Disons-le nettement, avant de passer outre, et pour prévenir des confusions embarrassantes : Il y a bohèmes et bohèmes, comme il y a fagots et fagots ! […] Pour qu’un billet passe dans la circulation, il faut deux signatures. » Montrez-nous la seconde, s’il vous plaît ! […] Il n’est jamais de mal en bonne compagnie, a dit Voltaire, dans un conte peu honnête, avec cette fascinante légèreté qui fait passer pour spirituels les plus grands sophismes et les plus grandes bêtises de cet esprit pervers et dépravant ; car ce vers, si joli et si souvent cité, a le double caractère de l’erreur complète : il est à la fois bête et faux.
Pierre Dupont, qui aurait dû rester paysan, un jour a passé prolétaire. […] Des deux pieds battant mon métier, Je tisse, et ma navette passe ! Elle siffle, passe, repasse, Et je crois entendre crier Une hirondelle dans l’espace !
Dans ces temps de crise, où les gouvernements changent, et où les peuples agités passent de la liberté républicaine à une autre constitution, l’homme d’état a besoin de l’homme d’esprit ; Horace, par le genre du sien, était un instrument utile à Octave ; ses chansons voluptueuses adoucissaient des esprits rendus féroces par les guerres de liberté ; ses satires détournaient sur les ridicules, des regards qui auparavant se portaient sur le gouvernement et sur l’État ; sa philosophie, tenant à un esprit moins ardent que sage, prenant le milieu de tout, évitant l’excès de tout, calmait l’impétuosité des caractères et plaçait la sagesse à côté du repos ; enfin ses éloges éternels d’Octave accoutumaient au respect et faisaient illusion sur les crimes ; la génération, qui ne les avait pas vus, était trompée ; celle qui s’en souvenait, doutait presque si elle les avait vus. […] avec l’esprit qu’il a, on s’en passe ; la vie ? […] Le grave auteur des institutions oratoires, à la tête de son quatrième livre, ne rougit pas de donner le nom de censeur très saint, et de divinité favorable, à Domitien, à ce tyran jaloux, capricieux et lâche, sous qui le nom même de la vertu fut proscrit, qui n’eut que des vices, ne fit que des crimes, empoisonna peut-être Titus, et teint de sang, voulait être homme de lettres et passer pour juste.
On ne se passe pas plus de morale dans la vie que de boussole sur la mer. […] Les forts ont le droit et peut-être le devoir de s’en passer. « J’aime, disait ailleurs M. […] Il redoute les « ratés de l’individualisme », et objecte à Stirner que les individualités puissantes se passeront bien de ses théories. […] Bien qu’il ne se soit rien passé dans la vie de M. […] Gide pousse plus loin l’équivoque et veut passer pour un véritable chrétien.
Depuis Aristote, les logiciens ont passé leur temps à les polir. […] De la première on passe à la seconde, parce que la seconde est contenue dans la première. Du général on passe au particulier, parce que le particulier est contenu dans le général. […] Elle n’est que leur représentant, et à l’occasion ils se passent d’elle. […] Là est tout le secret de son passé et de son présent.
Nous avons tous passé par là. […] Mais s’il peut passer pour un heurt involontaire ? […] Que voyons-nous passer dans ces pages si vives ? […] Il passe d’un système à l’autre. […] C’est, si l’on veut, un assez bon acheminement. « Il faut avoir passé par là », ou plutôt on peut avoir passé par là.
L'an dernier, le roi de Prusse s’est arrangé et même gêné dans sa route vers l’Angleterre pour ne point passer par la France. […] on en sera venu à ce qu’il faut que tout le monde passe par les écoles éclectiques de l’État, pour éviter qu’il y ait trop de petites sectes ?
. — Printemps passé (1875). — Au fil de l’eau (1877). — Poèmes de Paris (1880). — Poésies d’Albert Mérat (1898). […] En se promenant, sans autre compagne même que sa rêverie ou cette vague musique que les poètes écoutent en leur cœur, dans le bruit et le silence des choses, comme il regarde, comme il devine tout, comme tout l’intéresse, l’émeut des mille détails de la vie qui passe !
Soulary possède à merveille la langue poétique de la Renaissance, et, grâce à l’emploi d’un vocabulaire très large, mais toujours choisi, il a trouvé moyen de dire, en cette gêne du sonnet, tout ce qu’il sent, ce qu’il aime ou ce qu’il n’aime pas, tout ce qui lui passe par le cœur, l’esprit ou l’humeur, son impression de chaque jour, de chaque instant. […] Il a comparé très joliment cette opération difficile de mettre dans un sonnet un peu plus qu’il ne peut tenir, et sans pourtant le faire craquer, à cette difficulté de toilette bien connue des dames et qui consiste à passer une robe juste et collante.
Ses Observations en général nous ont paru très-judicieuses, mais un peu trop séveres ; car si, comme il le dit lui-même dans un Ouvrage qu’il a donné depuis, les anciens Poëtes ne sauroient jamais être traduits que très-difficilement & toujours très-imparfaitement, on doit avoir de l’indulgence pour un Traducteur qui a su faire passer dans notre langue une partie des beautés de son original. […] J’ai eu la gloire de ne compter parmi mes ennemis, que les fanatiques, les esprits serfs, l’Auteur de l’Année Littéraire, & celui de cet Almanach de l’année passée, publié en trois gros volumes, sous le titre des Trois Siecles de notre Littérature ; Ouvrage sans esprit, quoique ce soit un Libelle, & très-obscur, quoiqu’on y déchire tous nos Grands Hommes ».
Quand la première saison est passée, quand le front se penche, quand on sent le besoin de faire autre chose que des histoires curieuses pour effrayer les vieilles femmes et les petits enfants, quand on a usé au frottement de la vie les aspérités de sa jeunesse, on reconnaît que toute invention, toute création, toute divination de l’art doit avoir pour base l’étude, l’observation, le recueillement, la science, la mesure, la comparaison, la méditation sérieuse, le dessin attentif et continuel de chaque chose d’après nature, la critique consciencieuse de soi-même ; et l’inspiration qui se dégage selon ces nouvelles conditions, loin d’y rien perdre, y gagne un plus large souffle et de plus fortes ailes. […] Pour revenir au roman dont on publie ici une nouvelle édition, tel qu’il est, avec son action saccadée et haletante, avec ses personnages tout d’une pièce, avec ses gaucheries sauvages, avec son allure hautaine et maladroite, avec ses candides accès de rêverie, avec ses couleurs de toute sorte juxtaposées sans précaution pour l’œil, avec son style cru, choquant et âpre, sans nuances et sans habiletés, avec les mille excès de tout genre qu’il commet presque à son insu chemin faisant, ce livre représente assez bien l’époque de la vie à laquelle il a été écrit, et l’état particulier de l’âme, de l’imagination et du cœur dans l’adolescence, quand on est amoureux de son premier amour, quand on convertit en obstacles grandioses et poétiques les empêchements bourgeois de la vie, quand on a la tête pleine de fantaisies héroïques qui vous grandissent à vos propres yeux, quand on est déjà un homme par deux ou trois côtés et encore un enfant par vingt autres, quand on a lu Ducray-Duminil à onze ans, Auguste Lafontaine à treize, Shakespeare à seize, échelle étrange et rapide qui vous a fait passer brusquement, dans vos affections littéraires, du niais au sentimental, et du sentimental au sublime.
Section 38, que les remarques des critiques ne font point abandonner la lecture des poëmes, et qu’on ne la quitte que pour lire des poëmes meilleurs Quoiqu’il en soit de ces fautes que les critiques passez ont trouvées, et que les critiques à venir découvriront dans les écrits des anciens, elles n’en feront point abandonner la lecture. […] Mais les raisons que nous avons exposées dans ces refléxions et l’expérience du passé, montrent suffisamment que la possibilité de faire un poëme épique françois meilleur que l’éneïde, n’est qu’une possibilité métaphisique, et telle qu’est la possibilité d’ébranler la terre en donnant un point fixe hors du globe.
les gestes passent ; le temps de décrire leur courbe éphémère, ils n’ont pas laissé de traces. […] Mais je ne suis pas mort encore… Il faut bien que je m’instruise de ce qui se passe. […] Chaque personnage, même celui qui passe, a une vie intense. […] À vingt-et-un ans, ils ne disent plus rien du tout et ils passent à un autre. […] Cela ne me consolait pas, car les mois passaient et passaient les années, des journaux mouraient, d’autres naissaient qui mouraient encore et M.
Hugo, dans quel tremblement nous passerions notre vie ! […] Ç’a été une belle et courageuse passe d’armes sur un tombeau. […] La grâce des larmes vraies a passé par là, l’œuvre est consacrée et restera. […] La liberté et la patrie, dira-t-on, se fussent bien passées de vos refrains. […] Tout un passé meurt, mourons avec lui.
Ce temps est passé. […] Viennet y a fait la biographie de cent cinquante papes, c’est le chiffre ; et le tout a passé sans anathème ni excommunication.
Il nous a semblé de plus que si cette circonstance nouvelle, si précieuse à nos yeux, en venant certainement compliquer pour nous les difficultés et multiplier les convenances, devait avoir un effet rétroactif et allait jusqu’à nous obliger à rétracter, à modifier les jugements du passé, il n’y aurait ni fond ni base solide à notre travail critique : nous n’avons donc pas hésité à maintenir dans presque tous les cas ce qui est écrit. […] Ces graves études d’historiens, ces portraits aux teintes plus sombres qui ont insensiblement succédé aux premières et poétiques couleurs, en attachant sévèrement notre attention, ne suffisent pas toujours à satisfaire en nous ce qui s’y remue encore du passé.
Marcel Schwob rappelle les croquis de Raffaëlli, qu’il passe en poésie mélancolique et perverse. […] Tout ce qui suit passe sur le fond solennel et lumineux d’une autre vie ; et, il n’y a plus de parole sans portée ni d’attitude sans conséquences.
Son petit Carême passe pour être son chef-d’œuvre, & celui de l’Art Oratoire. […] Il n’est jamais permis d’outrer les peintures, d’affoiblir les vertus, en faisant trop sentir qu’on veut les apprécier, & de passer d’une censure trop sévere à une admiration froide qui manque toujours son effet.
Ce peu d’illusion qu’on remarque en elle, cette raison mélancolique qui fait le fond de sa vie, a passé un peu dans l’idéal de son roman même, et aussi, ce me semble, dans tous ces autres romans en quelque sorte émanés d’elle et qui sont sa postérité, dans Eugène de Rothelin, Mademoiselle de Clermont, Édouard. […] Quand la jeune princesse fut devenue Madame et l’ornement le plus animé de la cour, Mme de La Fayette, bien que de dix ans son aînée, garda l’ancienne familiarité avec elle, eut toujours ses entrées particulières et put passer pour sa favorite. […] Ces amants malheureux quittent la cour pour des déserts horribles, où ils ne manquent de rien ; ils passent les après-dinées dans les bois, contant aux rochers leur martyre, et ils rentrent dans les galeries de. leurs maisons, où se voient toutes sortes de peintures. […] Ce mot charmant de la lettre, et que devraient méditer toutes les amours un peu tardives : « Je hais comme la mort que les gens de son âge puissent croire que j’ai des galanteries, » répond exactement à cette pensée de la Princesse de Clèves : « Mme de Clèves, qui étoit dans cet âge où l’on ne croit pas qu’une femme puisse être aimée quand elle a passé vingt-cinq ans, regardoit avec un extrême étonnement l’attachement que le roi avoit pour cette duchesse (de Valentinois). » Cette idée-là, comme on voit, était familière à Mme de La Fayette. […] Elle y passera quinze jours pour être comme suspendue entre le ciel et la terre ; elle ne veut pas penser, ni parler, ni répondre, ni écouter ; elle est fatiguée de dire bonjour et bonsoir ; elle a tous les jours la fièvre, et le repos la guérit ; il lui faut donc du repos ; je l’irai voir quelquefois.
Passez d’une couleur à l’autre, des sensations se succèdent entre lesquelles, sur certains points, les transitions échappent. Mieux encore, regardez l’arc-en-ciel ou le spectre solaire, et passez des rayons violets aux rayons ultra-violets : les premiers étaient visibles, les seconds ne le sont plus. […] Si, de ces considérations a priori, nous passons aux données de la biologie, nous voyons qu’une sensation nouvelle implique une différenciation d’organes préexistants et qu’il ne peut se produire tout d’un coup un nouvel organe sensitif. […] Même quand nous passons de l’éclair au son, il y a sentiment de différence sous forme de choc intérieur, de surprise, de coup inattendu ; l’absence de continuité empêche seulement la différence d’offrir une quantité immédiatement appréciable, comme cela a lieu quand on passe d’une lettre de cinq grammes à une lettre de trente grammes. […] Tout ne se passerait pas de la même manière dans le monde s’il n’y avait aucune sensation et seulement des mouvements non sentis.
Delacroix était un motif à signe de croix pour les arriéristes, et un symbole de ralliement pour toutes les oppositions, intelligentes ou non ; ces beaux temps sont passés. […] Tableau splendide, magnifique, sublime, incompris. — Un critique connu a fait au peintre un grand éloge d’avoir placé Commode, c’est-à-dire l’avenir, dans la lumière ; les stoïciens, c’est-à-dire le passé, dans l’ombre ; — que d’esprit ! […] William Haussoullier ne soit point surpris, d’abord, de l’éloge violent que nous allons faire de son tableau, car ce n’est qu’après l’avoir consciencieusement et minutieusement analysé que nous en avons pris la résolution ; en second lieu, de l’accueil brutal et malhonnête que lui fait un public français, et des éclats de rire qui passent devant lui. […] — L’an passé, nous avons vu de lui, aux galeries du boulevard Bonne-Nouvelle, une tête d’enfant qui nous a rappelé les meilleurs morceaux de Lawrence. […] L’année passée nous avions déjà remarqué M.
