiserie flotte dans l’air au temps où nous sommes ; l’idée et le respect de cette vieille « couleur locale » chère aux romantiques ont pénétré dans tant de cervelles, même bourgeoises, que beaucoup de badauds s’extasient sur le pittoresque de ces monstres, et particulièrement sur la richesse de leurs costumes. […] Mais la vérité, c’est qu’ils assemblent les couleurs au hasard, absolument au hasard, et que ces assemblages, où l’intelligence et le choix ne sont pour rien, peuvent quelquefois, par rencontre, former des harmonies plaisantes et singulières — surtout quand le temps a fané les étoffes et adouci les teintes… Les appellerai-je pour cela des artistes ? […] Que j’aie connu et embrassé de ma sympathie la planète entière, ou seulement une portion de l’humanité et un petit morceau du sol, cela n’est-il pas exactement la même chose, en comparaison de cet infini de temps et d’espace qui échappe à nos prises ?

1808. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « En guise de préface »

Depuis quelque temps, il ne peut plus écrire une page sans marquer son dédain et son antipathie pour ce qu’il appelle la littérature et la critique personnelles. […] Brunetière est incapable, ce semble, de considérer une œuvre, quelle qu’elle soit, grande ou petite, sinon dans ses rapports avec un groupe d’autres œuvres, dont la relation avec d’autres groupes, à travers le temps et l’espace, lui apparaît immédiatement ; et ainsi de suite. […] Lire un livre pour en jouir, ce n’est pas le lire pour oublier le reste, mais c’est laisser ce reste s’évoquer librement en nous, au hasard charmant de la mémoire ; ce n’est pas couper une œuvre de ses rapports avec le demeurant de la production humaine, mais c’est accueillir avec bienveillance tous ces rapports, n’en point choisir et presser un aux dépens des autres, respecter le charme propre du livre que l’on tient et lui permettre d’agir en nous… Et comme, au bout du compte, ce qui constitue ce charme, ce sont toujours des réminiscences de choses senties et que nous reconnaissons ; comme notre sensibilité est un grand mystère, que nous ne sommes sensibles que parce que nous sommes au milieu du temps et de l’espace, et que l’origine de chacune de nos impressions se perd dans l’infini des causes et dans le plus impénétrable passé, on peut dire que l’univers nous est aussi présent dans nos naïves lectures qu’il l’est au critique-juge dans ses défiantes enquêtes.

1809. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Introduction »

le monde lui-même, avec l’immensité de l’espace, dans lequel le Tout est contenu, et l’immensité du temps, dans lequel le Tout se meut, et la prodigieuse variété des choses qui remplissent l’espace et le temps, et, ce qui est presque insensé à dire, je m’y aperçus moi-même, allant et venant. […] Le monde, conclut Schopenhauer, l’objet de la connaissance, c’est « ma représentation » ; l’étendue, le temps, la causalité, ma pensée les met dans le monde, organise le chaos des phénomènes selon sa propre loi et prononce le fiat lux.

1810. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Panurge » pp. 222-228

« Panurge étoit de nature moyenne, ny trop grand, ny trop petit, et avoit le nez aquilin, fort, à manche de rasoir, et pour lors étoit de l’âge de trente-cinq ans ou environ, fin à dorer comme dague de plomb, bien galant homme de sa personne, sinon qu’il étoit quelque peu paillard et sujet de nature à ce qu’on appeloit en ce temps là : Faute d’argent c’est douleur non pareille. […] Mais, après quelque temps de bataille, les gênes, un peu élargies, l’amour du bien-être, la paresse d’esprit revenaient. […] Taine, dans un des livres les plus humoristiques de notre temps, est la résignation froide, qui réduit la souffrance à la douleur physique. » L’on ne pourra s’empêcher de penser que ce fruit est amer, petit, à portée de peu de mains, et que depuis trois siècles, nous nous sommes beaucoup éloignés, de Rabelais et du pantagruélisme.

1811. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Clément Marot, et deux poëtes décriés, Sagon & La Huéterie. » pp. 105-113

Sagon & la Huéterie avoient été les plus zélés partisans de Marot, dans le temps de sa gloire, lorsqu’il étoit en faveur à la cour de François premier, qu’il la divertissoit par l’enjouement & les saillies d’un esprit original : mais, du moment qu’ils virent ce poëte sorti de France pour des affaires de religion, ils le décrièrent. […] Aussi l’a-t-on également appellé le poëte des princes, & le prince des poëtes de son temps. […] Jodelle lui fit cette épitaphe : Quercy, la cour, le Piémont, l’univers Me fit, me tint, m’enterra, me connut ; Quercy mon los, la cour tout mon temps eut, Piémont mes os, & l’univers mes vers.

