/ 3404
1483. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

Dès lors, le contraste entre cette liberté et cette barbarie violente nous semble plus sensible, et l’on s’en irrite davantage. […] … Il me semble que, s’ils se relisaient, le rouge de la honte leur monterait à la face ! […] … Quand je ne le vois pas, il me semble que je suis un peu moins ministre ! […] … Mot magique et qui semble nous garder à jamais des révolutions ! […] Elle n’est ni à côté, ni au-delà de la vie ; elle semble seulement prolonger les faits observés, et les rendre plus clairs.

1484. (1874) Premiers lundis. Tome I « Fenimore Cooper : Le Corsaire Rouge »

Le Dauphin du Corsaire, sorti du même chantier que l’Ariel du Pilote, semble avoir reçu la vie dès l’instant qu’il a senti les flots sous sa quille et les marins à son bord. […] Nous voudrions encore, dussions-nous sembler bien exigeant, que le tailleur Homespun parlât un peu moins de ses cinq longues et sanglantes guerres, et que l’excellent Richard Fid farcît un peu moins sa conversation d’expressions nautiques ; l’auteur, en voulant être vrai, a renchéri sur la nature : les marins, les tailleurs et les gens de métier parlent aussi comme les autres hommes.

1485. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Casuistique. » pp. 184-190

L’homme qui l’aimait, ancien officier, et qui semble avoir été un assez brave homme et d’une moralité au moins moyenne, s’est tué pour échapper à un procès déshonorant. […] C’est un meurtre, oui, toujours ; mais ne semble-t-il pas plus excusable en somme que tel meurtre lâchement « passionnel », avec guet-apens, sang versé, agonie de la victime, victime adulte, qui peut laisser après soi des êtres chers et qui vivaient d’elle : toutes choses qui n’empêcheront point le Code d’absoudre publiquement l’assassin ?

1486. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 211-219

M. l’Abbé de Barruel semble s’être proposé pour modele les fameuses Lettres de Pascal, & il faut convenir qu’il se montre souvent le digne émule de ce Grand Homme. […] Tels sont, comme je crois, ces Ecrivains qui pensent Que ce ne sont les lieux ou les astres qui dansent A l’entour de la terre ; ains que la terre fait Chaque jour sur son axe un tour vraiment parfait ; Que nous semblons ceux-là qui, pour courir fortune, Tentent le dos flottant de l’azuré Neptune, Et nouveaux, cuident voir, quand ils quittent le port, La nef demeurer ferme, & reculer le bord.

1487. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre IV »

La vénerie et le blason possèdent des langues entièrement pures et d’une beauté parfaite ; mais il m’a semblé plus curieux de choisir comme type de vocabulaire entièrement français celui d’une science plus humble, mais plus connue, celui de l’ensemble des corps de métier nécessaires à la construction d’une maison. […] Le nom de jet-d’eau donné à une sorte de rabot est fort joli par l’image évoquée des copeaux qui surgissent au-dessus du contre-fer ; il semble nouveau dans cette signification47, mais la langue des métiers toujours vivante et si inconnue est en perpétuelle transformation.

1488. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 34, du motif qui fait lire les poësies : que l’on ne cherche pas l’instruction comme dans d’autres livres » pp. 288-295

Il semble que l’esprit oublie ce qu’il sçait des évenemens d’une tragedie dont il connoît parfaitement la fable, afin de mieux joüir du plaisir de la surprise que ces évenemens causent lorsqu’ils ne sont pas attendus. […] Notre memoire paroît donc suspenduë au spectacle, et il semble que nous nous y bornions à ne sçavoir les évenemens que lorsqu’on nous les annonce.

1489. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

Les décorations de mes idées étaient changées… » Il observa la contrée en géologue amateur ; il prêta grande attention aux pierres, aux blocs erratiques dont le sol est régulièrement semé, et qui semblent avoir été versés par les courants uniformes d’une mer profonde dans le dernier grand déplacement des eaux. […] Tout le reste de la vie de Rome est voué à l’avenir et au ciel qui semble s’y ouvrir dans toute sa splendeur : le présent seul n’existe pas dans la sainte cité. […] La politesse des officiers de cette jeune armée, en opposition avec la grossièreté des représentants du peuple, lui avait paru le modèle de la politesse du nouveau régime. « L’absence des formes de convention semblait mettre dans tout son jour la bienveillance et la bonté de ces jeunes héros. » Il avait recueilli de la bouche des soldats quelques-unes de ces paroles patriotiques et simples qui leur sont familières dans les journées immortelles, et qui lui étaient allées au cœur ; aussi Bonstetten, revenant à Paris, jouissait des changements accomplis, mais ne s’en étonnait pas. […] Il me semble que nous ne sommes que des ombres jusqu’au moment où nous aimons ; là commence la réalité. […] La force de ce gouvernement reposant sur d’antiques opinions, l’immobilité semble faire partie de sa dignité même.

1490. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

Ce spectacle même, à s’en donner un moment la vue, est consolant et beau : sur le trône la bonté dans sa magnanimité ou dans sa grâce ; sur les marches du trône et dans les plus hauts rangs de la société, intelligence, générosité, discernement et activité pour le bien, pour l’allégeance des misères ; à tous les degrés de l’échelle, des associations utiles et secourables : et malgré tout il y a des problèmes insolubles ou non résolus encore, des intérêts rivaux qui semblent ennemis, qui sont certainement contraires et qu’il n’est pas donné aux meilleures intentions, aux résolutions les plus louables, d’accommoder ni de trancher. […] Et d’abord, sans prétendre en rien rouvrir une discussion générale, où tous les arguments de part et d’autre semblent avoir été épuisés, et qui pourtant resterait encore inépuisable, il est impossible de ne pas rappeler devant vous qu’il y a eu (et même dans la Commission dont j’ai l’honneur d’être l’organe) deux manières d’envisager la question des droits d’auteur : l’une qui la généralise et la simplifie, qui la constitue et l’élève à l’état de principe, de droit absolu, de propriété inviolable et sacrée, revendiquant hautement sa place au soleil ; et l’autre manière de voir, plus modeste, plus positive, plus pratique sans doute, qui ne s’est occupée que d’améliorer ce qui avait été fait déjà, de l’étendre aux limites qui semblent le plus raisonnables, en tenant compte des différences de matière et d’objet, en mettant la nouvelle loi en rapport avec les articles qui dans notre Code régissent le mariage, les successions, et en combinant le mieux possible les droits des auteurs et ceux du public. […] De là, Messieurs, la nécessité actuelle et urgente d’une loi qui, en d’autres temps, pouvait sembler moins exigée, moins opportune. […] Ferdinand Fabre, semble avoir étudié d’après nature ?

1491. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

En 1836, il lui semblait que le Gouvernement avait gagné et que la station serait assez longue ; il récrivait à un de ses amis d’Angleterre, M. Senior, en des termes qui méritent qu’on s’y arrête : « Chez nous, pour le moment du moins, disait-il (27 janvier 1836), tout semble rentré dans l’ordre habituel des choses. […] Il me semble que ma vraie valeur est surtout dans ces travaux de l’esprit ; que je vaux mieux dans la pensée que dans l’action ; et que, s’il reste jamais quelque chose de moi dans ce monde, ce sera bien plus la trace de ce que j’ai écrit que le souvenir de ce que j’aurai fait. […] Il me semble qu’il se trouve là la matière d’un très-grand livre ; mais les difficultés sont immenses. […] Pour moi, il me semble que, s’il se fût agi d’un mien ouvrage, j’aurais été ravi de vos articles.

1492. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Elle semble même d’abord avoir cru dans sa simplicité que l’argent de l’État devait aller de lui-même vous chercher à domicile. […] Mme Valmore, comme famille prochaine et presque aussi chère que celle du foyer, avait encore un frère qui vivait à Douai, deux sœurs et une nièce établies à Rouen, et assez peu heureuses, ce semble. […] Des obstacles de bien des sortes donnent un démenti à ce mot toujours… Mais tu vois aussi que la persévérance dans le bien touche toujours la bonté de Dieu qui semble dire à la fin : “Laissez-la faire.” […] Il était sévère en effet ; il était d’un chrétien qui ne badinait ni avec les choses ni avec les mots ; mais l’impression sur Mme Valmore a surtout été sérieuse, et il me semble qu’elle l’a accepté comme M.  […] Il semble que ses vers sont tombés de sa plume sans nul effort, comme les mots d’une bouche éloquente… C’est par là que Mme Valmore me paraît digne d’occuper une des premières places parmi les femmes-poètes de ce siècle.

1493. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Cela est plus conforme à l’urbanité, qui efface, qui atténue, qui évite les accents brusques et familiers, à qui nombre d’idées sembleraient grossières ou triviales, si on ne les enveloppait d’un demi-voile. […] Elle est internationale comme autrefois le latin, et il semble qu’elle soit désormais l’organe préféré de la raison. […] Toute la littérature classique porte l’empreinte de ce talent ; il n’y a pas de genre où il ne pénètre et n’introduise les qualités d’un bon discours  Il domine dans les genres qui, par eux-mêmes, ne sont qu’à demi littéraires, mais qui, grâce à lui, le deviennent, et il transforme en belles œuvres d’art des écrits que leur matière semblait reléguer parmi les livres de science, parmi les instruments d’action, parmi les documents d’histoire, traités philosophiques, exposés de doctrine, sermons, polémique, dissertations et démonstrations, dictionnaires mêmes, depuis Descartes jusqu’à Condillac, depuis Bossuet jusqu’à Buffon et Voltaire, depuis Pascal jusqu’à Rousseau et Beaumarchais, bref la prose presque tout entière, même les dépêches officielles et la correspondance diplomatique, même les correspondances intimes, et, depuis Mme de Sévigné jusqu’à Mme du Deffand, tant de lettres parfaites échappées à la plume de femmes qui n’y songeaient pas  Il domine dans les genres qui, par eux-mêmes, sont littéraires, mais qui reçoivent de lui un tour oratoire. […] Il semble, à les lire, que les climats, les institutions, la civilisation, qui transforment l’esprit humain du tout au tout, soient pour lui de simples dehors, des enveloppes accidentelles qui, bien loin de pénétrer jusqu’à son fond, touchent à peine sa superficie. […] Il semble que pour elle il n’y ait que des salons et des gens de lettres.

1494. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Expliquez à un ouvrier, à un paysan les droits de l’homme, et tout de suite il deviendra un bon politique ; faites réciter aux enfants le catéchisme du citoyen et, au sortir de l’école, ils sauront leurs devoirs et leurs droits aussi bien que les quatre règles  Là-dessus l’espérance ouvre ses ailes toutes grandes ; tous les obstacles semblent levés. […] Une forme d’esprit si universelle ne peut manquer de leur sembler naturelle ; ils sont comme des gens qui, ne parlant qu’une langue et ayant toujours parlé aisément, ne conçoivent pas qu’on puisse parler une autre langue, ni qu’il y ait auprès d’eux des muets ou des sourds  D’autant plus que la théorie autorise leur préjugé. […] En temps ordinaire, nous ne les remarquons pas ; comme elles sont contenues, elles ne sous semblent plus redoutables. […] Je n’ai pas le droit d’élever mes enfants chez moi et de la façon qui me semble bonne. « Comme on ne laisse pas la raison445 de chaque homme unique arbitre de ses devoirs, on doit d’autant moins abandonner aux lumières et aux préjugés des pères l’éducation des enfants, qu’elle importe à l’État encore plus qu’aux pères. » — « Si l’autorité publique, en prenant la place des pères et en se chargeant de cette importante fonction, acquiert leurs droits en remplissant leurs devoirs, ils ont d’autant moins de sujet de s’en plaindre qu’à cet égard ils ne font proprement que changer de nom et qu’ils auront en commun, sous le nom de citoyens, la même autorité sur leurs enfants qu’ils exerçaient séparément sous le nom de pères. […] Il semblait que la morale était devenue facile à pratiquer et que la balance de l’ordre social était si bien établie que rien ne pourrait la déranger. » 435.