Elle accompagnait souvent Mme la Princesse aux Carmélites du faubourg Saint-Jacques ; elle y passait de longues heures, qui se peignirent d’un cercle idéal en son imagination d’azur, et qui se retrouvèrent tout au vif dans la suite après que le tourbillon fut dissipé. […] Le duc de Longueville pouvait passer pour le plus grand seigneur de France, mais il ne venait qu’après les princes du sang ; c’était un peu descendre pour Mlle de Bourbon. […] Singlin, elle passa sous la direction de M. de Saci. […] Elle en sortait de temps en temps, et revenait faire des séjours aux Carmélites, où elle voyait successivement passer comme un convoi des grandeurs du siècle, Mme de La Vallière y prendre le voile, et peu après arriver le cœur de Turenne, — ce cœur, qu’hélas ! […] Ce n’est pas que je voulusse la faire passer pour une sainte qui est allée jouir de Dieu au sortir de ce monde ; tout ce qui se passe dans l’autre nous est caché.
Le décor examiné, nous allons passer su premier degré de mimique, la première perceptible à l’œil, la plus accessible aux sens. […] Toute la scène de l’Enchantement du Vendredi-Saint, de cette pureté qui va de la nature aux hommes, se passe au milieu de cette nature primitive ; c’est en ce point que se rejoignent les deux destinées de Kundry et de Parsifal : c’est là qu’elles s’épurent et qu’elles triomphent. […] Pour la dernière fois, nous arrivons dans le temple de Gral, où tout semble dans la mimique rempli de trouble et désorganisé : ce n’est plus une vision que nous avons devant nos yeux, mais une action dramatique violente, qui se passe sur le devant de la scène, tandis qu’au premier acte tout se perdait dans le lointain. […] Pendant le récit de la mort de sa mère, il reprend possession de sa vie passée, et il n’a plus rien du désespoir bestial, quand il pleure, agenouillé près de Kundry ; il est devenu homme. […] Léon Dommartin, Chronique du 14 mars), de prendre note de ce qui vient de se passer, afin de ne pas avoir à recommencer la querelle à la prochaine occasion.
Mais c’en est assez sur ce chapitre : passons au compte-rendu du la représentation. […] Il les doit toujours regarder de très haut, et si une inquiétude passe sur son visage, c’est à la seule phrase : « Elsa, veux-tu m’interroger ? […] C’est ainsi que le maître reniait le passé, ne voulant plus dater son œuvre que des Maîtres Chanteurs. […] Nous ne pouvons plus nous en passer, voyez-vous. […] Nous les admettons en attendant pour passer le temps, à condition qu’ils s’inclineront devant le MAITRE, sans conditions.
Les services qu’il a rendus sont de deux sortes et de deux ordres : la plupart se sont passés, se sont usés aussi, il faut le dire, au sein même de la génération dont il faisait partie, et ne sont pas sortis du temps et des circonstances où il a vécu. […] Il y avait, en ce temps-là, de sourdes et profondes divisions à la Bibliothèque, et l’on sait qu’il n’est rien de tel ni de plus aigre en son genre que les haines de bibliothécaires, c’est-à-dire de gens qui se voient tous les jours, qui sont assis presque en face, qui se détestent d’une table à l’autre, et qui passent leur vie à accumuler des fluides contraires. […] Je ne crois pas rêver à cette distance, et il me semble que, sauf rectification, mes souvenirs ne me trompent pas ; la petite comédie se passa à très peu près comme je viens de la raconter, à la chinoise. […] Magnin, le but, le terme dernier et prochain de son ambition était tout indiqué : c’était de devenir un des conservateurs de la Bibliothèque du roi, où il était employé depuis dix-sept ans et où il avait passé par tous les degrés de la hiérarchie. […] Combien d’œuvres spirituelles et déjà comiques d’auteurs anonymes il nous fait passer sous les yeux !
L’oiseau qui passe, la voile qui blanchit, la mouche heureuse qui scintille dans le soleil, se peignent plus distincts que jamais dans ce lac de l’âme, uni à la surface, et dont les grandes douleurs ont creusé et abîmé le fond. […] Quand ses idées lui reviennent distinctes, il se trouve dans un hospice, entouré de sœurs charitables ; Thermidor est passé, l’on respire. […] Un lilas, à sa porte, annonce le printemps ; Un cyprès nous y dit : « Tout passe avec le temps. « Le charmant rousselet, la bergamote encore, D’un duvet parfumé s’y couvre et se décore, etc., etc. […] — Passé léger, m’allez-vous être un poids ? […] C’est ainsi que le Temps, par Dieu même conduit, Passe, pour avancer, sur ce qu’il a détruit ; Esprit saint !
Son père nous l’avait amené un jour à Paris : bien que nous fussions resté plusieurs années sans le revoir, sa figure nous était demeurée gravée dans la mémoire de l’œil, comme un de ces songes qui passent devant notre esprit dans la nuit, et qu’on ne peut chasser de ses yeux après de longs jours écoulés. […] si je n’avais que soixante et quinze ans, écrivait Voltaire à quatre-vingts ans passés, je leur ferais voir ce que c’est qu’un poète ! […] Souvenez-vous d’Homère suspendant une guirlande fleurie au seuil de la demeure où il avait passé la nuit, et de l’hymne qu’il chantait devant la porte avant de la quitter. […] Avec ses lévriers sur son balcon de bois, Il me salue au loin du geste et de la voix ; Et son salut sonore, envoyé dans l’espace, Vient vibrer jusqu’à moi, puis se prolonge et passe. […] Je passai une main dans mes cheveux, soulevés par l’inspiration, pour présenter un front décent à l’étrangère, et je jetai ma plume fatiguée sur le guéridon qui portait, à côté de moi, le monceau de pages écrites à la lampe et au soleil levant depuis cinq heures du matin.
À Fesch disant : “C’est le cardinal Pignatelli”, l’Empereur répond : “Napolitain”, et il passe outre, sans rien ajouter. […] Je me rappelle de vous avoir vu ici avec le Pape à l’occasion de mon couronnement”, et il passe. […] « L’Empereur passe outre ; arrivé jusqu’à moi, il s’écrie, avant que le cardinal Fesch m’eût nommé : “Ô cardinal Consalvi, que vous avez maigri ! […] « Lorsque Napoléon articula ces paroles pour la troisième fois, je ne dirai pas mon courage, mais mon peu de prudence dans cette occasion, et comme un zèle excessif de mon honneur, me firent passer les bornes. […] Il le laissa passer pour se donner du temps ; Pie VII passa et arriva à Rome porté sur les bras et sur le cœur du peuple.
— Monte, mon garçon, dit le fiancé en me soulevant dans ses bras forts et en me tendant à son père, qui m’attira du haut du timon et qui me fit passer par-dessus les ridelles. […] La femme du bargello, son mari, la fiancée et le sposo me dirent poliment de rester, de boire et de manger à leur table, à côté du petit bouvier leur frère, et de jouer, après le dîner de noces, tous les airs de danse qui me reviendraient en mémoire, pour faire passer gaiement la nuit aux convives, monsieur. […] Tout à fait en haut, à l’endroit où les hirondelles et les corneilles bâtissent leurs nids inaccessibles sous les corniches ou sur les tourelles, il y avait une petite porte tellement basse, qu’il fallait se courber en deux pour y passer ; elle était fermée par un verrou gros comme le bras d’un homme fort et garni de têtes de clous, taillés en diamants, qui étaient aussi froids que la neige ; elle s’ouvrait et se fermait avec un bruit creux qui résonnait du haut en bas jusqu’au pied de l’escalier de la tour. […] Sous chacune des arcades de ce cloître qui entourait la cour, s’ouvrait une large fenêtre, en forme de lucarne demi-cintrée par en haut, plate par en bas, grillée de bas en haut et de côté à côté, par des barres de fer qui s’encastraient les unes dans les autres chaque fois qu’elles se rencontraient de haut en bas ou de gauche à droite, de façon qu’elles formaient comme un treillis de petits carrés à travers lesquels on pouvait passer les mains, mais non la tête. […] Quand on voulait leur passer leur nourriture, on les faisait retirer au fond de la loge, comme les lions ou les tigres qu’on montre dans la ménagerie ambulante de Livourne ; on faisait glisser au milieu du cachot une seconde grille aussi forte que la première ; on déposait entre ces deux grilles ce qu’on leur apportait, puis on ressortait.
C’est pourquoi il n’avait garde de se tourmenter d’aucun développement ; il effleurait tout, jetait çà et là un trait de caractère, passait outre aux éclaircissements, s’égayait de mille boutades. […] Le passé s’en va, l’arbre ancien est mort et l’on aura beau l’empanacher des branches du jeune arbre qui pousse, on ne lui redonnera plus la sève tarie. […] Et quand la colère est passée, quand les terribles harmonies ne sont plus là, quand l’âme bouleversée est rentrée en possession d’elle-même, elle sent qu’elle a été mordue d’une incurable morsure, et que la plaie qui a saigné ne se cicatrisera plus. […] Le temps qu’ils passèrent dans cette tour fut un temps de joie parfaite ; mais la femme du nain était parmi les suivantes de la reine, et, au bout de quelque temps, elle découvrit que la damoiselle d’Irlande n’était autre que le chevalier Tristan. […] — En présence de Dieu et des saintes reliques, que je vois ici, s’écria Yseult, je jure que nul homme autre que le roi ne m’a tenu dans ses bras, si ce n’est le pauvre ladre qui vient de me porter pour passer le ruisseau !
Je puis passer une heure avec Mendès, fille habile après tout et qui sait grimacer un sourire. […] Pourtant, au détour de cette page, vient de passer Madeleine, « l’adorante et odorante amie du Christ ». […] la phrase ne finit pas sur ce mot, et ce mot précieux passera peut-être inaperçu. […] Le romantisme plonge dans les couleurs et les agitations, de la vie passée avec la même ivresse que la Pléiade dans les livres et les lieux communs antiques. […] Camille Mauclair me fait songer à la désolation de l’âme de Jean errante parmi un siècle où ne passerait nul maître divin.
Mais le positivisme, lui, ne s’est constitué qu’en commençant par faire, comme on dit, « table rase » de toute métaphysique ; son dessein principal et premier a été précisément de dissiper l’illusion métaphysique, d’en dissoudre, pour ainsi parler, et d’en faire évanouir l’inconsistance dans le passé brumeux d’une humanité lointaine et quasi primitive ; et quelle est enfin sa conclusion, sinon qu’il ne saurait y avoir de science, ou de certitude, que de ce qui compte, se mesure, et se pèse ? […] Ce qui revient à dire que si quelques vérités, très générales, demeureront éternellement les mêmes, — et ce sont celles qui n’expriment pas tant les lois de la nature des choses que la constitution de l’esprit humain, — la science, bien loin d’être exceptée de la loi du changement, ne peut donc progresser qu’en changeant, comme aussi bien toutes les choses humaines ; et c’est ce que l’on entend quand on dit que du « point de vue statique », le positivisme a fait passer le concept de science au « point de vue dynamique. » Elle n’est plus aujourd’hui ce qu’elle était hier : elle n’est pas aujourd’hui ce qu’elle sera demain. […] Imitons donc plutôt Auguste Comte, et puisque tout se passe, et se passera toujours comme si le monde extérieur était ce que nous croyons qu’il est, laissons la question de son objectivité, après nous en être assurés, aux méditations des dilettanti de la philosophie. […] Infiniment féconde en applications pratiques, — du genre de celles que Renan affectait volontiers de mépriser, — et, peut-être, d’une autre part, en spéculations dont l’ampleur sera toujours le plus beau témoignage de la puissance de l’esprit humain, la science ne « justifiera » jamais son fondement, et tous les problèmes qu’elle résoudra ne l’avanceront pas plus dans l’avenir que dans le passé, vers la solution de ceux qu’au temps de Descartes ou de Condorcet, elle se croyait en droit d’espérer de trancher. […] L’Académie française a mis récemment au concours, pour le prix d’Éloquence à décerner en 1904, l’Éloge de Fontenelle ; et de ce concours nous espérons voir sortir le livre que nous n’avons pas, qu’il nous faudrait sur Fontenelle, et un livre dont l’intérêt, nous osons en répondre, passerait de beaucoup l’intérêt de ceux que nos docteurs consacrent aux Favart ou aux La Chaussée.
Étonnante fidélité de sensation pour des Français, qui ont si longtemps passé pour de beaux infidèles ! […] Cet énumérateur qu’on appelle Victor Hugo ne se contente pas de jeter au moule de son vers quelque bonne pensée, et de passer fièrement outre pour recommencer et en jeter une autre dans le creuset brûlant et insatiable. […] Les Chansons des rues, de ces rues à la physionomie qui s’en va et que la Civilisation, cette boueuse qui emporte au bout de son balai toutes les poésies du passé, finira par cirer comme le parquet des corridors d’un ministère, — et les Chansons des bois, des bois, cette dernière aristocratie à qui on abattra la tête comme à l’autre, et pour les mêmes raisons. […] J’y avais déjà passé… J’y avais déjà été arrêté par deux mauvais drôles, dont l’un s’appelle le Fatras et l’autre l’Ennui. […] Ainsi, après avoir passé par la première Légende des Siècles, ces sublimes Petites Épopées qui me faisaient demander la grande, Victor Hugo ne s’est pas renouvelé.
