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933. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

Je ne suis pas de ceux qui, par une estime exagérée, mettent les pièces et les matériaux au-dessus de l’œuvre définitive ; mais comme les monuments historiques vraiment dignes de ce nom sont rares, comme ils se font longtemps attendre, et comme d’ailleurs ils ne sont possibles et durables qu’à la condition de combiner et de fondre dans leur ciment toutes les matières premières, de longue main produites et préparées, il n’est pas mauvais que celles-ci se produisent auparavant et soient mises en pleine lumière ; ceux qui aiment à réfléchir peuvent, en les parcourant, s’y tailler çà et là des chapitres d’histoire provisoire à leur usage ; ce ne sont pas les moins instructifs et les moins vrais. […] On est allé jusqu’à mettre en cause, pour ces papiers du duc de Luynes, le royalisme du descendant éclairé qui les a livrés à des mains habiles et en a autorisé la publication : comme s’il ne fallait pas le remercier plutôt d’avoir, dans un sentiment libéral, surmonté peut-être des répugnances de famille, et de nous avoir mis à même, par de telles dépositions authentiques, d’observer dans tout son vice une monarchie fastueuse et décrépite, d’où la vie graduellement se retirait ! […] L’origine était peu de chose : un grand-père, né de quelque honnête marchand, de quelque commis au greffe, avait commencé la fortune, humblement, laborieusement ; il s’était élevé degrés par degrés, en passant par tous les bas et moyens emplois, en se faisant estimer partout, en se rendant utile, nécessaire, en sachant mettre à profit les occasions ; il avait à la fin percé, il était arrivé, déjà mûr, à quelque charge honorable et y avait assez vieilli pour confirmer son bon renom : il avait eu un fils, pareil à lui, mais qui, né tout porté, avait pu appliquer dès la jeunesse les mêmes qualités à des objets en vue et en estime, à des affaires publiques et d’État. […] L’intérêt prodigieux que mettait la société d’alors à ce procès si justement entamé peut-être, mais si odieusement instruit et si arbitrairement conduit, les habiles instances des amis restés fidèles au malheureux surintendant, qui finirent par retourner l’opinion en sa faveur, les plaidoyers anonymes de Pellissoa qui s’échappaient à travers les barreaux de la Bastille et qui se récitaient avec attendrissement, les beaux vers miséricordieux de La Fontaine, et par-dessus tout les bulletins émus, pathétiques, de Mme de Sévigné, ont gagné jusqu’à la postérité elle-même ; et pour peu qu’on ait vécu en idée dans la société de ce temps-là, on fait comme les contemporains, on demeure reconnaissant envers M. d’Ormesson. […] C’est ce qui est arrivé au cardinal de Retz, le prince de ces narrateurs brillants qui mettent partout la vie et chez qui, à tout coup, l’imagination fait tableau.

934. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Des prochaines élections de l’Académie. »

Je suppose que le suffrage de tous les gens de lettres assemblés (j’ai la faiblesse de croire assez au suffrage de tous en pareil cas) eût à prononcer pour lui désigner un successeur, — je mets hors de cause, bien entendu, les auteurs dramatiques, membres déjà de l’Académie, qui choisirait-on ? […] Tous les noms mis d’abord en avant pour la succession du dominicain académicien ont été graves. […] qui verriez-vous à mettre en avant de plus convenable, de plus digne ? […] N’y mettons ni esprit de parti ni préjugés d’aucune sorte. […] Je ne crois pas que nous puissions cette fois penser à Monseigneur de Poitiers pour sa fameuse oraison funèbre récente62 ; on verra plus tard. — Il y a le Père Gratry déjà indiqué, qui a le talent des conférences ; essayons donc et mettons sur la liste le Père Gratry.

935. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

Racine s’occupe de la manière dont est tourné le berceau de Louis Racine : c’est estimable ; Voltaire s’inquiète de la manière dont tournera la civilisation, notre berceau à tous, et il y met la main. […] Ce rat faisait beaucoup souffrir le délicat et harmonieux poète ; il ne ressemblait pas à son grand-père, qui avait intenté un procès à un peintre lequel, en peignant les vitres de la maison, s’était avisé d’y mettre, au lieu du rat, un sanglier. […] Voltaire, de deux ans seulement plus jeune que Racine fils, débutait vers le même temps par les J’ai vu, se faisait mettre à la Bastille, et bientôt s’attaquant au théâtre, le mauvais sujet conquérait d’emblée le beau monde par le succès d’Œdipe. […] La fortune ne lui vint que par un mariage qu’il contracta dans une honorable famille de Lyon et qui le mit au-dessus de ses affaires. […] Malheur et honte si on allait risquer par mégarde un mot qu’ils n’auraient pas mis !

936. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

Après son premier jet poétique et sa première moisson si riche, si puissante et comme indomptable, il s’apaisa, parut avoir tout donné, et se mit à étudier le monde en savant. […] Quand il se mettait sur la prévention, sur la petitesse d’esprit avec laquelle tels ou tels savants se refusent à accepter ce qui ne leur est pas présenté par un homme du métier, il ne tarissait pas. […] Gœthe mit son ironie presque toute en une fois dans Méphistophélès ; il la condensa encore par-ci par-là, sous forme de dragées ou de pastilles du sérail, dans quelque livre d’épigrammes ; il ne répandit pas sa misanthropie et son amertume dans l’ensemble de son œuvre comme Byron. […] Je mets tous mes soins à me faire une idée nette de l’état de la littérature française contemporaine, et si je réussis, je veux un jour dire ce que j’en pense. […] La visite que fit Ampère à Weimar en compagnie d’Albert Stapfer, au printemps de 1827, fut pour Gœthe une nouvelle et heureuse occasion de se mettre encore mieux au courant de la France et de chacun de ses écrivains en renom ou en promesse.

937. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

Mais les prêtres de celui-ci, qui sont de race vigoureuse, qui mordent à la vie à pleine grappe et se nourrissent de chair et de sang, ne veulent pas accueillir le pâle et efféminé transfuge ; on le traite en apostat, et le malheureux conspué reste désormais sans dieu, errant et comme mis à pied entre les deux idoles. […] Jamais il ne s’est reculé de son œuvre assez pour se mettre au point de vue de ses lecteurs. […] Vous mettez toujours en avant le vrai, rien que le vrai. […] Flaubert, qui venait de faire Madame Bovary, comme s’il s’était senti humilié d’être trop lu, s’est mis à faire son roman archéologique. […] Il y a de sauvages et orgueilleux oiseaux qui n’aiment à se poser que sur des rochers si escarpés que le soleil seul, comme dit Homère, y a mis le pied.

938. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

Il entra au Figaro avec Alphonse Karr ; il y mit des articles de fantaisie, entre autres le Paradis des Chats. […] Il y a des genres tout entiers, réputés des plus français, auxquels il répugne, — et la Tragédie, — et l’Opéra-Comique, — et le Vaudeville ; il mettrait volontiers le pied dessus pour les écraser une bonne fois, s’il l’osait. […] Il n’est jamais plus à l’aise que quand on le met en face d’une nature ou d’un art à développer et à exhiber. […] Une fois mis en goût de voyage et cette nouvelle vocation reconnue et déclarée, Théophile Gautier ne chôma plus et ne résista qu’autant qu’il était retenu par sa chaîne au cou, « dans la niche qu’on lui avait faite au bas du journal », ainsi qu’il s’est lui-même représenté. […] Je le vois encore tel qu’il était à cette date et à cette époque fortunée, dans toute la force et la superbe de la seconde jeunesse, dans toute l’ampleur et l’opulence de la virilité ; aspirant la vie à pleins poumons, à pleine poitrine ; ayant sa mise à lui, et, sur cette large poitrine dilatée, étalant pour gilet je ne sais quelle étoffe couleur de pourpre, une cuirasse pittoresque, de même que Balzac avait eu dans un temps sa canne à la pomme merveilleuse.

939. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Il semble avoir été écrit en prévision du 18 Fructidor et des déportations prochaines : on n’ose dire pourtant que la Guyane et Sinnamari aient en rien répondu à la description des colonies nouvelles que proposait Talleyrand d’un air de philanthropie, et en considération, disait-il, « de tant d’hommes agités qui ont besoin de projets, de tant d’hommes malheureux qui ont besoin d’espérances. » Il y disait encore, en vrai moraliste politique : « L’art de mettre les hommes à leur place est le premier peut-être dans la science du gouvernement ; mais celui de trouver la place des mécontents est, à coup sûr, le plus difficile, et présenter à leur imagination des lointains, des perspectives où puissent se prendre leurs pensées et leurs désirs est, je crois, une des solutions de cette difficulté sociale. » Oui, mais à condition qu’on n’ira pas éblouir à tout hasard les esprits, les leurrer par de vains mirages, et qu’une politique hypocrite n’aura pas pour objet de se débarrasser, coûte que coûte, des mécontents. […] Ne pouvant qu’effleurer cette existence de Talleyrand, qu’éclairer deux ou trois points saillants, et tout au plus donner un coup de sonde a deux ou trois endroits, je ne voudrais rien dire que d’exact, de sûr, et en même temps mettre le lecteur à même de juger, ou du moins d’entrevoir les éléments divers du jugement. […] Cet engagement, formellement exigé et positivement consenti, avait été mis en oubli : non seulement Talleyrand était resté à Paris, mais aucune négociation n’avait eu lieu. […] Les plus avancés eux-mêmes mettent du temps à se corrompre. […] Il avait vu pâlir Bonaparte au moment où on lui apprit qu’il venait d’être mis hors la loi.

940. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

Le hasard le mit sur la voie. […] C’est aussi vers ce temps qu’il dut se mettre à la lecture de Rabelais, de Marot, et des poëtes du xvie  siècle, véritable fonds d’une bibliothèque de province à cette époque. […] Lorsque le second recueil parut, contenant cinq livres, depuis le sixième jusqu’au onzième inclusivement, les contemporains se récrièrent comme ils font toujours, et le mirent fort au-dessous du premier. […] Il se met volontiers dans ses vers, et nous entretient de lui, de son âme, de ses caprices et de ses faiblesses. […] Il ne faudrait pourtant pas mettre sur la même ligne, pour l’ensemble des travaux, La Curne de Sainte-Palaye, qui en a fait d’immenses, et Tressan qui n’en a fait que de fort légers.

941. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre IV »

Et ils ont mis une machine derrière le mur, ces racailles ! […] Il faisait le soufflet avec sa bouche, il remuait des fers dans le réchaud, se mettait à genoux, pour passer le pouce sur les bords du paillasson, en croyant qu’il le soudait. » (p. 560). […] « Aussi quel soulagement — ajoute-t-il avec un soupir qui remercie —, lorsque je pus clore la série76, par le Docteur Pascal, pour lequel mon bon ami, le Dr Maurice de Fleury, m’a bâti de toutes pièces le rêve de haute conception médicale que je désirais y mettre ! […] Malot a traité avec une minutieuse exactitude beaucoup des détails accessoires de sa mise en scène. […] Malot, qui tient tant cependant à montrer les hommes et les choses avec tous les caractères de la fidélité réaliste, que le prétendu aliéné qu’il met ainsi en scène n’a jamais existé et ne répond à aucun type connu.

942. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

Chaque jour on mettait plus de subtilité dans les règles de la politesse et du goût ; on s’éloignait toujours plus dans les mœurs des impressions de la nature. […] On voulait cependant établir un genre d’égalité ; c’était celle qui met extérieurement au même niveau tous les esprits et tous les caractères : on voulait cette égalité qui pèse sur les hommes distingués, et soulage la médiocrité jalouse. […] L’esprit moqueur s’attaque à quiconque met une grande importance à quelque objet que ce soit dans le monde ; il se rit de tous ceux qui sont dans le sérieux de la vie, et croient encore aux sentiments vrais et aux intérêts graves. […] L’intérêt de la progression existe toujours, puisque les préjugés ne mettent point de bornes à la carrière de la pensée ; l’esprit donc, n’ayant plus à lutter contre l’ennui, acquiert plus de simplicité, et ne risque point, pour ranimer l’attention, ces grâces maniérées que réprouve le goût naturel. […] Ce n’est pas l’insolence familière, c’est la bonté, c’est l’élévation de l’âme, c’est la supériorité véritable que cette froideur met à la gêne.

943. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre II. Des idées générales et de la substitution simple » pp. 33-54

Au lieu du mot bara, mettez le mot tree ; pour un homme qui ne sait pas l’anglais, les deux se valent et aboutissent au même effet nul ; pour un Anglais, le mot tree a justement les propriétés que nous venons de trouver dans le mot arbre. — Un nom que l’on comprend est donc un nom lié à tous les individus que nous pouvons percevoir ou imaginer d’une certaine classe et seulement aux individus de cette classe. […] Le couple ainsi formé ressemble à ces instruments de physique et de chimie qui, par un mince effet sensible, un déplacement d’aiguille, une variation de teinte, mettent à la portée de nos sens des décompositions de substance ou des variations de courant situées hors de la portée de nos sens. […] De même que, dans le fœtus, on voit tour à tour la tête disproportionnée se réduire à sa juste mesure, les fontanelles du crâne se boucher, les cartilages se changer en os, les vaisseaux rudimentaires se clore et se ramifier, la communication de la mère et de l’enfant se fermer, de même, dans le langage enfantin, on voit tour à tour les deux ou trois noms dominants perdre leur prépondérance absolue, les mots généraux limiter leur sens trop vaste, préciser leur sens trop vague, s’aboucher entre eux, acquérir des attaches et des sutures, se compléter par l’incorporation d’autres tendances, ordonner sous eux des noms de classes plus étroites, former un système correspondant à l’ordre des choses, et enfin agir par eux seuls et d’eux-mêmes sans l’aide des nomenclateurs environnants. — Un enfant a vu sa mère mettre pour une soirée une robe blanche ; il a retenu ce mot, et désormais, sitôt qu’une femme est en toilette, que sa robe soit rose ou bleue, il lui dit de sa voix chantante, étonnée, heureuse : « Tu as mis ta robe blanche ?  […] Si l’on prononce devant vous le mot chat, vous pouvez lui substituer une définition ou une description, c’est-à-dire mettre à sa place les deux noms principaux qui lui fixent sa place dans la classification animale ou le remplacer par le nom de tous les caractères que vos expériences ont dégagés en lui, et, par suite, voir reparaître en vous, plus ou moins nettement, les simulacres de ces expériences. […] Le lecteur voit tout de suite qu’au lieu du nom de chat on pourrait mettre celui de chien, singe, crabe, et d’un animal quelconque, ou d’une plante quelconque, et aussi d’un groupe quelconque, animal ou végétal, aussi large ou aussi étroit qu’on voudra, et, en général, d’un groupe quelconque, moral ou physique ; l’opération serait pareille ; tous les noms généraux se remplissent de la même façon. — Ordonnés les uns par rapport aux autres, chacun avec son escorte de tendances, ils composent l’ameublement principal d’une tête pensante.

944. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

C’est à expliquer, sinon à concilier des jugements si divers, que veut s’employer cette étude, sorte de mise au point impartiale du débat. […] Mallarmé remercie avec effusion et se met à l’œuvre. […] Tous se mirent à le fréquenter et il n’est pas mauvais de rechercher dans leurs écrits l’écho de leurs impressions. […] Il se met alors à rêver d’une poésie éducatrice des foules, par le théâtre, mais dont la danse et la pantomime constitueraient les seuls moyens d’expression. […] C’est un rêveur qui, dans son rêve unique, met le sang de ses veines et son souvenir vivant de la terre.

945. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Le Palais Mazarin, par M. le comte de Laborde, de l’Institut. » pp. 247-265

Mignet le premier, dans l’introduction qu’il a mise en tête des Négociations relatives à la succession d’Espagne (1835), rencontrant tout d’abord Mazarin, lui a rendu une éclatante justice, et a tracé de lui un grand portrait historique en pied qui restera. […] Le cardinal, qui avait encore à gagner, mit toute son habileté à seconder son bonheur. […] Pourquoi donc se mettre si fort à admirer ces hommes qui ont tant méprisé les autres hommes, et qui ont cru que le plus grand art de les gouverner était uniquement de les duper ? […] Après une consultation de médecins, le célèbre Guénaud lui ayant nettement déclaré qu’il était atteint à mort et qu’il n’avait guère que pour deux mois à vivre, il se mit à penser sérieusement à sa fin, et il le fit avec un singulier mélange de fermeté, de parade et de petitesse. […] » En entendant ces paroles, en voyant cette mise en scène si dramatique et si imprévue de l’ode d’Horace : « Linquenda tellus, et domus… », on est touché comme Brienne ; mais prenez garde !

946. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — III. (Suite et fin.) » pp. 128-145

Cet homme ayant manqué à l’heure opportune, le cours des événements et des opinions s’était dirigé autrement et au hasard ; au point où le prit Casimir Périer, il fit la seule chose forte et hardie qui était possible alors : il mit un bras de fer dans la roue du char lancé à l’aventure, et l’arrêta. […] On mettrait tout d’une suite dans ce volume les nombreux articles où il a parlé de Napoléon, son grand sujet favori et qui ne cessa de l’inspirer. […] à tous les genres d’attentats, étranger même aux insurrections, ne les apprenant guère qu’en même temps que le public, il se trouvait traité comme complice, impliqué dans les suites ; et, en témoignant chaque fois son indignation de ce qu’il appelait un outrage, il ne faisait rien pour se mettre hors de cause dans l’avenir. […] Il est amené, à son corps défendant, à discuter les derniers discours de celui qu’il appelait en d’autre temps le chef sinistre de la Montagne : il y met toutes ses précautions et ses ressources d’analyse ; il cherche pour un moment à ôter à Robespierre sa férocité, pour ne lui laisser que la philanthropie : opération d’alchimie qui, certes, peut aussi s’appeler le grand œuvre. […] L’un des défenseurs des Accusés d’avril, il eut à exercer dans le cours de ce procès toutes ses facultés énergiques et réfléchies pour mettre un peu de discipline dans cette cohue d’avocats improvisés, pour parer aux incartades des imprudents, pour se faire respecter de tous, pour leur enseigner les moindres échappatoires de légalité.

947. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

Je voudrais tâcher de le leur expliquer, leur donner idée d’un des hommes les plus savants, les plus distingués et les plus vraiment aimables que puisse citer l’Église de France, de l’un de nos meilleurs écrivains, et, sans m’embarquer dans aucune question difficile ou controversée, mettre doucement en lumière la personne même et le talent. […] Il en résultait que les lumières des anciens sages se pouvaient considérer déjà comme l’aurore de la foi, et que, sans mettre assurément au nombre des Pères de l’Église primitive Confucius, Zoroastre, Pythagore, Héraclite, Socrate et Platon, on les considérait jusqu’à un certain point comme des préparateurs évangéliques et qu’on ne les maudissait pas. […] La Bible mise à part, cet ouvrage est l’ami souverain de l’âme. […] Regardez d’abord ce squelette : s’il est bien conservé, malgré tous ses siècles, c’est probablement parce que la niche, où il a été mis, est creusée dans un terrain qui n’est pas sec. […] On a beaucoup disputé, tous ces temps derniers, sur la question des études et sur le degré de littérature autorisé par le clergé ; on a mis en avant bien des noms empressés et bruyants : j’ai voulu rappeler un nom aussi distingué que modeste.

948. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre III. Zoïle aussi éternel qu’Homère »

En 1752, Diderot fut mis à Vincennes pour avoir publié le premier volume de l’Encyclopédie, et le grand succès de l’année fut une estampe vendue sur les quais, laquelle représentait un cordelier donnant le fouet à Diderot. […] Dans les publications supprimées au siècle dernier par arrêt du parlement, on remarque un document imprimé par Quinet et Besogne, et mis au pilon sans doute à cause des révélations qu’il contenait et que le titre promet : L’Arétinade, ou Tarif des Libellistes et Gens de lettres Injurieux. […] La Révolution vint, et les mit au Panthéon. […] On les voit dans les précipices se poser sur une cime et replier leurs ailes, et ils se mettent à méditer. […] Ils se mettent comme vous en prière.

949. (1896) Hokousaï. L’art japonais au XVIIIe siècle pp. 5-298

C’est l’époque où il met au jour ces innombrables séries de merveilleux sourimonos. […] Mais la femme est innocente et le sabre a été mis dans ses vêtements par une rivale, jalouse d’elle. […] Deux pivoines dans un panier, dessinées avec ce style que les Japonais mettent à la fleur ; un style parent du style que nos vieilles écoles de peinture de l’Europe mettaient à la représentation de l’humanité. […] Mettez le citron, ainsi découpé, dans une marmite de terre. […] Ce serait la mise en scène de la légende de Komati réclamant du ciel la pluie.

950. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Telle est la conclusion que l’auteur ose mettre dans la bouche de Lysistrate, parlant en face aux Athéniens. […] Il ne s’agit donc plus de mettre en problème si ces comédies eurent ou non le mérite qui leur valut de si brillants succès. […] Les spectateurs en riront au premier regard, et ce plaisir les mettra en bonne humeur pour le reste. […] Il faut mettre une particulière attention à la bonté d’un tel choix. […] L’avarice rend mauvais maître ; Harpagon ne paie point ses valets, il les questionne et les met à la torture.

951. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. » pp. 124-157

Le romancier grec a dit que Persina, reine d’Éthiopie, avait mis au monde Chariclée, enfant tout blanc, à cause d’un tableau de Persée et d’Andromède nue qu’elle avait beaucoup considéré. […] La grande lettre en gros caractères à la Louis XVI, et signée du grand-oncle Antoine, est déployée : il y est mis pour condition expresse que les enfants seront rendus à la religion des aïeux pour reprendre droit dans la succession immense. […] Elle s’était mise au latin et était arrivée à entendre les odes d’Horace ; elle lisait l’anglais et avait traduit en vers quelques pièces de William Cowper, notamment celle-ci dans les Olney Hymns : God moves in… etc. […] Je veux avant tout t’épargner l’inquiétude qu’un silence plus long te causerait, sachant bien que ton cœur s’en rapporte au mien de l’empressement que je mettrai à partager avec toi le premier rayon bienfaisant que la Vierge m’enverra. […] Pendant une nuit d’insomnie, de jour en courant, sur un quai, pendant une pluie, sous une porte cochère, dans les circonstances les plus vulgaires ou les plus tristes de la vie, quelque chose se mettait à chanter en elle, et elle se le rappelait ensuite comme elle pouvait.

952. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

On sait que, vers la date où le Pharaon conçut pour Sara cet amour qui mit Abraham dans de si grands embarras, Sara, d’après le texte, aurait été presque septuagénaire. […] Il riait le premier de lui-même, de ses bévues à demi intentionnelles, des plaisantes situations où le mettait sa naïveté. […] Ce qu’on aurait pu mettre dans l’autre plateau eût paru léger ; toutes les objections du monde ne l’eussent point fait vaciller. […] Cela ne devra paraître singulier à personne, puisque l’âge m’obligerait à mettre un intervalle entre mes ordres. […] On s’est habitué, de notre temps, à mettre monseigneur devant un nom propre, à dire monseigneur Dupanloup, monseigneur Affre.

953. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

Prudemment il mit son sifflet dans sa poche. […] Mais l’homme de talent, que je mets bien au-dessus du savant, y perdrait, de s’être mis dans les brassières d’une méthode, au lieu de suivre l’inspiration, qui domine toutes les méthodes quand on se sent la vocation d’écrire l’Histoire. […] Par un désintéressement de lui-même qui prouve une grande supériorité, il n’a pas songé à mettre dans un livre impersonnel, et dont l’impersonnalité fait la force, le talent qu’il aurait pu y mettre, certainement, s’il l’avait voulu. […] Avec son livre inattendu des Origines de la France contemporaine, le révolutionnaire espéré a envoyé promener du coup les espérances de ceux qui en mettaient sur lui. […] On mettait dans le lointain le sang et la boue qui, de près, horripilent et dégoûtent, et en les voyant moins, on en éprouvait moins le dégoût et l’horreur.

954. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

Y a-t-il et pouvait-on y mettre la marque des facultés que je viens réclamer pour le compte de Daudet ? […] La solitude dans une île, c’est déjà quelque chose, mais avoir mis un phare dans cette île, et la solitude dedans… Certes ! […] Cela avait déjà été mis bien des fois dans des romans et au théâtre. […] Aussi s’est-il bien gardé de l’y mettre. […] N’a-t-on pas mis des noms propres jusque sous les Caractères du brave La Bruyère ?

955. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

Au regard des mourants, les convenances sont moins que rien, et la prudence n’est plus de mise. […] S’il se met à écrire, c’est le modèle des bons contes. […] A peine levé, il se met à table et il déjeune en causant. […] Il a comme affiché un décret de mise en liberté du mot. […] Mais qu’y a-t-il là qui vous mette hors de vous ?

956. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

J’avoüe que nous mettons quelquefois de l’amour dans les sujets qui y résistent le plus ; et il y a aparence que nous ne nous corrigerons pas aisément de ce défaut. […] Notre défaut n’est donc pas tant de mettre toujours l’amour sur la scene, que de n’y pas ménager la varieté qu’il faudroit. […] Nous mettons souvent les préjugés à la place des vertus. […] On peut mettre beaucoup d’esprit dans un ouvrage, sans que le genre en devienne meilleur. […] Je lui recommanderois donc de mettre au choix des choses le tems et le soin qu’exigeroit la versification.

957. (1913) Poètes et critiques

Des vers détachés de Virgile, et de Tibulle, et de Properce, André Chénier en met partout. […] Il a voulu mettre à la portée des lecteurs les plus humbles les chefs-d’œuvre de l’esprit humain. […] Il y resta claquemuré jusqu’au 16 janvier 1875, jour de sa mise en liberté. […] On me dispensera d’y revenir : encore que le parodiste ait mis à l’écrire trois mois (« Mons 1874. […] Raphaël Périé, a mis le doigt sur un contresens capital du traducteur d’Edgar Poë, contresens gros de conséquences.

958. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

Racine met sur le théâtre une action unique, dont il proportionne les parties, et dont il ordonne le cours ; nul incident, rien d’imprévu, point d’appendices ni de disparates ; nulle intrigue secondaire. […] Ainsi appuyées sur l’innocence et la conscience, on les voit porter dans l’amour un sentiment profond et honnête, mettre bas la coquetterie, la vanité et les manéges, ne pas mentir, ne pas minauder. […] Ne trompe pas celle qui t’aimera la première après moi. » — Enfin, une nymphe la guérit, et Périgot, désabusé, vient se mettre à genoux devant elle. […] Ainsi composé et ainsi muni, ce théâtre a pu mettre au jour le plus intime fonds de l’homme, et mettre en jeu les plus puissantes émotions humaines, amener sur la scène Hamlet et Lear, Ophélie et Cordélia, la mort de Desdémone, et les meurtres de Macbeth. […] Essex, souffleté par la reine, mit la main sur la garde de son épée.

959. (1836) Portraits littéraires. Tome I pp. 1-388

Il met l’histoire de tout un règne en dialogue et en action. […] C’est un principe qui, une fois violé, met à mort toute poésie. […] Le soir même de la bataille, il mit un genou en terre, et se fit armer chevalier par Bayard. […] Les impériaux mettent la ville à feu et à sang. […] Il commence par avouer son ignorance ; mais son aveu le met à l’aise.

960. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — III » pp. 81-102

Parlant au roi des conseils de guerre et de ces délibérations où le général en chef met aux voix une entreprise : Depuis que Votre Majesté me l’a défendu, écrivait Villars quelques mois après, je consulte médiocrement, et seulement par honnêteté ; et plût à Dieu ne l’avoir pas fait à Bühl, ou que mes premiers ordres eussent été suivis le 23 avril, jour qui me donnera des regrets toute ma vie ! […] « On envoie un empirique, disait-il gaiement, là où les médecins ordinaires ont échoué. » Il prit d’ailleurs sa mission très au sérieux, et eut dès l’abord des idées saines et justes sur l’esprit qu’il convenait d’y apporter : Je me mis dans la tête de tout tenter, d’employer toutes sortes de voies, hors celle de ruiner une des meilleures provinces du royaume ; et même que si je pouvais ramener les coupables sans les punir, je conserverais les meilleurs hommes de guerre qu’il y ait dans le royaume. […] Villars est d’avis d’étouffer le plus qu’on peut ces sortes d’aventures, qui, en éclatant, ne peuvent que mettre en branle les autres fous ou capables de le devenir. […] mais d’autres n’eussent point mis la leur en tel lieu, et si on l’eût pris au mot, la sienne était utile à l’État. […] D’après ce qu’on voit de ces lettres, il n’est donc pas exact de dire avec Saint-Simon « que Villars mit aux gens le marché à la main, et répondit tout net que le roi était le maître de lui ôter le commandement de l’armée du Rhin, le maître de l’employer ou de ne l’employer pas, etc. » Villars répondit avec respect, en homme sensé et ferme, et comme un général qui ne veut pas se placer dans une position fausse dont il prévoit à l’avance les inconvénients.

961. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Souvenirs militaires et intimes du général vicomte de Pelleport, publiés par son fils. » pp. 324-345

Après la paix signée avec l’Espagne (juillet 1795), le 8e bataillon se met en marche pour rejoindre l’armée d’Italie. […] La conversation roulait sur les événements politiques ; s’interrompant au milieu d’une de ces périodes à effet comme il savait les faire, le général lui dit : « Rappelez-vous, Pelleport, et vous êtes trop jeune pour que vous ne puissiez un jour ou l’autre mettre à profit mon avertissement, rappelez-vous qu’en révolution il ne faut jamais se mettre du côté des honnêtes gens : ils sont toujours balayés. » — « Après ce court dialogue, ajoute Pelleport, la conversation reprit son cours ordinaire, et je me promis bien de désobéir à mon général. » De retour en France, Pelleport continue sa marche d’un pas égal. […] Dès les premiers jours, dans une abbaye où l’on s’arrête et où se trouvent entassés un grand nombre de blessés et de malades, il entre avec quelques officiers du 18e pour y chercher les siens : Je les fis mettre sur les voitures des cantinières : ils périrent tous avant d’arriver à Smolensk. […] Ce sont des piliers et des supports de l’édifice ; d’autres y mettront les arabesques et les ornements. […] Son témoignage, exprimé avec l’énergie de conviction qu’il y met, est d’un grand poids. — Le plus grand tort des Mémoires de Marmont est d’avoir paru trop tôt.

962. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

On était moins pittoresque parmi nous du temps de Corneille ; on mettait en première ligne l’analyse morale intérieure. Partout Corneille a rationalisé, intellectualisé la pièce espagnole, variée, amusante, éparse, bigarrée ; il a mis les seuls sentiments aux prises. […] Restée seule avec Elvire, ou se croyant seule, Chimène ouvre alors toute son âme et exhale toute sa peine : « La moitié de ma vie a mis l’autre au tombeau !  […] Il reste en effet ; tous deux se rapprochent et se mettent à rêver, comme dans Roméo et Juliette : « Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères !  […] Dans cette scène, comme on voit que les amants meurent d’envie tous deux que le père mort soit mis hors de cause !

963. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. (suite et fin.) »

Les femmes, même celles de l’aga, se mettaient aux fenêtres pour nous lapider à notre passage. […] Mettez-le dans le malheur, et il aura la plainte. […] Pour cela il fit diligence ; il fallait tailler en partie la route dans le roc : le commissaire général ordonna les travaux, mit lui-même le feu à la première mine, amorça la route et ne prévint qu’alors le ministre, qui fut deux jours sans oser en parler au premier Consul. […] M. le duc de Raguse annonce l’intention d’y mettre de l’ordre : avant qu’il n’ait effectué son projet, il y aura bien eu du gaspillage. […] A certains mots hardis que Jean-Bon profère en des moments où il n’est qu’à deux pas de l’Empereur (par exemple, dans la scène du bateau sur le Rhin), on dirait que Beugnot, en les rapportant, s’amuse à les mettre en saillie pour mieux faire ressortir ses propres frayeurs à lui-même, frayeurs dont il avait pris le parti de rire, ne pouvant les maîtriser.

964. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [II] »

Sa plus grande audace consiste dans l’art de l’imitation, et à savoir bien la placer, à ne pas l’aller mettre en lieu trop bas, trop prochain ou trop facile. […] Quand il en vient aux modernes, aux vivants, il les désigne, sans les nommer, par leurs qualités ou leurs défauts ; les lecteurs du moment mettaient aisément des noms sous ces désignations littéraires : de si loin nous pourrions nous y tromper. Ce qui est certain, c’est que, s’il était « sergent de bande en notre langue françoise », comme il dit, il est nombre de ces poètes mal équipés et mal armés qu’il mettrait d’emblée à la réforme. […] Virgile, quand il se mit à l’Énéide, avait derrière lui les guerres civiles ; Du Bellay et ses amis les avaient devant eux, et plus d’un éclair déjà sillonnait l’horizon. […] Il ne s’agit que d’y mettre de la discrétion, de consulter l’analogie, le jugement de l’oreille.

965. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. Joubert »

Singulier génie toujours en suspens et en peine, qui se peint en ces mots : « Le Ciel n’a mis dans mon intelligence que des rayons, et ne m’a donné pour éloquence que de beaux mots. […] la voici ; elle lui échappe à la fin de cette même lettre : « Il me reste à vous dire sur les livres et sur les styles une chose que j’ai toujours oubliée : achetez et lisez les livres faits par les vieillards qui ont su y mettre l’originalité de leur caractère et de leur âge. […] Les amateurs de tableaux en mettent toujours dans leurs cabinets ; il faut qu’un connaisseur en livres en mette dans sa bibliothèque. »  — Que vous en semble ? […] Quelle délicatesse il met à ennoblir les délicats ! […] Mal connu par ceux-là, méconnu par ceux-ci, il met à notre décharge, dans ses balances équitables, les superstitions et les incrédulités des époques où nous vivons.