1812. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre deuxième. »

Solon décerna des peines contre les citoyens qui, dans un temps de troubles, ne se déclareraient pas ouvertement pour un des partis : son objet était de tirer l’homme de bien d’une inaction funeste, de le jeter au milieu des factieux, et de sauver la république par l’ascendant de la vertu. […] De là il fait une sortie contre l’astrologie judiciaire, qui, de son temps, n’était pas encore tombée tout-à-fait. […] Emmenez avec vous les souffleurs tout d’un temps.

1813. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Bathild Bouniol »

On dirait, en le lisant, qu’il a vécu parfaitement en dehors du monde d’impressions littéraires qui font l’éducation des poètes de ce temps. […] L’image, qui presque partout (et même en philosophie) a culbuté l’idée, l’image, dans ce poète dépaysé, n’a ni la puissance ni l’imprévu qui nous enlèvent ; on la connaît, on l’a déjà vue… Enfin, ce rhythme dont nous parlions tout à l’heure, et qui est d’un travail si agencé et si merveilleux sous la plume de Gramont, cette guirlande flexible et forte que tout poète moderne semble tenu d’enlacer et de sertir autour de sa pensée, tant les travaux sur le rhythme et la langue du mètre ont été multipliés en ces derniers temps, Bouniol, s’il ne le dédaigne, semble l’oublier ; et c’est ainsi qu’il se présente tout d’abord, modeste et hardi, dans son livre, dénué des trois forces de la poésie telle que l’Imagination l’aime et la veut au xixe  siècle. […] Ce talent, du reste, bien mâle pour ce temps, aura-t-il du succès ?

1814. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Charles Barbara » pp. 183-188

Il y a un rapport latent entre Godwin et l’auteur de L’Assassinat du Pont-Rouge, et, si on ne le voit pas encore, le temps et le travail se chargeront de le dégager. […] Pendant tout le temps que dure et marche ce roman, on voit L’Assassinat du Pont-Rouge aller perpétuellement de la précaution la plus impénétrable de sang-froid à l’indiscrétion la plus effarée, de la négation imprudente qui répond à ce qu’on ne demandait pas, à la confession qui va tout perdre. Comme un homme atteint d’une folie terrible, il passe ses jours, les minutes de ses jours, à enterrer son crime et à le déterrer, n’allant jamais qu’à moitié de cette horrible besogne, réveillé toujours à temps, épouvanté de ses mains qui creusent, soit pour cacher la vérité, soit pour la faire sortir ; et c’est ainsi qu’écartelé à deux idées d’une égale énergie, qui le déchirent sans le tuer et ne peuvent pas plus sur cette organisation vigoureuse que le rasoir du bourreau sur les articulations de Damiens, il offre le spectacle le plus émouvant qu’un artiste puisse offrir à la contemplation intellectuelle.

1815. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

Un roman a le temps. […] Du temps des frères Baillard, M.  […] Cette seconde série est du temps où M.  […] Le théâtre « n’a pas le temps » et le roman « a le temps ». […] Ils se sont efforcés d’établir le dossier vivant de leur temps.

1816. (1886) Le roman russe pp. -351

Le temps fausse les mesures au détriment du présent, il rend vénérable tout ce qu’il recule. […] Le germe aura-t-il le temps de mûrir ? […] Ce serait accorder bien du temps à des exercices de collège. […] L’ennui, c’est encore une invention qu’ils ont faite dans ces derniers temps. […] dites-moi, mes petits chéris, qu’avez-vous bien pu faire dans votre temps ?

1817. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Hommes du pouvoir, vos efforts rétrogrades sont jugés ; mais quand vous réussiriez quelque temps à faire de l’immobilité, ce ne serait jamais de l’ordre, ce ne serait qu’un désordre caché. […] Vous le demandez au ciel, à la terre, à tous les échos, Politiques de mon temps ; mais le ciel et la terre, et tous les échos, sont muets pour vous. […] L’anarchie civile et politique est donc la loi de notre temps. […] Elles deviendront les instruments funestes d’une corruption universelle, qui atteindra en peu de temps les parties vitales de l’État. […] Hommes de mon temps, où sont vos fêtes religieuses où le cœur des hommes bat en commun ?