1495. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre IV. L’espace et ses trois dimensions. »

. — L’espace et l’empirisme Il semble que je vais être amené à des conclusions conformes aux idées empiristes. […] Et c’est justement parce que cette association est utile à la défense de l’organisme, qu’elle est si ancienne dans l’histoire de l’espèce et qu’elle nous semble indestructible. […] En résumé, pour m’imaginer que je sors de ma prison, je n’ai qu’à m’imaginer que les parois semblent s’en écarter, quand je remue. […] N’étant pas physiologiste, j’hésite à critiquer les expériences qu’il a dirigées contre la théorie adverse de Mach-Delage ; il me semble cependant qu’elles ne sont pas probantes, car dans beaucoup d’entre elles on faisait varier la pression dans un des canaux tout entier, tandis que, physiologiquement, ce qui varie, c’est la différence entre les pressions sur les deux extrémités du canal ; dans d’autres, les organes étaient profondément lésés, ce qui devait en altérer les fonctions. […] De plus, il semble qu’elles nous renseignent seulement sur les rotations de la tête et non sur les translations qu’elle peut subir.

1496. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

À cette même tranchée devant Mardyck, au moment où il fallait en déloger les ennemis, Bussy, qui est entré par un côté, se rencontre tête à tête avec le duc d’Enghien, qui montait de l’autre, faisant main basse sur tout ce qui se présentait à lui : Je ne songe point, dit-il, à l’état où je trouvai ce prince, qu’il ne me semble voir un de ces tableaux où le peintre a fait un effort d’imagination pour bien représenter un Mars dans la chaleur du combat. […] Mais il semble bien que ce qui lui nuisit auprès de Turenne comme auprès de tous les supérieurs dont il approcha, ce fut son penchant à la raillerie, à l’épigramme, au couplet malin. […] La causticité de Bussy se retrouverait dans ce dernier trait, si on la voulait chercher ; mais il faut reconnaître qu’ici elle semble bien d’accord avec la vraie observation humaine. […] car, bien que nous ne soyons pas demeurés muets chacun de notre côté, il me semble que nous nous faisons valoir l’un l’autre, et que nous nous entredisons des choses que nous ne disons pas ailleurs. […] Cela nous semble dénaturé et révoltant d’adulation et de platitude, mais au moins Bussy est net et ne marchande pas sur l’expression.

1497. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Vers la fin, il semble par moments que l’auteur se forme. […] Je suis très jeune, j’ai pu pécher contre la politique des tyrans, blâmer des lois fameuses et des coutumes reçues ; mais, parce que j’étais jeune, il m’a semblé que j’en étais plus près de la nature. […] Il semble que ce membre du Comité de salut public soit allé dormir et rêver dans la grotte d’Épiménide. […] Cette cravate, ce gilet, cet œillet ne sont pas très difficiles à emprunter, et il me semble que cette forme de style et de phrase se peuvent assez aisément imiter aussi. […] Je ne puis que renvoyer les curieux à l’Histoire fort étudiée et, ce semble, fort consciencieuse, de M. 

1498. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

La France, il est vrai, par sa situation centrale dans le monde civilisé, semble être appelée à recueillir toutes les notions et toutes les poésies environnantes, et à les rendre aux autres peuples merveilleusement ouvrées et façonnées. […] Ne vous semble-t-il pas que cette Didon, avec sa toilette si précieuse et si théâtrale, langoureusement étalée au soleil couchant, comme une créole aux nerfs détendus, a plus de parenté avec les premières visions de Chateaubriand qu’avec les conceptions de Virgile, et que son œil humide, noyé dans les vapeurs du keepsake, annonce presque certaines Parisiennes de Balzac ? […] Ces chevaux surnaturels (en quoi sont-ils, ces chevaux qui semblent d’une matière polie, solide, comme le cheval de bois qui prit la ville de Troie ?) […]                           Dieu semble les produire afin de se prouver ; Il prend pour les pétrir une argile plus douce, Et souvent passe un siècle à les parachever. […] Il semble que cette couleur, qu’on me pardonne ces subterfuges de langage pour exprimer des idées fort délicates, pense par elle-même, indépendamment des objets qu’elle habille.

1499. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

Il a pu sembler, qu’elle n’avait affaire qu’à ces êtres complexes, peuples, nations, États, qui ont une histoire proprement dite, et dont la grandeur ou la décadence sont les épisodes frappants de l’évolution de l’humanité. […] De tous les traits caractéristiques des sociétés primitives, auxquelles manque l’idée d’un droit propre aux individus, s’il en est un qui semble établi, c’est l’absence de différenciation, et par suite l’absence de complication sociale. […] Mais imaginez une société composée de groupements spécialisés, dont l’organisation est orientée vers une certaine fin, — les uns destinés par exemple à servir certains intérêts économiques, les autres à contenter certaines aspirations religieuses, ou certains goûts esthétiques, — alors il semble impossible qu’une société ainsi composée ne se complique pas. […] C’était, semblait-il, le moyen le plus propre à affaiblir l’esprit aristocratique : « Si l’on veut fonder la démocratie, dit Aristote 152, on fera, ce que fit Clisthène chez les Athéniens : on, établira de nouvelles tribus et de nouvelles phratries ; aux sacrifices héréditaires des familles on substituera des sacrifices où tous les hommes seront admis ; on confondra autant que possible les relations des hommes entre eux, en ayant soin, de briser toutes les associations antérieures. » Et en effet, au nom des fins politiques, militaires ou économiques, prenant comme principes de classement, l’origine ou le métier, l’habitation ou la richesse, les réformateurs des cités antiques y manièrent et remanièrent sans trêve la matière sociale, de telle sorte que les rapports de ses éléments ne pouvaient manquer de se compliquer. […] Leurs distances, dirait-on, semblent se raccourcir à mesure qu’elles sont plus souvent franchies.

1500. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Il semble qu’il ait été whig, tory, puritain, membre du conseil privé, ambassadeur. […] Glenlyon et ses hommes étaient tous debout, et semblaient mettre leurs armes en état pour une action. […] Ainsi, cette histoire dont les qualités semblent si peu anglaises porte partout la marque d’un talent vraiment anglais. […] Elle a la vie, la clarté, l’unité, qualités qui semblaient toutes françaises. Il semble que l’auteur soit un vulgarisateur comme M. 

1501. (1915) Les idées et les hommes. Deuxième série pp. -341

Il me semble qu’il n’y a plus de ces originaux. […] Cet alibi de notre orgueil est bien de nous, il me semble. […] C’est, il me semble, ce que fait Flaubert dans ses romans. […] Oui, semble répondre La Vagabonde. […] Elle semble et, presque toujours, elle est une négligence.

1502. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Or il semble, au premier coup d’œil, que les objections abondent contre notre manière de juger la période poétique actuelle. […] Voilà la grande question sur cette question de l’art ; voilà ce qui n’a guère été compris, ce nous semble, et ce qui a engendré tant d’opinions diverses qui se combattent. […] Pourquoi semblent-ils faire antithèse avec Goethe et Byron ? […] Les grands hommes qui se succèdent d’une génération à la suivante ne se répètent jamais ; mais lorsqu’ils semblent faire une œuvre opposée, souvent ils se continuent. […] Que si un fantôme d’elle alors leur apparaît et pose devant eux, si une image du passé, se dérobant à la tombe, semble se relever et marcher, est-il étonnant que ces âmes poétiques prennent leur rêve pour une réalité ?

1503. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

À la vue de ces produits étranges des premiers âges, de ces faits qui semblent en dehors de l’ordre accoutumé de l’univers, nous serions tentés d’y supposer des lois particulières, maintenant privées d’exercice. […] À n’envisager que le passé de l’humanité, la religion, par exemple, semblerait essentielle à la nature humaine ; et, pourtant, la religion dans les formes anciennes est destinée à disparaître. […] La variété des termes employés pour désigner Dieu par les différents missionnaires protestants devint telle qu’il fallut recourir à un concile, qui ne décida rien, ce semble, puisque M.  […] La philosophie, élément dominant des races indo-germaniques, semble complètement étrangère aux Sémites, et pourtant, en y regardant de près, on découvre aussi chez ces derniers non la chose même, mais le germe rudimentaire. […] On me condamnerait à me faire une spécialité de la science du blason qu’il me semble que je m’en consolerais et que j’y butinerais comme en plein parterre un miel qui aurait sa douceur.

1504. (1856) Cours familier de littérature. I « Ier entretien » pp. 5-78

Le caillou que le rayon a touché est déjà tiède à ma main ; le vent lui-même semble avoir traversé l’haleine de l’aurore du printemps ; il souffle sur les collines, comme notre mère, quand nous étions petits et que nous rentrions tout transis de froid, soufflait sur nos doigts pour les dégourdir. […] Des choux et des raves à peine sarclés croissaient dans les quatre carrés du jardin : la vigne, au bout du verger, que le vigneron ne taillait plus, répandait çà et là en rampant à terre ses sarments touffus, qui semblaient pleurer la main de l’homme. […] Il causait de toutes choses, politique, littérature, anecdotes secrètes des cours du Midi ou du Nord, avec une étonnante sagacité pour un solitaire qui semblait depuis si longtemps enfoui dans une masure de nos montagnes. […] ce chant de l’âme qui exhale ce qui nous semble trop divin en nous pour rester enseveli dans le silence ou pour être exprimé en langue usuelle ; littérature instinctive et non apprise, qui prend ses soupirs pour des accents, et qui cadence les battements de deux cœurs pour les faire palpiter à l’unisson de leurs accords. […] L’histoire elle-même me semblait mesquine et triviale quand elle ne racontait pas les événements humains avec l’accent surhumain de la philosophie, de la tragédie ou de la religion.

1505. (1914) Boulevard et coulisses

Les approcher semblait impossible, tant ils détenaient d’influence, tant ils provoquaient d’hommages. […] Une fois qu’on l’a reçue, elle vous discipline à jamais, jusque dans les heures de notre existence qui semblent livrées au pur hasard. […] Paul Hervieu, qui sortait de l’École de droit, écrivait dans le Gaulois des articles d’une acuité singulière et dont quelques-uns semblent observés d’hier. […] Et nulle conciliation ne semble jusqu’à présent possible. […] Le but ne semble-t-il pas se rapprocher quand tout le monde le regarde à la fois ?

1506. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

Au contraire, il me semble que plus vous serez simple et uni comme bonjour, jasant avec moi des événements, des accidents et des opinions de la veille, et plus je trouverai que vous êtes un écrivain à ma portée, un narrateur bonhomme, un critique attaché au fait principal. […] Enfin, si je veux lire un livre, il me semble que je n’en manque pas ! […] Bulwer ; il a écrit grand nombre de romans ; et comme il s’agit ici du plus grand siècle de notre histoire, il m’a semblé qu’il ne serait pas hors de propos, de parler de la pièce de M.  […] Vous me semblez des personnes charmantes, je le déclare ; revenez, je vous en prie — ne nous réduisez pas au désespoir ! […] Au contraire, il semblerait que ce Don Juan soit le seul des êtres évoqués par Molière qui ne fasse pas rire le parterre.