Mais le passé est inséparable du présent. […] Mais ce sont des traits plus proprement nationalistes que je veux signaler et ils apparaissent avec une certaine roideur d’adolescent et de Lorrain, durant le temps qu’il passa dans un hôpital du Midi. […] En faisant un retour sur ma vie passée, je finis par lui découvrir quelque utilité, ce qui m’adoucit la perspective de la mort. […] Ainsi désireux de recréer la fraternité française et de se relier étroitement aux générations du passé et de l’avenir, ces jeunes patriotes devaient tout naturellement nouer des amitiés étroites entre eux et avec les aînés dont ils aimaient la pensée. […] Ils avaient souffert, à leur insu peut-être, d’aspirer si haut, d’obéir à des impulsions si nobles, et de passer leurs années d’adolescence en des luttes avec la police.
Aussi, je ferai remarquer tout d’abord, pour décharger ma conscience, que venir le présenter comme le type et le modèle de la Critique littéraire sous le premier Empire et mettre ce second titre, comme on l’a fait, au frontispice des deux volumes qu’on publie, c’est un peu abuser de la permission qu’on se donne généralement de grossir les choses dans le passé. […] il ne dit mot du fond : il passe outre à Homère, se détourne sur je ne sais quel pastiche de préface en grec composé autrefois par le prince archi-trésorier, et badine alentour avec assez de grâce ; mais d’Homère même, de l’Iliade, de la question qui agitait et partageait les grands érudits, rien. […] Il avait le tempérament ardent et prompt ; il était homme, dans la rue, à s’arrêter et à oublier même une conversation sur le grec, que son interlocuteur poursuivait tout seul, pour regarder une beauté du peuple qui passait. […] Ses autres éditions ont été bien souvent des tâches, des corvées, comme tout savant s’en donne ou en accepte dans sa vie, et le Babrius lui-même, ce fabuliste jusqu’alors inédit, qui peut passer pour son fleuron classique, lui a été imposé. […] On eût gagné certainement à ne point se passer tout à fait de lui et à consulter, jusque dans la pompe du panégyrique, et pour se préserver du trop d’excès, un si bon juge, un témoin d’un goût sain et sévère.
À de certains jours il laisse tomber sa plume d’anecdotier, dégoûté qu’il est de cette chasse ingrate : « Il y a plus d’un an », écrivait-il en juillet 1726 au président Bouhier, « que mes anecdotes ont cessé ; le goût m’en a passé, et je ne sais s’il reviendra. » Il ne lui revint que faiblement. […] On trouverait bien des particularités aussi, bien des traits utiles ou pittoresques pour un tableau du Système de Law, et de ses effets dans Paris, sur une nation si neuve aux idées de crédit et si prompte à passer de l’engouement à la panique. […] Les écrivains, les poètes et les journalistes, relevés de cette sorte de dégradation civile qui n’admettait pas la partie égale entre eux et leurs adversaires, devraient bien, en se ressouvenant du passé, en tirer du moins cette morale, que c’est leur devoir, aujourd’hui que tout le monde les respecte ou est disposé à le faire, de se respecter également entre eux, de ne point renouveler les uns contre les autres ces dégradantes attaques qui ne sont autre chose que des bastonnades au moral et qui ont même introduit un infâme et odieux mot dans l’usage littéraire. […] Ses amis disaient que c’était une calomnie ; mais feu Madame la Dauphine (la duchesse de Bourgogne), qui en était bien informée et qui avait une lettre de ce commerce, assura la Cour de la vérité de l’histoire, et on en fit des chansons qui ont passé avec le temps. […] Je sais certainement qu’il a été tracassé pour les Lettres persanes ; que le cardinal a dit qu’il y avait dans ce livre des satires contre le Gouvernement passé et la Régence ; que cela marquait un cœur et un esprit de révolte ; qu’il y avait aussi de certaines libertés contre la religion et les mœurs, et qu’il fallait désavouer ce livre.
Elle passait par ce moyen plus de temps seule auprès de lui, et plus que tout encore elle satisfaisait son aversion contre M. le Dauphin, Mme la Dauphine et Mesdames, en écartant le roi d’eux, et rendait vis-à-vis de lui leur conduite embarrassante. […] Il l’avait fait encore en n’appelant ses grands-officiers à Trianon qu’à quatre heures, et en les congédiant à neuf heures et demie ; et voilà vraisemblablement ce qui se serait passé pendant le cours de la maladie du roi, si elle se fût prolongée sans devenir plus grave. […] Il avait, vers les cinq heures, envoyé chercher ses enfants, qui étaient venus passer auprès de son lit une demi-heure, sans en entendre et sans lui dire une parole. […] J’y voyais aussi mon intérêt, car j’acquérais par une conduite assidue pendant sa maladie, et par dix nuits passées auprès de son lit, le droit de reprendre après sa guérison mon train ordinaire de vie. […] Voilà comme il a passé le temps de la maladie.
Qu’on s’imagine sa surprise et son enchantement quand il passe des vérités du dix-septième siècle à celles du dix-huitième, des Pensées de Pascal, par exemple, à l’Esprit des lois de Montesquieu. […] Il y a peut-être plus de mérite à défendre l’esprit de conservation ; car le présent paraissant plus fort que l’avenir, on risque, en prenant sa défense, de passer pour être du parti du plus fort, et l’appui même qu’on reçoit des choses établies compromet le défenseur plus qu’il ne le recommande. […] Parmi les solitaires mêmes, un saint Jérôme arrivait au désert après avoir passé par l’orgueil et les dissipations de la vie patricienne à Rome, et plus voyagé que Montesquieu lui-même dans le monde romain, alors l’univers. […] Devenu le guide spirituel du peuple de Milan, il resta son guide temporel, et, comme il l’a dit avec raison, l’Italie du nord put se passer d’un empereur : elle avait un chef. […] Montesquieu, homme bienfaisant, le bonhomme, comme on l’appelait, par un double hommage à sa bonté et à sa manière d’être bon, Montesquieu avait cette morale dans le cœur : il n’a pas pu, chose singulière, la faire passer de son cœur dans son esprit.
Les mêmes contemporains qui le détournaient d’écrire le Siècle de Louis XIV, lui commandèrent de faire ce procès au passé, par les mêmes principes au nom desquels on avait mis à la raison Aristote, puis Homère. […] L’amitié se renoua pourtant : superbe du côté du roi comme envers un sujet rentré en grâce, flatteuse chez Voltaire, qui accepte la condition de ne pas revenir sur le passé et de garder le soufflet du roi. […] Il ne veut pas que ce qui a cessé d’être bon l’ait été un seul jour ; le passé n’a pas été la préparation laborieuse et nécessaire, mais l’obstacle du présent. […] N’en fais rien, je t’en supplie par la foi en Jésus-Christ, et ne souffre pas qu’on le fasse… Sans doute il faut ôter aux criminels la faculté de commettre de nouveaux crimes ; mais c’est assez que, laissés en vie, avec tous leurs membres, la loi les fasse passer de l’agitation insensée dans un repos inoffensif, ou qu’ils soient arrachés aux mauvaises œuvres pour être employés à quelque œuvre utile. […] Il aime la vérité comme une convenance de cet esprit, et quoique la vérité, même rabaissée à la commodité d’un homme, ait été souvent, dans ses mains habiles et actives, une puissance bienfaisante, souvent il la traite en homme qui aurait su s’en passer, et il lui préfère la gloire.
Pour l’homme à qui manquerait tout à coup l’enseignement du passé, le plus pressant serait de retrouver sa raison et son cœur, et c’est là tout d’abord ce qu’il retrouverait dans le livre de génie. […] Cependant, même au temps des prospérités de l’Encyclopédie, et quoiqu’elle eût intéressé la vanité de l’homme à cette diminution de son être moral, il y avait plus d’âmes ayant besoin de Dieu et de la nature que d’esprits persuadés qu’on peut s’en passer. […] Bernardin de Saint-Pierre élève l’âme en faisant trouver la chasteté supérieure à l’amour ; il épure à la fois les sentiments du jeune cœur qui aime et les souvenirs de ceux qui ont passé l’âge d’aimer. […] Par moments, René mêle à cette tristesse farouche son sentiment si vrai de l’imperfection des choses humaines, et partout où René a passé il reste une trace ineffaçable. […] En revanche, il y aura toujours une place d’honneur pour la belle et poétique intelligence qui s’inspira, au commencement de ce siècle, de tout ce qui voulait revivre du passé, de tout ce qui commençait à vivre de l’avenir.
Vis, si tu peux, dans l’éternel, l’heure qui passe. […] Soyons César, Cyrus, Hamlet et s’il nous prend fantaisie d’être Don Juan, le passé est assez riche en héroïnes de tout genre, pour que nous puissions y cueillir des trophées à loisir. […] ces mois passés à prendre son élan, pour ne jamais sauter. » Il s’engage pourtant, vaille que vaille, mais, tandis que le flirt se poursuit, il s’aperçoit de l’accord impossible et que tous deux chantent le même air sur un ton différent. […] Il passe sa vie à étouffer des bâillements et le voilà pris du mal de poitrine. […] Dans le concert des voix confuses qui résonnent en eux et où se brouillent, comme chez toute créature vivante, leur ascendance et leur postérité, ils ne savent pas démêler le passé de l’avenir.
Puis elle a passé en Europe, où elle fait le ravage d’une épizootie sur le peuple d’amoureux qu’elle traîne à sa suite. […] Je passe sur son roman nègre, renouvelé d’Atar Gull. […] Demain, Nourvady passera la journée dans cet hôtel, et il n’y reparaîtra que si elle-même lui dit d’y revenir ou d’y rester. […] Mais il revient, l’émotion passée. […] En admettant même cette folie, ne passe-t-elle point toute mesure ?
Ce qui se passe dans son royaume paraît ne pas le regarder : il n’est affecté de rien ; dans le Conseil, il est d’une indifférence absolue ; il souscrit à tout ce qui lui est présenté. […] Quand le docteur Quesnay le voyait passer, il entrait en fureur sur cet infâme ministère comme il l’appelait, à tel point que l’« écume lui venait à la bouche » : « Je ne dînerais pas plus volontiers, disait-il, avec l’intendant des Postes qu’avec le bourreau. » Ces propos se tenaient dans l’appartement de la maîtresse du roi, et sans danger, et cela a duré vingt ans. […] Mme de La Tour-Franqueville, témoin peu suspect, écrivait à Jean-Jacques Rousseau (6 mai) : Le temps a été si affreux ici tout le mois passé, que Mme de Pompadour en a dû avoir moins de peine à quitter la vie. […] L’un de ceux qui parurent la regretter le moins, fut Louis XV ; on raconte que, voyant d’une fenêtre passer le cercueil qu’on transportait du château de Versailles à Paris, comme il faisait un temps affreux, il dit ces seuls mots : « La marquise n’aura pas beau temps pour son voyage. » Son aïeul Louis XIII avait dit à l’heure de l’exécution du favori Cinq-Mars : « Cher ami doit faire maintenant une laide grimace. » Auprès du mot de Louis XIII, le mot de Louis XV est presque touchant de sensibilité. […] C’est une vraie cagoterie de remonter dans le passé pour noircir l’innocence de la liaison actuelle : elle est fondée sur la nécessité d’ouvrir son âme à une amie sûre et éprouvée, et qui, dans la division du ministère, est le seul point de réunion… Que d’ingrats j’ai vus, mon cher comte, et combien notre siècle est corrompu !
Il se passait tout d’abord l’épigramme comme un homme d’esprit, et il aimait encore à en tenir registre comme un homme de lettres33. […] Mais le prince de Conti n’était qu’un généralissime manqué : les vrais généraux et les hommes d’État ne purent jamais passer à Bussy ce tour d’esprit si contraire à l’ordre et au commandement, et qui déjouait le respect dans les choses sérieuses. […] Quoi qu’il en soit, avec tous ses défauts, son inclination aux plaisirs, son goût connu et son talent irrésistible pour les épigrammes et les chansons, avec ses désordres de conduite, son grain de libertinage et d’esprit fort, sa fureur du jeu, où il avait un bonheur insolent, Bussy, vers 1659, était en passe d’arriver à la plus haute fortune militaire, lorsque la paix vint le livrer sans distraction à ses périlleux penchants. […] Et, en effet, Bussy avait été excellent, dans le principe, pour mettre sa jolie cousine en humeur et en veine de style épistolaire : il était l’homme qu’il lui fallait pour lui renvoyer le volant, comme on dit ; mais il ne s’apercevait pas, en avançant, qu’elle pouvait très bien se passer de lui, dire à d’autres les mêmes jolies choses, en répandre de tous côtés et en retrouver sans cesse, et qu’il n’était plus lui-même assez vif et assez alerte pour ne pas perdre au vis-à-vis devant cette grâce supérieure et naturelle. […] En 1673, le roi lui permit de venir passer quelque temps à Paris pour ses affaires.
Voilà pour sa jeunesse : Voiture, Marot, Malherbe, Horace et l’inévitable Astrée, car elle passait pour inévitable à cette époque-là, et je dois déclarer certains d’entre vous sont certainement du même avis pour l’avoir lue je dois déclarer que l’Astrée n’est nullement méprisable et, par endroits, n’est rien de moins que délicieuse. […] Je passe à la morale de La Fontaine. […] C’est-à-dire : nous allons montrer que les choses se passent ainsi. […] La prudence, la prévoyance, la prévision exacte ou à peu près exacte de l’avenir en raison de l’expérience que l’on a acquise dans le passé, c’est peut-être ce que La Fontaine a le plus recommandé au monde. […] Et c’est pour cela que tout en reconnaissant qu’on n’est pas forcé d’être un moraliste, que quand on est un grand artiste on peut se passer d’être un moraliste, je dirai que ce n’est pas La Fontaine qui a tort, c’est nous qui avons tort de donner La Fontaine à lire à nos enfants.
