Un peintre peut donc passer pour un grand artisan, en qualité de dessinateur élegant, ou de coloriste rival de la nature, quand même il ne sçauroit pas faire usage de ses talens pour répresenter des objets touchans, et pour mettre dans ses tableaux l’ame et la vraisemblance qui se font sentir dans ceux de Raphaël et du Poussin.
On les blame de n’avoir pas senti qu’il étoit contre la raison, pour ne rien dire de plus fort, de se permettre en parlant de notre religion, la même liberté que Virgile pouvoit prendre en parlant de la sienne.
Ce qu’il n’y a pas ajouté, et ce qui était incommunicable, à moins de l’avoir tout d’abord senti, c’est un certain art et style poétique qui fait que, dans la lutte de poëte à poëte, indépendamment de la fidélité littérale, des beautés du même ordre éclatent en regard, et comme un prompt équivalent d’autres beautés forcément négligées. […] De près, il sentit le péril. […] De Styx et d’Achéron peindre les noirs torrents, ne lui paraissait pas du tout la même chose que s’il avait mis : Du Styx, de l’Achéron ; et il sentait juste. […] En voyant renaître ainsi la nature, on se sent ranimer soi-même ; l’image du plaisir nous environne ; ces compagnes de la volupté, ces douces larmes, toujours prêtes à se joindre à tout sentiment délicieux, sont déjà sur le bord de nos paupières. […] La poésie était morte en esprit, perdue dans le délayage et les fadeurs : nous l’avons sentie, nous l’avons relevée, les uns beaucoup, les autres moins, et si peu que ce soit dans nos œuvres, mais haut dans nos cœurs ; et l’Art véritable, le grand Art, du moins en image et en culte, a été ressaisi et continué !
Vous vous répondrez : C’est celui qui, au lieu de porter des décrets brefs, absolus, non motivés et souvent inintelligibles pour les sujets obligés de les exécuter, raisonne, discute, motive longuement et éloquemment, dans des préambules admirables, chacun de ses décrets, en fait sentir le motif, la nécessité, la justice, l’urgence, en un mot les fait comprendre afin de les faire ratifier par la raison publique. […] C’est une beauté morale, encore plus attrayante que celle de la tête de Platon, où l’on ne sent que la poésie et l’éloquence, divinités de l’imagination, tandis que dans la tête de Confucius on sent la raison, la piété et l’amour des hommes, triple divinité de l’âme. […] À trente ans, il déclara à ses parents et à ses amis qu’il se sentait dans toute la plénitude de forces que le ciel accorde aux hommes, et que « l’horizon de toutes les choses divines et humaines (la vérité) lui apparaissait enfin comme d’un point culminant d’où l’on voit l’univers ». […] « S’il sent qu’il ait assez de droiture et de fermeté pour remplir les grands emplois, il ne les refuse point quand on les lui présente ; il les reçoit avec actions de grâces, et fait tous ses efforts pour les remplir dignement.
Il suit de là que toutes les racines des familles diverses ont eu leur raison dans la façon de sentir des peuples primitifs et que tous les procédés grammaticaux proviennent directement de la manière dont chaque race traita la pensée ; que le langage, en un mot, par toute sa construction, remonte aux premiers jours de l’homme et nous fait toucher les origines. […] Comment saisir la physionomie et l’originalité des littératures primitives, si on ne pénètre la vie morale et intime de la nation, si on ne se place au point même de l’humanité qu’elle occupa, afin de voir et de sentir comme elle, si on ne la regarde vivre, ou plutôt si on ne vit un instant avec elle ? […] reprend le dur cartésien, ne savez-vous pas bien que cela ne sent point ? […] Ces aphorismes étant pour la plupart simples et de tous les temps, il n’y a pas de découverte à faire en morale ; l’originalité s’y réduit à une touche indéfinissable et à une façon nouvelle de sentir. […] M. de Maistre a dit très naïvement : « Pour sentir les beautés de la Vulgate, faites choix d’un ami qui ne soit pas hébraïsant, et vous verrez comment une syllabe, un mot et je ne sais quelle aile légère donnée à la phrase feront jaillir sous vos yeux des beautés de premier ordre. » (Soirées de Saint-Pétersbourg, 7e entretien.)
Mais ce que je tiens à faire saisir du lecteur, c’est à quel point ce projet de 1848 n’est vraiment rien que cela, rien qu’une mise en œuvre de traditions mythologiques ; car j’espère qu’ils sentiront alors très clairement combien différent est le second poème, celui que nous connaissons tous aujourd’hui, et qu’ils comprendront combien il y a de puérilité à ne voir dans ce dernier que des mythologies dramatisées, ou à faire de savantes recherches dans les Eddas et les Sagas sur « les origines de l’Anneau du Nibelung ». […] Ce sont ceux qui ont pour unique ambition de réaliser le désir exprimé par Wagner ; ce sont ceux qui ont senti « le penchant à l’aimer et le besoin de le comprendre » et qui, pour le satisfaire, ont étudié l’œuvre, comme elle veut l’être, ils n’ont pas voulu faire ce départ de l’artiste et de l’homme qui est aussi insensé que la séparation de l’âme et du corps » ; ils ont voulu connaître à fond cet artiste qu’« inconsciemment au moins et involontairement » ils aimaient comme homme ; ils ont étudié aussi bien ses écrits théoriques que ses œuvres d’art et aussi ce qui pouvait être connu de sa vie. […] On ne saurait s’imaginer une antithèse plus parfaite. — Mais qui, parmi les ennemis de la Revue, a senti et signalé ce défaut primordial ? […] Aujourd’hui, je suis heureux de me sentir aussi dépourvu d’illusions que de rancunes, et, négligeant nos divergences d’avis, d’ajouter quelques lignes au présent numéro — le dernier de la Revue. […] Se sentir si entièrement compris de si nobles âmes, n’est-ce point le rêve idéal, pour un artiste ?
Les journaux, les recueils périodiques, pullulèrent… Audin, du fond de cette arrière-boutique qui était un cabinet d’étude où veillait cette lampe de l’écrivain d’Athènes dont on sentait un peu l’huile dans ce qu’il écrivait, mais qui était parfumée, rédigeait et envoyait aux journaux royalistes du temps, et en particulier au Journal de Lyon, fondé par Ballanche, un grand nombre d’articles que les biographes, qui aiment à écouter tomber les feuilles que le vent emporte, disent avoir été remarqués. […] On sent là-dedans, il est vrai, un tempérament littéraire ; mais, encore une fois, s’il a vie, il n’est pas en possession de son organisation tout entière. […] Mais le livre de Southey, de ce Pindare artificiel, aux lauriers déchiquetés à la mécanique, plus capable de tracer une apothéose que d’écrire la vie épique et romanesque d’Horace Nelson, est bien pâle et bien inanimé auprès de cette Vie de Luther par Audin, aux tons vigoureux et transparents, et dont on sent, pour ainsi parler, battre les artères. […] Le moment, du reste, était favorable ; la République de 1848 s’épanouissait, cette république du Paupérisme qui n’a pas encore dégoûté les bourgeois de leur idéal économique : augmenter le nombre des consommateurs sur la terre, Pour qui sentait en soi saigner l’histoire, il était presque doux de se dérober aux atteintes des spectacles qu’offrait la France. […] Hormis dans ses récits, où l’on sent, à certaines touches profondes, que le cœur de l’historien connaît les épreuves dont le talent, pour être grand, a besoin comme la sainteté, Audin ne trahissait rien du mal intérieur de toute vie.
C’est une erreur manifeste, & que ceux mêmes qui paroissent l’insinuer ou la répandre ont sentie : la définition que les auteurs du dictionnaire de Trévoux ont donnée du mot gallicisme, & celle que M. du Marsais a donnée du mot anglicisme, en fournissent la preuve. […] Mais on sent bien qu’aucun mot ne peut être le type essentiel d’aucune idée ; il n’en devient le signe que par une convention tacite, mais libre ; on auroit pu lui donner un sens tout contraire. […] M. du Marsais paroît avoir senti cet inconvénient, dans le détail qu’il fait des figures de construction aux articles […] Quoi qu’il en soit, on sent à merveille que la diversité des cinq tons qui varient au même son, doit mettre dans cette langue une difficulté très-grande pour les étrangers qui ne sont point accoutumés à une modulation si délicate, & que leur oreille doit y sentir une sorte de monotonie rebutante, dont les naturels ne s’apperçoivent point, si même ils n’y trouvent pas quelque beauté. […] La traduction littérale fait sentir la différence des deux langues.
Il paraît que c’est la grande désolation des petits marchands qui se retirent du commerce, de ne plus sentir sur leur ventre le flux et le reflux de la monnaie, du gain sonnant et brinquebalant, qu’à la fois, on palpe et on écoute. […] C’est comme une feuille de papier blanc qu’on aurait dans la tête, et sur laquelle la pensée, non encore formée, griffonnerait de l’écriture vague et illisible… Et les lassitudes mornes, et les désespoirs infinis, et les hontes de soi-même de se sentir impuissant dans son ambition de création. […] Leur visage ne dit, n’exprime rien ; on sent qu’il fait le mort. […] vous voyez les yeux lentement se soulever, et l’on se sent dans le dos, jusqu’à la porte, les regards de toutes ces femmes dardés sur vous, en une curiosité méchante. […] Aujourd’hui elle se sent entre hommes, et se livre et s’abandonne, et est vraiment charmante.
Comme ces pièces premières de Lamartine n’ont aucun dessin, aucune composition dramatique, comme le style n’en est pas frappé et gravé selon le mode qu’on aime aujourd’hui, elles ont pu perdre de leur effet à une première vue ; mais il faut bien peu d’effort, surtout si l’on se reporte un moment aux poésies d’alentour, pour sentir ce que ces élégies et ces plaintes de l’âme avaient de puissance voilée sous leur harmonie éolienne et pour reconnaître qu’elles apportaient avec elles le souffle nouveau.
En français, nous n’avons rien eu de tel, et d’autres inconvénients se sont faits sentir dans la poésie.
On y ferait à chaque pas, en se baissant, son butin de moraliste : « Chaque femme se croit volée de tout l’amour qu’on a pour une autre. » — « Madame Lauter, encore sur ce point, était comme toutes les femmes, — excepté vous, madame ; — elle ne plaçait l’infidélité que dans la dernière faveur. » — « On ne se dit : Je vous aime, en propres termes, que quand on a épuisé toutes les autres manières de le dire ; et il y en a tant que l’on n’arrive quelquefois à dire le mot que lorsqu’on ne sent plus la chose et que le mot est devenu un mensonge. » — « La justice du monde, comme la justice des lois, ne découvre presque jamais les crimes que lorsqu’ils n’existent pas encore, ou lorsqu’ils n’existent plus. » — Mais je m’arrête, de peur du sourire de l’auteur, pendant que je me baisse à ramasser ainsi les aphorismes qu’il sème en s’en moquant tout le premier : il me ferait niche par derrière.
Ce sont ces remerciements pour un service noblement rendu et universellement senti, que lui apportaient aujourd’hui les milliers de citoyens qui sont venus s’enquérir de son état à son domicile et dans nos bureaux.
d’autres rapports avec son poète que ceux qui viennent de l’analogie des natures et des manières de sentir.
Et le lendemain, votre bouche est amère, votre estomac brûlant, et vous sentez tout le prix de l’eau fraîche, des légumes au naturel, de l’odeur des fleurs des champs et de la simplicité !
J’y trouve une vive intelligence de l’histoire, une sympathie abondante, une forme digne d’André Chénier ; et je doute qu’on ait jamais mieux exprimé la sécurité enfantine des âmes éprises de vie terrestre et qui se sentent à l’aise dans la nature divinisée, ni, d’autre part, l’inquiétude mystique d’où est née la religion nouvelle.
Nous pensons qu’on peut sentir noblement dans toutes les langues et, en parlant des idiomes divers, poursuivre le même idéal.
Quoique depuis des années sa santé ne lui permît pas de prendre part à nos discussions, nous le sentions présent parmi nous ; tout absent qu’il était, nous recherchions son suffrage.
Voici ce qu’on dit de M. l’Abbé de Caveirac, dans la Réponse aux Docteurs modernes *, Ouvrage où l’éloquence se fait sentir, autant que le courage & la raison.
Les hommes véritablement supérieurs ne connoissent point la jalousie, & honorent d’autant plus le mérite dans les autres, qu’ils en sentent mieux le prix, & qu’ils en ont davantage eux-mêmes.
Jamais homme ne se sentit plus d’attrait pour la Littérature.
On sent très-bien quelle est la fin qu’un tel refus donnoit lieu d’espérer.
Rapprochez ces sujets des sujets chrétiens, et vous en sentirez l’infériorité.
Pour en sentir la différence, je les renvoie au Laocoon antique qui souffre et ne grimace point.
Cette Aurore est terne ; sa draperie ne la fait pas sentir, et ses chevaux sont gris et de pierre.
En Espagne, parmi les touffes des magnolias et de rhododendrons charnus, comme en les plaines de Lombardie, parmi les bosquets de citronniers, il se sentira aussi dispos qu’à l’ombre fraîche et violette du pommier natal. […] * * * De moins en moins, nous nous sentirons épris des paradoxes de cet écrivain, malgré leur attirante préciosité. […] Nous ne nous sentons ni élevés, ni amoindris. […] On sent, à la vibration éteinte de sa parole, la vieillesse de sa race. […] Chez Verlaine, qui méconnut toujours les sensations compliquées, les facultés de sentir restèrent incultes et vives, vierges de tout intempestif jardinage.
Tout en entrant, il déclare qu’il a fini d’écrire, qu’il publiera encore quelques nouvelles, mais qu’il ne publiera plus un volume, qu’il se sent complètement épuisé, vidé. […] On sent à ses yeux brillants, hallucinés, qu’il croit à son œuvre, et il y a du convertisseur dans ce cabotin, qui à l’heure qu’il est, a complètement conquis à ses idées, son père, un vieil employé de la Compagnie du gaz, où était également le fils, — son père, dans le principe, tout à fait rebelle à ses essais dramatiques. […] Au second tableau, quelques sifflets, et commencement du soulèvement de la pudeur de la salle : « Ça sent la poudre, j’aime ça ! […] Ce soir, pendant l’heure que je passe à l’Odéon, quelques sifflets, qu’exaspère l’apostrophe d’une jeune femme, assise aux fauteuils de balcon, jetant aux siffleurs : « Ils sifflent parce qu’ils se sentent capables d’en faire autant que Jupillon ! […] Et quand arrivé là dedans, le premier, et le feu allumé, il mettait la toque, et fumait une énorme bouffarde, il sentait monter en lui un orgueil d’homme fait, un orgueil incommensurable.
Mais il se fait sentir ; il conquiert les cœurs ardents et jaloux de se donner totalement. […] On y sent une pensée subtile et vaste, heureuse de s’introniser en cette forme légère et délicatement ciselée. […] Ils sentaient que le plus détaché d’entre eux se mettait encore dans des lisières terriblement positives en comparaison de toi et il leur arriva d’en abuser dans leurs jugements. […] Beau roman, éthique, qui sent souvent la confession, et parfois s’érige en nouveau décalogue. […] Son dernier roman : Le Voyage de Genève scintille comme un ciel d’été de mille étoiles d’esprit, on y sent tourner le globe du monde et battre le sang de l’homme.
Il faut lui pardonner d’avoir méconnu un genre de beautés qui ne pouvait être bien senti que par les plus fins connaisseurs. […] Cette ville, voisine de la Grèce, imbue des mœurs grecques, idolâtre des arts scéniques, lui paraissait plus faite que Rome pour sentir tout son mérite. […] Cette victoire d’Auguste n’est peut-être pas plus difficile ni plus héroïque en elle-même que celle de Titus ; mais elle est plus brillante, plus magnifique et mieux sentie de tout le monde. […] Il semble que Racine était né pour éprouver des injustices, et pour les sentir bien vivement. […] Qu’y a-t-il, par exemple, de plus grossier que cette fable de l’Âne du Jardinier fleuriste, qu’Ésope débite à sa maîtresse pour lui faire sentir le prix de la vertu ?
La conscience, se réglant à son tour sur l’intelligence, regarde de la vie intérieure ce qui est déjà fait, et ne la sent que confusément se faire. […] Toute action vise à obtenir un objet dont on se sent prive, ou a créer quelque chose qui n’existe pas encore. […] Les premiers ne sentent guère que des mouvements, les derniers perçoivent de la qualité. […] Mais pour nous, êtres conscients, ce sont les unités qui importent, car nous ne comptons pas des extrémités d’intervalle, nous sentons et vivons les intervalles eux-mêmes. […] Incontestablement aussi, elle a senti que cette philosophie devait s’installer dans ce que nous appelons la durée concrète.
Les fleurs sentent bon ! […] Oui, les fleurs sentent bon, et cela leur suffit. […] Et Achille, songeant à son père, sent naître le besoin de pleurer. […] cette musique là-bas me transporte… Et la nuit sent bon ; et la lune est tellement souriante ! […] De l’envie, parce qu’elle sent bien que ces irréguliers sont plus forts qu’elle.
Je lus ce morceau, je me sentis piqué et je ripostai à l’instant par ce petit pastiche à la façon de La Bruyère, que j’envoyai immédiatement au Constitutionnel où il fut inséré le 3 février : [3 février 1864.]
L’héroïne du roman, Française de vingt-quatre ans, blonde au visage noble et animé, qui a quelque chose d’élégant, de modeste et de naturel dans toute sa personne, d’un abord parfois sévère, mais qui s’adoucit avec de la grâce et de la cordialité, telle enfin qu’on croit sentir en elle une âme à la fois aimable et forte, capable de grandes choses, mais sensible aux petites ; Thérèse de Longueville, au milieu des hommages dont elle est l’objet, et auxquels elle reste assez indifférente, ne tarde pas à distinguer Sextus, à le craindre d’abord (car d’anciens chagrins l’ont rendue prudente), puis à désirer de le revoir et de lui plaire.
Et c’est ainsi qu’en riant à ces folies, on se sent parfois tout près d’un très sincère et très avouable attendrissement.
Une fleur aperçue dans un terrain vague ou sur le rebord d’une fenêtre, à un étage proche du ciel, un coin joyeux du faubourg, un pauvre intérieur étudié d’un coup d’œil qui en fait sentir la noire misère, un enterrement par la pluie, tout est bon aux rêves du poète.
Il ne se sentait de niveau qu’avec les sommets.
Soulary possède à merveille la langue poétique de la Renaissance, et, grâce à l’emploi d’un vocabulaire très large, mais toujours choisi, il a trouvé moyen de dire, en cette gêne du sonnet, tout ce qu’il sent, ce qu’il aime ou ce qu’il n’aime pas, tout ce qui lui passe par le cœur, l’esprit ou l’humeur, son impression de chaque jour, de chaque instant.
si je n’avais d’autre doute que celui-là, comme je me sentirais léger !
Garasse se fait souvent sentir, que l’on est autorisé à lui attribuer celui-ci, jusqu’à ce que l’on ait des preuves plus solides du contraire.
La vraie source de sa réputation littéraire est sa Nouvelle Traduction en Vers des Géorgiques de Virgile Ouvrage qui lui fait autant d’honneur auprès des esprits capables de sentir les difficultés qu’il avoit à vaincre, qu’il eût pu en recueillir d’un Ouvrage de son invention.
Rigoley de Juvigny l'a obtenue cette estime & l'obtiendra toujours de quiconque sentira combien il est essentiel pour nous de conserver la gloire littéraire & la gloire nationale.
Et comme lorsque l’époux De Junon à-la-belle-chevelure Sent à faire briller l’éclair, Séparant ou la pluie Nombreuse, infinie, Ou la grêle, ou la neige, Quand du moins la neige Couvert d’une couche les champs A quelque part La gueule grande De la guerre amère ; De même Agamemnôn Gémissait fréquemment Dans sa poitrine Du fond du cœur ; Et les entrailles à lui Tremblaient intérieurement.
Et, pour tout dire enfin, ajoutons à ces qualités substantielles d’un ouvrage qui n’a pas la prétention d’en dire plus long qu’il n’est gros, quoiqu’il en dise beaucoup, que l’esprit qui l’anime est ce qu’il doit être, et qu’on y sent vibrer sympathiquement une âme à tous les coups qui frappent sur le grand cœur du Sacerdoce.
Les perdrix de Cyrrha qui se nourrissent d’ail sentent l’ail. […] Il avait senti l’aura. […] Quand on se sent triste, c’est-à-dire las et un peu déçu à ce moment suprême, on est mûr pour écrire sur l’amour. […] On y voit des signes de légèreté, d’incapacité à sentir le sérieux de la vie, et ce n’est pas toujours vrai. […] Il a des manières d’être vu, d’être touché, d’être senti.
Ceux-là, sans doute, suivent leur nature et font leur métier en détestant toute noble chose ; mais lui, l’écrivain, capable de sentir et d’admirer, il est sans excuse et disparaît déshonoré. […] L’énormité de cet outrage ne sera sentie que d’un petit nombre d’hellénistes. […] Sans doute, on a de la famille, comme Vallès, et on peut toujours l’assommer, faute de mieux, mais on a aussi des amis et c’est une douce consolation de les sentir à bonne portée, quand on est privé de la douceur de moudre le genre humain. […] L’imagination des peuples était saine alors, elle avait un excellent estomac et ne sentait le besoin d’aucun caviar esthétique. […] Une telle façon de sentir, évidemment, n’est pas de nature à produire une critique extrêmement vive dans le sens vulgaire et malveillant que l’on veut absolument donner à ce mot.
Voltaire avait senti cette faute énorme ; ses amis lui en avaient fait le reproche : comment croyez-vous qu’il élude une pareille objection ? […] J’ajoute qu’il y a dans la construction d’une fable tragique des défauts qu’il est presque impossible de faire sentir, sans qu’il se mêle à la critique un peu d’ironie. […] Rousseau pour la scène entre Mahomet et Zopire : Il fallait, dit-il, un auteur qui sentît bien sa force pour oser mettre vis-à-vis l’un de l’autre deux pareils interlocuteurs. […] Voltaire sentit le danger, et se hâta d’y remédier en habile homme qui savait conduire autre chose que des intrigues de tragédies ; il se fit écrire, par un de ses compères nommé La Lindelle, une lettre qu’on n’a pas négligé d’insérer dans ses œuvres ; le style en est assez déguisé pour qu’on n’y reconnaisse pas la plume de Voltaire. […] Voltaire a bien senti lui-même qu’il dégradait sa Sémiramis par des gémissements efféminés : autant il rabaisse la veuve de Ninus par des craintes et des douleurs indignes d’elle, autant il s’efforce à la relever par l’emphase et l’étalage d’un orgueil gigantesque ; ce qui forme un contraste des plus bizarres.
— Un homme d’esprit classique, mais qui l’est véritablement, et comme on l’était dans l’ancienne littérature, ayant lu la tragédie de Lucrèce, m’en faisait hier de grandes critiques ; il s’étonnait qu’on eût fait à cette pièce la réputation d’être classique comme on l’entendait de son temps ; il m’en citait des vers étranges selon lui, et d’autres qui sentent leur latinisme comme si l’auteur fût resté à moitié chemin en traduisant.
Sainte-Beuve (cela se sent bien) l’avait dicté tout entier à son secrétaire, Si l’on y remarque un peu de complaisance, c’est que M.
J’ai senti la terreur.
Chacun de ces poèmes contient le si peu de choses qu’il faut « pour encourager la beauté dans une âme », et il faut se laisser mener, s’abandonner entièrement pour la joie de comprendre en toute simplicité, et de sentir profondément toute la tranquille beauté, toute la silencieuse activité de l’âme du poète.
Le ridicule est toujours le viol d’une convention ou d’une convenance sociales — d’une manière générale de sentir et de penser ; et les Bas-bleus, avec leurs livres, leurs thèses et leurs affectations, ont tant bleui le monde, que le monde ne s’apercevra bientôt plus de la couleur de leurs bas !
Quelle fut l’influence profonde et que nous sentions sur nous, modernes, des travaux et de la personnalité intellectuelle de Juste Lipse, Scaliger et Casaubon ?
J’ai ouï dire seulement à plus d’un esprit convaincu et ferme, que penser de la sorte et à mesure qu’on s’élevait plus haut dans le monde de la raison, ce n’était pas se sentir inquiet et souffrir, c’était plutôt jouir du calme et de la tranquillité. […] Une grande Faculté s’est sentie atteinte. Les paroles bienveillantes de M. le rapporteur, entremêlées qu’elles étaient d’une nuance de blâme et de regret, n’ont pas suffi à la susceptibilité bien juste de la science, qui se sentait remise en question et comme assise sur la sellette. […] Un moraliste religieux, un ami de Chateaubriand et de Fontanes, un des hommes qui ont le mieux senti et pratiqué selon l’esprit le vrai christianisme, M.
La seconde, moins âgée d’un an, paraissait aussi réfléchie et moins timide ; elle avait l’air d’une pensée éclose tout fraîchement, mais qui jouit de se sentir, et qui dit à ses sœurs : « Voyez, comme ceci est semblable à ce que j’avais imaginé. » C’est ma seconde fille, me dit sa mère, elle sait par cœur tout ce qui intéresse votre famille ; dans le volume des Confidences, que nous avons lu en commun depuis que ce volume est tombé dans nos mains, votre mère, vos aimables sœurs, votre… Elle baissa la voix, craignant de faire saigner ma douleur, trop rapprochée de la perte ; les filles inclinèrent leurs fronts vers le gazon et nous restâmes un moment en silence. […] monsieur, ce titre est peut-être une preuve d’amour, mais non de sang ; le nôtre est bien humble, mais notre cœur est au niveau de tout ce que Dieu a créé pour sentir et aimer les belles choses. […] Aglaé tenait la bourse, Mathilde portait son volume des Confidences, et chacune de nous portait son petit paquet à la main, dans un foulard. » J’étais pénétré d’étonnement et de sensibilité : cela était dit si naturellement et si simplement qu’on n’y sentait pas l’ombre d’intention. […] Nous priâmes aussi, car nous nous sentions de la famille.
Mais il faut sentir surtout que d’Aubigné a trouvé l’une des plus riches sources de lyrisme qu’il y ait, un des sentiments les plus hauts, les plus universels par son objet que l’homme puisse exprimer un de ceux aussi qui prennent l’individu tout entier, et jusqu’au fond. […] Dès le début du siècle, la langue espagnole était familière à la plupart des gentilshommes et des dames : mais les livres pénétraient plus lentement, et ce n’est guère avant 1630 qu’on sent une forte action du génie castillan sur la littérature française. […] Au total, l’Espagne, comme l’Italie, recommandait à la France le goût effréné de l’esprit, le culte des formes les plus raffinées de sentir et de parler. […] D’Urfé l’avait déjà senti, et je l’ai fait remarquer plus haut.
Aussi faut-il voir de quels bravos enthousiastes on salue, entre autres points lumineux, le magnifique couronnement du premier acte, cette conclusion rayonnante à laquelle on tend, vers laquelle on se sent entraîné par la force supérieure du génie, amassée et décuplée au courant d’un acte entier : il y a là un effet inouï d’accumulation d’électricité musicale et tel qu’il faut, pour se le représenter, en avoir subi le choc. […] Wagner a écrit quelque part qu’on pouvait juger Tristan d’après les lois les plus rigoureuses qui découlent de ses affirmations théoriques, — tant il est sûr de les avoir suivies d’instinct, — mais il avoue qu’il s’était, en composant, affranchi de toute idée spéculative et qu’il sentait même, à mesure qu’il avançait dans son œuvre, combien son essor faisait éclater les formules de son système écrit. « Il n’y a pas, ajoute-t-il avec quelque nuance de regret, de félicité supérieure à cette parfaite spontanéité de l’artiste dans la création, et je l’ai connue en composant mon Tristan. » Il en fut de même, à ce qu’on peut croire, quand il termina l’Anneau du Nibelung, interrompu pour Tristan, et quand il écrivit les Maîtres Chanteurs et Parsifal. […] Il ne croyait pas dire aussi vrai quand il avouait « avoir oublié toute théorie en composant Tristan et Iseult et n’avoir senti que ce jour-là combien son essor créateur brisait les barrières de son système écrit. » Il faut le bien préciser : cette discussion est purement musicale et ne tend à prouver autre chose, sinon que, pour rendre l’amour en musique, il convient de s’en tenir aux « lieux communs de morale lubrique « dont parle Boileau. […] On a plaisir à relire le commentaire, d’une sincérité si touchante et en même temps d’une si charmante naïveté, écrit par le maître liégeois lui-même80, et qui commence ainsi : « on n’a peut-être pas remarqué combien de fois l’air de la romance est entendu dans le courant de la pièce, soit en entier ou en partie … » et finit par cette phrase : « il était aisé de fatiguer les spectateurs, en répétant si souvent le même air sans doute il fallait présenter cet air sous autant de formes différentes, pour oser le répéter si souvent ; cependant, je n’ai pas entendu dire qu’il fût trop répété, parce que le public a senti que cet air était le pivot sur lequel tournait toute la pièce. » En remarquant les différentes modifications de la Mélodie-mère, présentée tantôt en entier, tantôt en partie, tantôt derrière la scène, même sans accompagnement, et surtout les derniers mots de cette citation, vous seriez tenté de dire qu’il n’aurait fallu qu’un pas de plus (mais le pas décisif, définitif réservé à l’auteur de Lohengrin), pour que le véritable Leitmotiv, destiné à n’apparaître sur la scène qu’en 1865 (Tristan) fît déjà son entrée dans la musique dramatique en 1784.
Le titre sent le Guizot, et pourtant ce n’en est pas. […] Pendant tout son règne, qui fut un combat, une croisade incessante dans l’intérêt de l’Église, attaquée de partout par les mille bras du Protestantisme, il se sentait et se posait comme un second Pape devant le Pape. […] Cette faute, qui tenait pourtant au meilleur de l’âme de Philippe II, c’est-à-dire à son zèle pour la religion et la foi, cette faute immanente, que nous, catholiques, nous nous sentons la force de reprocher à sa mémoire, il est impossible que Forneron, malgré la modernité de ses opinions, ne l’ait pas, de son pénétrant regard, aperçue. […] On se sent Français à ce qu’on souffre, et l’on a honte pour ses pères !
Essayez, un moment, de vous intéresser à tout ce qui se dit et à tout ce qui se fait, agissez, en imagination, avec ceux qui agissent, sentez avec ceux qui sentent, donnez enfin à votre sympathie son plus large épanouissement : comme sous un coup de baguette magique vous verrez les objets les plus légers prendre du poids, et une coloration sévère passer sur toutes choses. […] On ne goûterait pas le comique si l’on se sentait isolé. […] Mais un défaut ridicule, dès qu’il se sent ridicule, cherche à se modifier, au moins extérieurement.
Toutes ces premières années de sa jeunesse se dérobent ; après avoir essayé sans succès de rentrer dans l’administration, il se livra décidément à l’étude, et à celle du grec en particulier, pour lequel il se sentait une vocation. […] Boissonade était de ceux qui se défient d’eux-mêmes, qui ne sont jamais plus contents et plus à l’aise que quand ils parviennent à penser et à sentir avec les pensées et les paroles des autres, soit celles des anciens, soit celles des illustres ou même des moindres d’entre les modernes. […] savoir le grec, ce n’est pas comme on pourrait se l’imaginer, comprendre le sens des auteurs, de certains auteurs, en gros, vaille que vaille (ce qui est déjà beaucoup), et les traduire à peu près ; savoir le grec, c’est la chose du monde la plus rare, la plus difficile, — j’en puis parler pour l’avoir tenté maintes fois et y avoir toujours échoué ; — c’est comprendre non pas seulement les mots, mais toutes les formes de la langue la plus complète, la plus savante, la plus nuancée, en distinguer les dialectes, les âges, en sentir le ton et l’accent, — cette accentuation variable et mobile, sans l’entente de laquelle on reste plus ou moins barbare ; — c’est avoir la tête assez ferme pour saisir chez des auteurs tels qu’un Thucydide le jeu de groupes entiers d’expressions qui n’en font qu’une seule dans la phrase et qui se comportent et se gouvernent comme un seul mot ; c’est, tout en embrassant l’ensemble du discours, jouir à chaque instant de ces contrastes continuels et de ces ingénieuses symétries qui en opposent et en balancent les membres ; c’est ne pas rester indifférent non plus à l’intention, à la signification légère de cette quantité de particules intraduisibles, mais non pas insaisissables, qui parsèment le dialogue et qui lui donnent avec un air de laisser aller toute sa finesse, son ironie et sa grâce ; c’est chez les lyriques, dans les chœurs des tragédies ou dans les odes de Pindare, deviner et suivre le fil délié d’une pensée sous des métaphores continues les plus imprévues et les plus diverses, sous des figures à dépayser les imaginations les plus hardies ; c’est, entre toutes les délicatesses des rhythmes, démêler ceux qui, au premier coup d’œil, semblent les mêmes, et qui pourtant diffèrent ; c’est reconnaître, par exemple, à la simple oreille, dans l’hexamètre pastoral de Théocrite autre chose, une autre allure, une autre légèreté que dans l’hexamètre plus grave des poètes épiques… Que vous dirais-je encore ?
Avant lui les Herder, les Jean de Muller, les Sismondi et d’autres avaient discuté, senti et développé les beautés du Cid héroïque : à M. […] Damas-Hinard une édition critique et une traduction française, est tout autre chose que la Chronique : c’est une œuvre de talent, une œuvre suivie et soutenue, naïve et forte, souvent admirable de détail ; on sent un poète dans le jongleur et le chanteur. […] » On sent, à tous ces noms et surnoms redoublés, tantôt terribles et tantôt caressants, dont on le salue, combien il est cher aux siens, à ces cœurs castillans dont il est l’orgueil.
La paraphrase sent ses Géorgiques. […] En un mot, il croit sentir toute une ironie de Virgile dans le fonds d’idées prêtées à Thyrsis. […] Ne sent-on pas le désir de renchérir à tout prix sur Corydon ?
Il n’a obéi à d’autre nécessité qu’à son goût personnel d’observer et d’écrire ; jusque dans ses productions les moins flatteuses on sent de l’aisance. […] Les mortelles leçons de ce père trop éclairé et inexorable d’expérience ne sont, selon moi encore, que trop vraies (je parle en général) ; c’est du La Rochefoucauld développé et senti, c’est du Machiavel domestique ; bien des pages du chapitre intitulé le Deuil ont même de certains accents de morose éloquence. […] Avec toute autre époque on peut, je m’imagine, éluder jusqu’à un certain point ; on emprunte quelque appareil de ce temps-là, quelques locutions qui sentent leur saveur locale ; on se déguise, on jette du drame à travers, et l’on paraît s’en tirer.
Nisard158 ; il s’en sentait tour à tour attiré ou repoussé, selon qu’il voyait son collaborateur des Débats, tantôt comme maître en talent, tantôt comme rival. […] Nisard, d’ailleurs, ne se sentait pas homme à accepter et à subir ainsi une influence prolongée. […] Dante l’a bien senti, lorsqu’il le place, non pas dans le groupe des poëtes païens au chant IV de l’Enfer, mais à titre de chrétien (ce qu’il suppose), dans deux chants à part du Purgatoire (XXI et XXII), plus seul alors en face de Virgile, nommant Virgile avec amour, sans savoir que c’est à lui qu’il parle, souhaitant de l’avoir vu au prix même d’une journée de plus dans les limbes, tombant à ses pieds dès qu’il l’entend nommer, et oubliant, dans cet élan d’embrassement, qu’il n’est qu’une ombre devant une ombre !
quoique dans les douleurs, je t’ai senti et je suis soulagé. — Sachez que la déesse Diane est dans cette enceinte. […] C’est pour n’avoir pas senti, pour avoir insensiblement oublié à quel point et à quel degré de réalité Pascal croyait à Jésus-Christ, au Dieu-homme et sauveur, qu’on a voulu faire de lui un sceptique. […] Qu’on veuille encore une fois se représenter l’état vrai de la question : des deux puissances qui sont aux prises chez Pascal et dont l’une triomphe, il en est une que nous comprenons tout entière, que nous sentons toujours et de mieux en mieux, le scepticisme, et quant à l’autre, quant au remède pour lui souverainement efficace et victorieux, nous sommes de plus en plus en train de l’oublier, ou du moins de le transformer vaguement, de n’y pas attacher tout le sens effectif ; de là nous nous trouvons induits, en jugeant Pascal, à transporter en lui le manque d’équilibre qui est en nous, à le voir plus en doute et plus en détresse qu’il n’était réellement sous ses orages.
Les Mémoires d’un Homme de qualité nous semblent sans contredit, et Manon à part, Manon qui n’en est du reste qu’un charmant épisode par post-scriptum, — nous semblent le plus naturel, le plus franc, le mieux conservé des romans de l’abbé Prévost, celui où, ne s’étant pas encore blasé sur le romanesque et l’imaginaire, il se tient davantage à ce qu’il a senti en lui ou observé alentour. […] Les ouvrages, alors récents, de Le Sage, de madame de Tencin, de Crébillon fils, de Marivaux, sont critiqués par leur rival, à mesure qu’ils paraissent, avec une sûreté de goût qui repose toujours sur un fonds de bienveillance ; on sent quelle préférence secrète il accordait aux anciens, à D’Urfé, même à mademoiselle de Scudéry, et quel regret il nourrissait de ces romans étendus, de ces composés enchanteurs ; mais il n’y a trace nulle part de susceptibilité littéraire ni de jalousie de métier. […] Attaqué par un jésuite du Journal de Trévoux au sujet d’un article sur Ramsay, il répliqua si décemment que les jésuites sentirent leur tort et désavouèrent cette première sortie.
Mais l’amusement du curieux, on le sent, est chose essentielle pour lui. […] Il a maintes fois exprimé le regret de n’être pas né dans une ville capitale, et il confesse dans sa Réponse aux Questions d’un Provincial qu’il a été éclairé sur les ressources de Paris pour avoir senti le préjudice de la privation. […] Il se sentit toujours peu porté aux mathématiques ; ce fut la seule science qu’il n’aborda pas et ne désira pas posséder.
Que l’on vienne, dans une bibliothèque populaire, distribuer à des lecteurs inexpérimentés des aliments ou malsains, ou trop forts et d’une digestion intellectuelle difficile, ce n’est pas, vous le sentez bien, ce que je m’efforcerai de justifier ; mais ce qui me paraît d’autre part excessif, injustifiable, c’est qu’on prenne occasion de ce qui peut être un fait controversable ou blâmable, pour venir afficher une sorte de jugement public et officiel d’ouvrages et de noms livrés à la dispute des hommes, établir contre eux une sorte de sentence définitive et sans appel, les frapper d’une note odieuse de censure, et instituer dans notre libre France une sorte d’index des livres condamnés, comme à Rome. […] C’est donc être fidèle, selon moi, à l’esprit de la Constitution, dont nous sommes les gardiens, que de ne pas laisser s’autoriser dans cette enceinte cette apparente unanimité de réprobation contre tout ce qui sent le libre examen, quand il se contient, en s’exprimant, dans les termes d’une discussion sérieuse, non injurieuse. […] Ce qu’il sent avec force, il l’exprime souvent avec excès.
D…, lorsqu’il fut hypnotisé, fut prié de sentir les doigts de l’opérateur, il répondit qu’il ne sentait rien. […] « Un soir, au moment où elle se couchait, l’appartement étant éclairé par une pâle lueur, elle voit son mari s’approcher d’elle avec précaution ; elle l’entend prononcer quelques paroles à voix basse, et sent sa main pressée par celle du défunt. » Pleine de doute et de surprise, elle retient sa respiration, le fantôme disparaît, et elle reconnaît qu’elle a été dupe d’une hallucination. — « Deux individus, dit Griesinger, peu de temps avant l’explosion de la folie, s’étaient beaucoup adonnés à la chasse ; chez eux, le délire roula longtemps sur des aventures de chasse.
Je suis allé souvent visiter ces simples monuments de son loisir champêtre, Careggi et Caffagiolo, deux maisons carrées d’architecture presque rustique où rien ne sent le prince, mais le simple citoyen. […] Au lieu de se plaire, comme auparavant, au milieu des fêtes magnifiques, du tumulte de la ville et des embarras des affaires publiques, il sentit naître en lui un attrait inconnu pour le silence et la solitude ; et il se plaisait à associer l’idée de sa maîtresse aux impressions que produisait sur son âme le spectacle varié de la nature champêtre17. […] Ils le conjurèrent de prendre la direction du gouvernement comme de son patrimoine ; il sentit qu’il ne pouvait impunément l’abdiquer.
En effet, passez cinq ans, dix ans, à faire une œuvre pensée, méditée, intensément sentie, où vous aurez mis tout votre cœur, toute votre flamme, tout votre art, et vous aurez dix-neuf chances sur vingt de voir cette œuvre tomber dans un monde sourd et muet. […] oui, le besoin d’une critique intelligente et propre se fait sentir ! […] La mienne s’adresse à un critique avant tout artiste, averti, capable d’aimer et de sentir la beauté ( Beauté, mon beau souci !
Il sent à la fois s’accroître ses connaissances et ses droits sans que ses devoirs s’en augmentent. […] On ne sent pas assez chez lui, dans une grande faveur pour l’idée du droit, une ferme croyance au devoir. […] Enfin, cette « joie secrète » qu’il a sentie, disait-il, « toutes les fois qu’on a fait quelque règlement qui allait au bien commun », il l’inspire à ceux qui lisent son livre, et il donne à chacun le désir de contribuer pour sa part au bien de tous.
M. l'Abbé Yvon, de meilleure foi que son Apologiste, en cessant d'être Philosophe, a senti la foiblesse de ce raisonnement. […] Sans parler de la barbarie où étoit plongée toute l’Europe avant qu’elle eût abjuré les faux Dieux & la superstition, il suffit de fixer ses regards sur le tableau actuel de la Société, pour sentir les avantages que la Religion lui procure. […] Pour peu qu’il reste encore de lumieres aux esprits mêmes qu’ils ont subjugués, par leurs insidieuses déclamations, il leur sera facile de sentir que les blasphêmes, la mauvaise foi, l’audace & la conduite des Philosophes sont autant d’aveux indirects en faveur des dogmes & de la morale de la Religion, qu’ils poursuivent avec tant d’acharnement.
Pendant ce temps, il est encore devenu l’ami intime du corps des pompiers, pour lesquels, à l’occasion du bal qu’ils donnent tous les ans, il a peint un resplendissant transparent, une peinture de onze pieds, qui — amère ironie — lui a été payée par quelques paroles bien senties du préfet de la Seine, le félicitant de son désintéressement envers un corps qui rend de si grands services. […] tenez, il faut en revenir à Kant : toutes les fois qu’il avait essayé d’échafauder un système, l’ayant senti s’écrouler, il a conclu qu’il n’y avait que la morale, le sentiment, du devoir. […] Nous causons photographie et de la façon demoiselle, dont se colorient les figures dans la chambre noire, du contraste complet avec la manière de sentir et de reproduire des peintures.
Dès le siècle dernier, ces réalités commençaient à poindre ; Frédéric II, en présence de Voltaire, se sentait et s’avouait un peu brigand. […] C’est Junius Blesus qui soupe chez Tuscus Csecina ; l’empereur envoie à ces buveurs une coupe de poison, afin qu’ils sentent par cette fin sinistre d’une nuit trop gaie que Vitellius est vivant. […] Cantemir, homme du Midi, ancien hospodar moldave, longtemps sujet turc, sent, quoique passé aux russes, qu’il ne déplaît point au czar Pierre en déifiant le despotisme, et il prosterne ses métaphores devant les sultans ; ce plat ventre est oriental, et quelque peu occidental aussi.
Quand il se sent impuissant, il a une larme du moins pour le dire. […] Et plus loin, lorsque sur le champ de bataille, à huit heures du soir, la Garde de l’Empereur s’ébranle, n’a-t-on pas, toutes les imaginations humaines n’ont-elles pas la vision du drame, dans ces lignes de Victor Hugo : « Quand les hauts bonnets des grenadiers de la Garde, avec la plaque à l’aigle, apparurent, symétriques, alignés, tranquilles, superbes, dans la brume de cette mêlée, l’ennemi sentit le respect de la France ; on crut voir vingt victoires entrer sur le champ de bataille, ailes éployées, et ceux qui étaient vainqueurs, s’estimant vaincus, reculèrent, mais Wellington cria : “Debout, gardes, et visez juste !” […] Dégagés des coteries, des modes, des influences de clans, vous serez portés à regarder de plus vastes horizons ; vous sentirez renaître en vous la grande vertu de l’humanité, devenue votre inspiratrice et la marque de votre originalité. » Au commencement de novembre dernier, je me trouvais dans l’oasis de Damas, et le jour déclinait.