1507. (1924) Souvenirs de la vie littéraire. Nouvelle édition augmentée d’une préface-réponse

La bonté semblait l’épanouissement de son intelligence. […] Il me semble que j’ai rêvé ma vie ». […] Ce barbare, avide de sociabilité, semblait rechercher les amis pour les dominer. […] » Cette idée lui semblait baroque. « — Qu’est-ce que j’aurais fait d’une femme ? […] Jamais son œuvre ne lui semblait à point ; il n’était jamais pressé de la publier.

1508. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

Il le trouva de plus en plus malade de sa toux, et faisant des efforts de poitrine qui semblaient le menacer d’une fin prochaine. […] Enfin le ciel chez moi me le fit retirer, Et depuis ce temps-là tout semble y prospérer. […] Je l’entends, ce me semble. […] Vous deviez, ce me semble, armer mieux votre sein, Et raisonner un peu sur un pareil dessein. […] Célimène semble le pressentir ; mais, éblouie par les adorations de ses amants, cet avenir lui semble trop éloigné pour qu’elle puisse le croire redoutable.

1509. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

La pièce lui a semblé bien marcher à la répétition, mais son frère est venu lui dire, ce matin, que son fils lui avait rapporté, que les corridors étaient tout à fait hostiles à la pièce. […] Vraiment ils sont curieux chez ces ignorants de la maladie, les regards profonds avec lesquels ils semblent vous demander de leur ôter leur mal. […] Et les belles impressions japonaises, depuis tout au plus une douzaine d’années qu’on les recherche, c’est fini d’en trouver chez Bing et Hayashi, et il me semble même que malgré tous leurs efforts, ils n’en peuvent plus découvrir au Japon. […] Paris semble avoir été dépeuplé par une peste. […] Cette soirée me semble devoir annoncer un grand succès, qui cependant par ce rien du quatrième acte, peut devenir un four.

1510. (1884) La légende du Parnasse contemporain

N’est-ce pas qu’elle était d’un aspect agréable et qu’elle semble toute jeune, quoique si vieille déjà ? […] Ils peuvent très souvent vous sembler admirables ; très souvent, ils le sont. […] Cela peut sembler étrange au premier abord. […] Il lui semblait peut-être que, sous ce nom nouveau, il serait un peu moins son fils. […] Semble un crustacé noir, gigantesque et vermeil.

1511. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — P.-S. » pp. 38-40

Si le père Massillon, du temps qu’il était à Saint-Honoré (ou à Saint-Magloire), avait paru bien humble et occupé uniquement de l’éternité, l’évêque vieillissant semblait avoir légèrement oublié son sermon Sur le petit nombre des élus. […] Vous l’entendrez, si Dieu nous donne la consolation de vous voir après Pâques ; car on croit qu’il continuera de prêcher dimanches et fêtes jusqu’à la Pentecôte. » — Un autre oratorien, le père Maur (ou Maure), brillait dans la chaire à la même date, et ses débuts semblaient balancer ceux de Massillon ; le père Maur n’a pas tenu depuis tout ce qu’il promettait et son nom n’a pas surnagé, mais on faisait alors de l’un à l’autre des parallèles ; C’est toujours M. 

1512. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. de Falloux » pp. 311-316

Molé) à une position plus élevée et plus intime encore, si le sage et judicieux Cambacérès venait à se dégoûter, ce qu’il semblait annoncer quelquefois, d’une partie des graves fonctions qui pesaient sur lui. […] Ici, je ne suivrai pas M. de Falloux dans ce qui peut sembler trop conjectural ou trop vague.

1513. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXIV » pp. 247-253

Harel, écrivain d’environ cinquante-cinq ans, et qui semble débuter un peu tard. […] La littérature proprement dite y semble tenir moins de place, et ce n’est pas un mauvais point de vue peut-être quand il s’agit de Voltaire et que l’espace vous empêche de tout dire.

1514. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre I »

La première, la pseudo-anesthésie du corps médical, nous semble bien artificielle. […] Aucun ne lui semblera superflu, car — de valeur inégale, pourtant — tous peuvent, à un moment donné, concourir au diagnostic.

1515. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre II. De la sensibilité considérée comme source du développement littéraire »

Deux lignes épuisent cette plénitude qui semblait vouloir s’épancher en interminables effusions. […] Shakespeare, au fond, a procédé de même ; à la peinture extérieure des émotions il mêle des mots, des traits, des couplets qui nous font pénétrer au-delà du trouble grossier et confus des sens, qui organisent ce désordre, nous le débrouillent et nous font comprendre le jeu régulier de ces ressorts que le hasard seul semblait d’abord mettre en branle.

1516. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Jean Lahor (Henri Cazalis). »

Les soirs d’été, les fleurs ont des langueurs de femmes, Les fleurs semblent trembler d’amour, comme des âmes ; Palpitantes aussi d’extase et de désir, Les fleurs ont des regards qui nous font souvenir De grands yeux féminins attendris par les larmes, Et les beaux yeux des fleurs ont d’aussi tendres charmes. Les fleurs rêvent, les fleurs frissonnent sous la nuit ; Et, blanches, comme un sein adorable qui luit Dans la sombre splendeur d’une robe entr’ouverte, Les roses, du milieu de l’obscurité verte, Tandis qu’un rossignol par la lune exalté Pour elles chante et meurt sous cette nuit d’été, Les roses au corps pâle, en écartant leurs voiles, Folles, semblent s’offrir aux baisers des étoiles.

1517. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les Zutistes » pp. 19-27

Comme il était en retrait de l’alignement et de la mode, il semblait en retrait de la vie. […] Ses deux vastes salles, celle du rez-de-chaussée, garnie d’un billard, et celle de l’étage, ornée d’un piano, semblaient, sous la surveillance d’un garçon fantôme, se morfondre dans l’attente d’un client improbable.

1518. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1826 »

L’auteur de ce livre a le malheur de ne rien comprendre à tout cela ; il y cherche des choses et n’y voit que des mots ; il lui semble que ce qui est réellement beau et vrai est beau et vrai partout ; que ce qui est dramatique dans un roman sera dramatique sur la scène ; que ce qui est lyrique dans un couplet sera lyrique dans une strophe ; qu’enfin et toujours la seule distinction véritable dans les œuvres de l’esprit est celle du bon et du mauvais. […] Ici, au contraire, tout obéit à une loi invariable ; un Dieu semble vivre en tout.

1519. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre X. Suite du Prêtre. — La Sibylle. — Joad. — Parallèle de Virgile et de Racine. »

Il semble avoir eu dans sa jeunesse des passions vives, auxquelles ces imperfections naturelles purent mettre des obstacles. […] Il semble qu’en approchant du tombeau, le Cygne de Mantoue mit dans ses accents quelque chose de plus céleste, comme les cygnes de l’Eurotas, consacrés aux Muses, qui, avant d’expirer, avaient, selon Pythagore, une vision de l’Olympe, et témoignaient leur ravissement par des chants harmonieux.

1520. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre IV. Bossuet orateur. »

C’est pour l’orateur chrétien que ces paroles d’un roi semblent avoir été écrites : L’or et les perles sont assez communes, mais les lèvres savantes sont un vase rare et sans prix 195. […] L’intérêt que peut inspirer une princesse expirant à la fleur de son âge semble se devoir épuiser vite.

1521. (1887) La Terre. À Émile Zola (manifeste du Figaro)

Il avait semblé aux jeunes que le Maître, après avoir donné le branle, lâchait pied, à l’exemple de ces généraux de révolution dont le ventre a des exigences que le cerveau encourage. […] ——— Or, il est bien vrai que Zola semble excessivement préoccupé (et ceux d’entre nous qui l’ont entendu causer ne l’ignorent pas) de la question de vente ; mais il est notoire aussi qu’il a vécu de bonne heure à l’écart et qu’il a exagéré la continence, d’abord par nécessité, ensuite par principe.

1522. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

Il sembla qu’on devait, pour en finir, attendre le printemps. […] Écoutez : leur cavalerie semble épuisée… Ah ! […] Plusieurs seront vieux, qui semblaient jeunes : aèdes fatigués, ou démodés, et qu’on éconduira. […] D’ailleurs, ils semblent renoncer à la métaphysique. […] Il semble qu’il y ait là une spontanéité naturelle, et comme le premier effort de la velléité littéraire.

1523. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Toute la nature semble assoupie. […] Dans ces fleurs, une âme antique semble subir la Parque. […] Il ne me semble pas que les femmes d’ici marchent comme des canéphores. […] Personne ne garde ces petits ânes, qui semblent très doux, et sans rancune. […] Les grands pins lavés par la pluie semblent tout vernissés.

1524. (1895) Hommes et livres

C’est bien, semble-t-il. […] Il me semble qu’on ne se le représente pas très exactement d’ordinaire. […] Si l’amour est la vertu des grands cœurs, il semble qu’il y ait contradiction à le combattre. […] Et quand cet Italien est d’Église, il semble qu’il doive être, pour le moins, Mazarin. […] Il semble qu’il ait plutôt cumulé les gros traitements que volé l’État espagnol.

1525. (1842) Discours sur l’esprit positif

Les deux genres de relations contribuent également à expliquer les phénomènes, et conduisent pareillement à les prévoir, quoique les lois d’harmonie semblent d’abord destinées surtout à l’explication et les lois de succession à la prévision. […] Aussi l’esprit positif n’a-t-il pu manifester suffisamment sa propre tendance philosophique quand il s’est trouvé enfin conduit, par cette oppression, à lutter spécialement contre l’esprit métaphysique, avec lequel il avait dû longtemps sembler confondu. […] Quoique cet incontestable privilège de la positivité rationnelle doive d’abord sembler purement spéculatif, les vrais penseurs y reconnaîtront bientôt la première source nécessaire de l’actif ascendant social réservé finalement à la nouvelle philosophie. […] Si l’idée de société semble encore une abstraction de notre intelligence, c’est surtout en vertu de l’ancien régime philosophique ; car, à vrai dire, c’est à l’idée d’individu qu’appartient un tel caractère, du moins chez notre espèce. […] Ces dispositions incontestables semblent d’abord ne devoir aujourd’hui laisser à la nouvelle philosophie d’autres obstacles essentiels que ceux qui résulteront de l’incapacité ou de l’incurie de ses divers promoteurs.

1526. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Ce château était terminé dans sa plus grande hauteur par une esplanade, et nous distinguions très-bien le long de la terrasse, et autour de l’espace compris entre la tourelle et les mâchicoulis, différentes personnes, les unes appuyées sur le parapet de la terrasse, d’autres sur le haut des mâchicoulis ; ici il y en avait qui se promenaient, là d’arrêtées debout qui semblaient converser. […] Il me semble que si elle était là, dans son vêtement négligé, que je tinsse sa main, que son admiration se joignît à la mienne, j’admirerais bien davantage ; il me manque un sentiment que je cherche et qu’elle seule peut m’inspirer. […] Vous, mon ami, qui connaissez si bien l’enthousiasme et son ivresse, dites-moi quelle est la main qui s’était placée sur mon cœur, qui le serrait, qui le rendait alternativement à son ressort, et suscitait dans tout mon corps ce frémissement qui se fait sentir particulièrement à la racine des cheveux qui semblent alors s’animer et se mouvoir ? […] Cependant et les paroles, et le chant, et la mesure, et le ton, autant d’entraves données, semblaient devoir concourir à fortifier l’identité de l’effet. […] Tout à coup il me semble que les murs de mon appartement chancellent, je frissonne, je lève les yeux à mon plafond, comme s’il menaçait de s’écrouler sur ma tête, je crois entendre la plainte de ma femme, les cris de ma fille.

