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36. (1912) L’art de lire « Avant-propos »

Fiches relatives à l’invention, aux idées nouvelles ; fiches relatives à la disposition, au plan, à la manière dont l’auteur conduit ses idées ou conduit son récit, ou mêle ses idées à son récit ; fiches sur le style, sur la langue ; fiches de discussion enfin, c’est-à-dire sur les idées de l’auteur comparées aux vôtres, sur son goût comparé à celui que vous avez, sur ses idées encore et son goût comparés à ceux de notre génération ou à ceux de la génération dont il était, etc.

37. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

Sans doute, ce sont toutes les autres qui conduisent à cet excès, mais quand elles ont entraîné l’homme à un certain terme de scélératesse, l’effet devient la cause, et le crime, qui n’était d’abord que le moyen, devient le but. […] Je n’ai pas besoin de parler de l’influence d’une telle frénésie sur le bonheur ; le danger de tomber d’un tel état est le malheur même qui menace l’homme abandonné à ses passions, et ce danger seul suffit pour épouvanter de tout ce qui pourrait y conduire. […] Si l’on quitte la vie pour échapper aux peines du cœur, on désire laisser quelques regrets après soi ; si l’on est conduit au suicide par un profond dégoût de l’existence qui sert à juger la destinée humaine, il faut que des réflexions profondes, de longs retours sur soi, aient précédé cette résolution ; et la haine qu’éprouve l’homme criminel contre ses ennemis, le besoin qu’il a de leur nuire, lui feraient craindre de les laisser en repos par sa mort ; la fureur dont il est agité, loin de le dégoûter de la vie, fait qu’il s’acharne davantage à tout ce qui lui a coûté si cher.

38. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 8-23

Le grand Corneille sembloit avoir fixé sur lui tous les suffrages, & épuisé l’admiration par la force, la hauteur & la fécondité de son génie, qui, comme un souffle impétueux, avoit tout fait plier devant lui ; Racine ne craignit pas de paroître sur la Scène, &, prenant une autre route, il se montra bientôt digne de le remplacer : la tendresse, l’harmonie, une connoissance profonde du cœur humain, furent les nouveaux ressorts de sa Muse tragique, & le conduisirent rapidement aux mêmes succès. […] Celui de Racine étoit assez riche pour plaire, & intéresser, sans le secours de ce ressort, qui n’a point été employé dans Athalie, le chef-d’œuvre des Théatres anciens & modernes : rien en effet de plus simple, de plus sublime, de mieux conduit, que cette Piece, & cependant point de sujet plus difficile à traiter. […] Un Homme d’esprit étudie l’Art ; ses réflexions le préservent des fautes où peut conduire un instinct aveugle ; il est riche de son propre fond, &, avec le secours de l’imitation, maître des richesses d’autrui.

39. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

La facilité qu’ils ont d’exprimer avec une gracieuse précision les moindres détails, de noter des nuances presque imperceptibles, les a conduits à une grâce coquette et mignarde, qui n’est pas le but de l’art. […] Il conduit son héros par une nuit obscure au milieu de la steppe, devant un de ces tumulus antiques nommés kourgânes, qu’a laissés dans les plaines de la Russie une nation inconnue. […] Un officier russe, prisonnier des Circassiens, est consolé dans sa captivité, puis délivré par une jeune fille Tchetchenge, qui, lui sachant un autre amour au cœur, se jette dans un torrent après l’avoir conduit aux premières vedettes des Cosaques. […] Ce n’est point Mazepa lié sur le cheval sauvage, c’est un écuyer bien en selle, qui conduit sa monture là où il veut aller. […] Nous avons vu Pouchkine chercher des inspirations étrangères et prendre un guide, moins peut-être pour se conduire que pour s’encourager, de même que ceux qui ne nagent jamais si bien que lorsqu’un bateau les accompagne.

40. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

Il fixe alors cette vaste étendue du Ciel, cette immense Nature, qui, fiere dans toutes ses productions n’a point fait d’esclaves, elle n’a point bâti de murs, elle n’a point forgé de chaînes ; cet oiseau qui sur une aîle hardie, franchit l’espace, cet animal des bois qui erre sans guide au gré de son instinct, l’ouragan qui passe, tout parle éloquemment à son cœur, & il apperçoit au milieu de l’Univers la liberté, & il s’écrie : c’est à toi que j’adresse mes vœux, ame des nobles travaux, mere des vertus & des talens ; toi qui formes les ames vigoureuses, les esprits élevés & lumineux ; toi qui ne faisant point d’opprimé, ne fais point d’oppresseur ; toi dont la main sacrée grave dans le cœur de l’homme le caractère primitif de la Justice ; c’est à toi que je voue mes jours, conduis mes pas & ma langue ; je le sens, tu éleveras ma pensée, tu la rendras digne de l’Univers. […] le desir généreux de venger ses freres de l’attentat des méchans enflamme son courage(a), & si vous croyez que la vanité seule conduit sa plume, hommes ingrats, regardez les persécutions qu’il essuie, son exil, sa vie errante, ses malheurs. […] Voilà le précipice ou conduisent les passions factices ; l’homme de génie les méconnoit, il n’a que celles de la Nature, toujours bienfaisante en elle-même. […] Par ce mot, liberté, on ne veut exprimer que le droit légitime de conduire sa vie privée selon ses goûts, en n’offensant ni les Loix politiques, ni celles de l’Etat.

41. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Note sur les éléments et la formation de l’idée du moi » pp. 465-474

C’est que, lorsque je me trouvais seul dans un endroit nouveau, j’étais comme un enfant nouveau-né, comme Gaspard Hauser au sortir de sa cave, ne reconnaissant plus rien, incapable de tirer de mes sensations perverties aucune indication pour me conduire. » Puis, revenant sur l’histoire de sa maladie, il ajoute : « La première sensation que j’aie éprouvée était une bouffée qui me montait à la tête. […] Il faut distinguer cette première et profonde impression de toutes les autres qui vont suivre. » — En effet, dans ce premier stade, les sensations nouvelles étaient trop nouvelles ; elles n’avaient pas été répétées un assez grand nombre de fois pour faire dans la mémoire un groupe distinct, une série cohérente, un second moi ; telle est la chenille dont nous avons parlé, dans le premier quart d’heure qui suit sa métamorphose en papillon ; son nouveau moi n’est pas encore formé, il est en train de se former ; l’ancien, qui n’éprouve que des sensations inconnues, est conduit à dire : Je ne suis plus, je ne suis pas. — « Plus tard et dans une seconde période, dit notre observateur, lorsque par un long usage j’eus appris à me servir de mes sensations nouvelles, j’avais moins d’effroi d’être seul et dans un pays que je ne connaissais pas ; je pouvais, quoique avec difficulté, me conduire ; j’avais reformé un moi ; je me sentais exister, quoique autre. » Il faut du temps pour que la chenille s’habitue à être papillon ; et, si la chenille garde, comme c’était le cas, tous ses souvenirs de chenille, il y a désormais un conflit perpétuel et horriblement pénible entre les deux groupes de notions ou impressions contradictoires, entre l’ancien moi qui est celui de la chenille, et le nouveau moi qui est celui du papillon. — Dans le second stade, au lieu de dire : Je ne suis plus, le malade dit : Je suis un autre.

42. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre V. Des trois ordres de causes qui peuvent agir sur un auteur » pp. 69-75

Malheureusement, les lois de l’hérédité sont encore bien mystérieuses pour la science actuelle ; les familles d’écrivains qui ont une généalogie en règle sont une rare exception ; les accidents auxquels le mariage est sujet, comme disent nos comiques, forcent parfois à un scepticisme prudent ; bref, l’interprétation incertaine de documents incertains ou insuffisants risque de conduire à des conclusions aventureuses. […] § 2. — Toutefois les causes extérieures à l’homme me paraissent être à la fois les plus importantes pour l’histoire et les plus faciles à pénétrer : au lieu, en effet, d’être particulières à un individu, elles portent le plus souvent sur un grand nombre ; elles peuvent par là même être mieux contrôlées et conduire à des résultats généraux. […] Je n’ai pas à énumérer ici les divers procédés qui servent en ce domaine à la recherche des causes ; on les-trouvera indiqués dans les traités de logique ; il me suffit de montrer qu’ils peuvent conduire à des résultats précis.

43. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 190-194

Ose répandre encor sur ces vérités saintes, Les voiles enchanteurs de tes images feintes ; La noble fiction, en flattant les Esprits, Charme & conduit au vrai par des chemins fleuris, Orne la vérité des attraits de la Fable, Et l’offre à nos regards plus belle & plus aimable. […] Dans le huitieme Chant de Clovis, un vénérable Druide conduit ce premier Roi des Francs dans le Temple de la Gloire, & le fait passer, pour y aller, par un antre mystérieux, où, Sur les pas de Clovis s’offrent de toutes parts Des Monstres dont l’aspect étonne ses regards.

44. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome xviii » pp. 84-92

Thiers est l’homme qui a déployé le plus d’habileté pour amener insensiblement à ses fins, pour mouvoir et conduire les grandes assemblées. Ce n’est point de hauteur et d’autorité comme d’autres grands orateurs, ses rivaux, ce n’est point sur des majorités organisées et compactes qu’il agissait d’ordinaire, d’une parole tranchante et d’un geste décisif : lui, il persuadait, il s’insinuait, il avait faveur ; par la clarté spécieuse de ses exposés, par l’abondance et le flot accumulé et limpide de ses déductions, il amenait ceux mêmes qui ne se croyaient point de son groupe et de son armée à conclure comme lui, à agir et voter comme lui, et dans un sens où la plupart n’auraient point pensé être conduits d’abord. […] Thiers, au contraire, semble par moments s’être méfié davantage de sa plume, et il a redoublé, à l’égard des personnes, de précautions et de ménagements qui sont chez lui du meilleur, goût ; il y a mis proprement de la courtoisie ; mais le résultat, le fin mot est le même : l’impossibilité d’une durée pour ce premier essai de Restauration si mal conduit est également évidente.

45. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VII. Dernières preuves à l’appui de nos principes sur la marche des sociétés » pp. 342-354

De même que les poètes guidés par leur art portèrent les personnages et les masques sur le théâtre, les fondateurs du droit, conduits par la nature, avaient dans des temps plus anciens, porté sur le forum les personnes (personas) et les emblèmes110. — Incapables de se créer par l’intelligence des formes abstraites, ils en imaginèrent de corporelles, et les supposèrent animées d’après leur propre nature. […] On l’a dit souvent, les hommes, pris séparément, sont conduits par l’intérêt personnel ; pris en masse, ils veulent la justice. […] Si la Providence n’eût ainsi conduit les choses humaines, on n’aurait pas eu la moindre idée ni de science ni de vertu.

46. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

Catinat, il faut le dire, ne vit dans cette guerre si mauvaise qu’il allait faire à de pauvres montagnards pour leur religion, et dans la part principale qu’il y devait prendre, qu’une marque nouvelle de la confiance du roi et une occasion d’avancement : il était militaire avant tout, et chargé en chef, pour la première fois, d’une expédition difficile, il eut un mouvement de joie ; il ne raisonna point sur la légitimité de l’entreprise, il ne s’occupa que de prendre ses mesures pour la conduire le mieux possible et le plus vivement. […] Enfin il s’est mis sur son trône, et commence à se conduire comme un maître qui a la force à main. » Victor-Amédée donc, en personne, et Catinat général, son allié, s’avancèrent en forces pour tout réduire, pour nettoyer ces vallées de leurs habitants et les purger d’un des cultes les plus sincères et les plus innocents qui aient jamais été adressés à l’Éternel. […] Bref, le résultat désiré fut obtenu et le miraculeux retour s’accomplit ; après une marche des plus aventurées et des plus périlleuses le long des hautes frontières, le petit troupeau Vaudois conduit par Arnaud était rentré et avait repris pied dans ses vallées dès le 1er septembre. […] Il remporta deux victoires en bataille rangée, celle de Staffarde (18 août 1690), et celle de La Marsaille (4 octobre 1693), eut quantité de beaux sièges, notamment celui de Nice et de Montmélian, n’éprouva que des échecs sans grande conséquence, ne compromit jamais rien, suffit à tout et maintint les affaires en tel point que le duc de Savoie revenu à résipiscence put lui dire en toute bonne grâce « qu’il avait reçu de lui des leçons et corrections dont il espérait profiter à l’avenir pour le service du roi. » Lorsque l’on considère l’ensemble de cette guerre après la conclusion, il semble qu’elle fasse un tout qui aurait perdu à être conduit autrement et qui est bien en harmonie avec les personnages en présence et avec les résultats obtenus. […] Depuis la bataille, je me conduis sur les lumières de la Cour, et mon mérite ne pourra être que dans l’exécution.

47. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Note »

J’ai été séparé de mes amis ; je n’ai pu conduire les premières années de mes enfants ; et, aujourd’hui, dans le vingt et unième de ces tristes printemps, j’ignore quelle région j’habiterai dans quelques mois et dans quelle autre peut-être sera ma fille. […] Son économie lui permet de se conduire avec ses amis selon sa manière de voir en cela, quand les circonstances le demandent ; et ses simples connaissances le trouvent prompt à rendre… » (Ici une lacune.) […] « De bonne heure j’ai demandé aux hommes quelle loi il fallait suivre ; quelle félicité on pouvait attendre au milieu d’eux, et à quelle perfection les avaient conduits quarante siècles de travaux : ce qu’ils me répondirent me parut étrange ; ne sachant que penser de tout le mouvement qu’ils se donnent, j’aime mieux livrer mes jours au silence et achever dans une retraite ignorée le songe incompréhensible. […] Les gendarmes, qui venaient de saisir mon contrat de mariage, me conduisirent à Besançon, comme jeune prêtre déporté, mais rentré pour fanatiser les campagnes.

48. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

Goethe voulait peindre un être souffrant par toutes les affections d’une âme tendre et fière ; il voulait peindre ce mélange de maux, qui seul peut conduire un homme au dernier degré du désespoir. […] La lecture de Werther apprend à connaître comment l’exaltation de l’honnêteté même peut conduire à la folie ; elle fait voir à quel degré de sensibilité l’ébranlement devient trop fort pour qu’on puisse soutenir les événements même les plus naturels. On est averti des penchants coupables, par toutes les réflexions, par toutes les circonstances, par tous les traités de morale ; mais lorsqu’on se sent une nature généreuse et sensible, on s’y confie entièrement, et l’on peut arriver au dernier degré du malheur, sans que rien vous ait fait connaître la suite d’erreurs qui vous y a conduit. […] Pour que les événements inventés vous captivent, il faut qu’ils se succèdent avec une rapidité dramatique ; pour que les raisonnements amènent la conviction, il faut qu’ils soient suivis et conséquents ; et quand vous coupez l’intérêt par la discussion, et la discussion par l’intérêt, loin de reposer les bons esprits, vous fatiguez leur attention ; il faudrait beaucoup moins d’efforts pour suivre le fil d’une idée aussi loin que la réflexion peut la conduire, que pour reprendre et quitter sans cesse des raisonnements interrompus et des impressions brisées.

49. (1865) Introduction à l’étude de la médecine expérimentale

C’est là une observation spontanée ou passive que le médecin fait par hasard et sans y être conduit par aucune idée préconçue. […] On est donc conduit ainsi par ces deux voies opposées au même résultat, c’est-à-dire à fausser la science et les faits. […] Mais, dans tous ces cas, l’esprit de l’homme fonctionne toujours de même par syllogisme ; il ne pourrait pas se conduire autrement. […] Ainsi, disait-il, d’après la forme des leviers osseux, on conçoit un mouvement déterminé ; d’après la disposition des conduits sanguins, des réservoirs de liquides, des conduits excréteurs de glandes, on comprend que des fluides soient mis en circulation ou retenus par des dispositions mécaniques que l’on explique. […] Je mis donc à découvert sur un chien la glande sous-maxillaire, ses conduits, ses nerfs et ses vaisseaux.

50. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le Général Franceschi-Delonne : Souvenirs militaires, par le général baron de Saint-Joseph. »

Un sentier incliné et très roide y conduisait ; nos chevaux y passèrent, non sans danger, et le général, M.  […] L’abord de la rive opposée offrit quelques difficultés ; un chemin détourné nous conduisit sur un plateau qui domine le fleuve, à une grande élévation. […] L’escorte nouvelle que leur avait donnée la Junte, composée de vingt hommes d’infanterie, les conduisit à Grenade. […] L’adjudant (du gouverneur de l’Alhambra) entre et nous conduit sur la terrasse de la tour. […] Je le priai de venir, et je le conduisis moi-même auprès du lit de notre ami… Le général sourit, accueillit on ne peut mieux le bon ecclésiastique et lui dit ce qu’il voulut.

51. (1890) L’avenir de la science « II »

C’est le moment correspondant à celui où l’enfant, conduit jusque-là par les instincts spontanés, le caprice et la volonté des autres, se pose en personne libre, morale et responsable de ses actes. […] Je dirai bientôt comment le char dirigé par de telles mains ne pouvait d’abord être si bien conduit que quand il marchait tout seul, et comment il devait aller se briser dans un abîme. […] Il n’en fut plus ainsi, aussitôt que l’humanité voulut se conduire elle-même et reprendre en sous-œuvre le travail instinctif des siècles. […] D’ailleurs, le pas n’est plus à faire : l’humanité s’est définitivement émancipée, elle s’est constituée personne libre, voulant se conduire elle-même, et supposé qu’on profite d’un instant de sommeil pour lui imposer de nouvelles chaînes, ce sera un jeu pour elle de les briser. […] Un jour viendra où la raison éclairée par l’expérience ressaisira son légitime empire, le seul qui soit de droit divin, et conduira le monde non plus au hasard, mais avec la vue claire du but à atteindre.

52. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Loutherbourg » pp. 258-274

Au pied de ce rocher, un voyageur conduit un cheval chargé de bagage. […] Tout à fait sur le devant, au bord de l’étang formé des eaux du torrent, sur un plan correspondant à l’intervalle qui sépare le voyageur qui conduit son cheval de la paysane affourchée sur son ânesse, c’est un pâtre qui mène ses bestiaux à l’étang. […] Il s’agit bien de montrer ici un homme qui passe ; là un pâtre qui conduit ses bestiaux, ailleurs, un voyageur qui se repose ; en un autre endroit un pêcheur sa ligne à la main et les yeux attachés sur les eaux ! […] C’est qu’avant de se livrer à un genre de peinture, quel qu’il soit, il faudrait avoir lu, réfléchi, pensé ; c’est qu’il faudrait s’être exercé à la peinture historique qui conduit à tout. […] Fuyez, mes amis, fuyez… est-ce que les habitants des campagnes, au milieu des occupations qui leur sont propres, n’ont pas leurs peines, leurs plaisirs, leurs passions : l’amour, la jalousie, l’ambition ; leurs fléaux, la grêle qui détruit leurs moissons et qui les désole, l’impôt qui déménage et vend leurs ustensiles ; la corvée qui dispose de leurs bestiaux et les emmène ; l’indigence et la loi qui les conduisent dans les prisons ?

53. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre III. Du meilleur plan. — Du plan idéal et du plan nécessaire. »

« Pour bien écrire, il faut donc posséder pleinement son sujet ; il faut y réfléchir assez pour voir clairement l’ordre de ses pensées, et en former une suite, une chaîne continue, dont chaque point représente une idée ; et lorsqu’on aura pris la plume, il faudra la conduire successivement sur ce premier trait, sans lui permettre de s’en écarter, sans l’appuyer trop inégalement, sans lui donner d’autre mouvement que celui qui sera déterminé par l’espace qu’elle doit parcourir5. » Voilà bien comme il faut procéder. […] Nous étant fixé un but, il s’agit de choisir la voie le plus rapide pour y atteindre, la plus sûre pour y conduire autrui : il ne faut pas, sous prétexte de franchise et de hardiesse, aller par les endroits où l’on est certain de se casser le cou.

54. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

Tel homme est conduit par ses goûts naturels dans le port, où tel autre ne peut être porté que par les flots de la tempête ; et tandis que tout est calculé d’avance dans le monde physique, les sensations de l’âme varient selon la nature de l’objet et de l’organisation morale de celui qui en reçoit l’impression. […] Une distraction absolue étant impossible, j’ai essayé si la méditation même des objets qui nous occupent, ne conduisait pas au même résultat, et si, en approchant du fantôme, il ne s’évanouissait pas plutôt qu’en s’en éloignant. […] Je ne sais pas une délibération plus importante que celle qui conduirait à se faire un devoir de causer une peine, ou de refuser un service en sa puissance ; il faut avoir si présent à la pensée la chaîne des idées morales, l’ensemble de la nature humaine ; il faut être si sûr de voir un bien dans un mal, un mal dans un bien. […] La fureur, la vengeance s’allient, sans doute, avec l’enthousiasme, mais ces mouvements qui rendent cruels momentanément, n’ont point d’analogie avec ce qu’on a vu de nos jours, un système continuel, et, par conséquent, à froid de méconnaître toute pitié : Or quand cet affreux système existe dans les soldats, ils jugent leurs chefs tout comme leurs ennemis, ils conduisent à l’échafaud ce qu’ils avaient estimé la veille, ils appartiennent uniquement à la puissance d’un raisonnement, et dépendent par conséquent de tel enchaînement de mots qui se placera dans leurs têtes comme un principe et des conséquences.

55. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

Le bon ton avait réglé d’avance toutes les grandes et petites démarches, la manière de se déclarer à une dame et de rompre avec elle, d’engager et de conduire un duel, de traiter un égal, un subordonné, un supérieur. […] Après eux, Ducis, Thomas, Parny, Colardeau, Roucher, Delille, Bernardin de Saint-Pierre, Marmontel, Florian, tout le troupeau des orateurs, des écrivains et des politiques, le misanthrope Chamfort, le raisonneur Laharpe, le ministre Necker, les faiseurs de petits vers, les imitateurs de Gessner et de Young, les Berquin, les Bitaubé, tous bien peignés, bien attifés, un mouchoir brodé dans la main pour essuyer leurs larmes, vont conduire l’églogue universelle jusqu’au plus fort de la Révolution. […] Trait suprême du savoir-vivre qui, érigé en devoir unique et devenu pour cette aristocratie une seconde nature, se retrouve dans ses vertus comme dans ses vices, dans ses facultés comme dans ses impuissances, dans sa prospérité comme dans sa chute, et la pare jusque dans la mort où il la conduit. […] Mme de Merteuil était copiée d’après une marquise de Grenoble. — Notez les différences entre Lovelace et Valmont, l’un qui est conduit par l’orgueil, l’autre qui n’a que de la vanité.

56. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre I : De la méthode en général »

Malus, en regardant par hasard au travers d’une fenêtre du Luxembourg un morceau de spath d’Islande, fut conduit à la découverte de la polarisation de la lumière. […] Claude Bernard faisant voir qu’il y a plus de sucre dans les vaisseaux qui sortent du foie que dans ceux qui y conduisent est une expérience cruciale qui démontra contre toute objection que le foie sécrète du sucre. […] Assurément il faut observer les faits sans idée préconçue, autrement on ne verrait que ce qu’on voudrait voir ; mais cette première observation, dégagée de l’hypothèse, suggère elle-même une hypothèse, et c’est cette hypothèse qui provoque l’expérience et qui la conduit. […] « Une théorie établie sur vingt faits, dit-il, doit servir à en expliquer trente, et conduit à découvrir les dix autres ; mais presque toujours elle se modifie ou succombe devant dix faits nouveaux ajoutés à ces derniers25. » De là la nécessité du doute scientifique, qu’il ne faut pas confondre avec le scepticisme ; celui-ci doute de la science elle-même, le premier ne doute que des conceptions arbitraires de notre esprit.

57. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

Dès que les ouvrages de littérature ont pour but de remuer l’âme, ils approchent nécessairement des idées philosophiques, et les idées philosophiques conduisent à toutes les vérités. […] comment l’indépendance religieuse ne conduirait-elle pas au libre examen de toutes les autorités de la terre ? […] Ces progrès, au contraire, sagement conduits, ne sont jamais qu’une source de biens et de jouissances : si la plupart des hommes ont senti le besoin d’un avenir par-delà cette vie, d’un appel à l’inconnu dans les tourments de l’âme, ne faut-il pas, dans les intérêts même du monde, un principe de décision entre les opinions diverses, qui n’ont aucun rapport direct avec la morale, et sur lesquelles elle ne prononce point ?

58. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XV. Les jeunes maîtres du roman : Paul Hervieu, Alfred Capus, Jules Renard » pp. 181-195

Et si l’auteur n’avait traité qu’un épisode, nul doute qu’il l’eût bien conduit. […] Derrière toutes les façades, ce qui soutient et conduit ces êtres, c’est la question d’argent. […] L’amour de ce jeune homme pour cet enfant est désintéressé ; seulement c’est faute de l’argent nécessaire à l’enlèvement qu’il ne peut conduire sa vie comme il le voudrait.

59. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Louis XVI et sa cour »

Louis XVI et sa cour37 I Par un hasard qu’il a certainement le droit d’appeler heureux, Amédée Renée eut, dit-il, l’honneur inespéré d’être choisi pour finir, par un dernier volume, cette histoire de Sismondi que son auteur devait conduire jusqu’à la Révolution française, quand, arrivé au règne de Louis XVI, il fut emporté par la mort. […] « Il n’avait pas plus — selon Renée — l’ascendant et la force de consommer une grande réforme, que de conduire une révolution. » Et voilà par quel dernier mot l’auteur de Louis XVI le cloue dans une irrémédiable faiblesse et parachève l’histoire qu’il a faite, une par une, des débilités de ce roi sans force, qui n’eut pas même celle d’abdiquer ! […] Quand on aime les rois et qu’on a mieux pour eux que des larmes, quand on croit que les plus belles choses qu’il y ait encore sur la terre ce sont les pouvoirs qui conduisent les sociétés ou qui les défendent, on doit avoir réellement peur de toucher au cadavre décapité de Louis XVI à travers la pourpre de son sang répandu, plus inviolable à la postérité que ne le fut à ses contemporains sa pourpre royale.

60. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « A. P. Floquet »

I C’est en 1814 que le cardinal de Bausset publia cette Vie de Bossuet qui le conduisit à l’Académie. […] Doué de facultés prodigieuses, ce furent ces facultés qui le conduisirent vers les Sciences sacrées, à la recherche de la Vérité éternelle, comme l’étoile mystérieuse conduisit les Mages à la Crèche.

61. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. de Ségur : Mémoires, souvenirs et anecdotes. Tome III. »

Il s’y conduit à la fois en diplomate habile et en courtisan déjà consommé. […] M. de Ségur a conduit son récit jusqu’au moment de son retour en France, où la Révolution était déjà commencée.

62. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre I. De la sélection des images, pour la représentation. Le rôle du corps »

J’aperçois des nerfs afférents qui transmettent des ébranlements aux centres nerveux, puis des nerfs efférents qui partent du centre, conduisent des ébranlements à la périphérie, et mettent en mouvement les parties du corps ou le corps tout entier. […] Mon corps se conduit donc comme une image qui en réfléchirait d’autres en les analysant au point de vue des diverses actions à exercer sur elles. […] Nous sommes conduits, par là même, au troisième et dernier argument que nous voulions examiner. […] Nous saisissons ici, à son origine, l’erreur qui conduit le psychologue à considérer tour à tour la sensation comme inextensive et la perception comme un agrégat de sensations. […] Nous nous trouvons donc enfin conduits à l’hypothèse d’un ordre objectif et indépendant de nous, c’est-à-dire d’un monde matériel distinct de la sensation.

63. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 44, que les poëmes dramatiques purgent les passions » pp. 435-443

Un homme qui sçait quelles inquiétudes la passion de l’amour est capable de causer : un homme qui sçait à quelles extravagances elle conduit les plus sages, et dans quels périls elle précipite les plus circonspects, desirera très-serieusement de n’être jamais livré à cette yvresse. Or les poësies dramatiques, en mettant sous nos yeux les égaremens où les passions nous conduisent, nous en font connoître les symptômes et la nature plus sensiblement qu’un livre ne sçauroit le faire.

64. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre premier. Sujet de ce livre » pp. 101-107

Les choses les plus sublimes en ce monde, sont les connaissances que l’entendement et le raisonnement peuvent nous donner relativement à Dieu ; les choses les meilleures sont celles qui concernent le bien de tout le genre humain ; les premières s’appellent divines, les secondes humaines ; la véritable sagesse doit donc donner la connaissance des choses divines pour conduire les choses humaines au plus grand bien possible. […] Toutes se réunissent dans la contemplation de la Providence divine ; cette Providence qui conduit la marche de l’humanité, voulut qu’elle partît de la théologie poétique qui réglait les actions des hommes d’après certains signes sensibles, pris pour des avertissements du ciel ; et que la théologie naturelle, qui démontre la Providence par des raisons d’une nature immuable et au-dessus des sens, préparât les hommes à recevoir la théologie révélée, par l’effet d’une foi surnaturelle et supérieure aux sens et à tous les raisonnements.

65. (1864) Cours familier de littérature. XVII « Ce entretien. Benvenuto Cellini (2e partie) » pp. 233-311

Un pauvre aniero le conduit sur son âne jusque sur les marches de Saint-Pierre de Rome. […] Le cardinal, un peu fâché, me répondit : “Tu les feras alors pour le roi vers lequel je te conduirai, et non pour d’autres.” […] Le postillon qui me conduisait m’enseigna une bonne auberge, et je lui rendis son cheval, en oubliant de reprendre ma selle et mes étriers. […] C’est pourquoi je traversai à grands pas le pont au Change, et je suivis les bords de la Seine qui me conduisaient à mon logis. […] Il me conduisit dans un cabinet secret, et alors je lui montrai le plan du vieillard.

66. (1874) Premiers lundis. Tome I « Alexandre Duval de l’Académie Française : Charles II, ou le Labyrinthe de Woodstock »

« S’il ne réussissait pas, le jeune auteur, qui avait été trop répandu pour ne s’être pas fait quelques amis, trouvait, comme dédommagement à son infortune, une place dans l’administration ou dans les finances ; et, s’il était sage, il abandonnait pour jamais une carrière qui ne pouvait le conduire à la fortune. […] Des petits vers, quelques couplets, quelques brochures légères, deux tragédies, quelques comédies en un, deux ou trois actes, le conduisaient doucement à l’Académie, où la considération et les pensions l’attendaient. » Il y a dans ce dernier trait quelque chose d’équivoque et de presque épigrammatique à quoi l’on pourrait se méprendre ; mais M. Duval n’y a pas mis de malice, et il suffirait, pour justifier pleinement son intention, de rappeler un autre passage, où, parlant de cette fumée légère qu’on appelle renommée, il la trouve en effet désirable, dès qu’elle peut conduire vers la seule récompense que doit envier l’homme de lettres, l’Académie.

67. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXI » pp. 338-354

« Je ne sais pas combien de temps je serai ici (à la cour) ; j’y suis venue avec des dispositions soumises qui durent encore ; et je suis résolue, puisque vous l’avez voulu, de me laisser conduire comme un enfant, de tâcher d’acquérir une profonde indifférence pour les lieux et pour les genres de vie auxquels on me destinera, de me détacher de tout ce qui trouble mon repos et de chercher Dieu dans tout ce que je ferai. […] Dans le mois d’avril, madame Scarron, sous le nom de marquise de Suger, conduisit, comme son fils, le duc du Maine à Anvers, près d’un empirique qui devait rétablir la jambe de cet enfant dans l’état naturel. […] Cette appréhension qui conduit ou plutôt retient sa plume, toutes les fois qu’elle parle d’un bienfait du roi, est une des causes qui ont fait penser à un grand nombre de personnes que c’était une âme sèche et uniquement capable d’ambition.

68. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre premier. Astronomie et Mathématiques. »

Selon ce grand homme, il est prouvé « qu’une légère teinture de philosophie peut conduire à méconnaître l’essence première ; mais qu’un savoir plus plein mène l’homme à Dieu152. » Si cette idée est véritable, qu’elle est terrible ! […] « Notre connaissance, dit-il, étant resserrée dans des bornes si étroites, comme je l’ai montré, pour mieux voir l’état présent de notre esprit, il ne sera peut-être pas inutile… de prendre connaissance de notre ignorance, qui… peut servir beaucoup à terminer les disputes… si, après avoir découvert jusqu’où nous avons des idées claires… nous ne nous engageons pas dans cet abîme de ténèbres (où nos yeux nous sont entièrement inutiles, et où nos facultés ne sauraient nous faire apercevoir quoi que ce soit), entêtés de cette folle pensée que rien n’est au-dessus de notre compréhension 153. » Enfin, on sait que Newton, dégoûté de l’étude des mathématiques, fut plusieurs années sans vouloir en entendre parler ; et de nos jours même, Gibbon, qui fut si longtemps l’apôtre des idées nouvelles, a écrit : « Les sciences exactes nous ont accoutumés à dédaigner l’évidence morale, si féconde en belles sensations, et qui est faite pour déterminer les opinions et les actions de notre vie. » En effet, plusieurs personnes ont pensé que la science entre les mains de l’homme dessèche le cœur, désenchante la nature, mène les esprits faibles à l’athéisme, et de l’athéisme au crime ; que les beaux-arts, au contraire, rendent nos jours merveilleux, attendrissent nos âmes, nous font pleins de foi envers la Divinité, et conduisent par la religion à la pratique des vertus. […] Observons ici une de ces réactions si communes dans les lois de la Providence : les âges irréligieux conduisent nécessairement aux sciences, et les sciences amènent nécessairement les âges irréligieux.

69. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXI. Sainte Térèse »

Elle consulte partout et elle s’éprouve, et alors elle écrit les superbes pages de conseil et de précaution qui resteront pour l’instruction des âmes futures engagées sur ces escarpements, ces rebords de la vie spirituelle où tout pas conduit à un sommet, et tout sommet peut conduire à un gouffre. […] Il fallait qu’elle les sût pour les conduire, cette grande Directrice, qui les a conduites et soumises à un gouvernement inconnu des hommes, — le gouvernement de l’Amour !

70. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

Elle est facile à reconnaître, un enfant en bas âge y conduirait, car les maisons des Phéaciens ne ressemblent nullement à l’habitation d’Alcinoüs le héros. […] Nausicaé les conduit en usant adroitement du fouet, de telle sorte qu’Ulysse et ses compagnes, qui sont à pied, les puissent suivre. […] J’aimerais autant mépriser la main du pauvre enfant qui conduit l’aveugle, ou briser le bâton qui soutient le boiteux ! […] Son frère le conduisit lui-même chez sa fille, mariée à Elbeuf, nièce accoutumée à chérir et à soigner cet oncle, amour et orgueil de la famille. […] Il insistait ; on le conduisit à Puys, petit hameau de pêcheurs dans le voisinage de Dieppe.

71. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre V. Le génie et la folie »

Une littérature malade devait conduire naturellement les esprits réfléchis à cette conclusion : « Le génie n’est qu’une maladie. » Quels sont, suivant l’auteur, les caractères indubitables du génie ? […] Je crois donc que si l’on peut conclure quelque chose de l’argument par analogie, c’est que l’excitation cérébrale, qui constitue la folie ou qui y conduit, peut bien produire accidentellement un réveil de la mémoire et de l’imagination mécanique, qui simulera l’inspiration spontanée, mais que cet état en lui-même exclut absolument ce qui constitue le génie, la faculté d’invention. […] On peut ramener sa démonstration aux quatre propositions suivantes : 1° Les hommes de génie sont sujets à des bizarreries, des excentricités, des distractions, qui ressemblent beaucoup à la folie et qui peuvent y conduire. […] Ainsi le génie pourrait conduire à la folie ceux qui en abusent, sans qu’on puisse conclure de là qu’ils sont de la même famille.

72. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

On pourrait croire seulement qu’elle est funeste à la largeur des vues et doit conduire à une doctrine étroite : c’est là un écueil que M. de Tocqueville a su éviter. […] La tyrannie du souverain conduit à l’arbitraire des magistrats. […] De là vient que les uns réclamaient la liberté de la commune, la liberté de l’enseignement, la liberté de l’association, espérant ressaisir, ainsi leur influence perdue ; les autres, au contraire, que leurs principes auraient dû conduire à défendre toutes les libertés, ne voyaient dans certaines d’entre elles qu’un piège de la féodalité, du clergé et de l’aristocratie. […] Tocqueville est le premier qui, regardant la démocratie comme bonne en elle-même et inévitable, ait su voir qu’elle pouvait conduire au despotisme aussi bien qu’à la liberté : observation vulgaire chez tous les publicistes de l’antiquité, et cent fois vérifiée dans les petites républiques de la Grèce, mais qui, appliquée à toute la surface du monde civilisé, inspire à l’entendement et à l’imagination une singulière impression de religieux effroi.

73. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre II : Variations des espèces à l’état de nature »

Il arrive même souvent qu’une forme est considérée comme variété d’une autre, non parce que les liens intermédiaires sont actuellement connus, mais parce que l’analogie conduit l’observateur à supposer, ou qu’ils existent quelque part, ou qu’ils peuvent avoir existé jadis : une large porte s’ouvre alors aux doutes et aux conjectures. […] Je considère les variétés un peu plus distinctes et plus permanentes, comme les degrés qui conduisent à des variétés plus permanentes et plus fortement tranchées encore ; et ces dernières enfin comme formant le passage aux sous-espèces et aux espèces. […] En partant de ce principe que les espèces ne sont que des variétés bien tranchées et bien définies, je fus conduit à supposer que les espèces des plus grands genres en chaque contrée doivent aussi présenter un plus grand nombre de variétés que les espèces des plus petits genres ; car, partout où un grand nombre d’espèces étroitement alliées, c’est-à-dire du même genre, ont été formées, beaucoup de variétés ou espèces naissantes doivent, en règle générale, être actuellement en voie de formation. […] J’ai essayé d’établir cette proportion mathématiquement à l’aide de moyennes, et, aussi loin que mes calculs incomplets ont pu me conduire, ils la confirment entièrement.

74. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Platon, et Aristote. » pp. 33-41

Quelle gloire pour l’un & l’autre Philippe, en parlant de son fils, écrivoit au philosophe : « Je rends moins grace aux dieux de me l’avoir donné, que de l’avoir fait naître pendant votre vie. » Paroles bien remarquables, ainsi que celles d’Alexandre, qui sont l’expression de la reconnoissance la plus vive : « Je dois le jour à mon père : mais, je dois à mon précepteur l’art de me conduire. […] Aristote ne voulut plus se conduire que par lui-même, par ses principes & ses idées.

75. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — VI »

∾ « Commune, Département, Église, École, ce sont-là, dans une nation, à côté de l’État, les principales sociétés qui peuvent grouper des hommes autour d’un intérêt commun et les conduire vers un but marqué : d’après ces quatre exemples, on voit déjà de quelle façon, à la fin du xviiie  siècle et à la fin du xixe , nos politiques et nos législateurs ont compris l’association humaine. […]  » A ces tissus, il impose une forme et prescrit une œuvre ; par suite, sur chaque organe, il applique du dehors et d’en haut ses ligatures, ses appareils mécaniques de direction et de compression, de beaux cadres systématiques et rigides ; tous ces cadres prohibitifs et préventifs, il les maintient en place ; partant, sous prétexte de conduire le travail organique, il le dévie ou l’enraye ; à force d’ingérence, de refoulements et de tiraillements, il parvient à fabriquer des organes artificiels et médiocres qui tiennent la place des bons et empêchent les bons de repousser.‌

76. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

S’il n’y atteint pas, la faute est à nous qui l’avons mal préparé ; il y arrivera, si nous prenons la peine de l’y conduire. […] Car la théorie a deux faces, et, tandis que d’un côté elle conduit à la démolition perpétuelle du gouvernement, elle aboutit de l’autre à la dictature illimitée de l’État. […] Premier-né, fils unique et seul représentant de la raison, il doit, pour la faire régner, ne rien laisser hors de ses prises  En ceci l’ancien régime conduit au nouveau, et la pratique établie incline d’avance les esprits vers la théorie naissante. […] Vous n’avez ni Parlement, ni États, ni gouverneurs ; ce sont trente maîtres des requêtes, commis aux provinces, de qui dépendent le bonheur ou le malheur de ces provinces, leur abondance ou leur stérilité. » En fait, le roi, souverain, père et tuteur universel, conduit par ses délégués les affaires locales, et intervient par ses lettres de cachet ou par ses grâces jusque dans les affaires privées. […] Sans pouvoir obliger personne à les croire, il faut bannir de l’État quiconque ne les croit pas ; il faut le bannir non comme impie, mais comme insociable, comme incapable d’aimer sincèrement les lois, la justice, et d’immoler au besoin sa vie à son devoir »  Prenez garde que cette profession de foi n’est point une cérémonie vaine : une inquisition nouvelle en va surveiller la sincérité. « Si quelqu’un, après avoir reconnu publiquement ces mêmes dogmes, se conduit comme ne les croyant pas, qu’il soit puni de mort ; il a commis le plus grand des crimes : il a menti devant les lois. » — Je le disais bien, nous sommes au couvent.

77. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre III. »

Quand je prendrais les ailes de l’Aurore et que je porterais ma tente aux confins des mers, là même, c’est ta main qui me conduira sur la route, ta main qui m’établira. […] Tu conduis par ta justice ce peuple que lu as délivré ; tu le mènes par ta force vers ton saint asile. […] « Conduis-le, plante-le sur la montagne de ton héritage, dans la demeure que tu t’es bâtie, dans le sanctuaire, ô Seigneur ! […] C’est dans les herbages abondants qu’il me fera reposer et près des eaux doucement ruisselantes qu’il me conduira. » Et ailleurs, avec plus d’étendue, dans un de ces cantiques nommés cantiques d’ascension que le peuple chantait en montant les degrés du temple : « Oh ! […] Ce chant d’Isaïe sur la ruine du roi de Babylone, cette réponse à d’insolentes menaces, cet orgueil du roi des rois brisé de si haut, ne nous conduisent-ils pas, comme par un même souvenir, aux grands jours de la Grèce, à l’invasion de Xerxès, à l’abandon d’Athènes, à la retraite victorieuse des Athéniens sur mer, à la fuite du barbare repassant l’Hellespont, à toutes ces merveilles, enfin, qu’a partagées et qu’a chantées le tragique Eschyle, contemporain du lyrique-Pindare, et, sous une autre forme, enfant du même génie ?

78. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Bonne fortune, en effet, car elles le conduisirent à l’Académie française, en dépit de leur légèreté qui leur valut tout d’abord les résistances du cardinal Fleury. […] « J’ai d’abord examiné les hommes, et j’ai cru que dans cette infinie diversité de lois et de mœurs, ils n’étaient pas uniquement conduits par leurs fantaisies. […] Il faut qu’il se conduise, et cependant il est un être borné, il est sujet à l’ignorance et à l’erreur, comme toutes les intelligences finies ; les faibles connaissances qu’il a, il les perd encore ; comme créature sensible, il devient sujet à mille passions. […] Voyons comment il se conduisit. […] « Avec cette délicatesse d’organes que l’on a dans les pays chauds, l’âme est souverainement émue par tout ce qui a du rapport à l’union des deux sexes ; tout conduit à cet objet.

79. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXVII » pp. 306-312

L'intérêt du sujet est grand, et l’historien a rempli tout ce sujet par sa lucidité parfaite, par son impartialité élevée, et par l’innombrable quantité de notions précises et nouvelles qu’il a su combiner et conduire. Ce livre est en effet admirablement composé et conduit ; on ne se perd pas un seul instant dans les détails, quoique il y en ait beaucoup en chaque branche spéciale, en finances, en administration, en stratégie, mais le tout est ramené à l’ensemble et concourt à la marche générale.

80. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre VI. Harmonies morales. — Dévotions populaires. »

Souvent le mort chéri, sortant du tombeau, se présentait à son ami, lui recommandait de dire des prières pour le racheter des flammes, et le conduire à la félicité des élus. […] Il s’agit seulement de savoir si leur but est moral, si elles tendent mieux que les lois elles-mêmes à conduire la foule à la vertu.

81. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIIe entretien. Littérature cosmopolite. Les voyageurs »

Ils croient fortement qu’elle est certaine et inaltérable, et ils se conduisent là-dessus de bonne foi. […] Le frère laïque me voulut conduire à Anarghie. […] Un aide des cérémonies le conduisait. […] L’envoyé de la Compagnie française suivait, conduit par un aide des cérémonies. L’agent de la Compagnie anglaise venait après, conduit par un pareil officier.

82. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Si j’ai le courage de descendre celles-là, elles me conduiront au côté gauche de la scène dont j’aurai fait tout le tour. […] Vous éprouveriez un violent supplice à voir expirer votre amie ; au bout de quelque temps votre mélancolie vous conduirait vers sa tombe et vous vous y asseieriez. […] Oui, mon ami, j’ai bien peur que l’homme n’allât droit au malheur par la voie qui conduit l’imitateur de nature au sublime. […] Imaginez au devant de ce rocher, et beaucoup plus voisine, une fabrique de vieilles arcades, sur le ceintre de ces arcades une plate-forme qui conduisait à une espèce de phare. […] Tout ce qui étonne l’âme, tout ce qui imprime un sentiment de terreur conduit au sublime.

83. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

L’ambassadeur américain455, homme pratique, explique à Washington avec une ironie grave la jolie parade académique et littéraire qui précède le tournoi politique et public. « Les discours sont lus d’avance dans une petite société de jeunes gens et de femmes, au nombre desquelles se trouve ordinairement la belle amie de l’orateur ou la belle dont il désire faire son amie ; et la société accorde très poliment son approbation, à moins que la dame qui donne le ton au petit cercle ne trouve à blâmer quelque chose, ce qui naturellement conduit l’auteur à remanier son œuvre, je ne dis pas l’améliorer. » Rien d’étonnant si, parmi de pareilles mœurs, les philosophes de profession deviennent des hommes du monde. […] Il veut comme eux changer la religion régnante, il se conduit en fondateur de secte, il recrute et ligue des prosélytes, il écrit des lettres d’exhortation, de prédication et de direction, il fait circuler les mots d’ordre, il donne « aux frères » une devise ; sa passion ressemble au zèle d’un apôtre et d’un prophète  Un pareil esprit n’est pas capable de réserve ; il est par nature militant et emporté ; il apostrophe, il injurie, il improvise, il écrit sous la dictée de son impression, il se permet tous les mots, au besoin les plus crus. […] Il y prend le dé de la conversation, conduit l’orgie, et par contagion, par gageure, dit à lui seul plus d’ordures et plus de « gueulées » que tous les convives476  Pareillement, dans ses drames, dans ses Essais sur Claude et Néron, dans son Commentaire sur Sénèque, dans ses additions à l’Histoire philosophique de Raynal, il force le ton. […] Il semble qu’il n’y ait plus qu’elle au monde ; du moins elle est partout et elle inonde tous les genres littéraires ; on ne s’inquiète pas si elle les déforme, il suffit qu’ils lui servent de conduits. […] Je ne reviens pas du culte que je lui ai rendu (car c’en était un) ; je ne me consolerai pas qu’il en ait coûté la vie à l’illustre David Hume qui, pour me complaire, se chargea de conduire en Angleterre cet animal immonde. » 482.

84. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Deuxième leçon »

(2) Sans doute, quand on envisage l’ensemble complet des travaux de tout genre de l’espèce humaine, on doit concevoir l’étude de la nature comme destinée à fournir la véritable base rationnelle de l’action de l’homme sur la nature, puisque la connaissance des lois des phénomènes, dont le résultat constant est de nous les faire prévoir, peut seule évidemment nous conduire, dans la vie active, à les modifier à notre avantage les uns par les autres. […] En effet, non seulement les diverses parties de chaque science, qu’on est conduit à séparer dans l’ordre dogmatique, se sont, en réalité, développées simultanément et sous l’influence les unes des autres, ce qui tendrait à faire préférer l’ordre historique ; mais en considérant, dans son ensemble, le développement effectif de l’esprit humain, on voit de plus que les différentes sciences ont été, dans le fait, perfectionnées en même temps et mutuellement ; on voit même que les progrès des sciences et ceux des arts ont dépendu les uns des autres, par d’innombrables influences réciproques, et enfin que tous ont été étroitement liés au développement général de la société humaine. Ce vaste enchaînement est tellement réel, que souvent, pour concevoir la génération effective d’une théorie scientifique, l’esprit est conduit à considérer le perfectionnement de quelque art qui n’a avec elle aucune liaison rationnelle, ou même quelque progrès particulier dans l’organisation sociale, sans lequel cette découverte n’eût pu avoir lieu. […] Telle est l’intime relation générale que la véritable observation philosophique, convenablement employée, et non de vaines distinctions arbitraires, nous conduit à établir entre les diverses sciences fondamentales. […] C’est une condition ordinairement fort négligée par les constructeurs d’échelles encyclopédiques, que de présenter comme distinctes les sciences que la marche effective de l’esprit humain a conduit, sans dessein prémédité, à cultiver séparément, et d’établir entre elles une subordination conforme aux relations positives que manifeste leur développement journalier.

85. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Histoire du roman dans l’Antiquité »

Lucius est un beau jeune homme et de bonne famille ; il a des affaires qui le conduisent en Thessalie : voyage redouté et désiré ! […] Cependant, tout en errant de porte en porte avec l’air d’abandon d’un mauvais sujet et là démarche incertaine d’un homme ivre, je me retrouvai tout à coup, sans le savoir, dans le marché aux comestibles… » Et quand, errant ainsi à travers la ville, il est venu à rencontrer une dame de qualité, Byrrhène, qui se trouve être une amie de sa famille ; quand cette dame, l’ayant conduit jusque chez elle et le voulant retenir pour hôte, essaye du moins de le mettre en garde contre l’hospitalité du vieux ladre chez qui il est descendu et dont la femme, lui dit-elle, est une magicienne du premier ordre et de la pire espèce, Lucius, à cette nouvelle inattendue, qu’il se trouve logé chez une magicienne, est saisi d’un plus violent désir de chercher précisément ce qu’on lui recommande defuir ; il ne sait que prendre, comme on dit, ses jambes à son cou pour courir de toutes ses forces au danger. […] Tout cela est bien conduit ; un air d’hilarité mal contenue qu’il remarque de temps en temps sur les visages de la foule tempère à peine l’effroi croissant de l’accusé ; mais lorsque, invité par le magistrat à soulever le manteau qui recouvre le cadavre des victimes, il se trouve n’avoir transpercé que des outres pleines de vin, — des outres qui étaient, il est vrai, enchantées ce soir-là, — un rire frénétique, inextinguible, éclate et monte jusqu’aux cieux. […] Mais, au lieu de rire et de secouer gaiement sa grossière enveloppe, il est pris dans un autre réseau plus subtil ; il se laisse conduire à des initiations redoutables, à la suite desquelles il est admis dans le collège des Pastophores, se faisant gloire désormais de montrer à tous sa tête rasée à large tonsure : circonstance curieuse à titre de témoignage : mais ce n’est plus là l’Apulée qu’il nous faut.

86. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Œuvres complètes de Molière »

Eudore Soulié a mis dans ses recherches méthode, suite, un plan ingénieux qui, à travers bien des détours et même de petites embûches, l’a conduit à bonne fin sur quelques points et peut le conduire à mieux encore. […] Soulié, que, le dimanche, dans la belle saison, on devait conduire les enfants chez leur grand-père pour leur faire prendre l’air des champs : « L’inventaire des objets restés dans la chambre de cette maison, occupée par les époux Poquelin, prouve qu’on trouvait là tout ce qui était nécessaire pour passer une nuit ; on n’y a oublié ni les boules de buis qui servaient sans doute de jouets aux enfants, ni la paire de verges destinée à les corriger. » Ce confort, cette opulence domestique de la maison Poquelin, tenaient en partie à la présence de la femme dans la maison : il est permis de le penser ; du moins, dans le dernier inventaire fait chez Jean Poquelin bien des années après, tout dénote négligence, désordre et abandon ; ce père, en vieillissant, n’était plus le même. […] Soulié va plus loin, et supposant cet axiome admis et accepté : « Montrez-moi la chambre à coucher d’une femme, et je vous dirai qui elle est », il conclut, non sans quelque couleur de raison et selon qu’on aime à le croire avec lui : « C’est donc de Marie Cressé que Molière tenait son esprit élevé, ses habitudes somptueuses et simples à la fois, sa santé délicate, son attrait pour la campagne hors de Paris, et désormais la mère de Molière, restée inconnue jusqu’à ce jour, aura sa place bien marquée dans les commencements de la vie de son premier-né. » Voilà où peuvent conduire, à toute force, des inventaires bien lus et finement commentés.

87. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — II. (Suite et fin.) » pp. 421-440

Il est curieux de comparer cette différence qui tient à celle des humeurs et comme au tempérament des deux esprits : Tout ce que vous me représentez, madame (écrit la princesse des Ursins), depuis que l’officier des gardes vint annoncer la venue de M. de Chamillart qui conduisait M. de Silly dans votre petite chambre de Marly, pendant que vous soupiez dans votre cabinet, jusqu’à ce que Sa Majesté vînt dire elle-même à la porte cette grande nouvelle, me paraît si naturel, que je crois vous avoir vue jeter votre serviette par terre, courant pour entendre ce que l’on disait ; Mme de Dangeau voler pour aller écrire à monsieur son mari ; Mme d’Heudicourt marcher comme si elle avait eu de bonnes jambes, sans savoir presque ce qu’elle faisait ; M. de Marsan sauter sur un siège pour se faire voir, malgré sa goutte, avec la même facilité que l’eût pu faire un danseur de corde. […] Ce qui est certain, c’est que la reine, chassant outrageusement Mme des Ursins de son cabinet, fit appeler M. d’Amezaga, lieutenant des gardes du corps, qui commandait son escorte d’honneur, lui ordonnant d’arrêter Mme des Ursins, de la faire monter sur-le-champ dans un carrosse et de la faire conduire aux frontières de France par le chemin le plus court et sans s’arrêter nulle part. […] Il les y conduisit marche par marche, comme un pasteur conduit des troupeaux…, etc. » Il s’agit de la campagne qui précéda celle de la victoire d’Almanza.

88. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 33, que la veneration pour les bons auteurs de l’antiquité durera toujours. S’il est vrai que nous raisonnions mieux que les anciens » pp. 453-488

Nous nous conduisons sans égard pour l’expérience le meilleur maître qu’ait le genre humain, et nous avons l’imprudence d’agir, comme si nous étions la premiere generation qui eut sçu raisonner. […] Que les particuliers se gouvernent comme s’ils devoient avoir leur ennemis pour héritiers, et que la géneration présente se conduise comme si elle devoit être le dernier rejetton du genre humain ; cela n’empêche pas que nous ne raisonnions mieux dans les sciences que n’ont fait tous les hommes qui nous ont précedé. […] Qu’on juge par ce récit, dont personne ne sçauroit contester la verité, si ce sont les doutes éclairez et les spéculations des philosophes qui les aïent conduits de principe en principe, du moins jusqu’aux expériences qui ont fait découvrir la pesanteur de l’air. […] Mais dès que ces veritez ont été mises en évidence, elles nous conduisent comme par la main à une infinité d’autres connoissances.

89. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « II  L’esprit scientifique et la méthode de l’histoire littéraire »

Un état d’esprit commun peut conduire dans des recherches diverses des esprits également scientifiques à des méthodes précisément contraires. On a confondu longtemps avec l’esprit scientifique même, la méthode de telle science, en raison des résultats précis où elle conduisait. […] L’acceptation des résultats où conduit la loyale obéissance à cette discipline forme un terrain solide de vérités acquises sur lequel ces hommes venus de tous les coins de l’horizon se rencontrent.

90. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre II. La mesure du temps. »

Cette règle paraît en effet bien naturelle, et cependant on est souvent conduit à y déroger. […] Dès lors pourquoi ne pas regarder l’un de ces ensembles comme la cause de l’autre, ce qui conduirait à considérer comme simultanés l’instant t de Jupiter et l’instant t + a de Saturne ? […] Seulement on serait conduit à remplacer la loi de Newton par une autre plus compliquée.

91. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre IV. Suite du parallèle de la Bible et d’Homère. — Exemples. »

» Si vous emmenez encore celui-ci, et qu’il lui arrive quelque accident dans le chemin, vous accablerez ma vieillesse d’une affliction qui la conduira au tombeau. […] Ce grand conseil de Dieu, qui conduit les affaires humaines, alors qu’elles semblent le plus abandonnées aux lois du hasard, surprend merveilleusement l’esprit. […] Tobie offre des ressemblances touchantes avec quelques scènes de l’Iliade et de l’Odyssée : Priam est conduit par Mercure, sous la forme d’un jeune homme, comme le fils de Tobie l’est par un ange, sous le même déguisement.

92. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Sainte Térèse » pp. 53-71

Elle consulte partout et elle s’éprouve, et alors elle écrit les superbes pages de conseil et de précaution qui resteront pour l’instruction des âmes futures engagées sur ces escarpements, ces rebords de la vie spirituelle où tout pas conduit à un sommet, et tout sommet peut conduire à un gouffre. […] Il fallait qu’elle les sût pour les conduire, cette grande Directrice qui les a conduites et soumises à un gouvernement inconnu des hommes, — le gouvernement de l’Amour !

93. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

L’analyse des principes du gouvernement, l’examen des dogmes religieux, l’appréciation des hommes puissants, tout ce qui pouvait conduire à un résultat applicable, leur était totalement interdit. […] Je me borne seulement à tracer la route qui a conduit les esprits, depuis le siècle de Louis XIV jusqu’à la révolution de 1789.

94. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Avertissement »

C’est de cette manière, ajouta-t-elle, que je lui ai montré, et vous avez vu les jolies lettres qu’il a faites.” » Ainsi conduit et dirigé, en effet, l’enfant, après plusieurs épreuves, sentira, tirera lui-même cette conclusion, « que le principal, pour bien écrire, est d’exprimer clairement et simplement ce que l’on pense ». […] L’essentiel est de lire les réflexions développées dans ce volume, d’une manière désintéressée, sans le vulgaire désir d’y apprendre des procédés rapides et mécaniques ; si l’on y prend des points de départ, des matériaux, une direction, un stimulant, pour penser par soi-même, pour comprendre comment les écrivains bâtissent leurs ouvrages, ordonnent et expriment leurs conceptions, et comment on doit soi-même travailler, insensiblement l’esprit, familiarisé avec les grandes lois de l’art d’écrire, dont il aura pénétré la vérité et mesuré la portée, s’y conformera en composant, et il conduira, disposera, traduira ses pensées selon des règles qui ne seront plus logées dans la mémoire, mais feront partie de lui-même et auront passé dans sa substance.

95. (1933) De mon temps…

Cette curiosité le conduisait dans tous les mondes et dans tous les milieux, les plus fermes comme les plus accessibles. […] Je n’y fus pas retenu par ce sentiment d’admiration, de sympathie et d’amitié qui me conduisait, chaque semaine, aux samedis de José-Maria de Heredia et aux mardis de Mallarmé. […] Un autre soir, Mallarmé nous conduisait avenue Henri-Martin, à la villa qu’avait habitée Lamartine. […] Il choisit ses mots avec une minutieuse exactitude et conduit sa phrase avec une charmante et fine rigueur. […] La lecture de ces livrets n’était pas aisée et il fallait pour les déchiffrer en avoir la clé, mais, l’avait-on, elle vous conduisait à des absurdités volontaires et à des énigmes vides de sens.

96. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLIXe Entretien. L’histoire, ou Hérodote »

Le troisième ou le quatrième jour après son arrivée, les domestiques de Crésus, suivant ses ordres, conduisirent Solon dans les chambres qui contenaient les trésors du roi, et lui montrèrent les immenses richesses qu’elles renfermaient et le bonheur de Crésus. […] Darius, pressé de satisfaire sa curiosité, ordonna à quelques-uns de ses gardes d’aller observer ce que cette femme ferait du cheval qu’elle conduisait. […] Ainsi les Péoniens, connus sous le nom de Siropéoniens et de Péoples, et ceux qui habitent le pays qui s’étend jusqu’au lac de Prasias, furent arrachés à leurs demeures et conduits en Asie. […] Les Péoniens soumis furent, comme je l’ai dit, conduits en Asie. […] « Les Lacédémoniens prétendent, et en cela ils ne sont d’accord avec aucun poëte, que ce ne furent pas les fils d’Aristodémus, mais Aristodémus lui-même, fils d’Aristomachus, petit-fils de Cléodéus, et arrière-petit-fils d’Hyllus, qui les conduisit dans la contrée qu’ils possèdent aujourd’hui.

97. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre II. Les couples de caractères généraux et les propositions générales » pp. 297-385

Deux artifices de méthode nous conduisent au but. […] L’expérience commencée nous a conduits aux premières ; l’expérience prolongée nous conduit aux secondes. […] En plusieurs cas, et notamment dans ceux où nous ne pouvons suivre rigoureusement la méthode des différences, ce troisième moyen est très utile et nous conduit par une autre voie au même but. […] Les substances polies qui conduisent le plus mal la chaleur sont celles qui s’imprègnent le plus de rosée ; celles qui conduisent le mieux la chaleur sont celles qui s’en humectent le moins : d’où l’on conclut que l’apparition de la rosée est liée au pouvoir que possède le corps de résister au passage de la chaleur. […] Car les témoignages de l’œil et de l’imagination devancent et confirment les conclusions de l’analyse ; nous sommes conduits à l’axiome par une suggestion préalable, et nous y sommes maintenus par une vérification ultérieure.

98. (1813) Réflexions sur le suicide

Je me flatte de présenter quelques aperçus nouveaux sur les motifs qui peuvent conduire à cette action, et sur ceux qui doivent en détourner. […] D’ordinaire le Dévouement conduit plutôt à recevoir la mort qu’à se la donner ; cependant il y a chez les Anciens des Suicides de dévouement. […] Toute autre règle de jugement conduit nécessairement à l’erreur. […] La main retient les rênes des coursiers qui nous conduisent, la pensée ne peut conquérir un instant sur la mort. […] il marchait au supplice d’un pas aussi ferme que s’il eût commandé ceux qui l’y conduisaient.

99. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Je sais encore que si cette même vérité la conduit un jour aux abîmes, d’où les forces unies de toutes les divinités du globe ne parviendraient pas à la retirer, il n’y aura personne à maudire, nul principe à renier : car c’est Dieu lui-même qui l’aura voulu, la France ayant obéi à son devoir de fille soumise. […] Bossuet semble se rabaisser volontairement au rôle d’un valet, dont l’unique préoccupation est d’envelopper son maître de louanges tellement hyperboliques que celui-ci bientôt enivré, se laisse peu à peu conduire par l’adroit flagorneur. […] Et le despote, malgré sa vanité bouffonne, conduit en laisse par l’Église comme il l’avait été par ses maîtresses, obéit au perfide conseil de celui qui l’avait peu à peu conquis à la fois par son grand air et par ses flatteries. […] Ces ruines, en effet, ce ne sont pas uniquement celles de l’« hérésie », celles d’un petit peuple endurant et fier, ce sont aussi les ruines de la France, que cette élite conduisait lentement à l’avenir, et qui demeure sans force, comme prostrée, après ce coup de poignard dont l’Église l’a frappée au cœur. […] « Ou vous serez des nationaux, et en tant que nationaux, vous renierez ceux qui conduisirent la nation à sa ruine.

100. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

Un juge impartial, le chancelier d’Aguesseau, a heureusement défini son principe de conduite, et a tracé de lui, à cette occasion, le beau portrait dont voici les points principaux : « François de Harlay, prélat d’un génie élevé et pacifique, auquel il n’aurait rien manqué s’il avait su autant édifier l’Église qu’il était capable de lui faire honneur par ses talents et de la conduire par sa prudence, se conduisait lui-même avec tant d’habileté qu’il réussissait presque toujours également à contenir la vivacité de ceux qu’on appelait Jansénistes, et à éluder, au moins en grande partie, les coups des Jésuites. […] Vingt-quatre ans de domination sont un long règne, et il y avait ce temps que l’archevêque conduisait l’Église de France en véritable primat. […] Voici ce que je veux dire : M. le premier président (de Harlay) et le Père de La Chaise se sont adressés au Père Gaillard pour le grand ouvrage ; le Père Gaillard a répondu qu’il y trouvait de grandes difficultés ; il a imaginé de faire un sermon sur la mort au milieu de la cérémonie, de tourner tout en morale, d’éviter les [louanges et la satire, qui sont deux écueils bien dangereux ; tout le prélude des oraisons funèbres n’y sera point ; il se jettera sur les auditeurs pour les exhorter ; il parlera de la surprise de la mort, peu du mort ; et puis, Dieu vous conduise à la vie éternelle ! 

101. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

De là on le conduisit chez l’ami de M. de Fontanes, M.  […] Les femmes tombaient en délire ; M. de Fontanes, attaché alors aux charmes de madame Bacciochi, se conduisit en ami sincère et désintéressé, et présenta Chateaubriand à la future grande-duchesse de Toscane et à Lucien Bonaparte. […] Avant son départ pour Rome, Lucien l’avait conduit à une fête chez le premier consul ; Bonaparte le reconnaissant dans la foule, s’approcha de lui, et lui dit : « En Égypte, j’étais toujours frappé quand je voyais les cheiks tomber à genoux au milieu du désert, se tourner vers l’orient, et toucher le sable de leur front. […] Artau, le conduisit à Saint-Pierre.

102. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Procès de Jeanne d’arc, publiés pour la première fois par M. J. Quicherat. (6 vol. in-8º.) » pp. 399-420

Ces conseils, c’était de se bien conduire, de fréquenter l’église, et aussi d’aller en France. […] La voix permit à Jeanne d’éluder cette défense, et, sous prétexte d’aller chez un oncle qui demeurait près de là, elle quitta le village natal, puis se fit conduire par cet oncle au capitaine Robert de Baudricourt qui commandait à Vaucouleurs. […] Jeanne s’était fait conduire sur ces entrefaites au duc de Lorraine, qui lui avait donné quelque argent. […] Aussi presque tous ceux qui lui sont favorables (et tous le sont plus ou moins dans le procès de réhabilitation) s’attachent-ils à croire et à faire croire qu’elle ne s’est jamais donnée que comme destinée à un rôle très particulier, par exemple à faire lever le siège d’Orléans et à conduire le roi à Reims, rien de plus.

103. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) «  Mémoires de Gourville .  » pp. 359-379

Il profite d’un moment de mieux pour faire ce que tout bon serviteur et fidèle sujet faisait alors : de même qu’il s’arrange pour se réconcilier avec Dieu, Gourville veut voir une dernière fois le roi ; il se fait conduire sur son passage à Versailles, reçoit de lui un dernier mot d’attention et de bonté, et, ce devoir accompli, il rentre dans sa chambre pour n’en plus sortir. […] Il m’y conduisit dans son carrosse ; et, comme il n’y avait aucune personne de considération, il me mit dans une chambre au premier qui était la plus commode de toutes. Le bonheur de Gourville ne l’abandonne même pas à la Bastille ; il y est conduit aussi doucement et logé aussi commodément que possible. […] À la vérité, je ne me souvenais pas trop bien de la courante que j’apprenais quand on vint me prendre pour me conduire à la Bastille, outre que je n’avais pas grande disposition à la danse, étant devenu fort gros depuis ce temps-là ; mais je prenais un grand plaisir à la chasse du cerf, que je courais assez souvent, aussi bien qu’à celle du lièvre, où les dames venaient dans deux carrosses.

104. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

L’étude des rapports de l’individu et du corps social qui constitue la sociologie d’aujourd’hui, nous conduit fatalement, l’analogie des deux organismes étant admise, à celle des rapports du corps social et de la société humaine dans son ensemble. […] Nous sommes donc naturellement conduits à éclaircir le rapport de ces deux derniers termes. […] Comment le savant ne pourrait-il se sentir solidaire du savant, attaché aux mêmes problèmes, conduit par le même espoir spirituel ? […] L’« étranger », pour elle, demeure l’ennemi ; et si deux individus de nationalité différente se conduisent humainement l’un vers l’autre, c’est-à-dire sympathisent, elle ne laisse pas d’en être profondément étonnée… Pour la majorité compacte, la cité moderne est encore la cité antique, exclusive et farouche.

105. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Préface »

Dégagée de tout parti pris, la curiosité devient scientifique et se porte tout entière vers les forces intimes qui conduisent l’étonnante opération. […] Une multitude de Mémoires, sortis depuis trente ans des archives publiques ou privées, nous conduisent de salon en salon, comme si nous y étions présentés.

106. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 312-324

On a compris que ces Sirenes perfides ne cherchoient à flatter les hommes par leurs chants, que pour les conduire à des écueils, & se repaître du spectacle de leur naufrage. […] La fausse clarté de ceux-ci n’est que le produit de la corruption, s’éteint avec elle : l’autre est une clarté, dont l’éclat soutenu ne permet pas de méconnoître le vrai Guide destiné à nous conduire.

107. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre III. Parallèle de la Bible et d’Homère. — Termes de comparaison. »

Un hôte se présente-t-il chez un prince dans Homère, des femmes, et quelquefois la fille même du roi, conduisent l’étranger au bain. On le parfume, on lui donne à laver dans des aiguières d’or et d’argent, on le revêt d’un manteau de pourpre, on le conduit dans la salle du festin, on le fait s’asseoir dans une belle chaise d’ivoire, ornée d’un beau marchepied.

108. (1761) Salon de 1761 « Récapitulation » pp. 165-170

Ensuite un escalier de bois qui conduit à l’étage au-dessus. Sur le devant, à terre, dans l’espace vide que laissent les figures, proche des pieds de la mère, une poule qui conduit ses poussins auxquels la petite fille jette du pain ; une terrine pleine d’eau, et sur le bord de la terrine, un poussin, le bec en l’air, pour laisser descendre dans son jabot l’eau qu’il a bue.

109. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 3, que l’impulsion du génie détermine à être peintre ou poëte, ceux qui l’ont apporté en naissant » pp. 25-34

C’est le génie de ces grands hommes qui les a été chercher, pour ainsi dire, dans la maison de leurs parens, afin de les conduire sur le Parnasse. […] Aucun d’eux n’étoit même engagé dans l’emploi d’instruire la jeunesse, ni dans les autres fonctions, qui conduisent insensiblement un homme d’esprit jusques sur le Parnasse.

110. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVIe Entretien. Marie Stuart (reine d’Écosse) »

Il l’a conduisit au milieu des camps, qu’elle ravit par ses charmes et par son courage. […] Elle se vanta hautement de conduire bientôt ses troupes écossaises et ses alliés catholiques du continent à la conquête de l’Angleterre, et au triomphe du pape jusqu’à Londres. […] La reine allait lui répondre, lorsque vint un de ses officiers, auquel elle demanda aussitôt si l’on avait conduit David en prison, et où ? […] Le tocsin avait sonné ; les bourgeois d’Édimbourg, conduits par le lord-prévôt, se rassemblèrent un instant autour d’Holyrood. […] Elles informent Bothwell, jour par jour, de l’état de la santé de Darnley et ses supplications pour que la reine lui rende ses priviléges de roi et d’époux, des progrès que les blandices de Marie Stuart font dans la confiance du jeune roi bercé d’espérances, de sa résolution de revenir avec elle partout où elle voudra le conduire, même à la mort, pourvu qu’elle lui rende son cœur et ses droits d’époux.

111. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIe Entretien. Marie Stuart, (Reine d’Écosse). (Suite et fin.) »

Il descendit de cheval, prit respectueusement la bride de celui de la reine, feignit une légère violence, et la conduisit, captive volontaire, dans son château de Dunbar, dont il était gouverneur comme lord des frontières. […] Les lords la conduisirent prisonnière à la citadelle d’Édimbourg. […] » Puis d’autres fois, s’attendrissant et prenant avec eux l’accent de suppliante : « Cher Lethington », disait-elle à ce conseiller de Murray, « toi qui as le don de persuader, parle aux lords, et dis-leur que je leur pardonne à tous, s’ils consentent à me réunir sur un vaisseau avec Bothwell, avec celui que j’ai épousé de leur consentement dans Holyrood, et s’ils nous laissent aller au hasard des flots, où le vent et la mer nous conduiront. » Elle écrivait les lettres les plus passionnées à Bothwell, lettres interceptées aux portes de sa prison par ses geôliers. » Enfin, on la conduisit, sous une faible escorte, tant le pays lui était hostile, au château de Lochleven, appartenant aux Douglas. […] Elle ordonna, sous peine de la vie, aux mariniers de la conduire à la côte ; mais, sans faire attention à ses paroles, ils ramèrent aussitôt en sens contraire, lui promettant le secret, surtout envers le lord à la garde duquel elle était confiée. […] Là, ils s’arrêtèrent, Bourgoing expliqua à la reine le scrupule étrange de ses gens, qui désiraient ne pas avoir l’air de la conduire à la boucherie.

112. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre IV : La Volonté »

C’est par les sensations tactiles qu’on dresse les animaux ; on leur inflige une douleur pour les conduire au but qu’on désire. […] nous conduisons l’esprit vers une région d’idées sérieuses. […] Considéré comme moyen de conduire à des résultats plus élevés, l’ouvrage de M. 

113. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre VI : Règles relatives à l’administration de la preuve »

Les résultats auxquels conduit cette méthode ont donc besoin d’être interprétés. […] Mais il est impossible de comprendre comment l’instruction peut conduire au suicide ; une telle explication est en contradiction avec les lois de la psychologie. […] Non seulement il circonscrira ainsi, avec plus de discernement, l’étendue de ses comparaisons, mais il les conduira avec plus de critique ; car, par cela même qu’il s’attachera à un ordre restreint de faits, il pourra les contrôler avec plus de soin.

114. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Dans la plupart des grandes œuvres pessimistes, pour réaliser en un héros cet accablement définitif, l’auteur a été conduit à le dénuer de toute énergie. […] James Sully comme condition du bonheur, cette forte discipline de la volonté qui conduit à réaliser les désirs possibles et à se détourner des désirs insensés. […] Il n’y a pas, en grande littérature d’imitation volontaire, mais seulement des ressemblances naturelles d’esprit qui peuvent conduire certains écrivains à écrire tout naturellement comme d’autres oui écrit avant eux. […] Peu à peu, il y eut pour les vers toute une technique précise et compliquée qui conduisit aux raffinements du Parnasse. […] La sympathie, la pitié, l’horreur de la souffrance humaine, l’altruisme, en un mot, qui met dans l’âme de chacun un reflet de la douleur et de la joie de tous, sont les sentiments qui conduiront nécessairement à la reforme de la vie sociale.

115. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LE COMTE XAVIER DE MAISTRE. » pp. 33-63

Un jour il arriva à pied devant Turin ; la sentinelle l’arrêta à la porte, et, sur la vue de son visage, on le fit conduire entre deux fusiliers chez le gouverneur, qui l’envoya à l’hôpital ; de là on prit le parti de le diriger sur la Cité d’Aoste, où il résida par ordre. […] Viens-tu, conduit par la pitie, Partager les maux que j’endure ? […] Peut-être un jour dans la campagne, Conduit par tes goûts inconstants, Tu rencontreras deux enfants Qu’une mère triste accompagne : Vole aussitôt la consoler ; Dis-lui que son amant respire, Que pour elle seule il soupire ; Mais, hélas ! […] Bientôt, vivement poursuivi, Feins de vouloir te laisser prendre, De fleur en fleur va les attendre Pour les conduire jusqu’ici.

116. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Il me conduisit dans sa chambre et me fit asseoir sur le canapé en face de lui. […] mère (c’est à la mère de Goethe qu’elle adresse ce récit), peut-on se conduire comme je l’ai fait ! […] Il vit ce jeune homme ardent, enthousiaste, qui était emporté par son génie sans savoir le conduire. […] Tu m’as conduit, à travers un charmant labyrinthe d’opinions philosophiques, historiques et musicales, au temple de Mars, et dans tout et toujours tu conserves ta saine énergie… » Voilà bien le naturaliste contemplateur qui apprécie et réfléchit les impressions d’alentour, mais ne les partage pas.

117. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Voltaire et le président de Brosses, ou Une intrigue académique au XVIIIe siècle. » pp. 105-126

Voici quelles seraient les conditions que ma fantaisie, qui m’a toujours conduit, soumet à votre prudence. […] Quant à Voltaire, il est impossible, lorsqu’on le connaît bien et qu’on l’a vu en ses divers accès, de le prendre pour autre chose que pour un démon de grâce, d’esprit, et bien souvent aussi (il faut le dire) de bon sens et de raison, pour un élément aveugle et brillant, souvent lumineux, un météore qui ne se conduit pas, plutôt que pour une personne humaine et morale. […] Cet archi-fou, qui aurait pu être quelque chose s’il s’était laissé conduire par vous, s’avise de faire bande à part. » 22. [NdA] Depuis que ceci est écrit, lisant la correspondance du grand Frédéric avec Darget (tome XX des Œuvres de Frédéric le Grand, Berlin, 1852), j’y trouve des jugements d’une précision définitive et terrible : Voltaire s’est conduit ici en faquin et en fourbe consommé ; je lui ai dit son fait comme il mérite… Voltaire est le plus méchant fou que j’aie connu de ma vie, il n’est bon qu’à lire… Je suis indigné que tant d’esprit et de connaissances ne rendent pas les hommes meilleurs… Son caractère me console des regrets que j’ai de son esprit… Croiriez-vous bien que Voltaire, après tous les tours qu’il m’a joués, a fait des démarches pour revenir ?

118. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Plan, d’une université, pour, le gouvernement de Russie » pp. 433-452

Ne tourmentons pas l’homme inutilement, mais ne cherchons pas à arracher toutes les épines du chemin qui conduit à la science, à la vertu et à la gloire ; nous n’y réussirions pas. […] L’écrivain se laissera conduire par le fil naturel qui enchaîne toutes les vérités, qui les lie dans son esprit et les amène sous sa plume ; mais sa méthode ne peut convenir à un enseignement public. […] L’art de conduire sa maison et de conserver sa fortune. […] Les premiers principes de la science économique ou de l’emploi de son temps et de ses talents, ou l’art de conduire sa maison ou de conserver et d’accroître sa fortune.

119. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre IX. L’avenir de la Physique mathématique. »

. — Cette dynamique des électrons peut être abordée par bien des côtés, mais parmi les chemins qui y conduisent, il y en a un qui a été quelque peu négligé, et c’est pourtant un de ceux qui nous promet le plus de surprises. […] La première étude de ces distributions fait songer aux harmoniques que l’on rencontre en acoustique ; mais la différence est grande ; non seulement les nombres de vibrations ne sont pas les multiples successifs d’un même nombre ; mais nous ne retrouvons même rien d’analogue aux racines de ces équations transcendantes auxquelles nous conduisent tant de problèmes de Physique Mathématique : celui des vibrations d’un corps élastique de forme quelconque, celui des oscillations hertziennes dans un excitateur de forme quelconque, le problème de Fourier pour le refroidissement d’un corps solide.

120. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 40, si le pouvoir de la peinture sur les hommes est plus grand que le pouvoir de la poësie » pp. 393-405

Le poëte nous présente successivement, pour ainsi dire, cinquante tableaux qui nous conduisent comme par dégrez à cette émotion extrême, qui fait couler nos larmes. […] Le poëme est long-temps à ébranler l’ame avant que de la conduire à l’émotion qui la fait pleurer.

121. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxvie entretien. L’ami Fritz »

Sais-tu qu’elle conduit déjà tout à la ferme ? […] Il se charge d’y conduire ses amis, va chez le maître de poste et s’arrange avec lui pour une magnifique berline, deux chevaux de choix et le postillon Zimmer qui a eu l’honneur de conduire l’empereur Napoléon. […] Hâan semblait tout glorieux de son choix : il se redressait en arrangeant son jabot, et la grande fille, qui le dépassait de la moitié de la tête, avait l’air de le conduire. […] Ne sachant que répondre, il prit Christel par le bras, et le conduisit dehors, ainsi que Sûzel ; l’autre anabaptiste les suivait. […] On ne peut pas laisser les ouvriers seuls… Ma femme fait la cuisine, moi, je conduis la voiture… Si le temps changeait, qui sait quand nous rentrerions les foins ?

122. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

C’est ainsi que la civilisation, par des alternatives plus ou moins rapprochées, plus ou moins funestes, de repos et d’agitation, conduit les nations à leur décrépitude. […] Jadis le savoir conduisait quelques hommes à douter ; depuis, l’ignorance et la frivolité ont ouvert un plus large chemin. […] Cette route conduisait nécessairement aux plus nobles des sciences, à la religion et à la morale. […] Il est possible qu’un calcul bien entendu de ce bien-être conduise à une sorte de vertu. […] Ainsi la doctrine de la souveraineté du peuple conduit à ne pas prendre de précaution contre le pouvoir, et par là elle est pernicieuse à la liberté.

123. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

C’est à une critique morale autant que littéraire que nous aurons recours pour nous conduire et nous éclairer. […] Nous remplirons auprès de vous l’office des Cicérone qui, voulant faire admirer leur ville ou leur pays aux voyageurs, se hâtent de les conduire aux plus beaux monuments et aux sites les plus pittoresques. […] Pourquoi le talent de bien lire peut-il conduire au talent de bien parler ? […] L’éloquence de la chaire, du barreau et de la tribune, n’étant, comme la déclamation dramatique, qu’une conversation plus animée, plus vive, plus passionnée, le talent de bien exprimer les pensées des autres doit nécessairement conduire au talent de bien exprimer les siennes. […] « Comme le cavalier qui, ne connaissant pas « Le coursier qu’il conduit, trébuche à chaque pas, « Lecteur improvisé, prévoyant ma défaite, « Je pourrais dans ma chute entraîner le poète.

124. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre II : La Psychologie »

On dit que nous en avons conscience ; le reste est considéré comme non existant ; ce sont des impressions inconscientes qui peuvent conduire à l’action, mais ne sont pas des sensations. […] Ceci conduit à examiner la question des diverses formes de conscience. […] Et tandis que l’humeur envahissante de la physiologie la conduisait à étendre constamment son domaine, et même à en sortir de tout côté, la psychologie, confinée dans d’étroites limites, laissait échapper mainte portion de son domaine, et ne demandait qu’à subsister. […] Cette doctrine, qui s’accorde avec celle des écrivains français les plus autorisés, conduit M.  […] Mais l’analyse psychologique conduit à cette conclusion que les processus objectifs et subjectifs ne sont que deux aspects d’un seul et même fait : un aspect est le senti, l’autre est le sentant.

125. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Comment Pascal quitte de bonne heure la philosophie et les sciences pour la morale, et est conduit par la morale à la religion. — § III. […] Comment Pascal quitte de bonne heure la philosophie et les sciences pour la morale, et est conduit par la morale a la religion. […] Je crois que je suis, parce que je pense ; je crois à Dieu, je crois à l’immortalité de l’âme ; oui, sans doute et de toute la force de mon intelligence : est-ce assez pour me conduire dans la vie ? […] Cette âme dont Descartes a prouvé l’existence, Pascal s’occupera de la conduire. […] Il s’agit de savoir ce qu’il est, où il va, comment il doit se conduire dans la vie, quel sens donner à la vertu ou au vice, à la santé, à la maladie ; il s’agit d’un pari — il l’a dit lui-même — où la vie est engagée, où il importe, de toute la différence qu’il y a entre la vie et la mort, de mettre toutes les bonnes chances de son côté.

126. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

Demandez aux plus grands de ceux qui ont gouverné les hommes et qui ont le plus fait avancer leur nation ou leur race, à quelques croyances religieuses et métaphysiques qu’ils appartiennent, — Mahomet, Cromwell, Richelieu —, ils se sont tous conduits en vertu de l’expérience pure et simple, comme gens qui connaissent à fond l’homme pour ce qu’il esth, et qui, s’ils n’avaient pas été les plus habiles des gouvernants, auraient été les moralistes perspicaces les plus sévères. […] Je ne saurais trop, surtout, admirer l’art avec lesquel il conduit ses auditeurs, sans les en avertir, à travers des images qui leur sont familières, vers les objets qu’il a en vue, et la perfection avec laquelle il fait correspondre exactement ces images matérielles avec les vérités invisibles qu’il veut faire comprendre. […] M. de Tocqueville en prit occasion de venger la mémoire de Turgot, d’honorer son intention généreuse et celle du monarque ami du peuple ; cela le conduisit à une profession libérale des mêmes idées, des mêmes sentiments, qu’il rattachait à une grande, à une sainte, à une immortelle cause, où toutes les destinées de l’humanité étaient renfermées et comprises.

127. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

L’exaltation de ce qu’on appelle la philosophie, est une superstition comme le culte des préjugés ; les mêmes défauts conduisent aux deux excès contraires ; et c’est la différence des situations ou le hasard d’un premier mot, qui, dans la classe commune, fait de deux hommes de parti, deux ennemis, ou deux complices. […] Je commence par dire qu’il y a une époque de la révolution de France (la tyrannie de Robespierre) dont il me paraît impossible d’expliquer tous les effets par des idées générales, ni sur l’esprit de parti, ni sur toutes les autres passions humaines ; ce temps est hors de la nature, au-delà du crime, et, pour le repos du monde, il faut se persuader que nulle combinaison ne pouvant conduire à prévoir, à expliquer de semblables atrocités, ce concours fortuit de toutes les monstruosités morales, est un hasard inouï dont des milliers de siècles ne peuvent ramener la chance. […] Je le répète, en examinant tous les effets du fanatisme, on acquiert la démonstration, que c’est le seul sentiment qui puisse réunir ensemble des actions coupables et une âme honnête ; de ce contraste doit naître le plus effroyable supplice dont l’imagination puisse se faire l’idée : les malheurs qui sont causés par le caractère, ont leur remède en lui-même ; il y a, jusques dans l’homme profondément criminel, une sorte d’accord qui seul peut faire qu’il existe, et reste lui-même ; les sentiments qui l’ont conduit au crime lui en dérobent l’horreur ; il supporte le mépris par le même mouvement qui l’a porté à le mériter.

128. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

Dans ces sortes de spéculations, il y a toujours une part notable de conjecture ; on est tenu, lorsqu’on y est conduit, d’indiquer à chaque pas le degré de certitude ou de probabilité, comme on note la valeur d’un chiffre par l’exposant qu’on lui adjoint. […] Ici même, notre étude des sensations et des images nous a conduits à une hypothèse sur la structure, les connexions et le jeu intime des cellules cérébrales. […] Au lieu de fonder l’induction, comme Stuart Mill, sur une hypothèse simplement probable et applicable seulement dans notre groupe stellaire, on l’a rattachée à un axiome (tome II, ch. 3, § 3), ce qui change son caractère et conduit à une autre vue du monde.

129. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

. — Nous n’hésiterons pas à adopter cette interprétation pour un assez grand nombre de cas ; toutefois une enquête minutieuse nous a conduit ici à un résultat inattendu. […] Ici encore tout essai de reconstitution d’un acte émanant de la volonté même vous conduit à la constatation pure et simple du fait accompli. […] Ici encore les uns sont conduits à constater simplement que l’acte n’est pas encore accompli au moment où il va s’accomplir, les autres, qu’une fois accompli il l’est définitivement. […] Que sous l’influence des mêmes conditions extérieures je ne me conduise point aujourd’hui comme je me conduisais hier, cela n’a rien d’étonnant, parce que je change, parce que je dure. […] C’est pourquoi toute conception claire de la causalité, et où l’on s’entend avec soi-même, conduit à l’idée de la liberté humaine comme à une conséquence naturelle.

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