Le 13 novembre 1914, il écrivait à un de ses écoliers : Nous travaillons, nous, pour que cette guerre soit la dernière et que les écoliers d’aujourd’hui n’aient pas plus tard à passer des mauvais jours comme nous à la pluie, au froid et sous les balles. […] Pour ceux qui survivront, il y aura de belles heures à passer : les Barrès et autres en sauront quelque chose, les Sudekum et leurs suiveurs aussi. […] Comprendre dans quelles conditions la paix s’établira entre tous les États et dans chaque État, c’est une entreprise qui passe l’horizon d’un soldat et d’un instituteur. […] Nul de nous ne peut lire ce texte et passer outre. […] Je leur ferais passer trois semaines dans les tranchées et leur collerais le nez dans les boyaux pour qu’ils apprennent au moins ce que c’est.
Pour lui l’homme, au cours des longs siècles chrétiens, a subi une entorse violente du cerveau, alors que « vivre » équivalait à « végéter ». « Détournons nos regards du funeste passé ! […] Écartant d’une main les ombres d’un passé néfaste, Michelet découvre à nos yeux la forme vivante et frémissante de l’humanité que nous sommes, faisant jaillir de sa libre fécondité sa vie physique et spirituelle, nourrie elle-même de ses divines énergies qui la font renaître, enfin consciente de ses éternelles richesses. […] Mais si l’homme qui vous arrête vous dit ; « Vous ne passerez pas par ce chemin parce qu’il est mauvais, qu’il est rempli de pierres et de fondrières, en un mot très dangereux », voilà qui est tout autre chose ! […] Elle nous apparaît comme le néfaste héritage d’un passé qui cherche encore de sa main de squelette à nous attirer vers la fosse ou il descend. […] Nous avons reconnu que la Nature et l’Homme étaient assez riches pour satisfaire notre idéal le plus lointain, que le divin était contenu dans la moindre parcelle, qu’il n’y avait rien, positivement rien en dehors de l’univers vivant, et nous continuons à vivre comme si le dieu passé était encore debout, nous dominant de son regard !
Pour qui veut conjecturer ce passé ineffable, ne vaudrait-il pas mieux recourir à l’hymne que Milton fait chanter dans le paradis, et qui semble la reconnaissance du premier homme saluant son créateur avec la voix et dans l’idiome qu’il en a reçus ? […] ait passé, jusqu’à ce qu’il ait passé le peuple acquis à ta loi ! […] Elle a passé vite sur cette terre, parce qu’elle était du ciel et qu’elle avait hâte d’y revenir. […] Ils furent l’âme du peuple hébreu, sa cymbale de guerre, le luth de son deuil et de ses afflictions, sa vie durable dans la captivité, alors que, démembré par les discordes, expatrié par la servitude, ses lieux saints, ses tombeaux, sa langue natale, lui étaient arrachés, et qu’il ne lui restait plus que sa foi dans le passé et dans l’avenir. […] C’est la lampe inextinguible qui brûle dans les sépulcres, mais où s’allume la torche que se passeront l’un à l’autre les peuples nouveaux.
Mme de Sévigné, le jour de Noël 1671, écrivait : Je m’en vais en Bourdaloue ; on dit qu’il s’est mis à dépeindre les gens, et que l’autre jour il fit trois points de la retraite de Tréville ; il n’y manquait que le nom, mais il n’en était pas besoin : avec tout cela on dit qu’il passe toutes les merveilles passées, et que personne n’a prêché jusqu’ici. […] Il suit donc dans toutes ses subtilités et ses retours ce vice de médisance qui, « non content de vouloir plaire et de s’ériger en censeur agréable, veut même passer pour honnête, pour charitable, pour bien intentionné : Car voilà, dit-il, un des abus de notre siècle. […] Parmi les adversaires qu’il combat, il en est toutefois contre lesquels Bourdaloue a trop manifestement raison, et d’une manière qui paraît encore tout à fait piquante : ce sont ces jansénistes de mode et de langage, non de conviction, ces incrédules et libertins du monde (comme il y en avait déjà bon nombre alors) qui faisaient les rigoristes en parole, prenaient parti en matière de dogme, et ne plaçaient si haut la perfection du christianisme et la rigidité de la pénitence que pour mieux s’en passer : « Ou tout ou rien, dit-on ; mais bien entendu qu’on s’en tiendra toujours au rien, et qu’on n’aura garde de se charger jamais du tout. » Le travers, l’inconséquence de ces épicuriens mondains, jansénistes par raffinement et en théorie, a trouvé dans Bourdaloue un railleur sévère. […] Il a parlé quelque part de cette forme et de cette espèce de directeur à la mode et très goûté de son temps, « qui semble n’avoir reçu mission de Dieu que pour une seule âme, à laquelle il donne toute son attention ; qui, plusieurs fois chaque semaine, passe régulièrement avec elle des heures entières, ou au tribunal de la pénitence ou hors du tribunal, dans des conversations dont on ne peut imaginer le sujet, ni concevoir l’utilité ; qui expédie toute autre dans l’espace de quelques moments, et l’a bientôt congédiée, mais ne saurait presque finir dès qu’il s’agit de celle-ci » : directeur délicieux et renchéri, exclusif et mystérieux, dont Fénelon est le type idéal le plus charmant (le Fénelon de Mme Guyon et avant l’exil de Cambrai).
On lit en effet dans le journal de l’avocat Barbier, à la date de mercredi 29 mai (1720) : « Je le vis passer (Law) dans la rue de Richelieu dans un carrosse magnifique ; il fut insulté par un particulier, en sortant de la Banque (qui était alors dans un des bâtiments où est actuellement la Bibliothèque). […] M’étant intimement lié avec le comte de Frise, je lui inspirai assez de confiance pour me laisser toujours voir ce qui se passait dans son âme ; j’en étais souvent révolté, je lui faisais quelquefois des représentations ; mais, entraîné par la faiblesse que j’avais pour lui et par la séduction, je ne pouvais m’en détacher. […] Besenval, peu averti par ses cheveux blancs, aurait voulu passer les bornes, et il n’aurait eu à s’en prendre qu’à lui s’il s’était vu ramener en deçà79. […] Son nom pourtant restera toujours attaché au souvenir de la Révolution française, moins encore pour avoir été son adversaire à main armée et impuissant le jour de son début, que pour nous avoir raconté et dévoilé avec son insouciance trop nue et une trop insolente aisance la société gâtéeav, corrompue, railleuse et frivole qui, sous des dehors charmants, nourrissait tant de vices, et qui avait atteint et passé la mesure où les choses humaines veulent être renouvelées. […] [NdA] Maurepas avait le goût des arts ; il était agréable à ceux qui les cultivaient ; dans sa retraite à Pontchartrain, il fit illusion à Montesquieu, qui écrivait après avoir passé huit jours avec lui : « Le maître de la maison a une gaieté et une fécondité qui n’a point de pareille : il voit tout, il lit tout, il rit de tout, il est content de tout, il s’occupe de tout.
Il passa en Suisse, et s’établit dans le pays de Vaud d’abord, puis près de Genève. […] C’était au fort de la guerre de Sept Ans ; il écrivait à la duchesse de Saxe-Gotha, des Délices (27 novembre 1758) : Je demandais à tous les Allemands qui venaient dans nos montagnes si les armées n’avaient point passé sur votre territoire… J’ai dit cent fois malheureux Leipsick ! […] Quand vous aurez quelque semaine curieuse3, ayez la bonté de me la faire passer par M. […] Voici un passage entre dix autres : J’ai toujours peine à concevoir, écrit-il au père de Benjamin Constant (janvier 1776), comment une nation si agréable peut être en même temps si féroce, comment elle peut passer si aisément de l’opéra à la Saint-Barthélemy ; être tantôt composée de singes qui dansent, et tantôt d’ours qui hurlent ; être à la fois si ingénieuse et si imbécile, tantôt si courageuse et tantôt si poltronne. […] Les autres sont des corbeaux qui se disputent quelques plumes de cygne du siècle passé qu’ils ont volées, et qu’ils ajustent comme ils peuvent à leurs queues noires. » À Le Kain il écrivait en 1765 : « Je vous souhaite un autre siècle, d’autres auteurs, d’autres acteurs et d’autres spectateurs. » Ce fut bien autre chose quand il crut voir qu’on abandonnait Racine pour Shakespeare, il poussa des cris d’aigle : « La canaille se mêle de vouloir avoir de l’esprit, écrivait-il en janvier 1778 au censeur Marin ; elle fait taire les honnêtes gens et les gens de goût.
» — Sur Voltaire : « Vous avez vu mépriser Voltaire, dites-vous, par des gens qui ne le valent pas… Ceux qui méprisent Voltaire se rangeraient s’il passait, je l’ai vu souvent arriver ; ils n’auraient jamais connu M. […] Il est assez naturel qu’un homme qui passe sa vie à Verdun ou à Salins, parle de l’ambition en métaphysicien. » Et il retire la plupart de ses assertions, comme un assiégé fait rentrer dans la place des troupes qui se sont trop avancées dans une sortie. […] Il y arrive, à l’éloquence, dans sa lettre du 22 mars 1740, non sans avoir passé par quelques lenteurs ; car il résume assez longuement les espèces de conférences morales qu’il tient avec le chevalier : ces conversations pour former un parfait honnête homme sont un peu sermon pour nous, comme elles l’étaient probablement pour son impatient élève ; puis tout à coup, à propos des lectures qu’il lui voudrait voir faire, entre autres celle des Vies de Plutarque, il s’enflamme et se laisse emporter : C’est une lecture touchante, j’en étais fou à son âge ; le génie et la vertu ne sont nulle part mieux peints ; l’on y peut prendre une teinture de l’histoire de la Grèce, et même de celle de Rome. […] Pour moi, je pleurais de joie, lorsque je lisais ces Vies ; je ne passais point de nuit sans parler à Alcibiade, Agésilas et autres ; j’allais dans la place de Rome, pour haranguer avec les Gracques, et pour défendre Caton, quand on lui jetait des pierres. Vous souvenez-vous que, César voulant faire passer une loi trop à l’avantage du peuple, le même Caton voulut l’empêcher de la proposer, et lui mit la main sur la bouche, pour l’empêcher de parler ?
Il ne passait pas un seul jour sans cette cérémonie funèbre. […] Le journal de Casaubon, dans sa sincérité, offre de singuliers contrastes : à la fin et au commencement de chaque année, le pieux auteur récapitule ce qui s’y est passé, ce qui lui est advenu, et il se répand en bénédictions reconnaissantes et en actions de grâces ; mais si vous prenez le détail des journées l’une après l’autre, vous croiriez que ce ne sont pour lui que chagrins, ennuis, tribulations, petites ou grandes misères. […] Ce jour-là les études ont tort, ce jour-là et les jours suivants ; et pendant bien du temps encore, l’image de cette aimable et gentille petite créature viendra passer et repasser devant les yeux paternels, et se placer entre lui et son Athénée, qu’il a rouvert. — Que sera-ce quand il perdra par la suite une autre de ses filles, sa bien-aimée Philippe, âgée de dix-huit ans et demi ? […] … Tout le jour s’est passé pour moi dans cette angoisse. […] À propos de cette critique de Commynes dans la bouche de Jacques Ier, faisons pourtant remarquer nous-même que, loin d’être léger dans son jugement des Anglais et des institutions anglaises, Commynes est bien informé, plein de sens, de prévoyance, et que dans la différence qu’il établit entre la manière dont les choses se passaient de son temps en France et en Angleterre, il devance tout à fait les publicistes modernes et Montesquieu.
« Les années que j’ai passées là, nous dit M. […] Cette histoire, telle qu’il a su l’établir et la bâtir, est tout à fait le contraire de ces histoires générales, systématiques, où l’auteur prête de ses intentions et de son parti pris aux personnages et aux événements eux-mêmes, tellement qu’en les lisant le vulgaire des esprits qui aime à être mené croit tout comprendre et se déclare charmé, tandis que tout esprit politique et qui a tâté des affaires humaines sent aussitôt que ce n’est pas ainsi que les choses ont dû se passer. […] Associé à la charge de son père dès 1662, à l’âge de vingt et un ans, et autorisé à signer comme secrétaire d’État, quelques années se passent avant qu’il siège au Conseil et qu’il s’impose avec tout son ascendant. […] Louvois le lui passe. […] Je ne pense point vous avoir jamais témoigné désirer autre chose que de la savoir, et je vous répète présentement que, si j’ai à espérer quelque reconnaissance de vous avoir donné occasion de faire votre fortune, ce ne sera jamais d’autre chose que d’être informé, à point nommé, de ce qui se passe et de ce que vous croyez que l’on doit faire, quand même vous auriez connu par mes lettres que cela est contre mon sens. » On dira de Louvois bien des choses, on ne dira pas qu’il n’avait point la probité de son emploi.