1818. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

Le cœur humain et la nature sont seuls d’un attrait universel et qui se renouvelle avec tous les temps. […] Nous ne les reproduirons pas ; le temps nous emporte. […] Ilion, avant ce temps, sera précipitée de son élévation ! […] Les Grecs de ce temps, qui avaient gravé ce poème dans leur mémoire, avaient-ils besoin d’autre livre ? […] l’encyclopédie chantée par un poète universel aux hommes de son temps ?

1819. (1893) Alfred de Musset

Lui-même avait pris soin d’avertir qu’on y perdrait sa peine et son temps. […] Le temps et l’absence ne nous ont pas empêchés et ne nous empêcheront pas de nous aimer. […] Musset s’était souvenu tout le temps, en écrivant « La Nuit de décembre ». […] Ayant renoncé à faire du théâtre pour son temps, Musset a fait du théâtre pour tous les temps. […] En ce temps-là, on comprenait autrement que de nos jours les devoirs d’éditeur.

1820. (1895) Les confessions littéraires : le vers libre et les poètes. Figaro pp. 101-162

De tous temps, de toute poésie, du rythme naquit la rime, et de tous temps aussi des novateurs hardis s’élevèrent contre elle. […] Depuis Baïf, et de tout temps, on a fait des vers blancs, des vers libres, des vers traditionnels, avec ou sans talent. […] Il y a là matière à deux ou trois volumes, qu’il serait intéressant de faire, si l’on avait le temps. […] Dierx, un des plus parfaits poètes de ce temps et de bien des temps ? […] Croyez-vous qu’elle ait fait son temps ?

1821. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « [Appendice] » pp. 417-422

En vain je soupire et je gronde, Mes destins le veulent ainsi ; Et les prudes de l’autre monde Sont les folles de celui-ci. » Là cette ombre amoureuse et folle Poussa mille soupirs ardents, Se plaignit, pleura quelque temps, Puis en m’adressant la parole : « Pauvre âme, dit-elle, à ton tour. […] « Et puisque les destins terribles La forceront, avec le temps, D’aimer quelques morts insensibles, Qu’elle aime quelque bon vivant. » Après ces mots, cette pauvre ombre Se tut, rêvant à son destin, Et retombant dans son chagrin Reprit son humeur triste et sombre. […] On peut voir encore, dans un recueil de lettres inédites donné par Serieys, en 1802, trois lettres ingénieuses et galantes de Fléchier à Mlle de La Vigne, un bel esprit et une savante du temps ; et d’autres lettres du même genre et à la même, avec les réponses, au tome premier de la Revue rétrospective (1833), et provenant du tome xiiie des manuscrits de Conrart.

1822. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution française, depuis 1756 jusqu’à nos jours — III »

madame, quand l’illustre Sévigné, que vous aimez tant, écrivait des riens, elle les adressait à sa fille en lettre close, et puis en ce temps-là qu’y avait-il de plus sérieux à dire ? […] Madame de Genlis se montre sévère à l’égard de La Harpe, qui fut en un temps son admirateur tendre et passionné ; elle lui ressemble pourtant beaucoup à M. de La Harpe. […] Ces temps-là, elle le sait pourtant, étaient difficiles à vivre ; elle-même nous avoue une douzaine au moins d’attaques pressantes que sa vertu eut à repousser, et de plus fragiles auraient pu faillir à sa place sans beaucoup de philosophie.

1823. (1874) Premiers lundis. Tome II « Dupin Aîné. Réception à l’Académie française »

Dupin a rappelé que, vers ce temps, succombait aussi un autre homme, grand par l’action, un de ces hommes nécessaires dont la présence seule irritait les factions parce qu’elles le connaissaient et le craignaient. […] C’est une veine inégale, capricieuse, qui court et roule bons et méchants mots, érudition et lazzi, dictons du peuple et centons latins : il y a du l’Intimé aux mauvais endroits ; aux excellents, c’est beau comme le paysan du Danube, mais comme le paysan du Danube qui aurait fait ses études du temps d’Étienne Pasquier, à l’Université de Paris. […] L’honorable académicien pérorait déjà depuis quelque temps, d’un ton solennel qui captivait assez vaguement l’attention de l’auditoire, lorsque, venant à parler des luttes soutenues par M. 

