En même principe, l’inspiration, telle d’un Hugo, s’élargit aussi aux sentiments généraux, et aux idées générales qui ne sont encore qu’un mode de sentir d’une époque. […] Quant à « l’Instrumentation verbale » il m’accordait aussi qu’il une correspondance réelle entre les sensations diverses espèces, et par là, entre les sensations et les sentiments. […] Il est à remarquer que, sans que l’on puisse discerner son vrai sentiment, Mallarmé exprime de l’entente avec la « Wallonie » quelque mécontentement. […] Le « Jeune homme blond », ne sera-t-il point, « petit pur-sang, au Sentiment dans ce qu’il a d’éternel ! […] Le tout est de les produire avec art, et l’art de Baudelaire en tel sens est d’extraordinaire et d’impeccable habileté, ou plutôt d’un circonspect travail mené d’un attentionné sentiment de l’harmonie.
Oui, répond Sorel, pourvu que l’on arrache ce prolétaire au « marais démocratique » en exaltant chez lui le sentiment de sa classe et de la guerre à soutenir contre la classe adverse. […] Mais la vraie cause est la force de sentiment religieux chez les concitoyens de sainte Catherine. […] Leur histoire est contée du même style et avec les mêmes sentiments qui eussent été les leurs. […] Il en différait par un sentiment plus vif de la littérature. […] Cette tradition, jointe au douloureux sentiment du désastre national, détermine sa vocation.
Un homme comme Montaigne est un Latin, de sentiments, de pensée et même de style ; un homme comme Rabelais est un Grec, de sentiments et de pensée au moins ; de langue parfois. […] La science de Dieu, ou la recherche de Dieu, remplaçant le sentiment de Dieu, c’est justement les temps modernes. Et avec le sentiment de Dieu, l’amour de Dieu s’affaiblissait. […] On s’est demandé comment il a pu allier les écarts de sa vie et les obscénités de ses oeuvres à un sentiment religieux qui paraît sincère. […] Il est professeur de religion, non propagateur de sentiments religieux.
De ce fonds il retrouve sans le savoir quelques-uns des sentiments grecs les plus fins. […] La préciosité du sentiment n’explique pas toute la préciosité du langage, mais elle la prépare et s’harmonise avec elle. […] Si nous laissons de côté la question du vers libre, liée au symbolisme, non seulement de fait, mais de droit (n’est-ce point le sentiment de l’idéalité du vers parallèle au sentiment de l’idéalité du monde ?) […] Et semble même qu’Hugo ait le sentiment de cette présence musicale dans le Satyre. […] ou celles-là qui plus loin encore éveillent sur nos fibres profondes les basses les plus graves du sentiment humain ?
Comment l’artiste communique-t-il à cet air immobile et muet les idées, les sentiments, les passions de son âme en langage de son, et comment cet air immobile et mort tout à l’heure communique-t-il à son tour à notre âme les idées, les sentiments, les passions du musicien ? […] La musique est ainsi une association et une combinaison de bruits pour produire une sensation ; cette sensation produit à son tour en nous une impression, une pensée, un sentiment, une passion. […] L’écrivain de sentiment et de science qui a su donner tant d’attraits à cette étude scientifique, M. […] La gamme des sons, parcourue par des voix mélodieuses ou par des instruments habilement touchés, fait en un clin d’œil parcourir à l’âme toute la gamme des sentiments, depuis la langueur jusqu’aux larmes, depuis les larmes jusqu’au rire, depuis le rire jusqu’à la fureur. […] Les trois derniers jours elle a eu un constant délire, et aujourd’hui, vers cinq heures vingt et une minutes au soir, elle est tombée en agonie et a perdu en même temps tout sentiment.
Le peu de consistance de leurs sentiments et de leurs démarches en fait comme des espèces d’amphibies mal décidés, qui ne cesseront jamais de l’être. […] Ayez de la hauteur dans les sentiments, votre manière d’écrire sera ferme et noble. […] Un sentiment si digne de vous est tout ce que je puis imiter d’eux. […] Philosophe enfin dans vos sentiments et dans votre conduite, vous joignez à cette qualité trop rare, et qui en renferme tant d’autres, le mérite plus rare encore de l’avoir sans ostentation. […] De toutes les vérités contenues dans cet ouvrage, la plus précieuse pour moi est l’expression d’un sentiment si noble et si juste.
Il fallait un sentiment aussi élevé, imitateur de l’état mystique, pour avoir raison d’un sentiment aussi profond que l’égoïsme de la tribu. […] Mais laissons de côté le tempérament du « chef », et considérons les sentiments respectifs des dirigeants et des dirigés. Ces sentiments seront plus nets là où la ligne de démarcation sera plus visible, dans une société déjà grande mais qui se sera agrandie sans modification radicale de la « société naturelle ». […] Sans doute l’oligarchie s’applique à en cultiver le sentiment. […] Mais il y a aussi le sentiment qu’on était fait pour une vie de risque et d’aventure, comme si la paix n’était qu’une halte entre deux guerres.
En ce qui est de l’harmonie, je ferai remarquer ce que d’autres ont déjà remarqué avant moi : il y a de temps en temps chez Bernis, et par exemple dès la fin de cette première pièce, ou encore dans celle du Soir ou dans celle de La Nuit, quatre ou cinq vers de suite qui, à l’oreille, donnent déjà le sentiment de la stance de Lamartine : L’ombre descend, le jour s’efface ; Le char du soleil qui s’enfuit Se joue en vain sur la surface De l’onde qui le reproduit. […] En ce qui était des vers en particulier, comme on venait de représenter pour la première fois La Métromanie (1738), Bernis donnait cours à ses réflexions : « Il est difficile d’être jeune et de vivre à Paris sans avoir envie de faire des vers. » Et de ce qu’on en fait avec plus ou moins de talent, il ne s’ensuit pas que ce talent entraîne avec lui toutes les extravagances qui rendent certains versificateurs si ridicules : Heureux, s’écriait-il avec sentiment et justesse, heureux ceux qui reçurent un talent qui les suit partout, qui, dans la solitude et le silence, fait reparaître à leurs yeux tout ce que l’absence leur avait fait perdre ; qui prête un corps et des couleurs à tout ce qui respire, qui donne au monde des habitants que le vulgaire ignore ! […] Bernis, par conscience même et par sentiment de son peu de force, reculait et retardait : ses mœurs étaient celles de son âge et de son temps ; son cœur et son esprit n’avaient rien d’irréligieux : la perspective d’un évêché, qu’on lui laissait entrevoir moyennant des sacrifices extérieurs, était plus faite pour l’effrayer que pour le tenter : Non, tu connais trop ma droiture : Coupable par fragilité, Mais ennemi de l’imposture, Je ne joins pas l’impiété Aux faiblesses de la nature. […] Il s’adressa à l’Angleterre par des voies sourdes et secrètes ; il y entama une négociation pour la paix ; mais, la marquise de Pompadour étant d’un sentiment contraire, il se vit aussitôt arrêté dans ses mesures.
Un sentiment de bonheur circule dans ces descriptions aimables ou savantes, et montre Cowper sous son jour le plus riant : « Si j’avais le choix d’un bien terrestre, que pourrais-je souhaiter que je ne possède ici ? […] … » Mais il y met son originalité et y ajoute sa flamme, un sentiment moral et religieux qui ne l’abandonne jamais, un éclair de saint Paul et des apôtres, avec l’appréciation toutefois d’un confort et d’un bien-être que les apôtres ne connurent jamais. […] Un jour qu’on demandait en présence de Wordsworth s’il en était nécessairement ainsi, le grave poète des lacs répondit : « Ce n’est point parce qu’ils ont du génie qu’ils font leur intérieur malheureux, mais parce qu’ils ne possèdent point assez de génie : un ordre plus élevé d’esprit et de sentiments les rendrait capables de voir et de sentir toute la beauté des liens domestiques23. » J’ai le regret de rappeler que Montaigne n’était pas de cet avis et qu’il penchait du côté du déréglement : citant les sonnets de son ami Étienne de La Boétie, il estime que ceux qui ont été faits pour la maîtresse valent mieux que ceux qui furent faits pour la femme légitime, et qui sentent déjà je ne sais quelle froideur maritale : « Et moi, je suis de ceux, dit-il, qui tiennent que la poésie ne rit point ailleurs comme elle fait en un sujet folâtre et déréglé. » Nous nous sommes trop souvenus en France de cette parole de Montaigne, et nous nous sommes laissés aller à cette idée de folâtrerie. […] Ces sonnets, qui sont trop flatteurs pour que je les cite, m’en ont rappelé un du poète Keats qui exprime bien le même sentiment d’idéal, de vie intérieure et d’amitié, charme et honneur de la muse anglaise : Sonnet imité de Keats, en s’en revenant un soir de novembre Piquante est la bouffée à travers la nuit claire, Dans les buissons séchés la bise va sifflant ; Les étoiles au ciel font froid en scintillant, Et j’ai, pour arriver, bien du chemin à faire.
Aussi y a-t-il des gens assez injustes pour croire qu’il prodigue sans sentiment et sans distinction les politesses à tout le monde : mais ceux qui le connaissent bien et le suivent de près, savent qu’il sait les nuancer, et qu’un jugement sain et un grand usage du monde président à la distribution qu’il en fait. […] On me flattait sur les détails de cette pièce : en effet, c’était le premier essor d’une âme tout étonnée des sentiments qu’elle éprouve la première fois, la pure fleur du sentiment qui paraît exagéré quand on ne l’a pas connu, et qui est pourtant l’amour. […] On ne saurait dire ce qui manque à sa prose : elle est pure, harmonieuse, exacte, mais elle n’invite point à continuer… Marié et veuf d’assez bonne heure, le président ne se remaria point ; il donne à sa femme, Mlle de Montargis, des regrets qui peignent assez bien le mélange de ses sentiments : « Et d’ailleurs, dit-il, où aurais-je jamais retrouvé une femme telle que celle que je venais de perdre ?
Mais ce qui frappe d’abord, c’est la haute idée qu’il a prise de Vauvenargues, et l’espèce de déclaration qu’il lui en fait : Des qualités ordinairement séparées, et toujours recherchées, se joignent en vous, lui dit-il ; jugez des sentiments qu’elles y attirent. […] Mirabeau, à l’origine, admire plus Vauvenargues qu’il ne le connaît, et il se le figure plus philosophe ou moins ambitieux qu’il ne l’est en réalité : il lui fait part de ses sentiments tumultueux en ces années où il hésite encore entre plusieurs carrières, et il paraît envier de loin sa tranquillité d’âme, les jours où il ne la stimule pas : L’ambition, lui dit-il, me dévore, mais d’une façon singulière : ce n’est pas les honneurs que j’ambitionne, ni l’argent, ou les bienfaits, mais un nom, et enfin d’être quelqu’un ; pour cela, il faut être dans un poste. […] En un mot, la façon de penser générale m’a toujours paru l’écueil de la vertu : dès que l’on a eu assez de désagréments pour se plaindre, l’on doit en avoir assez pour éclater de la façon la plus vive, voilà mon sentiment ; l’on dit que j’ai tort ; cela peut être, mais je l’aurai longtemps… Adieu, mon cher Vauvenargues. […] Mirabeau lui adresse de là, de ce lieu qu’il déteste, dit-il, par excellence, et où il est pour une affaire qui doit lui procurer de l’avancement ou amener sa démission du service, une lettre toute de conseils et d’excitations, et sur le même thème toujours ; « Vous êtes le premier raisonneur de France, mais le plus mauvais acteur » (acteur pour homme d’action) ; et en même temps il se représente, lui, comme un sage, un homme à principes fixes, et aussi un désabusé de l’ambition : Pour moi, dans les idées qui s’offrent à mon imagination, plusieurs se présentent avec empire, mais nulle avec agrément, que celle d’une solitude aimable et commode, quatre ou cinq personnes assorties de goût et de sentiment, de l’étude, de la musique, de la lecture, beau climat, agriculture, quelque commerce de lettres, voilà mon gîte !