Il rappela en commençant : « Qu’il y avait quarante ans que dans la même salle, dans le même lieu, et quasi à la même heure, il avait été émancipé du consentement de l’empereur Maximilien, son grand-père ; qu’il n’avait alors que quinze ans ; qu’en 1516 le roi catholique étant mort, il fut obligé de passer en Espagne l’année suivante ; qu’en 1519 il perdit l’empereur, son aïeul ; qu’alors il sollicita l’élection à l’Empire, non par ambition d’avoir plus de seigneuries, mais pour le bien de plusieurs de ses royaumes et pays, et principalement de ceux de par deçà ; que, depuis, il avait fait neuf voyages en Allemagne, six en Espagne, sept en Italie, dix aux Pays-Bas, quatre en France, deux en Angleterre, et deux en Afrique, sans compter ses visites en ses autres royaumes, pays et îles, lesquelles avaient été nombreuses, et son passage par la France en 1539, qui n’était pas la moindre de ses entreprises ; qu’il avait, dans ces divers voyages, traversé huit fois la Méditerranée et trois fois l’Océan… » Quarante années d’un semblable règne, de telles fatigues pour pourvoir à tout instant et subvenir à tant de royaumes et d’États disjoints, une santé détruite et dont le délabrement dans sa personne était visible à tous, justifiaient suffisamment une pensée de retraite depuis longtemps conçue, mais qu’il avait fallu ajourner jusqu’à ce que son fils eût atteint l’âge d’homme. […] Quelques années après, devenu empereur, il avait changé de devise, il était entré résolument dans sa destinée, avec ce mot audacieux qui faisait mentir les colonnes d’Hercule : Plus ultra (c’est-à-dire, passons outre et au-delà) ! […] La dernière gorge, le dernier passage (puerto) traversé, il dit : « Je n’en passerai plus d’autre en ma vie que celui de la mort. » Lorsqu’enfin, après quelque retard encore et un séjour au château de Jarandilla, il s’installa dans cette habitation claustrale si désirée, le 3 février 1557, accompagné de Quivada majordome, de Gaztelù secrétaire, Van Male aide de chambre, Mathys médecin, Giovanni Torriano horloger ou mécanicien, et de quelques autres serviteurs, quelle vie y mena d’abord Charles-Quint ? […] Cette invasion dépendait de l’exécution d’un traité avec le roi de Navarre, qui aurait renoncé, moyennant dédommagement en Italie, à tous ses droits sur ses États, et qui serait passé au parti de l’Espagne. […] C’est ce qu’on ne peut s’empêcher de penser en le considérant : Se passa-t-il, en effet, dans ses derniers jours, la fantaisie lugubre de faire célébrer ses propres funérailles ?
que se passe-t-il ? […] « Je suis un peu embarrassée », dit Mme Roland lorsqu’elle en vient à cette histoire, « de ce que j’ai à raconter ici ; car je veux que mon écrit soit chaste, puisque ma personne n’a pas cessé de l’être, et pourtant ce que je dois dire ne l’est pas trop. » Et en finissant ce récit, de tout point fort circonstancié, elle ajoute : « L’impression de ce qui s’était passé demeura si forte chez moi que, même dans l’âge des lumières et de la raison, je ne me le rappelais qu’avec peine ; que je n’en ai jamais ouvert la bouche à une intime amie qui eut toute ma confiance ; que je l’ai constamment tu à mon mari, à qui je ne cèle pas grand’chose, et qu’il m’a fallu faire dans ce moment même autant d’efforts pour l’écrire que Rousseau en fit pour consigner l’histoire de son ruban volé, avec laquelle la mienne n’a pourtant pas de comparaison. » Je sais bien d’autres histoires des Confessions avec lesquelles celle-ci a plus de ressemblance qu’avec le ruban volé, et ce sont les plus laides ; il suffit, je ne les indiquerai pas avec plus de précision. […] En ce qui est de cette veine de sentiments secrets éprouvés par Mme Roland et seulement soupçonnés jusqu’ici, on avait passé par des suppositions successives et des tâtonnements qu’il n’est pas inutile de rappeler. […] En sortant de mon lit, je m’occupe de mon enfant et de mon mari ; je fais lire l’un, je donne à déjeuner à tous deux, puis je les laisse ensemble au Cabinet, ou seulement la petite avec la bonne quand le papa est absent, et je vais examiner les affaires de ménage, de la cave au grenier ; les fruits, le vin, le linge et autres détails fournissent chaque jour à quelque sollicitude ; s’il me reste du temps avant le dîner (et notez qu’on dîne à midi, et qu’il faut être alors un peu débarbouillée, parce qu’on est exposé à avoir du monde que la maman aime à inviter), je le passe au cabinet, aux travaux que j’ai toujours partagés avec mon bon ami. […] Si j’étais libre, je suivrais partout ses pas pour adoucir ses chagrins et consoler sa vieillesse ; une âme comme la mienne ne laisse jamais les sacrifices imparfaits ; mais Roland s’aigrit à l’idée d’un sacrifice, et la connaissance une fois acquise que j’en fais un pour lui renverse sa félicité ; il souffre de le recevoir, et ne peut s’en passer. » Roland avait raison, et tous les hommes à sa place auraient souffert comme lui.
Malheureusement, quoiqu’en assez grand nombre, ils ne sont pas les plus forts ; mais, avec de la douceur et une patience à toute épreuve, il faut espérer qu’au moins nous parviendrons à détruire l’horrible méfiance qui existait dans toutes les têtes, et qui a toujours entraîné dans les abîmes où nous sommes. » Elle annonçait que l’Assemblée allait venir s’installer à Paris, bien que réduite par la désertion de quelques membres ; elle exprimait le vœu que ceux qui étaient partis pour les provinces travailleraient à les calmer, au lieu de les animer sur les événements accomplis : « Car tout, disait-elle, est préférable aux horreurs d’une guerre civile. » Revenant sur les journées des 5 et 6 octobre, elle les résumait sommairement en disant : « Jamais on ne pourra croire ce qui s’y est passé (à Versailles) dans les dernières vingt-quatre heures. […] Elle sent et pense comme une personne de son sang et de son éducation doit sentir ; religieuse avant tout, elle a tous les préjugés d’une princesse de la race et presque du siècle de saint Louis : le jour où l’Assemblée accordera aux Juifs la possibilité d’être admis à tous les emplois lui paraîtra le plus horrible des jours et marqué d’une note sacrilège ; elle attribue tout ce qui se passe à la colère du Ciel, à sa vengeance ; puis elle espère qu’il se laissera toucher aux prières des bonnes âmes. […] Écoutez plutôt : je donnerai toute la dernière partie ; on est sur la route de Versailles ; on a passé Sèvres, on approche de Paris : « … Au Point-du-Jour, les cris les plus continus de Vive le Roi ! […] La reine, dans ce cercle resserré qu’elle parcourt d’un coup d’œil juste, se rend compte désormais de tous les périls : du premier jour elle s’est mise à la raison par nécessité ; c’en est fait de toutes ses vivacités passées : « Le seul moyen, pense-t-elle, de nous tirer d’ici est la patience, le temps, et une grande confiance qu’il faut leur inspirer. » Elle se fait d’ailleurs bien peu d’illusions ; après les premiers mois écoulés, elle ne voit qu’accroissement de dangers autour d’elle et sombres présages pour l’avenir ; de faibles et rares retours de l’opinion, des fluctuations d’une heure en sens favorable ne l’abusent point ; le courant général est trop fort ; les violents et les ardents entraînent les faibles. […] Il fallut sans doute, pour déterminer Louis XVI à cette fuite même de Varennes, les événements des 17 et 4 8 avril 1791, c’est-à-dire l’obstacle que mit la populace à ce qu’il partît pour Saint-Cloud, où il voulait aller passer la semaine sainte et faire ses Pâques en catimini par le ministère de prêtres non constitutionnels.
Les érudits se passent de traductions et les dédaignent : ils lisent les originaux, et, s’ils étaient sincères, la plupart avoueraient que bien souvent ils les consultent encore plus qu’ils ne les lisent. […] Si le lecteur me reproche de ne pas l’aider dans cette appréciation, s’il me demande pourquoi je n’enlève pas le rideau pour découvrir le tableau, je répéterai la réponse du peintre Zeuxis à la même question qui lui fut faite, quand il exposa son chef-d’œuvre d’art imitatif : « Le tableau, c’est le rideau. » « Ce que nous lisons maintenant comme poésie et légende était jadis de l’histoire généralement acceptée, et la seule véritable histoire de leur passé que les premiers Grecs pussent concevoir ou goûter. […] Il se passa là ce qui s’est vu souvent : nos hommes instruits, nos professeurs du temps de l’Empire, de la Restauration, nos académiciens même étaient à peine informés de ces doctes débats. […] J’étais accoutumé à considérer comme un ensemble chacun des poëmes d’Homère, et je les voyais là séparés et dispersés, et, tandis que mon esprit se prêtait à cette idée, un sentiment traditionnel ramenait tout sur-le-champ à un point unique ; une certaine complaisance que nous inspirent toutes les productions vraiment poétiques me faisait passer avec bienveillance sur les lacunes, les différences et les défauts qui m’étaient révélés. » Mais n’était-ce qu’une illusion et une complaisance de sentiment, comme Gœthe paraît le croire ? […] Et tout cela (voilà le point essentiel) s’est passé avant Solon, avant Pisistrate, avant l’ère des écrivains, de temps immémorial, à cette époque légendaire, créatrice et spontanée, où la Muse dictait les chants à ses favoris, devant un auditoire ému, crédule, passionné, naïf, sans critique aucune, sans autre critérium à lui que sa curiosité et son plaisir.
Ce qui s’était passé au combat de Dettingen (27 juin) n’était pas encourageant. […] Rousset, c’est qu’on y sent l’esprit mou, la volonté molle, à la mollesse même de la phrase ; le relâchement et l’indécision sont dans la parole comme dans la pensée ; le sens y flotte ; on y passe du pour au contre en un instant. […] Frédéric, en effet, pouvait être un sceptique en religion, un mécréant, et se passer en conversation bien des goguenarderies ; mais avec lui le roi, dès qu’il parle des choses royales, n’est jamais loin. […] Mais une grave diversion éclate en Alsace : le prince Charles de Lorraine passe le Rhin et envahit le royaume. […] Je sais me passer d’équipage, et, s’il le faut, l’épaule de mouton des lieutenants d’infanterie me nourrira parfaitement. » Cela ne tiendra pas.
remy, qui, jeune, ne trouva pas à ouvrir sa voie dans les tentatives d’alors, et qui dissipa ses premiers efforts dans les conceptions les plus hasardées, fit preuve, à un certain moment, d’une volonté forte et d’un bien rare courage : il rompit brusquement avec cette imagination qui ne lui répondait pas, avec ce passé qu’il avait fini par réprouver ; il aborda les études sévères, les hautes sources du savoir et du goût, et il en sortit après plusieurs années comme régénéré. […] Fremy est si en peine de trouver et de poursuivre partout le madrigal, qu’il n’a pas craint d’en dénoncer un dans les vers qui terminent cette adorable pièce de la Jeune Captive : Ces chants, de ma prison témoins harmonieux, Feront à quelque amant des loisirs studieux Chercher quelle fut cette belle : La grâce décorait son front et ses discours, Et comme elles craindront de voir finir leurs jours Ceux qui les passeront près d’elle ! […] De plus, lorsqu’un poëte, un peintre, a un style à lui et une manière reconnue, on lui passe d’ordinaire quelque mélange : ainsi La Fontaine se laisse souvent aller dans ses plus franches peintures à je sais quelles teintes du goût Mazarin. […] les étrangers et les écoliers peut-être s’en passeront, si on le leur défend ; et pour ces derniers, en effet, je me garderais de le leur conseiller. […] La jeunesse l’aime, elle lui sourit ; cette vogue, qui passe si vite pour les auteurs, se renouvelle pour lui depuis déjà bien des printemps ; l’heure de réaction que vous appelez, et contre laquelle nul autre en nos jours n’est garanti, n’a pas encore sonné, ne vous en déplaise.
. — Chacune d’elles a une durée et passe d’un minimum à un maximum d’intensité. — Cas des sons musicaux quelconques. — Expérience de Savart. — Nombre énorme des sensations élémentaires qui se succèdent en une seconde pour former la sensation totale d’un son aigu. — Ce nombre croît à mesure que le son devient plus aigu. — En ce cas, les sensations élémentaires cessent d’être démêlées par la conscience. — Aspect que doit prendre la sensation totale. — Elle le prend en effet. — Les caractères de grave, d’aigu, de haut, de bas, de large, d’effilé, d’uni, de vibrant, que nous trouvons dans la sensation totale, s’expliquent par l’arrangement des sensations élémentaires. […] Qu’on me définisse le mouvement moléculaire produit dans les glossopharyngiens et cet autre mouvement moléculaire qui, par contrecoup, se développe dans les centres nerveux lorsqu’une dissolution de sucre ou de coloquinte passe sur ma langue et dans mon arrière-bouche ; je n’en serai pas plus instruit sur la nature de la sensation du doux et de l’amer. […] Les divers degrés de force ou d’intensité de la même sensation de son sont les divers degrés par lesquels elle passe de son minimum à son maximum, et l’on sait que ces degrés ont pour condition suffisante et nécessaire les divers degrés de condensation de l’onde aérienne. […] Isolée, le sens intérieur ne l’aperçoit pas ; elle existe néanmoins, puisque, dans le son musical très grave, nous l’apercevons comme incessamment répétée et composante ; et d’ailleurs il est clair que nul composé ne peut exister sans composants. — D’autre part, on a vu que, dans le son aigu comme dans le son très grave, la sensation élémentaires un maximum ; nous démêlons ce maximum dans le son très grave, nous ne le démêlons pas dans le son aigu ; il existe cependant dans l’un comme dans l’autre ; mais, dans le son très grave, la distance plus grande de deux maxima nous permet de les distinguer, et, dans le son aigu, la proximité trop grande de deux maxima nous empêche de les distinguer. — Bien plus, chaque sensation élémentaire, pour passer de son minimum à son maximum, passe, dans la courte durée qu’elle occupe, par une infinité de degrés ; à plus forte raison ces degrés sont-ils invisibles à la conscience ; en sorte que, dans un son aigu, la sensation élémentaire indistincte comprend, outre deux états extrêmes indistincts, une infinité d’états intermédiaires indistincts.