1824. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 6, des artisans sans génie » pp. 58-66

La prévention que ces applaudissemens inspirent, en impose du moins durant quelque temps. […] Ses premiers essais se trouvent souvent aussi beaux que les ouvrages qu’il fait dans les temps de sa maturité. Nous avons vû des peintres sans génie, mais devenus célebres pour un temps, par l’art de se faire valoir, travailler plus mal durant l’âge viril qu’ils ne l’avoient fait durant la jeunesse.

1825. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 11, les romains partageoient souvent la déclamation théatrale entre deux acteurs, dont l’un prononçoit tandis que l’autre faisoit des gestes » pp. 174-184

Or, comment auroit-il été possible que ces deux acteurs eussent toujours été d’accord entr’eux, et que l’un et l’autre ils fussent en cadence avec l’accompagnement, si la déclamation n’avoit pas été concertée, de maniere que chacun sçut précisément ce que son compagnon devoit faire, et dans quel espace de temps il l’executeroit ? […] Comme Tite-Live ne fait que narrer l’origine de l’usage qui se pratiquoit de son temps, je ne songerois point à confirmer son récit par le témoignage d’autres auteurs, si la chose qu’il nous apprend, ne devoit point paroître extraordinaire. […] Aulugelle contemporain de Lucien, dit que les chanteurs qui de son temps récitoient sans se remuer, faisoient aussi les gestes en récitant sur l’ancien théatre.

1826. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Argument » pp. 93-99

Argument Frappé de l’idée que l’admiration exagérée pour la sagesse des premiers âges est le plus grand obstacle aux progrès de la philosophie de l’histoire, l’auteur examine comment les peuples des temps poétiques imaginèrent la Nature, qu’ils ne pouvaient connaître encore. […] La navigation est l’un des derniers arts qui furent cultivés dans les temps héroïques. […] Il n’avait rien de la magnanimité, du désintéressement et de l’humanité, dont le mot d’héroïsme rappelle l’idée dans les temps modernes.

1827. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 534

Ses Ouvrages polémiques sur la Morale, la Politique, la Controverse, ont été estimés dans leur temps ; mais leur mérite a disparu avec les causes qui les ont produits. Pour sauver ces sortes de Productions du naufrage des temps, il faut un style châtié, une critique exacte, des raisonnemens solides ; & voilà justement ce que Coeffeteau n’avoit pas.

1828. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LOUISE LABÉ. » pp. 1-38

Collombet, le sérieux traducteur de Salvien et de saint Jérôme, a fait preuve de patriotisme et de bon esprit ; il n’a pas eu plus de faux scrupule que n’en eurent en de telles matières ces érudits du bon temps, l’abbé Goujet, Niceron et autres ; les vrais catholiques, à bien des égards, sont les plus tolérants. […] Louise Labé fut un peu en son temps comme Mme Tastu, comme Mme Valmore du nôtre : sont-elles classiques, sont-elles romantiques ? […] La fête même de cette réception était dirigée dans son ensemble par Maurice Sève, ancien conseiller-échevin et poëte distingué du temps ; les Sève tiraient leur origine d’une ancienne famille piémontaise. […] Nous-même, en notre temps, nous avons eu des exemples assez singuliers de ces aveux poétiques dans la bouche des femmes. […] Quelles gens ont esté, pour un temps, en plus grande réputation que les philosophes ?

1829. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXIXe entretien. Tacite (2e partie) » pp. 105-184

Ne comptez pas le temps que j’aurais à régner : il est d’autant plus difficile de jouir avec modération de la puissance souveraine, que cette puissance doit avoir moins de durée pour nous. […] Le souverain des Romains, si peu de temps auparavant, le maître de l’univers, abandonnant le siège de sa puissance, sortait de l’empire, à travers son peuple, au milieu de sa capitale. […] Deux hommes remarquables sont morts avant le temps dans ces derniers mois. […] — Les Camille Desmoulins sont de tous les temps ; ils allument le bûcher, et ils sont consumés par la flamme quand le vent change. Pardonnons-leur et ne les imitons pas ; laissons-leur ainsi le temps de se repentir.