1527. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

Sans nous faire juges nous-mêmes dans notre propre cause, il nous semble que, rien qu’à y regarder simplement, il est plus d’un siècle, souverain pour elle, où elle aurait eu incontestablement le prix, où elle aurait, d’un consentement unanime, gagné la couronne ; et, lors même qu’elle est primée par de plus grandes et de plus hautes productions étrangères, elle a encore de quoi consoler et honorer sa défaite par bien des grâces qui sont à elle et à elle seule. […] Il semble que dans le Renart on pourrait distinguer ce qui est d’avant et d’après Philippe-le-Bel. […] De menus genres, d’un agrément fragile et bien vite épuisé, ne font qu’éparpiller la méthode et le goût compassé du Roman de la Rose ; et un génie individuel, passionné ou tendre, ne vient pas y porter le correctif, y mettre son cachet à part, et les relever ou les consacrer. — Je prends Froissart : il semble que ce ne soit pas au sujet de Froissart qu’on doive exprimer un regret ; il avait en effet sa vocation expresse de chroniqueur pittoresque, et il l’a merveilleusement remplie. […] En lisant les vers de Marot, on a pour la première fois, ce me semble, le sentiment bien vif et bien net qu’on est sorti des amphigouris de la vieille langue, si mal employée par les derniers rimeurs, qu’on est sorti des broussailles gauloises ; nous sommes en France, en terre et en langue françaises, et en plein esprit français, non plus rustique, non plus écolier, non plus bourgeois, mais de Cour et de bonne compagnie. […] A Mellin de Saint-Gelais, il semble qu’il n’y avait pas encore de style poétique d’un tissu ferme et suivi ; et, à Boufflers, il semble qu’il n’y en a plus

1528. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

Une société où elle n’avait pas son rang lui semblait mal faite. […] Les êtres supérieurs ont leur place marquée par Dieu, et tout ce qui les en écarte leur semble une usurpation. […] « Le prince, accoudé sur le devant de la loge comme un homme qui assiste à un grand spectacle, semblait déjà familiarisé avec sa situation. […] Ce pressentiment, qui précède les hautes destinées et les grands noms, semblait révéler de loin à l’armée que de tous les hommes qui s’agitaient alors dans la Révolution celui-là pouvait être un jour le plus utile ou le plus fatal à la liberté. […] Il connaissait la mauvaise opinion qu’on avait de lui et semblait la braver.

1529. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

Elle n’ouvrait pas la bouche, et cependant elle semblait parler à son tour, tant ses traits mobiles avaient d’expression ! […] Cette vallée de Kachemire de l’Occident, cette colonie de la liberté religieuse et de la liberté républicaine, encaissée dans des remparts de neige entre le Jura et les Alpes, semblait donner de l’étrangeté et de la hardiesse à la pensée. […] Son attitude (sur le char) était noble et modeste ; on apercevait bien qu’elle était contente d’être admirée, mais un sentiment de timidité se mêlait à sa joie et semblait demander grâce pour son triomphe ; l’expression de sa physionomie, de ses yeux, de son sourire, intéressait pour elle, et le premier regard fit de lord Nelvil son ami, avant même qu’une impression plus vive le subjuguât. […] Pendant la maladie de sa fille, il n’est aucun genre de services que sa tendresse inquiète n’ait voulu lui prodiguer ; il semblait qu’elle eût besoin de contempler sans cesse les objets qui lui restaient encore pour retrouver la force de vivre, et cependant un jour on est venu lui ôter son fils ; l’enfant, pendant deux fois vingt-quatre heures, a refusé de prendre aucune nourriture. […] Les scènes cruelles qui ont déshonoré la révolution française, n’étant que de la tyrannie sous des formes populaires, n’ont pu, ce me semble, faire aucun tort au culte de la liberté.

1530. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Il semblait en sortir, et, à l’entendre parler de « monsieur Bossuet », de « monsieur Fénelon » 18, on se serait cru devant un disciple immédiat de ces grands hommes. […] La nouvelle école s’y complaît et semble à plaisir rétrécir le champ de défense de l’apologétique. […] Si Dieu lui donne encore dix ans de vie, ce qui malheureusement semble douteux, nous pourrons l’opposer à ce que la science critique de l’Allemagne a de plus colossal. […] Il me semble même parfois que tout ce que je n’ai pas appris de lui, je ne l’ai jamais bien su. […] Un résultat qui me semble maintenant acquis avec certitude, c’est que je ne reviendrai plus à l’orthodoxie en continuant à suivre la ligne que j’ai suivie, je veux dire l’examen rationnel et critique. jusqu’ici, j’espérais qu’après avoir parcouru le cercle du doute, je reviendrais au point de départ ; j’ai totalement perdu cette espérance ; le retour au catholicisme ne me semble plus possible que par un recul, en rompant net la ligne où je me suis engagé, en stigmatisant ma raison, en la déclarant une fois pour toutes nulle et sans valeur, en la condamnant au silence respectueux.

1531. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVII, l’Orestie. — les Euménides. »

Ici c’est l’homme auquel il s’adresse que ce chant d’exécration semble devoir consumer. […] Au premier aspect, la scène semble étrange : on verrait presque une parodie dans cet intermède judiciaire joué par des dieux. […] Pallas présidant le premier procès, Apollon plaidant la première cause leur semblaient aussi vénérables que Déméter traçant le premier sillon ou que Prométhee allumant le premier foyer. […] En même temps, il semble qu’on voie une beauté sévère s’étendre sur leurs figures ennoblies. […] Agamemnon sacrifie sa fille, Clytemnestre venge Iphigénie en égorgeant son époux, Oreste venge son père en tuant sa mère. — L’affreuse ornière semble sans issue ; comment sortir de cette damnation ?

1532. (1913) La Fontaine « I. sa vie. »

L’abbé d’Olivet semble ignorer ce que nous savons d’ailleurs, c’est que ce collège de Château-Thierry, quoique collège d’une petite ville, était très bon, était célèbre dans son temps. […] Il n’y a pas — je ne veux pas dire de phobie, il faut éviter le néologisme — il n’y a pas d’horreur — et cela suffit bien, n’est-ce pas   plus grande que celle de La Fontaine pour ses anciens professeurs, ou pour les professeurs en général, car il se garde très bien de faire de la littérature personnelle à cet endroit ; mais enfin il marque, pour la gent pédante, des sentiments qui semblent bien indiquer des souvenirs qui ne sont pas très gais. […] La Fontaine, comme tout poète, est le plus contradictoire des hommes, et, à d’autres moments, il semble bien qu’il ait regretté le temps du mariage : Le nœud d’hymen veut être respecté, Veut de la foi, veut de l’honnêteté. […] Il y a été poussé, du reste, ce me semble, par son père et par sa femme. […] Quant à moi, il me semble bien, au fond, que La Fontaine a été tout au moins prié d’accompagner son oncle, lequel était exilé.

1533. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Il semble bien que sa famille fût dans les derniers temps devenue plèbe par un certain abaissement de la dignité domestique. […] Il semble que les éléments organiques qui soutiennent l’unité, la solidité de la personnalité aient fléchi. […] Il semblait reprocher les marques d’affection qu’on ne lui donnait pas. […] Mais la mémoire intellectuelle semble bien leur faire défaut. […] Il semblait que l’univers se donnât tout entier à lire et à sonder dans les réactions capricieuses d’une sensibilité individuelle.

1534. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

Sur les bords de l’Isère, apercevant les ruines du château Bayard : « Ici naquit Pierre Du Terrail, cet homme si simple, dit Beyle, qui, comme le marquis de Posa de Schiller, semble appartenir par l’élévation et la sérénité de l’âme à un siècle plus avancé que celui où il vécut. » Mais pourquoi, à la page suivante, en visitant le château de Tencin, Beyle, venant à nommer le cardinal Dubois, tente-t-il en deux mots une réhabilitation qui crie : « La France l’admirerait, dit-il de ce cardinal, s’il fût né grand seigneur ?  […] Je ne veux faire la cour à personne, mais moins encore au peuple qu’au ministre. » Beyle est donc très frappé de cette disposition à faire son chemin, qui lui semble désormais l’unique passion sèche de la jeunesse instruite et pauvre, passion qui domine et détourne à son profit les entraînements mêmes de l’âge : il la personnifie avec assez de vérité au début dans Julien. […] Une de ses grandes théories, et d’après laquelle il a écrit ensuite ses romans, c’est qu’en France l’amour est à peu près inconnu ; l’amour digne de ce nom, comme il l’entend, l’amour-passion et maladie, qui, de sa nature, est quelque chose de tout à fait à part, comme l’est la cristallisation dans le règne minéral (la comparaison est de lui) : mais quand je vois ce que devient sous la plume de Beyle et dans ses récits cet amour-passion chez les êtres qu’il semble nous proposer pour exemple, chez Fabrice quand il est atteint finalement, chez l’abbesse de Castro, chez la princesse Campobasso, chez Mina de Wangel (autre nouvelle de lui), j’en reviens à aimer et à honorer l’amour à la française, mélange d’attrait physique sans doute, mais aussi de goût et d’inclination morale, de galanterie délicate, d’estime, d’enthousiasme, de raison même et d’esprit, un amour où il reste un peu de sens commun, où la société n’est pas oubliée entièrement, où le devoir n’est pas sacrifié à l’aveugle et ignoré. […] Quand on a lu cela, on revient tout naturellement, ce me semble, en fait de compositions romanesques, au genre français, ou du moins à un genre qui soit large et plein dans sa veine ; on demande une part de raison, d’émotion saine, et une simplicité véritable telle que l’offrent l’histoire des Fiancés de Manzoni, tout bon roman de Walter Scott, ou une adorable et vraiment simple nouvelle de Xavier de Maistre.

1535. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le marquis de la Fare, ou un paresseux. » pp. 389-408

Tandis que celui-ci, gai, riant, plein de verve et sous ses airs d’Anacréon, semble avoir rempli sa destinée naturelle, La Fare fait plutôt l’effet d’avoir manqué la sienne ; on voit dans son exemple de riches facultés qui se perdent, et des talents distingués qui s’altèrent et s’abîment faute d’emploi ; on est involontairement attristé. […] Était-ce parce que La Fare semblait contrecarrer le ministre en s’attachant à la marquise de Rochefort72, dont Louvois était également amoureux ? […] Il établit bien d’abord qu’il n’aspire point à améliorer la condition de l’homme ou la morale de la vie ; il estime que chacun a en soi, c’est-à-dire dans son tempérament, les principes du bien et du mal qu’il fait, et que les conseils de la philosophie servent de peu : « Celui-là seul est capable d’en profiter, dit-il, dont les dispositions se trouvent heureusement conformes à ces préceptes ; et l’homme qui a des dispositions contraires agit contre la raison avec plus de plaisir que l’autre n’en a de lui obéir. » Ce qu’il veut faire, c’est donc de présenter un tableau de la vie telle qu’elle est, telle qu’il l’a vue et observée : « Tous les livres ne sont que trop pleins d’idées ; il est question de présenter des objets réels, où chacun puisse se reconnaître et reconnaître les autres. » Les premiers chapitres des Mémoires de La Fare, et qui semblent ne s’y rattacher qu’à peine, tant il prend les choses de loin et dans leurs principes, sont toute sa philosophie et sa théorie physique et morale. […] Pour moi, je l’avoue, ces beaux raisonnements et pronostics de décadence, même en partie justifiés depuis, me touchent peu ; il me semble qu’il y avait quelque chose qui eût mieux valu : supporter quelques refus de plus de la part de Louvois, tenir bon sous les armes et sous le drapeau, et rester en mesure pour être de ceux qui honoreront la France dans ses mauvais jours avec Boufflers, ou qui la sauveront avec Villars.