Mais ce n’était pas le compte de Marolles qui, le voyant levé et prêt à partir, le ramena au fait et lui dit d’un air tout chagrin qu’il était surpris de son silence et qu’il aurait voulu connaître son sentiment sur ce dernier ouvrage. […] Il trouve des expressions significatives pour rendre l’espèce de répulsion et de frayeur qu’il avait produite : « Un silence profond de ceux qui étaient auparavant mes amis dans les lettres, et qui m’ont abandonné depuis, comme si je les avais offensés de leur avoir donné de mes livres, m’a fait assez apercevoir du sentiment public sur ce sujet26. » Je ne sais si l’on trouverait un autre exemple, un autre cas aussi caractérisé de discrédit que celui de Marolles ; c’est un phénomène à étudier dans son genre. […] Il se contente de tout ce qui se présente à son imagination, quelque absurde qu’il puisse être, et se complaît dans les chimères qu’il s’est formées comme dans les sentiments les plus réguliers. […] J’y opposerai seulement une certaine page des mémoires de Marolles où il se représente, sans y être obligé, comme singulièrement attaché à la pudeur, et n’ayant jamais manqué en rien d’essentiel aux devoirs de sa condition, et aussi cette autre page où, déplorant en 1650 la mort d’une petite fille née en son logis et sœur des deux autres personnes dont parle Jean Rou, il la regrette en des termes si touchants, si expressifs et si publics, que véritablement il ne semble pas soupçonner qu’on puisse attribuer sa douleur à un sentiment plus personnel : « Cela fait bien voir, dit-il simplement, ce que peut quelquefois la tendresse de l’innocence sur le cœur d’un philosophe quand il ne s’est pas dépouillé de toute humanité. » — Cette remarque faite pour l’acquit de ma conscience, chacun en croira pourtant ce qu’il voudra.
Les trois ordres de la société, selon lui, « la société chrétienne au nom de sa foi, le monde aristocratique au nom de son honneur et de son orgueil, la classe bourgeoise au nom de ses intérêts, tous s’accordent dans un sentiment de répulsion et d’alarme à l’endroit de la littérature. » Recherchant les causes de cet abaissement général, de ce désaccord de la littérature avec la société, il en demande compte à la critique ; il partage celle-ci en trois catégories, et toutes les trois également impuissantes ou stériles, sous lesquelles il ne tient qu’à nous de mettre des noms : la critique dogmatique et immobile (Gustave Planche, probablement) ; la critique qui se joue en de fantasques arabesques (apparemment Janin, ou Gautier, ou Saint-Victor) ; et celle qui se réfugie dans le passé pour n’avoir pas à se déjuger et à se contredire dans le présent (c’est moi-même, je le crois). […] Moins il sera tenté de se livrer aux thèmes tout faits de l’esprit de coterie et de parti plus il sera lui-même, jugeant des ouvrages de l’esprit par la pratique et le sentiment immédiat, et mieux il vaudra. […] Cette jeune enfant de dix à onze ains, amenée un matin au pensionnat par une mère belle, superbe, au front de génie et à la démarche orageuse ; le peu d’empressement de la maîtresse de pension à la recevoir, la froide réserve de celle-ci envers la mère, son changement de ton et de sentiment quand elle a jeté les yeux sur le front candide de la jeune enfant, les conditions qu’elle impose ; puis les premières années de pension de la jeune fille, ses tendres amitiés avec ses compagnes, toujours commencées vivement, mais bientôt refroidies et abandonnées sans qu’il y ait de sa faute et sans qu’elle se rende compte du mystère ; l’amitié plus durable avec une seule plus âgée qu’elle et qui a dans le caractère et dans l’esprit plus d’indépendance que les autres ; tout cela est bien touché, pas trop appuyé, d’une grande finesse d’analyse. […] Marbeau est venu à la pension, il y rencontre Jules, son pupille, qui s’y trouvait déjà en compagnie de Laurence et d’Aurélie ; ils sont tous, dans une allée du jardin, à jouir de la beauté et des douceurs de la saison en harmonie avec les sentiments de leurs cœurs.
L’amitié qu’ils se portent les engage à ne rien laisser voir de leur passion à celle qui en est l’objet : elle aime l’un des deux ; elle lui déclare son amour ; il n’a pas la force de lui cacher ses sentiments, mais il court en avertir son rival. […] Rousseau, à peine arrivé en terre libre, à Yverdun, s’était empressé d’écrire à M. et à Mme de Luxembourg ainsi qu’au prince de Conti, pour les remercier de leurs bontés ; dans ces premiers moments d’inquiétude et de délivrance, ses sentiments obéissant à la pente naturelle n’étaient pas encore aigris par la réflexion, ni son jugement faussé par la méfiance : il faut du temps et du travail pour en venir à sophistiquer et à se dénaturer à soi-même cette première sincérité des impressions involontaires. […] Cette délicatesse peut paraître excessive, mais elle n’a rien de criminel, et même elle suppose des sentiments élevés. […] Les liens de l’amitié sont respectables, même après qu’ils sont rompus, et les seules apparences de ce sentiment le sont aussi.
Il y a de ces épithètes moitié morales, moitié naturelles, essentiellement poétiques, qui font entrer dans le secret des choses et en éveillent le sentiment intime en nous. […] Le paysagiste pur reparaît dans mainte page, — dans la halte si bien décrite autour du pistachier, cet arbre à tête ronde et aux larges rameaux en parasol, qui abrite un moment à midi la caravane rassemblée : « L’arbre reçoit sur sa tête ronde les rayons blancs de midi ; par-dessous, tout paraît noir ; des éclairs de bleu traversent en tous sens le réseau des branches ; la plaine ardente flamboie autour du groupe obscur ; et l’on voit le désert grisâtre se dégrader sous le ventre roux des dromadaires. » Quand il nous décrit, au contraire, la végétation monotone de l’alfa, espèce de petit jonc, plante utile qui sert de nourriture aux chevaux, mais la plus ennuyeuse aux yeux qui se puisse voir, et qui, régnant sur des étendues infinies, ressemble à « une immense moisson qui ne veut pas mûrir, et qui se flétrit sans se dorer », on retrouve l’homme dont le sentiment souffre et dont l’âme s’ennuie. […] Fromentin est dans cette alliance intime et cette combinaison même : le peintre, l’homme de goût, l’homme de sentiment alternent ou plutôt s’unissent et ne font qu’un le plus souvent dans ses pages. […] — Je le vois, mais pas trop distinctement27. » « Je pense en ce moment qu’il y eut des scènes pareilles, avec les mêmes sentiments peut-être, sur cette terrasse où je t’écris.
C’est donc là que sont venus aboutir tant d’affectueux sentiments ! […] Dans cette Chartreuse si goûtée de nos pères, et où quelques bons vers seulement nous arrivent à la nage dans un torrent de rimes, il disait : Persuadé que l’harmonie Ne verse ses heureux présents Que sur le matin de la vie, Et que sans un peu de folie On ne rime plus à trente ans… Dans une pièce adressée à ma Muse, il disait encore, toujours dans ce même sentiment de la brièveté : Moi que le Ciel fit naître moins sensible A tout éclat qu’à tout bonheur paisible, Je fuis du nom le dangereux lien ; Et quelques vers échappés à ma veine, Nés sans dessein et façonnés sans peine, Pour l’avenir ne m’engagent à rien. […] On se le demande encore, lorsqu’en 1759 on voit Gresset, sans nécessité, sans prétexte, s’aviser de publier une Lettre sur la Comédie, dans laquelle il déclare à tous son projet de renoncer au théâtre par scrupule de conscience, et d’après la décision qu’il en a reçue de l’évêque d’Amiens : « Je profite de cette occasion, y disait-il, pour rétracter aussi solennellement tout ce que j’ai pu écrire d’un ton peu réfléchi dans les bagatelles rimées dont on a multiplié les éditions, sans que j’aie jamais été dans la confidence d’aucune. » Ces sentiments sont respectables, même dans leur excès ; mais à quoi bon les proclamer ? […] Des deux parts le sentiment est aussi vrai ; il s’exprime chez Mme de Staël d’une manière plus piquante, et chez Cicéron plus à l’antique.
Parcourons le champ de bataille : les rêves abattus, les illusions mortes, les sentiments blessés et atteints au cœur nous arrêteront à chaque pas. […] On entend un langage ému, on retrouve des sentiments délicats et tendres. […] L’Ami des femmes est l’ennemi de la pièce, il la refroidit et il la dessèche ; autour de lui, les idées se fanent et les sentiments dépérissent. […] La pièce se ressent de sa triste influence ; elle se met au ton de ce dur railleur ; les sentiments tendres n’osent guère s’y montrer.
Le sourire, que nous ne pouvons retenir à certains endroits où il abonde dans l’idée de sa gloire, expire bientôt sur les lèvres et fait place à un sentiment supérieur quand on sait qu’il faut, après tout, des ressorts à toutes les âmes, et qu’un prince qui douterait de lui-même, un roi sceptique, serait le pire des rois. […] La noblesse de ses expressions vient de celle de ses sentiments, et ses paroles précises sont l’image de la justesse qui règne dans ses pensées. […] Les qualités solides, l’application laborieuse de son esprit, et les sentiments de son cœur, répondirent à ce vœu de la nature et au rôle de la destinée. […] Ce sentiment est celui qui domine à la lecture, et qui triomphe de toutes les critiques et de toutes les restrictions qu’un esprit juste est en droit d’y apporter.
Le mobile qu’il comprend le mieux, le seul même qu’il semble admettre, c’est l’intérêt : pourtant le sentiment, la fidélité, la reconnaissance, des parties suffisantes d’honnête homme s’y mêlent ; il a bon cœur. […] Ainsi, ces Mémoires de Gourville, où il y a en général si peu de révérence et de sentiment de respect, débutent, comme tout ce qui s’écrivait alors, par un acte de dévotion envers le roi. […] Il avait peu, on le voit, le sentiment du bien et du mal, du juste et de l’injuste. […] Il manquait sans doute à Gourville un sentiment de moralité élevée et de vertu native.