1830. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

Ces monuments de sa dignité forcée, couverts de la poussière du temps, lui rappelaient évidemment des années de splendeur qu’elle eût voulu effacer de sa vie. […] Tu dis au temps d’enfanter, Et l’éternité docile, Jetant les siècles par mille, Les répand sans les compter ! […] » Voilà pourquoi les temps et les événements m’ayant enlevé le loisir d’écrire en vers, comme Jocelyn, cette simple et touchante aventure, je l’écris en prose, et je demande pardon à mes lecteurs de ne pas en avoir fait un poème ; mais, vers ou prose, tout s’oublie et tout s’anéantit en peu d’années ici-bas, il suffit d’avoir noté, à quoi bon écrire ? […] La beauté sereine du temps m’engagea à monter beaucoup plus haut, jusque dans la montagne. […] Je passais le temps qui sera si long aujourd’hui !

1831. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 5-64

Pendant ce temps les grands bœufs marchaient toujours, et les murs gris des remparts de Lucques, couronnés d’une noire rangée de gros tilleuls, commençaient à apparaître à travers la poudre de la route, au fond de l’horizon. […] On dit qu’elle avait servi, dans les anciens temps, à murer, dans ce dernier étage de la tour, un prisonnier d’État qu’on avait voulu laisser mourir à petit bruit, dans ce sépulcre au milieu des airs, et que les gonds et les verrous de la porte avaient retenu le bruit de ses hurlements. […] Les chouettes seulement s’y battaient les ailes en jetant de temps à autre des vagissements d’enfants qu’on réveille. […] Et cependant, pendant ce moment qui me parut si long à l’esprit, je n’eus pas le temps de reprendre seulement ma respiration. Mais le temps, voyez-vous, ce n’est pas la respiration qui le mesure quand on souffre et qu’on attend, c’est le cœur ; le temps n’y est plus, monsieur, c’est déjà l’éternité !

1832. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

Benjamin Godard qui feignait, il y a six mois, ignorer l’existence du nommé Wagner, a osé la marche de Tannhæuser, et même la Chevauchée avec, toutefois, moitié moins qu’il ne faut d’instruments et moitié plus de temps. […] Nous ne sommes guère plus avancés, au total, qu’au temps où les marquis poudrés obstruaient le théâtre et où l’on jouait les Alceste et les Orphée en habits à rubans et en chapeaux à plumes. […] Le temps qu’ils passèrent dans cette tour fut un temps de joie parfaite ; mais la femme du nain était parmi les suivantes de la reine, et, au bout de quelque temps, elle découvrit que la damoiselle d’Irlande n’était autre que le chevalier Tristan. […] Iseult court où elle voit le corps ; elle se tourne vers l’orient, elle prie pour lui, en sanglotant : — Ami Tristan, quand je vous vois mort, je ne puis vivre plus longtemps : vous êtes mort d’amour pour moi ; je meurs aussi d’amour, ami, quand je n’ai pu venir à temps. […] Il est l’auteur de : Richard Wagner, Les étapes de sa vie, de sa pensée et de son temps, paru de façon posthume (Paris, hachette, 1923).

1833. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Fille de l’individualisme, qui a tout envahi, et de ces mauvaises mœurs, que la Comédie corrige en riant, disent les niais qui aiment le spectacle, la littérature de ce temps, — et il ne faut pas biaiser avec une chose si grave, — a fait une haute position à l’adultère dans l’imagination publique. […] Il est sorti de l’ornière du temps, et l’on sait s’il y a de la vase dans cette ornière-là. […] Son sujet, s’il l’avait compris avec la hauteur et l’impartialité d’un maître, était encore plus le mariage que l’adultère, et, par un reste d’influence de ce temps auquel il s’arrache, pour M.  […] Pauvre petit nerveux, bien élevé de ce temps, qui aime les belles choses agréables, et sa maîtresse par-dessus le marché, parce qu’elle est une de ces belles choses-là ; mais enfant toujours, et enfant gâté, révolté ou docile, apaisé ou furieux, et qui ne devient pas plus homme sous l’étreinte de la Peine, parce qu’il n’a ni une conviction, ni une idée sur laquelle il s’appuie pour lui résister ! […] On lui avait bien, dans le temps, reproché d’aimer à ressusciter des morts oubliés, et j’avoue même que, sur ce point, il avait fait de vrais miracles ; mais il n’avait été jusque-là que simple thaumaturge.