1536. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « De la poésie de la nature. De la poésie du foyer et de la famille » pp. 121-138

Voilà, somme toute, un homme distingué, mais un poète assez mal préparé, ce semble, pour chanter les beautés de la vie retirée et champêtre, et pour en goûter toutes les douceurs. […] » Il me semble qu’on ne peut demander à la critique d’une époque rien de plus net et de plus formel que ces jugements : elle ne saurait aller plus loin sans faire elle-même office et acte de poésie. […] William Cowper est loin d’être parfait sans doute, et il a, lui aussi, ses excès, ses défauts ; il a ses parties pénibles et austères à côté de ses peintures les plus neuves et les plus riantes ; il semble déchiffrer parfois, en contemplant la nature, ce que d’autres après lui y liront avec plus d’ampleur et de facilité : mais ce qu’il possède incontestablement, sans parler de son style réel et hardi dans sa simplicité, c’est le fond même de la poésie qui lui est propre ; il en occupe toutes les sources pures émanées d’Éden, et il pratique tous les sentiers qui peuvent y ramener. […] Les saints n’offrent pas de prières si ferventes, qu’il ne les égale par une dévotion pareille ; c’est la consécration de son cœur, de son âme, de son temps ; chaque pensée qui s’écarte lui semble un crime.

1537. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

Il avait dit ailleurs, en parlant de l’action dans les fables du poète, de cette action qui semble si éparse et qui se rattache toute à une idée, à un but : « Poésie et système sont des mots qui semblent s’exclure, et qui ont le même sens. » — Oui assurément, si l’on entend par système un tout vivant, animé, coloré ; oui, si ce mot de système a le même sens que cosmos et que monde ; mais chez nous (et cela tient peut-être à notre peu de goût pour la chose), le mot de système se prend dans une acception moins entière et moins belle ; il implique la dissection, l’abstraction. […] Rien n’est laid comme les cailloux crayeux qu’on tire d’une carrière ; ces déterrés semblent froids et humides dans leur linceul blanchâtre ; ils ne sont point habitués au soleil ; ils font contraste avec le reste. […] J’ai deux vallées sous les yeux, qui semblent deux petites bandes de terre perdues dans un entonnoir bleu.

1538. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — III — Toujours Vauvenargues et Mirabeau — De l’ambition. — De la rigidité » pp. 38-55

Il tient surtout dans sa lettre (car nous en sommes toujours à cette même lettre décisive, où il se découvre) à bien montrer à Mirabeau qu’on peut désirer de sortir d’une condition médiocre et d’arriver à une grande situation, par de grands motifs et sans du tout abjurer la hauteur des sentiments : Il y a des hommes, je le sais, qui ne souhaitent les grandeurs que pour vivre et pour vieillir dans le luxe et dans le désordre, pour avoir trente couverts, des valets, des équipages, ou pour jouer gros jeu, pour s’élever au-dessus du mérite et affliger la vertu, et qui n’arrivent à ce point que par mille indignités, faute de vues et de talents : mais, de souhaiter, malgré soi, un peu de domination parce qu’on se sent né pour elle ; de vouloir plier les esprits et les cœurs à son génie ; d’aspirer aux honneurs pour répandre le bien, pour s’attacher le mérite, le talent, les vertus, pour se les approprier, pour remplir toutes ses vues, pour charmer son inquiétude, pour détourner son esprit du sentiment de nos maux, enfin, pour exercer son génie et son talent dans toutes ces choses ; il me semble qu’à cela il peut y avoir quelque grandeur. […] Mirabeau, d’un ton pressé et saccadé, répond des choses qui nous semblent assez sensées sur bien des points ; — sur Versailles : « Vous rougiriez, si vous connaissiez Versailles, du portrait que vous en faites ; tout ce qui est obligé d’y rester en pleure… Quelle idée d’aller chercher le séjour du vice et de la dégradation totale de tous sentiments, pour y paraître vertueux avec plus d’éclat !  […] Mirabeau craint que Vauvenargues ne combatte en son frère la force et la fermeté ; Vauvenargues s’attache à distinguer ces qualités de la sécheresse et de la rudesse, de la roideur de l’esprit : Il me semble que la dureté et la sévérité ne sauraient convenir aux hommes, en quelque état qu’ils se trouvent. […] Il me semble qu’en rapprochant tout ce qu’on trouve de passages religieux dans ses écrits, de pour et de contre, on n’arrivera qu’à composer une velléité, une inquiétude chrétienne (elle a dû exister à certains moments), non une crise proprement dite, « Ce ne sont que des accidents de foi, m’écrit M. 

1539. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance inédite de Mme du Deffand, précédée d’une notice, par M. le marquis de Sainte-Aulaire. » pp. 218-237

L’attitude de Mme de Choiseul était d’accord avec la vérité : elle resta bien sincèrement, bien tendrement éprise de l’homme dont elle était glorieuse, dont elle disait que ce n’était pas seulement le meilleur des hommes, que « c’était le plus grand que le siècle eût produit », et de qui elle écrivait un jour avec une ingénuité charmante : « Il me semble qu’il commence à n’être plus honteux de moi, et c’est déjà un grand point de ne plus blesser l’amour-propre des gens dont on veut être aimé. » Elle eut fort à s’applaudir de l’exil de Chanteloup et fut seule peut-être à en savourer pleinement les brillantes douceurs ; elle y voyait surtout le moyen de garder plus près d’elle l’objet de son culte, et, sinon de le reconquérir tout entier, du moins de le posséder, de le tenir sous sa main, de ne le plus perdre de vue un seul jour. […] J’entends d’ici la petite-fille qui dit : La grand-maman a raison, il semble qu’elle ait mon expérience ! […] je le suis de vous et de mon Horace… » Mais ces moments sont rares et passent vite ; ils font place à de longs intervalles de sécheresse et de stérilité : alors elle veut savoir ce qu’on pense d’elle au fond, si on l’aime vraiment, et de quelle manière : « Vous savez que vous m’aimez, dit-elle à Mme de Choiseul, mais vous ne le sentez pas. » Elle semble persuadée de cette terrible et cruelle maxime que j’ai vu professer à d’autres qu’elle, et dont le christianisme seul fournirait le correctif ou le remède, que « connaître à fond, et tel qu’il est, un être humain et l’aimer, c’est chose impossible ». […] Je suis bien éloignée de penser comme elle : il me semble que je ne suis mécontente d’aucune de mes connaissances, et je suis enchantée de mes amis. » Je finis sur ce mot affectueux, sorti d’une âme saine.

1540. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Le maréchal de Villars. »

Il me semble, à vous parler naturellement, qu’après les ordres réitérés de Sa Majesté, les plus fortes réflexions du général doivent être pour bien faire ses dispositions et profiter des moments. […] Le maréchal de Montesquiou, qui semblait avoir fait de cette opération sur Denain son affaire, insista pour continuer ; on arriva à l’Escaut à l’heure dite, et tandis que Montesquiou faisait construire en toute hâte des ponts, Villars diligenta l’armée et l’arrivée des troupes : les deux maréchaux passèrent ensemble l’Escaut. […] Toute part d’éloges accordée au mérite de M. de Montesquiou pour la spécialité de l’opération, il n’est que juste (ce que ne fait pas assez, ce me semble, le rédacteur des Mémoires militaires) de ne point effacer devant un trop jaloux collègue le vainqueur de Denain. […] Il semble que c’est à lui et pas à un autre que Montesquieu a pensé lorsqu’il a dit : « Quand on veut abaisser un général, on dit qu’il est heureux.

1541. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite et fin.) »

Ici le poète prend la parole et semble prier pour un moment le peintre de lui céder la place ; car, pour ces poètes déclassés, la critique est comme une lucarne qu’on leur ouvre, et il leur est difficile, quand la chose les intéresse un peu vivement, de ne pas passer la tête à la fenêtre pour dire : Me voici ! […] Quoiqu’il puisse sembler ne pas avoir de compositions dans le sens vulgaire du mot, comme, au point, de vue pittoresque, il arrange ses tableaux ! […] Il semble avoir pris partout pour devise ce mot de Jean et Jeannette ; « Le masque nous a rendus vrais. » Mais ce qu’il faut dire pour juger ce roman à son vrai point de vue, c’est que c’est le chef-d’œuvre de la littérature Louis XIII qui sort de terre, après plus de deux siècles, avec tout un vernis de nouveauté. […] Dans cette espèce d’Élysée bizarre et bachique qu’on se figure aisément pour ces libres et un peu folâtres esprits d’avant Louis XIV, il me semble d’ici les voir, à cette heure de réveil, à cette nouvelle d’un regain si inattendu : l’Ombre du joyeux Saint-Amant a tressailli ; le poète Théophile se tient pour consolé et vengé dorénavant de ses disgrâces ; Scarron a bondi d’aise sur son escabeau, et Cyrano enfin, retroussant sa moustache, passe et repasse en idée, plus fier que jamais, sur ce Pont-Neuf populeux où une double haie de bourgeois et de marauds ébahis l’admire.

1542. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

Pour peu qu’on cherche ou qu’on interroge, on trouve une comédie d’Imbert, une autre du marquis de Bièvre, toutes deux restées, comme on dit, au répertoire ; le Mari à bonnes fortunes n’est pas oublié ; quantité surtout de jolis vaudevilles, hier encore en vogue, viennent se présenter à l’esprit : le Réveil du lion, la Deuxième année, un Mari qui se dérange… Mais, à prendre le sujet dans sa largeur et sa simplicité, à se figurer Lovelace, don Juan ou le comte Almaviva mariés, il me semble que deux idées s’offrent d’abord : la première, si l’on veut, et la plus naturelle, c’est celle du fat et du libertin puni. […] Cependant, et si entière qu’ait pu sembler d’abord la métamorphose, le vieil homme commence à remuer en lui : franchement, il ne peut enterrer sa vie à Dusseldorf, il veut revenir en France, à Paris, y passer l’hiver, et il se fait arranger un hôtel dans le faubourg Saint-Honoré. […] Si je provoque le scandale, je hais le mensonge ; jamais, pour triompher d’une résistance, je n’ai eu recours à la comédie de l’amitié ; jamais je n’ai prodigué les feintes promesses ni les faux serments d’une éternelle flamme ; jamais je n’ai séduit, jamais je n’ai trompé… » Morale facile, morale commode, mais qui va devenir rare encore en ce siècle, s’il continue dans la voie où il est depuis quelque temps engagé, — et où il semble faire des progrès chaque jour, celle du faux-semblant convenu et de l’hypocrisie utile. […] C’est une de ces scènes chères à ceux qui s’intitulaient les enfants du siècle, c’est leur idéal d’orgie, une de ces bacchanales éclatantes et sacrées que Pompéa vient d’évoquer devant Herman, et elle n’a plus ensuite qu’à vouloir, ce semble, pour triompher de lui.