966. (1892) Boileau « Chapitre II. La poésie de Boileau » pp. 44-72

Quant à la peindre en réaliste, pour étaler à nos yeux la richesse des couleurs et la singularité des formes sans en faire les manifestations d’une âme, il lui eût fallu des moyens d’expression que la versification et la langue d’alors ne mettaient pas à sa disposition. […] Pour Boileau, mettons à part la satire littéraire, si fine et si mordante à travers la langueur de la querelle : ce qu’il a fait, c’est un tableau réaliste. […] Nous savons le goût et la composition des sauces ; le poète nous dit le jus de citron mis dans la soupe, la muscade et le poivre des sauces trop épicées, la blancheur molle et fade du lapin, le goût plat du petit vin d’Orléans. […] Car je ne vois pas qui l’on pourrait mettre avec lui, plus haut ou plus bas, dans le même groupe. […] D’autres fois, le poète ne peut se tenir d’ajouter un trait plaisant à l’image qu’il évoque : c’est comme une intention littéraire en peinture, et cette voix qui veut nous amuser, nous distrait de la contemplation de l’objet qui d’abord avait été seul mis devant nos yeux.

967. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Il l’a aimée uniquement ; mais il y a trouvé pour lui, il y a placé pour les autres un principe de noblesse morale, un engagement à se mettre au-dessus de tous les sentiments mesquins. […] Il a donné ses impressions pour des arguments, il a mis des intentions, ou des prétentions morales dans sa peinture. […] Le public fut surpris d’abord de la vigueur et de l’insistance de ses attaques, et nombre de gens le prirent pour un médisant forcené : Montausier mit vingt ans à lui pardonner. […] Il se dorme pour mission de mettre en contact les deux natures, celle des choses et celle du public, et il tient compte de l’une aussi bien que l’autre. […] Ses liaisons avec les jansénistes et son Épitre sur l’amour de Dieu le mettent en guerre avec les jésuites (à partir de 1703).

968. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes décadents » pp. 63-99

Les tournesols sauvages mettaient leur disque jaune et noir au-dessus des treillages affaissés, des palissades disjointes. […] Sa mise trop simple et sa figure ravagée en étaient les sûrs garants. […] Il mettait son orgueil à rester le seul à qui, comme disait Baju, « on ne pourrait jamais reprocher son passé littéraire ». […] Dans cette vue il se mit à voyager, parcourant les diverses contrées de l’Europe et de l’Amérique en accumulant les documents8. […] J’ai dit qu’ils avaient réussi un moment à mettre la main sur le Décadent.

969. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Non, il ne disait pas de bêtises ; mais, à Naples, le genre de talent qu’il avait au plus haut degré était plus commun ; on y remarquait moins le jeu, l’action, chose plus habituelle, et on ne savait pas y discerner tout ce que Galiani mettait là-dessous d’excellent et d’unique. […] Je commence par vous dire que, si j’étais pape, je vous ferais mettre à l’Inquisition, et, si j’étais roi de France, à la Bastille ; mais, comme j’ai le bonheur de n’être ni l’un ni l’autre, je reviendrai dîner jeudi prochain, et vous m’entendrez comme j’ai eu la patience de vous entendre, et je vous réfuterai. […] En pareil cas on a un plancher qui recouvre la poutre, et de plus, si l’on a moyen, on met un tapis sous ses pieds. […] Il se mit à raisonner et à badiner là-dessus. […] Il semble, en vérité, pour qui ne lirait que le petit nombre de pages qu’il a mises en tête de sa compilation écourtée, que tout le monde, excepté lui, a plus ou moins déraisonné et battu la campagne jusqu’ici, sur le compte du spirituel abbé napolitain.

970. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

Vous voyez que je suis modeste, que j’élude hardiment les difficultés, et que je ne suis pas homme à me mettre de grosses affaires sur les bras. […] Certes, je ne voudrais pas exclure de la poésie l’élégance, mais quand je vois celle-ci mise en première ligne, j’ai toujours peur que la façon, le fashion, ne prime la nature, et que l’enveloppe n’emporte le fond. […] Je voudrais pourtant, puisque je parle de poésie et que j’ai paru mettre la poésie toute vraie, toute sincère, en opposition avec celle qui ne l’est pas ou qui ne l’est qu’à demi, je voudrais donner de la première un exemple qui fasse bien sentir ce que j’entends. […] Au lieu de l’ancien vers classique tout noble et tout pur, on a du comique parfois, des mots hardis ou même vulgaires, et mis à dessein. […] Si elle semble apporter, au début de la conversation, quelques plaisanteries préméditées et qui font comme partie de sa mise du jour, elle en a d’autres qui lui sortent à l’improviste à chaque instant, et ce ne sont pas les moins bonnes.

971. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

L’abbé de Choisy aimait à se déguiser ; dans son enfance et dans sa jeunesse on l’avait accoutumé à s’habiller en fille ; il en garda le goût, et l’on assure que bien plus tard même, et à l’âge où il rougissait le plus de cette manie efféminée, il s’enfermait encore pour se mettre en douairière, soupirant, hélas ! […] Basset ; mais, dans le cas présent, on ne va qu’à une mystification (ce voyage de Siam ne fut pas autre chose), et il est bien clair pour tous que Choisy, en voyant du miracle, y met du sien. […] À un moment il se met en tête d’étudier Euclide ; il faut bien faire un peu de tout. […] En approchant du cap de Bonne-Espérance, on croirait qu’il va essayer de se mettre à la hauteur du sujet et de proportionner sa pensée à la majesté des horizons : La mer commence à être fort creuse, c’est-à-dire qu’on se voit quelquefois dans une vallée entre deux montagnes blanchissantes d’écume. […] C’est bien lui qui, lorsqu’il eut terminé son Histoire de l’Église, en onze volumes in-4º, se prit à dire pour dernier mot : « Grâce à Dieu, mon Histoire est faite, je vais me mettre à l’apprendre. » De ses nombreux écrits que je ne songe même pas à énumérer, il n’en est qu’un seul qui mérite aujourd’hui d’être relu : ce sont ses Mémoires.

972. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

Augustin Thierry, et se former au style net, ferme et sévère ; si je voulais exprimer plus complètement encore la qualité de ce style de Carrel à sa formation et au moment où il va se tourner à la polémique, je dirais : Mettez-y une goutte de la bile de Rabbe. […] Si le hasard lui procurait une nouvelle connaissance, il était rare (de 1825 à 1830) que Carrel ne la mît pas à l’épreuve sous ce point de vue. Il engageait alors une discussion plus ou moins vive, et, quand il savait à quoi s’en tenir sur la valeur du néophyte, il mettait un art infini à arranger les choses sans que la dignité de l’un ou de l’autre pût en souffrir. […] « D’un autre côté, si l’on s’imagine que les événements de Juillet n’ont fait autre chose que mettre un nom propre à la place d’un nom propre, une famille à la place d’une autre, … on se trompe d’une manière déplorable. » Ce n’est point là non plus sa solution. […] Se promenant dans les rues de Paris pendant ces mouvements de décembre avec un ami, il lui disait : « Je voudrais être préfet de Police vingt-quatre heures pour mettre tout ce monde à la raison. » L’excitation pourtant le gagnait malgré lui.

973. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

Il se mit donc à l’œuvre, commençant pour la première fois d’écrire en français, et il composa les deux premiers volumes de son Traité des études, bientôt suivis de deux autres. […] Les réflexions préliminaires par lesquelles débute Rollin semblent superflues, tant on se sent peu porté à les contester : « Différence que l’étude met entre les hommes. […] Voltaire, injuste cette fois, écrivait à Helvétius (24 mars 1740) : « Le janséniste Rollin continue-t-il toujours à mettre en d’autres mots ce que tant d’autres ont écrit avant lui ? […] C’est ainsi que le 26 janvier 1732 on crut devoir faire une visite dans sa maison, pour s’assurer si l’on n’y imprimait point, dans quelque cave, ce journal même des Nouvelles ecclésiastiques, qui mettait alors toute la police en défaut. […] Il ne manquera rien à mon bonheur, si mon jardin et ma solitude contribuent à me faire songer plus que jamais aux choses du ciel : « Quae sursum sunt sapite, non quae super terram » (Mettez votre esprit à ce qui est de là-haut, non à ce qui est sur la terre).

974. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — II. (Fin.) » pp. 411-433

Ne sauras-tu donc pas te mettre à la raison, Servius, et te souvenir que tu es né homme ! […] Il ne publia qu’en 1803 l’ouvrage intitulé Tableau du climat et du sol des États-Unis d’Amérique, ouvrage utile, et même réputé excellent en son genre, mais incomplet, où la partie morale, celle des institutions, est totalement mise de côté, et où il n’est question que de géographie physique. […] Dureau de La Malle, et il y avait fait mettre cette inscription philosophique, qui semblait protester à demi contre ces honneurs que pourtant il ne répudiait pas : en 1802 le voyageur volney devenu sénateur, peu confiant dans la fortune, a bâti cette petite maison plus grande que ses désirs. […] Survenue au fort d’une bataille entre les Lydiens et les Mèdes, elle causa, au dire d’Hérodote, une obscurité si grande que les combattants, effrayés, mirent bas les armes, et que les deux rois aux prises se réconcilièrent. […] Il attache de l’importance à tout ce qu’il dit : cela fait que l’on trouve souvent qu’il en met trop aux petites choses ; mais on le lui pardonne, parce qu’il traite les grandes avec le soin qu’elles méritent.

975. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre I. Après la mort — Shakespeare — L’Angleterre »

Il est très anglais, trop anglais ; il est anglais jusqu’à amortir les rois horribles qu’il met en scène quand ce sont des rois d’Angleterre, jusqu’à amoindrir Philippe-Auguste devant Jean-sans-Terre, jusqu’à faire exprès un bouc, Falstaff, pour le charger des méfaits princiers du jeune Henri V, jusqu’à partager dans, une certaine mesure les hypocrisies d’histoire prétendue nationale. […] Il est vrai qu’il met dans une gloire Aulu-Gelle et Restif de la Bretonne. […] Sans doute les aristocraties dirigeantes, qui mettent la nuit sur les yeux des masses, sont les premières coupables, mais, en somme, la conscience existe pour un peuple comme pour un individu, l’ignorance n’est qu’une circonstance atténuante, et quand ces dénis de justice durent des siècles, ils restent la faute des gouvernements, mais deviennent la faute des nations. […] L’Angleterre commence à épeler ce nom, Shakespeare, sur lequel l’univers lui a mis le doigt. […] Nous ajoutons que dans le décor représentant Saragosse (deuxième acte de Hernani) il fut interdit de mettre aucun clocher ni aucune église, ce qui rendit la ressemblance difficile, Saragosse ayant au seizième siècle trois cent neuf églises et six cent dix-sept couvents.

976. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « X. M. Nettement » pp. 239-265

Ce burin de l’histoire qui coupe dans le bronze, et qui quand on écrit sur les choses contemporaines, trouve sous ce bronze le sang des amours-propres qui se met subitement à couler, ce burin tranchant, il ne s’en sert pas, et ce sang des amours-propres l’épouvante. […] Classer Courier, le descendre, le mettre à terre, où il est bien, car c’est là sa place, ne demandait donc pas un effort grandiose, mais il n’en était pas de même pour Béranger, dont la gloire s’est mieux conservée, et en qui, comme poète, tant d’esprits, dupes sans doute des premières admirations de la vie, croient encore. […] « Vous avez mis — lui écrivait cet atroce railleur qu’il ne nomme pas — vous avez mis la sympathie à la place de la controverse. » Et le mot est vrai dans sa flatterie cruelle. […] Nettement, dans son Histoire de la Littérature sous le Gouvernement de Juillet, n’a mis que de la sympathie partout où il aurait dû mettre de la discussion, de la justice, de la sévérité. […] de carte de visite à mettre chez personne.

977. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre I. La quantité des unités sociales : nombre, densité, mobilité »

La quantité des individus, telle est donc la condition la plus générale de l’existence des sociétés : et la première de leurs formes à prendre en considération sera leur grandeur ou leur petitesse, c’est-à-dire le nombre plus ou moins grand des hommes qu’elles mettent en relations. […] Comme le télégraphe met le préfet dans les mains du ministre, il met le député dans les mains du comité. […] L’individu, dont l’influence personnelle n’est plus qu’un élément imperceptible de la volonté sociale qui imprime au gouvernement sa direction, se replie en quelque sorte sur lui-même et met au-dessus de tout sa liberté propre. […] Les « qualités » de toutes sortes avec lesquelles ils se présentent à notre jugement nous empêchent de les mettre aisément sur un pied d’égalité, pour mesurer justement leurs facultés ou équilibrer leurs droits. […] Et c’était Thiers qui se trompait en déclarant que deux morceaux de fer mis à côté l’un de l’autre ne changeraient pas grand-chose au monde.

978. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

Je regrette que, outre les six ans, il n’y ait pas mis un peu de génie. […] Thierry au sujet de la mise en scène de Nicomède. […] Mais nul ne pouvait mettre un nom sur ce froc ; évidemment, il n’était pas du pays. […] Au lieu de mettre le feu au bout de la traînée de poudre qui doit, insensiblement, déterminer l’explosion, il met le feu au baril même. […] Je n’ai pas mis de philosophe sous mes châtaigniers ?

979. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Études sur Blaise Pascal par M. A. Vinet. »

Cousin par son célèbre Mémoire qui mettait l’ancien texte en question, M. Faugère par son Édition nouvelle, d’autres encore, ont ouvert une controverse à laquelle ont pris part les critiques étrangers les plus compétents : Néander à Berlin, la Revue d’Édimbourg par un remarquable article de janvier 1847277, sont entrés dans la lice : il n’a pas fallu moins que la Révolution de Février pour mettre fin au tournoi. […] Vinet et à ses amis, et que les théologiens protestants ont volontiers accueillie, c’est que les Pensées de Pascal, dans l’état où les a mises la controverse récente, et ramenées plus que jamais à l’état de purs fragments grandioses et nus, sont par là même plus propres à un genre de démonstration chrétienne qui prend l’individu au vif, et peuvent devenir la base d’une apologétique véritable, tout entière fondée sur la nature humaine. […] Vinet, que j’ai peut-être le droit de mettre ici une lettre de lui, la première que j’ai reçue et qui m’est si honorable.

980. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VII. Éducation de la sensibilité »

Il y a toute une éducation de la sensibilité, qui met de l’ordre et des nuances dans le chaos des émotions, qui surtout rend nettes et perceptibles les impressions confuses et faibles, qui développe le tact de l’âme, et fait qu’au plus léger attouchement elle frémit de joie et de peine, enregistrant les moindres phénomènes comme un instrument délicat. […] Il en de si peu naturel aussi que de vouloir mettre toute son âme, tout son esprit dans chaque mot. […] Aussi voyait-on autrefois que des femmes à qui l’on n’avait appris que le catéchisme et des révérences, des gentilshommes qui ne savaient que danser et se battre, mettaient fort mal l’orthographe, mais avaient plus d’idées et un meilleur style que bien des académiciens de notre temps. […] On y emmagasine, tout comme dans un vaisseau, le plus de choses dans le moindre espace qu’on peut : il ne s’agit pas de mettre en usage cette lourde cargaison, mais seulement de l’amener au port où l’on s’en décharge pour jamais : je veux dire à l’examen, après lequel on se hâte d’oublier ce qu’on s’était hâté d’apprendre.

981. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Contes de Noël »

» Bref, il met Colette dans un fiacre et rentre chez lui, rêveur. […] Elle fricote le boudin et la saucisse dans un petit poêlon sur une lampe à essence… Puis ils se mettent à table… Elle lui raconte son histoire (que vous devinez) ; elle s’attendrit en la racontant ; et ses larmes tombent sur le boudin… M.  […] Elle vient tous les samedis, et aussi la veille des fêtes, parer l’autel, mettre en ordre les vêtements sacerdotaux. […] On se met à sa recherche, et Méniquette finit par le découvrir, blotti sous la remise, derrière une charrette, sanglotant et grelottant.

982. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bayle, et Jurieu. » pp. 349-361

Ce qui lui en donna l’idée, ce fut la crainte que ses frères persécutés ne missent un obstacle à leur retour par leurs cris éternels contre la France & contre le roi. A son départ pour la cour d’Hanovre, dans laquelle il fut retenu longtemps, il laissa son Avis aux réfugiés entre les mains de Bayle, qui le fit imprimer de son consentement, mais avec la précaution de ne point mettre de nom d’auteur à la tête du livre, ainsi qu’ils en étoient convenus. […] « Cet écrivain, jaloux de tout, disoit Bayle, n’a pu me le pardonner. » Ces paroles paroissent décider la question ; mais elles ne sont fondées que sur le rapport d’un anonyme, qui assure qu’on avoit souvent mis Bayle sur le chapitre des démêlés éclatans des deux plus célèbres refugiés François, qui s’étoient donnés auparavant des louanges réciproques dans leurs ouvrages. […] Tout l’esprit de ce grand homme peut être mis dans un seul volume.

983. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 40, si le pouvoir de la peinture sur les hommes est plus grand que le pouvoir de la poësie » pp. 393-405

Ils tirent leur force du rapport que la nature elle-même a pris soin de mettre entre les objets extérieurs et nos organes, afin de procurer notre conservation. […] C’est la nature elle-même que la peinture met sous nos yeux. […] La tragédie de Racine met sous nos yeux plusieurs instans de cette action, et ces differens incidens se rendent réciproquement les uns les autres plus pathétiques. […] Enfin quelques peintres des plus modernes se sont avisez de placer dans les compositions destinées à être vûës de loin, des parties de figures de ronde bosse qui entrent dans l’ordonnance et qui sont coloriées comme les autres figures peintes entre lesquelles ils les mettent.

984. (1897) L’empirisme rationaliste de Taine et les sciences morales

Si nous voulons les comprendre, il nous faut sortir de nous-mêmes, nous mettre à leur école, apprendre d’elles ce qu’elles sont, c’est-à-dire recourir à l’observation et à l’expérimentation. […] Sous couleur de positivisme, ils mettent partout le mystère. […] Sans condamner la raison à abdiquer, sans même assigner de bornes à ses ambitions dans l’avenir, il la met en défiance contre elle-même. […] La morale est une réalité vivante et agissante ; c’est un système de faits donnés ; en faire l’étude du point de vue de la science *, ce n’est pas chercher à la mettre d’accord avec telle ou telle doctrine métaphysique, c’est l’observer telle qu’elle est et tenter de l’expliquer.

985. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « IV »

Si l’on trouve que c’est là enseigner à réparer de vieux souliers et à mettre des semelles neuves », c’est que nous n’avons pas la même langue, ou que l’on tient réellement, comme il nous le reproche, « à duper les ignorants ou les imbéciles ».‌ […] Nous répétons à satiété, dans le chapitre qu’on a si mal lu, que l’imitation consiste à «  s’approprier  pour le traduire autrement, ce qu’il y a de beau dans un auteur, les conceptions et les développements d’autrui, et à les mettre en oeuvre suivant ses qualités personnelles et sa tournure d’esprit », et que « l’imitation est une continuelle invention  ». […] La manie de la contradiction est si aveuglante, que non seulement on ne voit pas dans nos ouvrages ce que nous y avons mis, mais on y découvre à chaque instant ce qui n’y est pas. […] Quand nous disons : « Modifiez tel mot, changez telle image, mettez de la couleur, exprimez autrement ce qui est banal, remplacez les clichés, donnez du relief, de la vie, etc. », c’est comme si nous disions : « Il y a dans votre style choses qui ne sont pas bonnes parce qu’elles ne sont pas assez senties.

986. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hebel »

À sa mort, en 1826, quand on porta en terre cet homme heureux, on ouvrit dans le cimetière encore une fois son cercueil pour mettre une dernière couronne de lauriers sur ses cheveux gris. […] À la profondeur de son sentiment, à la teinte passionnée de ses superstitions, à la couleur de sépia répandue dans ses poèmes et qui rappelle la vieille « Aikie », la vieille enfumée, on reconnaît dans Burns cette virginité du génie que Dieu met sous la garde de l’ignorance pour les plus aimés de ses poètes, et que Hebel — littéraire d’habitude, de sentiment, d’horizon, comme La Fontaine lui-même, — n’avait pas. S’imagine-t-on bien ce qu’aurait été La Fontaine, s’il n’avait pas trempé sa galette gauloise dans le miel du mont Hymette et le vin mis en amphore sous Périclès ? […] « Un doux éclat de soleil couchant — nous dit-il plus loin, avec ce sentiment de poète qui sent la poésie dans les autres, — rayonne de l’âme de Hebel, pure et tranquille, et teint de rose toutes les hauteurs qu’il fait surgir. » Et Jean-Paul ajoute cette phrase mélodique et enchantée du ranz des vaches que son imagination pastorale jouait toujours : « Hebel embouche d’une main la trompe alpestre des aspirations et des joies juvéniles, tout en montrant, de l’autre, les reflets du couchant sur les hauts glaciers, et commence à prier quand la cloche du soir se met à sonner sur les montagnes. » De son côté, Goethe, ce grand critique, ce grand esprit lymphatique, ce Talleyrand littéraire qui fait illusion par la majesté de l’attitude sur la force de sa pensée, cet homme que l’on a cru un marbré parce qu’il en a la froideur, Goethe, ce blank dead, comme l’appelleraient les Anglais, ce système sans émotion et dont le talent fut à froid une combinaison perpétuelle, disait de cette voix glacée qui impose : « L’auteur des poésies allemaniques est en train de se conquérir une place sur le Parnasse allemand.

987. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Erckmann-Chatrian » pp. 95-105

Le succès de L’Illustre Docteur Mathéus a mis en verve Erckmann-Chatrian ; car Erckmann-Chatrian a eu du succès chez ce public qui aime mieux les lithographies que les gravures.   […] D’un autre côté, la Critique, qui doit tenir compte de tout, n’a pas de pistolet à mettre sur la gorge pour forcer un homme à avoir du génie, et presque tous, quand nous n’avons pas du génie, nous commençons par l’imitation en toutes choses. […] Ce n’est pas tranquillement se mettre entre les jambes, au coin du feu ou d’un pot de bière, l’honnête rotin de l’imitation laborieuse qui a servi à faire du chemin, comme un bon bâton qu’il est, mais à pied ! […] Nous ne parlons pas du Sacrifice d’Abraham, une grande diablesse d’histoire dont Rembrandt est le héros, laquelle n’a pas de raison pour être plutôt dans ce volume que dans tout autre volume de nouvelles, et qui en aurait une que je sais bien de n’y être pas… Enfin, dans les Contes de la montagne, où l’auteur se détire de son fantastique et commence de s’en dégager, vous ne trouverez que deux contes de cette espèce : Le Violon du pendu et L’Héritage de mon oncle Christian, aussi faibles d’ailleurs que tout le reste ; car pour le Conte qui a presque proportion de roman, et qui envahit, à lui seul, tout le volume, ce très beau Conte de Hugues-le-Loup, je ne le mets point parmi les tentatives fantastiques de l’auteur, malgré la donnée somnambulique qui en fait le dénouement et qui a été si rabâchée depuis Shakespeare, mais je le place plutôt parmi les autres récits, où le talent d’Erckmann-Chatrian, son talent réel et lumineux, — son talent antifantastique — s’est montré avec le plus de suite et d’éclats.

988. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXVII » pp. 153-157

Mettez quatre cents en tout, et vous aurez le grand maximum de ce flot de royalisme. […] Dans son poëme de la Mort de Socrate, on a remarqué que lorsqu’il était embarrassé de transitions, il mettait des blancs et des pages de points. — Eh bien, il fait de même dans ses exposés politiques, et, quand il arrive à la portion positive, organique, à l’indication précise des voies et moyens, il met des points et passe outre.

989. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLI » pp. 167-171

. — Quant à ce malheureux chiffre, j’hésite toujours : « Mettez 800, mettez 1000 ; qu’est-ce-que cela fait, une centaine de plus ou de moins, en présence d’une masse de tant de millions d’hommes ?  […] Dupaty, a fait une motion afin de se mettre d’autant plus en avant pour Molière, lequel, en son temps, n’était pas de l’Académie.

990. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Avertissement de la première édition »

Avertissement de la première édition Je continue de mettre ordre de mon mieux à ce que j’appelle mes affaires littéraires. […] On n’obtient rien des poètes que par l’extrême louange : Homère, le plus grand de tous, le savait bien, lui qui, au livre VIII de l’Odyssée, fait dire par Ulysse au chantre Démodocus, pour lui demander un chant : « Démodocus, je te mets sans contredit au-dessus de tous les mortels ensemble, car c’est la Muse elle-même qui t’a enseigné, la Muse, fille de Jupiter, ou plutôt Apollon… » Ce compliment de début est de rigueur auprès des poètes, depuis Homère et Démodocus jusqu’à… jusqu’à tous ceux de nos jours. […] J’ai dû mettre çà et là des correctifs, je n’ai pas eu à faire de rétractation.

991. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 527-532

Personne n’a plus que lui réuni l’abondance des idées & des raisonnemens, la plénitude du savoir & de la raison, aux richesses de l’expression à la variété des tours, & sur-tout à ce sentiment intime qui sait mettre la justice & la vérité dans tout leur jour, les faire aimer même de ceux qu’il combat. […] Les événemens les plus compliqués, les incidens les plus accumulés, les difficultés les plus épineuses, se simplifient sous sa plume, & offrent un plan net & précis, qui met à portée de suivre l’Orateur sans fatigue & sans contention. […] S’appliquer de bonne heure à la lecture des Historiens & des Philosophes, pour apprendre des premiers l’origine & l’usage des loix, des seconds, la maniere de penser & de raisonner ; tels furent les moyens qu’il jugea propres à le mettre en état de fournir une carriere où l’esprit ne sauroit se soutenir lui seul.

992. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Étienne Dolet, et François Floridus. » pp. 114-119

Il fut mis en prison à Toulouse, l’an 1553, pour un discours qu’il eut l’audace d’y débiter contre le parlement & contre la nation Toulousaine, qu’il taxoit d’ignorance & de barbarie. […] Jean-Baptiste de Crosilles, prêtre & traducteur des épitres héroïdes d’Ovide, fut exilé & mis au cachot, pour s’être marié après sa prêtrise. […] Jacques du Lorens, avocat au présidial de Chartres, fut mis à l’amende, pour avoir fait des satyres contre les juges. » On peut ajouter à cette liste le célèbre Vanini, qui, pressé, avant qu’on le jettât au feu, de demander pardon à dieu, au roi & à la justice, répondit : Je ne connois point de dieu, je n’ai jamais offensé le roi, & je donne la justice au diable, s’il y en a.

993. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Le père Bouhours, et Barbier d’Aucour. » pp. 290-296

Il mit le comble à sa gloire, par la manière de bien penser dans les ouvrages d’esprit ; livre très-utile aux jeunes gens, pour leur former le goût, & leur apprendre à fuir l’enflure, l’obscurité, les pensées fausses & recherchées. […] Cependant elle ne le met point au rang de ses grands hommes. […] On raconte qu’ayant voulu mettre, dans toute la délicatesse & dans toute la pureté de la langue, un sermon de Bourdaloue, & que le lui ayant rapporté avec les changemens, Bourdaloue, ce génie mâle & rapide, fut tellement indigné de voir son ouvrage défiguré, qu’il le jetta par terre, & protesta qu’il ne prêcheroit de sa vie, s’il falloit qu’il le fît dans un goût si misérable & si puérile.

994. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

Le jour où Louis XIV donna des pensions aux gens de lettres, au nom de l’Etat, il les mit hors de servitude. […] Le commerce des femmes y mit le charme qui lui est propre. […] Louis XIV se mit du côté de Molière contre tous ceux qui n’avaient pas cette science, ou qui ne se réglaient pas sur cette raison. […] Louis XIV n’a fait ni Molière ni Racine, mais il les a mis dans leur naturel et leur vérité. […] De peur que Louis XIV ne s’y méprît, il l’avertit qu’il mettrait des conditions à ses louanges.

995. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

Il met un abîme entre l’âme et le corps, un abîme entre l’homme et Dieu. […] On rirait d’un cordonnier qui voudrait mettre le même soulier à tous les pieds. […] Mettons le marteau dans les théories, les poétiques et les systèmes. […] On a mis la mémoire à la place de l’imagination. […] La scène romantique ferait un mets piquant, varié, savoureux, de ce qui sur le théâtre classique est une médecine divisée en deux pilules.

996. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

On met de l’amour-propre à tout, et les peuples, comme les individus. […] Ces chansons étaient rimées à la vérité ; c’était le cachet moderne mis sur l’idiome antique. […] C’est la vie du moyen âge mise en action ; c’est la garde d’honneur de la féodalité. […] Enfin, on met à la voile pour se rendre à Corfou. […] Joinville et Thibaut vous mettront au milieu de la France.

997. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Puis-je d’abord mettre d’un côté la blancheur et de l’autre la couleur ? […] Mettons cette opinion à l’épreuve des faits. […] Ce serait mettre les élèves à la vraie école de la nature. […] L’art se met-il aveuglément aux ordres de la religion et de la patrie ? […] S’il ne met pas sur la scène autant de caractères différents, ceux qu’il y met sont les plus grands qui puissent être offerts à l’humanité.

998. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

On mettrait bien du temps à devenir misanthrope si l’on s’en tenait à l’observation d’autrui. […] Le cavalier n’a qu’à se laisser porter ; encore a-t-il dû se mettre en selle. […] Elle ne pouvait pas vouloir que cette extension allât jusqu’à mettre en danger la structure originelle. […] Sur chacun d’eux l’historien suffisamment renseigné mettrait un nom propre. […] Tout le monde se mettra d’accord sur ce point.

999. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Cette généalogie le met en extase. […] Souday, quand il voyage en Amérique, met de l’eau dans son whisky. […] (je mets entre crochets les phrases contestables qu’il serait trop long de discuter.) […] La musique de Gounod l’aura peut-être mise à la portée d’un plus grand nombre. […] (mon distingué correspondant ne croit-il pas que le reporter avait mis là beaucoup plus d’humour qu’il ne pense ?)

1000. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Il ferma les commentateurs et les critiques, et se mit à étudier les originaux, comme on l’avait fait à la renaissance des lettres. […] Les vanités nationales ont été soutenues par la vanité des savants qui mettent leur gloire à reculer l’origine de leurs sciences favorites. […] Quand les jugements de la religion se régularisèrent, les coupables furent dévoués, anathématisés ; sur cette sentence, ils devaient être mis à mort. […] On vit les rois catholiques revêtir les habits de diacre, mettre la croix sur leurs armes, sur leurs couronnes, et fonder des ordres religieux et militaires pour combattre les infidèles. […] Mais il sentit les inconvénients de cette méthode négative : d’ailleurs un revers de fortune l’avait mis hors d’état de faire des frais d’impression si considérables.

1001. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

Ich decke mit grosser Sorge an die bevorstehende Aufführung des Lohengrin in Hamburg, und wende mich daher an Sie als alten Bekannten, um moeglichen falles etwas Beruhigung zu erlangen. […] Theilen Sie mir doch nun mit, ob ich in den genannten Beziehungen etwas bernhigt sein darf ? […] So mag es mir wohl mit vielem gehen ; namentlich wenn der Kapellmeister die recitativischen Stellen nicht fest im Tempo nimmt. […] Also, gedenken Sie meiner, und erfreuen Sie mich bald mit einerrecht genauen Nachricht. […] C’est ainsi que Mussorgsky a mis en musique, mot par mot, un drame en prose de Pouchkin (sic), Boris Godounoff.

1002. (1913) La Fontaine « V. Le conteur — le touriste. »

Après les bons partis, les médiocres gens Vinrent se mettre sur les rangs. […] Il se met toujours, dans tous ses textes, de pair exactement avec son oncle. […] Il est vrai que les statues qu’on y a mises réparent en quelque façon les ruines de sa beauté. […] Je ne sais comment le statuaire n’y a point mis le prévôt Tristan [car, en vérité, il y a mis tout ce qui l’entourait pendant sa vie]. […] Donc, le goût pittoresque de Stendhal est très douteux ; mais Stendhal est incomparable lorsqu’il se met à causer avec son voisin de diligence, avec son voisin de bateau, avec l’homme qu’il rencontre en un café de Tours ou qu’il rencontre sur la place publique d’Orléans.

1003. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

« La France. — nous dit Villemain — n’entend pas déchoir du rang éminent où l’intelligence l’a mise en Europe. » Mais qui pense à faire déchoir le pays des vainqueurs de Sébastopol ? […] Comme Janin, Villemain n’a jamais mis l’effort de sa pensée que dans les artifices et les combinaisons du langage. […] … Casanova — si j’ai bonne mémoire — dit quelque part, en parlant de son adresse au pistolet, « qu’il ne mettrait pas dans· une porte cochère ». […] ce vaste essai, ouvert à deux battants sur Pindare, me rappelle cette porte cochère dans laquelle Casanova ne mettait pas. Et, en effet, Villemain n’y a rien mis non plus.

1004. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Il y a ce qu’on y met et il y a ce qui en sort. […] Zola les aborde à leur tour, avec ce pinceau qui se met dans tout, pour peindre tout. […] C’est le naturalisme de la bête, mis, sans honte et sans vergogne, au-dessus du noble spiritualisme chrétien ! […] Émile Zola, ne peuvent plus même être mis en comparaison avec l’auteur de L’Assommoir, cet Hercule souillé qui remue le fumier d’Augias et qui y ajoute ! […] Zola, qui a mis au monde ce Réalisme dont certainement il est maintenant la plume la plus intense.

1005. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Dans la composition du livre, très-inférieure de ce côté, il n’y a point de passé derrière les deux amants que l’auteur met en scène, et il les prend du pied même de leur intimité ; mais on ne sait qu’une chose, c’est leur vie commune. […] Feydeau ont pour mission de faire détester ; c’est le mariage, pour qu’on le maudisse, qui doit mettre le sceau à la destinée et à l’infortune de Daniel ! […] Sainte-Beuve, nous a donné récemment le spectacle de cette dernière grâce un peu tombante des pouvoirs, blasés ou séduits qui mettent une main protectrice sur quelque jeune épaule qui ne les soutient pas et qu’ils décorent. […] Après celle-là, autre description du couvent où l’on met Catherine, et des occupations des religieuses heure par heure. […] Mettre des théories quelconques dans un roman est encore une des manies de notre siècle.