Nous percevons le monde matériel, et cette perception nous paraît, à tort ou à raison, être à la fois en nous et hors de nous : par un côté, c’est un état de conscience ; par un autre, c’est une pellicule superficielle de matière où coïncideraient le sentant et le senti. […] Il n’est pas douteux que notre conscience se sente durer, ni que notre perception fasse partie de notre conscience, ni qu’il entre quelque chose de notre corps, et de la matière qui nous environne, dans notre perception 19 : ainsi, notre durée et une certaine participation sentie, vécue, de notre entourage matériel à cette durée intérieure sont des faits d’expérience.
C’était un instinct de la grandeur sous toutes les formes, un goût pour les choses éclatantes, depuis les phénomènes de la nature jusqu’aux pompes de la puissance et de la richesse humaines ; c’était aussi ce ferme jugement, en contraste avec l’imagination éblouie, ce retour sévère et triste qui abat ce qu’elle avait d’abord admiré et se donne le spectacle de deux grandeurs également senties, celle du monument et celle de la ruine. […] On sent la foi candide d’une imagination pieuse éclairée par une sublime morale ; c’est Pythagore épurant Homère. […] Cette première étude peut d’ailleurs nous aider à juger ce que Pindare fut pour l’antiquité, et comment Cicéron a dit : « Parmi les poëtes, je parle des Grecs24, on ne nomme pas seulement Homère, ou Archiloque, ou Sophocle, ou Pindare, mais aussi les seconds après eux, ou même ceux qui sont inférieurs aux seconds. » Le grand orateur romain avait senti l’âme éloquente du poëte ; et lui, qui dit ailleurs qu’il faut avoir du temps à perdre pour lire les poëtes lyriques », il ne conçoit le rang de Pindare qu’à côté d’Homère.
Les faits seuls y sont, mais ils parlent ; en mettant à les bien entendre et à les méditer quelque chose de la même attention et de la même patience qui les a amassés et classés si distinctement, on sent naître en soi des réflexions sans nombre. […] On vit au jour le jour ; l’or coule par flots, puis il tarit ; mais aussi, comme l’ouvrier parisien, on a l’heureuse faculté de l’imprévoyance : on a sa guinguette, on a ses soirées ; on a le théâtre ; on rencontre, on échange de prompts et faciles sourires ; on nargue la famille ; on est en dehors des gouvernements ; même si on les sert, on sent qu’on n’en est pas.
La morale est inépuisable en sentiments, en idées heureuses pour l’homme de génie qui sait s’en pénétrer ; c’est avec cet appui qu’il se sent fort, et s’abandonne sans crainte à son inspiration. […] L’homme le plus ardent pour ce qu’il souhaite, lorsqu’il est doué d’un génie supérieur, se sent au-dessus du but quelconque qu’il poursuit ; et cette idée vague et sombre revêt les expressions d’une couleur qui peut être à la fois imposante et sensible.
Au commencement, pendant les quatre premiers siècles, il avait fait la religion et l’Église : pesons ces deux mots pour en sentir tout le poids. […] Tous, par une vague tradition, par un respect immémorial, sentent que la France est un vaisseau construit par ses mains et par les mains de ses ancêtres, qu’à ce titre le bâtiment est à lui, qu’il y a droit comme chaque passager à sa pacotille, et que son seul devoir est d’être expert et vigilant pour bien conduire sur la mer le magnifique navire où toute la fortune publique vogue sous son pavillon. — Sous l’ascendant d’une pareille idée, on l’a laissé tout faire ; de force ou de gré, il a réduit les anciennes autorités à n’être plus qu’un débris, un simulacre, un souvenir.
Une puissance de création médiocre ; un peu de jalousie, de malignité à l’égard des grands contemporains, où l’on sent un dépit de n’avoir pas percé soi-même au premier rang ; un excès de sévérité pour les vaincus du combat politique qui ne sont pas satisfaits de leur défaite, une insistance à les convertir, où le journaliste officiel, payé, protégé, se découvre trop, et qui fait que des Lundis, à les lire tout d’une suite, émane un déplaisant parfum de servilité ; certain goût de commérages et d’investigations scabreuses, où l’on devine que, sous prétexte d’exactitude historique, se satisfait une imagination inapaisée de vieux libertin : voilà le mal qu’on peut dire de Sainte-Beuve857 . […] Je crois être strictement juste en faisant ici une place à Fromentin868, ce peintre exquis de l’Algérie et de l’Orient, cet esprit inquiet, intelligent, qui comprit, sentit, conçut plus qu’il ne sut exécuter, et qui par là fut éminemment un critique.
Si vous avez peu pensé par vous-même, c’est bien par vous-même que vous ayez senti. […] Jacquinet répond à la première de ces questions dans sa substantielle préface : Peut-être peut-on se demander si la beauté solide et constante de langage des vers, par tout ce qu’il faut au poète, dans l’espace étroit qui l’enserre, de feu, d’imagination, d’énergie de pensée et de vertu d’expression pour y atteindre, ne dépasse pas la mesure des puissances du génie féminin, et si véritablement la prose, par sa liberté d’expression et ses complaisances d’allure, n’est pas l’instrument le plus approprié, le mieux assorti à la trempe des organes intellectuels et au naturel mouvement de l’esprit chez la femme, qui pourtant, si l’on songe à tout ce qu’elle sent et à tout ce qu’elle inspire, est l’être poétique par excellence et la poésie même.
Il dit que « la grande mission de la femme ici-bas étant d’enfanter, d’incarner la vie individuelle, elle prend tout par individu, rien collectivement et par masses », qu’elle sent à merveille l’amour, la sainteté, la chevalerie, et difficilement le droit ; enfin qu’elle est toujours plus haut ou plus bas que la justice. […] Au fait, il n’est pas nécessaire d’avoir un vieux fond chrétien pour sentir ainsi : le pauvre Maupassant a été un jour soulevé de dégoût en songeant que les organes de l’« amour » sont aussi ceux des plus viles sécrétions.
Homais comparerait les martyrs chrétiens à ces Aissaouas qui, apparemment, au bout d’une demi-heure de hurlements rythmés et de balancements de tête au-dessus d’un brasier, ne sentent plus. […] Elle demeurerait modeste, elle ne se mettrait point en avant ; mais on irait à elle parce qu’on sentirait en elle une divine flamme de charité et de foi.
Tu vas sentir le vent sinistre de la cime Et l’éblouissement du prodige éternel. […] Voir, entendre et sentir ?
vous qui m’entendez, qui possedez ce sentiment rare, ce tact fin & délicat, ce feu subtil inconnu, vous me dispenserez de définir ce que vous sentez avec transport. […] Quiconque ne te sent pas ne s’élevera point même jusqu’au médiocre.
Au moment où Leconte de Lisle chante le néant, il ne le sent plus en tant que néant ; il jouit des formes que son imagination évoque et dont elle revêt l’idée du néant. — L’impressionnisme est la formule esthétique de l’instantanéisme psychologique théorétisé par Stirner et cet aspect de notre nature a droit comme les autres à sa traduction esthétique. […] Car se sentir différent, se décerner ce brevet de différence, « n’est-ce pas s’égaler à toute la société ?
Il ne les voyait pas, mais il sentait qu’elles ne sont pas un assemblage artificiel, et qu’elles ont je ne sais quel principe d’unité interne. […] La plupart d’entre nous, s’ils voulaient voir de loin par la seule intuition pure, se sentiraient bientôt pris de vertige.
Le système nerveux n’est pas seulement l’instrument propre de la faculté de sentir, il a aussi des sensations organiques résultant de l’état même de son tissu ; les névralgies, l’épuisement nerveux, le tic douloureux sont des exemples de douleurs venant du tissu lui-même. […] Le chien qui, le matin, dépense en courses folles sa surabondance d’activité, ne suit que son instinct ; mais c’est juste au moment où il est épuisé que le besoin de nourriture se fait sentir, et qu’il lui faudrait agir pour s’en procurer.
Et parfois tu rejetais le vin et les mets dont tu étais rassasié, sur ma poitrine et sur ma tunique, comme font les petits enfants. » D’autres exemples ne seraient pas rares : tel passage, dans les grands poèmes, fait dire au lecteur ce que disaient les disciples devant le sépulcre ouvert de Lazare : « Maître, il sent. » Domine, jam fœtet. […] « Un filet à prendre les bêtes fauves, l’engin des assassins à l’affût, qui guettent les passants au tournant des bois. » Mais il a beau insulter la morte, on sent qu’il frémit sous son dernier souffle. — « L’a-t-elle fait ?
Des femmes foibles, des religieux jeunes & plus foibles encore, sentirent bientôt leur cœur brûler de l’amour pur. […] Il est aisé d’imaginer combien madame Guyon fut empressée d’entendre le saint à la mode, un homme dont la façon de penser & de sentir étoit analogue à la sienne.
Ce qui paraît avoir conduit à cette théorie, c’est ce fait de sens intime qui nous fait localiser la pensée dans cette partie de la tête ; c’est là en effet, et ce n’est pas par derrière, que nous nous sentons penser. […] On sait que les amputés souffrent dans les organes qu’ils ont perdus ; on sait que les lésions des centres nerveux se font sentir surtout aux extrémités.
Si une pluralité de substances coexistantes ne peut arriver à une véritable unité, à une unité intérieure et consciente, une pluralité de substances successives ne peut pas davantage constituer une véritable identité, c’est-à-dire une continuité sentie. […] Il paraît donc démontré, au moins à nos yeux, qu’une pluralité (de succession ou de coexistence) ne peut parvenir à l’unité et à l’identité sentie, en d’autres termes que la matière ne peut devenir esprit.
La maison du procureur, son intérieur, son mobilier, son jargon, ses plaisirs, le caquet de sa femme, et jusqu’au menu de ses repas et de ses festins, y sont pour la première fois décrits avec la fidélité et la minutie d’un procès-verbal ; les personnages s’y montrent non pas tels qu’il a plu au romancier de les faire, mais tels qu’ils ont dû être rigoureusement par rapport à leur époque et à leur fonction, et l’on sent parfaitement, à la façon dont ils se conduisent, que l’auteur se préoccupe bien moins de leur faire jouer un rôle que d’accuser scrupuleusement jusqu’aux moindres circonstances de leurs habitudes et jusqu’aux moindres détails de leur physionomie. […] Néanmoins, bien qu’à la fin de chaque partie l’auteur ait soin de nous en montrer les acteurs pourvus, ceux-ci par un mariage, ceux-là par la fuite, on sent, à la brusquerie avec laquelle est terminé le dernier chapitre, que le plan n’est pas exactement rempli et que le livre manque de conclusion.
Il a un langage à lui, un tour à lui, une manière désabusée et presque languissante de dire les choses à travers laquelle on sent l’ironie : une des formes de ses condamnations. […] Elle se trouve heureuse cependant qu’il soit comme cela. » Et Renée ajoute un mot qui donnera aux esprits qui sentent, dans le moindre détail de style, toute la manière d’un écrivain : « Elle aimait donc pour aimer, — simplement : elle avait autant de désintéressement qu’elle avait d’imagination, la pauvre femme !
À côté des mouvements que nous observons seulement du dehors, il y a ceux que nous nous sentons aussi produire. […] La raison pour laquelle la science n’a jamais insisté sur la relativité radicale du mouvement uniforme est qu’elle se sentait incapable d’étendre cette relativité au mouvement accéléré : du moins devait-elle y renoncer provisoirement.
Nous sentons combien il y va de toute notre indignité dans des volumes signés du nom de Sainte-Beuve, mais nous nous efforçons aussi, par le caractère impersonnel de notre rédaction, de nous faire oublier, en ne mettant en relief que des souvenirs où la personnalité seule de l’illustre écrivain est en jeu.
Une fois seulement mademoiselle Rose nous apprend que l’espèce de brouillerie qui divisait la reine et les tantes du roi se rattachait à la politique : madame Adélaïde tenait pour M. de Maurepas, et la reine pour M. de Choiseul : indè iræ ; on sent qu’un pareil temps est déjà loin de nous.
Fontaney, un de ces hommes avec qui l’on sent, avec qui l’on est d’accord même sans se revoir, et qui font, en disparaissant successivement, que notre meilleur temps se voile, et que la vie devient comme étrangère29.
C’est alors qu’on sent le prix d’une existence simple et dégagée de sensualités ; c’est alors qu’on trouve, dans le calme d’un cœur pur et dans l’énergie d’un corps sain, la récompense de la modération et des sacrifices de la jeunesse ; c’est alors enfin qu’on reconnaît combien la morale serait bonne encore quand même elle n’aurait pas de sanction dans une autre vie. » — « Jeunesse sensuelle, dit-il aussi, vieillesse douloureuse. » — « Un vieillard sans dignité est comme une femme sans pudeur. » Lorsqu’il en est particulièrement aux qualités et aux passions sociales, M. de Latena a de bonnes analyses et des définitions judicieuses.
Il a pour antagoniste-né le génie lyrique, qui sans cesse se chante, se raconte et se décrit, qui se mire dans les choses, se sent dans les personnes, intervient et se substitue partout, et rend impossible la diversité255.
Par lui nous voyons les gestes, nous entendons l’accent, nous sentons les mille détails imperceptibles et fuyants que nulle biographie, nulle anatomie, nulle sténographie ne saurait rendre, et nous touchons l’infiniment petit qui est au fond de toute sensation ; mais par lui, en même temps, nous saisissons les caractères, nous concevons les situations, nous devinons les facultés primitives ou maîtresses qui constituent ou transforment les races et les âges, et nous embrassons l’infiniment grand qui enveloppe tout objet.
Qu’il sommeille donc le poète dont la mémoire nous défend des félonies envers l’art et envers les hommes, et que nul ne révèle l’intime trésor de cette âme fière et douce, douloureuse de se sentir recluse en soi-même par un trop noble amour des êtres vivants, des lueurs et des frissons qui troublent d’inquiétudes passagères la terre et le ciel, et des immuables étoiles qu’il avait entrevues !
Il y a quelque chose de spécialement irritant à voir ces gros volumes vides ; on sent fort bien que l’auteur a tout recueilli, même les moindres bredouilles de sa plume, pour faire une massivité d’élégances à nous étonner.
Elles disent l’Amour, la Mort et le Temps, elles exhalent une mélancolie stoïque et païenne ; elles sentent la rose et le cyprès ; il y rôde une odeur de Bois sacré.
Joseph Roumanille est d’avoir senti avec tant de vivacité la douleur et la honte de cette situation.
Après avoir fait sentir les travers où le défaut de goût a jeté M.
L’Histoire n’est que le récit fidele des événemens ; ces événemens parlent d’eux-mêmes, & on doit en écarter tout ce qui sent le panégyrique ou l’apologie.
qu’il est aussi permis aux Journalistes & aux Esprits éclairés qui en sentent les défauts, de les mettre en évidence, pour en corriger les autres, qu’il est permis à un Juge de rappeler à l’autorité des Loix quiconque s’en écarte ?
Lemiére paroît n’avoir pas senti qu’il manquoit de ce talent.
Ces Discours portent l'empreinte d'un esprit cultivé, d'une ame honnête, uniquement occupée du désir d'honorer les talens, de relever l'éclat des vertus, & de faire sentir la perte des Académiciens dont il rappelle le souvenir.
Homère, ajoutent-ils, sentit cette disproportion étonnante.
» Il dit ; Satan plein de joie… s’élève avec une nouvelle vigueur ; il perce, comme une pyramide de feu, l’atmosphère ténébreuse… Enfin l’influence sacrée de la lumière commence à se faire sentir.
Ces voûtes ciselées en feuillages, ces jambages qui appuient les murs, et finissent brusquement comme des troncs brisés, la fraîcheur des voûtes, les ténèbres du sanctuaire, les ailes obscures, les passages secrets, les portes abaissées, tout retrace les labyrinthes des bois dans l’église gothique ; tout en fait sentir la religieuse horreur, les mystères et la Divinité.
Le poëte & le bel esprit s’y font sentir quelquefois ; le véritable ami ne s’y rencontre guéres.
Les peintres intelligens ont si bien connu, ils ont si bien senti cette verité, que rarement ils ont fait des païsages deserts et sans figures.
Ainsi le poëte, pour arriver plus certainement à son but, peut bien exciter en nous d’autres passions qui nous préparent à sentir plus vivement encore les deux qui doivent dominer sur la scene tragique, je veux dire la compassion et la terreur.
Ce principe, que nous avons tous plus ou moins rencontré, plus ou moins coudoyé, plus ou moins senti dans la vie historique, soit du présent, soit du passé, Mancel a eu le mérite de le formuler en une phrase d’une brièveté lapidaire et dont tout son livre est la justification rationnelle : « Le pouvoir se prend et ne se donne pas », nous dit-il avec une simplicité qu’il a l’art de rendre féconde.
Raconte, ce que cela t’a fait voir, sentir, aimer ou haïr. […] Brusquement il me dit : — Voulez-vous sentir de la pâte à exorcisme ? […] Je m’oubliais à l’écouter et à le regarder, et cette éloquente indignation, que je sentais sincère, faisait taire toutes mes objections. […] Et cela réjouit la courte honte de ce scoliaste fielleux, dont les livres sentent si fort le bouquin ! […] Comment ne pas se sentir à jamais troublé en présence de contradictions telles que celle-ci ?
On sentit tout de suite combien on avait eu tort de l’acheter si peu, et elle donna aux libraires avisés et à des courtiers teintés de littérature d’assez agréables bénéfices. […] Elle s’abstenait — cela à son insu, on le sentait bien — de ce qui eût pu prêter à une remarque même la plus favorable. — Un costume laissant une impression avenante, sans éclat gai. […] Mais, de s’être battu, Rainouart se sent un autre homme. […] À tort ou à raison, il se croira appeler à des modifications radicales dans la manière de sentir et de penser des hommes de son temps. […] Il indiquera qu’il sent qu’il a toujours été race inférieure et qu’en sa race il se rappelle l’histoire de la France, fille aînée de l’Église.
Ce qu’il a donc vu de piquant et de tranché dans les mœurs du nord et du raidi, il le raconte dans ce livre, et en fait sentir le rapport avec le climat.
Pour le coup, monsieur, vous vous attendez à des révélations sincères : patience, elles sont manuscrites encore ; jusqu’ici nul aveu éclatant qui motive cette boutade de repentir ; on sent que la chasteté et la dévotion de 1800 ont passé là-dessus, et que madame de Genlis a effacé ses fautes avec ses larmes.
» Et, en effet, je sentais bien moi-même, dans l’œuvre d’Aubanel, de la grandeur, de la simplicité, de la poésie, et une flamme partout répandue.
Les vers, vierges de toute littérature, étaient allés droit à l’âme des simples, et, grâce à ces chants modestes, tous ces braves gens s’étaient sentis soudain liés à la vie de leurs compagnons, à l’avenir de leur régiment, aux destinées de leur pays.
Elle réussit à faire sentir dans son style la préciosité de cette littérature, vieille et raffinée.
Des deux volumes, je préfère À l’orée de beaucoup ; j’aimerais mieux que la nature y fût chantée librement, au lieu d’être ainsi sévèrement modelée ; mais en se contentant de ce qu’on y trouve, on se sent en contact avec de la poésie vraie, encore que nuancée, fond et rythme, à la façon d’un érudit, ce qui ne peut surprendre personne, étant donnée la sûre et modeste érudition dont M.
La majeure partie du volume (idylles légères, graves et mélancoliques, écrites en strophes variées) ne contient que des amours sans flamme et des haines pâles, des à-peu-près de mélancolie et d’allégresse, des choses presque senties et pas du tout rendues.
Alfred Mortier Dans tels poèmes, dans certains de ses contes, j’ai trouvé un artiste magnifiant ses pensées dans la forme large et belle d’un symbole en intime communion avec la nature profondément sentie et non à l’aide des artificiels joyaux dont parent l’idée tant de modernes poètes.
La maturité de l’âge & la perfection du goût les lui firent sentir & éviter dans ses derniers Ouvrages.
Il a beau étaler un enthousiasme apparent, on sent d’abord qu’il le contrefait plus qu’il ne l’éprouve ; il est moins Poëte que Versificateur ingénieux, & moins Versificateur que Moraliste.
L’élégant Traducteur de Virgile étoit bien capable de juger du mérite du Poëte qui a le plus approché de ce même Original, dont personne n’a mieux senti ni mieux rendu que lui toutes les beautés.
Au reste, si la Jérusalem a une fleur de poésie exquise, si l’on y respire l’âge tendre, l’amour et les déplaisirs du grand homme infortuné qui composa ce chef-d’œuvre dans sa jeunesse, on y sent aussi les défauts d’un âge qui n’était pas assez mûr pour la haute entreprise d’une Épopée.
Le chrétien se soumet aux conditions les plus dures de la vie : mais on sent qu’il ne cède que par un principe de vertu ; qu’il ne s’abaisse que sous la main de Dieu, et non sous celle des hommes ; il conserve sa dignité dans les fers : fidèle à son maître sans lâcheté, il méprise des chaînes qu’il ne doit porter qu’un moment, et dont la mort viendra bientôt le délivrer ; il n’estime les choses de la vie que comme des songes, et supporte sa condition sans se plaindre, parce que la liberté et la servitude, la prospérité et le malheur, le diadème et le bonnet de l’esclave, sont peu différents à ses yeux.
monsieur, que me répondez-vous (en suivant de son charmant visage, le mien que je tenais encore tourné ; car je ne me sentais pas la force de la regarder) ?
Les puissances surnaturelles peuvent encore présider aux combats de l’Épopée ; mais il nous semble qu’elles ne doivent plus en venir aux mains, hors dans certains cas, qu’il n’appartient qu’au goût de déterminer : c’est ce que la raison supérieure de Virgile avait déjà senti il y a plus de dix-huit cents ans.
Quiconque a quelque critique et un bon sens pour l’histoire, pourra reconnaître que Milton a fait entrer dans le caractère de son Satan les perversités de ces hommes qui, vers le commencement du dix-septième siècle, couvrirent l’Angleterre de deuil : on y sent la même obstination, le même enthousiasme, le même orgueil, le même esprit de rébellion et d’indépendance ; on retrouve dans le monarque infernal ces fameux niveleurs qui, se séparant de la religion de leur pays, avaient secoué le joug de tout gouvernement légitime, et s’étaient révoltés à la fois contre Dieu et contre les hommes.
Ne sentez-vous pas que si le sermon est des jugements de Dieu, votre orateur aura l’air sombre et recueilli, et que votre auditoire prendra le même caractère ; que si le sermon est de l’amour de Dieu, votre orateur aura les yeux tournés vers le ciel, et qu’il sera dans une extase que les peuples qui l’écoutent partageront ; que s’il prêche la commisération pour les pauvres, il aura le regard attendri et touché, et qu’il en sera de même de ses auditeurs.
Il découvre une difference infinie entre des objets, qui aux yeux des autres hommes paroissent les mêmes, et il fait si bien sentir cette difference dans son imitation, que le sujet le plus rebatu devient un sujet neuf sous sa plume ou sous son pinceau.
tout économiste moderne doit se sentir des entrailles pour l’homme du système, car c’est de cet homme que date, en France, « cette vive surexcitation de l’industrie » qui a remplacé la grande existence agricole d’autrefois.
C’est facile, animé, observé, senti, sans le moindre pédantisme, — le mal de notre âge où les plus vides sont les plus lourds.
Malgré des formes élémentaires translucides de limpidité, on sent la force de l’esprit qui commande au sujet qu’il traite.
Buloz se sentit fort et commença d’être ingrat. […] Que ce beau travail avait de charmes pour notre romancier maritime, quel admirable roman il trouvait dans toutes ces histoires, et comme il était à l’aise, lui si fort habitué à tout décrire, à tout sentir, à tout répéter, depuis le mot sublime jusqu’à l’ignoble juron, lui qui n’a reculé devant aucun tableau de la vie du matelot, orgie, débauche… et plus loin encore ! […] …………………………………………………………………………………… « Sérieusement, il faut que l’improvisation se montre bien rétive ou bien épuisée pour qu’un romancier ait recours à de pareils expédients ; que George Sand y prenne garde, on rencontre encore dans ses productions quelques détails charmants, quelques scènes vivement senties ; mais sa pensée a perdu la vieille et noble habitude de la clarté et de la distinction. Je ne parle plus du style : à part quelques passages, où le cœur rencontre par hasard, et comme de lui-même, la belle et pure langue d’autrefois, tout le reste est prétentieux ou hérissé d’incorrections ; on sent à chaque phrase un anneau qui manque à la chaîne des idées. […] Placée sous une zone tempérée, elle a assez de jours purs pour comprendre la littérature, aux contours arrêtés, de l’Espagne et de l’Italie ; assez de jours nuageux pour sentir la poésie flottante et vaporeuse de l’Allemagne et de l’Angleterre ; enfin, assez de force et de justice pour faire à Dante et à Alfieri, à Shakespeare et à Sheridan, à Goethe et à Schiller, à Lope de Vega et à Calderon, la part qui leur est due dans cette immense Babel que l’esprit humain bâtit depuis le treizième siècle, et que la main du Seigneur lui-même tenterait en vain de renverser, si près qu’elle soit du ciel.
Quand il sut qu’il était parti de Rome, il fut très inquiet, « car s’il était parti, c’était par désespération, dont il se sentait très coupable ». […] Il croyait sentir en lui l’âme germanique des anciens temps, et il rêvait de lui donner une pleine conscience d’elle-même, de remplacer par une voix claire et puissante le naïf et mystérieux bégaiement de son enfance. […] Le problème qu’il y sentait obscurément formulé revient souvent dans son œuvre et se posait au fond de sa propre nature, à la fois très sensuelle et très idéaliste. […] C’est le problème même du bonheur, que l’humanité, depuis qu’elle pense, qu’elle sent et qu’elle songe, se pose toujours et n’arrive pas à résoudre. […] Je ne sais si mon savant confrère ne prête pas ici involontairement aux hommes du xiiie siècle notre façon de penser et de sentir.
Il est peu de livres où l’on sente plus les derniers efforts de l’esprit humain. […] Il peint tout ce qui doit se passer en elle, pour nous faire sentir ce qui se passe réellement en nous. […] Ce misantrope vertueux, ce philosophe singulier se présenta pour faire sentir le mérite des acteurs qu’on venoit de perdre. […] A la vue de cette ébauche, frère Matthieu se sentit tout embrasé. […] Le provincial des cordeliers sentit bien la perte qu’il avoit faite.
C’est pourquoi, dans les premières années de la Restauration, entre 1815 et 1825, il s’établit une façon commune de penser et surtout de sentir ; les bornes de l’ancien horizon se déplacent ou plutôt s’évanouissent ; et le cosmopolitisme littéraire est né. […] Ils le sentent bien ; et, pour tirer de leur originalité le droit de nous ennuyer d’eux, ils s’en composent, ils essaient péniblement de s’en composer une, ce qui ne tarde pas à les jeter dans la bizarrerie ou dans la monstruosité. […] Qui donc a dit que « la vie, qui est une tragédie pour ceux qui sentent, était une comédie pour ceux qui pensent ? […] Mais qui a mieux senti que l’auteur de l’Histoire de la littérature anglaise ce qu’il y a de poésie dans la science ? […] Namouna] ; — pour ne rien dire d’une phraséologie qui sent encore son dix-huitième siècle ; — si d’ailleurs elles n’étaient belles de l’« orgueil de vivre » qui s’y trahit ; — et de l’ardeur de passion sans objet [Cf.
En outre, à certains moments, nous sentons qu’il y a fort peu de plaisir artistique à attendre de l’étude de l’école réaliste moderne. […] Lui-même sent battre dans ses veines un sang royal et il fait appel à la noblesse de la Diète de Pologne pour qu’elle épouse sa cause. […] Matthew Arnold, nous « sentons par derrière ces livres l’esprit qui se meut dans toute son œuvre ». […] Toutefois il fallait un stimulus nouveau pour créer, pour révéler réellement cette personnalité, sentie d’abord d’une façon très vague. […] Walter Crane a dessiné la couverture et le frontispice du livre, nous ne pouvons ne pas sentir, comme nous l’avons déjà dit, que le socialisme se met en marche bien équipé.
C’est ce que je n’ai eu garde de négliger pour notre bibliothèque Mazarine, depuis qu’un indulgent loisir m’y a fait asseoir, et que le régime du plus aimable des administrateurs222 nous y rend les douceurs d’Évandre ; je me suis senti sollicité du premier jour à rechercher l’histoire des prédécesseurs. […] Jeune, d’ordinaire, on en sent moins le prix ; on les ouvre, on les lit, on les rejette aisément. […] Dans cette Rome des Barberins, Naudé put se croire d’abord transporté au règne de Léon X, d’un Léon X un peu affadi : son goût littéraire ne sentait peut-être pas assez la différence. […] Cœur délicat sans doute et reconnaissant, on le voit empressé de payer sa bienvenue à chacun des membres ; lui aussi il se sent riche à sa manière, il veut rendre et donner. […] On sent, à ses frais inaccoutumés d’éloquence, qu’il parle au pontife lettré, au poëte disert, à l’Urbanité même (il fait le jeu de mots), à celui qui, suivant son expression, a moissonné tout le Pinde, butiné tout l’Hymette, et bu toute l’Aganippe.
Créon n’hésite pas non plus à l’accabler de toute la rigueur de la loi, et dans l’ironie de son impiété, il la fera descendre vivante au séjour de Pluton, le seul dieu qu’elle révère183, afin que Pluton montre sa puissance en la dérobant à la mort, ou qu’elle sente enfin, mais trop tard, combien il est superflu d’adorer les Divinités de l’Hadès 184. Sur le point d’être envoyée à un supplice horrible, la sœur de Polynice, jusque-là inébranlablement préparée à toutes les conséquences du crime qu’elle a voulu commettre, sent son cœur faillir ; elle pleure ; elle trouverait quelque consolation dans la sympathie de ses concitoyens. […] Car le véritable principe du mariage n’est pas l’amour physique et l’attraction mutuelle des sexes, c’est une sympathie spirituelle et morale sentie et reconnue de part et d’autre ; par là le nœud conjugal relève non de l’aveugle nature, mais de la liberté intelligente de l’esprit. […] Il faut que les acteurs de la comédie sentent eux-mêmes le néant de leur rôle. […] Ce qui caractérise le comique, au contraire, c’est la satisfaction infinie, la sécurité qu’on éprouve de se sentir élevé au-dessus de sa propre contradiction et de n’être pas dans une situation cruelle et malheureuse.
Ils y verront les difformités du temps disséquées jusqu’au dernier nerf et jusqu’au dernier muscle, avec un courage ferme et le mépris de la crainte… Ma rigide main a été faite pour saisir le vice d’une prise violente, pour le tordre, pour exprimer la sottise de ces âmes d’éponge qui vont léchant toutes les basses vanités137. » Sans doute un parti pris si fort et si tranché peut nuire au naturel dramatique ; bien souvent les comédies de Jonson sont roides ; ses personnages sont des grotesques, laborieusement construits, simples automates ; le poëte a moins songé à faire des êtres vivants qu’à assommer un vice ; les scènes s’agencent ou se heurtent mécaniquement ; on aperçoit le procédé, on sent partout l’intention satirique ; l’imitation délicate et ondoyante manque, et aussi la verve gracieuse, abondante de Shakspeare. […] Quand nous pensons une chose, nous autres hommes ordinaires, nous n’en pensons qu’une portion ; nous en voyons un aspect, quelque caractère isolé, parfois deux ou trois caractères ensemble ; pour ce qui est au-delà, la vue nous manque ; le réseau infini de ses propriétés infiniment entre-croisées et multipliées nous échappe ; nous sentons vaguement qu’il y a quelque chose au-delà de notre connaissance si courte, et ce vague soupçon est la seule partie de notre idée qui nous représente quelque peu le grand au-delà. […] Figurez-vous, au lieu de cette pauvre idée sèche, étayée par cette misérable logique d’arpenteur, une image complète, c’est-à-dire une représentation intérieure, si abondante et si pleine qu’elle épuise toutes les propriétés et toutes les attaches de l’objet, tous ses dedans et tous ses dehors ; qu’elle les épuise en un instant ; qu’elle figure l’animal entier, sa couleur, le jeu de la lumière sur son poil, sa forme, le tressaillement de ses membres tendus, l’éclair de ses yeux, et en même temps sa passion présente, son agitation, son élan, puis par-dessous tout cela ses instincts, leur structure, leurs causes, leur passé, en telle sorte que les cent mille caractères qui composent son état et sa nature trouvent leurs correspondants dans l’imagination qui les concentre et les réfléchit : voilà la conception de l’artiste, du poëte, de Shakspeare, si supérieure à celle du logicien, du simple savant ou de l’homme du monde, seule capable de pénétrer jusqu’au fond des êtres, de démêler l’homme intérieur sous l’homme extérieur, de sentir par sympathie et d’imiter sans effort le va-et-vient désordonné des imaginations et des impressions humaines, de reproduire la vie avec ses ondoiements infinis, avec ses contradictions apparentes, avec sa logique cachée, bref de créer comme la nature. […] And to morrow morning I’ll sent you a perfume, first to resolve And procure sweat ; and then prepare a bath To cleanse and clear the cutis ; against when I’ll have an excellent new fucus made Resistive gainst the Sun, the rain or wind Which you shall lay on with a breath or oil As you but like, and last some fourteen hours. […] And To any question he was silent to, I still interpreted the nods he made Through weakness for consent, and sent home th’ others, Nothing bequeath’d them, but to cry and curse.
Puis il tire d’une commode, des cahiers, où il nous montre de nombreuses pages contenant l’historique de ces évocations, et nous montre enfin un tableau, représentant une femme aux mains lumineuses, qu’il dit être venue l’embrasser, et dont il a senti sur sa joue, ses lèvres, des lèvres pareilles à des lèvres de feu. […] La femme montée sur un tabouret, et atteignant le paquet des vêtements de sa vie libre, et lisant les deux dates de son entrée et de sa sortie, de sa sortie qu’elle sent être dans un lointain, où elle n’existera plus. […] Et tout à l’heure, de sa voix gazouillante, elle se livrait à une improvisation sur le paradis, où elle disait, que les messieurs et les dames du paradis avaient une bouche qui sentait l’eau de Cologne. […] On sent dans ces lettres, qu’en ce pays de chaleur torride sans air, en ce pays d’anémie et d’épidémie, en ce pays au mois d’octobre meurtrier, en ce pays, où un Européen ne peut guère vivre que trois ans, et encore avec des séjours dans la montagne ; on sent que contre le voisinage de cette mort, c’est au moyen du champagne, du bal, du flirtage, d’une vie mondaine enragée, que ces hommes et ces femmes en chassent la pensée.
— L’un qui soutenait mademoiselle Mars d’une main si ferme, l’autre qu’elle-même elle soutenait, en lui prêtant sa blanche épaule ; celui-ci qui survivra à toutes choses, même à une perte irréparable ; celui-là qui se sentait mourir, le soir même où il perdait sa comédienne bien-aimée et qui, à cette heure, est mort sans retour ! […] Elle a salué toute cette foule enthousiaste avec une dignité bien sentie ; ses adieux ont été simples, touchants, sérieux ; elle tenait son cœur à deux mains, et elle aussi elle aurait pu dire comme cette héroïne de Corneille : — Tout beau, mon cœur ! […] Aussi la tristesse de cette retraite a-t-elle été grande, profonde, bien sentie. […] Tant qu’elle a touché le bois de son théâtre, mademoiselle Mars s’est sentie vivre ; elle vivait dans le passé, elle vivait dans le présent. — C’était elle encore ! […] Voici en revanche un paysage (le lecteur aime le repos et le contraste), où se fait sentir, dans toute sa grâce et dans tout son charme, le repos rustique !
Eh bien, littérairement, l’impossibilité est la même, et cette impossibilité, Μ. de Cassagnac l’a sentie, mais il en a vaincu l’angoisse ! […] Au milieu de ce labyrinthe d’intrigues, de ce mauvais air d’antichambre, de police et de sales manèges, qui est comme le fond de ces deux volumes, on sent battre le cœur du pays à travers la frontière, on entrevoit quelque chose de vengeur, quelque chose de dessouillant, comme disait Napoléon, qui va venir et qui s’approche, et l’écrivain, qui est très habile, prépare admirablement le coup d’État final de son héros. […] Ce lendemain échu et l’Empire sorti des causes qui l’ont si bien caché par leur profondeur même, Cassagnac éclaire rétrospectivement, mais vigoureusement, ces causes tardivement aperçues, et l’on sent, en lisant son livre, le bilan de ces Pouvoirs faillis, une — quasi-Royauté et une République également impossibles, — à quel point, heureusement pour l’avenir de la Monarchie dans le monde, le rétablissement de l’Empire fut à la fois naturel et logique, aussi avant dans la volonté humaine que dans les vues de la Providence. […] Ce livre a des parties complètes et qui sentent vraiment le chef-d’œuvre. […] Jeune, très jeune, et précisément parce qu’il sentait intérieurement sa force, et que jeune on en abuse toujours (c’est une manière de se la prouver), il débuta dans les lettres par des paradoxes retentissants et demeurés fameux.
Nous sentons que ce qui fleurit là sort directement de la terre, plonge ses racines dans le sol même, tandis qu’au Midi, l’adultération subie aux origines se témoigne partout. […] Lorsque nous sentons instinctivement qu’il faudrait « faire quelque chose », nous commençons par en parler abondamment, par discourir et discuter jusqu’à l’épuisement. […] La rude et froide main du politique et du fonctionnaire ne devrait pas se sentir. […] Qui ne sentirait l’impossibilité d’avoir recours à ce mode anachronique, criminel et fou, de gouvernement ? […] Chacun sent approcher le moment où il sera le dernier représentant de cette race, et à lui seul, l’âme de la terre.
L’invention suppose évidemment une innovation, une façon de sentir, de penser ou d’agir qui ne s’est pas encore produite. […] Mais parfois, même dans ses lettres, on sent le poète sous l’amant et qui se sert de lui. […] Dans l’évolution d’une invention il y a toujours beaucoup d’éléments qui ne sont ni voulus ni sentis. […] Godin, fils d’un ouvrier, instruit dans une école de village, sent, dès son enfance, le désir du rôle social qu’il devait remplir. […] Voir des chefs-d’œuvre dans son esprit, les contempler, les rendre parfaits par les yeux du cerveau, et quand on veut les réaliser sur la toile, les sentir s’évanouir et devenir intraduisibles !
On sent qu’elle est plus intuitive que réfléchie ; on y sent l’homme qui s’est trop défié, et de tout temps, pour avoir jamais souffert. Et comme elle est un bouclier pour ceux-ci, on sent qu’elle est une arme pour celui-là. […] Feuillet, Sandeau, etc.) de quelques devanciers, tels que Benjamin Constant, Beyle, Sainte-Beuve, Fromentin, dont le rayonnement n’a commencé à se faire sentir qu’en ces dernières années. […] Je crois sentir qu’il est moraliste, psychologue, métaphysicien, et très peu romancier. […] Ils la sentent comme ils l’aiment, profondément.
Celui-ci écrit à Eckermann : “Molière est tellement grand, que chaque fois qu’on le relit on se sent pris d’étonnement. […] Il y revint, l’enfant de la balle, et lui aussi dut se sentir joyeux de retrouver son ruisseau de la rue des Vieilles-Étuves. […] On devine alors, on sent ou l’on entend dans son rire ou dans sa tristesse passer quelque chose de supérieur, de shakespearien. […] Les narines du comédien qui va entrer en scène, de l’auteur qui va faire mouvoir ses personnages, battent comme des naseaux qui sentent l’odeur de la poudre. […] Le pauvre Alfred de Musset l’avait bien senti, lui qui réagit si bravement, en enfant terrible, au nom du génie français, contre les exagérations exotiques.
Le grand ministre en sentit lui-même les effets tout le premier, alors qu’ayant changé quelques phrases dans la lettre que lui avait adressée, sur son invitation, la société Conrart, il lui fut dit que si ces changements étaient un ordre, la compagnie y déférerait ; mais que les phrases, dans leur première rédaction, avaient paru à tous les membres assez nobles et assez françaises. […] Le premier supérieur de cette communauté, Saint-Cyran, théologien subtil et écrivain distingué, s’était fait mettre à la Bastille pour quelques doctrines sur la grâce, qui sentaient fort la prédestination de Calvin. […] L’inégalité des talents ne se faisait point sentir, là où la supériorité n’était que la plus grosse part de la tâche commune. […] Et quand la nature et la mauvaise habitude ont été les plus fortes, ne lui dois-je pas d’avoir senti ces regrets qui sont le commencement de la réforme ?
Il y a en effet de la bonté dans ses yeux gris, une bonté qu’on sent tout près de devenir agissante, la bonté d’une belle et bien portante habitante de la campagne. […] Et presque aussitôt il m’a entretenu, avec une certaine terreur sur le visage, de la captation, qu’il sentait se glisser autour de lui, — et de la captation caressante avec la voix italienne, et de la captation brutale de l’homme qui affiche son amitié pour vous par des contradictions violentes, et en un mot, de toutes les captations, menées avec les diplomaties et les ruses de la cupidité. […] Je n’ai jamais senti plus vivement la privation du tabac. […] Il me dit aimer l’Angleterre, Londres, l’odeur du charbon de terre, parce que ça sent la bataille de la vie.
De mieux en mieux, c’est là une noble devise et qui doit être celle de quiconque a senti en soi le feu sacré et en est possédé dans toutes les carrières. […] Par son cri d’alarme, il fait bien sentir le danger où fut à une certaine heure la France de se réveiller toute calviniste, au moins par la tête, c’est-à-dire à la Cour, dans les classes élevées et même dans la haute bourgeoisie ; car il y eut un moment de mode presque universelle pour la nouvelle religion ; la jeunesse parlementaire en était plus ou moins atteinte : « Il n’était fils de bonne mère, dit Montluc, qui n’en voulût goûter. » Montluc ne fait point la part de la conviction et de la conscience chez bon nombre de ses adversaires ; mais chez les chefs et les grands il fait très bien la part des motifs ambitieux et intéressés : « Si la reine (Catherine de Médicis) et M. l’amiral (de Coligny) étaient en un cabinet, et que feu M. le prince de Condé et M. de Guise y fussent aussi, je leur ferais confesser qu’autre chose que la religion les a mus à faire entretuer trois cent mille hommes, et je ne sais si nous sommes au bout… » Homme d’autorité et royaliste de vieille roche, il met bien à nu et dénonce l’esprit républicain primitif des Églises réformées et leur dessein exprès de former un État dans l’État.
Il a des mots d’une expression poignante, des mouvements sentis, éloquents, mais aussi (et j’en ferai juge les plus désintéressés) des paroles d’injustice. […] Ces esprits faits, quand ils s’y mettent, ont sur les livres des jugements droits et justes, et qui ne sentent en rien le métier.
Doré, c’est un côté qui n’avait jamais été accusé, ni même senti et soupçonné des dessinateurs précédents. […] Il dut visiter à ce titre bien des points du pays et entrer dans la familiarité de bien des classes ; son expérience de la vie s’accroissait ainsi sans qu’il y songeât et de la façon la meilleure, de celle qui ne sent en rien l’étude.
Napoléon ici hésita, eut des égards pour l’Europe, pour l’empereur Alexandre, alors son ami et son allié intime, celui qui, en 1808, disait au roi de Saxe à Erfurt « qu’il se sentait meilleur après chaque conversation avec l’Empereur Napoléon, et qu’une heure d’entretien avec ce grand homme l’enrichissait plus que dix années d’expérience. » Mais, depuis cette époque, les dispositions de la Russie et de son souverain avaient bien changé ; les exigences de Napoléon au sujet du blocus continental, l’intérêt qu’avait Saint-Pétersbourg à ne pas s’y prêter, les griefs et les passions de sa Cour et de son peuple, avaient influé sur l’esprit mobile d’Alexandre et l’avaient désenchanté peu à peu et finalement aliéné de son grand ami. […] Il aura nécessairement à souffrir des interprétations diverses données à sa conduite, des fausses appréciations répandues dans le public, et il sentira qu’il a besoin d’apologie.
On sent parfois le coursier sous le frein ; quelque chose frémit, et c’est mieux. […] Cette licence n’est pardonnable que dans la rapidité de la passion…, mais dans un discours médité, cet étranglement me révolte. » Même en vers et dans le sent ment vif, il ne faut pas abuser de l’étranglement.
Nous, pour être abreuvés d’ineffables délices, Pour sentir sous vos mains nos cœurs se parfumer, Nos âmes s’abriter à des ombres propices, Il nous suffit de vous aimer ! […] Mademoiselle Bertin, artiste et femme, est faite pour le sentir.