L’Égypte avait été le pont d’une seule arche qui avait uni intellectuellement la Chine et les Indes littéraires et religieuses à la Grèce ; mais ce pont s’est écroulé dans le Nil, et nous ne connaissons de cette intelligence disparue que ce qui en avait passé en Grèce ou à Rome. […] La mémoire est le premier élément de cette création, parce qu’elle retrace les choses passées et disparues à notre âme ; aussi les Muses, ces symboles de l’inspiration, furent-elles nommées les filles de mémoire par l’antiquité. […] Passons donc sur ces incrédulités, vestiges de l’antique envie qui a poursuivi ce grand homme jusque dans la postérité. […] On ignore si cet homme connaissait ou ignorait l’état de Crithéis, qui passait sans doute pour veuve ou pour mariée à Cymé. […] Son âme avait passé tout entière dans leur mémoire avec ses chants ; en la rendant aux dieux il ne l’enlevait pas à la terre : elle était devenue l’âme de toute la Grèce ; elle allait devenir bientôt celle de toute l’antiquité.
Les choses se passent en France à peu près comme en Italie : les humanistes tournent en élégant latin les œuvres les plus fameuses du théâtre grec ; ils s’exercent à les imiter dans des compositions originales. […] Or le « théâtre » peut se passer de forme littéraire ; il n’existe que par et pour l’imitation scénique. […] Quand les lieux étaient voisins dans la réalité, l’acteur passait lentement de l’un dans l’autre : éloignés, il quittait la scène pour y rentrer aussitôt. […] On ne sut pas passer du décor simultané au décor successif, qui pourtant ne fut pas tout à fait inconnu. […] Grâce à Hardy et à Mairet, le public était en train de se passionner pour le théâtre, et le poème dramatique passait insensiblement au premier rang des genres littéraires.
Généralement, quand on dit cela, on le dit avec mélancolie ; cela ne passe point pour une constatation des plus gaies : c’est bien à tort. […] Le peuple, lui, adore les romans qui se passent « dans le plus grand monde », parce que le peuple est naturellement bon et résigné et parce qu’il est d’une divine inconscience. […] L’amour, l’intelligence, le talent, l’esprit même, tout cela non seulement peut se passer du monde, mais a toujours vécu hors de lui, loin de lui, sauf par accident. […] De se donner ou de se garder Plus probablement ceci que cela, car une charmante figure mâle, ornée de fines moustaches et de grands yeux noirs à cils ombreux, couronnée de cheveux bruns coupés ras et poussant dru, passait dans la glace à chaque instant, montrant, dans un sourire très doux, des dents juvéniles, toutes blanches et au grand complet… Un dîner, une visite, cela suffit. […] … La Providence est une divinité maladroite, qui ne fait rien pour raffermir son culte toujours chancelant, mal assis dans le cœur de l’homme ; elle vous reprend d’une main (elle doit avoir des mains puisqu’on lui prête un doigt) ce qu’elle, vous a donné de l’autre, de sorte que l’observateur attentif finit par s’apercevoir qu’il n’y a rien, dans ces alternatives de générosité et de rigueur, qui différencie clairement son action de celle du hasard au passe dix ou à la roulette.
Or, bien que nous soyons, nous et le monde, dans un flux perpétuel, et qu’il y ait d’ailleurs quelque plaisir à changer (d’abord on jouit ainsi des choses en un plus grand nombre de façons, et puis cette faculté de recevoir du même objet des impressions diverses peut aussi bien passer pour souplesse que pour légèreté d’esprit), toutefois, et je le dis à ma honte, je n’ai pas assez changé dans cet espace d’une année pour avoir rien d’essentiel à ajouter à ce que j’ai dit déjà. […] Le drame est aussi simple que s’il se passait dans un ménage d’ouvriers et si la cause du mal était le jeu ou la boisson. […] Claude, cette nuit-là, a passé une heure à regarder l’eau du haut du pont des Saints-Pères ; il est enfin rentré ; mais, à peine couché, il s’est échappé du lit. […] Vous trouverez aussi deux ou trois scènes qui ne sont peut-être que mélancoliques : celle où Dubuche, l’homme qui a fait un riche mariage, passe sa journée, dans le morne château où il est méprisé des valets, à envelopper de couvertures et à suspendre à un petit trapèze ses deux petits enfants rachitiques, et le dîner où le brave Sandoz a le sentiment amer de la dispersion et de la mort des amitiés de jeunesse… Mais plutôt vous trouverez, presque à chaque page, une tristesse affreuse, une violence de vision hyperbolique qui accable et fait mal. […] Et, pendant ce temps-là, monseigneur l’évêque de Beaumont, qui a quelque soixante ans, tourmenté dans sa chair par le souvenir de la femme qu’il a adorée, passe les nuits à se tordre sur son prie-Dieu avec « un râle affreux… dont la violence, étouffée par les tentures, effraye l’évêché ».
Et il y a un grand charme dans cette sorte de comparaison, qui nous fait passer en un seul instant de l’un des deux mondes dans l’autre. […] Un homme d’un goût délicat et qui passe sa vie à étudier la littérature française et les littératures étrangères, M. […] Le poète ne développe pas l’idée de la grandeur de Napoléon, mais il passe tout de suite à l’image ; il n’y a même pas de comparaison, le mot d’aigle n’est seulement pas prononcé ; et cependant rien n’est plus clair que cette pensée en images. […] La Cloche de Schiller, par exemple, est un pur symbole ; et voilà pourquoi elle passait pour intraduisible dans notre langue. […] Nous pourrions continuer, et montrer que tout se passe de même dans toute la science mathématique comme dans ses applications.
L’argent des caisses publiques passait pour de l’argent volé 183. […] Juda avait sans doute bien d’autres principes, que Josèphe, toujours attentif à ne pas compromettre ses coreligionnaires, passe à dessein sous silence ; car on ne comprendrait pas que pour une idée aussi simple, l’historien juif lui donnât une place parmi les philosophes de sa nation et le regardât comme le fondateur d’une quatrième école, parallèle à celles des Pharisiens, des Sadducéens, des Esséniens. […] Les actes les plus importants de sa carrière divine se passent sur les montagnes ; c’est là qu’il était le mieux inspiré 189 ; c’est là qu’il avait avec les anciens prophètes de secrets entretiens, et qu’il se montrait aux yeux de ses disciples déjà transfiguré 190. […] Les Galiléens passaient pour énergiques, braves et laborieux 191. […] Mais le voisinage des vieux sanctuaires de Silo, de Béthel, près desquels on passe, tient l’âme en éveil.
Je l’approuve aussi de condamner l’unité hypocrite qui enferme mon présent et mon avenir dans mon passé et qui me défend, lorsque j’ai grandi, de rejeter les vêtements courts ou étroits. […] Bordeaux, et un de ces imbéciles qui ne voient que les faits extérieurs m’objectera peut-être que celui-ci n’a point passé par l’École. […] Son érudition pillarde fait de plus lointaines excursions dans le passé et en rapporte de précieuses épaves légitimement recueillies puisqu’elles viennent de livres « tombés dans le domaine public ». […] Alors on rit de voir le propriétaire passer en recommandant aux ombres, avec de grands gestes un peu grinçants, de ne pas crier et de se montrer de bonne compagnie. […] … » Le « héros de ce temps » passe beaucoup de temps à gémir sur lui-même.
Pour compléter le parallèle, un petit homme, « aux yeux creux et au teint échauffé », entre dans son salon. « Il marche doucement, il semble craindre de fouler la terre, il marche les yeux baissés, et il n’ose les lever sur ceux qui passent. […] Je passe la scène où Giboyer se lance dans d’interminables tirades contre l’aristocratie de l’argent opposée à l’aristocratie de l’intelligence. […] Le service même sent le sacristie, les valets ont l’air contrit et le service clandestin ; ils passent les rafraîchissements comme du pain bénit. […] Je passe sur l’invraisemblance d’un parti réduit, pour rédiger un discours, à emprunter la plume d’un bravo de lettres. […] Son genre de comique est passé ; il a tourné au baroque et au suranné.
Cet oncle passait un été à Ferney, et le petit Florian, âgé de dix ans, l’y alla voir, il a très bien raconté ce premier voyage (juillet 1765). […] Florian ressuscita, au Théâtre italien, le genre des arlequinades, qui semblait passé de mode ; mais son Arlequin ne ressembla point aux autres. […] L’invention dernière, l’idée de la sarcelle remorquant à la nage le lapin assis sur un radeau qu’elle a construit exprès pour lui faire passer la rivière, est exprimée d’une manière tout à fait pittoresque et gracieuse : Ah ! si tu pouvais passer l’eau ! […] Florian allait volontiers, chaque été, passer quelques semaines d’un agrément toujours nouveau dans une habitation magnifique et délicieuse, qui appartenait à Mme de La Briche, belle-sœur de Mme d’Houdetot et belle-mère de M. le comte Molé, et que nous-même, dans son extrême vieillesse, nous avons eu l’honneur d’y voir encore.
Il répétait souvent ce proverbe des Persans : « Le plus étroit du défilé est à l’entrée de la plaine. » Il passa tout l’hiver de 1783-1784 à recopier son ouvrage, à y ajouter, à y retrancher : « L’ours ne lèche pas son petit avec plus de soin. […] Inconnu, rebuté et indigent la veille, l’auteur passa en quelques jours à l’état de grand homme et de favori de l’opinion. […] Villemain est rentré dans son sujet de rapporteur en disant : « Vous pardonnez, Messieurs, l’exactitude de ces souvenirs, un de ces privilèges du temps, que le talent seul des jeunes candidats ne suppléerait pas. » Il y a, à toute cette éloquence moins foudroyante qu’il ne semble, et plus épigrammatique que sérieuse, un seul malheur, c’est que les choses ne se sont point passées tout à fait ainsi, c’est que M. […] Bernardin passe à une longue homélie en l’honneur de la philosophie, très digne d’être prêchée dans un temple de théophilanthropes. […] Le public a vainement essayé de le suivre dans les différents siècles, dans les différentes régions du globe ; il nous a fait passer en revue les Druides, les Gaulois, les Romains, César, les Francs et les Saxons, Clovis, Louis XIV.
Il reprend la loi de Malherbe et la remet en vigueur ; il l’étend et l’approprie à son siècle ; il l’apprend à son jeune ami Racine, qui s’en passerait quelquefois sans cela ; il la rappelle et l’inculque à La Fontaine déjà mûr63 ; il obtient même que Molière, en ses plus accomplis ouvrages en vers, y pense désormais à deux fois. […] La sensibilité de Boileau, on l’a dit, avait passé de bonne heure dans sa raison, et ne faisait qu’un avec elle. […] Ils ont passé une nuit dans un magnifique appartement que l’on fait à Mlle de Fontanges. […] Les deux poètes firent bivouac où les deux ours l’avaient fait la nuit précédente, et eurent le loisir de songer ou à leur poésie passée, ou à leur histoire future. […] Prenons les choses littéraires telles qu’elles nous sont venues aujourd’hui, dans leur morcellement et leur confusion ; isolés et faibles que nous sommes, acceptons-les avec tout leur poids, avec les fautes de tous, en y comprenant nos propres fautes aussi et nos écarts dans le passé.
Reçu avocat à Chambéry, il ne voulut point passer outre et refusa dès lors la place de sénateur ou de conseiller au parlement de Savoie, qui lui fut offerte encore depuis. […] Les paroisses qui avoisinaient Genève et qui bordaient le lac du côté de la Savoie étaient passées au protestantisme ; et, dans ces espèces d’insurrections spirituelles du xvie siècle, ce n’étaient pas seulement les doctrines, c’étaient les mœurs qui étaient en jeu comme en toute espèce d’insurrection ; tous les relâchements et les licences grossières s’introduisaient à la faveur des changements. […] Le duc de Savoie (Charles-Emmanuel), politique habile et rusé, lui sut toujours mauvais gré de ces liaisons intimes qu’il avait contractées à la cour de France, et des distinctions singulières dont il avait été l’objet ; il en conçut de la méfiance contre celui qui n’avait pourtant aucune vue d’ambition mondaine, et qui disait en son gracieux langage : « Je suis en visite bien avant parmi nos montagnes, en espérance de me retirer pour l’hiver dans mon petit Annecy où j’ai appris à me plaire, puisque c’est la barque dans laquelle il faut que je vogue pour passer de cette vie à l’autre. » Henri IV, de son côté, ne cessa d’avoir l’œil sur l’évêque de Genève. […] On est forcé, quand on cite du saint François de Sales, de retrancher bien des nuances et des finesses qui sont le plus délicat de la pensée : « Ce sont des choses si minces, si simples et délicates, disait-il lui-même en en supprimant plus d’une, que l’on ne les peut dire quand elles sont passées. » Il suffit ici que nous nous attachions au gros de l’arbre et à la principale branche. […] Les autres, ingénieuses, mais recherchées, sont empruntées aux auteurs qu’il a lus ; il veut égayer et éclairer, à l’aide d’une histoire naturelle le plus souvent fabuleuse, les vérités morales et chrétiennes qui d’elles seules se passeraient d’ornements.