1834. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

Mais si l’on veut parler de la psychologie de notre siècle, la France compte des travaux qui ne le cèdent en importance et en originalité à aucun des livres que l’Angleterre et l’Écosse ont produits de tout temps. […] Mais faut-il délaisser ces enseignements pour la psychologie vers laquelle incline l’esprit de notre temps ? […] Nous sommes accoutumés à voir une chose succéder à une autre, quant au temps, et nous nous imaginons que celle qui suit dépend de celle qui précède. […] S’agit-il d’expliquer telle conception dite rationnelle, comme l’idée de l’infini dans le temps ou dans l’espace ? […] « L’expérience, dit Mill, ne nous ayant jamais montré un point de l’espace sans d’autres points au-delà, ni un point du temps sans d’autres qui le suivent, la loi de l’inséparable association ne nous permet pas de penser à un autre point quelconque de l’espace ou du temps, si loin soit-il, sans qu’immédiatement et irrésistiblement il ne nous vienne à l’esprit l’idée d’autres points encore plus éloignés18. » S’agit-il d’expliquer tout à la fois les sentiments et les idées sur lesquels on fonde la morale ?

1835. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

Voyez ces batailleurs du temps de Louis XIII. […] Dans ces derniers temps, Béranger a été accusé de réalisme. […] Aujourd’hui même, il est encore en avance de son temps. […] Tout cela n’est plus qu’une affaire de temps et d’appréciation, c’est-à-dire de peu d’importance. […] Autres temps, autres mœurs, autre art, autre littérature.

1836. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIIIe entretien. Littérature cosmopolite. Les voyageurs »

Mais, à cette époque, c’était moins connu qu’aujourd’hui des Européens, et on lui pardonne cette longueur sur un schisme qu’on connaissait mal de son temps. […] L’histoire et les gens de son temps assurent qu’il n’y en a jamais eu de si éclairé dans l’exercice de cette charge suprême. […] Celui dont je viens de faire la description rend seize mille livres par an au propriétaire, qui était, de mon temps, une cousine du feu roi. […] On dit que du temps d’Abas le Grand, et de son successeur, la place donnait de rente cinquante écus par jour. […] Les grands s’empressèrent d’imiter son exemple et de seconder ses vues: en peu de temps, on vit s’élever une infinité de palais, de mosquées, etc.

1837. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

À ces jeunes gens si avides d’exploits, la vie, la société et les mœurs de leur temps paraissaient donc impraticables. […] De robustes génies l’illustrèrent comme des paladins, mais ils ne surent pas être de leur temps. […] Les barrières du temps et de l’espace s’abolissent devant sa volonté. […] Aux plus glorieux des règnes succèdent les temps de décadence. […] Il sait que le présent et le passé ne sont que la gestation de temps meilleurs.

1838. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

Il régnait un silence morne, interrompu, de temps à autre, par quelques chuchotements timides. […] Les jeunes de ce temps firent des tentatives honorables qui n’eurent qu’un succès passager. […] Faire son devoir, c’est renoncer, pour la plupart du temps, à une satisfaction personnelle. […] Il oublie qu’en temps de coups d’État et de guerres civiles, on fusille et on massacre partout. […] Il n’est pas bon que notre jeunesse dépense son temps et son enthousiasme pour des œuvres qui n’en sont pas dignes.

1839. (1927) Des romantiques à nous

Les temps romantiques eux-mêmes, et cela dès 1820, d’une manière plus sensible à partir de 1824, imposèrent ce rôle aux porteurs de lyre. […] L’attitude rétrograde dont Joseph de Maistre a donné en son temps l’exemple le plus illustre. […] C’est le temps où Gounod, Bizet, Lalo se mettent à l’œuvre. […] Il n’a, comme artiste, vécu ni dans son temps, ni dans aucun temps particulier. […] Pendant le temps trop court que je le connus, nos deux existences s’enlacèrent.

1840. (1886) Le naturalisme

Les chevelures de ce temps-là sont proverbiales, caractéristiques. […] Temps héroïques de la littérature moderne ! […] Malheureuse idée qui fit bien des ravages dans le roman avec le temps. […] Perd-t-on son temps à censurer les romans tout aussi populaires de Paul de Kock ? […] Tout consiste à savoir s’arrêter à temps, aux limites du terrain défendu par la morale de l’art.

1841. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Les humanistes de ce temps-là étaient tous des cosmopolites. […] D’abord, c’est l’usage du temps. […] Et pendant ce temps, la femme fit à la maîtresse toutes sortes de « courtoysies ». […] On ne peut cependant pas faire tout le temps du grand art, même naturaliste ! […] Vous vous en iriez, et vous laisseriez faire le temps.