1543. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

Cervantes, tout philosophe qu’il nous semble, est un Espagnol de sa date et de pure race ; il n’y a pas en lui ombre d’incrédulité. […] A un certain endroit de son Don Quichotte que nous avons relevé en passant, il semblait dire : « Je raille ici les mauvais romans de chevalerie, mais attendez, patience ! […] seigneur Cervantes, que Votre Seigneurie se règle sur le boire, sans oublier le manger, et elle se guérira sans autre remède. » — « Oui, répondis-je, on m’a déjà dit cela bien des fois ; mais je ne puis renoncer à boire quand l’envie m’en prend, et il me semble que je ne sois né pour faire autre chose de ma vie. […] Quoi de plus naturel, en effet, et de plus indiqué, ce semble, que de rapprocher ce succès de Don Quichotte en Espagne ou en France du grand succès qu’avait eu le Cid, d’opposer l’un à l’autre, de mettre en contraste les points de vue, de voir dans l’une de ces créations une contre-partie de la création rivale, une revanche ?

1544. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

À le décrire et à le dépeindre comme il fait, il semble nager en plein lac et voguer comme un cygne dans son élément. […] Dans ses descriptions ou analyses pittoresques, son style serré, pressé, procédant par séries, par rangées et enfilades, à coups denses et répétés, par phrases et comme par hachures courtes, aiguës, qui récidivent, a fait dire à un critique de l’ancienne école qu’il lui semblait entendre la grêle rude et drue tombant et sautant sur les toits : Tam multa in tectis crepitans salit horrida grando. […] Ne faut-il voir d’abord dans Pope « qu’un nabot, haut de quatre pieds, tortu, bossu, maigre, valétudinaire, et qui, arrivé à l’âge mûr, ne semble plus capable de vivre ?  […] Nous le fîmes, et c’est ce qui donna matière aux maximes publiées ensuite dans nos mélanges ; celles de la fin d’un des volumes sont de moi, celles de l’autre volume sont du docteur Swift. » Ce sont là des passe-temps ingénieux, des jeux de gens d’esprit et de gens de lettres ; on est loin de Shakespeare sans doute et même de Milton ; mais je ne vois rien en tout cela qui prête si fort au ridicule, et dans une Histoire de la littérature, la partie littéraire proprement dite, même en ce qu’elle offre d’un peu calculé et d’artificiel, a droit, ce semble, de trouver place et grâce.

1545. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

On pouvait croire que tout était dit sur Mme Roland : toutes les opinions s’étaient produites, et toutes les révélations semblaient faites à son sujet. […] Les doux et sensibles montagnards comme Esquiros semblaient, par un mouvement de sympathie meilleure, accepter et amnistier Mme Roland. […] Mais, apparemment, il avait semblé aux éditeurs plus sûr et de meilleur goût de supprimer cette partie de l’invocation. L’idée de Dieu était fort à la baisse en l’an iii ; il semblait que Robespierre l’eût compromise en la proclamant.

1546. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Exploration du Sahara. Les Touareg du Nord, par M. Henri Duveyrier. »

Henri Duveyrier semble avoir reçu de la nature ce don, ce besoin impérieux qu’une éducation spéciale a perfectionné. […] La nature semble avoir voulu dérober de tout temps l’intérieur même de ce continent torride aux recherches et aux atteintes des Européens et des hommes du Nord, en séparant la côte nord et la lisière cultivable qui borde la Méditerranée des régions du centre par un vaste désert et une mer de sable, ce qu’on appelle le Sahara. […] Les habitants, au nombre de sept mille environ, sans compter la population flottante, sont de race berbère, c’est-à-dire autochtone, et non arabe ; ils sont ainsi parents des Touareg, mais civilisés, assis et d’humeur citadine, tandis que les autres sont restés obstinément nomades : « Comme les nomades Touâreg, les Ghadamésiens sont souvent sur les routes pour leurs affaires ; mais rencontre-t-on une ville, ces derniers saisissent, en vrais citadins, l’occasion qui leur est offerte d’aller chercher un abri sous un toit protecteur, tandis que les Touâreg semblent tenir à honneur de ne jamais accepter l’hospitalité dans l’enceinte d’une ville, dans l’intérieur d’une maison. […] Les Touareg sont grands, maigres, secs, nerveux ; leurs muscles semblent des ressorts d’acier : « Un des caractères physiques auxquels un Targui peut se reconnaître entre mille est l’attitude de sa démarche grave, lente, saccadée, à grandes enjambées, la tête haute, attitude qui rappelle un peu celle de l’autruche ou du chameau en marche, mais qui est due principalement au port habituel de la lance. » Ils sont pauvres.

1547. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre (suite et fin) »

Et en dehors de ce corps d’élite, il y avait peu de régiments d’infanterie dont on pût dire du bien. » Dans une lettre particulière au roi, le maréchal ne dissimulait rien de cette mauvaise conduite des troupes : la perte matérielle n’était pas grande, elle était même moindre peut-être, à ce combat de Dettingen, que celle de l’ennemi ; mais c’était le rendre aux troupes le courage et de ranimer la confiance du soldat qui semblait le plus difficile. […] Il me semble qu’il faut en conclure que le maréchal a des lettres des ministres qui lui disaient de ramener son armée, ou qu’il en a de son frère autorisé par les ministres. […] Je sais qu’on m’a mené vite à Paris ; mais, Dieu merci, je n’ai eu qu’un effort dans le col, lequel a dégénéré en rhumatisme, dont je me sens encore un peu, mais qui ne m’empêche de rien, et mon sang est resté tout entier dans mes veines, sans qu’il en soit sorti plus d’une goutte, occasionnée par une coupure que je me suis faite au petit doigt, en soupant, dimanche dernier, au grand couvert. » Je ne sais si c’est la Correspondance de Napoléon dont je suis plein, qui me gâte et me rend plus difficile, mais il me semble qu’il est impossible d’écrire une phrase telle que celle qu’on vient de lire, à la Louis XV, et de partir vaillamment en guerre le lendemain pour être un héros. […] On peut maintenant se faire une idée complète, ce me semble, du maréchal de Noailles, et donner la véritable définition de ce personnage multiple qui appartient à deux régimes et à deux siècles : un courtisan du temps de Louis XIV, tournant avec les années au citoyen.

1548. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, par M. A. Chéruel »

Chéruel semble admettre qu’en plusieurs circonstances Saint-Simon, pour mieux arranger le tableau, a sciemment altéré la vérité, — par exemple, dans le récit qu’il a fait de certaine scène célèbre au Parlement, dans laquelle il a joué un rôle : on lui oppose des récits contradictoires de témoins oculaires ou des procès-verbaux d’une teneur différente. […] Il semble considérer Saint-Simon à la Cour comme un observateur « dont l’horizon est borné », qui s’attache aux détails et ne voit au-delà qu’avec confusion ; qui fait preuve, en résumé, « d’attention curieuse, de finesse, de sagacité, de pénétration profonde », mais toujours « dans le cercle borné et restreint qu’il s’est tracé » ; — notez que ce cercle est tout simplement la nature humaine ; — et lorsqu’il a bien pris contre lui toutes ses précautions et ses conclusions, qu’il l’a montré sans étendue, sans élévation d’esprit, sans sûreté jusque dans sa profondeur et sa sagacité, qu’il l’a convaincu d’être (comme tout homme, hélas ! […] Chéruel ne me semble pas assez reconnaître cette utilité pittoresque et morale de Saint-Simon. — Il croit avoir prouvé, par deux billets qu’il produit, que Saint-Simon en a imposé dans ses Mémoires sur le caractère de ses relations avec le duc de Noailles pendant la durée de leur brouille sous la Régence. […] Fénelon a tracé du duc de Bourgogne un portrait à la La Bruyère (Mélanthe), mais qui pouvait sembler une sorte de type arrangé : Saint-Simon est si puissant de flamme qu’il communique à ce portrait une réalité qu’il n’avait pas auparavant.

1549. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « THÉOPHILE GAUTIER (Les Grotesques.) » pp. 119-143

Il serait temps, ce nous semble, que de ces trois personnes, l’imprimeur, l’éditeur ou l’auteur, l’une au moins daignât relire avec quelque soin avant de livrer un volume au public. […] Gautier a cité des stances de lui fort jolies, bien qu’il nous semble les surfaire un peu. […] Or, Théophile, poëte, s’en est trop passé, et il a, dans mainte rencontre, excédé avec énormité la mesure, soit que, s’adressant au duc de Luynes qu’il avait jusqu’alors négligé de célébrer, il s’écrie, comme pour réparer le temps perdu : Ceux que le Ciel d’un juste choix Fait entrer dans l’âme des rois, Ils ne sont plus ce que nous sommes, Et semblent tenir un milieu Entre la qualité de Dieu Et la condition des hommes. […] Sans prétendre nier en rien les rapports du physique avec le moral, il me semble que c’est ici abuser même de la physiologie ; la pensée de l’homme a coutume de siéger plus haut que dans l’abdomen, et Gall, non moins qu’Homère, la fait asseoir vers le milieu du front, au-dessus des sourcils, comme sur un trône.

1550. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVe entretien. Littérature grecque. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère » pp. 31-64

Il semble qu’Homère, le plus merveilleux des hommes, fût prédestiné à ne pas connaître son père, comme si la Providence avait voulu jeter un mystère sur sa naissance afin d’accroître le prestige autour de son berceau. […] La nature, cruelle et consolatrice, semblait avoir voulu le recueillir tout entier dans ces spectacles intérieurs, en jetant ce voile sur sa vue. […] Il lui apprend le patriotisme par le récit des exploits de ses héros, qui quittent leur royaume paternel, qui s’arrachent des bras de leurs mères et de leurs épouses pour aller sacrifier leur sang dans des expéditions nationales, comme la guerre de Troie, pour illustrer leur commune patrie ; il lui apprend les calamités de ces guerres dans les assauts et les incendies de Troie ; il lui apprend l’amitié dans Achille et Patrocle, la sagesse dans Mentor, la fidélité conjugale dans Andromaque ; la piété pour la vieillesse dans le vieux Priam, à qui Achille rend en pleurant le corps de son fils Hector ; l’horreur pour l’outrage des morts dans ce cadavre d’Hector traîné sept fois autour des murs de sa patrie ; la piété dans Astyanax, son fils, emmené en esclavage dans le sein de sa mère par les Grecs ; la vengeance des dieux dans la mort précoce d’Achille ; les suites de l’infidélité dans Hélène ; le mépris pour la trahison du foyer domestique dans Ménélas ; la sainteté des lois, l’utilité des métiers, l’invention et la beauté des arts ; partout, enfin, l’interprétation des images de la nature, contenant toutes un sens moral, révélé dans chacun de ses phénomènes sur la terre, sur la mer, dans le ciel ; sorte d’alphabet entre Dieu et l’homme, si complet, et si bien épelé dans les vers d’Homère, que le monde moral, le monde matériel, réfléchis l’un dans l’autre comme le firmament dans l’eau, semblent n’être plus qu’une seule pensée et ne parler qu’une seule et même langue à l’intelligence de l’aveugle divin ! Et cette langue encore cadencée par un tel rythme de la mesure est pleine d’une telle musique des mots que chaque pensée semble entrer dans l’âme par l’oreille, non seulement comme une intelligence, mais aussi comme une volupté !

1551. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Le jour où tout semblait fini par l’acquittement d’Esterhazy, Zola fut celui dont la vaillance inattendue effare la marche brutale et tranquille des puissances. […] Tu t’occupes de l’affaire Dreyfus ; aussitôt l’affaire Dreyfus devient « un drame géant » qui te « semble mis en scène par quelque dramaturge sublime, désireux d’en faire un chef-d’œuvre incomparable ». […] Avant que d’écrire ou d’agir, le classique apprend à penser, et geste ou parole lui semblent beaux qui expriment directement et clairement le pouvoir absolu de la raison. […] Il est très exigeant pour l’extérieur, qui seul lui importe et, si l’agitation romantique et le tremblement énorme du panache le font sourire, la raison classique lui semble manquer un peu de relief.