Mais ce fut chez lui un royalisme d’instinct, de sentiment ; ne lui demandez point d’abord de théorie politique préconçue ; il n’a rien de cette rigueur de logique et de doctrine qui signalera la marche inflexible des de Maistre et des Bonald. […] Le poème de La Pitié de Delille, qui venait de paraître, occupait et passionnait tous les esprits ; il traduisait en vers faciles les sentiments de cette société restaurée, rassurée et redevenue humaine à loisir ; il lui donnait satisfaction dans ses ressouvenirs royalistes et bourboniens, et dissimulait quelque retour d’espérance sous ce qui ne semblait qu’un culte de deuil pieux et de regrets. […] Michaud suivait alors cette ligne un peu vague de sentiments politiques. […] Augustin Thierry, qu’on a pu appeler « un traducteur de génie des anciens chroniqueurs », et qui a porté dans cette mise en œuvre le sentiment simple de l’épopée.
Jeune, il n’éprouve aucun sentiment irrésistible ni entraînant ; il voit miss Read ; elle lui convient, il conçoit pour elle du respect et de l’affection, mais le tout subordonné à ce qui est possible et raisonnable. […] Tout cela est gai, d’une douce et piquante plaisanterie de société, mais le fond du sentiment s’y découvre. […] Il y reviendra, après ses premières licences, d’une manière sincère et touchante : je ne sais aucun déiste qui témoigne un sentiment de foi plus vif que Franklin ; il paraît croire, en toute occasion, à une Providence véritablement présente et sensible ; mais là encore, qu’est-ce qui a le plus contribué à le ramener ? […] Une chaleur intérieure de sentiment anime sa prudence ; un rayon de soleil éclaire et égaie sa probité.
avec un sentiment qui est sa gloire, à elle, et que Michelet, le chrétien tombé, avait perdu. […] car l’incognito du talent est impossible, et le voile qu’elle avait mis sur le sien a été levé… Mme de Gasparin est une chrétienne qui n’écrit que pour des chrétiens, et ce n’est pas moins pour tout le monde, car son livre est bien capable d’en faire naître ; mais n’y eût-il dans ce livre divinisé par le sentiment chrétien que l’imagination humaine où il y a le génie des plus saintes croyances, qu’il faudrait admirer encore le poëme touchant et sublime que l’imagination aurait composé avec les idées de la foi ! […] Ce n’est plus du naïf de moine, mais de femme ; et que le sentiment qui anime tout cela, qui féconde tout cela, a de force ! […] … Elle qui a voulu nous donner une idée du paradis qu’elle rêve, au lieu de nous en écrire un livre et un à peu près comme aujourd’hui, n’en fera-t-elle pas un jour descendre, avec l’hostie sainte, le sentiment complet dans son cœur ?
Benjamin Constant a écrit un livre sur les religions, et l’idée de ce livre, très simple et très dangereuse dans un pays qui croit que la vérité ne peut jamais être compliquée, l’idée de ce livre est que les formes religieuses passent, mais que le sentiment religieux est éternel. […] Renan, l’humanité a le sentiment religieux ou le sentiment du surnaturel, plus fort ici que là, dans certaines races que dans certaines autres, mais elle l’a incontestablement. […] Il voulait (soi-disant), dans un but élevé de connaissance, dégager l’idée religieuse de ce qui la fait une religion positive à telle heure de l’histoire, opposer le sentiment éternel à la forme passagère, et en le lisant on n’a jamais plus senti que c’était impossible ; que, la forme enlevée, l’esprit suivait, et qu’après tout, malgré le progrès et à part la vérité divine, socialement, la dernière des superstitions valait encore mieux que la première des philosophies !
Il est moral, l’effet qui résulte des transports tour à tour amoureux ou chevaleresques du Cid, des combats et de l’égarement de Chimène : c’est assez qu’on sente circuler, dans ce premier chef-d’œuvre de notre théâtre, un souffle et comme un courant de grandeur qui épure les sentiments et qui élève les âmes. […] Anicet-Bourgeois et Michel Masson, qui a été représenté avec succès au théâtre de la Gaîté : il lui a semblé que le ton général de ce drame, l’émotion qui en résulte, le triomphe des bons principes et de quelques sentiments naturels et généreux, compensaient les invraisemblances d’ailleurs admises ou exigées dans le genre, et que ces qualités ici n’étaient point compromises, comme il arrive trop souvent, par des scènes accessoires où le vice en gaieté se montre et devient, quoi qu’on fasse, le principal attrait.
Voilà qui est bien conforme et « en parfaite harmonie avec le goût théâtral du moment où nous vivons71. » Pour peu donc qu’on ait le sentiment dramatique et qu’on se mette à envisager les choses à ce point de vue, on indiquerait d’avance, comme dans un bon cours de rhétorique, les endroits, les motifs qui prêtent à une jolie lettre et qui font canevas ou thème : Le moment où la Dauphine quitte les terres de l’empire ; Le moment où elle met le pied sur la terre de France ; Le moment, la minute qui suit la célébration du mariage ; Le moment, la minute où elle devient reine, Louis XV venant de rendre le dernier soupir ; Le moment où, souveraine outragée, elle apprend l’Arrêt du Parlement dans l’affaire du Collier, etc., etc. […] Ce n’est pas sans un sentiment pénible que je suis arrivé bien lentement, et après beaucoup de réflexions, à me déjuger de la sorte ; mais la vérité avant tout !
C’est moi qui ai désiré ardemment l’archevêché de Paris : quelles terribles affaires avons-nous contre un prélat (le cardinal de Noailles) qui, étant irréprochable dans ses mœurs, tolère le plus dangereux parti qui pût s’élever dans l’Église ; qui désole sa famille, et afflige sensiblement le roi dans un temps où sa conservation est si nécessaire. » Il faut le dire, cependant, cette vénération excessive pour la personne du vieux monarque n’est souvent qu’un devoir d’épouse qui honore madame de Maintenon ; il semble que ce soit le seul sentiment capable d’enlever cette âme froide à elle-même, et d’en tirer des accents de véritable émotion. […] Dès lors son unique pensée est d’achever doucement de vivre, et de savourer à loisir la béatitude qu’elle s’est ménagée : dans sa lettre d’adieux à madame des Ursins, le rayonnement de l’amour-propre satisfait perce sous la froideur ascétique et les sentiments chrétiens : « Vous avez bien de la bonté, madame, d’avoir pensé à moi dans le grand événement qui vient de se passer ; il n’y a qu’à baisser la tête sous la main qui nous a frappés.
Daru semblait un lourd fardeau à remuer pour un poète tout de sentiment et de loisir. […] Lebrun sur la Grèce ; il faut y louer le sentiment, la grâce et l’éclat naturels à ce poète.
VII De même qu’au sein des religions une foule d’hommes manient les choses sacrées sans en avoir le sens élevé et sans y voir autre chose qu’une manipulation vulgaire ; de même, dans le champ de la science, des travailleurs, fort estimables d’ailleurs, sont souvent complètement dépourvus du sentiment de leur œuvre et de sa valeur idéale. […] Quelle est l’âme philosophique et belle, jalouse d’être parfaite, ayant le sentiment de sa valeur intérieure, qui consentirait à se sacrifier à de telles vanités, à se mettre de gaieté de cœur dans la tapisserie inanimée de l’humanité, à jouer dans le monde le rôle des momies d’un musée !
Je ne connais pas de pays qui ait plus que le nôtre le sentiment de l’égalité. […] D’où viendraient les sentiments instinctifs, la bravoure, qui est si essentiellement héréditaire, l’amour noble, qui n’a rien à faire avec la réflexion, toutes ces pensées, qui ne se rendent pas compte d’elles-mêmes, qui sont en nous sans nous, et forment la meilleure partie de l’apanage d’une race et d’une nation ?
Les sentiments de Pascal sont remarquables surtout par la profondeur de leur tristesse, et par je ne sais quelle immensité : on est suspendu au milieu de ces sentiments comme l’infini.
Quand le succès de ces deux tragédies sembloit égal, à compter le nombre des personnes qui prenoient des billets à l’hôtel de Guenegaud et à l’hôtel de Bourgogne, on voïoit bien qu’il ne l’étoit pas dès qu’on écoutoit le sentiment de ceux qui sortoient de ces hôtels, où deux troupes separées joüoient alors la comedie françoise. […] Il faut du temps aux personnes désinteressées pour se reconnoître et pour s’affermir réciproquement dans leur sentiment par l’autorité du grand nombre.
« Il s’agit tout le temps, dit-il, d’orages, de ruines qui croulent, de parvis, de feuilles sèches, que disperse le vent de la mort ; de la colombe qui construit son nid solitaire (pour dire le célibat) ; de volcans à peine fermés (pour dire les passions apaisées) ; du forum, pour dire, comme les avocats, la vie publique ; de l’ange de la destinée, de la lampe de la foi, de la coupe de miel offerte aux lèvres pures (pour dire une vie heureuse, bien qu’on ne mette guère maintenant du miel dans les coupes) ; des anneaux rattachés de la chaîne brisée ; du fait de la richesse, du règne de la vérité qui s’annonce à l’horizon ; du volcan, de l’éternel volcan qui vomit par ses mille cratères de la fange et de la lave, et enfin du bouclier, pour dire : le sentiment qui défend son cœur ! […] Lorsqu’il s’éveilla, un sentiment de bien-être inonda son âme ; il songea que la crise principale de cette aventure était enfin passée.
Nous avons le besoin, toujours plus vif, pour conserver les sentiments de l’art, que les impressions de la vie nous soient données, dans la vie artistique, par d’autres moyens que dans la vie réelle. […] Depuis lors, il n’a pas acquis le sentiment de la lumière et de la vie ; et il a exagéré ses procédés, déformé ses visions, pour l’effet à produire. […] Il a peu d’imagination et moins de sentiment et il a honte de montrer combien peu de ces qualités il possède ; il n’a donc aucun souffle de cet enthousiasme sans lequel les poètes et les compositeurs ne sauraient vivre. […] D’abord le motif religieux apparaît calme, profond, à lentes palpitations, comme l’instinct du plus beau, du plus grand de nos sentiments, mais il est submergé peu à peu par les insinuantes modulations de voix pleines d’énervantes langueurs, d’assoupissantes délices, quoique fébriles et agitées : agaçant mélange de volupté et d’inquiétude ! […] Le duo entre Elisabeth et Tannhaeuser au second acte pourrait se comparer pour le sentiment et la beauté musicale, au duo d’Achille et d’Iphigénie dans Gluck.