Tout mouvement produit tend à se dépenser d’une manière ou d’une autre ; il ne peut donc s’arrêter dans un groupe de cellules cérébrales, il passe nécessairement aux groupes voisins pour retentir de proche en proche jusqu’à des groupes plus éloignés. […] Les deux cortèges de contiguïtés différentes, les unes constituant des sensations actuelles, les autres des images de sensations passées, se superposent imparfaitement et donnent l’impression finale de dissemblance dans la ressemblance. […] Le tort de Spencer est d’avoir immédiatement identifié cet emboîtement des images similaires avec la conscience de leur similarité, qui a besoin d’une explication particulière, et avec la reconnaissance de la similitude entre le passé et le présent, opération encore plus compliquée dont nous parlerons plus loin78. […] C’est, l’analogue d’une traînée de poudre : quand un grain de poudre a été brûlé, le grain voisin, qui ne l’a pas été, s’enflamme au contact et brûle à son tour ; la lumière passe de l’un à l’autre. […] Enfin, c’est déjà jouir que se souvenir, car c’est contempler des semblables et doubler sans effort le présent avec le passé ; de là cette volupté secrète qui se retrouve jusque dans le souvenir de la douleur.
Corneille, à soixante-cinq ans, se fait aimer (tradition dans la famille Escoubleau) de la toute jeune marquise de Contades en lui promettant la postérité : Chez cette race nouvelle, Où j’aurai quelque crédit, Vous ne passerez pour belle Qu’autant que je l’aurai dit. […] L’entomologie a eu de l’avancement depuis le temps où l’on affirmait que le scarabée était un peu dieu et cousin du soleil, premièrement, à cause des trente doigts de ses pattes qui correspondent aux trente jours du mois solaire, deuxièmement, parce que le scarabée est sans femelle, comme le soleil ; et où saint Clément d’Alexandrie, enchérissant sur Plutarque, faisait remarquer que le scarabée, comme le soleil, passe six mois sur terre et six mois sous terre. […] Grand-Jean de Fouchy, le peu crédule secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, il y a cent ans, eût hoché la tête si quelqu’un lui eût dit que du spectre solaire on passerait au spectre igné, puis au spectre stellaire, et qu’à l’aide du spectre des flammes et du spectre des étoiles on découvrirait tout un nouveau mode de groupement des astres, et ce qu’on pourrait appeler les constellations chimiques. […] Des religions meurent, et, en mourant, passent aux autres religions qui viennent derrière elles un grand artiste. […] Un homme, un mort, une ombre, du fond du passé, à travers les siècles, vous saisit.
ceci n’est point une attaque contre les poètes du passé : nous déclarions récemment que le symbolisme était une conséquence logique et fatale du romantisme ; nous n’aurions garde de renier nos aïeux, ni nos grands aînés, et si nous avions des sévérités, ce serait uniquement contre des imitateurs qui les suivraient de trop près, et se conformeraient à eux, mots et idées. […] Baudelaire connut l’œuvre wagnérienne, l’illustra de belles pages, et Mendès très longtemps orna le wagnérisme. » On répondra que Baudelaire en 1862 — date de sa connaissance du Tannhauser et de son étude critique — était âgé de quarante ans, fatigué de son bel effort, qu’il pouvait éprouver des plaisirs esthétiques nouveaux, et les traduire, admirablement, sans que cela l’induisît à modifier une formule de vers qui était déjà une conquête sur le passé ; et si la même raison ne peut valoir pour Mendès, quoi d’étonnant à ce que celui-ci soit, car son éducation poétique, quoique moins avancée, était déjà faite, resté fidèle à un idéal technique, dont il ne pouvait encore percevoir la caducité, puisqu’elle n’existait pas encore, et qui lui laissait toute la place pour ses réalisations encore neuves. […] Il n’y a donc pas lieu d’arguer contre nous d’un passé de sept siècles. […] Au temps de la Vogue et de la Revue indépendante, pour le vrai lecteur (minorité que nous aimions nous figurer une élite), la littérature nouvelle commençait à Goncourt, égrégé du naturalisme, passait par Villiers de l’Isle-Adam, et nous englobait tous, nous autres du moins sur les confins, disait-on métaphoriquement. […] L’existence de nouvelles œuvres très belles, hautes, complexes, venant s’ajouter au glorieux passé de l’alexandrin, n’objecteraient rien de concluant pour l’avenir.
Cela est triste à dire, mais cela est, et la Critique qui pèse la gloire, parce que c’est une manière de plus de peser l’œuvre dont elle est le prix, ne peut le passer sous silence. […] c’est cette ère des personnalités fortes, ouverte par Louis XIV, mais qui n’est pas fermée, c’est cette réserve de Dieu quand les peuples sont à bout de malheurs et de fautes et qui est peut-être toute la question des temps modernes dans ce qu’ils ont de passé déjà et ce qui leur reste d’avenir, c’est celle nécessité et cette grandeur qu’il n’est pas permis aux esprits fermes en politique de méconnaître. […] Ce n’est pas au xixe siècle, quand les penseurs à faire mourir de rire de ce siècle fameux cherchent le moyen impossible de se passer de la main de l’homme dans le gouvernement des peuples, qu’on peut apprécier Louis XIV, le plus grand des rois personnels, un de ces rois qui, à force d’expédients et de génie, dispensent les peuples d’institution, quand il n’y en a plus qui se tiennent debout et qu’on puisse rajuster. […] Mais ce que l’on passe à un poète, à un faiseur de fictions, on ne peut pas le passer à un homme dont le métier sublime est de faire de la vérité.
Il se vante, il est vrai, en ces Lettres qui le changent, non plus en nourrice, mais en tombe, d’avoir été trois ans un damné mauvais sujet ; mais, outre que les passions ne sont pas plus de l’âme que les servantes ne sont leurs maîtresses, quoique les mauvais sujets les leur préfèrent souvent, un homme qui, comme feu Mérimée, passa toute sa vie à avaler des dictionnaires et des grammaires, à visiter des musées, à gratter la terre pour y trouver des antiques, à monter et à descendre des escaliers pour entrer ès Académies, à galoper et à valeter sur toutes les routes, comme un courrier de malle-poste, dans l’intérêt de l’art et des gouvernements, à rapporter au Sénat et à charader pour l’Impératrice, était attelé à trop de besognes pour avoir le temps de regarder du côté de son cœur pour s’attester qu’il en avait un… Eh bien, c’était là une erreur ! […] Ils s’achetaient mutuellement des bourses, des bijoux, des robes de chambre, et c’est ainsi qu’ils ont passé, ces grands cœurs fidèles, trente ans de leur vie, condamnés, l’un par l’autre, aux travaux forcés de la commission ! […] Accepté par l’opinion comme un homme de talent, d’un talent volontaire, retors, efforcé et sans enthousiasme, il passait, dans cet odieux siècle pratique, pour ce qu’on appelle, en clignant de l’œil, un malin, et il avait eu l’avantage de vivre à la cour de Napoléon III sur un pied excellent pour en écrire, sans illusion, l’histoire. […] Sa jeunesse n’attendit pas longtemps une renommée qui vient souvent si tard à ceux qui la méritent le plus, il fut célèbre dans un temps où la gloire était facile et coulait à pleins bords, à la portée de ceux qui en avaient soif et qui n’avaient qu’à se baisser pour prendre dans leur main de cette eau brillante qui passait. […] Valet qui compromet son maître, il affirme (comment le sait-il, lui qui n’a rien deviné des choses et des hommes qui ont passé devant ses yeux ?)
Et c’est le manque de grande et forte conception morale dans Macaulay qui, bien avant qu’il eût passé avec armes et bagages de la Littérature à l’Histoire, fait déjà le vice principal et radical de sa critique dans les quelques morceaux, admirables sous d’autres rapports, que nous avons de lui, et qui en aurait été, je le crains bien, le vice éternel, en supposant qu’il ne fût jamais devenu, lui, le transfuge de la littérature. […] Je sais bien qu’il y a les historiens immortels de la nature et de l’espèce humaine à travers les formes accidentées des peuples, et ceux-là ne font jamais grimacer l’impartialité de l’esprit ; mais il y a les historiens des partis qui passent et qui demain ne seront plus, et malheureusement c’est parmi ces derniers que Macaulay alla perdre la sérénité de sa pensée et la bonne humeur de son génie. […] Doué de l’imagination la plus opulente, qui saisit et reproduit avec éclat toutes les analogies et toutes les différences, puissant par la vaste étendue de l’esprit et par une étendue non moins vaste de connaissances, Macaulay pourrait être regardé comme un critique complet s’il avait le jugement souverain, qui est le coup de hache définitif et mérité par lequel le critique ressemble à l’homme d’État, et dont l’un ne peut pas plus se passer que l’autre. […] Intérieur et extérieur, également embrassés, de l’ouvrage qu’il veut faire connaître, influences subies ou repoussées, époques reproduites à grands traits, individualités pénétrées, manière toute-puissante et presque magique de grouper les faits dans laquelle il est passé maître, vues ingénieuses et profondes, preuves historiques resplendissant d’exemples à l’appui de ses opinions, et, quand il n’est pas dans la vérité absolue, mirages historiques si bien faits que les plus savants peuvent y être pris, voilà les forces vives du genre de critique qui est la gloire de Macaulay ! […] Sous sa main, elle était devenue humaine ; elle écoutait aux portes du cœur ; et pas de doute que si son cœur, à lui, avait souffert, si la destinée lui avait fait goûter à ses savoureuses amertumes, si la divine Marâtre qu’on appelle la Douleur lui avait mis au front ce baiser mordant qui le féconde, pas de doute que comme critique même (comme écrivain, ce n’est pas douteux), il aurait été plus profond et plus grand… L’homme n’est jamais assez intellectuel pour pouvoir se passer de sentiments, et les plus forts sont les sentiments blessés.
Plus tard encore, une Correspondance diplomatique, tirée de l’ombre des chancelleries épaissie par la précaution, et misérablement altérée dans un intérêt de parti, révélait encore assez du de Maistre des Œuvres complètes pour qu’à côté du mensonge de l’altération on vît éclater la vérité de l’irréductible génie et tomber et passer sur l’imposture comme une rature sublime ! […] Soit qu’elles s’appellent : Fragment sur la France, Bienfaits de la Révolution, Études sur la Souveraineté, L’Inégalité des conditions, Du Protestantisme et de la Souveraineté encore, c’est toujours le même problème, posé dès qu’il a pensé, je crois, et que de Maistre a passé sa vie à retourner sur toutes les faces. […] Il passe à travers et tombe par terre. […] L’émancipation, à laquelle s’opposait le comte de Maistre, a été proclamée, et il est curieux de connaître sur quels faits produits par un esprit de cet ordre le gouvernement russe a passé. […] Même en les exprimant, du reste, notez bien que ces principes ne sont jamais, pour ce solide esprit, appelé paradoxal par les esprits fragiles, que des conclusions historiques, des empêchements de circonstances et de nature des choses, dans le détail desquels, en ces lettres sur la Russie, il court et passe, comme la lumière, avec une rapide splendeur.
De Condillac, il passait à Descartes, à Leibnitz, Platon, Plotin lui-même, admirait M. […] Cousin répondait : « Passez, messieurs, dans l’arrière-cave ; c’est le domicile de M. de Biran, un bien grand philosophe ; il vous donnera tous les éclaircissements nécessaires. […] Quoi qu’ils découvrent, ils ne font que passer du phénomène particulier au phénomène général. […] Les fleurs, la fraîcheur de la chambre, l’ennui de bâiller seul, la gaieté du ciel, toutes ces idées, avec tous leurs détails, passent et reviennent dans votre tête, agréables ou fâcheuses, avec des commencements et des chocs de désirs contraires ; tout à coup vous apercevez un volume nouveau, les Contemplations de Victor Hugo. […] Rengainez-la, mon cher ami, comme une épée ; la mode est passée d’emporter.
Logicien sévère, par nécessité et pour sortir du doute, il trouvait, en cherchant les dépendances mutuelles des questions philosophiques, qu’elles dépendent toutes de la psychologie, et que pour définir le beau, le bien, le vrai, pour conjecturer la cause, l’avenir, le passé, les devoirs et les espérances de l’homme, il faut d’abord observer l’homme. […] Cela fait, on fondrait aisément les idées de Hégel et les siennes, et on verrait qu’aux deux extrémités de la science la description anatomique de nos sentiments et la construction métaphysique du monde s’accordent pour conclure que la beauté est un développement apparent ou réel, lequel, étant conçu par nous, passe en nous. […] — L’essentiel, ce n’est pas telle idée, telle sensation, telle résolution, qui passera tout à l’heure, qui aurait pu ne pas être, qui ne s’est pas produite d’elle-même. […] Un homme d’esprit, votre unique successeur, a passé sa vie à en distinguer vingt-cinq ou trente, à compter les trente ou quarante inclinations primitives, à démêler en nous l’instinct de monter sur les lieux élevés. […] Tout le mouvement de la science consiste à passer des faits apparents aux faits cachés, des faits produits aux faits producteurs.
Effarouchés, les troupeaux bondissent à travers les riants pâturages et passent les fleuves rapides. […] Ainsi raisonnent les hommes, quand, à l’alentour d’une table, souvent ils tiennent la coupe, et que, couronnant leur tête de fleurs, ils disent volontiers : Ce plaisir n’a qu’un moment pour les pauvres humains ; tout à l’heure il aura passé, et il ne sera pas permis de le rappeler jamais. » Cette fois encore un prélude avait retenti, non pas sans doute de la lyre sacrée, mais de cette corde mélancolique et douce que devait bientôt toucher Horace avec plus d’insouciance que de triste certitude, et en égayant son âme par les douceurs de la vie sans prétendre la convaincre qu’elle doit à jamais mourir. […] « Elle va venir l’étoile du soir, apportant les joies désirées des époux ; elle va venir, avec l’astre favorable, l’épouse qui pénétrera ton âme de son impérieux amour et partagera près de toi la langueur de ton doux sommeil, ses bras gracieux passés sous ton col héroïque. […] « Il naîtra pour vous un Achille au-dessus de la crainte, dont l’ennemi ne verra jamais que le front et la poitrine hardie, et qui souvent, vainqueur aux jeux de la course, passera de bien loin les traces enflammées de la biche légère. […] Lucrèce, presque seul, fut inspiré et égaré par ces temps affreux, alors qu’il passait du juste mépris d’un culte aussi corrompu que ses adorateurs à la négation d’une Providence qui permettait tant de crimes, et à l’apothéose du plaisir comme seul dédommagement des misères de l’homme.