Si l’on veut sentir le prix de la gloire, il faut voir ce qu’on aime honoré par son éclat ; si l’on veut apprendre ce que vaut la fortune, il faut lui avoir donné la sienne ; enfin, si l’on veut bénir le don inconnu de la vie, il faut qu’il ait besoin de votre existence, et que vous puissiez considérer en vous le soutien de son bonheur. […] L’amour-propre, que la société, que l’opinion publique a réuni fortement à l’amour, se fait à peine sentir dans la situation des hommes vis-à-vis des femmes : celle qui leur serait infidèle, s’avilit en les offensant, et leur cœur est guéri par le mépris : la fierté vient encore aggraver dans une femme les malheurs de l’amour ; c’est le sentiment qui fait la blessure, mais l’amour-propre y jette des poisons.
Les enfants élevés entre 1804 et 1814, n’ayant pas senti les misères et n’ayant éprouvé que la fascination des victoires impériales, gardèrent sous la paix des Bourbons des exaltations, qui cherchèrent à se satisfaire par les passions lyriques et les aventures romanesques des livres718. […] Mais c’est l’individualité qu’il y poursuit ; et s’il sent la perfection artistique de la forme chez les écrivains du xviie siècle, il réduit la littérature à l’analyse psychologique et au discours moral.
Les critiques actuels sont tous gênés de leurs rôles ; ils en sentent le vide, la prétention. […] non, nous sentons bien que ce n’est pas cela.
Ils sentent, aussi, disent-ils, passer sur eux le souffle de l’infini, mais ils ne veulent plus du Dieu local des Juifs, du Dieu limité de l’Évangile chrétien. […] Les poètes de 1885 ne veulent plus sentir peser sur leur allégresse ses malédictions ni sa liturgie funèbre.
La grandeur a besoin d’être quittée pour être sentie. […] Notre puissance de sentir, qui est limitée, s’use et s’épuise par la sensation même, et cela d’autant que la sensation est plus vive et plus durable.
Dans son cœur, il sentit gémir l’humanité, Traînant ses lourds espoirs en ses métempsychoses Les pensers de la joie et les secrets moroses, Il les connut, sondant le héros indompté Et la femme, puissante en sa fragilité, Et l’immémoriale antiquité des choses. […] Ils ont reçu de Wagner le goût du leitmotiv — et la manière de le traiter… Souhaitons qu’ils n’oublient point de marquer leur individualité spéciale, d’avoir, bien à eux, leur façon de sentir et leur façon d’exprimer.
Je voudrais essayer de le sauver en rendant consciente la différence de sens que les premiers à l’employer sentirent vaguement entre lui et le mot « style ». […] Ils sentaient peut-être que ce qu’on appelait le style leur manquait et ils prétendaient pourtant, avec quelque raison, à un certain mérite d’expression dont le nom n’existait pas encore.
Bien qu’elle ne vît jamais toute l’étendue de ces inconvénients, elle en aperçut pourtant quelque chose ; elle sentait que là où elle cherchait le repos et le délassement du rang suprême, elle retrouvait encore une obsession intéressée, et quand on lui faisait remarquer qu’elle témoignait souvent trop de préférence à des étrangers de distinction qui passaient en France, et que cela pouvait lui nuire auprès des Français : « Vous avez raison, répondait-elle avec tristesse, mais ceux-là du moins ne me demandent rien. » Quelques-uns des hommes qui, admis dans cette intimité et cette faveur de la reine, étaient obligés à plus de reconnaissance et de respect, furent les premiers à parler d’elle avec légèreté, parce qu’ils ne la trouvaient pas assez docile à leurs vues. […] Enfin, quoi qu’il arrive, conservez-moi votre amitié et votre attachement, j’en ai bien besoin, et croyez que, quel que soit le malheur qui me poursuit, je peux céder aux circonstances, mais jamais je ne consentirai à rien d’indigne de moi ; c’est dans le malheur qu’on sent davantage ce qu’on est.
C’était un gros tempérament comme elle était une grosse beauté… Avec l’exorbitance de son orgueil, et de sa chevelure aux longs tire-bouchons effarés autour de son visage, elle devait se faire à elle-même l’effet de quelque Mirabeau, femme et poëte ; — mais pour tout le monde elle resta toujours une plébéienne de son port, une espèce de poissonnière ou d’écaillère superbe, qu’on se représente les poings aux hanches, l’œil allumé, la bouche ouverte à l’invective ; vomitoire jaillissant dont le malheureux d’Arpentigny avait senti l’éclaboussure ! […] Le duc de Bordeaux, ce pur descendant de Louis XV, le Corrompu, mais qui, tout corrompu qu’il fût, se sentit pourtant un jour assez roi pour ne pas recevoir Voltaire, lors de son triomphe à Paris, fou de sa présence !
C’est à elle que Louis XIV dut les principales qualités de son âme ; cette droiture, ennemie de la dissimulation, et qui ne sut presque jamais s’abaisser à un déguisement ; cet amour de la gloire qui, en élevant ses sentiments, lui donnait de la dignité à ses propres yeux, et lui faisait toujours sentir le besoin de s’estimer ; cette application qui, dans sa jeunesse même, fut toujours prête à immoler le plaisir au travail ; cette volonté qui savait donner une impulsion forte à toutes les volontés, et qui entraînait tout ; cette dignité du commandement qui, sans qu’on sache trop pourquoi, met tant de distance entre un homme et un homme, et au lieu d’une obéissance raisonnée, produit une obéissance d’instinct, vingt fois plus forte que celle de réflexion ; ce désir de supériorité qu’il étendait de lui à sa nation, parce qu’il regardait sa nation comme partie de lui-même, et qui le portait à tout perfectionner ; le goût des arts et des lettres, parce que les lettres et les arts servaient, pour ainsi dire, de décoration à tout cet édifice de grandeur ; enfin, la constance et la fermeté intrépide dans le malheur, qui, ne pouvant diriger les événements, en triomphait du moins, et prouva à l’Europe qu’il avait dans son âme une partie de la grandeur qu’on avait cru jusqu’alors n’être qu’autour de lui. […] Ainsi, après s’être occupé de ses grands desseins avec ses généraux et ses ministres, il se délassait quelquefois en conversant avec Racine : il ordonnait qu’on représentât devant lui les chefs-d’œuvre du vieux Corneille : il sentait de l’orgueil à se voir servir dans son palais par l’auteur du Misanthrope et du Tartufe, et donnant à Molière son roi pour défenseur, empêchait qu’une cabale d’autant plus terrible, qu’on y mêlait le nom de la vertu, n’opprimât un grand homme.
Seul Maupassant l’a un peu sentie, mais ce sont des impressions de canotier. […] Avouons avec ce digne Allemand qui n’accepta aucun compromis, que nous ne nous sentirons pas pour cela moins patriotes. […] Toutefois le caractère était toujours modelé par la crise, on ne le sentait que trop ; mais en 1913, avec le Secret, M. […] Romain Rolland se doit de se sentir dépaysé. […] Sa Raison d’être 161 y parut, son manifeste littéraire. « Sentir, voilà un mot bien dépaysé chez nous, y disait-il.
C’est ce que Paul-Louis, de désagréable mémoire, appelait brièvement ne pas sentir la différence qui sépare Tivoli de Pontoise et Gonesse d’Albano. […] Le nez de Cléopâtre. » Vous sentez-vous le courage de décider et de choisir entre ces trois versions ? […] Un gentilhomme tel que vous doit sentir que c’est là un point délicat. […] Il faut que cet homme ait de l’âme, de la sensibilité, que l’injustice le révolte, et qu’il sente battrait de la vertu. […] Les fables d’Arnault sont fort agréables ; — pour apprendre à sentir celles de La Fontaine.
La carrière est toute grande ouverte à tout ce qui sera un peu bon, on ne l’a jamais mieux senti.
L'effet de cette immense production et consommation quotidienne commence à se faire sentir d’une manière fâcheuse sur la librairie.
Il a publié assez récemment, chez Hetzel, deux petits volumes sur la Rhétorique même et sur la Mythologie, et en rajeunissant par la forme des sujets dont le fond semble épuisé, il s’y montre plus dégagé de ton et plus alerte qu’on ne l’est volontiers dans l’Université, il n’a pas prétendu creuser, il s’est joué sans pédanterie à la surface : on sent un auteur maître de sa matière et qui en dispose à son gré.
On sentirait aussitôt le plaqué.
— Et moi, dit une autre (une petite fleur coquette qui sentait le musc), que n’aurais-je pas à vous dire ?
Quand une vierge est morte, en ce pays de Grèce, Autour de son tombeau j’aperçois mainte tresse, Des chevelures d’or avec ces mots touchants : « De l’aimable Timas, ou d’Érinne aux doux chants, La cendre ici repose ; à l’aube d’hyménée, Vierge, elle s’est sentie au lit sombre entraînée.
Léonide Darcey devait épouser son cousin germain, l’honnête Hollandais Van-Pôle ; mais elle se sent du dégoût pour sa pipe, sa flûte et ses gros yeux saillants ; et puis elle a remarqué la bonté et la beauté de Charles, un jour qu’il soignait avec elle son père mourant.
Voici une pièce qui, en justifiant nos éloges, ne fera sentir qu’à peine ce que nous critiquons : À l’enfant.
Si, en cette circonstance, le poëte a bien compris son rôle, comme nous pensons qu’il l’a fait, il a dû, dès les premiers mots, et profitant de la faveur d’un auguste accueil, amener la question de ce qu’elle pouvait avoir de trop personnel à des termes plus généraux, plus raisonnés, et dans lesquels il se sentait plus à l’aise pour en appeler à l’esprit éclairé et bienveillant de son royal interlocuteur.
Bataille ne semblent pas contrarier cette impression : il y demeure le rêveur nerveusement triste, passionnément doux et tendre, ingénieux à se souvenir, à sentir, à souffrir… La Lépreuse est bien le développement naturel d’un chant populaire ; tout ce qui est contenu dans le thème apparaît à son tour, sans illogisme, sans effort.
Mais on sent bien qu’il les aime en chansons et que son amour, comme on dit, ne leur fait pas de mal.
On sentait, derrière sa modestie, les qualités essentielles du savant, la droiture et l’indépendance du caractère, la sincérité absolue de l’esprit.
Quelle prévention que cette qui fait voir un bureau de fade bel esprit dans cette maison, ou le poète le plus mâle de notre littérature et le plus élevé, à qui il n’est arrivé qu’une seule fois de mettre une passion amoureuse sur la scène, allait chercher des conseils et des encouragements, échauffer et exalter son énergique talent, et où il trouvait l’inexprimable bonheur délie goûté, senti, admiré dans son élévation et dans sa profondeur, par des femmes qui s’étaient passionnées dans la noble conversation de Balzac pour la grandeur romaine !
La Fontaine et Racine avaient besoin, l’un de l’imagination des femmes de la cour pour faire passer ses contes, l’autre de leur âme pour faire sentir plus vivement le pathétique dont la sienne renfermait le secret ; tous avaient besoin du roi pour obtenir la vogue, objet ordinaire de l’ambition des talents, et souvent leur unique récompense.
Mais on la sentira comme une blessure si on rapproche son grossier individualisme de la pensée d’Épictète par exemple.
Il n’est point d’Ouvrages chez les Anciens, où le caractere d’une raison supérieure se fasse mieux sentir.
On voit par son Poëme de la Déclamation, où il y a d’excellens morceaux que Boileau n’auroit pas désavoués, qu’il ne tenoit qu’à lui de s’éleveraux solides beautés, s’il en eût mieux senti le prix, s’il eût plus connu & mieux cultivé ses ressources.
« Que ceux qui ont une idée médiocre ou pauvre et qui ont besoin d’être en face de grands hommes pour s’apercevoir de la grandeur de l’homme, s’adressent à nos de Lesseps, à nos Edison, à nos Pasteur ou bien à nos politiques, aux généraux, aux écrivains, aux artistes, aux grands commerçants, aux industriels fameux, aux philosophes ; mais que ceux qui se sentent l’âme élevée et le cœur vibrant pour la suprême beauté de leur race prennent les plus humbles, les va-nu-pieds et les derniers pauvres gens.
Mais si la personne doit être distinguée, sa douleur doit être commune, c’est-à-dire d’une nature à être sentie de tous.
C’est qu’au fond les plus grands événements de la terre sont petits en eux-mêmes : notre âme, qui sent ce vice des affaires humaines, et qui tend sans cesse à l’immensité, tâche de ne les voir que dans le vague, pour les agrandir.
. : on ne peut plus s’occuper que d’elle ; on en est possédé, enivré : on la retrouve partout ; tout en retrace les funestes images ; tout en réveille les injustes désirs : le monde, la solitude, la présence, l’éloignement, les objets les plus indifférents, les occupations les plus sérieuses, le temple saint lui-même, les autels sacrés, les mystères terribles en rappellent le souvenir32. » « C’est un désordre, s’écrie le même orateur dans la Pécheresse 33, d’aimer pour lui-même ce qui ne peut être ni notre bonheur, ni notre perfection, ni par conséquent notre repos : car aimer, c’est chercher la félicité dans ce qu’on aime ; c’est vouloir trouver dans l’objet aimé tout ce qui manque à notre cœur ; c’est l’appeler au secours de ce vide affreux que nous sentons en nous-mêmes, et nous flatter qu’il sera capable de le remplir ; c’est le regarder comme la ressource de tous nos besoins, le remède de tous nos maux, l’auteur de nos biens34… Mais cet amour des créatures est suivi des plus cruelles incertitudes : on doute toujours si l’on est aimé comme l’on aime ; on est ingénieux à se rendre malheureux, et à former à soi-même des craintes, des soupçons, des jalousies ; plus on est de bonne foi, plus on souffre ; on est le martyr de ses propres défiances : vous le savez, et ce n’est pas à moi à venir vous parler ici le langage de vos passions insensées35. » Cette maladie de l’âme se déclare avec fureur, aussitôt que paraît l’objet qui doit en développer le germe.
Par le jeu d’une multitude d’A, et d’une prononciation large et ouverte, on croirait sentir le calme des tableaux de la nature, et entendre le parler naïf d’un pasteur46.
Si nous franchissons maintenant plusieurs siècles, nous arriverons à des orateurs dont les seuls noms embarrassent beaucoup certaines gens ; car ils sentent que des sophismes ne suffisent pas pour détruire l’autorité qu’emportent avec eux Bossuet, Fénélon, Massillon, Bourdaloue, Fléchier, Mascaron, l’abbé Poulle.
Seulement il ne l’a pas assez fait sentir.
Un scelerat qui subit sa destinée ordinaire dans un poëme, n’excite pas aussi notre compassion ; son supplice, si nous le voïions réellement, exciteroit bien en nous une compassion machinale : mais comme l’émotion que les imitations produisent n’est pas aussi tyrannique que celle que l’objet même exciteroit, l’idée des crimes qu’un personnage de tragedie a commis nous empêche de sentir pour lui une pareille compassion.
Dans les quatre-vingt années écoulées depuis jusques à l’année mil sept cens dix-huit, à peine quelques villes de France ont-elles senti une legere atteinte de ce fleau.
Il le dit aux personnes qui ont confiance en lui, qui la lisent et qui sentent la vérité.
Je voudrais faire sentir, par des exemples, la manière dont M. […] Ils sentaient, un peu trop tard, qu’ils avaient fait fausse route. […] Triste logis : un feu de coke agonise dans le poêle, la lampe file et sent mauvais. […] Elles sentent que l’homme leur échappe. […] Il se sentit tout à coup devenir contemporain du tsar Vladimir et de Iaroslav le Grand.
« Je médite, dit-il, sur l’ordre de l’univers, pour l’admirer sans cesse, pour adorer le sage auteur qui s’y fait sentir. […] Seul, au fond du firmament désert, le Christ, vieux et décrépit, sent après des siècles de siècles, sa fin approcher et la vie divine tarir en lui. […] On sent bien qu’il y a là-dessous, pour l’auteur, de grandes théories d’économie politique et d’organisation sociale. […] Mais qui ne sent sous chaque parole la pensée hostile et l’ironie secrète ? […] Quinze ans, je me suis senti sous vos pieds, et vous m’y avez laissé.
J’ai voulu relire quelque chose de ce gentil maître Clément, et je me suis donné ce plaisir dans l’excellente édition choisie que vient précisément de publier, en la faisant précéder d’une savante étude, un des hommes qui savent et qui sentent le mieux notre ancienne société et notre vieille langue, M. […] Et, en ce qui est de Du Bellay en particulier, dans ce Recueil de l’Olive, on y sent parfois, on y entend à l’avance comme un son et un accent précurseur de cette haute et pure poésie qui ne s’est pleinement révélée que si tard dans les Méditations ; on y ressaisit un écho distinct et non douteux, qui va de Pétrarque à Lamartine. […] J’avois (et peut-être non sans occasion) conçu quelque espérance de recevoir un jour quelque bien et avancement de la libéralité du feu roi, plus par la faveur de Madame que pour aucun mérite que je sentisse en moi.
On sent que l’homme mûri et désenchanté se promène le soir pour se donner les consolations et les diversions de la vie active qui lui était refusée. […] C’est le parfum de l’amour, indélébile comme ce qui est divin ; on sent jusqu’à la dernière vieillesse qu’il a passé dans les cœurs, et qu’il a amélioré la nature. […] Alors il prononça gravement et d’une voix haute ces deux vers de l’Iliade qu’on venait de lui donner à apprendre et à méditer pour sa leçon du lendemain : Ἀτρεἱδη, μἡ ψεὑδε’ ἐπιστἁμενος σἁφα εἰπειν, Οὐ γἁρ ἐπἱ ψεὑδεσσι πατἠρ Ζευς ἔσσετ’ ἁρωγὁς. — « Fils d’Atrée, ne mentez pas, vous qui savez si bien dire la vérité. — Car Dieu, notre père, ne sera jamais le soutien du mensonge. » « Et mon jeune lecteur, en épelant ces vers, se reprit, comme s’il eût été devant le pédagogue, pour me faire sentir l’accent du mot ψεὑδεσσι, mensonge, sur lequel d’abord il n’avait pas assez appuyé.
Le tour de cette apologie peut sentir l’affection ; mais le fond n’en fait pas tort à l’intégrité de jugement dont Balzac loue Descartes. […] Il ne sentait rien médiocrement. […] On ne sentait pas non plus le défaut de noblesse dans le langage.
Une seule règle peut être donnée pour produire le beau : Élevez votre âme, sentez noblement et dites ce que vous sentez. […] Saint-Simon mena, comme introduction à la philosophie, la vie la plus active possible, essayant toutes les positions, toutes les jouissances, toutes les façons de voir et de sentir, et se créant même des relations factices, qui n’existent pas ou se présentent rarement dans la réalité.
Puis je sentis que les rapports de l’homme de foi avec l’incrédule deviennent vite assez pénibles, et je m’interdis des relations qui ne pouvaient plus avoir d’agrément ni de fruit que pour moi seul. […] Dès qu’on se sent poussé par des gens qui veulent prendre les devants, le devoir est de se reculer, d’un air qui signifie : « Passez, monsieur. » Mais il est clair que celui qui tiendrait à cette prescription en omnibus, par exemple, serait victime de sa déférence ; je crois même qu’il manquerait aux règlements. En chemin de fer, combien y en a-t-il qui sentent que se presser sur le quai pour gagner les autres de vitesse et s’assurer de la meilleure place est une suprême grossièreté ?
Parlons sérieusement : aux prises avec l’impossible, l’auteur de Salammbô s’est senti arrêté à chaque pas, et, violant les conditions du vrai savoir, il a passé outre avec une intrépidité de matamore. […] Il agonise au milieu des plus effroyables supplices, et Salammbô, à la vue de ce malheureux qui n’est plus qu’une longue forme rouge , Salammbô, qui s’est donnée à lui par fanatisme, sent tout à coup qu’elle l’aime. […] On sent que la pensée n’est pas de force à le soutenir dans les hauteurs.
Et rien… Votre existence n’a pas marché, on a l’impression d’un nageur qui, en mer, ne se sent pas avancer. […] » Vraiment, le hasard ne l’a pas trop mal servi, parlant à un homme de lettres déjà poursuivi et qui se sent poursuivable toute sa vie… Mais dans la bouche du devin, la phrase n’avait-elle pas un autre sens ? […] Quand on lui parle de l’avant-dernière couche de ses amis, on sent qu’il y a déjà des pelletées d’oubli dessus.
Ajoutez à ces habiletés merveilleuses, l’harmonie et l’éclat de la parole, la grâce et la force du langage, la véhémence de la passion, l’intérêt de l’action coupée avec art, et cette heureuse façon d’amonceler, sur un point donné, tous les mérites du héros de la comédie ou du drame, à condition que tous ces mérites si divers, se feront sentir, en même temps et tout à la fois . […] Mon titre écrit, j’allais bravement commencer, quand tout à coup je sentis comme un regard animé et mélancolique à la fois qui se posait sur mon épaule : c’était le regard de ce brave Henri, qui est bien l’homme le plus naturellement mécontent qui se soit jamais rencontré en mon chemin. […] Ce même chapitre que j’écris souvent avec passion, avec amour, avec le bonheur de l’artiste qui sent son instrument s’échauffer sous ses doigts, je vais l’écrire aujourd’hui d’une plume languissante et affaissée ; vous cependant, quand vous devriez m’encourager, vous me prenez en traître, et vous m’écrasez sous vos injures ; vous me reproche ; mon admiration pour Molière, qui est mon soutien, mon appui mon Dieu !
Renan et ne sent jamais le grand, parce que le grand ne se sent qu’avec l’âme, l’écrivain n’est jamais, dans son Antechrist, au niveau des choses horriblement grandioses qu’il avait à raconter, et qu’il n’avait pas à diminuer puisque ce ne sont pas des choses chrétiennes… Le Néron que je cherchais dans cet Antechrist, qui est Néron et qui le fût aux yeux des chrétiens de son temps, lesquels avaient plus d’imagination que le détracteur qui leur prend ce nom pour en tirer un livre, Néron est moins terrible, moins extraordinaire et moins frappant sous les phrases trop modernes que M. […] Vous sentez bien, n’est-ce pas ?
Après avoir travaillé l’esprit humain pendant quatre siècles et avoir versé dans ses veines un poison qu’il y retrouvera peut-être toujours, elles se sont enfin senties épuisées et une défaillance secrète a commencé de les saisir. […] En vain les ennemis du Puséysme appuyèrent-ils les amis du professeur suspendu ; en vain l’agitation prit-elle des proportions formidables ; les Puséystes, qui se sentaient vigoureux de leur union comme de leurs principes, en appelèrent à l’Université. […] Mais quand les idées contre lesquelles elle a été élevée, comme une tour de guerre, par la prévoyance des Tudors, elle les a senties dans son sein ; quand un de ses plus illustres professeurs (le Dr Pusey) a couvert de son nom ce romanisme qui sera peut-être du papisme demain, oh !
On cessa d’être émerveillé, mais on se trouva ému ; & l’on sentit enfin que le moyen d’intéresser le cœur étoit de ne point trop vouloir étonner l’esprit. […] C’est la vraisemblance d’action unie à des sentiments vrais ; ce sont des caracteres pris dans la Nature, & une marche tracée avec art, sans que l’art se fasse trop sentir. […] Il y en aura moins, sans doute ; mais on sentira mieux le prix de ceux qu’on aura.
Mais il faut que vous soyez aptes à sentir la beauté ; car comme aucun d’entre vous ne peut aujourd’hui se passer de puissance, nul n’a le droit de se passer de poésie. […] Les aristocrates de la pensée, les distributeurs de l’éloge et du blâme, les accapareurs des choses spirituelles, vous ont dit que vous n’aviez pas le droit de sentir et de jouir : — ce sont des pharisiens. […] Le romantisme n’est précisément ni dans le choix des sujets ni dans la vérité exacte, mais dans la manière de sentir. […] Bien qu’il soit évidemment un homme d’esprit, — le choix de ses sujets suffit pour le prouver, — on sent que le souffle hoffmannesque n’a point passé par là. […] Mais sa couleur, un peu molle et fluide, sent les habitudes de l’aquarelle, et, s’il a su éviter les crâneries des autres paysagistes, il ne possède pas toujours une fermeté de touche suffisante.
Un souffle de renouveau (tant pis pour qui ne le sent pas !) […] On sentait sous les mots une âme ardente, passionnée pour la justice et la vérité. […] France paraît ne rien voir, ne rien sentir. […] Rien qui sente la déclamation creuse ; aucune tendresse pour les utopies. […] Cela sent bon la vie, la jeunesse, la santé.
Publiciste plein de verve, et homme politique encore plus zélé qu’ambitieux, il ne se considérait dans les lettres proprement dites que comme un amateur, et son désir, son effort, dans les derniers temps, et quand des loisirs lui furent imposés par les circonstances, c’eût été de conquérir, en perfectionnant un de ses anciens livres, ce rang d’auteur durable dont il sentait tout le prix.
Au bout de quelque temps de ce voyage entre bons amis, le catholicisme se trouverait fort dépourvu et amoindri : il le sent, aussi n’accepte-t-il pas les avances, et il tire à boulets contre l’ennemi qui a beau se pavoiser de ses plus pacifiques couleurs.
Mais lorsqu’il se sera fait un plan, lorsqu’une fois il aura rassemblé et mis en ordre toutes les pensées essentielles à son sujet, il s’apercevra aisément de l’instant auquel il doit prendre la plume, il sentira le point de maturité de la production de l’esprit, il sera pressé de le faire éclore, il n’aura même que du plaisir à écrire…..
Et c’est à l’unité, à la cohésion trop exacte que se trahissent l’étude et la méditation dans certains recueils de lettres : on sent que chaque lettre est écrite, que c’est style d’auteur, et non langage de causeur.
Les plus légères nuances de la pensée, les plus fugitifs mouvements de la sensibilité peuvent être rendus par le langage : tout ce qui peut être senti, peut être nommé.
Il a cru que l’art possédait une vertu intrinsèque qui consolait de tout, et il semble tout d’abord avoir fait de l’art pour oublier, mais bientôt repris par son démon, — qui était sa vie et sa flamme, — il en a poursuivi l’essence même et il a voulu tâter de ses mains et presser contre son cœur la pomme d’or dont les poètes s’étaient jusqu’à présent contentés de sentir la folle caresse des rayons.
Aristophane ou Sterne en eût été jaloux ; On y sentait leur sel, mais le tien est plus doux.
Le Parti Philosophique, dont il est un des Sous-Chefs, a mis ses Eloges de plusieurs Membres de l’Académie des Sciences bien au dessus des Eloges de Fontenelle, parce qu’il est d’usage parmi les Philosophes de ne louer que par comparaison & par intérêt : mais les Littérateurs, que l’esprit de parti n’aveugle point, trouvent que les Eloges du Secrétaire actuel ne sont propres qu’à faire mieux sentir le mérite de ceux de son prédécesseur.
Jamais homme ne fit sentir avec plus de dignité l’accord de ces deux mérites.
si tu veux que j’aime jusqu’au bout, Fais que-celui que j’estime mon tout, Qui seul me peut faire plorer & rire, Sente en ses os, en son sang, en son ame, Ou plus ardente, ou plus égale flamme.
Enfin, cette pastorale ne ressemble ni aux idylles de Théocrite, ni aux églogues de Virgile, ni tout à fait aux grandes scènes rustiques d’Hésiode, d’Homère et de la Bible ; mais elle rappelle quelque chose d’ineffable, comme la parabole du bon Pasteur, et l’on sent qu’il n’y a qu’un chrétien qui ait pu soupirer les évangéliques amours de Paul et de Virginie.
On se sent capable de broder un sujet commun de quelques phrases brillantes ; on ne l’est point de soutenir des recherches fatigantes.
Tant que les peintres portraitistes ne me feront que des ressemblances, sans compositions, j’en parlerai peu ; mais lorsqu’ils auront une fois senti que pour intéresser, il faut une action, alors ils auront tout le talent du peintre d’histoire, et ils me plairont indépendamment du mérite de la ressemblance.
On sent dans tous leurs vers un poëte plus glacé qu’un vieil eunuque.
On ne pourroit pas sentir la force des expressions d’un tableau, si le coloris en étoit absolument faux et mauvais.
je partage votre généreuse ardeur, mais je vous prie de la modérer quelques instants encore… Je n’ai pas l’habitude des harangues, et, nourri loin de l’Académie, je n’en connais pas les périphrases… Et pourtant je vous dois un discours bien senti avant de vous faire faire le pas décisif dans cette route glorieuse, mais semée d’écueils, où je vous ai engagés… C’est un devoir, je saurai le remplir… (Il rougit.)
Il faut s’armer de sagesse même contre les passions les plus innocentes, parce qu’il n’y a pas de passions innocentes, et même en parlant de la lecture il faut dire : Le sage qui la suit, prompt à se modérer, Sait boire dans sa coupe et ne pas s’enivrer Aussi bien chacun sent qu’il y a un art de lire et, si la lecture n’offrait aucun danger, il n’y aurait pas besoin d’art pour s’y livrer.
Profondément ignorant, il a besoin d’apprendre, il le sent ; mais comme M. […] On sent, en lisant ces pages, que la grandeur pourrait exister dans le monde qu’elles créent : mais malheureusement les personnages sont si faiblement inventés, qu’elle passe rapidement après avoir empreint au hasard la trace de ses pas sur quelques vers. […] Il est certain cependant qu’on doit des remerciements à l’écrivain qui ajoute à une œuvre bien sentie, bien coordonnée, bien exprimée, un attrait de plus. […] À la fenêtre, il sent battre son cœur, et ses yeux se mouillent ; c’est l’aspect de la patrie qui l’émeut, il entend parler allemand, et il lui semble que son cœur saigne. […] Mais là, il se sent un peu affaibli ; sa tête remuée par les fumées du vin du Rhin, avait déjà commencé à compromettre le calme de son estomac.
nous forcer de savoir ce que l’on a senti avant nous, et nous faire croire que l’on gagne quelque chose à se connaître ! […] Il pense et ne sent pas. […] Narcisse sent que son âme est adorable, mais voudrait en connaître la figure sensible et cherche un miroir. […] La première inquiétude vint à Rachel, lorsqu’elle sentit que Luc commençait à penser. […] Cette histoire sent un peu le fagot.
Il n’est pas douteux que des gens se sont un jour sentis amenés ou ramenés aux idées religieuses, qui n’avaient ni le désir, ni la crainte, ni l’espoir de ce revirement. […] Il faut sans doute supposer que les hommes capables de subir l’heureuse influence de l’inspiration sont aussi des hommes plus que les autres capables de sentir avec force et avec fréquence les chocs du monde extérieur. […] Il est vrai que cette infériorité n’est pas plus facile à démontrer qu’à sentir, et que le raisonnement demeure inefficace, la page achevée, pour celui qui a lu comme celui qui a écrit ; et cela est fort heureux. […] Qui n’est pas à même de tout sentir ne peut tout comprendre, et ne pas tout comprendre c’est ne comprendre rien. […] J’ai senti sous le pic un bon terrain.
Ne doit-on pas quand on compile l’Histoire ancienne, faire sentir l’énorme différence de ces capitaines de bandits avec de véritables Rois d’une nation puissante ? […] Zosime Procope, Agathias, auteurs grecs, se sentent de la décadence que le goût avoit éprouvé dans leur siécle. […] Un air de raillerie, & beaucoup de partialité s’y font sentir aux lecteurs les moins pénétrans. […] Il n’est personne qui ne sente la supériorité de cet ouvrage sur le précédent. […] On sent en effet en lisant l’ouvrage du Roi de Prusse qu’il est écrit de génie, & qu’il n’appartient qu’à lui.
Pétrone, parlant d’un poëme de la Guerre civile, en esquisse largement la poétique en ces termes : « Il ne s’agit pas, dit-il, de comprendre en vers tout le récit des faits, les historiens y réussiront beaucoup mieux ; mais il faut, par de merveilleux détours, par l’emploi des divinités, et moyennant tout un torrent de fables heureuses, que le libre génie du poëte se fasse jour et se précipite de manière qu’on sente partout le souffle sacré, et nullement le scrupule d’un circonspect récit qui ne marche qu’à couvert des témoignages102. » On se ressouvient involontairement de cette recommandation en lisant les Argonautes ; non certes que les fables et les prodiges y fassent défaut : ils sortent de terre à chaque pas ; mais ici ces fables et ces prodiges sont, en quelque sorte, la suite des faits mêmes, et il ne s’y rencontre aucune machine supérieure, aucune invention dominante et imprévue, pour donner au poëme son tour, son impulsion, sa composition particulière. […] Le palais du roi est magnifiquement décrit, et rappelle par quelques endroits celui de Ménélas ou d’Alcinoüs dans l’Odyssée ; on se sent, à première vue, dans la demeure d’un fils du Soleil. […] Et peut-être qu’elle-même, en disant ces choses, elle en subissait l’illusion, elle croyait les penser et les sentir. […] Mais à peine sa sœur l’a-t-elle quittée, que la voilà qui retombe à nos yeux dans les incertitudes et les combats : la pudeur la ressaisit, et la crainte de se sentir méditer de telles choses contre son père et en faveur d’un homme !
Le souvenir de son propre esclavage même et de sa condition d’affranchi lui faisait sentir plus qu’à un autre la passion de la supériorité sociale. […] Auguste gouvernait si doucement qu’on ne sentait pas sa main ou qu’on ne la sentait que par ses bienfaits. […] On sentait dans le silence de cet héritier la préméditation de la tyrannie.
Ce fut aussi pour moi, en particulier, une époque de véritables disgrâces qui surgirent alors, ou dont les conséquences se firent sentir plus tard. » V Le cardinal Negroni, son président, lui fut enlevé par la mort en 1789. […] La douleur m’avait presque mis hors de moi ; néanmoins je me sentais ranimé et encouragé par le calme inexprimable de mon souverain et par la sérénité de son visage. […] Dix-huit suffrages étaient déjà assurés au cardinal Bellisomi ; Herzan sent le danger pour sa cour ; il obtient un délai nécessaire pour former la brigue du cardinal Mattei, plus agréable à l’empereur. […] À la fin, et après trois mois d’inaction, le conclave sent qu’il perd l’Église.
Fior d’Aliza Chapitre premier I …………………………………………………………………………………………………………………………………………… Après ces grandes fièvres de l’âme qui l’exaltent jusqu’au ciel et qui la précipitent tour à tour jusque dans l’abattement du désespoir, on reste quelque temps dans une sorte d’immobilité insensible, comme un homme tombé d’un haut lieu à terre, qui ne sent plus battre ses tempes, et qui ne donne plus aucun signe de vie. […] Ce ne fut que plus tard que je me rendis compte de cette fausse grandeur guindée sur des échasses, et de cette fausse poésie qui déclame et qui ne sent rien. […] « Souvent, le bras posé sur l’urne d’un grand homme, Soit aux bords dépeuplés des longs chemins de Rome, Soit sous la voûte auguste où, de ses noirs arceaux, L’ombre de Westminster consacre ses tombeaux, En contemplant ces arcs, ces bronzes, ces statues, Du long respect des temps par l’âge revêtues, En voyant l’étranger d’un pied silencieux, Ne toucher qu’en tremblant le pavé de ces lieux, Et des inscriptions sur la poudre tracées Chercher pieusement les lettres effacées J’ai senti qu’à l’abri d’un pareil monument Leur grande ombre devait dormir plus mollement ; Que le bruit de ces pas, ce culte, ces images, Ces regrets renaissants et ces larmes des âges, Flattaient sans doute encore, au fond de leur cercueil, De ces morts immortels l’impérissable orgueil ; Qu’un cercueil, dernier terme où tend la gloire humaine, De tant de vanités est encor la moins vaine ; Et que pour un mortel peut-être il était beau De conquérir du moins, ici-bas, un tombeau ? […] Je sentais aussi que si j’avais le malheur de le tuer, je serais forcé de quitter l’Italie à jamais.
Mais le contrecoup des idées émises par les novateurs se fait sentir peu à peu aux établissements d’instruction. […] L’élargissement graduel du groupe des gens instruits a son contrecoup immédiat dans la situation des écrivains et aussi dans le caractère de leurs œuvres ; car un auteur, tout en songeant à exprimer ce qu’il pense et ce qu’il sent, dédaigne rarement de plaire aux lecteurs qu’il prévoit ou aux lectrices qu’il désire. […] La jeune génération, le jour où elle sent le besoin de quelque chose de nouveau, traite de haut la génération qui l’a précédée, et elle brûle sans pitié ce que celle-ci avait adoré. […] Outre cette action, qui se fait sentir à l’ensemble du mouvement littéraire, ils ont encore d’autres effets particuliers, qui sont, comme il arrive d’ordinaire, mélangés de bien et de mal.
Et il rappelait dans sa vie, une certaine soirée où il aimait, une soirée, où Paris lui était apparu comme une ville transfigurée… une ville blanche, sans prostitution aux coins des rues… Et il avait senti le besoin d’aller raconter son impression à Coquelin l’aîné, en train de quitter dans sa loge le costume de Mascarille, et qui lui avait dit : « Tu es saoul ! […] Elles empoisonnent l’individu attaqué, au bout d’un certain nombre d’heures, d’un certain nombre de jours, et je commence à en sentir l’effet. […] Mme de Nittis, dépeignée, un caraco mal boutonné sur une camisole, une jupe attachée de travers, de l’égarement dans les yeux, va incessamment d’un bout à l’autre du long salon, tombant un moment sur un fauteuil ou sur un canapé, qu’elle trouve en son chemin, se relevant aussitôt, et reprenant son éternelle promenade, avec des pieds qui traînent et qu’on sent las, et qui marchent toujours. […] Cette esquisse qu’il avait abandonnée, lorsque sa vue avait commencé à se brouiller, il me la montrait, mardi dernier, au milieu des pots de confitures et des bocaux de pickles, confectionnés, ces jours derniers, par sa femme, et dont, un moment, dans une enfantine gaîté, il me faisait voir les jolies colorations, sentir les arômes piquants.
Ses émotions lui sont ainsi constamment soufflées ; on le pousse du coude pour lui faire sentir la solennité d’une occasion, ou solliciter son rire aux endroits comiques, et il n’est pas de personnage, de tableau, de scène, de dialogue dont on ne sache, aux premières phrases, ce que l’auteur en pense et ce qu’il veut en faire penser. […] L’effroi le lui a permis ; plus rarement c’est la pitié qui l’inspire, comme pour cette bizarre et excessive jeune femme, la Louise des Temps difficiles, qui s’échappe si violemment de la dure éducation de chiffres et de faits, de brutal égoïsme et de froid détachement dans laquelle l’enserraient son père et son mari, pour sentir sourdre en elle la révolte des sentiments cordiaux. […] Il ne réussit à provoquer chez ses lecteurs aucune part de l’admiration qu’il ressent pour ses vertueux héros et ses gracieuses héroïnes ; les personnages et les scènes où on le sent animé d’indulgence et de plaisir ne sont artistiquement efficaces que quand il met à les décrire quelque malice et quelque douceur, usant ainsi de ce mélange de gaîté et d’attendrissement qui est à proprement parler l’humour, tel que Stern et Lamb eu ont donné de célèbres exemples. […] Pickwick se résigne à se laisser enfermer dans la prison pour dettes afin de ne pas payer une indemnité à laquelle il se sent injustement condamné, et quand, avec un attachement bouffon, Samuel Weller se fait incarcérer avec son maître à la requête de son vieux coquin de père.
Nous plaignons ceux qui ne sentent pas cette perfection de la langue dans un homme providentiel pour notre littérature. […] On y sent la tension pénible d’un talent naissant qui veut s’élever, malgré la nature, à la concision héroïque et à l’enflure espagnole de Corneille. […] On y sent l’homme achevé du monde plus que le poète ; il voulait dégoûter son fils des vers : « Ne croyez pas que ce soient mes vers qui m’attirent toutes ces caresses. […] Mon talent avec eux n’est pas de leur faire sentir que j’ai de l’esprit, mais de leur apprendre qu’ils en ont.
La réflexion appliquée à la recherche des droits et des devoirs de l’homme faisait apercevoir le vide des institutions existantes ; on sentait vivement le besoin d’une régénération complète du corps social. […] Frédéric régnait alors à Berlin, et ceux des beaux-esprits français qui ne se sentaient pas capables de briller en France à côté de l’astre éblouissant de Voltaire, allaient à Berlin faire en sous-ordre les amusemens de la cour et du maître. […] Dieu, le monde, l’ame, l’existence future, sont des objets qui provoquent sans cesse la curiosité de l’esprit humain, et auxquels il revient sans cesse, car notre nature se sent dégradée lorsqu’elle les néglige. […] La colombe légère, lorsqu’elle traverse d’un libre vol l’air dont elle sent la résistance, pourrait croire qu’elle volerait encore bien mieux dans le vide ; ainsi Platon oublie le monde sensible, parce que ce monde impose à la raison des bornes étroites, et se hasarde par-delà, sur les ailes des idées, dans l’espace vide de l’entendement pur.
Ce mot, qui sent l’argot d’atelier d’une lieue, devrait être supprimé du dictionnaire de la critique. […] Gautier, quand les œuvres vont bien à son tempérament et à son éducation littéraires, commente bien ce qu’il sent juste — à savoir qu’il y a deux genres de dessins, le dessin des coloristes et le dessin des dessinateurs ? […] C’est élégant, — cela sent bon. […] Français est aussi un paysagiste de premier mérite — d’un mérite analogue à Corot, et que nous appellerions volontiers l’amour de la nature — mais c’est déjà moins naïf, plus rusé — cela sent beaucoup plus son peintre — aussi est-ce plus facile à comprendre. — Le soir est d’une belle couleur.
Les lettres pourtant avaient place dans son ambition ; il sentait qu’il était né sous cette double étoile de Montesquieu et de Voltaire qu’il appelle tous deux « les créateurs de l’esprit de leur siècle ». […] C’est une famille pour qui je me suis toujours senti un profond respect, en qualité de poète et de malade.
Bailly, qui sentit le bonheur de cet à-propos et qui en profita, n’y donna d’ailleurs qu’avec grâce, légèreté, et en homme tout à fait d’esprit. […] Voltaire, qui se sentait ainsi conduit et promené d’hypothèse en hypothèse, résistait en plaisantant ; il avait dès l’abord écrit à Bailly : J’étais toujours persuadé que le pays des belles nuits était le seul où l’astronomie avait pu naître ; l’idée que notre pauvre globe avait été autrefois plus chaud qu’il n’est, et qu’il s’était refroidi par degrés, me faisait peu d’impression.
Quant à ceux qui ont atteint quelques-unes des hauteurs du globe, je les appelle en témoignage : en est-il un seul qui, à leurs sommets, ne se soit trouvé régénéré et n’ait senti avec surprise qu’il avait laissé au pied des monts sa faiblesse, ses infirmités, ses soins, ses inquiétudes ; en un mot, la partie débile de son être et la portion ulcérée de son cœur ? […] On sent à cette vive peinture que Ramond, malgré sa précoce expérience, n’a pas épuisé encore cette puissance d’enthousiasme, cette ardeur de confiance et d’initiation qui peut entraîner même les plus éclairées des jeunes âmes : ici, il est presque fasciné par Lavater, il le sera tout à l’heure et pour quelque temps par un moins digne, par Cagliostro, un Lavater bien moins innocent.
Dans cette petite pièce on sent toute l’ardeur de la Renaissance, cette avidité d’apprendre, de dévorer, de s’incorporer les anciens. […] Sans le connaître, ils sentent en lui comme un grand ennemi personnel, et ils le voudraient supprimer.
Il s’est senti à la fête, et il a eu le mot du moment, qui résume toute la poésie de son art. […] Né pour la guerre, on sentit à Versailles qu’il pouvait être utile encore à autre chose.
Taine le sent aujourd’hui) d’être traité avec autant de sympathie que Jouffroy. […] Sa grande préoccupation fut toujours de trouver, d’atteindre le point d’appui intérieur, et là où d’autres ne voyaient qu’un fait, une modification ou tout au plus un centre de gravité instable et mobile, de sentir, lui, un centre fixe, un point essentiel, indivisible, indestructible, animé, une cause vive, une monade, une âme.
Si chaque homme sensé, et qui a senti ou qui a vu, laissait ainsi son petit livre à son image, la science morale en serait plus avancée. […] Tout en envisageant ces dignités ecclésiastiques d’une manière beaucoup trop mondaine, il eut pourtant le bon sens de reconnaître ses limites et de sentir qu’il n’avait rien de la capacité ni de la vocation épiscopale : « Car pour en dire la vérité, bien que je tinsse à honneur d’avoir été proposé pour un état si sublime, si est-ce que, ne m’en trouvant pas digne, je me contentais seulement d’avoir donné sujet d’en parler. » C’était déjà, en effet, beaucoup d’honneur pour lui qu’on eût songé, un moment, à en faire un évêque.