— Ma foi, c’est vrai, avoue en riant Flaubert, même avec les femmes de maison, que j’appelle mon petit ange… ……………………………………………………………………………………………………… — C’est curieux, — laisse échapper Tourguéneff, écoutant avec des yeux effarés et presque inquiets, ce qui se dit, — c’est curieux, moi, je n’aborde la femme qu’avec un sentiment de respect, d’émotion, et de surprise mon bonheur… Daudet, vous n’avez pas connu de femmes russes ? […] Dimanche 12 novembre Au fond, je n’ai pas grande sympathie pour ces femmes du dix-huitième siècle, ces femmes sans premier mouvement, sans foi, sans croyance à un sentiment bon et désintéressé, toute saturées, à l’exception de deux ou trois, de positivisme et de scepticisme. […] Lundi 27 décembre Tourguéneff disait que de tous les peuples de l’Europe, la musique à part, les Allemands étaient le peuple qui avait le sentiment le moins exact de l’art, et que la petite convention bête et fausse qui nous faisait, à nous, rejeter un livre, leur paraissait à eux, la gentillesse de la perfection apportée au vrai des choses. […] Il me semble, qu’à gauche et derrière la tête quelque chose m’attire en arrière, quelque chose qui doit ressembler à l’action de l’aimant sur un corps aciéré, ou mieux à l’aspiration du vide, et cela descend, toujours à gauche, sous les côtes, le long des vertèbres jusqu’au bassin, comme une onde frémissante, avec un sentiment dans tout le corps de perte d’équilibre. […] La chose très courte et cherchée tout entière dans le sentiment et le pittoresque du détail.
Et à juste titre il s’est peu servi de la rime, qui depuis les excès des Parnassiens, est devenue à nos oreilles tellement insupportable, qu’une rime riche maintenant nous paraît plutôt une faute de goût et un manque de beauté qu’une preuve d’art ou de sentiment. » Son âme, qui s’apparente parfois à celle des poétesses ultra-romantiques, se complaît dans des décors de nature idéalisée suivant le cœur de Mme de Staël. […] C’est un “barbare” qui ignore ou dédaigne les jeux de la pensée et les effusions du sentiment, pour s’adonner à la griserie des sens… » M. […] Les Pleureuses viennent l’une après l’autre ; tous leurs yeux n’ont pas les mêmes larmes, mais c’est le même convoi, qu’elles suivent, le convoi, dirait-on d’une âme morte avant de naître… C’est bien une âme, oui, plutôt même qu’un cœur, qui se désole en ce poème, tant tous les sentiments, l’amour, les désespoirs, et les haines aussi, s’y font rêve… Les Pleureuses pleurent en des limbes, de souvenance où se serait reflété le futur. […] Cependant il a un sentiment très exalté de la beauté pure, un culte généreux de la tradition, l’intelligence des lignes harmonieuses. […] Nos sentiments vrais nous étouffent assez pour que nous les connaissions.
Singulier impôt que celui qu’il prélève en admiration sur un public hostile, mais qu’il prend et soulève par l’envie et la haine et tous les mauvais sentiments ! […] Proudhon, en cette correspondance, vit plus dans ses idées que dans ses sentiments. Ses idées, plus que ses sentiments (et ses meilleurs), étaient en somme la grande affaire de sa vie. […] Ni sa femme, ni ses filles, ni ses amis, ni ses bons sentiments, ni sa bonne humeur, ni même les ridicules qui font dire : « J’ai ri, me voilà désarmé ! […] Mais, de sentiment, il l’est malgré lui, comme le médecin de la comédie, et il n’a pas reçu de coups de bâton pour cela.
Quand Les Contemplations ont paru, ce livre dont il a voulu faire son Exegi monumentum, son livre suprême, nous les avons ouvertes avec l’espèce de sentiment qu’on éprouve en ouvrant le testament d’un homme qui lègue à la postérité le dernier mot de son génie ; seulement ce n’est pas notre faute si ce que nous avons trouvé ne méritait ni une impression si solennelle, ni un sentiment de cette hauteur. […] Le volume d’Autrefois, presque tout entier composé de pièces qui demanderaient impérieusement la sincérité du sentiment, les troubles vrais, la cordialité dans les larmes, puisque le fond en est l’amour, a suprêmement les défauts habituels de M. […] Victor Hugo est tout cela) trouve des beautés inaccoutumées de sentiment et d’expression dans la résignation du chrétien, ces strophes resteront comme celles de Malherbe sur la mort de la fille de Desperriers et les derniers vers de Gilbert. […] Comédien fort au-dessous de ceux du théâtre, il n’est jamais emporté par un sentiment, par la fascination d’une expression qui l’excuserait. […] Ainsi, dans les poésies d’un autre sentiment, lorsque l’expression se fausse tout à coup ou grimace, c’est que le poète transporte les qualités et les défauts du Moyen Age dans une inspiration étrangère qui les met en évidence.
Tantôt favorable et tantôt adverse, la fortune se joue d’eux, et tout l’emploi qu’ils font de leur volonté se réduit à revêtir les sentiments ou le caractère de leur condition. […] Il excelle aussi, dans ses vers, à donner, des sentiments les plus particuliers, une expression générale qui nous les fait accepter. […] Il n’y a pas beaucoup de place aux effusions du sentiment dans le monde des picaros ; et d’ailleurs c’est un caractère de la littérature espagnole que de manquer souvent, ou habituellement même, d’humanité. […] Ce jour-là, le 4 décembre 1656, il s’est abusé sur l’intérêt que le public pouvait prendre à la façon dont les Jésuites avaient travesti les sentiments d’Arnauld sur la transsubstantiation. […] Elle exige, en effet, pour être méritée, deux qualités voisines du génie : un sentiment très sûr, très profond, des ressources d’une langue et un tact très subtil du point d’avancement de l’intelligence publique.
Villeroi, en ses sages Mémoires, paraît en douter ; il n’attribue ce sentiment qu’à un petit nombre, et se montre disposé à croire que Paris, en cette circonstance, soutint et supporta ce siège désespéré comme on l’a vu depuis supporter bien des choses extrêmes, par timidité, sous l’influence et la domination d’un petit nombre, comme on l’a vu, par exemple, en 1793, supporter la Terreur. […] Le duc de Mayenne, lorsque Villeroi lui en parla bientôt dans un sentiment de reproche, répondit par toutes sortes d’excuses, et conclut en ces termes qui peignent au vrai sa situation comme chef de parti, « qu’il priait ses amis de plaindre plutôt sa condition et lui aider à conduire ses affaires à bon port, que de s’offenser de ses actions, étant toutes forcées comme elles étaient ». […] Villeroi, comme médecin social, a le sentiment juste des crises, des situations et des bons instants qu’il importe de saisir : Monsieur, dit-il en s’adressant à M. de Bellièvre dans son Apologie, c’est grande imprudence de perdre l’occasion de servir et secourir le public, principalement quand elle dépend de plusieurs ; car il advient rarement qu’elle se recouvre, parce qu’il faut peu de chose à faire changer d’avis à une multitude.
Il y portait à la fois un sentiment dont plus d’un se targue en paroles, mais qui, sincère chez lui et profond, était de plus constant et fixe jusqu’à la manie, le désir d’en faire profiter les autres et d’être utile au public. […] C’est ainsi qu’il a noté des souvenirs, pour nous assez curieux, d’une conversation avec Nicole, et qu’il nous a laissé un précieux témoignage de plus, en faveur du théologien radouci et de la modération finale de ses sentiments. […] Mais il a écrit quelque part contre l’esprit moqueur ; n’ayant pas en lui même le sentiment du ridicule, il le désapprouvait naturellement chez les autres.
Ce qui est beau, ce qui est vraiment élevé, ce qui vient du cœur et non de la tête, c’est le sentiment qui, après tant de misères et d’affronts, l’oblige non à maudire, mais à bénir ses persécuteurs, à leur pardonner. […] le statuaire, au moment où l’argile Refuse au sentiment le contour désiré, Parce qu’il trouve alors une fange indocile, Est-il moins inspiré ? […] Et encore, — car ce sentiment modeste qu’il a de son insuffisance ne le décourage pas, et il accepte fièrement sa demi-défaite : Oh !
La Revue des Deux Mondes et les écrivains qui tiennent à honneur de lui appartenir ont été récemment l’objet de telles attaques violentes et outrageuses, outrageuses et pour ceux qu’on y désignait malignement, et pour ceux qu’on y passait sous silence, en ayant l’air de les ménager, et pour ceux surtout qu’on cherchait à y flatter en se les donnant pour auxiliaires, que c’est un devoir à eux, non pas de se défendre (ils n’en ont pas besoin), mais de témoigner de leurs sentiments, de leurs principes, et de marquer de nouveau leur attitude. […] L’âme, l’inspiration de toute saine critique, réside dans le sentiment et l’amour de la vérité : entendre dire une chose fausse, entendre louer ou seulement lire un livre sophistique, une œuvre quelconque d’un art factice, cela fait mal et blesse l’esprit sain, comme une fausse note pour une oreille délicate ; cela va même jusqu’à irriter certaines natures chez qui la sensibilité pénètre à point dans la raison et vient comme aiguiser celle-ci en s’y tempérant. […] Puisse du moins le sentiment croissant de la cause à défendre, la conscience de la vérité et de la dignité en littérature, contribuer entre nous à le resserrer !
J’aimois un corps auquel j’étois attaché par mes promesses ; je souhaitois d’y être aimé ; et, fait comme je suis, j’aurois perdu la vie plutôt que de commettre quelque chose d’opposé à ces deux sentiments. […] « Mon Révérend Père, Comme mon changement ne regarde que l’enveloppe et qu’il n’y en a aucun dans mes sentiments ni dans le fond de mon caractère, je conserve toujours chèrement la mémoire de mes anciens amis, et je suis en Hollande le même qu’à Paris à l’égard de tous ceux à qui je dois de l’estime et de la reconnoissance. […] Vous êtes, mon Révérend Père, un de ceux que je serois le plus ravi de voir dans ces sentiments.
Mais la transition de Marot à Ronsard se fait surtout par l’école lyonnaise : Despériers s’y rattache, et par ses longs séjours à Lyon, et par ses vers dont la médiocre qualité laisse pourtant apercevoir quelque profondeur sérieuse de sentiment et certain effort d’invention rythmique. […] Donc il ne la formera pas sur le goût d’un public ignorant et léger : il bravera, s’il le faut, le ridicule ; mais il écrira ce qu’il doit écrire, conformément aux grands modèles et au sentiment de son âme. […] Il n’arrive pas plus que Du Bellay à définir nettement ce qu’est le renouvellement des thèmes d’inspiration qu’il tente : la Pléiade n’a fait rien moins que de placer dans le sentiment la source de la poésie, qui jusque-là était placée dans l’esprit.
Il en fit le point d’appui de son action, ou, pour mieux dire, l’un de ses points d’appui ; car il avait un sentiment trop profond de son œuvre véritable pour l’établir uniquement sur des principes aussi fragiles, aussi exposés à recevoir des faits une foudroyante réfutation. […] Mais c’était encore, et probablement c’était surtout le royaume de l’âme, créé par la liberté et par le sentiment filial que l’homme vertueux ressent sur le sein de son Père. […] Il est sûr que l’humanité morale et vertueuse aura sa revanche, qu’un jour le sentiment de l’honnête pauvre homme jugera le monde, et que ce jour-là la figure idéale de Jésus sera la confusion de l’homme frivole qui n’a pas cru à la vertu, de l’homme égoïste qui n’a pas su y atteindre.