1552. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le Livre des rois, par le poète persan Firdousi, publié et traduit par M. Jules Mohl. (3 vol. in-folio.) » pp. 332-350

Cela n’empêche pas qu’il ne nous semble fort singulier qu’on soit si célèbre quelque part et si inconnu chez nous, et nous serions tenté de dire à ce génie étranger, comme les Parisiens du temps de Montesquieu disaient à Usbek et à Rica dans les Lettres persanes : « Ah ! […] Mais le monde alors était rempli de guerres, et le temps semblait peu favorable aux récompenses. […] En voyant se succéder tant de dynasties et tant de siècles qui, de loin, semblent ramassés en un jour, le poète a conçu le sentiment profond de l’instabilité des choses humaines, de la fuite de la vie et des années brillantes, du néant de tout, excepté d’une bonne renommée ; car il croit à la poésie et à la gloire. […] En entendant ces paroles qui semblent sortir d’une âme amie, le cœur de Sohrab s’élance, il a un pressentiment soudain ; il demande ingénument au guerrier s’il n’est pas celui qu’il cherche, s’il n’est pas l’illustre Roustem.

1553. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres de la marquise Du Deffand. » pp. 412-431

Il semblait désespérer d’elle dès le premier jour. […] Nature ardente sous ses airs de sécheresse, elle voulait repousser ce mortel ennui à tout prix ; il semblait qu’elle portât en elle je ne sais quel instinct qui cherchait vainement son objet. […] J’engage les curieux à relire le passage qui commence par ces mots : « Dites-moi pourquoi, détestant la vie, je redoute la mort… » et qui finit par ces mots : « J’avoue qu’un rêve vaudrait mieux. » Un critique anglais, au moment où les Lettres parurent à Londres, remarquait avec justesse que Mme Du Deffand semble avoir combiné dans la trempe de son esprit quelque chose des qualités des deux nations, le tour d’agrément et la légèreté de l’une avec la hardiesse et le jugement vigoureux de l’autre. […] N’oublions pas non plus que Mme Du Deffand était de Bourgogne ; elle semble tenir de cette verve du terroir, qui inspira tant de piquants Noëls aux Piron et aux La Monnoye.

1554. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Florian ressuscita, au Théâtre italien, le genre des arlequinades, qui semblait passé de mode ; mais son Arlequin ne ressembla point aux autres. […] Même à Trianon, on trouvait que c’était là beaucoup trop de bergerie : « Quand je lis Numa, disait la reine Marie-Antoinette à M. de Besenval, il me semble que je mange de la soupe au lait. » M. de Thiard disait : « J’aime beaucoup les bergeries de M. de Florian, mais j’y voudrais un loup. » Mettant en épigramme le mot de M. de Thiard, le poète Le Brun disait : À l’auteur d’une fade et ennuyeuse Pastorale. […] Le Précis historique sur les Maures, qui est en tête de Gonzalve de Cordoue, semble indiquer que, s’il avait pu s’affranchir d’un genre faux, il serait devenu capable d’études sérieuses. […] La Fontaine, chez nous, l’a tellement élevée, diversifiée et agrandie, qu’il semblait devoir décourager tous ceux qui seraient tentés d’être ses successeurs.

1555. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame Sophie Gay. » pp. 64-83

Bref, le mariage est fixé à l’hiver prochain ; Alfred, qui a été blessé à l’armée, a lui-même besoin d’un délai, bien que ce terme de huit mois lui semble bien long. […] Léonie le sentait aussi et en souffrait à sa manière, mais plus profondément : « On est si humilié, remarque-t-elle, de découvrir une preuve de médiocrité dans l’objet qu’on aime, qu’il y a plus de honte que de regret dans le chagrin qu’on en éprouve. » Un certain Edmond de Clarencey, voisin de campagne, se trouve là d’abord comme par un simple effet du voisinage ; il cause peu avec Léonie et semble ne lui accorder qu’une médiocre attention ; il accompagne Alfred dans ses courses et lui tient tête en bon camarade. […] Quand elle le sait, il est trop tard, elle l’aime ; mais, comme bien peu de personnes ont le secret de cet amour, on la croit près d’épouser un chevalier d’Émerange, fat spirituel, qui jusqu’alors semblait enchaîné par Mme de Nangis, belle-sœur de Valentine, et qui lui est devenu infidèle. […] Elle y peint avec assez de naïveté et avec beaucoup d’entrain les mœurs de la société dans sa jeunesse, ce pêle-mêle de grandes dames déchues, de veuves d’émigrés vivants, de fournisseurs enrichis, de jacobins à demi convertis, dont quelques-uns avaient du bon, et à qui l’on se voyait obligé d’avoir de la reconnaissance : En vérité, il y a de quoi dégoûter d’une vertu qui peut se trouver au milieu de tant de vices, et il me semble qu’on ne lui doit pas plus de respect qu’à une honnête femme qu’on rencontrerait dans un mauvais lieu. — Soit ; mais c’est encore une bonne fortune assez rare pour qu’on en profile sans ingratitude.

1556. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Nous n’essayerons pas de répondre ni de rechercher ce qu’il aurait pu être : il nous a semblé pourtant qu’il n’était pas inopportun de rappeler ce qu’il a été. […] Ce volume d’histoire pouvait sembler, à cette date, un pamphlet d’allusion et de circonstance. […] Il semble, durant tout ce livre, n’avoir voulu faire qu’une marche couverte. […] Il semblait admis alors dans les bureaux du National que Carrel était très bon pour faire un article à loisir, à tête reposée ; mais, dès qu’il fallait payer de sa plume, c’était M. 

1557. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — I. » pp. 322-340

Il semble ici ne risquer sa sensibilité qu’à la faveur d’un ancien. […] Par un jugement aussi absolu, Courier fait tort, ce me semble, à son esprit, je ne dirai pas militaire, mais historique, et il montre qu’il n’a pas embrassé un ensemble. […] Quand on a fait la part du rhéteur et du prêtre d’Apollon en lui, il reste une bien plus large part encore, ce me semble, au collecteur attentif et consciencieux des moindres traditions sur les grands hommes, au peintre abondant et curieux de la nature humaine. […] Vers la fin de l’Empire, il me semble voir en Courier un misanthrope studieux et délicat, un mécontent plein de grâce et parfois de bonne humeur, une espèce de Gray plus robuste et plus hardi, mais également distingué, fin et difficile43.

1558. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Boileau. » pp. 494-513

en considérant cette lignée de frères ressemblants et inégaux, il me semble que la nature, cette grande génératrice des talents, essayait déjà un premier crayon de Nicolas quand elle créa Gilles ; elle resta en deçà et se repentit ; elle reprit le crayon, et elle appuya quand elle fit Jacques ; mais cette fois elle avait trop marqué. […] — Et dans ces noms qui suivent, et qui ne semblent d’abord qu’une simple énumération, quel choix, quelle gradation sentie, quelle plénitude poétique ! […] Voici l’une de ces anecdotes qui est toute neuve ; je la tire d’une lettre du père Quesnel à Arnauld ; les deux poètes ne sont point à l’armée cette fois, mais, simplement à Versailles, et il leur arrive néanmoins mésaventure : Mme de Montespan, écrit le père Quesnel (vers 1680), a deux ours qui vont et viennent comme bon leur semble. […] Il m’a toujours semblé que ceux alors qui étaient les plus ardents à invoquer l’autorité de Boileau, n’étaient pas ceux qu’il aurait le plus sûrement reconnus pour siens.

1559. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le président de Brosses. Sa vie, par M. Th. Foisset, 1842 ; ses Lettres sur l’Italie, publiées par M. Colomb, 1836. » pp. 85-104

De Brosses le sentait bien, et, dans son voyage d’Italie, voyant à quels détails sa recherche le conduisait, il se disait qu’il tournait le dos au goût du siècle, et peut-être à celui de l’avenir : Tout ce qui est du ressort de la littérature, disait-il (prenant ici la littérature comme on l’entendait du temps de Casaubon), n’est plus guère du goût de notre siècle, où l’on semble vouloir mettre à la mode les seules sciences philosophiques, de sorte que l’on a quasi besoin d’excuses quand on s’avise de faire quelque chose dans un genre qui était si fort en vogue il y a deux cents ans. […] Il allait un peu loin, ce me semble, dans ce dernier pronostic, qui n’est vrai que dans un sens. […] Loppin, « ami intime des lignes droites », et personnage, ce semble, un peu roide. […] Par exemple, quand il passe en Dauphiné, il dira de l’Isère : « Nous passâmes ensuite à l’embouchure de l’Isère, rivière infâme s’il en fut jamais : c’est une décoction d’ardoise. » Et à Marseille : « On trouve en cette province, à chaque pas, l’agréable et jamais le nécessaire ; aussi, à vous parler net, la Provence n’est qu’une gueuse parfumée . » À propos d’une danseuse qu’il voit à Vérone, et qui surpasse tous les maîtres en entrechats : « De sorte, ajoute-t-il, qu’à l’égard de la légèreté, la Camargo est auprès d’elle une danseuse de pierre de taille. » Parlant du Giorgione à Venise, et le comparant, pour le coloris, à ce qu’est Michel-Ange pour le dessin, il dira : « Ces deux maîtres sont les czars Pierre de la Peinture, qui en ont banni la barbarie ; mais ce n’a pas été sans férocité. » Et en débarquant à Livourne : « Figurez-vous une petite ville de poche, toute neuve, jolie à mettre dans une tabatière, voilà Livourne. » Je cite ces mots au hasard, non comme des mots (car quelques-uns pourraient sembler maniérés, s’ils étaient faits pour être détachés et mis en relief), mais comme faisant partie du mouvement et du pétillement d’esprit ordinaire au président de Brosses.

1560. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre deuxième. Rapports du plaisir et de la douleur à la représentation et à l’appétition »

II Selon les partisans de Schopenhauer, notamment de Hartmann, le plaisir et la douleur empruntent à l’intelligence les qualités qu’ils semblent avoir, mais, en eux-mêmes, ils ne sont que des degrés divers d’intensité dans la volonté inconsciente et n’ont aucune qualité propre. […] Chez les enfants et les sauvages, les sons et les couleurs ont un caractère d’émotion beaucoup plus tranché que chez l’homme adulte et civilisé : les sauvages sont irrités, comme les animaux, par la vue d’un rouge éclatant ; le son énergique d’un instrument comme la trompette les excite à un haut degré ; d’autres sensations visuelles ou auditives produisent un effet déprimant ; toutes semblent provoquer des sentiments de plaisir ou de déplaisir, par rapport auxquels nous, au contraire, nous sommes « blasés ». […] Chez le végétal, il semble que les impulsions ou tendances organiques existent sans l’accompagnement de la sensibilité, ce qui prouverait ipso facto que les tendances, au moins végétatives, précèdent les sentiments ; mais on peut toujours se demander si un rudiment de sensibilité confuse n’accompagne pas, jusque chez la plante, ou du moins dans ses cellules élémentaires, le cours facile ou difficile de la vie. […] Il semble donc probable que la résistance à l’énergie est la condition et le rudiment de la peine ; d’autre part, le déploiement d’énergie sans résistance est le rudiment du plaisir.