Il n’y a de vieilli en moi que les vices et les passions, et leurs organes : mon âme est dans sa vigueur et se réjouit de ce qu’elle a peu à faire avec le corps ; elle a déposé une grande partie de son fardeau ; elle se sent légère, et me fait mainte chicane sur la vieillesse ; à l’en croire, c’est sa belle saison à elle, c’est sa fleur… » Telles sont les spirituelles consolations d’un stoïcien qui essaye de se donner le change ; mais encore une fois, ce n’est point le cas de Bonstetten ; car il était alerte et dispos de corps comme d’esprit. […] Ma gaieté, mon amour pour la poésie anglaise, que je lisais avec Gray, l’avaient comme subjugué, de manière que la grande différence de nos âges n’était plus sentie par nous.
On n’eut pas cette délicatesse la plus élémentaire, qui eût consisté à sentir que c’était, ou jamais, un cas d’exception. […] Privé de l’exercice du cheval par l’impatience qu’il avait de se sentir espionné et suivi, il essaya d’y substituer un autre travail, un autre mode de fatigue : il se fit brusquement jardinier et planteur, et il s’y porta avec l’ardeur qu’il mettait à tout.
Toutes ces gradations, cet amour du jeune garçon plus âgé, et qui lui a pris pourtant un peu plus tard qu’à la jeune fille, leur plainte secrète, à tous deux, quand ils se sentent blessés et qu’ils gémissent chacun à sa manière, sont de la plus fine nuance. […] Le paysage est tout à fait dans le style du Poussin, et quelques traits ont suffi pour dessiner dans la perfection le fond sur lequel se détachent les personnages. » Ils en reparlèrent encore les jours suivants ; mais ce fut dans la conversation du 20 mars 1831, pendant le dîner, que les idées échangées entre Gœthe et son disciple épuisèrent le sujet ; on y trouve le jugement en quelque sorte définitif sur cette production charmante, Goethe venait de relire l’ouvrage dans le texte de Courrier-Amyot, et il en était plein ; son imagination tout hellénique s’en était sentie consolée et rajeunie : « Le poème est si beau, disait-il, que l’on ne peut garder, dans le temps misérable où nous vivons, l’impression intérieure qu’il nous donne, et chaque fois qu’on le relit, on éprouve toujours une surprise nouvelle.
à une peau très-blanche et à des cheveux blonds, donnaient à sa beauté un tel éclat qu’il était difficile, à sa vue, de ne pas sentir tout à coup saisi et subjugué. […] Mais le jour viendra, troupe mal née et criminelle, que moi, retourné pourtant aux côtés de ma dame, je te ferai sentir si je suis poète !
On sait cette énumération grandiose des victoires et conquêtes d’Auguste, qui se termine par ces simples mots : « … Les Indes recherchent son alliance ; ses armes se font sentir aux Rhètes ou Grisons… ; la Pannonie le reconnaît ; la Germanie le redoute, et le Weser reçoit ses lois : victorieux par mer et par terre, il ferme le temple de Janus : tout l’univers vit en paix sous sa puissance, et Jésus-Christ vient au monde. » Ici Bossuet arrive à sa région propre : on dirait qu’il va prendre l’essor, ou du moins l’aile s’entr’ouvre et se fait sentir ; mais il se réserve ; il attendra, pour se déployer, la seconde partie.
L’auteur, on le sent, est fait pour devenir le descendant par adoption de cette antique famille littéraire que Racine, le premier, a introduite et naturalisée parmi nous. […] La génération à laquelle il appartient avait besoin, elle a besoin encore d’un interprète qui exprime en traits de feu cette âme poétique qu’elle sent s’agiter confusément en elle, d’un prophète qui lui dévoile cet avenir de science et de liberté auquel elle aspire.
Enfin, si, dans ces différentes situations, on se sent assez fort pour ne vouloir que ce qui dépend de soi seul, pour ne compter que sur ce qu’on éprouve, on n’a pas besoin de se consacrer à des ressources purement solitaires. […] tantôt la superstition défend de penser, de sentir, déplace toutes les idées, dirige tous les mouvements en sens inverse de leur impulsion naturelle, et sait vous attacher à votre malheur même, dès qu’il est causé par un sacrifice ou peut en devenir l’objet ; tantôt la passion ardente, effrénée, ne sait pas supporter un obstacle, consentir à la moindre privation, dédaigne tout ce qui est avenir, et poursuivant chaque instant comme le seul, ne se réveille qu’au but ou dans l’abîme.
. — Non seulement le dehors, mais encore le dedans était factice ; il y avait une façon obligée de sentir, de penser, de vivre et de mourir. […] Les femmes qui l’ont érigée en obligation sont les premières à en sentir le mensonge, et à regretter, parmi tant de froids hommages, la chaleur communicative d’un sentiment fort.
Dans les efforts de L’Hôpital pour obtenir la paix religieuse, dans la résistance de Pasquier à l’établissement des Jésuites, dans le rôle de Du Vair qui essaie de réconcilier le peuple catholique avec le roi légitime, le même esprit se montre ; et l’action de ce tiers parti, qu’on dit des politiques et qu’on devrait dire des patriotes, se fait sentir. […] Mais il faut noter qu’ici encore la guerre civile et l’actualité ont aidé les esprits à secouer le joug de l’érudition, et fait passer en quelque sorte l’imitation de l’extérieur à l’intérieur de l’œuvre littéraire ; la nécessité d’être lu, compris et goûté de tous a fait que les auteurs de la Ménippée, et parmi eux un lecteur royal, n’ont plus pris aux anciens que ce qu’ils ont senti être conforme à leur raison, ce qui pouvait rendre leur pensée ou plus forte, ou plus sensible, ou plus agréable aux simples Français.
Et sans doute, dans son tête-à-tête avec Elmire, il débute assez lourdement par l’emploi du « jargon de la dévotion » ; mais, insensiblement, il sait tourner ce jargon en caresse, et le rapproche enfin de la langue vaguement idéaliste que l’amour devait parler, cent cinquante ans après Molière, dans des poésies et romans romanesques et qui a plu si longtemps aux femmes… Mais, en outre, il a de la finesse et de l’esprit, et des ironies, et des airs détachés qui sentent leur homme supérieur et qui sont d’un véritable artiste en corruption. […] Et, par cela seul qu’il applique à une passion profane le vocabulaire et les images de la « mystique » chrétienne, il se trouve presque composer, sans le savoir, une sorte d’élégie idéaliste aux airs déjà vaguement lamartiniens : Ses attraits réfléchis brillent dans vos pareilles… Il a sur votre face épanché des beautés Dont les yeux sont surpris et les cœurs transportés ; Et je n’ai pu vous voir, parfaite créature, Sans admirer en vous l’auteur de la nature, Et d’une ardente amour sentir mon cœur atteint, Au plus beau des portraits où lui-même il s’est peint.
Ils comprennent qu’ils ne savent rien ; ils sentent qu’il leur serait sain d’agir ; — la santé avant tout : ils agiront au hasard, bravement. […] Robert de Bonnières a trop le sentiment des nuances pour ne sentir pas excessive la place que lui fit son critique.
« Le fait de se rappeler, c’est-à-dire d’avoir une idée combinée avec la croyance que la sensation correspondante a été actuellement sentie par moi, cela semble être le fait vraiment élémentaire du moi, l’origine et la base de cette idée. » Nous passons maintenant aux opérations qui nous donnent les notions abstraites et générales : la classification et l’abstraction. […] Je crois qu’il fera jour demain, qu’il y aura des voitures dans les rues de Londres, que la marée se fera sentir à London-Bridge, etc.
Le lecteur s’élève et respire avec eux : il entend partout le langage consolant de l’espérance, et ce langage se sent de plus en plus du voisinage des Cieux. […] Mais on n’y sent pas ce goût âpre et sauvage, cette franchise qui ne peut s’allier avec la perfection, et qui fait le caractère et le charme de Dante.
Cependant la douce et honorable hospitalité de Vienne ne suffisait pas au maréchal ; il se sentait encore des forces, de l’ardeur, une curiosité active ; pour la satisfaire, pour tâcher de donner « un nouvel intérêt à son existence », il conçut le projet d’un grand voyage à travers la Hongrie, la Russie méridionale, jusqu’en Turquie, en Syrie et en Égypte. […] Par un sentiment précurseur, et comme il arrive à ceux qui, loin du ciel natal, se sentent décliner et approcher du terme, il nourrissait depuis quelque temps un vif et secret désir de revoir la France.
Il ne sut pas l’être assez tôt pour le comte de Guiche, à qui, en l’introduisant dans l’intimité de la princesse, il faisait admirer des charmes qui d’eux-mêmes se sentaient assez et étaient irrésistibles. […] C’est un enfant incapable de sentir là-dessus ce qu’elle doit, et nourrie présentement à me haïr.
Qu’on n’ait point fait de livres, qu’on en ait fait de passables ou qu’on en ait fait de très bons, chacun a le droit d’enseigner le style, s’il sent le style, s’il a de l’expérience et des idées sur le style, par cette simple raison qu’on est souvent capable de sentir profondément ce qu’on est incapable de réaliser.
Rousseau, que l’on trouve sur le chemin de toutes les vérités, lorsqu’il n’est pas contraint d’en sortir par l’esprit de système, Rousseau avait bien compris l’obstacle de l’union des sexes dans l’état absolu d’ignorance ; et c’est même une des objections qu’il se propose dans son Discours sur l’Inégalité des conditions : cependant cela ne l’empêche point, dans son Contrat social, de se hâter de dissoudre les liens de famille sitôt que, selon lui, le besoin cesse de s’en faire sentir pour l’enfant. […] Les inconvénients de la société, qui à toutes les époques blessent toujours plus ou moins certains hommes, se font bien plus sentir, ou deviennent bien plus généraux, dans les temps de révolution, ou dans les temps qui précédent les révolutions.
Je pense seulement que le livre sera bon si le lecteur, en le fermant, a senti plus vivement le danger, personnel ou social, de la faute ou de l’erreur que l’auteur a décrite, ou s’il a plus clairement compris la grandeur et la nécessité de la loi morale à laquelle il est, comme homme, obligé d’obéir. […] Elles ne savent pas ce qu’est la vie, mais elles savent que la vie n’est pas dans ces contrefaçons illicites, et elles sentent qu’on les a trompées.
Le corps ne se sent plus soulevé par l’objet aperçu, et comme c’est dans cette suggestion d’activité que consiste le sentiment de l’actualité, l’objet représenté n’apparaît plus comme actuel : c’est ce qu’on exprime en disant qu’il n’est plus présent. […] Elle n’a intérêt à l’apercevoir que lorsqu’elle se sent capable de l’utiliser, c’est-à-dire lorsque l’état cérébral présent dessine déjà quelques-unes des réactions motrices naissantes que l’objet réel (c’est-à-dire la représentation complète) aurait déterminées : ce commencement d’activité du corps confère à la représentation un commencement d’actualité.
Zola : que le fumier ne sent pas bon ; que si l’on boit trop de vin ou de cidre, on se grise ; qu’il est arrivé quelquefois à la grêle de hacher les blés ; qu’il est plus dur de moissonner que de cracher dans un puits pour y faire des ronds ; que, d’ailleurs, ce ne sont point des clubmen qui hantent d’ordinaire les cabarets de village ; et que le paysan aime âprement la terre. […] Cela sentira seulement la caserne au lieu de la ferme, le fumier de cheval au lieu du fumier de vache, ou l’odeur de fumée, d’huile et de graisse à graisser au lieu de l’odeur des blés mûrs et du foin nouveau ; mais il s’y passera les mêmes choses, entre deux trains, sous le hangar aux marchandises ou dans un coin de la lampisterie, qu’ici entre deux coups de faulx, derrière une meule de foin.
On ne sait plus ce qu’est devenue la raison raisonnante ; des formes, des couleurs se tracent sur le champ décoloré où la pensée abstraite ordonnait ses syllogismes ; on aperçoit des gestes, des attitudes, des changements de physionomie ; peu à peu le personnage ressuscite ; il semble qu’on l’ait connu ; on prévoit ce qu’il va faire, on entend d’avance le cri de sa passion blessée ; on ne le juge pas, on l’aime ou le hait, ou plutôt on sent avec lui et comme lui ; on quitte son siècle, on devient son contemporain, on devient lui-même. […] Mais de ce labeur infini et de ces petits détails est sortie une œuvre vivante ; ces portraits si nombreux, attachés les uns au bout des autres, sont animés ; ils parlent au visiteur ; on sent la main d’un romancier et d’un poëte.
Il sent le besoin de se faire pardonner son habit.
Il ne jugeait pas néanmoins impossible de ressaisir le sens naturel, physique, astronomique de ces traditions que les Grecs n’avaient pas comprises, et l’on sent qu’il y avait dans cette idée un fond de vérité suffisant pour la construction d’un roman ingénieux et agréable.
Celui de tous qui semble lui avoir laissé de plus chers souvenirs est le célèbre prince de Ligne, si étonnant par ses saillies, ses impromptus, et les grâces intarissables de ses lettres et de sa conversation, L’on devine et l’on sent presque revivre sous la plume de M. de Ségur l’attrait de ces causeries brillantes et superficielles dont le seul but était de plaire, où l’on parlait de tout sans prétendre rien prouver, où l’on posait tour à tour, avec une érudition finement moqueuse ou adulatrice, de la France à l’Attique, de l’Angle ferre à Carthage, de l’empire de Cyrus à celui de Catherine.
Il est impossible, faute de documents sérieux (car on n’a que ses proclamations, qui sont insignifiantes), de dire si Boulanger fut un ambitieux de haute intelligence et capable de grands desseins, ou s’il ne fut qu’un aventurier vulgaire, servi un moment par des circonstances exceptionnelles, et, finalement, inégal à sa fortune. » J’espère que l’on sentira plus de pitié que de raillerie dans ces faciles horoscopes.
Je revois toujours la bouche grande ouverte de celui qui portait sur ses yeux des boules de cuivre avec une fente de grelot ou de tirelire ; et j’entends le cri mauvais, indéfinissable, le cri de xylophone exaspéré qui jaillissait entre ces deux rangées de dents noires, comme d’une bouche de poisson… Je n’ai jamais senti un plus vaste, un plus infranchissable abîme entre une autre créature et moi Ça, mes frères ?
Lire un livre pour en jouir, ce n’est pas le lire pour oublier le reste, mais c’est laisser ce reste s’évoquer librement en nous, au hasard charmant de la mémoire ; ce n’est pas couper une œuvre de ses rapports avec le demeurant de la production humaine, mais c’est accueillir avec bienveillance tous ces rapports, n’en point choisir et presser un aux dépens des autres, respecter le charme propre du livre que l’on tient et lui permettre d’agir en nous… Et comme, au bout du compte, ce qui constitue ce charme, ce sont toujours des réminiscences de choses senties et que nous reconnaissons ; comme notre sensibilité est un grand mystère, que nous ne sommes sensibles que parce que nous sommes au milieu du temps et de l’espace, et que l’origine de chacune de nos impressions se perd dans l’infini des causes et dans le plus impénétrable passé, on peut dire que l’univers nous est aussi présent dans nos naïves lectures qu’il l’est au critique-juge dans ses défiantes enquêtes.
Il faut jeter le livre ou se résoudre à le relire souvent ; ses vers ne veulent pas être jugés, mais sentis.
Le recueil de ses chansons représente tout un petit monde où l’homme fait entendre plus de soupirs que de cris de gaîté et où la nature, dont notre poète sent admirablement l’immortelle fraîcheur, semble avoir mission de consoler, d’apaiser, de dorloter le pauvre et l’abandonné.
Que n’eût pas été cet ouvrage, qui abonde, d’ailleurs en beautés de premier ordre et à qui toute justice n’a pas été rendue, si le poète, en l’écrivant, n’eût pas senti peser sur lui sa précoce gloire de chef de l’école de bon sens ?
Assurément ce n’est pas là le commencement d’un amour romanesque, à moins qu’on n’appelle ainsi un amour né du respect le plus profondément senti et d’une vive sympathie de vertu.
Le but de l’art, au contraire, est la réalisation immédiate en pensée et en imagination, et immédiatement sentie, de tous nos rêves de vie idéale, de vie intense et expansive, de vie bonne, passionnée, heureuse, sans autre loi ou règle que l’intensité même et l’harmonie nécessaires pour nous donner l’actuel sentiment de la plénitude dans l’existence.
Par une dénaturalisation périlleuse, nous pensons de plus en plus à l’anglaise, nous sentons de plus en plus à l’allemande.
Informé des obstacles que de vils rimailleurs vouloient mettre à son retour en France, il sentit sa bile s’allumer, & répondit aux lettres anti-Marotiques, par une plaisanterie, sous le titre de Fripelippes.
C’étoit un de ces hommes infatués d’Aristote, qui discutent tout & ne sentent rien, qui n’imaginent pas qu’on puisse laisser jamais les règles & les sentiers battus.
Après avoir avoüé que souvent il s’est trop laissé seduire à ses charmes, il compare la peine qu’il sent à se separer d’Homere à la peine d’un amant forcé, après bien des combats, à quitter une maîtresse qui prend trop d’empire sur lui.
Ciceron dit encore dans un autre ouvrage que les poëtes comiques ne faisoient presque pas sentir le nombre et le rithme de leurs vers, afin qu’ils ressemblassent davantage aux conversations ordinaires.
Tu serais cause de ma perte car les yébem, à leur retour, me tueraient sans pitié sitôt qu’ils auraient senti l’odeur de chair humaine dans leur case. » Sakaye qui savait que le guinné-aux-yeux-de-soleil ne pouvait rien contre lui, puisque le grigri l’empêchait de se mettre debout, entra précipitamment dans la case.
Pour une raison ou pour une autre : nature d’esprit, blessure au cœur, manque de bonté dans la vertu, tous les satiriques ont été cruels plus ou moins, soit dans leur rire, soit dans leur colère, soit dans leurs larmes ; or, pour la première fois, en voici un qui ne l’est pas, et dans les coups duquel on sent la pitié… Oui !
N’avoir pas senti cela, après avoir pris pour le multiple personnage d’un livre d’imagination un peuple pareil, un peuple de puritains à l’ouvrage, de Turn Penny capables de tout par suite d’affaires, voilà le grand tort de Gabriel Ferry.
On sent que presque rien de tout cela n’était chez les anciens, l’homme n’avait pas encore eu le temps de rassembler autour de lui tant de machines ; il n’avait que lui-même à opposer à la nature, aux travaux, aux dangers.
Dans ce travail de l’esprit, les peuples, qui à cette époque étaient pour ainsi dire tout corps sans réflexion, furent tout sentiment pour sentir les particularités, toute imagination pour les saisir et les agrandir, toute invention pour les rapporter aux genres que l’imagination avait créés (generi fantastici), enfin toute mémoire pour les retenir.
Concentrez-vous alors sur ce que vous éprouvez, vous sentirez que l’image complète est là, mais fugitive, véritable fantôme qui s’évanouit au moment précis où votre activité motrice voudrait en fixer la silhouette. […] De là résultait un état psychologique spécial, où les sujets se sentaient en possession complète de l’image visuelle « sans pouvoir cependant en reproduire la moindre partie au moment voulu : à leur grande surprise, la ligne disparaissait ». Au dire de l’un d’eux, « il y avait à la base du phénomène une représentation d’ensemble, une sorte d’idée complexe embrassant le tout, et où les parties avaient une unité inexprimablement sentie 11 ». […] Partout ailleurs, nous aimons mieux construire un mécanisme qui nous permette, au besoin, de dessiner à nouveau l’image, parce que nous sentons bien que nous ne pouvons pas compter sur sa réapparition. […] Ne sentons-nous pas plutôt que nous nous plaçons dans une certaine disposition, variable avec l’interlocuteur, variable avec la langue qu’il parle, avec le genre d’idées qu’il exprime et surtout avec le mouvement général de sa phrase, comme si nous commencions par régler le ton de notre travail intellectuel ?
Tous deux ils sentent et ressentent, et le chantent sur la corde d’or ou sur celle d’airain, au gré de l’occurrence ou de leur fier caprice ! […] Ma pantomime fut parfaitement comprise, et, au milieu des pleurs que nous versâmes en commun, je sentis ma main serrée avec une chaleur qui me convainquit de la sincérité de l’accueil. […] La gaieté de Racine, si légère et brillante qu’elle soit, sent quelque peu l’érudit et le gentilhomme. […] Je sentis alors, après quelques minutes d’un inconfortable balancement du vaisseau dans le port, un prodigieux tangage, puis un ample roulis, tous deux, au premier abord, stupéfiants de continuité et de régularité presque rythmiques. […] Merci donc encore une fois, Mesdames et Messieurs, de cette heure délicieuse où j’ai senti autour de moi votre sympathie, tandis que je parlais, dans cette contrée tant aimée et admirée de mon pays, d’hommes et de choses qui me sont chers.
On se sent aux mains d’un esprit supérieur qui vous conduit.
Elle a surtout senti l’importance des langues vivantes dans l’éducation, et en même temps la facilité de cette étude convenablement dirigée ; c’est dans les jeux, dans les repas, que dès l’enfance elle les insinue plutôt qu’elle ne les enseigne à ses élèves, ainsi qu’on fit pour Montaigne, qui parlait latin presque au berceau.
« La Montagne est inattaquable par le côté droit et le Marais, s’écrie Camille ; elle n’est prenable, comme les Thermopyles, que par les hauteurs. » Effrayé enfin de cette sombre licence dont il a été le promoteur imprudent, il ne se lasse pas de présenter la liberté sous la forme aimable et sage dont il l’a toujours conçue ; il revient à chaque instant à cette idée, on dirait qu’elle l’obsède, et qu’il sent que ce rêve brillant couvrira seul dans l’avenir les taches de sa mémoire.
Madame Belloc l’a senti comme nous, sans doute ; et elle n’aurait pas hasardé ce rapprochement, si elle ne l’avait expliqué et justifié par plusieurs documents assez curieux, restés presque inconnus jusqu’ici.
Ceci était bien ; ceci sentait l’homme du tiers état, l’homme d’un barreau courageux et indépendant, le citoyen qui, comme Roland et Dupont de l’Eure, eût pu devenir ministre en gardant ses gros souliers à cordons !
Les générations jeunes, celles qui ont vingt-cinq ans plus ou moins et qui n’en ont pas encore trente, commencent à sentir très-vivement le désir d’avoir des représentants à eux, des chefs de leur âge et, en quelque sorte, de leur choix ; elles les cherchent dans tous les genres, elles les appellent et les convient ; elles les proclament même parfois à tout hasard ; elles les inventeraient au besoin, plutôt que de s’en passer.
Saint-Front de Périgueux, l’abbaye du Mont-Saint-Michel, les églises d’Auvergne, tout cet art roman qui s’épanouit au xie siècle, l’art gothique qui le continue, voilà par où le moyen âge participa au désir de créer, à la faculté de sentir le beau.
Entre le don littéraire, le don de sentir et d’exprimer le beau, et notre vie morale, un lien existe, assez facile à percevoir.
On sent que l’auteur a lu ses textes, pointant en marge tous les passages pouvant servir au dénigrement de Renan.
On sent tout ce qu’il dut lui en couter de dégoûts, de travail & d’efforts, pour suivre tous les exercices d’esprit & de corps, sans trahir le secret de son sexe, qu’on ne soupçonna jamais.
Nous croyons cependant que ce spectacle est convenable pour de grandes fêtes, & qu’il est même susceptible de beautés particulieres dont aucun Ecrivain n’a mieux senti que Quinault toutes les especes différentes ; mais, nous le répétons, il ne faut pas s’étonner que Boileau, si exact, si sévere dans ses Productions, & qu’une étude continuelle des Anciens avoit accoutumé à leur caractere de beautés mâles & nerveuses, ne pût se familiariser avec une poésie presque toujours dénuée d’images & de métaphores hardies.
Mais il sent le besoin de dire ici qu’il désire vivement que l’avenir lui donne tord un jour.
Girac, écrivain de la moyenne classe, versé dans les langues, dans l’histoire & dans la connoissance de l’antiquité, eut le jugement assez droit pour sentir qu’on prenoit le change, qu’on s’égaroit sur le goût.
La tête en est belle ; mais on se rappelle le même sujet peint dans un des tableaux placés autour de la nef de Notre-Dame ; et l’on sent tout à coup que le peintre de ce dernier a mieux entendu l’effet des ténèbres sur la lumière artificielle.
Il y a un autre mérite que peu d’artistes auroient eu et que beaucoup moins de spectateurs auroient senti ; c’est dans une multitude de figures, toutes debous, toutes vêtues de même, toutes rangées autour d’une table quarrée, toutes les yeux attachés vers le même point de la toile, des positions naturelles, des mouvements de bras, de jambes, de tête, de corps si variés, si simples, si imperceptibles, que tout y contraste, mais de ce contraste, inspiré par l’organisation particulière de chaque individu, par sa place, par son ensemble ; de ce contraste non étudié, non académique, de ce contraste de nature.
Ceux des anglois qui sont le mieux informez de l’histoire de leur païs, ne parlent pas d’Olivier Cromwel avec la même admiration que le commun de la nation ; ils lui refusent ce genie étendu, penetrant et superieur que lui donnent bien des gens, et ils lui accordent pour tout merite la valeur du simple soldat et le talent d’avoir sçu paroître penetré des sentimens qu’il vouloit feindre, et aussi ému des passions qu’il vouloit inspirer aux autres, que s’il les avoit senties veritablement.
Si le parti que le poëte choisit est celui d’embellir son action par des épisodes, l’interêt qu’on prend à ces épisodes ne sert qu’à faire mieux sentir la froideur de l’action principale, et on lui reproche d’avoir mal rempli son titre.
Stéphane Mallarmé se distingue par son vers « parnassien » et à dessein un peu guindé des plus jeunes d’entre ces poètes chez qui la réaction contre le rigide « formisme » de leurs prédécesseurs se fait sentir.
La statue vous enveloppera de ses linéaments solennels, vous vous sentirez comme enlacé dans ses bras absents. […] Rome sentit que sa dernière vertu se retirait d’elle avec ce grand homme. […] Les Maures devinrent rares, les hérétiques disparurent ; il ne resta guère que le Juif, âpre à l’expulsion, tenace dans sa foi, patient parce qu’il se sent éternel. […] Comme Charles-Quint, son aïeul, il assistait à ses funérailles ; il se sentait, pour ainsi dire, démembré avec son royaume. […] Ils semblent recéler non pas des bombes, mais des choses ; cela sent le papyrus plus que la momie.
Comme vous, je sentais depuis longtemps que l’engourdissement était général. […] Nous avons senti, pensé et surtout écrit de bonne heure. […] La mort de Sa Majesté le roi Charles X (23 novembre) est racontée avec une émotion bien sentie. […] Cependant la vieille dame, qui est une femme d’un noble cœur, se sentit émue de pitié. […] Au besoin, celui qui écrit ces lignes, avec une douleur profonde et une conviction bien sentie, pourrait attester toute l’amitié que cet excellent homme portait à la jeunesse.
. — Maintenant parcourez la file des in-folios où se suivent de cinq ans en cinq ans les rapports des agents, hommes habiles et qui se préparent ainsi aux plus hauts emplois de l’Église, les abbés de Boisgelin, de Périgord, de Barrai, de Montesquiou ; à chaque instant, grâce à leurs sollicitations auprès des juges et du Conseil, grâce à l’autorité que donne à leurs plaintes le mécontentement de l’ordre puissant que l’on sent derrière eux, quelque affaire ecclésiastique est décidée dans le sens ecclésiastique ; quelque droit féodal est maintenu en faveur d’un chapitre ou d’un évêque ; quelque réclamation du public est rejetée102. […] Louis XV laisse « la bonne machine » marcher toute seule, et se cantonne dans son apathie. « Ils l’ont voulu ainsi, ils ont pensé que c’était pour le mieux »129, telle est sa façon de parler « quand les opérations des ministres n’ont pas réussi ». — « Si j’étais lieutenant de police, disait-il encore, je défendrais les cabriolets. » Il a beau sentir que la machine se disloque, il n’y peut rien, il n’y fait rien. […] Ils peuvent avoir compassion du peuple, mais ils ne se sentent pas coupables envers lui ; car ils sont ses souverains et non ses mandataires.
Les Italiens, longtemps engourdis, ont senti leur âme s’agiter et s’élever au-dessus de leur destinée au contact des grandes choses militaires qu’ils ont accomplies avec une valeur égale à celle des Français dans des expéditions communes. En se sentant valeureux soldats auxiliaires dans les armées de la France, ils se sont sentis dignes patriotes, nobles citoyens, capables d’indépendance et de toutes les libertés qui constituent l’homme moderne sur leur propre terre ; la France leur a inoculé la gloire ; la France a conçu tout à coup la noble idée de ressusciter l’Italie, l’Italie a conçu la juste volonté de revivre. […] Qui ne sent, en effet, quel trouble, quelle anarchie, quelles factions, quelles révoltes pourrait jeter dans un État un pontife turbulent et cosouverain qui y lancerait sans cesse et impunément, au nom de sa cosouveraineté spirituelle, des manifestes appelés bulles, ferments de désaffection, de résistance, de soulèvements des populations contre ces républiques ou contre ce prince temporel ?
Du dernier livre de poésie, ou de philosophie, ou d’histoire qui vient de paraître ; du dernier tableau qui vient de déceler un pinceau puissant, une touche neuve à l’exposition ; du dernier marbre qui palpite encore du coup de ciseau, ou qui sent encore la caresse de la main de son sculpteur, dans la galerie ou dans le jardin statuaire des Champs-Élysées. […] Quelle main peut se poser sur la neige même du Jura, sans la sentir attiédie par le feu qui couve sous l’enveloppe glacée de ces collines ? […] On murmure à voix basse que la beauté, le talent, la célébrité d’une femme d’exception, qui cache son nom comme il convient aux femmes de porter un voile dans la foule, ou aux Clorindes de revêtir une armure d’homme en combattant ; on murmure, disons-nous, que l’attrait d’esprit, le nom voilé, les éclats de célébrité de cette personne, ont fasciné d’un éblouissement désintéressé les yeux et l’âme de ce Platon de la solitude ; que, semblable à ces chevaliers dont la race et le sang coulent dans ses veines, il a senti le besoin de porter dans le cloître ou dans les combats une dame de ses pensées, et qu’il lui a voué ce qu’on appelle un culte, un servage, une foi chevaleresque, épurée de tout, hors de la joie de se dévouer !
Les deux fiancés m’avaient adossée sur mon séant contre le parapet du pont, à l’ombre, et ils me regardaient doucement avec de belle eau dans les yeux ; on voyait qu’ils attendaient, pour questionner, que je leur parlasse moi-même la première ; mais je n’osais pas seulement lever un regard sur tout ce beau monde pour lui dire le remercîment que je me sentais dans le cœur. […] — Anéantie par ce silence qui répondait seul à l’air que la zampogne venait de jouer au hasard, pour interroger la profondeur des cachots ou bien pour apprendre à Hyeronimo, s’il était là, que Fior d’Aliza y était aussi, se souvenant de lui dans son malheur, je laissai tomber à terre la zampogne et je glissai moi-même, découragée, au pied de la lucarne, les bras accrochés aux barreaux de fer de la fenêtre sans en sentir seulement le froid. […] Je sentis des larmes dans mes yeux.
Ses amis l’avertissaient en vain de cette tension, il ne sentait sa force qu’en l’exagérant. […] Cuydai mes yeulx qu’en plours iroient fondant ; Contre le ciel me surprenoy grondant, Qui m’alleschoit d’ugne perfide amorce : Sentis le cœur jà que m’alloit fendant. […] Du cœur au moins, dont vas fuyant l’hommage, Viens arrachier les sanglantz javelots… Ou va sa flamme estaindre dans les flots Cil dont te suit la desplorable ymage… » Ne peust fenir ; se tust : parlerent ses sanglots : Temps estoit qu’achevast sa tant doulce complainte ; La rayne en l’escoutant jà n’y pouvoit tenir ; Ne s’allanguissoit moinz d’un mesme soubvenir, Et, dès-lors qu’apparust, ne s’est que trop contrainte : Jà sur le trosne altier ne se peult soustenir ; Veult parler, ainz l’amour dont se sent eschauffée En soupirs inégaulx s’exhale de ses flancs ; Sa voix dans le palayz meurt soudain estouffée ; Et, comme Eurydice quant revist son Orphée, Laisse tomber son chief sur ses genouils tremblants.
Tout cela verse bon gré mal gré dans la politiquaille, le public le sent, et nous savons de probantes anecdotes. […] Eh bien… après avoir lu Le Grand Meaulnes j’ai senti le dieu passer… et tout le reste n’être que littérature ! […] Je l’aime aussi, mais en le lisant je ne me suis pas senti meilleur et si son œuvre est la plus forte, elle n’a pas la divine jeunesse du Grand Meaulnes, elle est trop faite.
Et quand la colère est passée, quand les terribles harmonies ne sont plus là, quand l’âme bouleversée est rentrée en possession d’elle-même, elle sent qu’elle a été mordue d’une incurable morsure, et que la plaie qui a saigné ne se cicatrisera plus. C’est qu’elle a été vraiment aux mains d’un homme, et que la griffe du maître a porté. » Témoin encore ces lignes qu’il écrivit dans une correspondance au Ménestrel : « Dès les premières notes de l’introduction, vous sentez qu’un monde harmonique nouveau vient de s’ouvrir ; vous êtes surpris, quelque chose se révolte en vous, et ce n’est pas sans effroi que vous consentez à suivre le compositeur. […] tous deux aussitôt sentent couler dans leurs veines un amour que rien ne pourra vaincre pendant trois ans.
On peut noter des vers comme ceux-ci : Nous sommes les passants, les foules et les races : Nous sentons frissonnants des souffles sur nos faces ; Nous sommes le gouffre agité. […] Hugo, aura senti à certaines parties, que le nombre, l’importance et l’intensité des idées ne correspond pas à la noble opulence de l’expression. […] Seul un esprit réaliste sentira qu’il n’y a au fond aucune démarcation entre les graminées des petites aux grandes, les ronces, les arbustes, les scions, les petits arbres et les gros.
V La France commençait à s’épuiser de génie et d’esprit français après les siècles de Louis XIV et de Voltaire ; elle sentait le besoin d’une sève étrangère, plus jeune et plus européenne, pour germer de nouvelles idées et de nouveaux sentiments. […] Ils ont sur lui l’avantage de voir Dieu plus clairement à travers ses œuvres, et de sentir palpiter partout l’âme de la nature. […] On sent ce qu’une pareille révolution dans les esprits portait en elle de révolutions dans les philosophies, dans les civilisations et dans les institutions du globe.
Pour qu’une idée suscite bien les mouvements que réclame la nature d’une chose, il n’est pas nécessaire qu’elle exprime fidèlement cette nature ; mais il suffit qu’elle nous fasse sentir ce que la chose a d’utile ou de désavantageux, par où elle peut nous servir, par où nous contrarier. […] Ce qui achève d’accréditer cette manière de voir, c’est que, le détail de la vie sociale débordant de tous les côtés la conscience, celle-ci n’en a pas une perception assez forte pour en sentir la réalité. […] Nous les sentons nous résister quand nous cherchons à nous en affranchir.
Schlegel), qui s’est cru le droit de traiter avec mépris notre littérature dramatique, ont suffi pour armer contre elle tous ceux qui ne se sentaient ni la force ni le courage de marcher sur les traces de nos grands maîtres. […] Attristé de toutes ces idées, et comme je vous l’ai dit, prévoyant tous les orages de l’avenir, j’ai brisé ma plume… Quoique fatigué d’avoir écrit plus de cinquante ouvrages, je sentais pourtant encore le désir d’offrir au public les derniers fruits de mon expérience… Mais dans ces temps de folie et de dévergondage littéraire, quel aurait été le prix de mes efforts ? […] Vous avez si bien senti, Monsieur, l’efficacité de ce moyen dramatique que vous avez employé un viol et deux prostitutions dans vos deux derniers ouvrages.
Je ne vois à retenir, et il faut que vous reteniez, dans la Captivité de saint Malc, que ce passage cité un peu partout, et il n’est pas nécessaire d’avoir lu la Captivité de saint Malc pour le connaître ; il est brillant, charmant, et il vous montrera comment, dans un poème où il se sent mal à l’aise et où il n’est pas inspiré, La Fontaine retrouve son inspiration. […] Gnaton donne à son vieil ami le bon conseil : « Imite mon exemple et fais-toi parasite. » L’autre se rebiffe : « Gardez-en, m’a-t-il dit, le profit tout entier : On ne m’a jamais vu ni flatteur, ni parjure : Je ne saurais souffrir ni de coups ni d’injure ; Et, lorsque j’ai d’un bras senti la pesanteur, Je ne suis point ingrat envers mon bienfaiteur. […] Pour m’affermir dessus, sensible à ces détresses, Mes pieds trop courts, cherchant mes étriers trop longs, Ont fait à mon cheval sentir leurs éperons Dans un endroit douillet où jamais la molette N’avait piqué cheval.
Mais il n’y a rien compris, ou peut-être n’y a-t-il rien voulu comprendre ; et l’aveugle volontaire ou involontaire a nié le soleil dont il portait et sentait le poids sur ses yeux. […] Du reste, cet incroyable jugement, bâti sur les Charivaris du temps de Charlemagne (il y en avait), est bientôt réparé par l’inconséquence habituelle de l’auteur qui, dans un portrait, abominablement flatté, de l’empereur Frédéric Barberousse, pour lequel il se sent les plus tendres entrailles, compare, pour lui faire piédestal, le juste, le vaillant Frédéric, si ambitieux d’épargner ses ennemis, ambition nouvelle, à ce superstitieux et sanguinaire Charlemagne de la page 106, transformé, comme vous allez le voir à la page 468. […] Ferrari n’est pas Français, et on le sent à je ne sais quoi qui ne marche pas tout à fait d’un pas égal au nôtre dans sa phrase, mais, excepté ce léger empêchement, ce manque de furie dans la démarche de sa pensée, il est écrivain comme le meilleur d’entre nous.
Quel est l’homme qui ne se sentirait pas Dieu devant cette adoration, par conséquent ne pourrait vous comprendre et devenir votre égal ! […] Je voudrais suivre ma lettre, il me semble sentir dans mes cheveux la brise de la mer… les voix de femmes et les orgues ! […] Tout à fait bien et profondément sentie cette chronique, deux colonnes qu’on relit trois fois. […] Allez, le mal qu’il s’est donné se sent. […] Ce n’est qu’en 1883 qu’elle mit son nom véritable sur ses tableaux, alors qu’elle se sentait plus certaine du succès.
Je m’étonnais par moment que d’autres n’eussent pas déjà saisi à ma face la même altération que j’y croyais sentir. » La conséquence de cette découverte fut qu’Amaury résolut, avant d’être complètement défiguré, de cueillir en toute hâte la première fleur de la vie. […] Amaury s’en plaint ; mais après l’avoir lu, on se sent tout enclin à en souhaiter encore davantage. […] être seul à sentir ! […] notre digne compatriote se sentit tellement blessé de ce manque de respect, que, transporté de colère, il saisit le drôle par sa longue queue tressée, et le précipita à bas de son cheval. […] Le malade sentit ses forces diminuer de jour en jour ; mais résigné, tranquille, il dissertait gravement sur son mal, en suivait comme avec l’œil le développement rapide et caché, et calculait avec un calme admirable ce qu’il lui restait de jours à vivre et à souffrir.
Antoine, devant ce pourceau trop fraternel, devait se sentir non seulement malheureux, mais ridicule. […] Jules Lemaître n’est pas impartial : il n’a pas voulu l’être ; on sent même qu’il s’évertue à ne l’être point. […] Ce fondateur du romantisme a profondément senti la beauté des terres classiques. […] Il n’adopte pas un plan d’exposition méthodique, mais transcrit au fur et à mesure ce qu’il a perçu et ce qu’il a senti. […] Elle sent le faux.
La foi révélée n’est pas comme la foi raisonnée ; elle n’a ni plus ni moins, ni hésitation, ni tolérance, ni doute ; elle est conquérante comme l’ambition du ciel, elle est absolue comme la volonté de Dieu sur les choses et sur les âmes ; tous les moyens lui sont bons comme à Dieu, parce qu’elle se sent ou se croit divine, et que la Divinité, étant le bien suprême, ne peut faire le mal même en employant des moyens violents ; elle veut et elle croit avoir droit de vouloir soumettre tout ce qu’elle ne peut convaincre. […] Quand Bonaparte sentit l’empire échapper par grands lambeaux de sa main avec la victoire, il se hâta de rendre les États pontificaux au pape et de renvoyer respectueusement le pontife à Rome comme un gage de restitution et de paix à l’Europe. […] La rivalité des grandes familles et l’insubordination des matelots sur les flottes firent sentir à Gênes l’insuffisance du gouvernement populaire et aristocratique tour à tour. […] Cependant l’Europe, même en 1814, sentit qu’agrandir ainsi le Piémont et démanteler la France d’une partie de la Savoie, ce mur mitoyen de la nature, pour couvrir la France, c’était un scandale diplomatique trop criant.
Le fils du ciel sent-il la douleur ? […] Triste et solitaire, il passe sa vie dans la vallée de Lora ; mais je l’aperçois : il s’élance de la colline comme le coursier vigoureux qui, averti par les vents, sent de loin ses compagnons dans la plaine, et secoue dans les airs sa brillante crinière. […] Dargo voulait se lever ; mais nous l’en empêchâmes jusqu’à ce qu’elle eût fini, car sa voix était douce comme celle du cygne blessé, lorsqu’il épanche son âme dans ses chants et qu’il sent dans sa poitrine le dard fatal du chasseur. […] XX Eh bien, ce grand poëte fut un des premiers à sentir avec enthousiasme la grandeur et la sauvage mélancolie des chants du barde écossais.
Mercredi 13 avril On causait ce soir, rue de Berri, du parler spécial aux gens des clubs : parler ayant quelque chose du parler de l’acteur en scène ; parler, que M. de la Girennerie, je crois, inspectant l’École de Saumur, trouva dans la bouche de tous les jeunes gens, et dont il tâcha de leur faire sentir le ridicule et le mauvais genre. […] À propos du qualificatif doux, Daudet dit que le mot vient des troubadours, qui ont dénommé la femme « une douce chose » et que c’est curieux que la douceur soit ce qu’il y a de plus recherché, comme qualité et mérite de la femme, pendant la période révolutionnaire ; et comme bientôt nous nous préoccupons de l’expansion du mot chose en littérature, de son emploi à tout bout de champ, il fait la remarque que le mot d’origine espagnole ou italienne, a été adopté par le romantisme, et surtout affectionné par Hugo, qui en a senti tout le charme diffus et vague. […] Or, un jour qu’ils faisaient une grande course aux environs de Meudon, Bataille se laissait aller à lui dire, que son père était un alcoolique, qui s’était noyé dans une mare de purin, et lui demandait qu’il l’empêchât de boire, parce qu’il sentait qu’il mourrait dans de la m… Et pendant qu’il lui faisait ses confidences sur ses commencements de déraison, avec sur la tête un des trois chapeaux verts, l’oiseau du chapeau était si comiquement placé, et le faisait si macabrement drolatique, que Daudet partait d’un éclat de rire nerveux, qu’il ne pouvait arrêter. […] Puis, pour ce livre qui n’aura pas de publicité, et qui doit rester enfermé dans le cabinet de l’amateur, il ne se sent pas l’entrain, le feu d’une illustration, commandée par un éditeur.
§ III L’autre, Eschyle, illuminé par la divination inconsciente du génie, sans se douter qu’il a derrière lui, dans l’Orient, la résignation de Job, la complète à son insu par la révolte de Prométhée ; de sorte que la leçon sera entière, et que le genre humain, à qui Job n’enseignait que le devoir, sentira dans Prométhée poindre le droit. […] Il a sondé jusqu’à sentir flotter la sonde. […] On en sent l’épouvante et l’attraction. […] non, c’est parce qu’il a senti la mort.
Ces divisions, après la mort de l’empereur Frédéric, finirent par se réduire à peu près à deux grands partis, les Guelfes et les Gibelins : l’un favorisant de ses vœux et de ses armes la domination des papes ; l’autre, par haine de cette domination pontificale, se dévouant aux empereurs d’Allemagne, comme si le patriotisme se fût senti moins humilié et moins oppressé de s’asservir à un dominateur étranger qu’à un dominateur sacré qui ajoutait un droit divin au droit temporel ! […] XI À peine eus-je dépassé Capoue, et franchi les premières collines des Abruzzes qui séparent l’atmosphère des montagnes de l’atmosphère de la mer, que je me sentis soudainement guéri, comme un homme asphyxié à qui une fenêtre ouverte vient de rendre l’air respirable. […] Il me sembla que le rideau du monde matériel et du monde moral venait de se déchirer tout à coup devant les yeux de mon intelligence ; je sentis mon esprit faire une sorte d’explosion soudaine en moi et s’élever très haut dans un firmament moral, comme la vapeur d’un gaz plus léger que l’atmosphère, dont on vient de déboucher le vase de cristal, et qui s’élance avec une légère fumée dans l’éther. […] Je croyais m’être approché autant qu’il était en moi du foyer de la vérité ; je n’en entrevoyais pas seulement la lueur, qui m’éblouissait, j’en sentais la chaleur, qui me descendait de l’esprit au cœur, du cœur aux sens ; j’étais ivre d’intelligence, s’il est permis d’associer ces deux mots.