Ce nom, ce serment, les souvenirs de persécution religieuse attachés à ces circonstances avaient tait sur l’âme du jeune Agrippa une de ces impressions qui dans les familles se transmettent de général ton en génération, forment dans l’esprit des enfants qui se succèdent une idée fixe autour de laquelle les premières notions et les premiers sentiments de morale se rangent et s’impriment en caractères ineffaçables75. […] Dans ce temps-là aussi, le cardinal d’Estrées, célèbre par ses galantes magnificences, lui avait déclaré de tendres sentiments, auxquels elle refusa toute attention. […] Il me paraît présumable qu’elle ne les avait pas entendues sans émotion ; déjà la vue du roi l’avait frappée et peut-être disposée à un sentiment profond.
Doué d’un sentiment vif des ridicules et du tact social le plus pénétrant, il démêlait les moindres nuances, et les fixait d’un trait léger, ineffaçable. […] Hamilton mourut à Saint-Germain le 21 avril 1720, âgé d’environ soixante-quatorze ans, dans de grands sentiments de piété, dit-on, et après avoir reçu les sacrements ; il redevint un homme du xviiie siècle à l’article de la mort. […] [NdA] Lord Byron, dans une lettre à Murray (Ravenne, 12 octobre 1820), écrivait au sujet de son Don Juan et de ce qu’en disaient les femmes : « La vérité, c’est que c’est trop vrai, et les femmes détestent tout ce qui ternit l’oripeau du sentiment ; elles ont raison, car c’est leur arracher leurs armes.
Voulant prouver combien la poësie est innocente de tout ce dont on l’accuse, il appuya son sentiment de quelques couplets affreux contre Bossuet & Fénélon, qui avoient condamné le théâtre. […] Rollin, en condamnant l’usage des fictions dans un poëte chrétien, n’interdit point certaines figures hardies qui font image, & par lesquelles on donne de la voix, du sentiment, de l’action même aux choses inanimées : « Il sera toujours permis, dit il, d’adresser la parole aux cieux & à la terre ; d’inviter la nature à louer son auteur ; de supposer des aîles aux vents pour en faire les messagers de dieu ; de prêter une voix de tonnerre aux cieux pour publier sa gloire ; de personnifier les vertus & les vices. […] Mais bientôt il revint à son premier sentiment.
Dargaud : le sentiment d’un christianisme invincible à la raison qui a tué le christianisme, mais qui subsiste sur ses débris, et il faut y ajouter un second caractère qui particularise encore davantage l’auteur de l’Histoire de la Liberté religieuse : l’égalité des belles choses humaines, qu’elles soient protestantes ou catholiques, devant l’admiration, le respect et la pitié de l’historien ! Ce second caractère, que l’on pourrait appeler le « sentiment de l’esthétique dans l’histoire », M. […] Certes, il y a déchet ici dans la magnanimité de l’historien, mais quoique restreinte, telle qu’elle est cependant, cette magnanimité qui prend sa source dans le sentiment de la beauté morale humaine, où qu’elle soit, donne précisément à cette Histoire de la Liberté religieuse l’expression qui doit contrister le plus les hommes étroits du parti qui boude en ce moment M.
Pour beaucoup de raisons, dont nous dirons quelques-unes, la correspondance de Stendhal, quand elle parut, dut exciter un vif intérêt de curiosité, s’il y a encore un sentiment de ce nom au service des choses de la pensée, dans ce monde matérialisé. […] Nous avons voulu nous expliquer cette puissance d’un esprit si particulier, souillé par une détestable philosophie au plus profond de sa source, qui n’a ni la naïveté dans le sentiment, ni l’élévation souveraine, car pour être élevé il faut croire à Dieu et au Ciel, ni aucune de ces qualités qui rendent les grands esprits irrésistibles. […] Lorsque, d’un autre côté, cet observateur, digne d’être impersonnel, déclassé par les hasards de la naissance et de la vie, mais naturellement aristocrate comme on doit l’être quand, intellectuellement, on est né duc, revêt par vanité — ce sentiment qu’il raille sans cesse — les plates passions du bourgeois révolutionnaire, c’est-à-dire de l’espèce d’animal qu’il devait détester le plus, et s’ingénie à nous rapetisser Lord Byron parce que Lord Byron était un aristocrate, il nous offre, il faut en convenir, à ses dépens, un triste spectacle.
Pour beaucoup de raisons, dont nous dirons quelques-unes, la Correspondance de Stendhal, quand elle parut, dut exciter un vif intérêt de curiosité, s’il y a encore un sentiment de ce nom au service des choses de la pensée, dans ce monde matérialisé. […] Nous avons voulu nous expliquer cette puissance d’un esprit si particulier, souillé par une détestable philosophie au plus profond de sa source, qui n’a ni la naïveté dans le sentiment, ni l’élévation souveraine (car, pour être élevé, il faut croire à Dieu et au ciel), ni aucune de ces qualités qui rendent les grands esprits irrésistibles. […] Lorsque, d’un autre côté, cet observateur, digne d’être impersonnel, déclassé par les hasards de la naissance et de la vie, mais naturellement aristocrate, comme on doit l’être quand, intellectuellement, on est né duc, revêt par vanité, — ce sentiment qu’il raille sans cesse, — les plates passions du bourgeois révolutionnaire, c’est-à-dire de l’espèce d’animal qu’il devait détester le plus, et s’ingénie à nous rapetisser lord Byron, parce que lord Byron était un aristocrate, il nous offre, il faut en convenir, à ses dépens, un triste spectacle.
C’est celui qu’on pourrait appeler sentimental, à condition de prendre le mot « sentiment » dans l’acception que lui donnait le XVIIe siècle, et d’y comprendre toute connaissance immédiate et intuitive. […] Par l’appel qu’il a lancé au sentiment, à l’intuition, à la conscience profonde, il a encouragé une certaine manière de penser que l’on trouvait déjà chez Pascal (dirigée, il est vrai, dans un sens tout différent), mais qui n’avait pas encore droit de cité en philosophie. […] Il a montré que la connaissance que nous avons de nous-même, en particulier dans le sentiment de l’effort, est une connaissance privilégiée, qui dépasse le pur « phénomène » et qui atteint la réalité « en soi », — cette réalité que Kant déclarait inaccessible à nos spéculations.
Prenons la figure de Goethe à cette époque fugitive où la fleur de la jeunesse éclate encore sur les traits, mais où le fruit de la pensée ou du sentiment commence à se former et à s’entrevoir sous cette jeunesse qui s’effeuille. […] Il en attribua, peut-être imaginairement, la cause au même sentiment qu’il avait ressenti pour Charlotte et au désespoir qu’avait éprouvé Jérusalem en contemplant le bonheur paisible de cette jeune femme unie à son fiancé. […] Tu sens ma tendresse envers toi ; pour ceux que j’aime je donnerais mon sang et ma vie ; je ne veux troubler personne dans ses sentiments et sa foi. […] Remplis-en ton cœur aussi grand qu’il est, et, quand tu nageras dans la plénitude de l’extase, nomme ce sentiment comme tu le voudras : nomme le bonheur ! […] Le sentiment est tout ; le nom n’est que bruit et fumée, obscurcissant la céleste flamme.
Et en effet, après un certain temps, ce qu’il en fallait pour oublier complètement cette première distribution de scènes, quand il m’arrivait de reprendre ce feuillet, je sentais tout-à-coup, à chaque scène, gronder dans mon cœur et dans mon esprit un assaut tumultueux de sentiments et de pensées qui m’excitaient, et, pour ainsi dire, me forçaient à écrire ; j’en concluais aussitôt que ce premier plan était bon et tiré des entrailles mêmes du sujet. […] De cette façon, n’admettant de juge que mon propre sentiment, toutes les tragédies que je n’ai pu écrire ainsi, et avec cette fureur d’enthousiasme, jamais je ne les ai achevées, ou, si je les ai terminées, jamais du moins je ne les ai mises en vers. […] Mais ma nature austère, réservée, difficile, me rend, et, tant que je vivrai, me rendra peu propre à inspirer à d’autres ce sentiment qu’à mon tour je n’accorde pas sans une extrême difficulté. […] Aucune fin cachée, aucun sentiment de vengeance personnelle ne me dicta cet écrit. […] Son père, son frère le cardinal, eussent essayé en vain de le rappeler au sentiment de lui-même ; il passait des années entières sans leur donner signe de vie.
Je lui en fais un mérite particulier, parce qu’à chacun des nouveaux personnages qu’il introduit sur la scène, répond ou quelque sentiment vrai omis par ses prédécesseurs, ou quelque nuance mieux observée, ou une gradation plus exacte. […] Cependant un assez grand nombre de pièces sont l’expression directe et sans allégorie de ses sentiments. Mais ces sentiments sont plus délicats et polis, si je puis dire ainsi, que touchants et passionnés. […] Voilà, si je ne me trompe, des beautés de toutes sortes traits de sentiment, peintures énergiques ou touchantes contraste de la vie et de la mort tout ce qui fait la grande poésie. […] Il en a la qualité suprême, la mesure, le goût ; il sait n’exprimer de ses sentiments que ceux qui lui sont communs avec tout le monde, et garder pour lui ce qui n’est propre qu’à lui.
* * * — Paul et Virginie, un chef-d’œuvre, le chef-d’œuvre d’un sentiment général particularisé : l’amour renouvelé par le milieu. […] Et parfaitement froid, parfaitement maître de mes effets, aussi calme que si je lisais dans ma chambre, avec un parfait et supérieur sentiment de mépris pour ceux qui m’écoutent, je lis posément, pendant que Coquelin, dessinant des caricatures, pousse le coude de Bressant pour les lui faire regarder. […] Dans un sentiment de hauteur et de femme du monde, elle se plaignait spirituellement, ce matin, d’avoir à partager avec de pareilles femmes, la société, la pensée de ses amis, d’hommes comme Sainte-Beuve, Taine, Renan, lui volant vingt minutes, lorsqu’ils dînaient chez elle, pour aller les porter chez cette fille. […] Le mépris vous en vient avec un sentiment de supériorité personnelle. […] Sentiment d’une spiritualité, toute pénétrée de la satisfaction intérieure de l’absence de l’existence.
Il y montra beaucoup de largeur et un sentiment très vif de son sujet. Quand la majorité des esprits qui coudoyaient le sien ne voyait dans le romantisme que le soubassement protestant et le triomphe de l’individualité littéraire, le futur historien catholique y discernait le grand côté profond et vrai, la revanche tardive du sentiment historique et de la conscience d’une société, foulée aux pieds pendant trois siècles. […] Michel Morin, le Régicide, Florence ou la Religieuse, sont des romans sans grandeur d’invention ou sans observation profonde, dans lesquels le sentiment chrétien se sauva seul des naufrages de la pensée. […] Lorsqu’on arrivera aux détails personnels de l’histoire, Charles IX, Catherine de Médicis et le cardinal de Lorraine prendront chacun leur part dans ce conseil suprême qui précéda une exécution impossible à empêcher, et dont la Haine a fait plus tard un guet-apens ; mais les hommes qui ont le sentiment des nécessités politiques ne s’abaisseront jamais à reprocher à ces trois têtes, jusqu’à présent maudites, d’avoir voulu transformer un coup de peuple en coup d’État. […] Mais Calvin et Genève, c’est la sécheresse de l’argument, c’est la terreur rabougrie, c’est le pédantisme dans la tyrannie, c’est enfin, dans sa forme la plus dure, la plus envieuse et la plus hypocrite, ce qui domine actuellement le monde humilié, — c’est-à-dire — le rationalisme philosophique et le sentiment bourgeois.