Dans l’intervalle du retour d’Espagne et des conférences de La Fère, il s’était passé de graves événements à Paris. […] Ses maximes habituelles sont, en effet, que « c’est grande prudence aussi de céder quelquefois au temps et aux occasions qui se présentent, car par ce moyen l’on évite souvent de grands périls, lesquels passés, l’on recouvre après facilement, voire au double, ce que l’on y a mis ». […] Sur cet avis, à quelque prix que ce fût, il voulut faire voile, et s’en alla sur le port, où la bonne fortune lui présenta le vice-amiral de Zélande, qui avait ordre de le passer avec trois vaisseaux de guerre qu’il avait laissés à la rade… Il partit, continue Saumaise, quelque résistance que lui fît l’amiral, et fûmes trois jours entiers les voiles abattues et pliées, à n’aller que par marée, quelquefois à la bouline et toujours avec travail ; cependant notre bon vieillard, quelque malade qu’il fût, ne se voulut coucher et dit qu’un homme de bien ne passait point la mer dans un lit.
Mais ce sont là des qualités qui se rapportent à une histoire déjà bien passée, et nous n’avons à parler aujourd’hui que de ce qui ne vieillit pas, de la belle littérature. […] On lui a fait récemment une sorte de reproche d’avoir passé sous silence toute la littérature du xixe siècle, dans ses branches les plus fertiles et les plus brillantes de la poésie et du roman. […] Sur le Télémaque, il y a tant de gens qui, après l’avoir lu enfants, l’ont oublié ou qui le rejettent d’un air d’ennui s’ils essayent de le relire, qu’on est surpris d’abord de voir un homme si sage et que de loin on jugerait un peu froid (pour ceux qui le connaissent, il ne l’est pas du tout), nous raconter comment il a passé par trois impressions successives au sujet du livre relu, et nous faire l’histoire de ces trois époques, de ces trois âges du Télémaque en lui. […] D’ailleurs il se passe bien d’apologie, et il laisse à l’expérience toute seule le soin de dire le dernier mot sur son compte.
Non content de ces soldats en chair et en os, de ces hochets militaires en grand, il en avait encore à domicile dans sa chambre, et d’une autre sorte, pour le temps qu’il passait en ville : « Dans ce temps-là (1755), et longtemps après, le principal jouet du grand-duc, en ville, était une excessive quantité de petites poupées, de soldats de bois, de plomb, d’amadou et de cire, qu’il rangeait sur des tables fort étroites qui prenaient toute une chambre ; entre ces tables à peine pouvait-on passer. […] Comme le cabinet était fort petit, hormis Léon Narichkine, sa belle-soeur et moi, personne ne vit cela ; mais le comte Horn ne fut pas trompé, et tandis que je traversais les appartements pour revenir dans la salle, le comte Horn tira le compte Poniatowsky par l’habit et lui dit : “Mon ami, il n’y a rien d’aussi terrible qu’un petit chien de Bologne ; la première chose que j’ai toujours faite avec les femmes que j’ai aimées, c’est de leur en donner un, et c’est par eux que j’ai toujours reconnu s’il y avait quelqu’un de plus favorisé que moi”. » Je passe sur bien des gaietés et des espiègleries. […] Tout d’ailleurs, jusque dans cette disgrâce où elle vivait, lui montrait du doigt et lui promettait l’Empire ; son vieux chirurgien Gyon, son jardinier d’Oranienbaum, Lamberti, le lui prédisaient au milieu de ses plantations et de ses amusements solitaires, la voix du peuple et des soldats, quand elle passait, le lui murmurait à ses oreilles ; son démon secret, le plus sûr oracle, lui disait, à toute heure : Tu régneras.
Rousseau banni adressait à ses protecteurs des odes composées au jour le jour, sans unité d’inspiration, et que n’animait ni l’esprit du siècle nouveau ni celui du siècle passé, en 1729, à l’hôtel de Conti, naissait d’un des serviteurs du prince un poëte qui devait bientôt consacrer aux idées d’avenir, à la philosophie, à la liberté, à la nature, une lyre incomplète, mais neuve et sonore, et que le temps ne brisera pas. […] Ils aspireront à quelque chose de mieux, au simple, au grand, au vrai, et se dessécheront et s’aigriront à l’attendre ; ils voudront le tirer d’eux-mêmes ; ils le demanderont à l’avenir, au passé, et se feront antiques pour se rajeunir ; puis les choses iront toujours, les temps s’accompliront, la société mûrira, et lorsque éclatera la crise, elle les trouvera déjà vieux, usés, presque en cendres ; elle en tirera des étincelles, et achèvera de les dévorer. […] Élève de Louis Racine, qui lui avait légué le culte du grand siècle et celui de l’antiquité, nourri dans l’admiration de Pindare et, pour ainsi dire, dans la religion lyrique, il était simple que Le Brun s’accommodât peu des mœurs et des goûts frivoles qui l’environnaient ; qu’il se séparât de la cohue moqueuse et raisonneuse des beaux-esprits à la mode ; qu’il enveloppât dans une égale aversion Saint-Lambert et d’Alembert, Linguet et La Harpe, Rulhière et Dorat, Lemierre et Colardeau, et que, forcé de vivre des bienfaits d’un prince, il se passât du moins d’un patron littéraire. […] Il passa une moitié de sa vie à les remanier la plume en main, à en trier les brouillons, à les remettre au net et à en préparer une édition qui ne vint pas.
Il est d’une naissance obscure ; il le sait, il est certain que personne ne l’ignore ; mais au lieu de dédaigner cet avantage par intérêt et par raison, il n’a qu’un but dans l’existence, c’est de vous parler des grands seigneurs avec lesquels il a passé sa vie ; il les protège, de peur d’en être protégé ; il les appelle par leur nom, tandis que leurs égaux y joignent leurs titres, et se fait reconnaître subalterne par l’inquiétude même de le paraître. […] Une femme qui se croit remarquable par la prudence et la mesure de son esprit, et qui n’ayant jamais eu deux idées dans la tête, veut passer pour avoir rejeté tout ce qu’elle n’a jamais compris, une telle femme sort un peu de sa stérilité accoutumée, pour trouver mille ridicules à celle dont l’esprit anime et varie la conversation : et les mères de famille, pensant, avec quelque raison, que les succès mêmes du véritable esprit ne sont pas conformes à la destination des femmes, voient attaquer avec plaisir celles qui en ont obtenu. […] Je ne dirai pas même que la résistance de la noblesse à la révolution ait été produite par la vanité ; le règne de la terreur a fait porter sur cette classe des persécutions et des malheurs qui ne permettent plus de rappeler le passé. […] Bientôt après le règne de la terreur, on voyait la vanité renaître, les individus les plus obscurs se vantaient d’avoir été portés sur des listes de proscriptions : la plupart des Français qu’on rencontre, tantôt prétendent avoir joué le rôle le plus important, tantôt assurent que rien de ce qui s’est passé en France ne serait arrivé, si l’on avait cru le conseil que chacun d’eux a donné dans tels lieux, à telle heure, pour telle circonstance.
. — Diverses causes des faux raisonnements Ces procédés d’argumentation, et tous les raisonnements qu’on peut faire se ramènent à deux catégories : ou bien on passe d’un fait observé ou d’un groupe de faits à la loi qui en rend raison, ou bien on passe du principe évident aux conséquences nécessaires. […] Après quoi Villon poursuit son propos : Puisque papes, rois, fils de rois… Sont ensevelis morts et froids, En autrui mains (aux mains d’autrui) passent leurs rênes ; Moi, pauvre mercerot de Rennes, Mourrai-je pas ? […] Là, par l’exemple d’Henriette d’Angleterre, ici par un développement tout général et spéculatif, il donne la même leçon, grande et utile : « Ô mort… toi seule nous convaincs de notre bassesse, toi seule nous fais connaître notre dignité ; … tu lui apprends (à l’homme) ces deux vérités, qui lui ouvrent les yeux pour se bien connaître : qu’il est infiniment méprisable, en tant qu’il passe ; et infiniment estimable, en tant qu’il aboutit à l’éternité. » Vous pouvez donc, quoi que vous ayez à démontrer, ou bien chercher dans l’étude des faits historiques ou naturels la preuve expérimentale de ce que vous voulez établir, ou bien chercher dans l’analyse de la question quelque principe évident par lui-même ou antérieurement prouvé, dont la vérité débattue dépende par une conséquence nécessaire.
Une tragédie chrétienne dont l’action se passe à un moment quelconque des trois premiers siècles de l’Empire, de Néron à Dioclétien, cela comporte un certain nombre de personnages sans doute inévitables. […] Et il y a la « couleur locale », la fâcheuse couleur locale romaine, dont se sont si heureusement passés Corneille dans Polyeucte et Racine dans Britannicus. […] Comment, échauffé par les pieuses imprécations d’un saint prêtre, le sympathique barbare Faustus passe soudainement du désir à l’acte, c’est ce que MM. […] Quand les cieux auront passé… quand les éléments embrasés auront été dissous… vous, les pauvres… vous ressusciterez en vos corps glorieux, et vous jouirez d’une félicité infinie. » Alors Faustus (remarquez que ce qu’il vient d’entendre est tout ce qu’il connaît du christianisme,) : — « Voilà ce que ton Dieu promet ?
Sainte-Beuve Lamartine n’est pas un homme qui élabore et qui cherche : il ramasse, il sème, il moissonne sur sa route ; il passe à côté, il néglige ou laisse tomber de ses mains ; sa ressource surabondante est en lui ; il ne veut que ce qui lui demeure facile et toujours présent. […] Je vous remercie de ces belles heures que je viens de passer tête-à-tête avec votre génie. […] Il semblait que l’art, pour la première fois, se passât d’artifice. […] Ferdinand Brunetière Lorsqu’on reprend ses trois grands recueils : Les Premières et les Nouvelles méditations, puis les Harmonies, on demeure étonné de ce flot ininterrompu de vers grandioses, qui vont, qui passent, avec la facilité, avec l’amplitude, avec la puissance d’un vaste fleuve répandu dans une large plaine, et tour à tour coloré de tous les reflets du ciel, rosé avec l’aurore, bleu avec le midi, pourpre avec le soir, ténébreux sous la taciturne nuit.
Le temps des douceurs est passé ; il faut maintenant parcourir pas à pas la voie douloureuse qui se terminera par les angoisses de la mort. […] je vous le déclare, il n’en restera pas pierre sur pierre 948. » Il refusa de rien admirer, si ce n’est une pauvre veuve qui passait à ce moment-là, et jetait dans le tronc une petite obole : « Elle a donné plus que les autres, dit-il ; les autres ont donné de leur superflu ; elle, de son nécessaire 949. » Cette façon de regarder en critique tout ce qui se faisait à Jérusalem, de relever le pauvre qui donnait peu, de rabaisser le riche qui donnait beaucoup 950, de blâmer le clergé opulent qui ne faisait rien pour le bien du peuple, exaspéra naturellement la caste sacerdotale. […] Après avoir passé la journée aux disputes du temple, Jésus descendait le soir dans la vallée de Cédron, prenait un peu de repos dans le verger d’un établissement agricole (probablement une exploitation d’huile) nommé Gethsémani 951, qui servait de lieu de plaisance aux habitants, et allait passer la nuit sur le mont des Oliviers, qui borne au levant l’horizon de la ville 952.
La nature de la volonté, c’est de passer immédiatement à l’acte. […] Les actions réflexes, les actes habituels sont de cette nature, « Les actes volontaires se distinguent des actions réflexes par l’intervention d’une conscience, et le phénomène est très remarquable, en ce qu’il nous introduit, pour ainsi dire, dans un nouveau monde Nous sommes même libres, si cela nous plaît, de dire que l’esprit est une source de puissance ; mais nous devons alors entendre par esprit la conscience jointe à tout le corps, et nous devons aussi être prêts à admettre que l’énergie physique est la condition indispensable ; la conscience, la condition accidentelle187. » V « Tout ce qui a été exposé jusqu’ici188 relativement aux actions volontaires des êtres vivants, implique la prédominance d’une uniformité ou d’une loi dans cette classe de phénomènes, en supposant toutefois une complication de nombreux antécédents qui ne sont pas toujours parfaitement connus. » La pratique de la vie s’accorde en général avec cette théorie : nous prédisons la conduite future de chacun d’après son passé ; nous appelons Aristide un juste, Socrate un héros moral, Néron un monstre de cruauté. […] — « Le mot moi ne peut signifier rien de plus que mon existence corporelle, unie à mes sensations, pensées, émotions, volitions, en supposant que leur classification est complète et qu’on en a fait la somme dans le passé, le présent et le futur… Il m’est impossible d’accorder l’existence dans les profondeurs de notre être, d’une impénétrable entité, qui porte le nom distinct de moi, et qui ne consiste pas en quelque fonction ou organe corporel, ou en quelque phénomène mental déterminable. » Quant à l’appel qui a été fait à la conscience, comme témoignant d’une manière indiscutable la liberté de notre volonté, voici ce qu’il faut en penser. […] Bain se fondant sur la tendance de l’idée à passer à l’acte, ne sépare jamais la résolution de l’action.