1842. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

N’y imprimera-t-on pas les mœurs convenables aux personnages, aux temps, et aux lieux ? […] Elle s’accorde encore à la tendance naturelle aux hommes, nés de tout temps enclins à s’effrayer de leur destinée future. […] L’unité se borne ici à l’action, et ne s’étend pas au lieu et au temps. […] Enfin ce temps chevaleresque était celui des barons et des comtes, grands mangeurs de leurs vassaux, et qui, dans leurs forts et sur les routes, avaient assez l’air des Cacus et des ogres : c’était le temps des ermites, passés maîtres en fait de sortilèges, et celui des saintes dévotes, grandes opératrices de miracles. […] Deux fameux héros de grand chemin, suppliciés du temps de Boileau.

1843. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome xviii » pp. 84-92

Esprit marseillais et grec, du plus fin et du plus léger, il excelle à sentir le génie des temps. […] Aussi dans ce nouveau volume, après avoir commencé par une revue des derniers événements de guerre qui se prolongèrent quelque temps avec obstination sur quelques points de la circonférence, depuis Anvers défendu par Carnot, depuis Hambourg défendu par Davout, jusqu’à la bataille livrée dans la plaine de Toulouse par le maréchal Soult ; après avoir rendu justice à ces derniers efforts et avoir rallié, pour ainsi dire, tous les détachements de nos héroïques armées ; puis, avoir montré les Bourbons et Louis XVIII rentrant dans le royaume de leurs pères, avoir tracé du roi et des princes des portraits justes, convenables, et qui même peuvent sembler adoucis et un peu flattés plutôt que sévères (tant l’ancien journaliste polémique, l’ancien fondateur du National, a tenu à s’effacer et à se faire oublier dans l’historien !)  […] C’est une grande délicatesse à un historien d’être ainsi sensible aux premiers symptômes des temps, et, en y étant sensible, de savoir les rendre avec cette vivacité, avec cet atticisme. […] le temps de le satisfaire… Il fallait désormais d’autres tableaux à son patriotisme et à son esprit.

1844. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les poëtes français. Recueil des chefs-d’œuvre de la poésie française »

Mais on conçoit pourtant, quand on voit ce travail et cette sueur pour entrer, que jamais les grands poëtes de ce temps-ci n’aient fait de sonnets. […] Je me flatte d’être le premier, chez nous, qui ait renouvelé l’exemple du sonnet en 1828 ; mais je n’en ai jamais fait que de temps à autre, par-ci par-là, et en entremêlant cette forme aux autres rythmes plus modernes. […] On l’a oublié ; on n’a pas assez remarqué dans le temps et signalé au passage deux recueils de lui (1840, 1847), pleins de fines galanteries, de rares et voluptueuses élégances. […] j’aurai passé près d’elle inaperçu, Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire ; Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre, N’osant rien demander et n’ayant rien reçu.

1845. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — I »

Dans les premiers temps de l’humanité, la raison de l’homme étant peu développée, c’est l’imagination qui domine ; alors il parle par images figurées ; alors il faut des formes à l’expression de ses idées, de sa raison ; il croit à des causes surnaturelles : c’est le règne de la religion. […] Dans un temps donné une solution est présentée en rapport avec sa raison, à cette époque ; elle l’adopte et y croit ; puis la solution incomplète ne suffit plus : alors l’humanité veut la détruire ; elle la combat : à cette époque elle a la foi de la destruction. […] Or ce n’est plus le temps de l’inspiration, dit-il, aujourd’hui on n’a plus besoin de formes religieuses. […] Il nous semble qu’au moins la haute impartialité de l’éclectisme devrait s’arrêter quelque temps devant cette solution nouvelle, quelle qu’elle fût, et ne la déclarer insuffisante ou inopportune qu’après un examen raisonné.

1846. (1874) Premiers lundis. Tome II « Des jugements sur notre littérature contemporaine à l’étranger. »

Goethe, si sagace et si ouvert à toutes les impressions qu’il ait été, jugeait un peu de travers et d’une façon très subtile notre jeune littérature contemporaine ; il y avait manque de proportion dans ses jugements ; ce qu’il pensait et disait là-dessus au temps du Globe, pouvait être précieux pour le faire connaître, lui, mais non pour nous faire connaître, nous. […] Le grand critique Tieck a fait, il y a quelque temps, une sortie contre notre littérature actuelle ; il n’y tenait compte que des excès, et l’anathème portait à faux. […] Gil Blas lui-même, à jamais consacré, a dû un peu scandaliser en son temps les puritains d’outre-Manche et les évêques théologiens, s’ils l’ont seulement entrouvert. […] Toutefois, au bruit de la réaction morale qui semble depuis quelque temps s’organiser, et à laquelle l’article reproduit par la Revue britannique vient prêter sa grosse voix, nous concevons qu’il y ait de quoi mettre hors des gonds une littérature, même un peu plus patiente que ne l’est la nôtre.