Dès qu’elle y retournait, elle se sentait dans son élément : Je me trouve bien à Saint-Cloud où je suis tranquille (mai 1718), tandis qu’à Paris on ne me laisse jamais un instant de repos. […] Je ne crois pas qu’il y ait dans Paris, tant parmi les ecclésiastiques que parmi les gens du monde, cent personnes qui aient la véritable foi chrétienne, et même qui croient en notre Sauveur ; cela me fait frémir. » Le peuple de Paris sentait dans Madame une princesse d’honneur, de probité, incapable d’un mauvais conseil et d’une influence intéressée ; aussi elle était en grande faveur auprès des Parisiens, et plus même qu’elle ne le méritait, disait-elle, se mêlant aussi peu des affaires.
Son défaut particulier, c’est de garder un reste de Scaliger en français, d’avoir des paroles qui sentent leur xvie siècle, de dire à ses adversaires qu’ils ne savent ce qu’ils disent, et de citer M. […] Elle sent d’ailleurs très bien le faible de cette génération à laquelle elle s’adresse, génération de cafés et d’Opéra, qui s’en tient à une première connaissance superficielle et va ensuite porter ses découvertes dans les belles compagnies pour s’y faire applaudir : Mais par quelle fatalité, s’écriait-elle, faut-il que ce soit de l’Académie française, de ce corps si célèbre qui doit être le rempart de la langue, des lettres et du bon goût, que sont sorties depuis cinquante ans toutes les méchantes critiques qu’on a faites contre Homère !
Un charmant vers, et qui sent l’ami des Géorgiques. […] Mais la fatigue inaccoutumée d’une telle vie se fit bientôt sentir à Maucroix ; il tomba gravement malade avant la fin de la session, et il vit en face la mort.
On avait pour moi de l’affection et des bontés touchantes ; ma douleur intéressa, et je réussis à ramener le calme. » Aussi, lorsque le lundi 25 mai, après un mois de séance et de secrétariat à l’Archevêché, Bailly se rendit dans la salle des États généraux à Versailles avec les autres députés de Paris, il sentit qu’il changeait de milieu et comme de climat : J’entrai dans cette salle avec un sentiment de respect et de vénération pour cette nation que je voyais réunie et assemblée pour la première fois ; j’éprouvai peut-être un sentiment de peine de m’y sentir étranger et inconnu.
Il doit cependant au commerce de son maître et ami, et à son propre sens, bien de bonnes pensées qu’il exprime heureusement : dès le début de son second livre, où il en vient à exposer les instructions et règles générales de sagesse, il remarque combien, telle qu’il l’entend et qu’il la conçoit, elle est chose rare dans le monde, et il le dit avec bien de la vivacité (je suppose que l’expression dans ce qui suit est de lui et non de Montaigne, car je n’ai pas tout vérifié, et l’on a toujours à prendre garde, quand on loue Charron, d’avoir affaire à Montaigne lui-même) : Chacun, dit-il donc, se sent de l’air qu’il haleine et où il vit, suit le train de vivre suivi de tous : comment voulez-vous qu’il s’en avise d’un autre ? […] Il faut une spéciale faveur du ciel, et ensemble une grande et généreuse force et fermeté de nature, pour remarquer l’erreur commune que personne ne sent, s’aviser de ce de quoi personne ne s’avise, et se résoudre à tout autrement que les autres.
C’est donc spirituel, mais on y sent le métier. […] Après cela il faut dire de Voiture ce qu’a dit Voltaire : « On a de lui de très jolis vers, mais en petit nombre. » Ces jolis vers, c’est d’abord son fameux sonnet : « Il faut finir mes jours en l’amour d’Uranie… » On y sent une certaine tendresse volupteuse et passagère.
Il aimait également ses frères ; mais ici le roi se faisait sentir davantage. […] La sagesse, la prudence de Frédéric est solide, pratique, humaine, mais terre à terre : on y sent comme le pas appesanti d’un promeneur un peu fatigué· Que dirai-je encore ?
Le voisinage et l’influence littéraire de Rousseau se font sentir dans ces exhortations chaleureuses où se dresse à tout moment l’apostrophe. […] Il l’avait logé chez lui, au bout d’une longue galerie, dans le plus beau coin du château, d’où l’œil embrassait toutes les beautés du lac, le mouvement du port et de la ville, et un horizon immense terminé par la vaste étendue des Alpes : « Tout cela était au service de sa poésie. » Il l’y posséda durant deux années, et il ne parlait jamais de ce temps de réunion qu’avec fraîcheur et ravissement : — Quel bonheur, écrivait-il, de sentir à ses côtés un ami, et un ami tel que Matthisson, avec lequel je pouvais sortir de la prose de la vie pour entrer quelquefois dans la poésie de l’enfance qu’il avait si bien su chanter !
On aura remarqué que ce mot de journal revient bien souvent depuis quelques années au titre des livres que la critique a pour devoir d’annoncer : Journal de Dangeau, Journal de d’Argenson, Journal de d’Andilly, Journal du duc de Luynes… C’est qu’en effet l’on est devenu singulièrement curieux de ces documents directs et de première main ; on les préfère même, ou peu s’en faut, à l’histoire toute faite, tant chacun se sent en disposition et se croit en état de la faire soi-même. […] Parmi ces nobles mêmes, voués à servir une royauté devenue byzantine, et qui en faisaient partie, il y en eut qui, les premiers, sentirent le dégoût de ce qu’ils avaient sous les yeux et de leurs propres fonctions si enviées ; les La Rochefoucauld-Liancourt et d’autres opposants de cette volée, précurseurs et complices du tiers état, ne sortaient-ils pas de la garde-robe royale et des petits appartements ?
L’Académie française, où il n’y a pas de sections, bien que l’on pût à la rigueur en concevoir (sections de langue et de grammaire, de poésie dramatique, de poésie lyrique, d’histoire, d’éloquence proprement dite, de roman, de critique littéraire, j’y reviendrai tout à l’heure), l’Académie française, loin de voir un inconvénient dans le hasard et la mêlée des candidatures, tient à honneur d’être affranchie de tout examen préalable et de tout ordre prévu et réglé en matière d’élection ; elle estime que les qualités générales qui constituent le littérateur distingué, en quelque genre que ce soit, et l’homme de goût, sont suffisamment appréciées et senties par chacun de ses membres, et que prétendre faire plus, vouloir tracer des divisions et des compartiments, ce serait apporter en cette matière délicate une rigueur dont elle n’est point susceptible, et qui en froisserait et en fausserait la finesse. […] Quand il a voulu aborder la haute scène, où quelquefois il a très joliment réussi, ses défauts d’observation directe pourtant se sont fait sentir ; et trop souvent vers la fin, sur la scène de la Comédie-Française, ses personnages n’étaient plus que des ressorts habillés en rois ou en reines, en ministres, etc.
Je m’en doutai bien ; mais je ne m’y sentis pas portée… Me voilà donc au milieu de ces trois Majestés ; la reine mère me disant, comme la veille, beaucoup de choses obligeantes, et la jeune reine me paraissant fort aise de me voir. […] L’ennui du palais et de la vie qu’on y mène est affreux ; « et je dis quelquefois à cette princesse, quand j’entre dans sa chambre (c’est toujours Mme de Villars qui parle), qu’il me semble qu’on le sent, qu’on le voit, qu’on le touche, tant il est répandu épais !
N’oubliez pas que Mme de Staël n’avait pas eu tant à se louer des Bourbons en 1814 ; qu’elle n’avait point été admise à parler une seule fois aux princes dans cette année de la première Restauration… Il est téméraire de prétendre dire d’une personne qui vous ressemble si peu, qu’elle a senti exactement d’une façon et non d’une autre, pendant toute la durée de ce rapide et violent orage. […] Dès que les Allemands ont passé le Rhin, elle n’a plus désiré que la paix avec Bonaparte, et elle a senti avec une profonde douleur l’humiliation de la France et sa dépendance.
De cette manière, le roi paraîtra faire justice et la fera en effet, et la Chambre, en adjugeant à l’évêque ce qui lui appartient, réunira à la couronne de Sa Majesté la souveraineté des lieux que les évêques auront fait assigner… Afin de ne point faire trop de bruit, il ne faut comprendre dans une même requête que cinq ou six villages, et, de huitaine en huitaine, en faire présenter sous le nom de chacun desdits évêques, moyennant quoi, en peu de temps, l’on aura fait assigner tous les lieux qu’on peut prétendre avoir été autrefois desdits évêchés. » La tactique est assez nettement indiquée ; on voit la marche de cette politique rongeante qui bientôt ne se contenta point d’absorber les petits feudataires enclavés, mais qui s’essayait parfois à sortir du cercle et à pousser jusqu’en pays allemand, à la grande clameur des seigneurs, princes ou même rois qui se sentaient atteints. […] si sa politique de roi était satisfaite et pleinement triomphante, son glorieux amour-propre personnel se sentait peut-être un peu déçu.
« Il est à remarquer, disait Jean-Bon, que les deux hommes qui ont le moins estimé les sciences soient précisément ceux qui ont le mieux senti le prix de l’éducation, Socrate et Jean-Jacques Rousseau. » Et, s’emparant de l’exemple de Socrate, dont la méthode était celle de la nature ; qui favorisait le développement des facultés morales et ne le forçait pas, et qui n’était, selon sa propre définition, qu’un accoucheur des esprits : « Eh bien ! […] De notre côté, l’enthousiasme patriotique se sentit rehaussé comme après une victoire.
On sent suffisamment ce qu’elle ne dit pas et ce qui est en dehors de son cadre : le cadre se détache avec une figure simple, unie, souriante, touchante, une figure de bonne reine et presque de sainte. […] Un sot se contenterait de tout cela ; mais malheureusement j’ai pensé assez solidement pour sentir que des louanges sont peu de chose, et que le rôle d’un poète à la Cour traîne toujours avec lui un peu de ridicule, et qu’il n’est pas permis d’être en ce pays-ci sans aucun établissement. » Cet établissement si désiré, même lorsqu’il se flatta de ravoir obtenu vingt ans plus tard, manqua toujours par quelque endroit.
Comme il m’aime plus que ses enfants, je l’ai attaqué du côté de la religion, et lui ai fait sentir si ce mariage (espagnol) n’était pas heureux, on s’en prendrait à lui ; que Rome donnait des dispenses auxquelles bien des honnêtes gens, dans le royaume, ne donnaient pas leur approbation ; enfin je me suis retourné de tant de manières, que le roi m’écrit qu’il a pris son parti, et qu’après avoir vaincu ses ennemis, il faut bien que tout me cède (c’est une galanterie de sa part). » Ainsi le maréchal, qui sous ses airs de soldat a des finesses de négociateur, s’est fait casuiste un moment avec Noailles ; il a eu recours à un ordre d’arguments gallicans et presque jansénistes. […] Le roi de Prusse avait désiré de le voir ; il n’a pas voulu y aller, pour ne pas sentir le Prussien en vous arrivant.
Il avait eu toute la réputation à laquelle il pouvait prétendre par ses ouvrages ; mais il sentait peut-être qu’il n’avait pas fait tout ce qu’il aurait pu, qu’il n’avait pas rempli tout son mérite. […] Modèle des hommes en place et des administrateurs, bon et juste autant qu’éclairé, Malouet n’était pas sans se reprocher bien souvent d’assister aux abus, même en les corrigeant de son mieux dans le détail ; mais il se sentait hors d’état d’y remédier à fond et d’y couper court à la racine, et il en souffrait.
La vive et séduisante relation que fait l’auteur à partir de la descente du Rhône sent plutôt le poëte amoureux de la nature et des monuments, je dirai presque le touriste de génie qui, après tant d’autres illustres voyageurs, sait rajeunir l’immortelle peinture, et non point le pèlerin véritablement inquiet, le persécuté soucieux, qui va consulter l’oracle des fidèles. […] On sent bien que je n’ai pas ici à défendre Rome contre M. de La Mennais, ni à chicaner M. de La Mennais sur sa rupture avec Rome.
Mais bientôt, à voir l’exemple de M. de La Mennais, à sentir chaque matin le souffle des temps, l’émulation, sans qu’il se rendît compte peut-être, l’a gagné. […] La sagacité du critique se trouvait liée à leurs destinées de poëtes fidèles et d’écrivains révérés ; le meilleur de nos fonds était embarqué à bord de leurs renommées, et l’on se sent périr pour sa grande part dans leur naufrage.
Est-il disposé à le sentir aujourd’hui ? […] Il a saisi à nu la société dans un quart d’heure de déshabillé galant et de surprise ; les doubles de la rue avaient fait entr’ouvrir l’alcôve, il s’y est glissé ; mais si de pareils hasards sont précieux, il ne faut pas en abuser, on le sent, ni les prolonger outre mesure, sous peine de faire céder le charme au dégoût.
Étienne ; mais certainement, lorsqu’il retraçait les caractères de la première famille, et à mesure qu’il en dépeignait à nos regards le type accompli, on sentait combien M. de Vigny parlait de choses à lui familières et présentes, combien, plus que jamais, il tenait par essence et par choix à ce noble genre, et à quel point, si j’ose ainsi parler, l’auteur d’Éloa était de la maison quand il révélait les beautés du sanctuaire. […] Une contradiction polie, tempérée de marques sincères d’estime, est encore un hommage : n’est-ce pas reconnaître qu’on a en face de soi une conviction sérieuse, à laquelle on sent le besoin d’opposer la sienne ?
On sent, en sa réponse brève, une nuance légère de dédain pour l’artificiel de cette méthode. […] J’admets trois sources d’information : les livres, qui me donnent le passé ; les témoins, qui me fournissent, soit par des œuvres écrites, soit par la conversation, des documents sur ce qu’ils ont vu ou sur ce qu’ils savent, et enfin l’observation personnelle, directe, ce qu’on va voir, entendre ou sentir sur place.
Les premières, cherchant toujours à s’élever, ne tardent pas à remarquer que la noblesse des manières, la délicatesse de l’éducation, font mieux sentir la distance des rangs que toutes les gradations légales. […] L’histoire de Salluste, les lettres de Brutus28, les ouvrages de Cicéron, rappellent des souvenirs tout-puissants sur la pensée ; vous sentez la force de l’âme à travers la beauté du style ; vous voyez l’homme dans l’écrivain, la nation dans cet homme, et l’univers aux pieds de cette nation.
Ne pourrait-il exister dans l’univers quelque masse gigantesque, beaucoup plus grande que celle de tous les astres connus et dont l’action pourrait se faire sentir à de grandes distances ? […] Sans doute ces rapports, cette harmonie ne sauraient être conçus en dehors d’un esprit qui les conçoit ou qui les sent.
Pour ce nouveau-venu de même, ce moment est plus pénible qu’il ne saurait le dire, et il sent avec angoisse combien il lui sera difficile de se faire pardonner sa témérité. […] Cet homme, sur lequel les documents historiques nous ont renseigné, n’est pas un être isolé : ses actions, ses sentiments et ses pensées ont des causes en dehors de lui, qui sont « certaines façons générales de penser et de sentir ».
Voilà le beau côté, le côté apparent et tout gracieux ; mais, à ne voir que celui-là, on prendrait peut-être du moral de la jeune princesse une idée trop flattée, ridée de quelque chose de trop accompli, et on ne sentirait pas assez non plus à quel point devait être grand en elle le charme, puisqu’il avait à triompher de certains défauts et de certaines ombres, dont il sera à propos de parler. […] « Pendant qu’il fut dans son cabinet avant souper, il fut toujours sur un petit siège et la fit tenir dans un fauteuil, lui disant : “Madame, voilà comme il faut que nous soyons ensemble, et que nous soyons en toute liberté.” » Voilà, en effet, qui sent davantage le grand-papa et le bonhomme, mais ne vous y fiez pas ; ce n’est que le vieillard qui veut se prêter à être distrait et amusé ; on serait bien dupe d’en aller tirer de trop grandes conséquences pour la tendresse.
Quelque opinion qu’on puisse garder d’elle en définitive, on conviendra qu’à cet âge elle dut être une enfant séduisante : les défauts ne se marquent comme tels que plus tard, la jeunesse couvre tout, et, puisque avec Mme de Genlis nous sommes à moitié dans la mythologie, je dirai : la jeunesse prête à nos défauts des ailes qui les empêchent de se faire trop sentir et de peser. […] Il apprend tout, il retient tout, il raisonnera bien de tout ; mais il n’est pas de ceux qui sentiraient naturellement ni la musique, ni la poésie, ni les beaux-arts fins, ni la fine littérature ; ce qui n’empêchera pas qu’il n’en ait assez vu, assez manié et assez pratiqué de bonne heure, par les soins de son gouverneur infatigable, pour avoir la certitude de s’y connaître.
La violence du tempérament étouffait en lui les considérations de la prudence… Et il rentre ici dans ses injustices d’opposant ; mais on a pu sentir dans ces lignes un hommage qui est d’autant plus significatif qu’il est comme arraché. […] Ce qu’on sent peut-être encore le mieux en le lisant, sous les violences de la passion ou les exigences du métier, c’est un bon et solide esprit.
Nous allâmes d’abord chez notre président L… Il demeurait en haut de la rue de Courcelles, tout près de la place Monceau… Il était sec comme son nom, froid comme un vieux mur, jaune, blême, exsangue, une mine d’inquisiteur dans un appartement qui sentait le moisi du cloître. […] À cette trouvaille bienheureuse, noyée dans une marée de paroles baveuses, nous sentîmes le murmure d’une cause gagnée courir l’auditoire… Mais ne voilà-t-il pas que la cause était remise à huitaine. « C’est cela, disions-nous, ils veulent faire passer notre condamnation au commencement, aujourd’hui, ils n’osent pas, l’auditoire nous est trop favorable. » Et cependant ce fut notre salut que cette remise de l’affaire.
Plus les conditions sont inégales, plus il y a de manières différentes de sentir parmi les hommes, plus aussi par conséquent il leur est difficile de sympathiser entre eux : celui qui n’est pas votre égal n’est pas votre semblable. […] Dupont-White, a senti fléchir la thèse favorite de son parti.
Il est de ce beau temps des lettres françaises par la mesure, les images modérées et justes, par l’éclat doux et égal, par les beautés antiques pensées et senties de nouveau, par le style, où il a la noblesse du grand siècle sans en avoir l’étiquette. […] Je ne veux pas dire que Rousseau ait inventé l’amour de la nature, car on n’invente pas le cœur humain ; mais il a senti si vivement et peint si énergiquement cette grande passion, qu’elle lui appartient comme en propre, ainsi que l’héroïsme à Corneille.
L’amère mélancolie de sa royauté en détresse le remplit, il sent sur lui le froid de la mort lentement s’amasser. […] Il semble apparaître enfin au jour, mais c’est pour tenter de reconquérir la vie qui lui échappe, qu’il sent s’éloigner de lui, et pour la possession de laquelle il luttera, plein d’une rage sourde, jusqu’à ses derniers instants.
Ne sentez-vous pas qu’il y a dans cette multitude ordonnée quelque cause ordonnatrice ? […] C’est à ce moment que l’on sent naître en soi la notion de la Nature.
Au commencement du deuxième acte, elle est renvoyée, et, deux scènes plus loin, elle sent les symptômes certains de grossesse. […] Racine avait plusieurs fois senti le ridicule de l’habillement adopté au théâtre. […] Corneille sentait cette infériorité. […] Le duc de Montpensier, son ami, voulant le lui faire sentir, lui dit : « M. […] Racine disait à Boileau, en lui parlant de cette pièce, qu’il se sentait une surprenante facilité pour faire les vers.
Quelle que soit la droiture d’intention de l’apologiste et la pureté du sentiment qui l’a dirigé, on sent combien les faits ont dû se rétrécir et se fausser, en entrant de rigueur dans un pareil cadre.
Le Dauphin du Corsaire, sorti du même chantier que l’Ariel du Pilote, semble avoir reçu la vie dès l’instant qu’il a senti les flots sous sa quille et les marins à son bord.
Mais un exemple en ces matières est toujours délicat à imaginer : on a beau faire, on sent que tout est convenu, factice, arrangé pour le besoin de la démonstration.
Il est angélique à demi, tant on sent qu’un esprit subtil, répandu dans toutes ses parties, le gouverne harmonieusement, l’ennoblit et l’allège.
Alors, il lui prit un très grand regret de n’avoir vu l’enterrement de Victor Hugo, — et il marchait, songeant à cela, — ses yeux se dilataient, il croyait entendre le piétinement de la foule et, parfois, se sentait comme coudoyé, — et afin de se donner mieux l’illusion Vie la cohue, il grimpa sur un arbre ; — dans la nuit, il lui semblait voir s’avancer l’interminable cortège.
Les rêveries de nos Philosophes sur l’origine du monde, la formation de la matiere, les propriétés du mouvement, &c. sont exposées, dans ces Lettres, avec un tel art, que les notions élémentaires de la Physique ne sont pas même nécessaires au Lecteur, pour saisir l’ensemble des systêmes philosophiques & en sentir toute l’absurdité.
Je ne suis pas éloigné de songer qu’il serait plus utile de faire apprendre aux enfants les termes de métier que les racines grecques48 ; leur esprit s’exercerait mieux sur une matière plus assimilable, et si l’on joignait à cela des exercices sur les mots composés et les suffixes, peut-être prendraient-ils plus de goût et quelque respect pour une langue dont ils sentiraient la chaleur, les mouvements, les palpitations, la vie.
Le jardinier eût écrit lirlie ; un autre aurait pu sentir la présence de l’article et adopter irlie ; les deux mots seraient excellents, et early est très mauvais.
Il tient véritablement d’Homère, dans les sujets élevés qu’il traite : dans ceux où il se déride, où l’amour l’inspire, c’est un autre Anacréon : témoin ces vers passionnés qu’il fit pour Agathon, & que Fontenelle a rendus dans ses dialogues : Lorsqu’Agathis, par un baiser de flamme, Consent à me payer des maux que j’ai sentis, Sur mes lèvres soudain je sens voler mon ame Qui veut passer sur celles d’Agathis.
Personne ne sent plus vivement que moi la nécessité de publier plus tard toutes les observations et tous les renseignements sur lesquels ces conclusions se fondent, et j’espère le faire prochainement ; car je sais parfaitement qu’il est à peine une seule des opinions discutées dans ce volume, à laquelle on ne puisse opposer des arguments conduisant, en apparence, à des conclusions directement opposées.
Exemple de deux personnes qui montent d’une cave, dont l’une porte une lumière et que l’autre suit : si celle-ci a la quantité de lumière ou d’ombre qui lui convient, vous sentirez qu’en la plaçant sur la même marche que celle-là, elles seront toutes deux également éclairées.
Il y avait longtemps que Mars reposait entre les bras de Vénus, lorsqu’il se sentit gagner par l’ennui.
Mais les peintres et les poëtes, sans enthousiasme, ne sentent pas celui des autres, et portant leur suffrage par voïe de discussion, ils louent ou ils blâment un ouvrage en general, ils le définissent bon ou mauvais suivant qu’ils le trouvent régulier dans l’analyse qu’ils en font.
Arrivée là, elle déposa graisse et boyaux dans un grand canari, car elle ne se sentait pas le courage de manger de l’animal qu’elle avait élevé et à qui elle avait tant tenu.
Moi qui me crois clérical autant que personne, je ne me suis senti ni blessé ni vexé.
Beaucoup d’esprits se sentaient incapables de se satisfaire, je ne dis pas de l’ironie voltairienne qui représenta surtout une période de lutte, mais de cette austère formule d’observation dont s’allaient pourtant contenter de nobles et vigoureuses intelligences, parmi lesquelles M.
C’est une autre question, que nous trancherons d’un mot en disant qu’ils ont pu se tromper sur le choix des modèles, ce qui est assurément fâcheux et grave quand on imite ; et ils portent la peine de n’avoir pas toujours senti la différence qui sépare Homère de Quintus de Smyrne ou Virgile de Claudien. […] « Si nous sentons un plaisir singulier à écouter ceux qui retournent de quelque lointain voyage, racontant les choses qu’ils ont vues en pays étranges, les mœurs des hommes, la nature des lieux et si nous sommes quelquefois si ravis d’aise et de joie que nous ne sentons point le cours des heures en oyant deviser un sage, disert et éloquent vieillard, quand il va récitant les aventures qu’il a eues en ses verts et jeunes ans combien plus devons-nous sentir d’aise et de ravissement de voir en une belle, riche et véritable peinture, les cas humains représentés au vif. » Ainsi s’exprime-t-il dans la préface de ses Vies parallèles ; et on ne saurait mieux indiquer ce que ses Vies contiennent d’enseignements, ou, comme nous dirions aujourd’hui, de « documents » sur l’homme. […] C’est ce que veut dire le bon Du Vair, et avec lui, comme lui, c’est ce que sentent ou ce que pensent le théologal de Condom, Pierre Charron, dans son Traité de la sagesse, Honoré d’Urfé, le gentilhomme forézien, le mari malheureux de la belle Diane de Châteaumorand, dans cette Astrée qui va devenir le code de la société polie ; François de Sales encore dans son Introduction à la vie dévote. […] Émile Montégut : En Bourbonnais et en Forez]. — L’émigration italienne à Lyon ; — les grands Imprimeurs ; — la ville de transit. — Maurice Scève et ses sœurs ou cousines, Claudine et Sybille ; — Pernette du Guillet ; — et Louise Labé. — Témoignages de Billion et de Pasquier : « Suivant notre propos et en commençant à la ville de Lyon… il est notoire qu’elle se sent fière d’avoir produit… une singulière Marguerite du Bourg… et deux très vertueuses sœurs, appelées Claudine et Jane Scève, … et Claude Perronne… et Jeanne Gaillarde… et Pernette du Guillet » [Le Fort Inexpugnable de l’honneur féminin, Paris, 1555, Ian d’Allyer.
Celui qui le sent et qui l’aime, a le goût parfait ; celui qui ne le sent pas et qui aime en deçà et au-delà, a le goût défectueux. » C’est du La Bruyère, aux meilleurs passages. […] Relisez L’Impromptu de Versailles, dans lequel Molière et Brécourt, de La Grange et du Croisy, mademoiselle de Brie et mademoiselle Molière jouent leur rôle ; est-il possible de parler un meilleur langage, qui sente plus, en même temps, son théâtre et la bonne compagnie ? Même dans leur négligé, on sent que ces messieurs et ces dames se rappellent qu’ils sont à Versailles et qu’ils sont les hôtes du Roi. — C’est surtout, par ce genre de vérité et d’observations, que nous nous intéressons aux accessoires de la comédie, et non pas parce que vous aurez remplacé le gaz par les chandelles ! […] Ces pages chrétiennes exhalent les angoisses et les douleurs de cette âme en peine, et l’on se sent plus attendri, voyant cette illustre personne hésiter, que si elle se jetait, comme on nous la montre au théâtre, au beau milieu de l’abîme, la tête la première ! […] doit être, non pas du chagrin, mais quelque chose comme le désespoir sublime de ce Romain, qui sentait qu’il perdait un monde… Se savoir à lui !
Certainement elle n’est pas morte, sa verve passionnée ; on se laisse emporter par ses élans, on se sent le cœur serré de ses angoisses, on rit son rire, on pleure ses larmes. […] Qu’importait cela, pourvu qu’on fût ému, et qu’on sentit battre les viscères sous la flanelle ? […] Sentir qu’on est dieu, et ne pouvoir pas même être homme ! […] Et moi, je me sentais jaloux du rossignol. […] Jusqu’alors, il n’y avait fait que de courtes apparitions ; il ne s’y sentait pas tout à fait chez lui.
Cet absurde commentaire ne pouvait venir que des hommes qui se sentaient profondément blessés par cette satire équitable et voulaient dérouter l’opinion. […] Pourtant le lecteur sent déjà circuler dans le Campo Santo un air plus pur, une lumière plus abondante. […] La comédie, renfermée dans l’étude exclusive du ridicule, sent le besoin d’agrandir et d’élever le sujet de sa contemplation. […] Il s’explique la résistance qu’il a rencontrée sur sa route, et à mesure qu’il juge mieux ses adversaires, il sent faiblir sa colère et grandir son espérance. […] Préparé à son avènement par des combats multipliés, quand il sent la gloire venir à lui, il l’accueille avec une émotion sérieuse.
C'est de lui ce vers naïf et douloureux : Il est dur d’être seul à sentir son génie.
Il suppléait trop souvent à cette disette d’idées par des conceptions enflées et étranges au fond desquelles on sentait l’absence de sérieux : c’est le défaut radical de sa Divine Épopée, au sujet de laquelle M.
Si ces distinctions, que nous sentons à peine aujourd’hui, nous faisaient sourire, comme microscopiques et insignifiantes, ne nous en vantons pas trop !
« Moins on sent une chose, plus on est apte à l’exprimer comme elle est », formula Flaubert.
Et l’on se trouve bien de pratiquer ce qui est comme la probité du langage, car on en a plus de facilité pour sentir ce qui manque à l’esprit : on connaît mieux son faible, et il est plus aisé d’y remédier.
Le style est net, d’abord si la conception est nette, si l’écrivain a bien déterminé la qualité, l’étendue et le rapport de ses pensées, s’il a pleine conscience, en un mot, de ce qu’il pense et sent, ensuite s’il donne à chaque idée l’expression propre qui la découvre tout entière et clairement.
Puis pendant des siècles, une à une, les provinces qui entreront dans l’unité nationale recevront la langue de France, et mêleront à son esprit leur génie original : ce sera la rude et rêveuse Bretagne, réinfusant dans notre littérature la mélancolie celtique, ce sera l’inflexible et raisonneuse Auvergne, Lyon, la cité mystique et passionnée sous la superficielle agitation des intérêts positifs ; ce sera tout ce Midi, si varié et si riche, ici plus romain, là marqué encore du passage des Arabes ou des Maures, là conservant, sous toutes les alluvions dont l’histoire l’a successivement recouvert, sa couche primitive de population ibérique, la Provence chaude et vibrante, toute grâce ou toute flamme, la Gascogne pétillante de vivacité, légère et fine, et, moins séducteur entre ces deux terres aimables, le Languedoc violent et fort, le pays de France pourtant où peut-être les sons et les formes sont le mieux sentis en leur spéciale beauté.
On sent que c’est quelque chose de voulu, de convenu, et que l’écrivain a jugé bienséant, à certains endroits, de parler de Dieu.
L’état d’âme que certains spectacles publics, une revue militaire, les funérailles d’un grand citoyen, propagent dans toute une multitude, cet état singulier, merveilleux, ou l’on se sent épris tous ensemble de quelque chose de supérieur à l’intérêt immédiat de chacun, tâchons de le ressusciter en nous jusque dans l’humble cours de nos occupations journalières, pour les spiritualiser.
Je me souviens de l’avoir sentie très nettement, à Paris, pendant le premier mois de la Commune, à lire les affiches et les journaux enfiévrés, à voir flamber dans les rues le drapeau rouge, à me mêler, sous le grand soleil, aux cohues démentes de la place de l’Hôtel-de-Ville ; et pourtant j’étais un enfant très raisonnable. — Bref, je conçois, sans nul effort que cet homme, l’autre jour, soit monté sur cette table et qu’il y ait chanté cette chanson assassine contre une classe pleine de vices et d’égoïsme assurément (comme toutes les classes sociales sans exception), mais où il y a aussi de braves gens, et dont il se pourrait que la très modeste moyenne de vertu et de bonté ne fût pas trop inégale à la bonté et à la vertu de ceux qui réclament du plomb contre elle.
Jules Barbey d’Aurevilly Casimir Delavigne, très supérieur à Ponsard, avait déjà, bien avant lui, porté et senti sur son talent, sans grande vigueur pourtant, la flamme de cet astre du Romantisme qui se levait et qui n’était qu’à ses premiers feux.
Ce moribond se raccrochait à la vie, qu’il sentait lui échapper avec toute l’énergie du désespoir.
Que ton vers soit la chose envolée Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée Vers d’autres cieux à d’autres amours.
L’animal ne peut donc ni sentir ni se mouvoir, s’il ne se produit des vibrations dans ses nerfs, sa corde spinale et son cerveau.
Alors les charlatans triomphent, et ils se sentent persuadés de leur puissant génie, en descendant de cette chaire professorale où ils sont montés avec la conscience chargée des avertissements de leur nullité.
Enfin Malherbe vint ; &, le premier en France, Fit sentir dans les vers une juste cadence, D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir, Et réduisit la muse aux règles du devoir, &c.
Otons-nous, car il sent.
Il faut du merveilleux, un avenir, des espérances à l’homme, parce qu’il se sent fait pour l’immortalité.
Chapitre viii Catholiques, protestants, socialistes, tous en défendant la France, défendent leur foi particulière Un trait commun à ces diverses familles d’esprit durant cette guerre, c’est qu’elles sentent toutes que le meilleur, le plus haut d’elles-mêmes, leur part divine est engagée dans le drame, et périrait avec la France.
Déjà on sent partout l’influence des dialectes sauvages du Nord.
Napoléon sentait amèrement que sa situation était, à la fois, encourageante et malaisée. […] J’avoue que je me suis senti presque incapable d’opposer aux auteurs du Désastre des objections d’ordre purement esthétique. […] Le Javanais ne sent rien de tout cela. […] Chailley-Bert a vu de près les renoncements dont est capable le patriotisme de ces braves gens, qui ont bien senti les dangers d’une acclimatation trop résignée. […] Elles sentent la vanille, le santal, toutes sortes d’aromates capiteux et décevants.
Chacun d’eux n’est que le point le mieux éclairé d’une zone mouvante qui comprend tout ce que nous sentons, pensons, voulons, tout ce que nous sommes enfin à un moment donné. […] Elle est le fond de notre être et, nous le sentons bien, la substance même des choses avec lesquelles nous sommes en communication. […] On sent bien que, si l’univers dans son ensemble est la réalisation d’un plan, cela ne saurait se montrer empiriquement. On sent bien aussi que, même si l’on s’en tient au monde organisé, il n’est guère plus facile de prouver que tout y soit harmonie. […] Senti du dedans, c’est un acte simple, indivisible.
Lorsque vous regardez une cathédrale du temps, vous sentez en vous-même un mouvement de crainte. […] Et comme je regardais ce bel endroit, Soudainement je crus respirer une si douce odeur D’églantier, que certainement Il n’y a point, je crois, de cœur au désespoir, Ni si surchargé de pensées chagrines et mauvaises, Qui n’eût eu bientôt consolation S’il eût une fois senti cette douce odeur. […] Elle n’est pas vieille, elle a les « yeux clairs comme verre, la bouche toute petite, molle et rouge. » Sa guimpe est bien ajustée, sa mante de bon goût, elle a deux chapelets au bras, en corail, émaillé de vert, « avec une broche d’or luisant, sur laquelle est écrit d’abord un A couronné, puis cette devise : Amor vincit omnia,216 » jolie devise ambiguë, galante et dévote ; la dame est à la fois du monde et du cloître : du monde ; on le sent à l’appareil des gens qui l’accompagnent, une nonne et trois prêtres ; du cloître ; on le voit à l’Ave Maria qu’elle chante, aux légendes édifiantes qu’elle conte. […] Mettez dans tous les esprits d’un siècle une grande idée neuve de la nature et de la vie, de telle façon qu’ils la sentent et la créent de tout leur cœur et de toutes leurs forces ; et vous les verrez, saisis du besoin de l’exprimer, inventer des formes d’art et des groupes de figures. […] On se conte volontiers les histoires horribles et tragiques ; on les ramasse depuis l’antiquité jusqu’au temps présent ; on est bien loin de la piété confiante et passionnée qui sentait la main de Dieu dans la conduite du monde ; on voit que ce monde va çà et là se heurtant, se blessant comme un homme ivre.
Kobus le salue en le décrivant avec l’entrain insoucieux du joyeux égoïste qui se sent les pieds chauds. […] » cela lui donnait une ardeur, mais une ardeur vraiment incroyable ; il ne se sentait plus de bonheur. […] et ce matin au petit jour, elle a pris l’échelle et elle est allée les cueillir. » Fritz, à chaque parole du père Christel, sentait comme un baume rafraîchissant s’étendre dans tout son corps. […] » Fritz, sachant que Sûzel n’avait jamais dansé qu’avec lui, sentait comme de bonnes odeurs lui monter au nez ; il aurait voulu chanter, mais, se contenant : « Tout cela, dit-il, n’est que le commencement de la fête. […] Enfin, David reparut au coin de l’étable ; il n’agitait rien, et Fritz, le regardant, sentit ses genoux trembler.
Ce qui fait que mon monde ne dort, la nuit, que d’un œil, se relevant de temps en temps, pour aller tâter le mur, et sentir s’il se refroidit. […] Vendredi 8 février À un dîner chez Fasquelle, je cause avec Zola de son roman de Rome, dans les notes énormes duquel il s’avoue un peu perdu, déclarant que pour ce livre, il ne se sent pas la bravoure de ses autres bouquins. […] Lundi 11 février Frantz Jourdain me communique la lettre d’acceptation de Rops, pour le comité du banquet, lettre chaudement sympathique, où je lis : « Il y a quelques jours, où je relevais mes anciens calepins de notes, de ces notes qu’on s’adresse à soi-même, j’y retrouve ceci : Dans le travail, lorsque par lâcheté, l’envie de faire du chic vous prend, et que l’on se sent glisser à la facilité et à la légèreté banale de l’exécution, penser aux Goncourt, à la sincérité, à l’honnêteté, à la droiture de leur œuvre. […] Or un jour, l’éléphant veut s’assurer de la gratitude de la nature et des animaux à son égard, et il trouve que l’eau se fait fraîche, et le sable chaud à ses pieds, que les branches s’écartent docilement de son passage, que les animaux l’entourent respectueusement, quand il se sent mordu au pied par un crocodile. […] Cet intérieur des Brisson, un intérieur plaisant, aimable, où l’on sent du vrai bonheur conjugal, et animé et égayé par les jeux de deux rondelettes petites filles, dont la plus petite, âgée de trois ans, qui s’est grisée avec le champagne d’une compote de fruits glacés, fait les plus extravagants sauts de carpe, sur l’immense canapé tenant une partie du salon.
J’avoue d’ailleurs sans difficulté que, dans l’état présent de l’érudition, on la sent, cette différence, plutôt qu’on ne saurait la définir. […] Aucun pontife ne l’a mieux senti que le pape Léon XIII, ni, l’ayant senti, ne l’a dit avec plus d’abondance de cœur et d’ardeur de persuasion. […] On ne crierait pas si fort si l’on ne se sentait atteint quelque part. […] Et si vous vous hâtez, après tant de vaines prophéties, de prédire la déroute de l’ennemi qui multiplie et qui monte, c’est que vous sentez que dans l’accalmie présente, le formidable assaut se prépare qui fera tomber les derniers retranchements de l’ordre d’iniquité que vous dites divin.
Dans cet état, on perd la triste faculté qu’ont les « heureux » de sentir le malheur en dehors du moment où il les frappe, et de l’allonger par l’appréhension et par le souvenir. […] Il y sent bon de calme et de fleurs. » — « M. […] Elle l’aimait, elle la vénérait, mais se sentait incapable de « vibrer » toujours avec elle.
Alors je t’ai appelé pour que tu me dises ce que je dois faire. » Les Vieillards se sentent ressaisis vis-à-vis le spectre du tremblement qui les prenait en face du vivant. […] On le sent détaché des choses, désintéressé de la vie. […] On sent que le vertige gagne par degrés les Vieillards, que l’entraînement les emporte, et que si quelque fournaise expiatoire flamboyait devant le palais, ils s’y jetteraient, sur l’ordre de leur roi, aussi docilement qu’ils s’arrachent leur barbe et leurs cheveux blancs.
Tant il est vrai que le sentiment de l’art est inaccessible au mensonge, et que les poupées se sentent mal à l’aise devant les statues. […] Rien de plus simple cependant : les phrases vagues et banales que deux indifférents échangent avant un départ ; mais elles distillent un froid sinistre qui transit le cœur et puis ce mari fait peur : sa politesse est rigide, sa parole stricte et coupante ; on sent la glace de l’acier sous le velours serré et piquant de sa courtoisie. […] Aubry que, s’il le retrouve jamais avec sa femme, il le tuera sans merci, et, comme on sent qu’il le fera ainsi qu’il le dit, le public frissonne et s’attend à tout.
Il se sentit ingrat envers l’homme qui, dans l’Orestie, avait honoré ce tribunal au point d’y faire comparaître Minerve et Apollon. […] étendez hypothétiquement cette catastrophe à quelques autres noms encore, et il semble que vous sentiez le vide se faire dans l’esprit humain. […] On croit sentir, en lisant Eschyle, qu’il a hanté les grands halliers primitifs, houillères aujourd’hui, et qu’il a fait des enjambées massives par-dessus les racines reptiles et à demi vivantes des anciens monstres végétaux.
Baudelaire, qui les a cueillies et recueillies, n’a pas dit que ces Fleurs du mal étaient belles, qu’elles sentaient bon, qu’il fallait en orner son front, en emplir ses mains, et que c’était là la sagesse. […] Baudelaire, cette poésie sinistre et violente, déchirante et meurtrière dont rien n’approche dans les plus noirs ouvrages de ce temps qui se sent mourir. […] Le poète assis près de sa maîtresse, par un beau soir d’automne, sent monter à son cerveau un parfum tiède qui l’enivre ; il trouve à ce parfum quelque chose d’étrange et d’exotique, qui le fait rêver à des pays lointains ; et aussitôt dans le miroir de sa pensée se déroulent des rivages heureux, éblouis par les feux du soleil, des îlots paresseux plantés d’arbres singuliers, des Indiens au corps mince et vigoureux, des femmes au regard hardi : Un port rempli de voiles et de mâts Encor tout fatigués par la vague marine, Pendant que le parfum des verts tamariniers, Qui circule dans l’air et m’enfle la narine, Se mêle dans mon âme au chant des mariniers !
Pour sentir combien ce besoin est profond et impérieux, il suffit de penser un instant aux effets physiologiques de l’étonnement, et de considérer que la sensation la plus terrible que nous puissions éprouver est celle qui se produit toutes les fois qu’un phénomène nous semble s’accomplir contradictoirement aux lois naturelles qui nous sont familières. […] Les faits connus ne pourront être coordonnés de manière à former de véritables théories spéciales des différents êtres de l’univers, que lorsque la distinction fondamentale rappelée ci-dessus sera plus profondément sentie et plus régulièrement organisée, et que, par suite, les savants particulièrement livres à l’étude des sciences naturelles proprement dites auront reconnu la nécessité de fonder leurs recherches sur une connaissance approfondie de toutes les sciences fondamentales, condition qui est encore aujourd’hui fort loin d’être convenablement remplie. […] Il est aisé de sentir, en effet, que plus des phénomènes sont généraux, simples et abstraits, moins ils dépendent des autres et plus les connaissances qui s’y rapportent peuvent être précises, en même temps que leur coordination peut être plus complète.
Selon eux, par nécessité, Sans passion, sans volonté : L’animal se sent agité De mouvements que le vulgaire appelle Tristesse, joie, amour, plaisir, douleur cruelle, Ou quelque autre de ces états. […] Par exemple, ce que je vous ai fait remarquer en souriant : L’animal se sent agité De mouvements que le vulgaire appelle Tristesse, joie, amour, plaisir, douleur cruelle… Voilà, sans encore aborder son plaidoyer, voilà un premier jalon que le poète, j’allais dire que l’avocat, que le poète plante pour fixer les esprits sur cette idée à laquelle il tient. […] Les romantiques ont aussi épargné La Fontaine parce qu’ils ont senti que La Fontaine était tellement en dehors de toutes les querelles d’école, et même de toutes les classifications, qu’il ne pouvait point les gêner et que même, à certains égards (par la liberté qu’il a prise dans ses vers irréguliers), il était leur auxiliaire et qu’il pouvait leur servir d’argument, de raison ou d’exemple.