1561. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

Il me semble voir une maison dont le vestibule seul aurait été achevé. […] Encore aujourd’hui, il me semble voir flamber les périodes vengeresses dont le Torquemada de rhétorique avivait le feu sacré. […] Du reste, Henry Murger semble l’avoir compris ; car, avant la fin même du volume, il est rentré dans son monde d’artistes par une petite nouvelle de vingt pages intitulée Biographie d’un inconnu qui… Je l’appellerais volontiers un chef-d’œuvre, si les camaraderies et les complaisances intéressées n’eussent fait de ce mot une ridicule banalité. — Croyez-moi, quand on prononce de tels actes de contrition, on mérite l’absolution la plus entière, eût-on sur la conscience les deux cents volumes de péchés littéraires de M.  […] … Ce détail me paraît horriblement poétique… Il me semble que ce style est trop net, trop châtié… (Avec un soupir.

1562. (1892) L’anarchie littéraire pp. 5-32

Quoique cela semble incroyable aux reporters grossiers qui n’ont pas leur ténuité de sensation, ils affirment que la couleur des voyelles joue un rôle considérable dans la plupart des phénomènes psychiques. […] Néo-Décadents et Symbolistes Aujourd’hui que l’École décadente n’existe plus à Paris qu’à l’état de souvenir, elle semble trouver en province et à l’étranger des adeptes et des continuateurs qui sont comme un écho lointain du bruit qu’elle fit en 1886. […] Les Jeunes, en général, semblent au contraire viser la grande simplicité antique, celle de La Fontaine, de Racine et du « Faits divers » contemporain. […] De nombreux écrivains l’ont déjà compris et toute une légion de poètes latents est prête à affirmer avec eux l’existence de l’école socialiste. » Mais si le succès du socialisme semble assuré pour l’avenir, on ne peut pas dire que cela soit vrai pour l’heure présente.

1563. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Baudelaire  »

Charles Baudelaire 21 I S’il n’y avait que du talent dans Les Fleurs du mal 22 de Charles Baudelaire, il y en aurait certainement assez pour fixer l’attention de la Critique et captiver les connaisseurs ; mais dans ce livre difficile à caractériser tout d’abord, et sur lequel notre devoir est d’empêcher toute confusion et toute méprise, il y a bien autre chose que du talent pour remuer les esprits et les passionner… Charles Baudelaire, le traducteur des œuvres complètes d’Edgar Poe, qui a déjà fait connaître à la France le bizarre conteur, et qui va incessamment lui faire connaître le puissant poète dont le conteur était doublé ; Baudelaire, qui, de génie, semble le frère puîné de son cher Edgar Poe, avait déjà éparpillé, çà et là, quelques-unes de ses poésies. […] Il me semble bien que nous pouvons nous permettre, par-dessus le marché, les inductions du livre de Baudelaire à Baudelaire, sans lui manquer d’aucune espèce de sympathie et de respect. […] Jamais plan n’a été mieux caché, mais n’est plus transparent, ce me semble. […] Eh bien, par exception à son usage, il me semble que je vois ici un petit bout de rire silencieux !

1564. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Poésies complètes de Théodore de Banville » pp. 69-85

Les uns donnaient à l’âme humaine, à ses aspirations les plus hautes, à ses regrets, à ses vagues désirs, à ses tristesses et à ses ennuis d’ici-bas, à ces autres ennuis plus beaux qui se traduisent en soif de l’infini, des expressions harmonieuses et suaves qui semblaient la transporter dans un meilleur monde, et qui, pareilles à la musique même, ouvraient les sphères supérieures. […] C’est par une sorte d’abus, mais qui avait sa raison, que l’on a compris encore sous le nom de romantiques les poètes, comme André Chénier, qui sont amateurs de la beauté grecque et qui, par là même, sembleraient plutôt classiques ; mais les soi-disant classiques modernes étant alors, la plupart, fort peu instruits des vraies sources et se tenant à des imitations de seconde ou de troisième main, ç’a été se séparer d’eux d’une manière tranchée que de revenir aux sources mêmes, au sentiment des premiers maîtres, et d’y retremper son style ou son goût. […] Et c’est ainsi qu’au déclin d’une école et quand dès longtemps on a pu la croire finissante, quand de ce côté la prairie des muses semble tout entière fauchée et moissonnée, des talents inégaux, mais distingués et vaillants, trouvent encore moyen d’en tirer des regains heureux et de produire quelques pièces presque parfaites qui iraient s’ajouter à tant d’autres dans la corbeille, si un jour on s’avisait de la dresser, — dans la couronne, si l’on s’avisait de la tresser —, d’une anthologie française de ce siècle.

1565. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

Ce jeune homme à l’œil ardent, à la parole inspirée, au geste quasi prophétique, qui parlait de la spiritualité de l’âme avec enthousiasme et qui semblait recéler prématurément en lui un germe mortel, frappait les imaginations et reportait la pensée aux leçons de l’école de Platon dans l’Antiquité. […] Cousin semblait s’être séparé des principaux amis de son ancien groupe. […] « En philosophie, comme vous l’avez indiqué, il oscillait un peu en ces temps-là ; il embrassait plus de nuages qu’il n’en a gardé dans la suite ; il ne semblait pas clair à tout le monde et ne tenait pas absolument à le paraître.

1566. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Lettres de Rancé abbé et réformateur de la Trappe recueillies et publiées par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont-Ferrand. »

., etc. » Hâtons-nous de corriger ce que notre remarque semblerait avoir d’un peu railleur et enjoué, en déclarant qu’à part ce passage, rien dans cette correspondance n’accuse le moindre vestige subsistant d’amour-propre mondain ni de vanité. […] Quoi qu’à la simple lecture ces lettres de Rancé, si on n’y prend pas garde, semblent uniformes, et toutes assez semblables entre elles, on en extrairait quantité de belles et grandes pensées ; j’en ai déjà donné plus d’une et je les ai détachées ainsi à dessein, car, comme elles sont dans un fond sombre, il est presque nécessaire de les offrir à part pour les faire remarquer. […] À certains endroits, sous des désignations un peu vagues, il me semblait entrevoir de loin Leibniz (pag. 105, 108, 113), à d’autres Bayle (pag. 152) ; M. 

1567. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

Tout ce que je voudrais, à propos de ce souvenir, de cette carte de visite poétique adressée à quelques amis et à un petit nombre de lecteurs d’élite, ce serait de marquer dans la littérature contemporaine la place d’un poète auquel il me semble qu’on n’a pas jusqu’ici rendu pleine justice. […] Théophile Gautier Banville est exclusivement poète ; pour lui, la prose semble ne pas exister ; il peut dire, comme Ovide : « Chaque phrase que j’essayais d’écrire était un vers ». […] Par quel prodige, au milieu de ce siècle de critique et tout en subissant comme un autre les misères de ce siècle, dans ce pays de censure et d’académie, un homme de ce temps et de ce lieu a-t-il pu se ressouvenir de la vraie, pure, originelle et joyeuse nature humaine se dresser contre le flot de la routine implacable et non pas écrire ou parler, mais « chanter » comme un de ces bardes qui accompagnèrent au siège de Troie l’armée grecque pour l’exciter avant le combat et ensuite la reposer, — toutefois, en chantant, ne point sembler (pour ne blesser personne) faire autre chose qu’écrire ou parler comme tout le monde, et, avec une langue composée de vocables caducs, usés comme de vieilles médailles, sous des doigts immobiles depuis deux siècles, donner l’illusion bienfaisante d’un intarissable fleuve de pierreries nouvelles ?

1568. (1890) L’avenir de la science « Préface »

Une fée charmeresse sembla me dire ce que l’Église, en son hymne, dit au bois de la Croix : Flecte ramos, arbor alta, Tensa laxa viscera, Et rigor lentescat ille Quem dedit nativitas. […] Les exigences françaises de clarté et de discrétion, qui parfois, il faut l’avouer, forcent à ne dire qu’une partie de ce qu’on pense et nuisent à la profondeur, me semblaient une tyrannie. […] Si je m’étais arrêté à faire disparaître d’innombrables incorrections, à modifier une foule de pensées qui me semblent maintenant exprimées d’une façon exagérée, ou qui ont perdu leur justesse 14, j’aurais été amené à composer un nouveau livre ; or le cadre de mon vieil ouvrage n’est nullement celui que je choisirais aujourd’hui.

1569. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre III : Sentiments et Volonté »

Chapitre III : Sentiments et Volonté I Les doctrines de l’école expérimentale d’Angleterre sur la psychologie des sentiments, des émotions, des phénomènes affectifs en général, ne semblent pas aussi précises ni aussi complètes que sur la question des sensations et des idées. […] L’étude de ce dernier, probablement la plus ample et la plus approfondie qui ait encore paru sur ce sujet, nous semble cependant la partie faible de son ouvrage44. […] « La richesse, la puissance et les dignités sont peut-être le plus remarquable exemple de ce cas extraordinaire d’association où les moyens (moyens qui ne valent pour nous qu’en vue de leur fin) non-seulement s’emparent de notre attention plus que la fin elle-même, mais même la supplantent actuellement dans notre affection… Combien peu d’hommes semblent s’inquiéter de leurs semblables !

1570. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre II » pp. 12-29

Le rapprochement encore nouveau des esprits divisés pendant quarante années par les guerres civiles, semblait solliciter l’épanchement d’affections longtemps contenues ; le progrès des richesses que les discordes intestines n’avaient point empêché10, le progrès des lumières, les changements des esprits, des imaginations, des âmes tout entières, changements inséparables de toute révolution, donnaient une vive curiosité de se considérer sous de nouveaux aspects, inspiraient le pressentiment d’un nouveau genre de communications, de nouveaux points de contact, d’un développement inconnu de cet instinct social qui semble appartenir au Français plus qu’à toute autre nation. […] Il semble craindre à la suite d’avoir été injuste en bornant le talent du second au genre pastoral.

1571. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre I : La science politique au xixe  siècle »

Les doctrinaires considéraient le gouvernement mixte, composé de monarchie, d’aristocratie et de démocratie, comme le bien absolu ; ils y voyaient un régime définitif ; les libéraux, au contraire, semblaient considérer ce régime comme un acheminement à quelque autre chose. […] Daunou. qui était de la même école, se montre dans son livre des Garanties individuelles (livre curieux, trop peu connu) assez indifférent sur les formes de gouvernement, et semble même assez peu favorable à l’esprit d’empiétement des assemblées. […] La seconde semble se rattacher, par une filiation souterraine, au jacobinisme.

1572. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre IV. Suite du parallèle de la Bible et d’Homère. — Exemples. »

Homère, ce nous semble, est d’abord tombé dans une erreur, en employant le merveilleux. […] Ce grand conseil de Dieu, qui conduit les affaires humaines, alors qu’elles semblent le plus abandonnées aux lois du hasard, surprend merveilleusement l’esprit. […] Au reste, la comparaison qu’Homère a faite des sanglots de Télémaque et d’Ulysse, aux cris d’un aigle et de ses aiglons (comparaison que nous avons supprimée), nous semble encore de trop dans ce lieu ; « et, s’étant jeté au cou, de Benjamin pour l’embrasser, il pleura ; et Benjamin pleura aussi, en le tenant embrassé » : c’est là la seule magnificence de style, convenable en de telles occasions.

1573. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre I : Qu’est-ce qu’un fait social ? »

Comme ils professent que l’individu est parfaitement autonome, il leur semble qu’on le diminue toutes les fois qu’on lui fait sentir qu’il ne dépend pas seulement de lui-même. […] Au premier abord, ils semblent inséparables des formes qu’ils prennent dans les cas particuliers. […] De plus, de la définition précédente, qui n’est pas une théorie mais un simple résumé des données immédiates de l’observation, il semble bien résulter que l’imitation, non seulement n’exprime pas toujours, mais même n’exprime jamais ce qu’il y a d’essentiel et de caractéristique dans le fait social.

/ 3404