1847. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Alexandre Dumas. Mademoiselle de Belle-Isle. »

Dumas qui, en un ou deux moments, avait pu sembler forcer la sienne, a bien plutôt, le reste du temps, donné à regretter qu’il en abusât en sens contraire par son trop de facilité à la répandre et à l’égarer dans des collaborations peu dignes de lui. […] Molière, d’ailleurs, en son temps, n’était pas si chaste. […] Dumas n’en est que plus grande d’avoir fait marcher son drame, sans coup férir, à travers ces invraisemblances, et d’avoir tenu constamment en haleine le spectateur sans lui laisser le temps de regimber. […] Leduc accourt à temps pour relever le chevalier de sa parole ; celui-ci ne dément pas son caractère solennel et achève de se poser dans ce dernier mot : « Mademoiselle de Belle-Isle, ma femme !

1848. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVI. De l’éloquence et de la philosophie des Anglais » pp. 324-337

De l’éloquence et de la philosophie des Anglais Il y a trois époques très distinctes dans la situation politique des Anglais ; les temps antérieurs à leur révolution, leur révolution même, et la constitution qu’ils possèdent depuis 1688. […] Les Anglais ont avancé dans les sciences philosophiques comme dans l’industrie commerciale, à l’aide de la patience et du temps. […] Les longs développements seraient en tout temps aussi beaucoup moins tolérés en France qu’en Angleterre. […] Les Anglais ont considéré l’art de la parole, comme tous les talents en général, sous le point de vue de l’utilité ; et c’est ce qui doit arriver à tous les peuples, après un certain temps de repos fondé sur la liberté.

1849. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

Je ne sais si l’on a détruit la foi religieuse du peuple en France, mais on aura bien de la peine à remplacer pour lui toutes les jouissances réelles dont cette idée lui tenait lieu ; la révolution y a suppléé, pendant quelque temps. […] La rapide succession des événements, les émotions qu’elle faisait naître, causaient une sorte d’ivresse produite par le mouvement, qui hâtait le temps, et ne laissait plus sentir le vide, ni l’inquiétude de l’existence. […] Si ce siècle est l’époque où les raisonnements ont le plus ébranlé la possibilité d’une croyance implicite, c’est dans ce temps aussi que les plus grands exemples de la puissance de la religion ont existé ; on a sans cesse présent à sa pensée, ces victimes innocentes qui, sous un régime de sang, périssaient, entraînant après elles ce qu’elles avaient de plus cher ; jeunesse, beauté, vertus, talents, une puissance plus arbitraire que le destin, et non moins irrévocable, précipitait tout dans le tombeau. […] Que serait-ce, si, quittant les idées nuancées, je parlais des exemples qu’il reste encore, d’intolérance superstitieuse, de piétisme, d’illumination, etc. de tous ces malheureux effets du vide de l’existence, de la lutte de l’homme contre le temps, de l’insuffisance de la vie ; les moralistes doivent seulement signaler la route qui conduit au dernier terme de l’erreur : tout le monde est frappé des inconvénients de l’excès, et personne ne pouvant se persuader qu’on en deviendra capable, l’on se regarde toujours comme étranger aux tableaux qu’on en pourrait lire.

1850. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Régnier, Henri de (1864-1936) »

Charles Morice Henri de Régnier reflète en des grâces lyriques, en des gestes de jeunesse puissante et qui, parfois, se veut laisser croire lasse, tous les désirs d’art de ce temps, les reflète sans tous expressément les réaliser. […] On dirait, de ses poèmes, de suaves médaillons dont le temps adoucit les contours ou d’immémoriales tapisseries aux nuances très fines, ravies du palais de quelque Belle au bois dormant qu’il réveilla pour en faire son amie. […] De l’aspect accidentel des choses, il étend sa vue à tout ce qui, dans le temps et dans l’espace, réjouit d’amour ou poigne d’angoisse l’âme tragique et douce de l’humanité. […] Anatole France, quand parut Tel qu’en songe et qu’il rédigeait au Temps sa Vie littéraire, garda un silence qui surprit, M. 

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