Enfin il y a des langues transpositives et des langues analogues : cette différence mérite peu d’attention, quoiqu’elle soit si considérable : on sent trop bien que les inversions ne sont que facultatives, et tiennent à la même loi que les désinences. […] Que l’on se souvienne de ce que nous avons dit plus haut sur la difficulté d’inventer le langage sans l’écriture, et l’on sentira tous les inconvénients du système de l’invention du langage pur l’homme : mais ce système une fois rejeté, les cordonnets des anciens Égyptiens, si semblables aux quipos des Péruviens, peuvent, avec raison, être regardés comme le premier pas de l’invention de l’écriture. […] On fera sentir, par des exemples, ces nuances fines et délicates qui séparent deux synonymes ou deux sens d’un même mot.
Quand nous nous remémorons des faits passés, quand nous interprétons des faits présents, quand nous entendons un discours, quand nous suivons la pensée d’autrui et quand nous nous écoutons penser nous-mêmes, enfin quand un système complexe de représentations occupe notre intelligence, nous sentons que nous pouvons prendre deux attitudes différentes, l’une de tension et l’autre de relâchement, qui se distinguent surtout en ce que le sentiment de l’effort est présent dans l’une et absent de l’autre. […] Vous partez d’une représentation où vous sentez que sont donnés l’un dans l’autre des éléments dynamiques très différents. […] Mais il ne suivrait pas de là que le « jeu de représentations » signalé par nous comme caractéristique de l’effort intellectuel ne se fît pas sentir lui-même dans cette affection.
Les hommes sentent d’abord, sans remarquer les choses senties ; ils les remarquent ensuite, mais avec la confusion d’une âme agitée et passionnée ; enfin, éclairés par une pure intelligence, ils commencent à réfléchir. […] Les hommes sentent d’abord le nécessaire, puis font attention à l’utile, puis cherchent la commodité ; plus tard aiment le plaisir, s’abandonnent au luxe, et en viennent enfin à tourmenter leurs richesses 28.
La mère de Duclos, sans le savoir avec précision, sent bien qu’il se dissipe à Paris et qu’il n’y suit pas son cours de droit en jeune homme studieux ; elle le rappelle à Dinan et le presse sur le choix d’un état. […] C’est bizarre, métaphysique, contourné ; nulle part on n’y sent le souffle des fées, le regard et le jeu de la déesse.
Dans les dernières années de sa vie, et à deux reprises, il écrivit à ses supérieurs pour être déchargé par eux de ce ministère de la parole publique dont il commençait à sentir le poids, et pour obtenir de prendre enfin une retraite dont la nature en lui éprouvait le besoin : Il y a cinquante-deux ans que je vis dans la compagnie, non pour moi, mais pour les autres ; du moins plus pour les autres que pour moi. […] J’ai tâché, dans ce que j’ai dit aujourd’hui à son sujet, de prouver que ce grave et puissant prédicateur, dont il ne faut pas faire un talent triste et une parole terne, avait, en effet, la finesse, la pénétration, l’à-propos et la science de l’occasion, autant que les plus fortes armes de la démonstration oratoire, et qu’à travers ce qu’il semblait ignorer et ce qu’il aimait mieux ne pas voir pour marcher comme à l’aveugle et plus hardiment, il avait l’œil très ouvert et très clairvoyant sur les hommes et les choses qui l’entouraient. — Il resterait à citer et à discuter un portrait de Bourdaloue tracé par Fénelon dans ses Dialogues sur l’éloquence, portrait où la diversité et presque l’antipathie des natures se fait sentir, et où Fénelon exprime déjà sur ce talent trop réglé et trop uni à son gré quelques-uns des dégoûts modernes : mais il s’y juge peut-être lui-même encore plus que Bourdaloue, et c’est en parlant de Fénelon qu’il y aurait à y revenir un jour.
Daru le 1er février 1807, que, sur mon simple aperçu, vous ayez aussi bien senti, approuvé et deviné mon sujet ; il semble à votre lettre que nous avons longtemps causé ensemble. […] Dans la préface qu’il a mise à sa comédie des Capitulations dans le recueil de ses Œuvres, Picard raconte comment il a recommencé sa pièce jusqu’à trois fois, à de nouveaux frais et sur un nouveau plan ; il aurait pu dire qu’il l’avait recommencée cinq et six fois, j’en ai les preuves sous les yeux ; et chaque fois, en lisant la pièce à ses amis, il a le regret de sentir que l’ouvrage (il se l’avoue) reste pâle, toujours grave et sérieux, et incomplet.
Saint-Simon, en ajoutant à nos renseignements, charge un peu la scène, mais nous en fait sentir tout le comique et le dramatique. […] Le style de Saint-Simon, dans ces notes rapides, est plus pétulant, plus pressé, plus heurté que nulle part ailleurs ; on y sent quelqu’un qui veut trop dire, qui veut tout dire à la fois C’est comme une source abondante qui a à sortir par un goulot trop étroit, et qui s’y étrangle.
S’il appréciait ses qualités de travailleur, d’homme de mérite et qui avait la fertilité du fonds, il sentait aussi ses défauts et n’épargnait rien pour l’en corriger. […] Il va sans doute un peu loin lorsqu’il dit : « De tout ce qui a été en place de nos jours, je puis dire que personne n’a plus ressemblé par le grand au cardinal de Richelieu que feu mon père. » La première condition, en effet, pour être un Richelieu, c’est de sentir qu’on l’est, et de ne pas se confiner au détail comme le fit l’ancien lieutenant de police d’Argenson.
La margrave engage son frère à lui faire une épitaphe satirique ; Frédéric ne s’y prête que pour lui obéir, et le moins possible : « Si M. de Grumbkow, dit-il, ne m’avait jamais fait de mal, je pourrais lui faire une épitaphe ; mais tout ce que je pourrais en dire sentirait trop la prévention, et d’ailleurs je crois que ce serait trop d’honneur. » Quand on a lu dans les mémoires de la margrave ce qu’ils eurent l’un et l’autre à souffrir de Grumbkow, on trouvera qu’ils en parlent ici avec bien de la douceur et sans rancune. […] Je ne sais s’il est bien vrai, comme il le dit, qu’il se sent esclave d’être roi et que c’est un métier qu’il ne fait que par pure nécessité et parce que sa naissance l’y condamne : « La plupart du monde ambitionne de s’élever ; pour moi, je voudrais descendre, si pour prix de ce sacrifice, qui n’en serait pas un parce qu’il ne me coûterait rien, j’obtenais la liberté. » Cette liberté, s’il l’avait eue entière, aurait bien pu l’embarrasser, de l’ambition dont il était, et avec son activité ardente.
» Ici nous retrouvons quelques-unes des idées particulières et, si l’on veut, des préventions de Vauvenargues, un reste de gentilhomme, ou plutôt un commencement de grand homme ambitieux, qui aimerait mieux franchement être Richelieu que Raphaël, avoir des poètes pour le célébrer que d’être lui-même un poète ; qui aimerait mieux être Achille qu’Homère : « Quant aux livres d’agrément, ose-t-il dire, ils ne devraient point sortir d’une plume un peu orgueilleuse, quelque génie qu’ils demandent ou qu’ils prouvent. » Il ne permet tout au plus la poésie à un homme de condition et de ce qu’il appelle vertu, que « parce que ce génie suppose nécessairement une imagination très vive, ou, en d’autres termes, une extrême fécondité, qui met l’âme et la vie dans l’expression, et qui donne à nos paroles cette éloquence naturelle qui est peut-être le seul talent utile à tous les états, à toutes les affaires, et presque à tous les plaisirs ; le seul talent qui soit senti de tous les hommes en général, quoique avec différents degrés ; le talent, par conséquent, qu’on doit le plus cultiver, pour, plaire et pour réussir. » Ainsi la poésie, il ne l’avoue et ne la pardonne qu’à titre de cousine germaine de l’éloquence, et qu’autant qu’elle le ramène encore à une de ces grandes arènes qui lui plaisent, à l’antique Agora ou au Forum, ou à un congrès de Munster, en un mot à une action directe sur les hommes. […] Il tient surtout dans sa lettre (car nous en sommes toujours à cette même lettre décisive, où il se découvre) à bien montrer à Mirabeau qu’on peut désirer de sortir d’une condition médiocre et d’arriver à une grande situation, par de grands motifs et sans du tout abjurer la hauteur des sentiments : Il y a des hommes, je le sais, qui ne souhaitent les grandeurs que pour vivre et pour vieillir dans le luxe et dans le désordre, pour avoir trente couverts, des valets, des équipages, ou pour jouer gros jeu, pour s’élever au-dessus du mérite et affliger la vertu, et qui n’arrivent à ce point que par mille indignités, faute de vues et de talents : mais, de souhaiter, malgré soi, un peu de domination parce qu’on se sent né pour elle ; de vouloir plier les esprits et les cœurs à son génie ; d’aspirer aux honneurs pour répandre le bien, pour s’attacher le mérite, le talent, les vertus, pour se les approprier, pour remplir toutes ses vues, pour charmer son inquiétude, pour détourner son esprit du sentiment de nos maux, enfin, pour exercer son génie et son talent dans toutes ces choses ; il me semble qu’à cela il peut y avoir quelque grandeur.
Beyle eut un mérite rare, incontestable : du sein de la littérature de l’Empire, qui retardait sur les grandes actions et des prodigieux événements contemporains, il sentit qu’une autre littérature devait naître. […] Quand on pense et qu’on sent de la sorte, on n’est pas l’homme d’une révolution, on est tout au plus celui d’une conspiration à huis clos ; on fait fureur, mais portes closes et en petit comité.
il viendra, quelques années après, un sage appelé Montaigne qui remettra tout à sa place et à son rang dans l’estime, et qui ayant à développer cette idée, qu’un père sur l’âge, « atterré d’années et de maux, privé par sa faiblesse et faute de santé de la commune société des hommes, se fait tort et aux siens de couver inutilement un grand tas de richesses, et que c’est raison qu’il leur en laisse l’usage puisque la nature l’en prive », ajoutera pour illustrer sa pensée : « La plus belle des actions de l’empereur Charles cinquième fut celle-là, à l’imitation d’aucuns Anciens de son calibre, d’avoir su reconnoître que la raison nous commande assez de nous dépouiller, quand nos robes nous chargent et empêchent, et de nous coucher quand les jambes nous faillent : il résigna ses moyens, grandeur et puissance à son fils, lorsqu’il sentit défaillir en soi la fermeté et la force pour conduire les affaires avec la gloire qu’il y avoit acquise : Solve senescentem… » Mais entrons un peu plus avant dans les raisons qui persuadèrent à une de ces âmes d’ambitieux, si aisément immodérées, d’en agir si sensément et prudemment. […] Ce fut son dernier legs, un legs un peu honteux et qui sent le remords.
Mais que cet homme étendu sur le premier plan est donc admirablement jeté par terre, et comme on sent qu’il est tombé à la renverse, d’un seul coup, à l’improviste ! […] Et celai qui croirait que l’artiste a uniquement voulu plaisanter et se permettre une légèreté se tromperait fort : il a voulu, sous forme vulgaire, exprimer le côté humain bien senti et montrer l’honnêteté de la chose.
. — Mais, pour la plupart du temps, ses vrais goûts sont ailleurs : Shakespeare, Gœthe, Heine, peuplent son ciel et sont ses dieux ; il sent plus volontiers le chef-d’œuvre étranger que le chef-d’œuvre national. Cette manière de sentir se répète en peinture.
Elle n’a rien à elle dans ce qu’elle dit et ce qu’elle prétend sentir ; à peine a-t-elle une contenance à elle. […] « Son discernement lui fait démêler tous les travers et sentir tous les ridicules ; sa bonté, sa charité, les lui font supporter sans impatience, et lui permettent rarement d’en rire.
L’élocution nette, harmonieuse, toutefois naturelle et agréable ; assez d’élégance, beaucoup d’éloquence, mais qui sent l’art, comme avec beaucoup de politesse et de grâce dans ’ses manières, elles ne laissent pas de sentir quelque sorte de grossièreté naturelle ; et toutefois des récits charmants, le don de créer des choses de rien pour l’amusement, et de dérider et d’égayer même les affaires les plus sérieuses et les plus épineuses, sans que tout cela paraisse lui coûter rien.
Gautier ne soit pas homme à se laisser prendre en flagrant délit d’un dessein littéraire prémédité et qui aurait l’air sérieux, quoiqu’il se moque lui-même très-agréablement de la plupart des pauvres diables dont il s’est senti d’humeur à s’occuper cette fois, et quoiqu’enfin dans sa post-face (les préfaces sont le pont-aux-ânes, et dans un livre sur les grotesques il est bien permis de les mettre à l’envers) il ait paru faire bon marché de l’effort capricieux et léger qu’il venait de tenter, nous remplirons tout gravement à son égard notre métier de critique, et dussions-nous être réputé de lui bien pédant, bien académicien déjà, nous rendrons justice à l’idée logique de son livre, nous la discuterons, sans préjudice toutefois des brillantes fantaisies et des mille arabesques dont il l’entoure. […] Mais comment concevoir que dans un livre où l’auteur paraît sentir si bien le prix de l’art et où il se pique de faire valoir ses poëtes, de nous les faire admirer presque à la loupe, les négligences soient poussées au point où on les voit ici ?
Qu’il chante ouvertement ou sous voile d’allusion les douleurs et les oppressions de la patrie, qu’il se reporte aux calamités, aux espérances ou aux plaintes de l’Italie et de la Grèce, qu’il raille au théâtre certains préjugés, qu’il flétrisse certaines tyrannies, il est toujours aisément d’accord avec ce que sont tentées de penser et de sentir sur ces sujets la plupart des natures droites et saines, des jeunes âmes écloses du milieu de notre société et formées par notre éducation libérale. […] La comédie qu’il donna sous ce titre (la Popularité), et dans laquelle il revint un peu à sa manière des Comédiens, est pleine de vers ingénieux, élégants, bien frappés, qui, comme ceux du Méchant, de la Métromanie, se sentent assez du genre de l’épître, mais n’en sont pas moins chers, dans cette modération de goût, aux habitudes de la scène française.
remy ; et il voit déjà dans ce choix l’indice d’un goût peu sûr : « car, ajoute-t-il en style étrange, l’Oaristys s’éloigne sous plus d’un point de ces sujets naturels et simples où l’on sent à peine l’effort de l’art. » J’avoue que, lorsque je vois un critique aborder sur ce ton des œuvres toutes de grâce et d’élégance, j’entre aussitôt en une méfiance extrême, et je me demande si l’écrivain de cette prose est bien un maître-juré en telle expertise de poésie (arbiter elegantiarum). […] Celui qui demain va mourir sent un regret à quitter la vie que consolait sous les barreaux une vue si charmante, mais il exprime ce regret à peine, et son émotion prend encore la forme d’une pensée légère, de peur de jeter une ombre sur le jeune front souriant94.
Pour mieux sentir la largeur de ce fleuve d’or, regardons quelques-uns de ses affluents. […] Les collecteurs s’arrêtent devant aux, parce que le roi sent bien que la propriété féodale a la même origine que la sienne ; si la royauté est un privilège, la seigneurie en est un autre ; le roi n’est lui-même que le plus privilégié des privilégiés.
Rien du style ni de la poésie, ni du pittoresque de Virgile ne subsiste ; mais l’action, la vie, la lutte, Hardy a senti tout cela : il dégage très justement les situations, et, dans son plat jargon, il fait dire aux personnages précisément ce qu’il faut qu’ils disent. […] On peut dire que par les unités l’esprit classique s’est construit la forme littéraire la plus apte à l’exprimer ; et sans doute il n’était pas nécessaire que Corneille écrivit le Cid en 1636 : mais du moins, pour l’extraire du drame de Guillen de Castro, il lui fut utile de se sentir lié par ces lois nouvelles qui obligeaient de concevoir la tragédie autrement que comme un roman découpé en scènes.
Signalons enfin, pour terminer cette revue des principales lois sociologiques dont l’action se fait sentir sur l’individu, une loi qui ne joue pas un rôle moins important que les précédentes : la loi de l’illusionnisme social ou loi du mensonge de groupe. […] Ils sentent parfois vaguement qu’ils sont des avocats qui plaident une cause ; qu’ils parlent, non en individus pensant chacun à part soi, mais comme professeurs, membres d’un parti, d’une école, etc. ; qu’ils énoncent des lèvres des vérités auxquelles ils ne croient pas très fortement au fond du cœur.
Il ne disputa jamais sur Dieu, car il le sentait directement en lui. […] Aux ruines qui restent de son ancienne splendeur, on sent un peuple agricole, nullement doué pour l’art, peu soucieux de luxe, indifférent aux beautés de la forme, exclusivement idéaliste.
Petite-fille de l’illustre capitaine d’Aubigné du xvie siècle, fille d’un père vicieux et déréglé, d’une mère méritante et sage, elle sentit de bonne heure toute la dureté du sort et la bizarrerie de la destinée ; mais elle avait au cœur une goutte du sang généreux de son aïeul, qui lui redonnait de la fierté, et elle n’aurait pas changé sa condition contre une plus heureuse, et qui eût été de qualité moindre. […] Elle ne conçut point tout d’abord sans doute l’idée de ce que rien ne pouvait présager, elle ne se dit certes point qu’elle deviendrait l’épouse secrète, mais avérée, du monarque : elle sentit seulement la possibilité d’une grande influence et elle y visa.
Vers ces années, d’assez grands changements s’étaient accomplis et dans l’existence et dans la manière de sentir de Beaumarchais. […] En rabattant de l’exaltation bien naturelle à un vieillard, plein d’imagination, qui se souvient de son plus beau moment de gloire, on sent en plus d’un passage l’accent de la conviction et d’une sincérité persuasive Beaumarchais, dans ses souvenirs, oubliait sans doute bien des détails qui eussent apporté de l’ombre au tableau, mais il avait raison en parlant de cet intérêt public, de cet aspect patriotique et général sous lequel avait toujours eu soin de placer et de voir même son intérêt particulier.
La science et l’éloquence sont peut-être incompatibles… Ici l’on saisit le témoignage net et hardi de ce goût pur qui ne transige pas, de ce goût exclusif comme tous les goûts très sincères et très sentis. […] On peut dire qu’il n’avait embrassé ni senti à aucun instant l’esprit et le génie de cette grande époque ; le côté héroïque comme le côté social lui avait échappé ; il n’y avait vu partout que les excès et les désordres, les bassesses ou les ridicules.
Dès qu’il s’agissait de coordonner les théories de ses différents écrivains, on sentait qu’une dislocation était inévitable. […] À la versification plate et monotone des Parnassiens, ils ont substitué une poésie vibrante et sonore où l’on sent passer comme des frissons de vie.
Au premier abord et à distance, cela paraît immense, et on sent que si cela l’était on trouverait dans l’écrivain qui va écrire une telle histoire un talent digne du sujet. […] C’est là qu’on sentait d’abord le philosophe, qu’on allait retrouver partout, faisant précéder, comme tout esprit véritablement synthétique, d’une métaphysique son histoire.
De tendance naturelle et de facultés, il semblait certainement destiné à être un esprit d’exception autant que le poète lui-même, c’est-à-dire le critique qui, lorsqu’on a senti le poète, le fait comprendre mieux en analysant sa puissance. […] Il sent toujours plus ou moins le collège de la Trinité de Cambridge où il fut si brillamment élevé.
Au soir, comme Jacob, qui dispose une pierre pour son oreiller, et dans son sommeil, voit le monde invisible, ils se sentiront assistés, et, près de s’endormir dans la boue des tranchées, ils remercieront avec effusion une présence divine. […] Ils ont horreur de ce qui sent le mot et la formule.
La grande ville exerce un attrait prodigieux, même sur les petites gens dont la vie est rude, fatigante, excédante ; elle possède un charme spécial, dont l’idée n’est pas nécessairement liée à celle de plaisir, mais qui consiste peut-être dans la perpétuelle activité où l’on se sent plongé, dans l’incessante distraction de l’esprit et des yeux qui n’aperçoivent plus aussi bien la fuite des jours, dans la facilité et l’urbanité des relations, dans leur fragilité même qui les renouvelle, en somme dans les moyens que l’homme y trouve d’échapper à lui-même. […] Dans les rues de la ville prochaine, il se sentait mal à l’aise ; dans celles de Paris il était ridicule.
Cependant tant d’efforts avaient été couronné » de résultats ; les succès de la campagne de septembre avaient répondu aux décrets vigoureux d’août, et, les périls s’éloignant, on commençait à sentir La tyrannie intérieure.
Quelle différence d’exactitude et de vérité nous sentons dans nos jugements successifs sur un même individu, si nous l’avons vu en personne ou si nous n’en avons qu’entendu parler, si nous le connaissons pour l’avoir rencontré ou pour avoir vécu avec lui !
Mais, dès le premier mot à dire, nous nous sentons arrêtés par un scrupule.
On le sentait bien, et la France, qui s’était accoutumée à voir dans ce dernier frère de Napoléon un survivant permanent d’une autre époque, aimait à le savoir là toujours.
Mais s’il faut une réflexion approfondie pour démêler ce qu’on pourrait ajouter encore à de tels chefs-d’œuvre, les bornes de la philosophie, dans le siècle de Louis XIV, se font sentir d’une manière bien plus remarquable dans les ouvrages littéraires qui n’appartiennent pas à l’art dramatique.
Lamartine a connu des triomphes égaux pour le moins à ceux de Victor Hugo, et peut-être a-t-il senti autour de lui un frémissement d’âmes plus spontané, plus amoureux et plus chaud.
» « Les vierges sentent le lys. » Et voici une pensée religieuse : « La Théologie est une reine qui a les Arts pour chambellans et les Sciences pour dames d’atours. » Je vous jure que tout est de cette force, sauf une douzaine de pensées que j’ai mises à part et que je ne citerai pas, crainte d’aggraver l’état d’âme inquiétant que nous révèle la Préface Cette préface est un morceau bien curieux.
Par là, le critique même le plus loyal est conduit à s’exagérer ce qu’il sent de beauté dans un écrivain, et presque à l’inventer.
Il nous fascine alors par toute la puissance que nous sentons accumulée en lui ; et, justement parce que cette puissance, étant indéfinie, paraît énorme et merveilleuse, nous n’avons plus le courage de la détacher de nous, ni même de diminuer sérieusement ce qui amplifie si fort notre être.
Et nous y gagnons, nous, de les mieux connaître, quels qu’ils aient été, de les avoir vus et sentis vivre naïvement : spectacle inestimable.
Une mélancolique intelligence de la nature et de ses correspondances humaines, un art très harmonieux et d’un homme qui sent et pense.
Lucien Muhlfeld Un des livres du siècle (Les Trophées) est éclos, ce m’est l’escompte d’une joie historique de m’en sentir contemporain.
Il y a la force du mystère et de l’inconnu qui, sur les choses et les habitudes quotidiennes, pèse d’un poids inexorable et dont nul n’a le soupçon ; il y a la révélation entrevue de ce que l’on sent confusément et de ce qu’on redoute, de ce qui dans la vie est la raison d’être : de la vie ou la vie elle-même, ou mieux, comme le disait M.
On y sent vite que M.
Et de quel droit en aurais-je privé un charmant jeune homme de Lausanne qui vient de me confier qu’il a « appris à sentir » dans les vers de cet aède ?
Si nous nous sentions tentés de risquer un pronostic, nous résisterions aisément à cette tentation en songeant à toutes les sottises qu’auraient dites les savants les plus éminents d’il y a cent ans, si on leur avait demandé ce que serait la science au XIXe siècle.
Il ne se borne pas à faire sentir les travers qu’il attaque ; le plus souvent il a l’attention de rappeler aux regles qu’il faut suivre, & ses décisions ont l’avantage d’être appuyées sur les bons principes.
Ce dernier sentit la sottise qu’il avoit faite.
Balzac ne sentit que par la suite la supériorité dont on honora le sonnet de Benserade sur celui de Voiture.
Rousseau ne pardonna jamais au jeune poëte de l’avoir éclipsé, & de lui avoir fait sentir à son âge le danger qu’il y a de sortir de sa sphère.
En second lieu, — et afin de mieux faire sentir cette continuité, — je n’ai pas négligé de noter les autres influences, celles que l’on se plaît d’ordinaire à mettre en lumière, influence de race, ou influence de milieu ; mais, considérant que de toutes les influences qui s’exercent dans l’histoire d’une littérature, la principale est celle des œuvres sur les œuvres, c’est elle que je me suis surtout attaché à suivre, et à ressaisir dans le temps.
Si pourtant il est quelque science où les inconvénients de l’incrédulité se fassent sentir dans leur plénitude, c’est en histoire naturelle.
Avec l’instinct de la précision, on sent, dans les cas même de probabilité, les écarts plus ou moins grands de la ligne du vrai.
On les entend sans cesse s’applaudir des fers qu’ils portent, et ils souhaitent que leurs chaînes soïent éternelles, nouvelle preuve qu’ils n’en sentent point le poids.
Il ne découvre que ceux qui sont convenables à son talent et ausquels il se sent propre particulierement.
Seule, en effet, elle peut apprendre à traiter avec respect, mais sans fétichisme, les institutions historiques quelles qu’elles soient, en nous faisant sentir ce qu’elles ont, à la fois, de nécessaire et de provisoire, leur force de résistance et leur infinie variabilité.
Puis il sent l’absinthe.
Ce n’est pas seulement par comparaison, sans doute, et la beauté nous frappe par elle-même et c’est-à-dire par un accord soudain entre notre façon de sentir et la façon qu’un autre a de créer.
Nous constatons, en outre, « qu’il y a des images d’une qualité qu’on sent difficile à trouver soi-même, qui révèle le génie et dont on ne peut fournir le métier ».
Selon nous, il est impossible aujourd’hui, sous peine de rétrécissement d’intelligence, à un écrivain qui sent son sujet, de se montrer exclusivement littéraire quand il s’agit de la littérature du xvie siècle.
Nos enfants liront dans nos annales que cette littérature périssait, qu’elle se sentait périr avec angoisse, mais qu’un homme décidé en organisa le sauvetage par des dîners qui n’étaient pas chers.
Les hommes qui sentent le mieux le mal, l’inépuisable mal que fait Voltaire, répugnent à le traiter comme il le mérite, ce roi des élégances empestées.
Le froncé de ses sourcils se creuse davantage ; on voit qu’il sent profondément l’importance de ce qu’il va nous raconter ; et c’est ici que, sans le savoir, comme M.
En lisant ces Récits de la Luçotte, on sent qu’on n’a pas le moindrement affaire à un de ces archéologues qui refont, à force de science, une langue perdue, comme Balzac, par exemple, lequel, dans ses Contes drolatiques, le plus étonnant de ses ouvrages, a été le résurrectionniste de Rabelais, et qui a parlé la langue de Rabelais mieux que Rabelais lui-même, et pour dire des choses que Rabelais n’aurait jamais dites.
Elle ne tient pas à être savante, — et quand elle sent la nécessité de le devenir, soit qu’il s’agisse de l’esprit général d’un peuple ou du génie particulier d’un homme, c’est que le peuple ou cet homme ont déjà largement vécu.
Cladel ne le croit pas ; mais je le lui affirme, moi dont le métier est de dégager du talent qui se sent la métaphysique qui s’ignore… Et faites le jeu vous-même sur son livre, et voyez si Cladel est autre chose qu’un peintre ; mais un peintre d’une force infinie !
Et d’abord souvenons-nous qu’en quelque mesure nous sommes ses élèves et disons avec lui : « Ce que chacun sent lui est propre et particulier comme nature.
Le monde de la pratique lui apparaît comme la rue, qu’il n’aime pas, où il se sent dépaysé et gêné, et qui n’est pour lui que le chemin de la maison. […] Faute de saisir, elle peut au moins sentir noblement que quelque chose existe, digne d’être saisi. […] Mais si nous essayons de l’éprouver de plus près, dans son acte, en nous retournant brusquement, à l’instant nous pouvons sentir peut-être ce courant fluide qui passe, le sentir comme une nature vraie, antérieure psychologiquement à toutes images, qui sont des artifices de l’intelligence. […] Mallarmé sent intensément cette présence des mots Chacun, pour lui, semble s’isoler, « d’un lucide contour, lacune ». […] Le « distrait » qui pointe au bout du vers comme un pied de ballerine, il le faut déjà sentir, détaché en sa parabole d’absence, comme un pur vocable mallarméen.
Continuons l’expérience de façon à sentir encore une fois une sensation de différence. […] Nous sentons que c’est nous qui causons nos actions. […] Ainsi, l’atmosphère pèse sur nous, et nous n’en sentons pas le poids. […] Le doute, c’est l’état de l’esprit qui ne se sent pas en possession de la vérité. […] La dépendance dans laquelle on se sent est la dépendance de l’autorité de cette loi.
Lui-même, esprit d’initiative et d’analyse, comprend peut-être les mots usuels dans toute leur force, et il pourrait exprimer sa pensée dans le langage commun sans que, a ses yeux, elle perdît rien de sa valeur ; mais il la comprend mieux encore quand il lui a trouvé une expression originale, et il sent, bien que cette forme nouvelle est seule capable de répandre au dehors, de vulgariser, la pensée qui lui est chère. […] Au lieu de cette idée, si quelque autre se trouve par erreur à la même place, l’esprit se sent mécontent, gêné, et il reprend avec plus de réflexion sa méditation, jusqu’à ce qu’il ait écarté l’obstacle qui s’oppose au cours limpide et harmonieux de sa pensée. […] Diderot : « Combien de choses senties et qui ne sont pas nommées !… J’avoue que je n’ai jamais su dire ce que j’ai senti dans l’Andrienne de Térence et dans la Vénus de Médicis ; c’est peut-être la raison pour laquelle ces ouvrages me sont toujours nouveaux : on ne retient presque rien sans le secours des mots, et les mots ne suffisent presque jamais pour rendre précisément ce qu’on sent. » [citation de Diderot en partie utilisée déjà p. 7 (voir note a) : Pensées détachées sur la peinture, la sculpture, l’architecture et la poésie. […] Egger reprend la théorie chez Leibnitz des « petites perceptions », ces perceptions non réfléchies dont nous n’avons pas conscience, l’exemple qu’il développe étant celui du bruit de la mer — auquel fait allusion Egger — comme somme confuse d’éléments infiniment petits indissociables : « D’ailleurs il y a mille marques qui font juger qu’il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, c’est-à-dire des changements dans l’âme même dont nous ne nous apercevons pas, parce que les impressions sont ou trop petites et en trop grand nombre ou trop unies, en sorte qu’elles n’ont rien d’assez distinguant à part, mais jointes à d’autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir au moins confusément dans l’assemblage. […] Et pour juger encore mieux des petites perceptions que nous ne saurions distinguer dans la foule, j’ai coutume de me servir de l’exemple du mugissement ou du bruit de la mer dont on est frappé quand on est au rivage.
Et il se souvenait d’avoir écrit : « J’aime mieux sentir que comprendre » ; mais, à toute cette poésie énigmatique, il ne sentait rien. […] Cependant, la vérité de Louis Pergaud n’est pas douteuse : on la devine, on la sent. […] Si vous en doutez, vous n’avez donc pas senti comme il a soin de ne pas mentir ? […] Les mots lui manquent pour exprimer tout le détail de sa peine, mais non l’âme pour le sentir. […] D’ailleurs, la manière qu’il a suivie a quelques inconvénients et que nous sentons davantage depuis que d’autres écrivains ont le plus grand soin de les éviter.
« Il n’est rien tel qu’un heureux climat pour faire servir à la félicité de l’homme les passions qui font ailleurs son tourment » [Nouvelle Héloïse, partie I, lettre 23] ; et c’est la nature seule qui a procuré à Rousseau lui-même « quelques instants de ce bonheur plein et parfait, qui ne laisse dans l’âme aucun vide qu’elle sente le besoin de remplir » [Cf. […] Ils ont senti frémir dans la Nouvelle Héloïse cette ardeur de passion qu’ils ne connaissaient plus eux-mêmes, mais dont ils se rendaient si bien compte que le théâtre et le roman ne leur donnaient qu’une impuissante et misérable parodie. […] Païen comme Ronsard, aussi profondément païen dans ses Idylles que l’auteur des Hymnes et des Sonnets à Cassandre, c’est comme lui, Ronsard, qu’il a aimé, qu’il a senti, qu’il a conçu la nature. […] Pareillement, on ne prend pas non plus la tragédie de Corneille ou de Racine pour modèle quand on a cessé de sentir ou de penser comme eux. […] VI et VII]. — Il domine maintenant de plus haut sa matière. — Les vues nouvelles abondent dans son œuvre. — Il écrit les Époques de la nature ; — et à mesure qu’il est plus convaincu de la petitesse de l’homme dans la nature ; — de l’humilité de notre condition ; — et de la généralité des lois qui nous gouvernent, — on dirait qu’il sent davantage le prix de la société ; — ce qui le remet d’accord avec les idées générales de ses contemporains ; — et avec cette religion de l’humanité dont ils sont maintenant tous imbus.
Avant qu’il ne parvint à la ramener, il sentit la fatigue. […] Ils eussent d’abord fait sentir à ces braves la force de leurs bras. […] Quand Irinc le guerrier sentit la blessure, il leva son bouclier à la hauteur de la visière de son casque. […] Il pourra en arriver malheur à ceux qui nous refusent ici la paix ; nous vous le ferons bien sentir, je vous le dis en vérité. » La Reine prit la parole: « Vous, guerriers adroits, approchez-vous des degrés et vengez mon offense.
— s’est présentée, en une bonne journée, gaîment et innocent, dans une manière comique, puissent, aujourd’hui, mes amis ne pas trouver mauvais si, en leur communiquant ce poème burlesque, — dont il nous fut pourtant impossible de trouver la musique convenable, — je tâche à éveiller en eux le même sentiment de libération momentanée que je sentis quelques instants en l’écrivant. » UNE CAPITULATION COMÉDIE À LA MANIÈRE ANTIQUE (Analyse.) […] Ainsi le seul romancier antérieur, Stendhal, ayant assisté à l’enchaînement ces phénomènes spirituels, avait, très-tôt, senti l’inquiétude des raisons premières. […] Et tous deux attribuent aux mêmes raisons la corruption, par tous deux sentie, du Christianisme. […] Le second désir mauvais est le désir de la femme, parce qu’il nous sépare de tous, nous fait sentir, plus forte, notre personne individuelle.
Ou plutôt, il n’est que le mot par lequel nous désignons l’effet supposé ultime de cette action, sentie comme continue, le terme hypothétique du mouvement qui déjà nous soulève. […] Tout le monde sent que l’avenir immédiat va dépendre en grande partie de l’organisation de l’industrie, des conditions qu’elle imposera ou qu’elle acceptera. […] Nous sentons bien que l’agriculture, qui nourrit l’homme, devrait dominer le reste, en tout cas être la première préoccupation de l’industrie elle-même. […] Vienne alors l’appel du héros : nous ne le suivrons pas tous, mais tous nous sentirons que nous devrions le faire, et nous connaîtrons le chemin, que nous élargirons si nous y passons.
Ce que les philosophes comprirent dans la suite, les poètes l’avaient senti ; et si, comme le dit l’école, rien n’est dans l’intelligence qui n’ait été dans le sens, les poètes furent le sens du genre humain, les philosophes en furent l’intelligence 6. […] Les premiers n’arrivent guère à sentir les beautés d’une langue étrangère, par l’habitude qu’ils ont de chercher toujours les défauts. […] Lorsque les idées de Vico s’étendirent, et qu’il sentit la nécessité de réunir les deux ouvrages pour les appuyer l’un par l’autre, il entreprit d’abord d’établir son système en montrant l’invraisemblance de tout ce qu’on avait dit sur le même sujet ; l’ouvrage devait avoir deux volumes in-4º. Mais il sentit les inconvénients de cette méthode négative : d’ailleurs un revers de fortune l’avait mis hors d’état de faire des frais d’impression si considérables.
On sent, au ton ferme qui règne dans ce tableau, un homme qui peut-être n’est pas très attaché à sa secte en tant que religion, mais qui est très attaché à sa cause, qui en ressent les parties morales, et qui, ainsi ancré par des raisons de justice et d’honneur, n’en démordra plus. […] Pendant une peste ou maladie contagieuse qui avait régné dans le pays de Rosny en 1586, il était venu la visiter, la tranquilliser ; il l’avait trouvée enfuie du château, réfugiée dans celui d’une tante, avec trois ou quatre de ses gens ; et là, s’étant enfermé avec elle, et n’ayant lui-même pour tout monde avec lui qu’un de ses gentilshommes, un secrétaire, un page et un valet de chambre, il demeura tout un mois en compagnie de sa douce moitié, sans être visité de créature vivante, tant chacun fuyait la maison comme pestiférée : Et néanmoins, écrivent les secrétaires, à ce que nous vous avons souvent ouï dire depuis, vous n’avez jamais fait une vie si douce ni moins ennuyeuse que cette solitude, où vous passiez le temps à tracer des plans des maisons et cartes du pays ; à faire des extraits de livres ; à labourer, planter et greffer en un jardin qu’il y avait léans ; à faire la pipée dans le parc, à tirer de l’arquebuse à quantité d’oiseaux, lièvres et lapins qu’il y avait en icelui, à cueillir vos salades, les herbes de vos potages, et des champignons, columelles et diablettes que vous accommodiez vous-même, mettant d’ordinaire la main à la cuisine, faute de cuisiniers ; à jouer aux cartes, aux dames, aux échecs et aux quilles… Et n’allons pas oublier le dernier trait que notre fausse délicatesse supprimerait et qui sent son vieux temps : « à caresser madame votre femme, qui était très belle et avait un des plus gentils esprits qu’il était possible de voir ».
Elle sent le besoin de s’en excuser. […] Mais je me sentais révolté de ces maximes, ‘ne comprenant pas comment on pouvait se parjurer ainsi, et se consacrer à Dieu, tout en restant attaché aux vanités du monde. » Cependant les impressions, une fois reçues, ne s’effacèrent point et eurent des suites.
Il le sentit bien. […] Il y a un beau mot de Mirabeau : « Tout homme de courage devient un homme public le jour des fléaux. » Montaigne, homme public, n’a pas fait ni senti qu’il devait faire ce qu’eût fait un Mirabeau et d’autres, qui, dans l’habitude, valaient moins que lui.
Il aime le roi et l’État ; il sent que l’un et l’autre sont chargés d’une guerre qui ne peut se soutenir partout avec supériorité. […] La méthode qui veut être en règle se sent déroutée devant le génie.
Cela est peut-être ridicule à vous dire, mais quand on se sent dans le vrai, on ne recule pas devant la crainte des fausses interprétations. […] Elle me le faisait assez bien sentir, tout en s’y prêtant avec une sorte de docilité gracieuse : « Mardi soir, « Mon ami, je recevrai M.
Est-on arrivé, pour cela, à le sentir, à le goûter avec plus de justesse ou de délicatesse qu’auparavant ? […] « La raison, dit Vauvenargues, n’était pas en Boileau distincte du sentiment. » Mademoiselle de Meulan (depuis madame Guizot) ajoute : « C’était, en effet, jusqu’au fond du cœur que Boileau se sentait saisi de la raison et de la vérité.
Je m’endormis au dernier chant du grillon tapi dans ma couche odorante de paille d’orge, et je m’éveillai au premier chant du coq battant de l’aile sur les perchoirs lointains de la ferme. » — Et c’est là pourtant ce que, vous, qui le sentez et le dépeignez si bien, vous quittez toujours169 ! […] Le réveil ne fut que plus rude ; ce coup de collier en politique l’avait mis tout hors d’haleine ; l’artiste en lui sentait le besoin de respirer.
D’autre part, à quelques moyens qu’on recoure pour mesurer la somme de vie contenue dans un ouvrage, fût-on d’une habileté consommée à démêler tous les éléments dont se compose cette résultante mystérieuse, ce n’en est pas moins un avantage précieux que de sentir directement la vie et la beauté. […] La vie ne se vérifie pas ; elle se fait sentir, aimer, admirer. » L’éminent philosophe me paraît s’être laissé entraîner ici à quelque exagération de pensée ou de langage, et la présente étude a eu précisément pour objet de montrer que le sentiment peut être efficacement aidé, guidé, contrôlé.
. — Quand on découvre des ressemblances entre une littérature et les autres littératures avec lesquelles elle a pu se trouver en contact, on peut être en présence de trois cas bien distincts : ou la littérature donnée a passé par les mêmes phases que ses sœurs sous l’influence de causes analogues ; ou bien elle a subi leur action ; ou encore elle leur a fait sentir la sienne. […] Et cela n’est pas contradictoire avec l’hypothèse que nous avons émise de la naissance en plusieurs berceaux de certaines formes d’art ou de certaines façons de penser et de sentir.
M. de Ryons n’est que le moteur de la comédie, une machine à paradoxes qui l’inspire et la fait mouvoir, mais le mécanisme n’est pas suffisamment déguisé ; on sent trop, sous son habit noir, le froid du métal, l’acier du ressort. […] On se sent en présence d’une vérité franche, d’une âme nue qui se montre dans sa grâce et dans sa faiblesse.
Le ministre, de même, semblait par son adresse faire un bon usage des malédictions publiques ; il s’en servait pour acquérir auprès de la reine le mérite de souffrir pour elle… On sent, dans ces passages et dans tout le courant du style de Mme de Motteville, une imagination naturelle et poétique, sans trop de saillie, et telle qu’il seyait à la nièce de l’aimable poète Bertaut. […] Quand la comédie italienne s’introduisit sous les auspices de Mazarin, elle se plaisait peu à ces pièces en musique : « Ceux qui s’y connaissent, disait-elle, les estiment fort ; pour moi, je trouve que la longueur du spectacle en diminue fort le plaisir, et que les vers, répétés naïvement, représentent plus aisément la conversation et touchent plus les esprits que le chant ne délecte les oreilles. » Tout cela sent un esprit juste, un cœur noble plutôt que disposé à la tendresse ou à la passion.
En entrant dans des détails si minutieux, il sent le besoin de s’excuser, mais il pense que rien n’est à dédaigner de ce qui sert à tout le monde et tous les jours : « Le bonheur des hommes est moins le résultat de ces grands lots de bonne fortune qui arrivent rarement, que de mille petites jouissances qui se reproduisent tous les jours. » Pendant ces années de sa jeunesse et de la première moitié de sa vie, il ne se fait pas un seul projet d’intérêt public en Pennsylvanie sans qu’il y mette la main. […] » Je ne compris ce qu’il voulait me dire que lorsque je sentis ma tête frapper contre la poutre.
C’est là surtout que la faiblesse de la raison humaine se fait sentir : on voudrait pouvoir en quelque sorte faire tenir tous les principes dans un même sac ; mais quand on presse d’un côté, ils ressortent de l’autre, comme lorsqu’on veut faire entrer trop de choses dans une boîte trop étroite. […] Plus scientifique quant à la forme, la philosophie moderne est moins vraie que la philosophie antique : car la vérité ne se mesure pas à la rigueur apparente de la méthode, mais au don naturel qui nous la fait sentir et goûter.
— et il en a élégamment caressé les museaux auxquels il avait affaire, mais ces museaux ne sont pas assez fins pour sentir l’impertinence de cette caresse, et, puisqu’on les renvoyait au chenil, ces affreux et hargneux doguins, ces Laridons administratifs, c’est avec un fouet de valet de chiens qu’il eût fallu les y ramener ! […] Je crois bien qu’enthousiaste du génie de l’écrivain comme il l’est, Drumont a senti son cœur saigner un peu en publiant ces dépêches où Saint-Simon flatte, rampe et ment platement devant Dubois ; mais n’importe !
Les pages que nous avons de lui ne sentent pas la lampe, comme disait cet Ancien, mais le lustre, le lustre allumé sur sa tête dans les salons du xviiie siècle et qui éblouissait moins que lui ! […] Toutes les ardeurs d’esprit d’un tel homme, de ce somptueux de style, de ce fulgurant, de cet Écarlate d’esprit comme d’habit, ses entraînements, son monde, ses vanités, ses mœurs frivoles (elles l’étaient, et même un peu plus…) toutes ses manières de sentir et de se produire au dehors, auraient fait croire, en Rivarol, à un tout autre historien que Tacite, et cependant ce fut celui-là qu’il devint quand il fallut écrire l’histoire !
Malgré l’expression qui veut les réchauffer, on sent comme un froid vipérin s’exhalant de toutes ces pages mortes et déjà fétides, de toutes ces vésanies allemandes dont un Français avait mieux à faire que de se faire le chiffonnier ! […] Il voulait (soi-disant), dans un but élevé de connaissance, dégager l’idée religieuse de ce qui la fait une religion positive à telle heure de l’histoire, opposer le sentiment éternel à la forme passagère, et en le lisant on n’a jamais plus senti que c’était impossible ; que, la forme enlevée, l’esprit suivait, et qu’après tout, malgré le progrès et à part la vérité divine, socialement, la dernière des superstitions valait encore mieux que la première des philosophies !