Ils ont perdu peu à peu, dirait-on, le sentiment du mystère qui les entoure. […] Aux paysages qu’il peint, aux fictions qu’il imagine, aux sentiments même qu’il éprouve, se mêlent, plus ou moins réalisées, les conceptions des penseurs. […] Ce sentiment de la mesure, Laforgue l’eut éminemment. […] Le sentiment s’aiguise encore, arrive à de frêles et charmantes impressions. […] Dans les Sites, le sentiment ne se présentait déjà plus avec une telle spontanéité et, pour ainsi dire, dans un tel état de nudité ingénue.
C’est dans ce sentiment que j’entrepris mon travail. […] Et il ne peut y avoir entre les deux pays que des sentiments de haute estime et d’affection qui unissent des collaborateurs. […] J’ai le sentiment d’avoir été un homme, un simple homme de travail, de lutte et d’instincts, plus encore qu’un homme de lettres au sens exclusif du mot. […] Il n’est point, comme ceux que nous quittons, le poète d’un sentiment, l’artiste d’une « manière ». […] D’Annunzio a développé un sentiment analogue dans la Gioconda, avec quelle poésie !
Je devrais, je le sais bien, m’anéantir dans l’humble sentiment de l’insuffisance et de l’indignité de mes deux ouvrages. […] Mais, comme ce sentiment est égoïste, l’aveu qu’on en fait risque beaucoup de n’être pas au goût de tout le monde, et il sera toujours prudent de n’en point faire un étalage trop naïf. Il y a des sentiments naturels qu’une juste pudeur prend garde d’avouer, quoiqu’ils n’aient rien de déshonorant. […] Les caractères, les sentiments, la manière d’être des personnages, tout est soumis à la règle de l’antithèse ; et, semblables au violon qui règle les mouvements des danseurs, les deux jambes de l’alexandrin règlent les mouvements du sentiment et de la pensée. […] du sentiment profond de son impuissance à convaincre ses adversaires, ses amis, par aucune raison décisive qui les contraignît à rendre les armes.
Ses idées étaient nettes comme sentiments et ne l’étaient pas comme idées. […] Il remercia par une magnifique lettre où s’étalaient tous les beaux sentiments, à l’exception peut-être de la modestie. […] Eugénie de Guérin l’entretenait dans des sentiments de piété et le poussait doucement vers la croyance. […] La foi au cœur peut venir ; la croyance et le sentiment, vous les aurez peut-être. […] Le chiffre est rigoureux (que le mot peint bien le sentiment que le chiffre inspire !)
Personnellement il n’était pas ennemi de la Révolution, mais il en sentait les horreurs ou les ridicules, il en répudiait les crimes, et à propos de l’attentat du 21 janvier, il s’attache à constater les sentiments de réprobation générale que cet événement fit éclater dans tout le Midi, au sein des familles honnêtes, qui ne demandaient à la Révolution que l’égalité politique et la réforme de graves abus : Si cette réflexion, dit-il, passe un jour ou l’autre sous les yeux de quelques ardents, ils ne voudront peut-être pas croire que tel était l’état des esprits à cette époque. […] À la manière dont il parle de la mort de ce général et de sa tombe « pareille à celle du pauvre », on voit poindre chez Pelleport un sentiment qui se développera de plus en plus, le respect et presque la piété pour les chefs qui l’ont bien mené dans la carrière. […] Pelleport a soin de faire observer que, dans cette circonstance, il n’avait agi que comme tout officier eût fait en sa place : L’armée était pure, et les sentiments de l’honneur nous régissaient tous… Je sais, ajoute-t-il, que de graves accusations ont été portées, vers la fin de l’Empire, contre certains hommes. […] C’est ce sentiment-là, répandu dans ces pages et inspirant toute une vie, qui est fait pour toucher et pour donner à des générations bien différentes l’idée de toute une race d’hommes, laquelle, il faut l’espérer, n’est point perdue.
Il a cru supprimer le Christ ; il n’a pu supprimer le Moyen-Age et ses terreurs, et le sentiment de l’infini qu’il nous a légué. Toujours, au milieu du festin, au sein de l’ivresse, et quand le poète enflammé exhalera l’ardeur de ses chants entre les bras de Théone ou de Cinthie, la Mort se lèvera tout à coup et apparaîtra devant ses yeux, non la Mort des anciens dont l’idée ne faisait qu’aiguiser plutôt et raviver le sentiment du plaisir, mais la Mort de la Danse macabre, avec son ricanement féroce, et qui vous met et vous laisse au cœur une certaine petite crainte a l’Hamlet que la nuit funèbre ne soit pas le long sommeil, mais le rêve, et que tout ne soit pas fini après la vie : La mort ne serait plus le remède suprême ; L’homme, contre le sort, dans la tombe elle-même N’aurait pas de recours, Et l’on ne pourrait plus se consoler de vivre, Par l’espoir tant fêté du calme qui doit suivre L’orage de nos jours ! […] Le poète a fait ce qu’il a voulu ; il a réalisé son rêve d’art ; il ne se borne nullement à décrire, comme on l’a trop dit, pas plus que, lorsqu’il a une idée ou un sentiment, il ne se contente de l’exprimer sous forme directe. […] Est-il amoureux, par exemple, souffre-t-il : au lieu de se plaindre, de gémir, de se répandre en larmes et en sanglots, de presser et de tordre son cœur au su et vu de tous, ce qui lui paraît peu digne, — car il ne sied pas, selon lui, que le poète geigne en public, — il se contient, il a recours à quelque image comme à un voile, il met à son sentiment nu une enveloppe transparente et figurée ; il dira : LE POT DE FLEURS Parfois un enfant trouve une petite graine, Et tout d’abord, charmé de ses vives couleurs, Pour la planter, il prend un pot de porcelaine Orné de dragons bleus et de bizarres fleurs.
On ferait ressortir, d’après les simples faits et dates relatés dans ce Journal, les inexactitudes matérielles des autres récits ; on n’oublierait pas d’y joindre la lettre écrite par Jean-Bon à sa femme, qui était à Montauban et qui partageait avec ardeur ses sentiments patriotiques. […] L’inscription qu’on y pourrait graver et qui se rapporte bien aux deux moitiés de sa carrière, qui les rejoint et les relie entre elles, c’est ce mot qu’il prononçait à la Convention dans les derniers temps : « Le mal en France, — un mal contagieux, — c’est que tout le monde veut gouverner et que personne ne veut obéir. » Quand on a si fort le sentiment de cette vérité sous la République, on est fait pour être un homme de gouvernement sous le Consulat et sous l’Empire. […] La difficulté d’y trouver un maire tient à plusieurs causes : d’abord à ce qu’ici comme partout ailleurs les anciens fonctionnaires capables d’administrer ont passé en Allemagne, à la suite de la conquête ; — en second lieu, parce que Worms est une ville de plaisir, où, hors les affaires personnelles de commerce ou de propriété, on se soucie fort peu de se donner d’autres occupations ; — en troisième lieu, parce que les idées et même les prétentions de l’ancienne ville libre et impériale y existent encore, avec plus ou moins de force, dans l’esprit et le cœur de ses habitants ; — 4°, parce que les soins d’un maire sur cette frontière sont pénibles et même dispendieux pour un homme qui a de l’honnêteté, et qui pourtant a un peu de cette avarice, laquelle est aussi un des principaux traits du caractère des habitants… » À Spire, c’était bien pis ; en 1813, le maire qu’on avait cru bon était décidément hostile à la France ; ses sentiments équivoques commencèrent à se démasquer avec nos revers : « Un reste de pudeur, écrivait Jean-Bon (28 mars 1843), lui fait sans doute garder encore une sorte de réserve, mais seulement ce qu’il en faut pour ne pouvoir pas être convaincu légalement de son aversion pour le gouvernement qui l’a cru digne de sa confiance. […] En mourant, il a échappé au sentiment prolongé des malheurs publics et aux douleurs patriotiques qu’il ressentait si vivement déjà ; il n’a pas moins échappé à la persécution individuelle, à la proscription par catégorie qui l’aurait immanquablement atteint sous les Bourbons, à des tentations peut-être aussi de fautes ou de faiblesses en 1815, avant et depuis.
Je crois que M. de Feuquières pourra bien jouer des siennes et faire valoir des sentiments fondés sur des raisons bonnes pour ceux qui ne voient pas les choses… » Je ne me fais pas juge entre Catinat et Feuquières, ce serait une grande impertinence ; je ne me fais point le défenseur de Feuquières, ce n’est point mon rôle, et il y aurait à ceci de l’impertinence encore et, qui plus est, de l’injustice ; mais enfin, pour voir le double côté de la question, pour l’envisager à sa juste hauteur et la dégager autant que possible des personnalités dont elle est restée masquée jusqu’à ce jour, qu’on veuille supposer un instant ceci : il y a dans l’armée de Catinat un militaire, incomplet dans la pratique, mais d’un génie élevé, qui a, dès 1690, l’instinct et le pressentiment des grandes opérations possibles sur cet admirable échiquier de la haute Italie ; ce militaire, à tout moment, conçoit ce qu’on pourrait faire et ce qu’on ne fait pas ; il blâme, il critique, il raille même, il hausse les épaules, il est ce qu’on appelle un coucheur, et ce qu’on appelait alors être incompatible : tel était Feuquières, qui à des vues supérieures joignait, il faut en convenir, une malignité particulière. […] L’on en tirera le profit que Sa Majesté connaîtra l’attention que mérite cette frontière et qu’il ne sera pas si aisément détourné de ce qui lui est proposé pour sa sûreté, par le sentiment de ceux qui ne la connaissent point, et qui ont pu lui faire concevoir là-dessus des facilités qui n’y sont point. » Catinat ne croyait pas cette utilité réelle pour l’avenir trop payée d’un léger désagrément personnel. […] Cette grâce si grande et si distinguée dont elle vient de m’honorer, donne une exemple qui doit élever les sentiments et le courage de tout ce qui a l’honneur de la servir. J’ai assurément reçu, Sire, cette nouvelle avec tout le trouble de joie qu’elle mérite, et je ne puis exprimer à Votre Majesté combien l’on est agité de sentiments d’obligation et de reconnaissance, quand on reçoit une pareille marque de l’honneur de son estime et de son affection. » Le trouble de joie !
Et qu’on ne croie point que je veuille, en ce moment, avoir l’air de rien blâmer de ce qu’amène le cours ou le progrès du temps, comme on l’appelle ; je ne fais le procès à rien de ce qui est nécessaire et légitime : j’ai tenu seulement à bien rendre l’idée du classique français dans cette période paisible, où, la première effervescence du xvie siècle étant apaisée et calmée, une élite de gens de goût, vrais lettrés, jouissait comme d’une conquête acquise des dépouilles de l’Antiquité, en y mêlant le sentiment des beautés et qualités françaises, et sans ignorer ce qui s’y assortissait de meilleur et de plus agréable en Angleterre ou en Italie. […] Quel dommage qu’il n’ait pas rejailli quelque chose de ce sentiment patriotique dans l’effort courageux du xvie siècle ; que la tradition de la vieille France et de la France de la Renaissance ne se soit point unie et continuée par ce glorieux chaînon ou par quelque autre pareil ! […] C’est de la combinaison d’une telle veine bien française, d’une inspiration bien nationale, avec le sentiment et l’imitation antiques, qu’aurait pu sortir la seule originalité viable et sincère de cette école de Du Bellay. […] C’est ce sentiment tout romain et tout sabin qui fait la vie des six derniers livres de l’Énéide.