1006. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Eugène Sue s’était proposé, dans ses romans, de démontrer, ou du moins de mettre en scène, le triomphe du mal. […] Tous les personnages mis en scène par M.  […] Guizot, après avoir mis la logique à la place de l’histoire, a oublié de mettre dans la logique le style qui aurait pu donner à l’exposition de ses idées de l’intérêt et de la vie. […] La plus belle page de Tacite, mise en scène, pourrait très bien ne produire qu’un effet assez médiocre. […] J’espère que cette esquisse mettra le public à même d’apprécier ce que signifie l’ingratitude littéraire.

1007. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

L’école poétique nouvelle avait été volontiers jusque-là religieuse, élevée, un peu solennelle, ou sentimentale et rêveuse ; elle se piquait d’être exacte et même scrupuleuse par la forme : il rompit d’emblée en visière à cette solennité ou à cette sensibilité, et se montra familier ou persifleur à l’excès ; il nargua le rythme et la rime ; il mit la poésie en déshabillé et fit Mardoche, suivi bientôt de Namouna. […] Il mettra à bas le monstre qui soulève de dégoût Florence, mais il sait bien aussi que ce jour-là où elle en sera délivrée, Florence se choisira un autre maître, et que Lorenzo n’en sera que plus honni. […] … », ce son matinal du cor, et qu’on mette en regard cet admirable et affligeant sonnet final, toute la carrière poétique d’Alfred de Musset m’apparaît comprise entre deux : gloire et pardon ! […] Poète qui n’a été qu’un type éclatant de bien des âmes plus obscures de son âge, qui en a exprimé les essors et les chutes, les grandeurs et les misères, son nom ne mourra pas, Gardons-le particulièrement gravé, nous à qui il a laissé le soin de vieillir, et qui pouvions dire l’autre jour avec vérité en revenant de ses funérailles : « Notre jeunesse depuis des années était morte, mais nous venons de la mettre en terre avec lui. » Admirons, continuons d’aimer et d’honorer dans sa meilleure part l’âme profonde ou légère qu’il a exhalée dans ses chants ; mais tirons-en aussi cette conséquence de l’infirmité inhérente à notre être, et de ne nous enorgueillir jamais des dons que l’humaine nature a reçus. […] Mais, on n’a pas voulu dire que le directeur de la revue, qui fut pendant quelques années l’administrateur très zélé du Théâtre-Français, n’ait pas songé à y mettre en œuvre le talent de M. de Musset ; ce qu’on a voulu dire, c’est que Mme Allan, qui avait joué le Caprice à Saint-Pétersbourg, le joua à ravir à Paris, et mît chacun en goût de telle friandise.

1008. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803 » pp. 2-15

L’Académie française a mis au concours l’Éloge de Chateaubriand, et elle a bien fait : c’est le plus grand sujet littéraire du xixe  siècle, et la mort l’a fixé et refroidi depuis un temps suffisant. Il n’y a pas de danger qu’on se méprenne sur ce mot Éloge : il ne saurait s’appliquer qu’au grand écrivain toujours debout et subsistant ; l’homme et le caractère sont dorénavant trop connus, trop percés et mis à jour pour que l’éloge puisse y prendre pied décidément, et quoique les appréciations de ce genre soient sujettes à de perpétuelles vicissitudes, quoiqu’il semble qu’en littérature et en morale les choses ne se passent point comme dans la science proprement dite et que ce soit toujours à recommencer, je pense toutefois qu’il y a, dans cet ordre d’observations aussi, de certaines conclusions acquises et démontrées sur lesquelles il n’y a pas lieu pour les bons esprits à revenir. […] « Je me suis convaincu depuis longtemps », m’écrivait à ce sujet un étranger qui sait à merveille notre littérature, « que, pour presque tout le monde, la vérité dans la critique a quelque chose de fort déplaisant ; elle leur paraît ironique et désobligeante ; on veut une vérité accommodée aux vues et aux passions des partis et des coteries. » Et, pour me consoler, cet étranger, qui est Anglais, ajoutait qu’une telle disposition à se révolter contre une entière vérité et sincérité de critique appliquée à de certains hommes et à de certains noms consacrés, était poussée plus loin encore en Angleterre qu’en France, où l’amour des choses de l’esprit est plus vif et fait pardonner en définitive plus de hardiesse et de nouveauté, quand on y sait mettre quelque façon. […] On a dû les mettre à l’index, ce qui, quant à moi, m’est parfaitement égal. […] alors, si on laisse la question de talent à part et à ne parler qu’au moral, il se gâta décidément ; il se plissa au front et au cœur d’un repli de plus ; il mit un dernier bouton, sauf à le faire sauter de temps en temps quand cela le gênait.

1009. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Victor Vousin. Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. »

En s’y reportant lui-même à son tour, en repassant sur ses anciennes traces, le maître vient d’y répandre la lumière qui est inséparable de sa plume comme de sa parole ; il n’a pu sans doute rendre à ces premiers canevas tout le développement et tout le souffle qui s’est évanoui avec l’improvisation même ; mais il a su y mettre partout la précision, la netteté, l’élégance, indépendamment de quelques riches et neuves portions dont il les a relevés ; il a su faire enfin de cette suite de volumes sérieux un sujet de vive et intéressante lecture. […] Cousin mit d’abord le pied dans la trace exacte de son respectable devancier ; il se rattacha comme lui à Reid, mais il n’était pas homme à s’y tenir. […] Royer-Collard était appliqué à se restreindre ; ce dernier mit toujours une bonne moitié de sa force à contenir l’autre moitié. […] Cousin de cette philosophie première, mais on sent qu’elle a des ailes. » Elle en eut en effet dès sa naissance ; dans ce premier Discours d’ouverture du 7 décembre 1815, où Reid très-amplifié apparaît comme un grand régénérateur et comme celui qui est venu mettre fin au règne de Descartes, dans ce Discours où éclatent à tout instant une parole et un souffle plus larges que la méthode même qui y est proclamée, on croit entendre encore les applaudissements qui durent saluer cette péroraison pathétique par laquelle, au lendemain des Cent-Jours et avant l’expiration de cette brûlante année, le métaphysicien ému se laissait aller à adjurer la jeunesse d’alors : « C’est à ceux de vous dont l’âge se rapproche du mien que j’ose m’adresser en ce moment ; à vous qui formerez la génération qui s’avance ; à vous l’unique soutien, la dernière espérance de notre cher et malheureux pays. […] Aucun de ces mots, aucune de ces formes si aisément habituelles de nos jours, ne se présente sous leur plume ; il semble vraiment qu’ils auraient, pour les trouver, à faire autant d’efforts que d’autres en devraient mettre à les éviter.

1010. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

L’Irlande, menacée d’une véritable mise hors la loi, a l’allure plus effervescente, plus insurrectionnelle que jamais. […] La dépendance étroite où l’on était du Père mettait toutefois obstacle à l’inspiration. […] Borel qui croit devoir mettre en tête de ses contes une biographie mortuaire sur un Champavert, avec lequel il identifie le Petrus Borel des Rhapsodies, de façon que, dans ce dédale de Champavert et de Petrus, le pauvre lecteur éperdu ne sait auquel de tous ces sosies se reprendre. […] La déclaration de la duchesse de Berri, qui n’a guère rien appris de nouveau aux personnes bien informées, atteste l’obstination presque violente qu’on a dû mettre à l’obtenir, et l’importance qu’on attachait à l’enregistrement solennel d’un tel aveu. […] Quel que fût le fond de cette brochure, quelle que fût la défaveur du moment, l’illustre écrivain représentait la liberté de la presse mise en cause dans sa personne.

1011. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. Troplong : De la chute de la République romaine »

Les Romains de la fin de la République avaient des institutions qui mettaient en jeu les mêmes facultés, les mêmes passions que nous avons vues à l’œuvre ; ils assistaient à des révolutions analogues ; les caractères soumis aux mêmes épreuves prenaient les mêmes formes ; et, en se transportant parmi eux au siècle de Cicéron, on pourrait, au premier abord, se croire encore parmi nous. […] Il fait voir la contradiction révoltante qu’il y avait à mettre sous la protection de Néron un poëme soi-disant écrit pour restaurer l’idée de République et de liberté : « Que si les Destins n’ont pas trouvé d’autre chemin pour frayer la route à Néron, s’écrie en commençant le poëte, si les règnes immortels et divins s’achètent toujours cher, et si pour assurer l’empire du Ciel à Jupiter, il fallait les horribles batailles des géants, alors, ô Dieux ! […] Lui qui, jusque là, et tant que la lutte engagée avec César avait laissé en doute lequel serait le maître, haïssait Pompée lui-même tout en le suivant : aussitôt après le désastre de Pharsale, il se met à le chérir, à l’adopter mort et à l’exalter, et il devient pompéien de tout son cœur. […] et ce droit au gouvernail peut-il impunément être mis sans cesse au concours de tous ? […] » et il a exécuté durant une suite éloquente de chapitres ce programme, il a mis en vigueur cette impitoyable devise, de manière à faire douter des résultats les plus évidents de l’histoire.

1012. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Préface de la seconde édition » pp. 3-24

si l’on partageait en deux ses phrases, si l’on les séparait de leur progression, de leur intérêt, de leur mouvement, et si l’on détachait de ses écrits quelques mots, bizarres lorsqu’ils sont isolés, tout-puissants lorsqu’on les met à leur place2 ? […] Enfin, comment peut-on imaginer que l’on mettra les sciences tellement en dehors de la pensée, que la raison humaine ne se ressentira point des immenses progrès que l’on fait chaque jour dans l’art d’observer et de diriger la nature physique ? […] Que restera-t-il donc à ceux qui mettent encore de l’intérêt aux progrès de la pensée, ou qui, se bornant même aux arts d’imagination, veulent exclure tout le reste ? […] » Je pourrais récuser une objection tirée de Virgile, puisque je l’ai cité comme le poète le plus sensible ; mais en acceptant même cette objection, je dirai que, lorsque Racine a voulu mettre Andromaque sur la scène, il a cru que la délicatesse des sentiments exigeait qu’il lui attribuât la résolution de se tuer, si elle se voyait contrainte à épouser Pirrhus ; et Virgile donne à son Andromaque deux maris depuis la mort d’Hector, Pirrhus et Hélénus, sans penser que cette circonstance puisse nuire en rien à l’intérêt qu’elle doit inspirer. […] Je défie qu’on cite une seule idée de cet ouvrage que j’aie mise dans le mien, excepté le système de la perfectibilité de l’espèce humaine, qui heureusement n’appartient pas plus à moi qu’à Godwin.

1013. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre premier. Pour faire des Tragédies qui puissent intéresser le public en 1823, faut-il suivre les errements de Racine ou ceux de Shakspeare ? » pp. 9-27

Le spectateur, quand il n’est pas un pédant, s’occupe uniquement des faits et des développements de passions que l’on met sous ses yeux. […] C’est bien pis, si l’on se met à vouloir juger des vers d’une tragédie. […] Vos sentiments ne sont pas quelque chose de matériel que je puisse extraire de votre propre cœur, et mettre sous vos yeux pour vous confondre. […] Le Romantique était poli ; il ne voulait pas pousser l’aimable académicien, beaucoup plus âgé que lui ; autrement il aurait ajouté : Pour pouvoir encore lire dans son propre cœur, pour que le voile de l’habitude puisse se déchirer, pour pouvoir se mettre en expérience pour les moments d’illusion parfaite dont nous parlons, il faut encore avoir l’âme susceptible d’impressions vives, il faut n’avoir pas quarante ans. […] Ce qu’il y a de pis, c’est que nous mettons de la vanité à soutenir que ces mauvaises habitudes sont fondées dans la nature.