Une âme souffre à travers ses pages, une âme chrétienne, baptisée, pleine de Dieu, une vraie âme, tandis que dans les pages de La Rochefoucauld, de Vauvenargues et même de La Bruyère, il n’y a que des entéléchies d’Aristote, il y a des esprits et peu d’âme, — quoique, d’entre les trois, le plus jeune, qui sentait palpiter ses vingt ans à travers sa philosophie, ait dit que « les grandes pensées viennent du cœur », La Bruyère, le seul chrétien d’entre eux, ne l’était que correctement, comme tous les honnêtes gens de son époque, mais il devait entendre cette religion, dont il admirait l’ordonnance, à peu près comme Le Nôtre entendait ses jardins. […] Il a souvent cet esprit terrible, comme s’il ne sortait pas de la cellule apaisante d’Angèle, comme s’il ne sentait pas à pleine haleine sa rose de mysticité !
Écoutez avec piété ce fragment de l’éternelle poésie : Splendeur du jour naissant, aucun hymne n’égalera celui qui monte dans l’âme des hommes qui veillent dans les tranchées quand, après des heures d’attente, ils sentent, puis voient apparaître et grandir le jour triomphant. […] Je n’ai pas eu une atteinte, pas une égratignure, et pourtant je me sentais presque sûr, tellement j’avais sur moi la sensation puissante de la protection de Dieu qu’il m’accorde pour vous et par vous mes admirables parents.
Je soupçonne qu’il y a eu ici un effet de « clairvoyance » ou de « télépathie », que vous avez senti de loin l’intérêt que je prenais à vos investigations, et que vous m’avez aperçu, à quatre cents kilomètres de distance, lisant attentivement vos comptes rendus, suivant vos travaux avec une ardente curiosité. […] Il se produira aussi bien chez un alpiniste qui glisse au fond d’un précipice, chez un soldat sur qui l’ennemi va tirer et qui se sent perdu.
Désormais, quelle que soit la gloire des Hellènes, quelles que soient les allusions qu’il y fait encore, on sent comme une sorte de réserve et une pudeur douloureuse mêlées à l’enthousiasme dont il est saisi. […] Ô peuple antique d’Athènes, tant loué par vous-même et par tous les peuples, élite ingénieuse du monde, avez-vous jamais senti plus grande ivresse que le jour où, dans votre ville reconquise par vos matelots, en face de vos temples conservés en ruines et tout noircis encore des feux allumés pour les détruire, vous vous pressiez à la grande fête de la destruction ries Perses étalée en drame sur votre théâtre, et vous entendiez retentir, comme l’hymne de votre délivrance, ces cris de douleur de l’Asie vaincue ?
Il y travaillait depuis un an ; on sent qu’il a tiré par les cheveux.
Le préambule de Cousin a eu d’ailleurs peu de succès, il manque de sérieux, et on y sent trop la fanfare.
Qu’il y ait eu des jours où Bossuet ait paru fatigué en voulant prêcher ; que les gens de Meaux, accoutumés à leur évêque, n’aient pas assez senti le prix de chacune de ses paroles, c’est possible, c’est même probable, et je croirais volontiers qu’il y a quelque chose de vrai dans le dire du cardinal de Luynes.
Pour bien savoir et bien sentir dans ses moindres nuances, pour bien articuler dans ses accents le grec ancien, il n’est rien de tel encore que d’être Grec moderne.
Sans doute, en le lisant, il est bien vrai qu’on sent naître en soi une idée de nécessité qui subjugue ; dans l’entraînement du récit on a peine à concevoir que les événements aient pu tourner d’une autre façon, et à leur imaginer un cours plus vraisemblable, ou même des catastrophes mieux motivées ; la nature humaine, ce semble, voulait que les choses se passassent dans cet ordre, que les partis se succédassent dans cette génération ; étant donnée chaque crise nouvelle, on dirait qu’on en déduit presque irrésistiblement la suivante, et qu’on procède à chaque instant par voie de conclusion, du présent à l’avenir : non pas, au moins, que dans sa manière purement narrative ; M.
Avant de s’ajuster exactement aux différentes espèces d’idées, le langage est jeté à l’entour avec une ampleur qui lui donne l’aisance et la grâce ; mais quand le siècle d’analyse a passé sur la langue et l’a travaillée à son usage, on ne peut plus qu’admirer et regretter ce charme à jamais évanoui du grand âge littéraire ; on essayerait en vain d’y revenir à force d’art ; et la critique, qui sent tout ce qu’il a d’exquis, est dans l’impuissance de le définir sans l’altérer.
Les classes inférieures travaillent, sentent leur dignité, et reconnaissent pourtant la supériorité morale des autres classes.
Les Anglais n’ont point parmi eux un auteur comique tel que Molière ; et s’ils le possédaient, ils ne sentiraient pas toutes ses finesses.
Quand les parents aiment assez profondément leurs enfants pour vivre en eux, pour faire de leur avenir leur unique espérance, pour regarder leur propre vie comme finie, et prendre pour les intérêts de leurs enfants des affections personnelles, ce que je vais dire n’existe point ; mais lorsque les parents restent dans eux-mêmes, les enfants sont à leurs yeux des successeurs, presque des rivaux, des sujets devenus indépendants, des amis, dont on ne compte que ce qu’ils ne font pas, des obligés à qui on néglige de plaire, en se fiant sur leur reconnaissance, des associés d’eux à soi, plutôt que de soi à eux ; c’est une sorte d’union dans laquelle les parents, donnant une latitude infinie à l’idée de leurs droits, veulent que vous leur teniez compte de ce vague de puissance, dont ils n’usent pas après se l’être supposé ; enfin, la plupart ont le tort habituel de se fonder toujours sur le seul obstacle qui puisse exister à l’excès de tendresse qu’on aurait pour eux, leur autorité ; et de ne pas sentir, au contraire, que dans cette relation, comme dans toutes celles où il existe d’un côté une supériorité quelconque, c’est pour celui à qui l’avantage appartient, que la dépendance du sentiment est la plus nécessaire et la plus aimable.
L’image des Tuileries se réveille, celle de la Seine et de ses quais tout à côté, et vous vous sentez arrêté quand vous voulez transporter la première ailleurs.
L’idée se matérialise en quelque sorte, et, même avant l’intelligence, la voix seule et l’oreille marquent et sentent l’antithèse.
Ils nous étalent leurs sentiments avec une insistance et une indiscrétion qui nous rebutent : car, nous aussi, nous savons sentir.
Au reste, la partie rétrospective de l’exposition Bodinier nous fait très bien sentir qu’ils n’ont rien à eux, pas même leur tête.
Cela se sentait, et c’est pourquoi les chastes eux-mêmes lui furent si indulgents.
Dans son dernier recueil, nous avons beaucoup goûté ce Au pont des Morts où la mâle et fougueuse influence de Verhaeren se laisse assez heureusement sentir.
Il est, en effet, plus aisé de sentir le charme pénétrant et mystérieux de M.
On sent ce que leur devra la littérature de demain, comme aussi bien ce qu’elle devra aux Parnassiens, inconscients collaborateurs des naturalistes dans la désinfection du romantisme.
Ces messieurs du protocole y songent, tandis que de bonnes âmes proposent qu’en révérence de tant d’amis couronnés, nous grattions les murs de nos monuments et l’Arc de Triomphe, pour en déloger quelques inscriptions suspectes et nous adjurent de voiler la nudité indécente du groupe de Rude que d’honnêtes et pieux regards ne sauraient contempler sans rougir… On sent bien à toutes ces controverses dont les journaux de l’époque sont pleins que nos dirigeants nous ont amenés à un point culminant de notre histoire.
ô sainte poésie des choses, avec quoi se consoler de ne pas te sentir ?
On aimait en lui l’expression vraie de la façon de sentir d’une classe de la société et le naïf effort du demi-lettré pour créer un instrument à sa pensée.
Nous croyons à la race, car nous la sentons en nous.
La bénédiction de la terre se fit sentir dans son esprit.
Nous pénétrons dans une tanière d’homme de lettres à la Balzac, où ça sent la mauvaise encre et la chaude odeur d’un lit qui n’est pas encore fait.
Il aurait le culte de la conscience comme Juvénal, lequel sentait jour et nuit « un témoin en lui-même », nocte dieque suum gestare in pectore testem ; le culte de la pensée comme Dante, qui nomme les damnés « ceux qui ne pensent plus », le gente dolorose ch’anno perduto il ben del intelletto ; le culte de la nature comme saint-Augustin qui, sans crainte d’être déclaré panthéiste, appelle le ciel « une créature intelligente », Coelum coeli creatura est aliqua intellectualis.
Seulement l’avenir continuait d’éclore Sur ces vestiges noirs qu’un pâle orient dore, Et se levait avec un air d’astre, au milieu D’un nuage où, sans voir de foudre, on sentait Dieu.
Les secousses données au trône d’Ecosse s’étoient fait sentir en Angleterre.
Cet avocat, né avec un sens droit, un esprit clair & juste, avec une passion forte pour la vérité, sentit qu’elle étoit continuellement étouffée par un étalage ridicule de paroles inutiles & pompeuses.
Tout le monde sent qu’il y aurait un parfait ridicule à venir dire aux gens : Voilà un livre que je vous offre : vous pouvez le lire et non le juger.
Corneille, qui se connaissait si bien en sublime, a senti que l’amour pour la religion pouvait s’élever au dernier degré d’enthousiasme, puisque le chrétien aime Dieu comme sa souveraine beauté, et le Ciel comme sa patrie.
Pascal, Bossuet, Fénélon, ont vu plus loin que nous, puisqu’en connaissant comme nous, et mieux que nous, la nature des choses, ils ont senti le danger des innovations.
On ne sent point quelque chose de plein et de nourri dans leurs ouvrages ; l’immensité n’y est point, parce que la divinité y manque.
J’aurais pu ne recueillir des règnes de Claude et de Néron que les endroits où Sénèque est en action, et ne montrer que cette grande figure isolée ; mais il m’a semblé que, placé au centre du tableau, on sentirait plus fortement la difficulté et la dignité de son rôle : le gladiateur antique serait plus intéressant, s’il avait en face son antagoniste.
Le sujet est pathétique, et l’on se sent gagner d’une émotion douce en le regardant.
Ceux qui sentent, qui sont frappés d’une belle image, qui ont une oreille fine et délicate, crient au blasphème, à l’impiété.
L’écrivain le plus austere, celui qui fait la profession la plus serieuse de ne mettre en oeuvre pour nous persuader que la raison toute nuë, sent bientôt que pour nous convaincre il nous faut émouvoir, et qu’il faut pour nous émouvoir mettre sous nos yeux par des peintures les objets dont il nous parle.
Albalat sent traitées comme il convient, et stigmatisés des procédés qui tendent à détruire sous la plume toute spontanéité et toute audace !
Alaux, qui sent bien que sa découverte ressemble beaucoup à cette guenille de Morale indépendante, dont on a parlé quelques jours et qui fut inventée, si je ne me trompe, par un marchand de robinets, a fait quelques points dans cette guenille pour que ses lambeaux tinssent ensemble.
Des réimpressions d’œuvres anciennes — comme, par exemple, le Théâtre complet d’Alexandre Dumas, qui se met en mesure avec la postérité parce qu’il se sent fini pour le temps présent, — ne sont pas des livres de 1863, quoiqu’elles en portent le millésime.
Et laissons là le Vinci qui nous reporte trop loin ; laissons aussi ces expressions de dilettantisme, de renanisme qui sont dégoûtantes de demi-culture et sentent la chronique où on les a gâchées.
Singlin voulut d’abord savoir d’elle si elle se sentait disposée à quitter le monde au cas qu’un jour elle fût à même de le faire. […] Encore une fois, je ne demande point pardon pour le négligé du récit ; tout indigne qu’on est, quand on s’est plongé à fond dans ces choses, on se sent tenté plutôt de dire comme Bossuet parlant du songe de la princesse Palatine : Je me plais à répéter toutes ces paroles, malgré les oreilles délicates ; elles effacent les discours les plus magnifiques, et je voudrois ne parler plus que ce langage. […] Si elle avait pu faire dans le pays une Vendée, ou, comme on disait alors, une Fronde, elle l’aurait entreprise, et se sentait de cœur pour cela.
En tout cas, ils sentent que des spéculations de cabinet ne doivent pas devenir des prédications de carrefour. […] Sinon, devenu spectateur, il n’en verra que les fautes, il n’en sentira que les froissements, il ne sera disposé qu’à critiquer et à siffler. […] Collé, Journal, III, 437 (1770) : « Les femmes ont tellement pris le dessus chez les Français, elles les ont tellement subjugués, qu’ils ne pensent et ne sentent plus que d’après elles. » 535.
Une fois le soir venu, quand le feu de ses paroles avec ses amis est évaporé, il devient doux et maniable, et il sent ses torts envers les autres. […] Chargé de son doux fardeau, il sent les battements du cœur de la jeune fille, il respire le parfum de son haleine et supporte avec un mâle sentiment cette femme qui fait l’honneur de son sexe. […] “J’avais conçu peut-être, dit-elle, l’idée de devenir un jour digne de son choix ; mais vous me faites sentir ma folie, la différence irrémédiable de nos deux conditions, et la distance qui existe entre le jeune homme riche et la jeune fille pauvre.
Au premier sacrifice qu’ils auraient fait en Occident ou en Orient pour acheter cette alliance, la France et l’Europe, qui se seraient senties trahies, auraient précipité le trône des Bourbons dans le gouffre ouvert sous les fondements de l’Europe. […] Cela est naturel : c’est par en haut que les peuples pensent, c’est par le cœur que les peuples sentent ; la pensée et le sentiment ne sont pas dans les membres. Le malaise moral de l’Italie, intolérable dans l’aristocratie italienne, était très peu senti dans les masses.
Lisez le Contrat social, et demandez-vous, en finissant la lecture, si vous vous sentez une vertu de plus dans l’âme après avoir lu. Lisez les législations de Confutzée, de l’Inde antique, du christianisme sur la montagne, de l’islamisme même dans le Coran, et demandez-vous si vous ne vous sentez pas soulevé d’autant de vertus de plus au-dessus de la législation du Contrat social et de la civilisation matérialiste de nos temps, qu’il y a de distance entre l’égoïsme et le sacrifice, entre la machine et l’âme, entre la terre et le ciel. […] En d’autres termes, toute justice est pondération ; si la pondération n’est pas exacte, la conscience souffre, bon gré, mal gré, dans l’homme, l’arithmétique divine est violée, le résultat est faux ; l’homme le sent, Dieu le venge, le coupable lui-même le reconnaît : voilà la justice.
La solitude complète est la consolatrice des pertes trop senties, parce qu’elle n’essaye pas de consoler l’inconsolable, et qu’elle ne tente pas de s’interposer entre ce qu’on a perdu et ce qu’on voit toujours. […] Il sentait que les Bourbons devaient quelque chose de grand au monde pour se faire pardonner l’abaissement de la France, qui n’était pas leur ouvrage, et dont l’injustice publique les rendait responsables. […] À cela près, nous ne connaissons pas un recueil de dépêches mieux senti, mieux écrit, présentant au lecteur sérieux, dans un meilleur style, plus de lumière et plus d’agrément.
Il se surpassa lui-même en jouant avec son génie ; on sent en lisant l’Aminta que tous ces vers inondés de lumière, de sérénité et de passion, furent écrits pour l’oreille, pour le cœur, et sous les regards d’intelligence d’une amante chaste, muette, mais adorée. […] Un philosophe anglais a remarqué avec une admirable justesse que « si la nature douait un être d’une faculté de sentir et de penser trop supérieure à la faculté de sentir et de penser du commun des hommes, cet être en apparence privilégié ne pourrait pas vivre dans le milieu humain, ou vivrait le plus infortuné de tous les êtres.
Ainsi se prolonge le jansénisme, ayant parfois sa revanche dans ses malheurs, comme le jour où il fit décréter l’expulsion des jésuites, et faisant sentir sa main dans les affaires religieuses jusqu’au début de la Révolution : même au début de notre siècle, il n’a pas été sans influence sur certains doctrinaires libéraux et gallicans. […] De ce temps serait ce Discours des passions de l’amour qu’on lui attribue : certaines propositions et le ton général de l’ouvrage sentent l’épicurien ; cette fois, le jansénisme de Pascal fut sérieusement en danger. […] Les choses qu’on lit ailleurs, dans Montaigne même, sans y faire grande réflexion, ni y apercevoir grande conséquence, prennent, lorsqu’il les rend, presque dans les mêmes termes, une gravité, une portée qui saisissent l’esprit : par un mot, ou même par l’insaisissable frémissement de sa phrase, on sent qu’il y voit un monde, et on se dispose à l’y voir avec lui.
En se comparant à une passion semblable, elle se sent à la fois rapetissée et grandie. […] … ôtez à Hugo trente gros adjectifs, et toute sa poésie s’effondre comme un plafond auquel on enlève ses étais… Les femmes, il ne les aime pas ; les enfants, il ne les comprend pas ; la nature il ne la sent pas… Il dit d’une femme : « Elle me regarda de ce regard suprême qui reste à la beauté quand nous en triomphons ». […] On y sent la verdeur du printemps sacré, qui régnait alors.
Mes succès le désolaient, car il sentait bien que tout ce latin contreminait sourdement ses projets et allait faire de moi une colonne de l ‘Église qu’il n’aimait pas. […] Ils sentaient le peu de succès qu’aurait la scolastique auprès du seul public dont ils se préoccupaient, le public mondain et assez frivole qu’a devant lui un prédicateur de Saint-Roch ou de Saint-Thomas d’Aquin. […] Mais sa violence même nous attachait ; car nous sentions que nous étions son but unique.
Sedaine a fait dans Le philosophe sans le savoir, un éloge très senti du commerce. […] Il a écrit62 : « Ô peuples des siècles futurs, lorsque par une chaude journée d’été, vous serez courbés sur vos charrues dans les vertes campagnes de la patrie ; lorsque vous verrez, sous un soleil pur et sans tache, la terre, votre mère féconde, sourire dans sa robe matinale au travailleur, son enfant bien-aimé ; lorsque, essuyant sur vos fronts tranquilles le saint baptême de la sueur, vous promènerez vos regards sur votre horizon immense, où il n’y aura pas un épi plus haut que l’autre dans la moisson humaine, mais seulement des bleuets et des marguerites au milieu des blés jaunissants ; ô hommes libres, quand alors vous remercierez Dieu d’être nés pour cette récolte, pensez à nous qui n’y serons plus ; dites-vous que nous avons acheté bien cher le repos dont vous jouirez ; plaignez-nous plus que tous vos pères ; car nous avons beaucoup des maux qui les rendaient dignes de plainte, et nous avons perdu ce qui les consolait. » Mais celui qui sentait si bien que la terre doit compenser la banqueroute du ciel, celui qui comprenait que les misérables, privés, comme a dit plus tard Jaurès, de la vieille chanson qui berçait la misère humaine, doivent nécessairement réclamer leur part immédiate de soleil et de joies, ce même Musset parlait bientôt d’un autre ton. […] Il me semble difficile qu’on ne sente pas l’intérêt et l’importance des renseignements que peut fournir cette application à l’ordre d’études qui nous occupe de ce qu’on appelle « le matérialisme historique ».
Certes, l’antagonisme de ces deux hommes est bien posé dès la première scène, et l’on sent, tout d’abord, qu’il ne saurait y avoir entre eux plus de correspondance qu’entre l’Oeil-de-Boeuf de Versailles et une arrière-boutique de la rue Saint-Denis. […] Il voit que l’adultère repose endormi entre ses deux sourcils froncés et sinistres ; il devine le mal des pays impurs qui la ronge, il sent qu’il a introduit une ennemie dans la famille, et ses remords éclatent en aigreurs, en dissentiments, en sarcasmes. […] Ainsi fourvoyée au milieu des guivres et des licornes habillées du blason, respirant un air chargé de vieillesse et d’antiquité, cernée par les yeux scrutateurs et les commérages austères d’une petite société à demi claustrale, j’aurais compris que cette fille du quartier Bréda sentît son sang de lorette bouillir dans ses veines, que le ranz de Mabille et de Musard l’eût plongée dans des rêveries mortelles, et que du giron moisi de cette famille antique et gothique elle eût désespérément regretté le petit tralala vulgaire et vicieux de sa vie passée.
Et tel est bien le sentiment qui domine dans tout un ensemble d’œuvres contemporaines, où l’action sociale se fait sentir moins par une défense de principes — comme c’est au contraire le cas dans Un divorce de M. […] Ainsi, agrandissant notre vie personnelle, nous sentirons des milliers de vies mêlées à la nôtre. […] Elles ont senti que ces âmes-là, l’auteur les aime ; au risque d’être incompris de quelques-uns, il n’a pas craint de se montrer tendre, spontané, ni même de redire l’éternel.
L’auteur, dès la première idée qu’il eut de mettre en action ce morceau d’histoire, sentit qu’il réussiroit ; qu’il feroit prendre l’intérêt le plus vif aux amans qu’il avoit à peindre*. […] Thomas d’Aquin, sur la représentation d’une farce de quelques misérables histrions, sentit combien leur art pouvoit être utile, & décida qu’il y avoit de l’injustice à le condamner sans restriction : S. […] On a, depuis, senti la barbarie de proscrire des larmes innocentes.
MM. de Goncourt, trop poètes pour n’être pas séduits par leurs créations, ne se sont pas senti le cœur de faire grimacer davantage la tête dont ils étaient épris. […] La caque sent ce hareng encore ! […] Dans La Faustin, on ne trouve ni une page d’émotion sincère ou d’éloquence venant des entrailles, ni attendrissement, ni rêverie, mais seulement des hystéries et des nervosités qui sentent la dépravation et la folie.
Courbé, aplati, stupéfié sous l’ascendant de ces calomnies, le clergé, il faut bien le dire, a laissé imbécillement établir aux ennemis de l’Église — car ils l’ont établi — qu’Alexandre VI était la Trinité de l’inceste, de la fornication et de l’empoisonnement sur le trône pontifical de saint Pierre, et, chose inouïe et particulièrement lamentable ‘ il a fallu attendre jusqu’à ces derniers temps pour qu’un protestant — Roscoe — eût un doute sur ces monstruosités fabuleuses, pour que le doux Audin, qui n’était pas un prêtre, mais un laïque, s’inscrivît hardiment en faux contre elles, et pour que Rohrbacher, qui n’y croyait pas et qui les discuta en passant, avec une force de bon sens herculéenne, dans sa grande Histoire de l’Église, écrivît ce mot, qui sent la vieille épouvante, incorrigible, du prêtre : « Il faudrait, pour bien faire, qu’un protestant honnête homme allât jusqu’au fond de cette question d’Alexandre VI », — comme si ce n’était pas plutôt à un prêtre catholique que l’honneur d’un pareil sujet incombait ! […] … Sent-elle que le nombre de ses œuvres toujours s’accroissant, et l’auteur ne changeant pas sa manière et ne se renouvelant jamais, car les hommes d’un grand génie ont parfois de ces avatars sublimes, elle — la Critique — ne se renouvellerait pas non plus en en parlant ? […] dans Quatre-vingt-treize est plus monarchique que révolutionnaire, et l’on dirait, si on ne connaissait pas la versatilité de l’âme des poètes, que c’est là une espèce d’amende honorable faite, par un républicain dégoûté de ses républiques, aux pieds encore absents d’une monarchie qu’il sent venir !
Que resterait-il de beaucoup de nos émotions si nous les ramenions à ce qu’elles ont de strictement senti, si nous en retranchions tout ce qui est simplement remémoré ? […] Et la preuve en est que nous serons embarrassés, dans la plupart des cas, pour dire de qui nous rions, bien que nous sentions confusément parfois qu’il y a quelqu’un en cause. […] Nous sentons en lui quelque chose qui vit de notre vie ; et si cette vie du langage était complète et parfaite, s’il n’y avait rien en elle de figé, si le langage enfin était un organisme tout à fait unifié, incapable de se scinder en organismes indépendants, il échapperait au comique, comme y échapperait d’ailleurs aussi une âme à la vie harmonieusement fondue, unie, semblable à une nappe d’eau bien tranquille.
Dimier ne sente le fagot. […] Rappelez-vous la réponse de Taine sur son lit de mort à Mgr d’Hulst, qui lui demandait : « Ne sentez-vous pas dans l’univers une intention bienveillante ? […] La plainte ne sent pas beaucoup son grand seigneur, et Frédéric-Guillaume avait eu bien tort de craindre que son héritier ne ruinât la dynastie. […] Considérant ce qu’était alors l’Italie musicale, il n’avait pas tort, et en tout cas il a profondément senti le charme poétique de cette terre bénie, que malgré tout il ne quitta pas sans regret. […] À la fin, il ne se sentait plus en communion d’idées littéraires qu’avec Victor Hugo, qui lui montra toujours la plus chaude sympathie.
Plus exactement, l’ayant aperçue, il ne l’oublie pas ; et, comme elle lui est sensible, son lecteur aussi la sentira. […] Georges Le Cardonnel a raison : le Jeune dira qu’il sent le fagot. […] Au nom seul du Jour, je le sentais onduler silencieusement entre ses deux nuits comme un cygne aux ailes noires. […] L’on y sent aussi la surprise déconcertée d’un élan qui n’est point allé jusqu’au but qu’il entrevoyait, d’un élan qui fut arrêté. […] Grande joie des bons écrivains, leur contentement, de sentir les mots s’animer sous leur plume !
C’est ce que les précieuses ont admirablement senti. […] Mais, parmi les manières de se distinguer, si l’on en connaît une qui soit assurément excusable, et légitime même à de certains égards, n’est-ce pas celle qui consiste à vouloir sentir, penser, et agir plus noblement, plus délicatement, plus finement ? […] Si d’ailleurs, comme il le faut dans l’histoire des idées, nous entendons moins, sous le nom de jansénisme, une doctrine théologique rigoureusement définie qu’une manière générale de sentir et de penser, ce n’est pas seulement chez les écrivains de Port-Royal qu’on la retrouve, mais c’est encore chez quelques-uns de leurs plus illustres adversaires. […] Et enfin et surtout, parce qu’avec cette sorte d’ingénuité qui le caractérise, Bossuet a trop imprudemment suivi ses adversaires sur un terrain où l’opinion laïque, perdant pied, ne s’est plus sentie juge des coups ni seulement partie dans la bataille. […] La Relation sur le quiétisme est le plus personnel de ses livres, et sous la contrainte qu’il s’y impose pour ne pas offrir trop de prise à la malignité publique, assez amusée déjà de cette dispute d’évêques, on sent gronder l’indignation, la colère même de l’honnête homme odieusement trompé.
J’avais un peu honte d’être portée ; mais je sentais bien que c’était trop lourd, que je ne pourrais pas marcher. […] … Peu à peu les bas à jours glissaient ; je les sentais mollir, s’affaisser, me chatouiller déjà les genoux. […] À un moment, on trouva qu’on sentait un peu le froid et qu’il fallait fermer la fenêtre. […] Je ne sentais guère mon bonheur. […] Elle embrassait, de ses grosses lèvres, ma mère, qui n’aimait pas du tout cela et prétendait qu’elle sentait le singe.
Là, comme dans les ouvrages du siècle, on sent que la féodalité catholique touche à sa fin » (Lanson). […] Ils s’abandonnaient à cette séduction, à ce je ne sais quoi si puissant et si doux… Par une exceptionnelle et heureuse dérogation aux procédés habituels de leur esprit, ils le sentaient mieux qu’ils ne le définissaient ». […] Comédie larmoyante ou tragédie du genre Mahomet ou Brutus, tout s’adresse, on le sent bien, à un grand public, dont ces œuvres disent le conflit intérieur, les confuses aspirations. […] On sent très bien que la vision première fut épique ; l’adaptation à la scène brutalise la psychologie du roman et l’affaiblit à la fois ; nous n’avons que l’utilisation d’un livre célèbre. […] c’est un fait difficile à expliquer, mais c’est un fait ; on ne l’analyse jamais jusqu’au fond, on le sent ; et cette personnalité est l’essentiel ; les lignes et les couleurs sont les moyens de tous ; la vision est de l’individu.
Brouillé avec sa mère pour ce refus plus qu’avec son père, qui sentait du moins le prix de sa franchise, il eut quelques années pénibles durant lesquelles il se tourna vers la médecine et s’y appliqua de grand cœur. […] Quand on se sentait malade, on s’adressait d’abord à l’apothicaire, qui prodiguait ses compositions ; le médecin n’était appelé qu’ensuite : il trouvait le malade déjà en voie de traitement moyennant juleps, poudres, opiats, tablettes cordiales, etc.
Cousin l’a bien senti, et il s’est, à certains jours, autorisé ou réclamé de M. […] Son visage même accusait cela ; ces sourcils proéminents, ce nez, ce menton… La nature l’avait ébauché à grands traits, et le rabot n’y avait point passé. — Hommes et choses, il n’aimait et n’appréciait que ce qui était à une certaine hauteur et ne connaissait pas même le reste : il avait le goût haut placé. — En l’approchant, on sentait tout d’abord une supériorité naturelle ; aussi tout le monde lui rendait.
En vain tous les citoyens s’abstiennent d’interrompre les travaux de l’Assemblée, quand ils n’ont rien à lui demander : elle sentait, chacun sentait comme elle, que vous pouviez être excepté ; qu’elle pouvait donner quelques instants à votre conversation ; et il y eût eu à vous de la noblesse et de la dignité à vous reconnaître ce droit et à savoir en user.
Il y aurait danger, si l’on n’y faisait attention, de demeurer attardé dans les préparatifs de l’entreprise et perdu dans les notes : je sais un estimable érudit qu’on trouva de la sorte dans son cabinet, assis par terre, à la lettre, et tout en pleurs, au milieu de mille petits papiers entre lesquels il se sentait plus indécis que le héros de Buridan : Sedet æternumque sedebit infelix Theseus. […] L’utilité et le jour qui en rejailliraient pour l’appréciation littéraire des époques qui semblent épuisées, ne paraissent point avoir été sentis.
Puis vient un moment où, en s’éloignant des objets, on sent le besoin de se décider dans le point de vue et d’en finir. […] La révolution opérée dans les mœurs ne se fait encore sentir que par d’imperceptibles nuances ; toutefois elle apparaît évidente dans une autre partie du tableau : Gnathon l’esclave est en plein polythéisme ; Astyle, le jeune patron, s’amuse et se divertit encore aux gaietés païennes ; les amours naïves et sensuelles des deux bergers flottent entre les deux croyances ; mais Cléariste et Dionysophane, le vieux patricien et l’antique matrone, ont déjà la dignité, le calme, la grâce sévère de la famille chrétienne.
Et la poésie, la beauté sous toutes les formes, il la sentait : « Naturellement, l’âme se chante à elle-même tout ce qui est beau ou tout ce qui semble tel. […] Joubert continue de s’analyser lui-même avec une sorte de délices qui sent son voisin bordelais du xvie siècle, le discoureur des Essais : « Je m’occupais ces jours derniers à imaginer nettement comment était fait mon cerveau.
A l’apparition des Adages, tous les esprits qui cherchaient et attendaient se sentirent comme inondés de la grâce de l’antiquité. […] On sent des souffles d’Italie, dans l’Heptaméron issu du culte de Boccace, et les anciens sont de moitié avec l’Italie dans le platonisme, qui concourt, avec la théorie courtoise et la tendresse mystique, à former l’idéal amoureux de la reine, dans la mythologie qui ne séduit plus par l’absurdité merveilleuse des faits, mais par son beau naturalisme et par sa vérité pathétique, dans une aisance enfin de la pensée, du sentiment, de tout l’être, qui soulève, anime, illumine la raideur rebelle des formes surannées.
Aussi aurais-je lieu de me sentir quelque peu inquiet de l’entreprise où je me hasarde, si je ne me trouvais rassuré par la liberté de parler davantage en poète qu’en critique. […] L’influence de Paul Verlaine fut, des deux, la première sentie.
Après avoir marché de longs siècles dans la nuit de l’enfance, sans conscience d’elle-même et par la seule force de son ressort, est venu le grand moment où elle a pris, comme l’individu, possession d’elle-même, où elle s’est reconnue, où elle s’est sentie comme unité vivante ; moment à jamais mémorable, que nous ne voyons pas, parce qu’il est trop près de nous, mais qui constituera, ce me semble, aux yeux de l’avenir, une révolution comparable à celle qui a marqué une nouvelle ère dans l’histoire de tous les peuples. […] Ces erreurs viennent presque toutes des idées étroites qu’on se fait sur les révolutions qu’a déjà subies le système moral et social de l’humanité, et de ce qu’on ignore les différences profondes qui séparent les littératures et la façon de sentir des peuples divers.
s’écriait-il, vous croyez que cela sent, que cela souffre ! […] La campagne représente aux yeux des hommes de ce temps quelque chose d’inélégant, qui sent le fumier, qui est semé de bêtes malpropres et d’êtres humains assez semblables à ces bêtes.
Paul reçoit celle nouvelle avec indifférence, et lance à son adresse quelques épigrammes qui sentent la fumée d’un amour éteint. […] On ne le sent pas peint d’après nature, mais fabriqué, de pièces et de morceaux, d’après des pamphlets surannés.
« Celui qui aime, court, vole et se réjouit ; il est libre et rien ne l’arrête. » C’est l’Imitation de Jésus-Christ qui le dit : Mme de La Vallière, qui avait si bien senti cela dans l’ordre des sentiments humains, put bientôt se le redire à elle-même dans la suite de son progrès céleste. […] Bossuet, avant d’être un orateur, était un homme religieux, un véritable évêque, et, dans la circonstance présente, il sentit à quel point il convenait d’être grave, de ne prêter en rien au sourire, ni à l’allusion, ni à la malice secrète des cœurs, qui se serait complu à certains souvenirs et à certains tableaux.
On sent que la pensée des hommes lui gâte les lieux et l’empêche d’en goûter au premier abord la beauté grandiose jusqu’alors inconnue. […] [NdA] Les gravures qui accompagnaient la première édition du Voyage, ont un caractère philanthropique marqué et sont surtout destinées à attendrir sur le sort des noirs ; elles sentent le voisinage de l’abbé Raynal et de l’Histoire philosophique des deux Indes.
Contre l’un de ces orangers, un oranger qui vient de la cour du château du roi Stanislas, montées sur une échelle, deux fillettes de la campagne, dont on sent le corps libre et nu, sous une jupe et une camisole blanche, font la cueillette de la fleur d’oranger, dans de petits paniers, un drap étendu au-dessous d’elles. […] Mercredi 2 novembre État particulier, où l’on ne sait pas ce qu’on mange, où l’on se surprend à parler tout haut, où l’on se sent dans la cervelle un vide et un plein absurdes, et avec cela une espèce de bonheur vague dans la poitrine et de la faiblesse dans les jambes.
Littérairement, ces deux mémoires réunies sont la condition d’un talent original ; isolée, la première est représentative de ces hommes qui ont vu, senti, pensé et qui ne peuvent cependant se traduire clairement ; la seconde répond à ce qu’on appelle vulgairement la « mémoire » en style pédagogique ; elle ne peut produire qu’un talent purement oratoire ou abstrait, nécessairement limité, superficiel et sans vie . […] C’est sans doute que leur obscurité fait leur grâce et leur force ; ils disent ce que l’écrivain ne sait pas dire, quoi qu’il sente ; ils font croire à celui qui en est ému que celui qui les profère abrège par un signe connu la longue litanie de ses émotions, tandis que celui qui les écrit revêt placidement son impuissance d’une forme dont il connaît, pour l’avoir éprouvée, la vertu communicative et tyrannique.
Le fait par lequel un grand écrivain, parti d’on ne sait quelles origines impossibles à dégager, ayant senti en lui un monde nouveau l’émouvoir, faisant appel à des dispositions, à des pensées, aune sensibilité intacte jusque-là et dormantes, groupe autour de lui eu cercles concentriques toujours plus étendus, ses congénères intellectuels, dégage de la masse humaine confondue, la classe d’êtres qui possèdent en eux un organisme consonnant au sien, vibratileei sous les impulsions mêmes qui sont en lui puissantes au point de l’avoir contraint à leur trouver l’expression et à les extérioriser ainsi généralement intelligibles et efficaces — ce phénomène est le semblable de celui par lequel, dans un autre ordre, l’ordre des actes et non plus des émotions, un homme ayant connu une entreprise, portant en lui cet ensemble d’images préalables de réussite, de gloire, de fortune qui constituent une impulsion, ces visions d’effet à réaliser, de moyens, de détails, d’acheminements, de dispositifs, qui constituent un but, parvient par persuasion, par des ordres, par simple communication, à les faire passer rudimentairement, vaguement, clairement, dans l’âme des milliers de suivants que forment ses lieutenants, une armée, des alliés ; que forment encore des ouvriers, des ingénieurs, des collaborateurs ; ou un public, des courtiers, des banquiers, des associés ; ou simplement le peuple, des agents électoraux, des députés, des ministres. […] La suggestion ne repose par sur la terreur ou l’intimidation : « ce n’est point la crainte, d’ailleurs, je le répète, c’est l’admiration ; ce n’est point la force de la victoire, c’est l’éclat de la supériorité sentie ou gênante, qui donne lieu au somnambulisme social » (« Qu’est-ce qu’une société ?
Que l’on ajoute à cette beauté des poèmes les nobles mélodies dont les ont ornés Schumann et d’autres, ces récitatifs lyriques qui font retentir et vivre les mots, les accentuent et les cadencent sur des lèvres humaines, et l’on pourra sentir par quel charme la chanson allemande demeure un genre populaire et exquis, comment elle est la poésie lyrique la plus vivace de toutes les littératures, la seule qui ait renoué avec la musique son ancienne alliance naturelle et profitable. […] On sent l’insulte proférée par des lèvres frémissantes entrer au point vital de la victime et du bourreau.
Ce qui fait pour moi la dignité de la pensée, c’est que je la crois capable de s’élever jusqu’à quelque chose au-dessus de moi-même, en dehors de moi-même : si elle n’est qu’une impression individuelle, une pure manière de sentir, elle ne m’intéresse pas plus que les sensations de chaud ou de froid, de doux ou d’amer, par lesquelles je passe continuellement, et je ne vois même pas pourquoi je me donnerais alors la peine de penser. […] On dit, il est vrai : Mundum tradidit disputationibus eorum , et il semble par là que la liberté de penser en matière de science n’est qu’une permission, une concession que l’on couvre ainsi d’une parole de l’autorité ; mais celui qui use de cette liberté sent très-bien que ce n’est pas là une faveur, que c’est un droit qui résulte immédiatement de la nature d’un être pensant.
C’est le dernier héritage du naturalisme « qui a réduit la fiction au minimum, j’en infère que les écrivains ne se sentaient déjà plus capables d’inventer, ni leurs lecteurs de croire21… » Si la critique n’a que peu de place dans les quotidiens, par contre elle déborde les revues. […] Camille Mauclair. — Il « a touché à tout et l’on peut dire qu’il n’est pas de beautés ni d’idées qu’il n’ait goûtées et comprises, ni de façon de sentir ou de penser auxquelles, il ne se soit prêté pour nous en donner ensuite… sa notation propre et toujours intéressante23… » Il est critique littéraire et critique d’art.
Dans ces Études de critique littéraire, à propos de l’autorité, des deux morales, et particulièrement de l’aumône, vous sentez à quel point le Christianisme, compris avec cette intelligence de sa vérité la plus profonde et de ses beautés les plus secrètes, a pénétré la pensée de ce critique dont l’esprit, hier, pour vous et pour moi, paraissait rigoureux parce que la conscience était irréprochable, mais dont la politesse exquise, trouvée aujourd’hui dans ses livres, est peut-être de la charité ! […] Sous son rire à lui on sent les déchirements du cœur de Pascal.
Jamais, depuis Moïse au Sinaï, Moïse qui se couvrit la face devant le Seigneur pour ne pas mourir, l’homme n’a senti Dieu plus près de lui dans l’histoire, et voilà ce qui donne au sujet que M. […] Augustin Thierry, nature de juste milieu, qui le fut en politique comme il le fut en facultés, comme il le fut en toutes choses, exprima, avec la discrétion d’un homme de goût qui craint l’asphyxie, le suc de ces fleurs d’un temps naïf et barbare, dont il sentait pourtant et a nous donné quelques-unes des âpres saveurs.
C’était enfin tout le xixe siècle encagé dans un livre et montré comme une bête féroce, avec toutes ses bêtes, féroces ou non… Vous vous rappelez aussi comme nous saluâmes en espérance l’avènement de ce livre, où Chasles avait dû graver, pendant des années, tous ses ressentiments ; car Chasles, comme tous les hommes de talent, avait senti souvent le talent outragé dans sa personne. […] Dans ce livre-ci, expression dernière d’un homme qui se sentait peut-être à la veille de mourir, c’est comme dans la fameuse épigramme où la Mort pousse devant elle un homme qui, toute sa vie, s’est moqué de la vie : Allez, marchons !
Cela sent les vaudevilles où les paysans font les pataqu’est-ce les plus touchants et les plus spirituels. […] Daumier s’est abattu brutalement sur l’antiquité, sur la fausse antiquité, — car nul ne sent mieux que lui les grandeurs anciennes, — il a craché dessus ; et le bouillant Achille, et le prudent Ulysse, et la sage Pénélope, et Télémaque, ce grand dadais, et la belle Hélène qui perdit Troie, et tous enfin nous apparaissent dans une laideur bouffonne qui rappelle ces vieilles carcasses d’acteurs tragiques prenant une prise de tabac dans les coulisses.
Et si le don d’expression manque à la plupart, il n’en est pas moins vrai que celui qui vit dans le monde sans faire dépendre sa joie ou ses larmes exclusivement de son cerveau, qui connaît chaque parcelle d’existence pour l’avoir personnellement sentie vivre en lui, dont la solitude n’a pas ravagé le désir et la sensualité, est mille fois plus poète, sans avoir écrit une seule ligne, que le plus raffiné jouisseur de lui-même. […] N’êtes-vous pas frappé, en leur présence, d’une sorte de sécheresse et d’inhumanité, ne sentez-vous pas un souffle glacial vous traverser, et l’atmosphère se raréfier autour d’eux ?
Molé avait déjà dit autrefois à M. de Tocqueville entrant dans la vie publique, il a paru croire que l’expérience seule avait manqué à ce dernier, pour le rendre plus équitable et plus indulgent envers le pouvoir, et que M. de Tocqueville, après en avoir tâté lui-même, après en avoir senti le poids, aurait été moins rigide pour ceux qu’un abîme ne séparait pas de lui.
Rentré chez moi, je fis un choix de mes pièces de vers et les envoyai à Victor Hugo, ce que je n’avais osé jusqu’alors avec personne ; car je sentais bien que mes maîtres du Globe, vraiment maîtres en fait d’histoire ou de philosophie, ne l’étaient point du tout en matière d’élégie.
On sent ici chez le critique (et je n’ai pas à en rougir) quelque chose des doctrines qui circulaient dans l’air à ce lendemain de juillet 1830, comme un souffle ému de saint-simonisme, de socialisme, de sainte-alliance des peuples.
C’est aussi de la sorte qu’en jugea Malebranche lorsqu’à la lecture du livre De l’homme, il se sentit tout à coup pénétré de dédain pour l’étude des historiens ecclésiastiques, et que dès ce jour il estima l’histoire indigne de son génie.
Mais après la chute de leur théorie, un rôle assez beau resterait encore aux jeunes talents qui, désabusés d’une vaine tentative, abjurant le jargon et le système, se sentiraient la force d’entrer dans de meilleures voies, et de faire de la poésie avec leur âme.
Sa morale est celle que nous savons ; il nous répète avec un charme nouveau ce qu’on nous a dit mille fois, nous fait repasser avec de douces larmes ce que nous avons senti, et l’on est tout surpris, en l’écoutant, de s’entendre soi-même chanter ou gémir par la voix sublime d’un poète.
La terreur causée par un supplice non mérité se prolonge d’une génération à l’autre : on entretient l’enfance du récit d’un tel malheur ; et quand l’éloquent Lally, vingt ans après la mort de son père, demandait en France la réhabilitation de ses mânes, tous les jeunes gens qui n’avaient jamais pu voir, jamais pu connaître la victime pour laquelle il réclamait, versaient des pleurs, se sentaient émus, comme si le jour horrible où le sang avait été versé injustement ne pouvait jamais cesser d’être présent à tous les cœurs.
On ne recherche et l’on ne sent que l’exactitude scientifique de la pensée et de l’expression ; on n’a que des idées abstraites à exprimer, et on ne les rend que par des signes abstraits.
Tout courbé sous les nécessités animales, tout soumis à son ventre, il sent sur sa lourdeur s’agiter des ailes nobles.
Il tombe lui-même sous les objections qu’il fait à ses adversaires, et on sent qu’il est sous le joug d’une idée préconçue, ce qui affaiblit beaucoup l’autorité de ses paroles.