Comme poëte, Charles Loyson est juste un intermédiaire entre Millevoye et Lamartine, mais beaucoup plus rapproché de ce dernier par l’élévation et le spiritualisme habituel des sentiments. […] Il est poëte de sens, de sentiment et d’esprit plutôt que de haute imagination. […] De telles pièces où peut pâlir la couleur, mais où chaque mot fut dicté par le sentiment, ne devraient jamais vieillir : Quelle faveur inespérée M’a rouvert les portes du jour ? […] Les poëtes qui ont commencé par le lyrisme intime, par l’expression de leurs plaintes et de leurs douleurs, ces poëtes, s’ils ont chanté vraiment par sensibilité et selon leur émotion sincère, s’arrêtent dans cette voie à un certain moment, et, au lieu de ressasser sans fin des sentiments sans plus de fraîcheur, et de multiplier autour d’eux, comme par gageure, des échos grossis, ces poëtes se taisent, ou cherchent à produire désormais leur talent dans des sujets extérieurs, dans des compositions impersonnelles.
Eynard et les pièces qu’il produit, de ce besoin et aussi de ce talent inné de Mme de Krüdner, et combien elle s’entend de bonne heure à la mise en scène du sentiment : j’en suis presque effrayé à certains endroits, quand je songe à combien de choses cet art secret a pu se mêler insensiblement depuis, sans qu’elle-même s’en rendît peut-être bien compte. […] Quoi qu’il en soit, il paraît bien que ce ne fut qu’à Copenhague, où elle alla en quittant Venise, que la jeune ambassadrice fut entièrement éclairée sur le genre de sentiment qu’elle avait inspiré à M. de Stakieff. […] Eynard, très-différent en cela du vulgaire des biographes, n’a nullement flatté son héroïne ; il ne craint pas de nous la montrer dans la contradiction et le désordre des sentiments qui l’agitent et qui, plus d’une fois, l’égarent. […] Je conçois le sentiment de discrétion et de délicatesse qui fait qu’on hésite à toucher à de vieilles blessures et à remuer les cicatrices d’un cœur ; mais ce mot humilier en pareil cas n’est pas français : tant que la dernière source, la dernière goutte du vieux sang de nos pères n’aura pas tari dans nos veines, tant que notre triste pays n’aura pas été totalement régénéré comme l’entendent les constituants et les sectaires, il ne sera jamais humiliant pour un homme, même vieux, d’avoir aimé, d’avoir été aimé, fût-ce dans un moment d’erreur.
On avait le sentiment que tout ce pays n’existait que par lui : avec ses petitesses, ses travers, ses vices même, il pouvait dire qu’il y avait un petit coin de la France où il avait été un autre Turgot. […] Amour du bruit, réclame de journaliste, je le veux bien : horreur physique du sang et de la souffrance, je le veux bien encore : mais il a aussi un vif sentiment de la justice, un réel instinct d’humanité, de bienfaisance, de générosité. […] Ainsi le fondement de l’ironie voltairienne, de ce ricanement fameux, est identique à celui du comique moliéresque ; cette façon de prendre les choses par la raison plutôt que par le sentiment est éminemment française. […] Dans le Sentiment des citoyens (1764).
Et pourtant le plus souvent on dit que l’œil nous donne le sentiment d’une troisième dimension, et nous permet dans une certaine mesure de reconnaître la distance des objets. Quand on cherche à analyser ce sentiment, on constate qu’il se réduit soit à la conscience de la convergence des yeux, soit à celle de l’effort d’accommodation que fait le muscle ciliaire pour mettre l’image au point. […] Dans ce cas deux sensations affectant le même point de la rétine et accompagnées d’un même sentiment de convergence, deux sensations qui par conséquent appartiendraient l’une et l’autre à la coupure C″ pourraient néanmoins être discernées parce qu’elles seraient accompagnées de deux sensations d’accommodation différentes. […] Mais nous n’avons fait là pour ainsi dire qu’une expérience de physiologie ; et même comme il suffirait d’adapter sur les yeux des verres de construction convenable pour faire cesser l’accord entre les sentiments de convergence et d’accommodation, allons-nous dire qu’il suffit de mettre des bésicles pour que l’espace ait quatre dimensions et que l’opticien qui les a construites a donné une dimension de plus à l’espace ?
Ce qui persévéra d’eux-mêmes, à travers une première poussée, fut la sève vivace qui les animait, le désir de créer du neuf, de trouver des moyens nouveaux d’expression et des nuances nouvelles de sentiment, non pas de créer une mode en poésie, mode curieuse et subtile, mais de la ramener à son devoir éternel ; c’est pourquoi l’École Décadente prit peu à peu une importance qu’on peut vraiment qualifier de considérable. […] On peut être en effet descriptif d’idées, de sentiments, de paysages. […] Ils répugnèrent à l’observance des formules esthétiques établies et eurent un vif et fort sentiment de l’indépendance absolue du Poète et de la Poésie. […] Ils ne veulent pas chanter l’homme en ses symboles, ils veulent l’exprimer en ses pensées, en ses sensations, en ses sentiments.
Le problème se varie, s’élargit à l’infini, suivant les horizons de chaque âge ; mais toujours il se pose ; toujours, en face de l’inconnu, l’homme ressent un double sentiment : respect pour le mystère, noble témérité qui le porte à déchirer le voile pour connaître ce qui est au-delà. […] On comprend que l’antiquité, n’ayant pas le grand mot de l’énigme, le progrès, n’ait éprouvé qu’un sentiment de crainte respectueuse en brisant les barrières qui lui semblaient posées par une force supérieure, que, n’osant placer le bonheur dans l’avenir, elle l’ait rêvé dans un âge d’or primitif 15, qu’elle ait dit : Audax Iapeti genus, qu’elle ait appelé la conquête du parfait un vetitum nefas. L’humanité avait alors le sentiment de l’obstacle et non celui de la victoire ; mais, tout en s’appelant audacieuse et téméraire, elle marchait toujours. […] Les esprits élevés, qui redeviennent peuple, éprouvent le même sentiment.
Vous avez beaucoup de modestie, et jusqu’à avoir honte et être déconcerté quand on vous loue… Mais votre modestie est plus dans les sentiments que vous avez de vous-même, que dans votre air, car vous êtes modeste sans être doux, et vous êtes docile quoique vous ayez l’air rude. […] Mais ce sentiment littéraire plus vif, ce mouvement net et prompt, cette impétuosité de jugement qui ressemble presque à une ardeur de cœur, Huet ne l’avait pas. […] Huet sentait à merveille l’antique poésie ; il y mêlait l’amour de la nature et de la campagne, et il en a plus d’une fois exprimé le sentiment avec charme. […] [NdA] De telles injustices de sentiments et de propos se renouvellent à chaque génération.
qu’aisément tout nous porte à Dieu, s’écrie-t-il encore avec un sentiment très vif et très sincère, quand on se voit au milieu des mers sur cinq ou six planches, toujours entre la vie et la mort ! […] Basset, saisira très bien, tout à côté, et nous rendra d’une manière charmante l’art et l’esprit habile des Jésuites qui, à peine débarqués dans un endroit, au cap de Bonne-Espérance ou à Batavia, chez les Hollandais protestants, se hâtent d’établir leur observatoire et de se faire bien venir en mettant du premier jour leur science, leurs lunettes astronomiques, au service de la curiosité populaire : « Ils vont dresser leurs machines, dit Choisy, pour au moins payer leur hôte avec un peu de Jupiter et de Mercure. » Et il ajoute comme moralité : « C’est une bonne chose, par tout pays, que l’esprit. » Pourtant, cette nature fine et mobile de Choisy a bien saisi, par éclairs, le vrai sentiment de l’inspiration apostolique. […] Point d’ambition, point de vues : plus attentive à songer à ce qu’elle aimait qu’à lui plaire ; toute renfermée en elle-même et dans sa passion, qui a été la seule de sa vie ; préférant l’honneur à toutes choses, et s’exposant plus d’une fois à mourir, plutôt qu’à laisser soupçonner sa fragilité ; l’humeur douce, libérale, timide ; n’ayant jamais oublié qu’elle faisait mal, espérant toujours rentrer dans le bon chemin ; sentiments chrétiens qui ont attiré sur elle tous les trésors de la miséricorde, en lui faisant passer une longue vie dans une joie solide, et même sensible, d’une pénitence austère. […] Puisque nous sommes en un jour de récréation, ne nous montrons pas trop sévère ; Choisy a des titres à l’indulgence : il fut plus frivole et léger que corrompu : il resta naturel au milieu de ses bizarreries les plus étranges ; il eut, à un certain jour, des sentiments sincères de piété qu’il tâcha de nourrir ; il fit tout, dans ses trente dernières années, pour devenir sérieux et grave, il ne put jamais s’empêcher d’être amusant et aimable.
Il est temps d’arriver aux sentiments de douleur et de repentir qui ont épuré la passion de Mme de La Vallière, et qui ont donné aux trente-six dernières années de sa vie la consécration sans laquelle elle n’eût été qu’une maîtresse de roi assez touchante, mais ordinaire. […] Elle-même a consigné les sentiments secrets de son cœur dans une suite de Réflexions sur la miséricorde de Dieu, qu’elle écrivait au sortir d’une grave maladie qu’elle fit en ces années. […] « Celui qui aime, court, vole et se réjouit ; il est libre et rien ne l’arrête. » C’est l’Imitation de Jésus-Christ qui le dit : Mme de La Vallière, qui avait si bien senti cela dans l’ordre des sentiments humains, put bientôt se le redire à elle-même dans la suite de son progrès céleste. […] En vérité, ses sentiments ont quelque chose de si divin, que je ne puis y penser sans être en de continuelles actions de grâces : et la marque du doigt de Dieu, c’est la force et l’humilité qui accompagnent toutes ses pensées ; c’est l’ouvrage du Saint-Esprit… cela me ravit et me confond ; je parle, et elle fait ; j’ai les discours, elle a les œuvres.