1014. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre III. Les dieux »

La raison développée depuis dix-huit cents ans dans la nature humaine s’est établie par contre-coup dans la nature divine, et a tempéré la toute-puissance sans frein, le despotisme formidable que le spectacle du désert et la roideur de l’esprit arabe y avaient mis. […] Nous ne sommes que des décorations et des matériaux ; nous n’avons point à réclamer contre la place où l’on nous met, ni contre l’emploi qu’on nous assigne. […] Boileau qui n’avait que du bon sens, mais qui en avait beaucoup, érigeait cette difficulté en règle et mettait les « mystères terribles de la foi chrétienne » à l’abri des entreprises littéraires. […] Il y eut une sorte de jargon grec et latin convenable au même titre qu’une perruque ; on employa Apollon et les Muses comme l’hémistiche et la césure ; on mit en oeuvre l’Amour et les Grâces comme les cédrats confits et les billets doux ; il y eut un dictionnaire mythologique comme un code du savoir-vivre, et les pauvres dieux antiques arrivèrent à cette humiliation extrême de servir de potiches et de paravents. […] L’Olympe grec n’est qu’une famille grecque, la plus belle que la Grèce ait jamais mise au jour.

1015. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VII. La littérature française et les étrangers »

L’Espagne, avec son Charles III qui a d’abord régné à Naples, le Portugal, entrent dans la même voie : dans ces pays, le gouvernement même se met à la tète du mouvement philosophique. […] Depuis que le marquis de Luzan a mis en castillan l’Art poétique de Boileau et le Préjugé à la mode de La Chaussée, la plupart des écrivains sont afrancesados : à la comedia nationale succèdent le drame larmoyant, la tragédie pompeuse, la comédie à la façon de Molière, ou plutôt de Destouches ou de Picard580. L’Angleterre s’est francisée autant qu’elle pouvait l’être : cela la met en état de nous rendre l’équivalent de ce que nous lui avons prêté. […] Mais ici encore, je crois, la pensée de nos philosophes a été chercher eu Angleterre plutôt des soutiens, des exemples, des vérifications que des principes et l’impulsion initiale : c’est chez nous et de nous surtout que les inventions particulières par lesquelles les Anglais avaient mis leurs intérêts intellectuels et matériels, privés et nationaux, dans les meilleures conditions qu’ils pouvaient, ont assuré la diffusion. […] La Russie se francise si bien sous Catherine II592, que de nos jours seulement la langue russe se mettra sur le pied d’égalité avec la langue française dans les cercles de l’aristocratie.

1016. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Boileau, loué à la même page que tel de ses plastrons ou de leurs proches, se plaint d’être mis en si mauvaise compagnie. […] Qu’un habile cuisinier la mette en ragoût, voilà le bon devenu le beau. […] Le bon mis en ragoût pour en faire le beau est un pire conseil que le vrai orné de Bouhours. […] Au dix-septième siècle, on le recommandait, sans y mettre la périlleuse condition de l’orner. […] « Préférer Virgile à Lucain, dit-il, et Cicéron à Sénèque, est un jugement qui, bien que vrai, ne suppose pas que l’homme qui le porte soit un homme d’esprit… C’est faire acte d’homme d’esprit que de préférer, même à tort, Sénèque à Cicéron et Lucainà Virgile16. » J’étais bien sûr que la doctrine du vrai orné et du bon mis en ragoût le mènerait à dire que le goût pour le faux marque plus d’esprit que la préférence pour le vrai.

1017. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

De tous les chroniqueurs, Jean Lorrain, monté à l’assaut de l’Événement, poussa le premier l’intrépidité jusqu’à mettre ses lecteurs dans la confidence du nouvel évangile. […] Jean Lorrain mettait donc les curiosités en éveil, mais il n’arrivait pas à dissiper toutes les préventions ; les lecteurs gardaient la peur d’être mystifiés. […] Elle mit en exposition l’œuvre des peintres, des sculpteurs et des ouvriers d’art ; elle s’occupa de sociologie, de musique. […] Elle ne mit pas, comme ses aînées, une coquetterie à exaspérer l’acheteur. […] À gauche, un piano rétif qui, chaque fois qu’on le met en branle, rappelle ces vers de Dubus : Je suis un piano usé Parce qu’il a trop amusé.

1018. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIII » pp. 378-393

Qu’on se figure, dans la position de madame de Maintenon, une femme d’un autre caractère : elle mettra en jeu tout ce que l’art de la galanterie aura de plus raffiné, d’abord pour nuire à sa rivale, ensuite pour plaire toujours plus qu’elle-même : elle disputera sa possession autant qu’il faudra pour en exalter le désir jusqu’à la passion. […] sur quel pied l’épouse légitime, la mère de l’héritier de la couronne, sera-t-elle obligée à vivre avec la femme coupable qu’un double adultère met dans les bras du roi ? […] Elle écrit à sa fille, le 29 avril 1676 : « La reine a été deux fois aux Carmélites avec Quanto (madame de Montespan).Cette dernière se mit à la tête de faire une loterie ; elle se fit apporter tout ce qui peut convenir à des religieuses ; cela fit un grand jeu dans la communauté. […] Mettez dans cela toute la grâce, tout l’esprit et toute la modestie que vous pourrez imaginer117. […] Enfin, sans rien demander de positif, elle lui fil voir les horreurs de son état, et la confiance qu’elle avait en sa bonté, et mit à tout cela un air qui ne peut venir que de Dieu.

1019. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Œuvres littéraires de M. Villemain (« Collection Didier », 10 vol.), Œuvres littéraires de M. Cousin (3 vol.) » pp. 108-120

En un mot, la confection et la constitution de la prose française depuis deux siècles est mise dans tout son jour. […] On n’a pas oublié les ravissantes pages qu’il a mises en tête de son étude sur Jacqueline, sœur de Pascal ; il y a tracé avec amour tout un projet de galerie brillante. […] Cousin de donner du prix aux pièces inédites qu’il découvre, aux moindres reliques philosophiques et littéraires qu’il publie ; il y met des cadres d’or. […] Oui, je crains par moments que le maître, avec son magnifique style, ne mette les colonnes du Parthénon comme façade à une école de Byzantins. […] Villemain appartient à notre temps par un certain souci et une certaine curiosité d’expression qui y met le cachet ; c’est un style, après tout, individuel, et qui ressemble à l’homme.

1020. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Guizot » pp. 201-215

Lui qui avait mis comme un bienfait peut-être une telle obscurité sous une telle gloire, n’a pas permis que cette gloire fût comme un flambeau qu’on retourne pour voir dans cette obscurité. […]mettrait-elle la flèche de ses condamnations quand elle ne sait pas ou qu’elle doute, cette seconde manière de ne pas savoir ? […] Guizot n’a point eu un de ces hasards d’érudition qui met en possession d’un texte ignoré, et il n’a pas non plus, à l’aide d’une critique supérieure, arraché aux chroniques des détails inaperçus. […] Elle pourra continuer de se faire les questions que Guizot s’est lui-même posées, sans pouvoir y répondre, sur ce qui met en branle le génie puissant de Shakespeare et fut ce que Newton appelait, avec une familiarité presque sublime, « le coup de pied de Dieu ». […] Né, lui, Shakespeare, le plus idéal des hommes par la beauté du génie et la délicatesse aristocratique de la sensation, dans une condition assez basse, fils de boucher, ayant peut-être tué lui-même et mis le sang des bêtes sur ces nobles mains qui devaient écrire Juliette, Desdémone, Cordélia ; — puis braconnier comme un libre fils de Robin-Hood, un chasseur trop ardent, un vrai Saxon du temps de Guillaume le Roux ; — puis, hélas !

1021. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Horace Walpole »

Il y a mis trop de friandise ou trop de sobriété. […] Dans la correspondance publiée par M. de Baillon, Walpole, entouré des plus délicieuses femmes de France, qu’il met, pour ce qu’il en veut faire, bien au-dessus des hommes de leur temps, n’en voit qu’une qui le fait rêver ou dont il voudrait rêver pour une nuit, et, le croira-t-on ? […] Charles Townsend, à lui seul, a plus de sel volatil que toute cette nation. » Et il ajoutait, plus galamment pour lui que pour nous : « Si j’ai la goutte l’année prochaine et si elle me met tout à fait à bas, j’irai à Paris pour me trouver à leur niveau. » Les hommes lui paraissaient inférieurs même aux femmes. […] Il sera compté dans la littérature épistolaire et mis très haut, j’ai dit pourquoi… Mais si haut qu’il soit mis parmi les épistoliers de son siècle, il en est trois — Voltaire d’abord, puis le prince de Ligne, et enfin Madame Du Deffand elle-même, — qui doivent passer bien avant lui.

1022. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Th. Ribot. La Philosophie de Schopenhauer » pp. 281-296

Mais les gens qui reviennent du Schopenhauer sont comme les gens qui reviennent des Grandes-Indes, et qui se mettent à les raconter… Or, comme on disait autrefois, parmi les romantiques, quand les classiques racontaient les choses les plus intéressantes de leurs tragédies, — par exemple, la mort d’Hippolyte ou les empoisonnements, de Locuste : — on aimerait mieux voir. […] Les gloires de ces messieurs sont courtes ; marionnettes vitement mises au sac. […] Elle lui avait mis sur l’esprit cette griffe qui pourrait bien être celle du Diable, puisqu’elle ne lâche point ce qu’elle accroche ; perseverare diabolicum. […] Ribot ; ceux qui veulent prendre rigoureusement la mesure du système de Schopenhauer peuvent recourir au commentaire qu’il nous donne sur sa philosophie, commentaire détaillé, technique, germanique et ennuyeux pour qui ne croit pas à la métaphysique et qui ne s’intéresse pas à la manière de jouer de ce jeu sans fin… Mais pour qui cherche dans les méditations de l’esprit la certitude et la sécurité intellectuelles, pour qui croit que la vérité n’a pas été placée par un être ou un ensemble de choses incompréhensiblement moqueur hors de la portée et de la main de l’homme, les différences de force cérébrale attestées par la différence des systèmes importent peu si les résultats sont les mêmes, s’ils viennent se rejoindre dans les mêmes négations et se briser contre l’Χ inconnu, qui, dans toutes les philosophies de l’heure présente, a été mis à la place de Dieu ! […] Ribot ne l’y a pas mis.

1023. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Roger de Beauvoir. Colombes et Couleuvres. »

Avant d’être un homme d’esprit, avant d’être un conteur intéressant, mouvementé, joyeux ou pathétique, avant d’être un auteur de comédie ou de drame, et même avant d’être Alfieri, avant d’être un Dandy en vers, qui met son gant comme lord Byron ou Moore, il était poète sincèrement, primesautièrement poète, en dehors de toute fausse étude et de toute École corruptrice ! […] Mais nonobstant, ce qui distingue, ce qui met à part ce dernier livre, c’est la sincérité, c’est la vérité de l’inspiration que l’on trouve au fond. […] Chez l’auteur de Colombes et Couleuvres, cette poésie humaine et vraie, qui prend sa source dans les sentiments éternels et que chaque poète exprime avec une voix différente, a une fraîcheur d’accent que rien n’a flétrie, et à laquelle se joint une morbidesse qui relève encore le charme de cette étrange fraîcheur… Autrefois, sous cette Monarchie qui mettait de la force dans les institutions et de la poésie dans les mœurs, le deuil de la cour était noir et rose. […] Et, malgré la mélancolie des années, qui met ses safrans sur le front du poète, il y boira toujours, dans cette « coupe rose », même les neiges de la vieillesse que l’Imagination saura bien changer en sorbets. […] L’autre jour encore, il publiait des vers adressés à un païen de la forme, dans lesquels les qualités exclusivement solides du rythme étaient mises en saillie avec luxe.

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