Cet esprit puissant, si élevé de pensée et, par moments, si altier de doctrine, ce patricien entier et opiniâtre, pauvre alors et réduit en secret aux gênes les plus dures, bien qu’ambassadeur et dans une sorte de pompe officielle, me touche doublement avec son sentiment profond de famille et ses vertus patriarcales. […] Un sentiment profond d’amitié le ramène vers ceux qu’il a autrefois connus et qui lui sont restés au fond du cœur. […] Ce sont ces sentiments si vrais, si naturels et si pleins d’émotion, qu’on n’était pas accoutumé à rattacher au nom de M. de Maistre, et qui vont désormais donner à sa physionomie un caractère plus aimable et plus humain. […] Exceptons cependant, pour nous consoler, l’amitié, la reconnaissance, tous les bons sentiments, tous ceux surtout qui sont faits pour unir les hommes estimables. » Au milieu de tout ce qu’il a rencontré en Russie d’honorable et même de doux : « Cependant, pense-t-il, il y a deux choses dont le souvenir s’efface difficilement, ou ne s’efface point du tout : le soleil et les amis. » L’idée de ne plus jamais quitter ce pays du Nord l’oppresse : « Le jamais ne plaît jamais à l’homme ; mais qu’il est terrible lorsqu’il tombe sur la patrie, les amis et le printemps !
Assailli d’une foule d’idées et de sentiments, je pleurai assez longtemps sans qu’il me reste d’ailleurs d’autre souvenir de cette situation, si ce n’est que c’est, sans aucune comparaison, ce que mon cœur a jamais senti de plus violent et de plus délicieux, et que ces mots : Me voici, mon Fils ! […] Cette lettre, tout humble et pacifique, attesterait, au besoin, le ton et les sentiments religieux de La Harpe dès qu’il avait le temps de faire un retour sur lui-même et de s’avertir. […] Nous sommes devenus difficiles et de haut goût ; nous aimons les choses fortes, fortes en couleur, sinon en nature et en sentiment. […] Le 10 février 1803, la veille de sa mort, La Harpe ajouta une déclaration à son testament : « J’exhorte tous mes compatriotes, disait-il en terminant, à entretenir des sentiments de paix et de concorde. » Il était grand temps, et le conseil avait du naïf de la part du belliqueux vieillard qui avait disputé et bataillé jusqu’à extinction.
Je voudrais présenter d’une manière claire et incontestable pour tout le monde la vraie situation de Carrel au National, dès l’origine en janvier 1830, et les diverses gradations d’idées, de sentiments et de passions par lesquels il arriva à la polémique ardente et extrême qui a gravé son image dans les souvenirs. […] C’est toutes les fois surtout qu’il parle de guerre que l’expression chez lui s’anime et s’éveille : lui qui, lorsqu’il traite des choses constitutionnelles d’Angleterre, dont le département lui était presque dévolu à cause de son précédent ouvrage, est assez terne et sans caractère, il devient lucide, intéressant, quand il parle de l’expédition d’Alger, de l’embarquement des troupes (18 mai 1830) ; il se met au-dessus de ses antipathies politiques, il s’élève à un sentiment militaire patriotique, qui confond un moment tous les drapeaux. C’est ce même sentiment d’une générosité presque confraternelle qui lui inspira (21 juillet) les quelques lignes par lesquelles il honora le trépas du jeune Amédée de Bourmont, tué au début de l’expédition, quand, à peu de jours de là, il avait été si inexorable et d’une mémoire si vengeresse contre le père. […] La pratique suivra : La révolution de Juillet ne nous a rendu ni plus ni moins ardents que nous ne l’étions sous le dernier gouvernement… L’obstacle est écarté… il n’y a plus qu’à marcher avec un juste sentiment de ce qu’il y a d’avenir dans ce seul fait : Plus de royauté ennemie des institutions ; et l’on arrivera à tous les biens que tant de systèmes successivement essayés ont promis sans jamais tenir. — Ce n’est pas là de l’optimisme, ajoute Carrel, c’est une juste confiance dans le principe essentiel de notre gouvernement : la souveraineté du peuple représentée par la souveraineté des majorités parlementaires.
Lorsque le philosophe prend d’un côté un morceau de marbre, et de l’autre une grande pensée, un grand sentiment, un acte de vertu, il n’a pas de peine à démontrer que ces phénomènes répugnent à la nature du marbre ; mais, lorsque d’intermédiaire en intermédiaire il s’est élevé du minéral au végétal, du végétal à l’animal, de l’animal à l’homme, lorsqu’il passe du travail chimique au travail vital, de là au travail psychologique, — lorsque enfin il vient à remarquer que de la vie consciente à la vie inconsciente, et réciproquement, il y a un va-et-vient perpétuel et un passage insensible et continu, il ne peut s’empêcher de demander en quoi consiste ce moyen terme entre l’âme pensante et la matière brute, qui lie l’une à l’autre, et qui, sans pouvoir se séparer de la seconde, est ici-bas la condition indispensable de la première. […] L’observation extérieure ne vous donne que des phénomènes ; dans la conscience, il y a tout à la fois le sentiment d’une activité productrice et des phénomènes produits ; c’est le sentiment de cette activité productrice continue qui nous fournit les idées appelées métaphysiques, les idées de cause, de substance, d’existence, d’unité, etc. C’est également dans ce sentiment intérieur que nous puisons l’idée de la liberté.
Du moins, en face de ces deux démolisseurs de toutes choses, devant ces deux hommes d’une gloire surfaite par les partis, et qui ont attaqué, les uns après les autres, les sentiments et les idées qui sont les bases des sociétés et de la conscience humaine, tous deux en riant, les malheureux ! […] Le sentiment moral, prenant sa source dans la vérité religieuse, équivaut à des facultés. […] Nettement, mais le sentiment qui déborde aujourd’hui dans son histoire finit par noyer en ses flots, encore plus troubles que troublés, les anciennes opinions de l’auteur. […] sur les pentes inclinées des plus charitables sentiments : mais aujourd’hui (il faut bien le dire) il a trop roulé.
Pigal est un comique modéré, mais le sentiment de ses compositions est bon et juste. […] Relativement au calotin, c’est le même sentiment qui dirige notre partial artiste. […] Les sentiments, il les prenait tout faits dans les vaudevilles. […] Traviès a un profond sentiment des joies et des douleurs du peuple ; il connaît la canaille à fond, et nous pouvons dire qu’il l’a aimée avec une tendre charité.
— Votre roman déborde de sensibilité — ou plutôt de sentiment, ce qui vaut mieux — et pas de mièvrerie, pas de grimace. […] Il parut devoir mener à bien tout ce qui répondait au sentiment public. […] C’est donc avec un sentiment d’orgueil que j’entrai dans le petit logis qu’il habitait rue Guénégaud. […] Cela ne changeait rien ni dans les caractères, ni dans les sentiments, ni dans les faits. […] Ce fut le sentiment de Victor Hugo, dont le sourcil olympien trahissait l’inquiétude.
Je ne dis pas à travers l’amour — non — à travers le sentiment, qui a toutes sortes de formes, de manifestations, de nuances. […] Celui-ci devine l’indiscrétion et une scène du plus grand effet, très délicate de sentiment, éclate entre le père et la fille. […] C’était pour moi une adoration, il me paraissait rempli des plus beaux sentiments, celui de la paternité excepté. […] Naturellement, je fus interpellé, par eux, au sujet des sentiments de mes administrés. — « Ce qu’ils veulent ? […] C’est chez elle un hautain stoïcisme, et toujours et toujours des sentiments cornéliens, et jamais rien d’humain.
Margueritte ; le reste de la lecture m’a confirmé dans mon sentiment. […] C’est par la logique et le sentiment, qui ne sont pas monopolisés chez les Européens, que vivent les Américains héros du livre de M. […] La vue de cet enfant, dont il ignorait l’existence, de cette petite fille, éveille en lui le sentiment de la paternité. […] Quant à moi, je vous garde les mêmes sentiments. […] Elle aurait douté de Dieu plutôt que de la droiture du sentiment qui la remplissait.
Cela est possible, et j’ai tâché du moins que mon jugement littéraire définitif ne se ressentît en rien de cette variation de sentiments. […] Cette légère réserve faite, je ne sais rien de mieux raconté. » M. le comte de Circourt enfin, cet homme de haute conscience et de forte littérature, dans une lettre qu’il m’écrivait le 24 avril 1864, reconnaissait la vérité du Portrait et s’exprimait en ces termes par lesquels je terminerai et qui me couvrent suffisamment : « Les grands côtés du talent de M. de Vigny sont mis par vous en relief d’une manière tout à la fois large et fine ; et malgré la sévérité de quelques-unes de vos appréciations, je n’ai rien à souhaiter de mieux pour la mémoire de M. de Vigny, si ce n’est que la postérité s’en tienne sur lui à votre jugement, ce que j’espère ; j’apprends que ses vrais (et par conséquent rares) amis sont tout à fait de ce sentiment. » 79.
Car ce petit livre est une œuvre à part ; une conviction profondément nationale et religieuse l’a dicté au poète fervent ; il est destiné, comme un viatique moral, au peuple errant ou captif chez qui l’ancienne foi catholique semble avoir fait alliance avec le sentiment plus moderne de la liberté. […] Ainsi donc, il y a peu de distinction entre vous et nous, sinon que nous vous accordons d’être les braves des braves, l’avant-garde des grandes Thermopyles ; mais vous et nous, d’ailleurs, c’est le même peuple et la même cause. » Il y avait peut-être, dans cet ordre plus expansif de sentiments, une inspiration poétique et une vérité politique qui n’auraient pas nui, d’ailleurs, à tout ce que M.
Les pensées philosophiques se rallient à tous les sentiments de l’âme ; les sciences vous transportent dans un tout autre ordre d’idées. […] Il fallait que les avantages de la société devinssent universels ; car tout dans la nature tend au niveau ; mais les douceurs de la vie privée, la diffusion des lumières, les relations commerciales établissant plus de parité dans les jouissances, apaiseront par degré les sentiments de rivalité entre les nations.
Vielé-Griffin n’a usé que discrètement de la poésie populaire — cette poésie de si peu d’art qu’elle semble incréée — mais il eût été moins discret qu’il n’en eût pas mésusé, car il en a le sentiment, et le respect… Je ne parle pas de la part très importante qu’il a eue dans la difficile conquête du vers libre ; mon impression est plus générale et plus profonde, et doit s’entendre non seulement de la forme, mais de l’essence de son art : il y a, par Francis Vielé-Griffin, quelque chose de nouveau dans la poésie française. […] La plupart des sentiments dont il a reçu l’héritage sont trop universels encore pour qu’il puisse les dire selon les saintes règles d’une prosodie que des siècles ont formée et dans laquelle, poème à poème, s’est révélée toute l’âme d’un peuple dans sa précision victorieuse.
. — Le fait physique est un fait objectif, simple, à une seule face ; le fait psychologique est un fait à deux faces et l’une de ces faces est une suite de sentiments, de pensées et d’autres éléments subjectifs. […] Lorsqu’il nous arrive, comme dans le pur sentiment de plaisir ou de peine, de passer de l’état, objectif à l’état subjectif ; nous subissons un changement qui ne saurait être traduit dans l’espace.
Encore de la mauvaise morale : on peut trop louer sa maîtresse, et tout éloge qui n’a pas l’air d’échapper à un sentiment vrai, ou d’être une galanterie aimable d’un esprit facile, déplaît souvent même à celle qui en est l’objet. […] En effet, il n’a pas été trop impertinent, et il a rendu aimable le sentiment de sa supériorité.
Mais si cette raison fait une objection contre mon sentiment : elle ne suffit point pour prouver le sentiment opposé à celui que j’expose.