Au premier aspect, ce manuscrit n’est pas d’un intérêt considérable : l’écriture manque d’accent et on ne sent pas la maîtrise de la main, inséparable de la maîtrise de la pensée ; mais les premières épreuves révèlent quel coup d’éperon l’écrivain recevait de la typographie.
Que celui qui n’a pas étudié et senti les effets de la lumière et de l’ombre dans les campagnes, au fond des forêts, sur les maisons des hameaux, sur les toits des villes, le jour, la nuit, laisse là les pinceaux, surtout qu’il ne s’avise pas d’être paysagiste.
Thesée est le dernier opera où Monsieur Quinault ait introduit des bouffons, et le soin qu’il a pris d’annoblir leur caractere, montre qu’il avoit déja senti que ces rolles étoient hors de leur place dans des tragedies faites pour être chantées, autant que dans des tragedies faites pour être déclamées.
Nous ne la sentons que par ses effets.
Si la conformité d’opinion n’est pas établie parmi eux aussi-tôt qu’il semble qu’elle devroit l’être, c’est que les hommes en opinant sur un poëme ou sur un tableau, ne se bornent pas toujours à dire ce qu’ils sentent et à rapporter quelle impression il fait sur eux.
Roscius dit qu’il déclamera beaucoup plus lentement lorsqu’il se sentira vieux, et qu’il obligera les chanteurs à prononcer plus doucement, et les instrumens à rallentir le mouvement de la mesure.
Nous les sentons qui nous résistent au moment même où nous les pénétrons.
Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées religieuses Toutes les fois que la société a cessé d’être gouvernée par les traditions, le besoin d’une révélation s’est toujours fait sentir.
Or, toujours enlevé par la toute-puissante Fonction intime dont il a semblé déjà deux fois avoir senti si prodigieusement l’influence, Capefigue continuera-t-il d’être, dans sa nouvelle histoire, l’historien qu’il fut dans sa Madame du Barry ou sa Madame de Pompadour ?
… Écrit d’une plume souple et souvent agréable, le livre d’About, ce livre qui sent son écrivain, malgré quelques opinions d’épicier superbe qui y font tache et qu’on n’y voudrait pas, sera cependant oublié… plus facilement qu’il n’a été fait.
Les femmes qui étaient là, imbéciles de tout excepté de beauté physique, ces femmes qui n’avaient guères plus d’esprit que des pêches et plus de cœur que des ananas, sentaient leurs pulpes traversées.
La plupart des hommes, faibles par leur nature, faibles par le peu de rapport qu’il y a entre leur esprit et leur caractère, plus faibles encore par les exemples qui les assiègent, par le prix que les circonstances mettent trop souvent à la bassesse et au crime, n’ayant ni assez de courage pour être toujours bons, ni assez de courage pour être toujours méchants, embrassant tour à tour et le bien et le mal, sans pouvoir se fixer ni à l’un ni à l’autre, sentent la vertu par le remords, et ne sont avertis de leur force que par le reproche secret qu’ils se font de leur faiblesse.
S’il passe une partie de sa longue vie à la cour des tyrans de Syracuse, maîtres bons ou mauvais, généreux ou cruels, mais toujours amis des arts, s’il n’a rien du caractère héroïque d’un Eschyle, que nous voyons cependant aller aussi chercher asile à Syracuse, Simonide, du moins, avait senti en poëte cette gloire des armes qu’il ne partageait pas.
Il ne se sent jamais seul. […] L’homme qui se sent coupable ne peut plus approcher de son propre foyer ; sondieu le repousse. […] Hors de sa demeure, l’homme ne se sentait plus de dieu ; le dieu du voisin était un dieu hostile. […] Il sentait à tout moment sa faiblesse et l’incomparable force de ce qui l’entourait. […] À mesure que les hommes sentent qu’il y a pour eux des divinités communes, ils s’unissent en groupes plus étendus.
Les draperies marquent sans recherche les différentes parties du corps ; on sent qu’un être vivant est dessous. […] À l’aspect d’une légion on sent que l’on est devant une puissance, non seulement capable de balayer l’ennemi devant elle, mais d’occuper le sol, de s’y établir, d’y prendre racine. […] Ils sentent qu’ils ne sont pas là pour leur compte ; ils ont la conscience d’une force immense, et ne pouvant s’en faire honneur à eux-mêmes ils la rapportent à une volonté supérieure qui se sert d’eux selon ses fins. […] Voilà pourquoi nous n’hésitons point à exhorter ceux de nos jeunes auditeurs qui se sentiraient attirés vers cette partie si importante de l’histoire, à concentrer pendant quelque temps leurs études sur l’antiquité. […] Cette royauté, qui avait été la providence de la France, qui l’avait créée, élevée, illustrée, ne se faisait plus sentir à elle.
. — Sentez-vous en vous-mêmes la vertu de patience tellement dominante que vous laissiez passer toutes ces choses ? […] Je le ferai ; mais il faut bien aussi que je le sente en homme ; il faut bien que je me rappelle qu’il a existé un jour dans le monde des êtres qui étaient pour moi ce qu’il y a de plus précieux. […] À ce présage, son désespoir n’atteint pas son énergie, il meurt en combattant avec intrépidité ; on sent dans ses dernières paroles, comme dans celles de Saül dans la Bible, l’âpre accent qui défie le ciel.
Une langue, où il n’existera plus de morceaux de livres, plus de phraséologie où passera le mot d’auteur, et où cependant le public sentira que c’est un lettré qui a fabriqué les paroles sortant de la bouche des acteurs, voilà la révolution à tenter ! […] Lireux, il est à son feuilleton… » — « Entrez, Messieurs », nous crie une voix bon enfant, et nous pénétrons dans une chambre d’homme de lettres à la Balzac, où ça sent la mauvaise encre et la chaude odeur d’un lit qui n’est pas encore fait. […] Nous nous plongions cependant en un drame de la Révolution vers laquelle nous nous sentions attirés depuis des années, et dans laquelle le siège de Verdun donnait l’épisode héroïque de la défense de la France contre l’étranger.
Mais l’homme tend à persister en son être moral autant qu’en son être physique, et la défense contre le dehors devenant plus facile, la société progressant de l’état sauvage à l’état barbare, s’étendant, se compliquant et se relâchant, il y aura de faibles tentatives d’affranchissement des âmes qui se sentent souffrir de ce qu’aiment leurs proches. […] Encore une fois, l’influence de l’habitat est probable, bien que très faible et longue à se faire sentir ; mais quant au mode par lequel elle opère, quant à la mesure dans laquelle elle se marque, nous ne savons rien et nous ne pouvons rien déduire de ce facteur inconnu à ces effets problématiques. […] Ceux qui, lisant un livre, frémissent d’aise d’y trouver exprimées, en une langue parfaite, les idées qui leur sont sourdement chères ; ceux qui, devant un tableau, sentent leurs prunelles et tout leur être natté et comme vivifié par l’accord de nuances sombre ou violent, par la noblesse ou la ferveur de la composition ; ceux que transporte et qu’anéantit quelque pathétique andante ou le caprice d’un scherzo, sont les frères en esprit de l’homme chez qui ces œuvres sont d’abord écloses.
À moins d’être une pure intelligence, on ne comprend bien que ce qu’on a senti. […] Je sentis ce que sent un élève en peinture qui jette l’écume de la palette de son maître contre la muraille de l’atelier, et qui se trouve à son insu avoir fait de ces taches quelque chose qui ressemble à un tableau.
En t’apercevant seulement, j’ai senti que mon cœur était enlevé de ma poitrine par un attrait surnaturel. — Je suis la fille de Canoua, répond Sacountala toute tremblante. — Mais, reprend le héros, Canoua est un saint qui a fait vœu de dompter toutes les passions humaines, et qui serait mort plutôt que de violer son vœu de continence. […] Parfaitement senti, ma chère Preyamvada ! […] Le héros les remercie, il flotte entre deux courants d’idée ; il sent qu’il est nécessaire à sa capitale, mais il ne peut s’arracher des lieux habités par Sacountala.
D’abord paraît la fleur, et ensuite vient le fruit ; ce n’est qu’après la formation des nuages que la pluie descend en rosée sur la terre : mais, par la plus flatteuse exception, avant même le plus léger indice, je me suis senti comblé de vos faveurs. […] Là nous ne sentions plus, tant nous étions heureux, que le temps nous échappait… » Des tableaux tragiques représentant les dangers dont Rama a sauvé son amante Sita s’offrent ici à leurs yeux, réveillent leurs souvenirs, font couler leurs larmes rendues délicieuses par le contraste avec le bonheur présent. […] » On voit, à ces pittoresques descriptions de la nature opulente et majestueuse de l’Inde, des arbres, des ondes, des animaux, que le sentiment du paysage dans la poésie, et de la mélancolie dans l’âme, ne sont point, comme on le dit, des inventions récentes de notre poésie, mais que la plus haute antiquité sentait et exprimait avec la même force l’œuvre de Dieu et le cœur de l’homme.
On voit qu’il ne sent point le poids de cette force des choses dont la science moderne nous montrera si bien l’action toujours dominante et parfois écrasante. […] Dans ces grands États qui se nomment l’Espagne, la France, l’Angleterre, l’Allemagne, la force des choses, résultante de causes très-diverses, mais toutes également fatales, fait sentir toujours et partout son immense et irrésistible impulsion avec une évidence qui a frappé les historiens de notre temps. […] Le mérite des historiens de notre révolution n’est point d’avoir compris les nécessités politiques ou économiques évidentes qui pèsent sur le développement de ce grand drame, telles que la guerre étrangère, la guerre civile, la disette, la détresse des populations de Paris et des grandes villes ; c’est surtout d’avoir senti l’âme de cette révolution, avec ses passions bonnes et mauvaises, palpiter dans le cœur de tous les hommes qui ont été chargés de la diriger ou de la déchaîner.
Rousseau a eu je ne sais quelle hésitation et senti je ne sais quelle gêne en cette affaire. […] Il sentait l’opinion contre lui. […] On sent l’erreur et le mensonge à chaque pas de ces récits. […] Qu’un libéral se scrute lui-même, il sentira en lui un chrétien primitif. […] Remarquez-vous, du reste, que même dans l’Evangile il y a une scène qui, pour ainsi parler, sent la Bible ?
Le confesseur sentit tout ce qu’il pouvoit faire, & ne ménagea rien. […] On ne sentit pas d’abord tout le danger de cette séparation de la science d’avec l’art d’opérer. […] L’amour de la patrie se fit alors sentir vivement dans lui : mais il ne revint en France que pour éprouver un fort plus rigoureux. […] Ces traits, lancés par une main habile, ont porté coup malheureusement, & se font encore sentir. […] Les Anglois ont senti cette nécessité.
Je la définirais volontiers une sorte d’oubli de la vie, un état de bien-être et de vitalité plus haute où nous nous sentons enlever non seulement à toute idée triste, mais à toute idée sérieuse ; alors nous ne prenons rien qu’en jouant ; tout passe sans laisser de trace et glisse légèrement sur la surface de notre âme17. […] L’orgueil de l’ignorance et le mépris de toute culture intellectuelle sont des ridicules incomparablement plus graves que celui contre lequel il s’escrime, et quand je lis la honteuse tirade où Molière par la bouche de Chrysale exprime ses propres opinions, je ne puis m’empêcher d’épouser la querelle de Philaminte, et de me sentir moi-même atteint personnellement par l’injure que cet impertinent auteur fait à la science58. […] Elle sent si bien que ses défauts lui feraient tort dans l’estime des autres, qu’on ne la voit jamais se donner pour ce qu’elle est en effet. […] Il est certainement très blâmable d’avoir fait bafouer Trissotin , etc. — Douzième leçon, « Schlegel sent probablement, selon la remarque qu’en a faite un de ses amis, que Molière l’aurait tourné lui-même en ridicule, s’ils eussent vécu du même temps. » Goethe (Entretiens avec Eckermann).
Dimanche 16 avril Rodin se plaint près de moi de se trouver cette année sans entrain, de se sentir veule, d’être sous le coup d’une influenza non déclarée ; il a travaillé cependant, mais il n’a exécuté que des choses sans importance. […] Le docteur Frémont m’examine ce matin, et pendant qu’il me tripote le foie, il me dit qu’il n’est pas très volumineux, mais que sans que j’y sois pour rien, il sent dans mon côté la rétraction, la mise en garde d’un organe malade, qui se défend contre l’attouchement de l’auscultation. […] C’est intéressant cette famille, où se sent dans une aisance très restreinte, une allègre insouciance mêlée à un certain désordre artiste. […] Il parle du théâtre, dont, dit-il, il est dégoûté, mais cependant, où il sent qu’il pourrait se renouveler, et est au fond, tenté de faire une pièce entre ses romans de Lourdes et de Rome.
On sent que c’est une gageure, une émulation entre deux ouvriers habiles, et que c’est à qui renchérira sur l’autre.
Alfred de Vigny, ce fut là un des côtés les plus saisissants de son originalité, sentit mieux que personne combien les poètes à travers le temps revivent en ceux qui leur succèdent et sont solidaires les uns des autres.
Vous me dites et qu’on peut y faire son salut ; vous devez sentir par vous-même combien cela est difficile.
Nous pouvons donc admettre que l’aperception proprement dite est la réaction intellectuelle du sujet par rapport aux objets, réaction qui, en établissant un lien des objets au sujet et à ses divers modes de sentir ou d’agir, relie par cela même les objets entre eux.
Il reste quelques fragmens manuscrits de cette seconde partie ; mais ils ne sont que plus sentir la perte qu’on a faite.
Elle sent son ongle maligne.
L’homme quittera pour elle son père et sa mère. » Malheur à celui qui ne sentirait pas là-dedans la divinité !
Étrange illusion, indigne de vous, digne tout au plus de ceux qui, loin de ces sanctuaires des fortes études, s’imaginent découvrir le goût dans un manuel et se figurent qu’on peut se préparer à sentir et à comprendre le génie !
Qu’il en soit de la classe des médecins ainsi que des autres classes de citoyens entre lesquelles les besoins établis sent le niveau, je ne le pense pas.
L’histoire s’est sentie chez les grecs pendant plusieurs siecles de son origine.
. — Dans ce livre d’Au lit de mort, que Mme Sand n’eût certainement pas écrit, je le reconnais, dans ce livre qui affecte l’accent chrétien, mais dans lequel la langue chrétienne est mal parlée ; où l’on sent l’âme troublée, l’idée fausse, l’esprit sans forte direction et sans guide, et cette religiosité corrompue par les sensibilités romanesques et morbides de ce temps, Mme Marie-Alexandre Dumas n’invente-t-elle pas un confesseur sans sacrement, sans fonction, sans autorité ; un confesseur qui n’est pas prêtre, un confesseur-femme, — elle-même !
On sentit que ce chroniqueur qui débarquait dans le commérage n’était pas une commère, mais un compère, qui pourrait bien faire de la Chronique une polémique, et pratiquer une bonne trouée dans les choses du temps.
… Pour nous, le Don Quichotte de Cervantes est une œuvre de vieillard, qui a pris en dérision les préoccupations de sa jeunesse et qui sent le prosaïsme du siècle monter autour de lui comme une glaise froide qui commence à prendre sa poitrine et qui va bientôt l’étouffer.
Ce sont des descriptions matérielles de nerfs, de moelle, d’alvéoles, de jeu d’organes, enfin toute la boutique à vingt-cinq sous du matérialisme contemporain, étalée là pour étayer la conclusion dernière de ce matérialisme qu’on sent partout, qui déborde partout, et dont Taine ne donne pas plus la formule définitive et hardie (ah !
Quand la Satire Ménippée est froidie, quand Les Provinciales elles-mêmes ont pâli, quand Junius, cette œuvre qui a soulevé l’Angleterre, n’a plus que la fascination impatiente du masque qu’on n’a pu pénétrer, ce ne sont point quelques chansons, de la même inspiration momentanée, léchées et pointillées par un patient, gouttelettes d’huile qui sentent la lampe d’où elles sont lentement tombées, ce n’est pas tout cela que le Temps, ce grand balayeur de toutes choses, n’emportera pas !
Tous les révolutionnaires de ce temps qui, comme l’auteur de Césara, ont déclaré une guerre implacable à cette religion du passé qui s’appelle le Christianisme, ne savent pas, ne sentent pas qu’ils sont plus chrétiens qu’ils ne pensent.
Il veut être ému, il veut sentir, connaître, rêver comme il aime ; il veut être complet ; il vous demande tous les jours son morceau d’art et de poésie, et vous le volez.
Cette institution était conforme à l’esprit républicain ; mais quand le gouvernement vint à changer, quand le monde entier fut dans la main d’un empereur, et que cet empereur qui n’était presque jamais appelé au trône par droit de succession, craignant à chaque instant ou des rivaux ou des rebelles, eut l’intérêt funeste de tout écraser ; quand on vint à redouter les talents, quand la renommée fut un crime, et qu’il fallut cacher sa gloire, comme dans d’autres temps on cachait sa honte, on sent bien qu’alors il ne s’agissait pas de louer les citoyens : les grandes familles aimaient mieux la sûreté et l’oubli, que l’éclat et le danger.
Ce Polybe avait été esclave et était tout-puissant, suivant la coutume de Rome, où les empereurs, soit par paresse de faire un choix, soit par l’habitude d’être gouvernés, soit par la confiance qu’inspire une bassesse de tous les jours, soit pour ne pas confier leur pouvoir à des hommes qu’ils pouvaient craindre, soit par ce secret orgueil que sent un despote à faire adorer ses esclaves, choisissaient presque toujours leurs ministres parmi leurs affranchis.
On y apprenait plutôt qu’on ne sentait, les révolutions du trône.
Il sent bien que ses talents sont peu de chose, surtout si on les compare à ceux de tant de célèbres orateurs : « Mais dans un combat, dit-il, au milieu du son des clairons et des trompettes, on mêle aussi quelquefois le son de la flûte. » Après ce début il entre en matière.
De la famille composée des parents et des enfants, sans esclaves ni serviteurs Les héros sentirent, par l’instinct de la nature humaine, les deux vérités qui constituent toute la science économique, et que les Latins conservèrent dans les mots educere, educare, relatifs, l’un à l’éducation de l’âme, l’autre à celle du corps.
Vous y sentez, non l’image des temps héroïques, mais l’oppression de l’empire.
Quelques symptômes de lassitude se font déjà sentir. […] Il a un sentiment très-vif et très-juste de la situation actuelle des questions, et l’on sent qu’il n’est pas disposé à se laisser renfermer à tout jamais dans un cercle infranchissable d’opinions convenues. […] Il est de l’essence de cette matière de s’approprier à des fins, comme il est de son essence de se contracter ou de s’étendre, de se mouvoir ou de sentir. […] Enfin, en lisant ce remarquable ouvrage, on sent qu’on n’est plus dans le domaine de la fantaisie, mais dans celui de la science. […] C’est un plaisir de discuter avec de tels esprits, car on sent qu’ils ne veulent pas nous tromper.
Les Tristes, écrits dans des quarts d’heure de vie errante, ne sont qu’un recueil de différentes petites pièces (prose ou vers), originales ou imitées de l’allemand, de l’anglais, et qui sentent le lecteur familier d’Ossian et d’Young, le mélancolique glaneur dans tous les champs de la tombe. […] Aucun autre discours de récipiendaire ne respire peut-être, à l’égal du sien, l’expansion sentie de la reconnaissance. […] Ce fut lui qui se dénonça en effet par une lettre, dont voici le texte dans toute son excentricité, et qui sent son Werther au premier chef : « Parvenu au comble de l’infortune et du désespoir ; abandonné de tout ce que j’aimais ; veuf de toutes mes affections ; à vingt-cinq ans j’ai survécu à tout amour et à toute amitié.
Il fut nommé membre de l’administration du district de Saumur, et son influence pacifique s’y fit sentir politiquement et commercialement. […] Chacun dans Saumur n’avait-il pas senti le déchirement poli de ses griffes d’acier ? […] Elle se mit à marcher à pas précipités, en s’étonnant de respirer un air plus pur, de sentir les rayons du soleil plus vivifiants, et d’y puiser une chaleur morale, une vie nouvelle.
Parmi les jeunes musiciens de France, il y a certainement des artistes considérables par le talent et par le savoir ; plusieurs sont considérés à l’étranger comme des maîtres ; mais ne sentez-vous pas dans leurs plus belles œuvres instrumentales l’infiltration de plus en plus pénétrante de l’inspiration germanique ? […] Et ce n’est point les pensées exprimées en les vers de Schiller qui nous occupent surtout, mais ce son familier du chant choral dans lequel nous mêmes nous sentons invités à chanter notre partie, pour nous mêler à la communion du service divin idéal, comme le faisaient, réellement, les fidèles pour la grande musique de la Passion de Sébastien Bach, à l’entrée du Choral. […] Ce n’est pas qu’elles soient parfaites, déjà ; du moins, elles font voir aux peintres, la voie qui, seule, leur convient, la voie Wagnérienne de la franchise, de la fidélité aux théories, de l’effort continu à sentir la vie, et à l’exprimer.
On sent toujours, chez M. […] vous sentez la fièvre ! […] S’il est athée, c’est comme on l’était au xviiie siècle, dans un temps où le perruquier de Chamfort disait avec la modestie de son état et le sentiment d’un homme qui sent où commence la dignité humaine : « Je ne suis qu’un pauvre merlan ; mais, après tout, il ne faut pas s’imaginer que je croie plus en Dieu qu’un autre !
On sent dans tout cela l’honnête homme, non pas celui d’aujourd’hui (car c’est un mot dont on abuse bien), mais celui d’autrefois, plein de solidité, dans son cadre domestique tout uni, avec ses traits marqués, un peu heurtés, sa physionomie grave et heureuse, et d’une naturelle franchise. […] » et que c’est bien la marque d’un vigoureux et bon esprit de se sentir ému à en pleurer par la considération d’une perte de cette nature !
En pareil cas, ce sont les témoins les plus immédiats qui parlent le mieux ; ils disent comme ils ont vu et comme ils sentent. […] Sa charité pourtant s’y sentait à l’étroit, et, dès les premiers temps de son installation dans la commune, elle s’annonça pour ce qu’elle devait être toute sa vie ; elle devint la sœur de charité ordinaire, une infirmière de bonne volonté, au service de tous.
Son propre cœur lui expliquait celui de Phèdre ; et si l’on suppose, comme il est assez vraisemblable, que ce qui le retenait malgré lui au théâtre était quelque attache amoureuse dont il avait peine à se dépouiller, la ressemblance devient plus intime et peut aider à faire comprendre tout ce qu’il a mis en cette circonstance de déchirant, de réellement senti et de plus particulier qu’à l’ordinaire dans les combats de cette passion. […] Ainsi, quand Racine a risqué le vers fameux, Brûlé de plus de feux que je n’en allumai, il ne faisait sans doute que se souvenir de son cher roman et du passage où Hydaspe, sur le point d’immoler sa fille et de la placer sur le bûcher ou foyer, se sent lui-même au cœur un foyer de chagrin plus cuisant : je traduis à peu près ; les curieux peuvent chercher le passage : Racine, enfant, avait retenu ce jeu de mots comme une beauté, et il n’a eu garde de l’omettre dans Andromaque.
On les voyait grandir, on ne les sentait pas opprimer. […] « Au reste, puisque ce que vous me demandez est d’une telle nature, qu’il est bien plus facile de la sentir en silence au fond de l’âme que de l’exprimer par des paroles, je vous obéis, à cette condition que je ne vous promets pas ce que je ne puis tenir, et que j’ai de bons motifs pour ne pas vous refuser.
Le miracle est en permanence dans l’incessant écoulement d’une fantasmagorique phénoménalité, où l’individualité, la personnalité se fondent : partout, et en nous, à notre insu, opèrent des forces cachées, qui nous font sentir et vouloir ; les âmes se promènent à travers les formes multiples et hétérogènes du monde apparent. […] En même temps que l’image de cette vie plus « confortable », plus raffinée, plus luxueuse, dont ils sentaient le besoin, les hommes de la fin du xiie siècle trouvaient dans les romans de Chrétien les deux principes qui, selon l’idée au moins de leurs esprits et selon leur rêve intime, devaient être les principes directeurs de la vie aristocratique, l’honneur et l’amour : l’honneur, qui fait que l’individu consacre toutes ses énergies à décorer l’image qu’il offre de lui-même au public, l’amour qui, dépouillé de sa sauvage et anti-sociale exaltation, sera dominé, dirigé, employé par l’honneur de l’homme et la vanité de la femme.
Montaigne, en somme, fait de sa langue le même emploi que tous ses contemporains : il suit son besoin, et ne sent encore aucune règle qui l’empêche d’y satisfaire. […] Il est parti de ce point de départ, dont chacun de nous, s’il était franc, prendrait bien volontiers l’analogue en lui-même : qu’il n’y avait rien de plus intéressant au monde pour lui que Michel de Montaigne, et que l’objet de son étude devait être ce qu’était, ce que sentait, ce que voulait Michel de Montaigne, pour lui ménager le plus de commodité, d’aise et de bonheur en cette incertaine vie.
Mais, dès ses premières attaques514, il sent que le séjour de Paris lui est impossible. […] Un moment Voltaire sent la piqûre d’un mot du roi, qui dans une ode l’a traité de soleil couchant : et le petit Baculard d’Arnaud était le soleil levant !
Ces mules ne sont pas là pour rien ; l’inventeur de l’histoire a bien senti que des bottes ou des souliers ne feraient pas le même effet. […] On sent des réminiscences du Giaour et du deuxième chant de Don Juan ; réminiscences habilement déguisées d’ailleurs sous des couleurs nouvelles.
Le succès a fait, à la surface, un grand bruit de bravos et d’applaudissements ; on sentait, au fond, une impression trouble et une secrète résistance. […] » Une impression de froid moral s’en dégage : on sent qu’aucune flamme d’intimité ne l’a jamais réchauffée.
Tout fragment d’un Rembrandt, d’un Mozart, d’un Shakespeare, d’un Corneille porte l’empreinte de ce joug : quelles que soient, dans ces productions diverses du génie, l’abondance des développements de second plan et la variété des sujets, un mode de vision tyrannique s’y fait toujours sentir. […] Ainsi, tandis qu’ils sont doués avec une intensité variable d’aptitudes déterminées, tandis qu’ils sont prédisposés à certaines manières de sentir, de penser et de vouloir, destinés à telle manifestation spéciale de l’activité, voici qu’ils méconnaissent ou méprisent ces aptitudes et ces tendances, et s’identifient avec un être différent.
Nous qui avions l’intention de dire plus tard, dans un détail qui éclaire le talent par la vie, ce que fut Maurice de Guérin, nous avions senti, en lisant ces lettres, que jamais, quoi qu’il pût arriver, il n’inspirerait désormais un pareil langage, et nous voulûmes que ceux qui l’avaient aimé pussent en juger. […] Elle ne sentit jamais le besoin d’avoir une société autour d’elle sur les degrés d’un Capitole ou sur le pic d’un cap Misène, pour épancher la poésie contenue dans son sein.
Entre l’affection sentie et l’image perçue, il y a cette différence que l’affection est dans notre corps, l’image hors de notre corps. […] Comment ce mouvement abstrait, qui devient immobilité quand on change de point de repère, pourrait-il fonder des changements réels, c’est-à-dire sentis ?
Quant à la grandeur passive du Prométhée enchaîné, quant à la fiction qui forme l’intérêt de ce drame immobile, nous n’avons rien à conjecturer : « l’œuvre originale est sous nos yeux ; et il nous est donné de sentir, dans cette œuvre extraordinaire, à la fois l’enthousiasme de l’hiérophante et la raison élevée du philosophe. […] J’ai senti remonter à mon cœur cette effluve rougeâtre qui, dégouttant jusqu’à terre le long du fil de la lance, emporte avec elle le rayon de la vie qui s’éteint.
Il est curieux et profitable pour nous et les jeunes hommes de notre bord, qui n’avons rien senti de cela, mais qui avons passé également par nos rêves, d’étudier ce côté nouveau, primitivement inhérent à des convictions adverses qui sont en train de nous revenir aujourd’hui.
Il ne recevait pas assez puissamment la secousse de ce sol enflammé, qu’il faut être de la patrie pour sentir, de cette mère-terre qui ne trompait pas Mirabeau et lui répondait sourdement, comme à Antée.
Lerminier a l’art d’exceller en ces sortes de statues qu’il dresse ; l’orateur, on le sent par lui, s’adresse volontiers aux masses comme le statuaire ; la solennité, l’ampleur, le sacrifice des détails, l’exagération poussée au colossal, leur vont à tous deux et sont conformes à leurs fins.
Il ne sent pas que, si sa mère était là, elle crierait ce qu’elle a voulu cacher, et que ni pour elle ni pour lui ce n’est le cas d’hésiter.
L’imitation classique des œuvres grecques ou latines n’a plus de raison d’être : un écrivain perdrait son temps à se donner des mérites que presque personne ne sentirait.
Elles jouent à la grande comédie, et l’on n’y sent rien qu’un faiseur qui spécule sur la vulgarité intellectuelle et morale de son public, sans donner d’autre but à son art que de faire cent ou deux cents fois salle comble.
Il y a là, continuellement, un choix de circonstances extérieures, toutes des plus naturelles et toutes singulièrement expressives, par lesquelles on se sent si bien enveloppé que l’on a, aussi intense que possible, l’impression de la vie réelle et cela, je le répète, sur une donnée exceptionnelle jusqu’à l’invraisemblance.
Un esprit porté à ne juger, à ne sentir qu’en fonction de la beauté est naturellement compréhensif.
Verlaine se sentait, en outre, attiré vers cette femme qui approche de l’idéal rêvé par lui.
Soyons sûrs que la lueur s’en verra de loin et que les effets s’en feront sentir jusqu’au bout du monde.
Même de nos jours, Nazareth est encore un délicieux séjour, le seul endroit peut-être de la Palestine où l’âme se sente un peu soulagée du fardeau qui l’oppresse au milieu de cette désolation sans égale.
Déjà on sentait la nécessité de s’exprimer comme il convient à la chose dont on parle, à celui qui en parle, à ceux devant qui on en parle.
Mais sous les noblesses théâtrales on sent toujours la joie espiègle de celui qui se travestit.
Il n’y a point de milieu, quand on s’en tient à la nature telle qu’elle se présente, qu’on la prend avec ses beautés et ses défauts, et qu’on dédaigne les règles de convention pour s’assujettir à un système où, sous peine d’être ridicule et choquant, il faut que la nécessité des difformités se fasse sentir ; on est pauvre, mesquin, plat, ou l’on est sublime, et Madame Therbouche n’est pas sublime.
Un homme qui sent ne passe pas là-devant sans être tiré par la manche.
L’auditoire a nettement senti qu’on lui escamotait le problème, et, malgré quelques applaudissements gantés, les gens sérieux, ceux qui prennent la peine de savoir de quoi il s’agit, ceux-là ont trouvé la plaisanterie un peu forte.
Il eût fallu entrer dans le vif de ce talent, bien plus senti qu’il n’est jugé, caractériser ce prestigieux écrivain, le plus piquant du xviie siècle, qui, à force de style, s’est fait croire un grand moraliste, quoique son observation aille plus au costume qu’à la personne, à la convention sociale qu’au tréfonds de la nature humaine, — en cela inférieur à La Rochefoucauld, qui n’a pas tout dit non plus, mais qui a vu plus loin que La Bruyère dans la misère constitutive de l’homme, et, comme le Pouilleux de Murillo, a mieux écrasé notre vermine au soleil.
Tourgueneff sont charmantes, et son traducteur a montré un tel talent d’expression qu’on dirait le livre écrit primitivement en français, tant on y sent bien l’originalité de l’auteur.
Or, qu’est-ce que l’ironie, si ce n’est pas l’hypocrisie transférée de la sphère morale dans la sphère intellectuelle, si ce n’est le cant même de la plaisanterie quand la pensée se sent trop hardie en face de la Convenance impérieuse et veut cependant l’outrager !
On sent qu’il ne l’emploie que dans un noble but, cette plaisanterie qui, d’elle-même, tend en bas, et à laquelle il faut donner, comme il l’a fait, de plus hautes destinations.
Autrefois, celui qu’on lui reconnaissait était dans sa figure, qui ne lui avait pas coûté un sou, comme dit Sterne, et qui lui avait procuré cette sublime fonction d’hiérophante saint-simonien qui ouvrait irrésistiblement les bras, en disant à la femme libre et à la chair qui se sentait : « Venez à nous !
Ils sont, en effet, comme expression, d’une sécurité de beauté réussie qui est le comble de l’art, et on n’a jamais mieux senti, qu’en les lisant, ces vers incomparables même aux autres vers de M.
Antoinette, elle, n’est qu’une femme du monde qui est restée parfaitement tranquille et heureuse dans l’immaculé manteau d’hermine de son écusson, tout le temps qu’elle a été jeune et belle, mais qui, précisément, le jour où sa beauté décline, sent l’amour monter dans son cœur.
Pendant ce temps-là, les peuples gémissaient, les barbares pillaient, les empereurs s’égorgeaient, et ceux qui restaient quelque temps sur le trône, la plupart voluptueux et fanatiques, superstitieux et féroces, controversistes aussi ardents que lâches guerriers, placés entre les hérétiques et les barbares, donnaient des édits au lieu de combattre ; et tandis que les Huns, les Goths, les Arabes, les Vandales, les Bulgares et les Perses ravageaient tout, du Tibre au Pont-Euxin, et du Danube au Nil, les empereurs de Byzance oubliaient l’empire pour usurper les droits des évêques et proscrire ou soutenir des erreurs qui ne devaient être jugées que par les pontifes ; on sent bien que des temps d’avilissement et de malheur ne sont pas favorables ni aux panégyriques, ni à l’éloquence.
C’est alors qu’elle sent l’horreur de sa situation ; sa main tremblante saisit un poignard, qu’elle approche tantôt de sa gorge, tantôt de sa poitrine, sans se frapper. […] L’homme pénétrant sent l’importunité de sa présence et de ses conseils : l’homme ferme garde son poste, voit approcher sa perte, et la brave ; il n’a recouvré sa liberté qu’au moment d’une disgrâce évidente, la veille de sa mort. […] On ne sait si la libéralité fut une des vertus de Burrhus et de Thraséas, et il est à présumer que Sénèque n’eût point écrit sa propre satire dans un ouvrage délicat et senti, s’il eût manqué de bienfaisance et de sensibilité. […] Si l’on eût autant exercé votre esprit à la méditation des conseils de Sénèque, qu’on exerça votre oreille à mesurer et à sentir le nombre enchanteur d’une période de l’orateur romain, vous auriez du moins suspendu votre jugement. […] On sent l’âme s’élever, et l’homme s’ennoblir, en se pénétrant des maximes du sage.
Mais que la mort, en faisant des vides parmi eux, nous donne sujet de les comparer, comme alors nous sentons, par la différence de nos regrets, que nous aimions dans les uns nos convenances, dans les autres des parties de nous-mêmes ! […] Parmi des impropriétés secrètes, ordinaire défaut des écrivains qui sentent faiblement les choses, ou qui ne font que les entrevoir, le mot propre vous vient par moment et il y est de création. […] Elle sent qu’il y a quelque chose encore à conquérir, même après les conquêtes de 1789. […] Guizot avec une grande bienveillance, je ne me sentais pas en situation de lui demander des confidences, ni de l’interroger sur une conjoncture où il avait eu à peine le temps de se consulter avec lui-même. […] Cependant ses paroles ne sentaient pas l’orgueil.
« Ni en la saison d’été, ni aux jours de mai, jamais il ne sentit en son âme tant de joie et si vive que celle que lui fit éprouver la main de celle qu’il désirait comme amie. […] « Sîfrit céda aux désirs du roi Gunther et de sa cour, et chaque soir il vit Kriemhilt la belle. » V Ici le poëme se sent des nouvelles orientales des Mille et une Nuits et des talismans surnaturels qui jouent un si grand rôle dans le Tasse et dans l’Arioste. […] « Quand le fort Sîfrit sentit la profonde blessure, furieux, il se releva de la source en bondissant. […] Elle sentit en ce moment le premier coup de la douleur. […] Cela serait très-mal fait. » « Alors le prince Gîselher dit au guerrier : « Puisque vous vous sentez coupable, ami Hagene, demeurez donc ici.
. — Mais un jour, sans conspiration aucune, sans que les mécontents du dedans se soient entendus avec l’exilé de l’île d’Elbe, par le seul fait de cette sympathie, de cette communication électrique qui s’établit à distance dans les atmosphères embrasées, Napoléon a senti que le moment de quitter ces jeux et ces passe-temps, bons pour les champs élyséens de Virgile, est venu, et qu’il faut, bon gré malgré, jeter une dernières fois les dés du sort.
Soulary possède à merveille la langue poétique de la Renaissance, et, grâce à l’emploi d’un vocabulaire très-large, mais toujours choisi, il a trouvé moyen de dire, en cette gêne du sonnet, tout ce qu’il sent, ce qu’il aime ou ce qu’il n’aime pas, tout ce qui lui passe par le cœur, l’esprit ou l’humeur, son impression de chaque jour, de chaque instant.
Il tient en tout à observer les degrés ; il ordonne volontiers la littérature et l’art comme Raphaël ordonne l’École d’Athènes, et comme Ingres son plafond ; chaque génie, chaque talent y est à son plan et selon sa mesure ; Gil Blas n’y est pas mis de niveau avec le Don Quichotte : rien de plus vrai ni de mieux senti ; mais il n’y a pas seulement des degrés, il y a des exclusions, il y a des anathèmes : c’était à peu près inévitable.
D’où vient qu’on ne la recueille pas sincèrement, qu’on hésite, qu’on recule, et qu’il y a souvent si loin entre ce qui se dit de judicieux, de vivement senti, et ce qu’on imprime ?
Il cherche ridiculement et en grammairien commentateur l’origine de son nom emprunté ; il lui conteste son titre (fort réel) et ses armoiries (auxquelles elle ne tient guère) ; et celle légèreté railleuse, cette convenance de ton, ont vraiment leur prix et toute leur délicatesse, ou le sent, de la part d’un auteur qui vient nous prêcher le décorum.
Et ce n’est pas le défaut de la poésie, c’est la faiblesse de nos organes qui nous fait sentir la fatigue au bout de quelque temps ; ce qu’on éprouve alors, ce n’est pas l’ennui de la monotonie, c’est la lassitude que causerait le plaisir trop continu d’une musique aérienne.
Quelques auteurs anglais, cependant, Bolingbroke, Shaftesbury, Addison, ont de la réputation comme bons écrivains en prose : néanmoins leur style manque d’originalité, et leurs images de chaleur : le caractère de l’écrivain n’est point empreint dans son style, et le mouvement de l’âme ne se fait point sentir à ses lecteurs.
Quand Goethe déclare que « Klopstock n’avait aucun goût, aucune disposition pour voir, saisir le monde sensible, et dessiner les caractères », quand il trouve ridicule cette ode où le poète suppose une course entre la Muse allemande et la Muse britannique, quand il ne peut supporter « l’image qu’offrent ces deux jeunes filles courant à l’envie à toutes jambes et les pieds dans la poussière » : à ce moment-là Goethe est moins content, moins heureux, il jouit moins du plaisir de vivre, du bonheur de sentir que madame de Staël, qui traduit avec enthousiasme cette même ode, et déclare fort heureux tout ce que Goethe trouve ridicule.
Mais un certain éclat, une certaine outrance de la forme, la couleur « moyenâgeuse », le cerf du premier acte, le chapelain, le burnous de Jacoub sentent déjà le romantisme.
Les vers, colorés, souples, jolis même dans leurs négligences, — trop jolis, — sentent en maint passage l’improvisateur brillant, fils des pays du soleil.
Peu importe au fond que l’une des deux parties ou peut-être les deux se sentent et se croient, dans l’intimité de leur conscience, lésées par le jugement rendu.
les inconvénients de ce régime ne tardèrent pas à se faire sentir.
Racine n’a pas assez senti la différence des deux sujets qu’il a voulu traiter.
Mais quand on considère les immenses services rendus à la langue et aux lettres par nos premiers grands poëtes, on s’humilie devant leur génie, et on ne se sent pas la force de leur reprocher un défaut de goût.
Il les réduit toutes aux suivantes ; 1°. l’esprit pointilleux & d’analyse qui fait qu’on discute tout aujourd’hui, & qu’on ne sent rien ; 2°. le ridicule de se passionner pour l’antithèse, le recherché, le nouveau & ce qui n’est que dans la petite manière ; 3°.
Où les grands traits sont-ils plutôt remarqués & sentis, & les défauts avec les ridicules plus justement relevés ?
L’ame livrée toute entiere aux idées qui s’excitent dans l’imagination échauffée, ne sent pas les efforts qu’elle fait pour les produire : elle ne s’apperçoit de sa peine que par cette lassitude et par cet épuisement qui suivent la composition.
Sentait-elle que tout était fini de ses œuvres comme d’elle, et se gendarmait-elle, en grognant, contre le néant dans lequel elle allait tomber ?
Rien d’inattendu, de pensé, de montré à nouveau, rien qui sente l’homme ou cet être monstrueux, la philosophe, ou cet autre être déjà moins laid, mais qui n’est pas encore très beau, la femme littéraire !
Le ramasseur d’oubliés et de dédaignés, ensevelis pêle-mêle dans l’ombre des vieux murs en ruines de l’Histoire, et qui les prend dans son tombereau, a bien senti qu’il ne pouvait traiter le Génie et la Gloire comme l’infortune des petits talents malheureux.
Il a la petite camisole de force de son habit, il la sent sur lui, et il en est gêné… Lorsque les notices qu’il s’est permises sur ses confrères morts doivent être suivies de notices sur ses confrères vivants, quand il a épuisé la liste des extraits mortuaires, il s’arrête… Il voudrait peut-être aussi, lui, comme Pélisson, pour continuer, des arbres et des fontaines, et peut-être va-t-il les chercher ; car il termine brusquement son histoire, si l’on peut nommer du nom d’histoire ces anecdotes et ces commérages, choses trop petites pour n’avoir pas passé à travers les trous de ce crible qu’on appelle la mémoire des hommes, et qu’il était si peu nécessaire de ramasser !
Mais ce que je sais bien, c’est qu’il n’était pas de ces tempéraments qui en restent fatalement imprégnés ; ce que je sais bien, c’est que, depuis qu’il a atteint toute la supériorité de ses facultés, il a aimé à ramasser son regard pour y voir plus clair, il a senti qu’en histoire, comme ailleurs, se circonscrire, se concentrer, était la puissance.
L’intelligence qui sent la force et qui en a l’inquiétude se bride mal ou se cabre sous le mors.
sur des cœurs moins forts et moins grands, et que des historiens comme MM. de Goncourt, par exemple, l’aient sentie d’avance, dès les premières pages de leur livre, mêler son noir aux roses et aux vermillons, parfois fatigants, de leur palette, et donner du profond à ces superficielles couleurs.
sur des cœurs moins forts et moins grands, et que des historiens, comme MM. de Goncourt, par exemple, l’aient sentie d’avance, dès les premières pages de leur livre, mêler son noir aux roses et aux vermillons, parfois fatigants, de leur palette, et donner du profond à ces superficielles couleurs !
Mais il paraît que le bœuf aussi a la même horreur pour ce qui brille… Aux yeux de ces sortes d’esprits, Léopold Ranke, passant de l’état d’historien qui sent, se passionne et peint sa pensée, à l’état d’historien systématique et décoloré, est un grand esprit qui s’élève ; et si, à cette suppression de sentiment ou de mouvement, à cette recherche amoureuse sans amour de l’expression abstraite, à cette généralisation vague quand elle n’est pas fausse et fausse dès qu’elle s’avise de préciser, on ajoute la gravité, ce masque des têtes vides qui cache si bien, dans tant de livres contemporains, la platitude de la niaiserie sous l’imposance du sérieux, vous avez un de ces historiens composés de qualités négatives tels que les rationalistes philosophiques et littéraires conçoivent leur historien — leur caput mortuum — et l’ont souvent réalisé.
III Elle est morte, en effet, — le cœur peut en saigner, — mais elle est morte à jamais, pour qui a le sentiment des réalités de l’Histoire… Aux yeux de ceux qui savent ce qui constitue la personnalité et l’identité d’un peuple, il faut, pour qu’il se sente toujours vivant, qu’il ait pu rester, sinon tout entier, au moins en partie, dans le principe de sa vie et de sa durée.
Nulle part on ne sent, sur ces fragments hâtés, le toucher de cette main de feu qui y est passée et qui aurait dû y laisser au moins une tiédeur, — au moins quelque odeur affaiblie de cette feuille de laurier qu’elle roulait incessamment dans ses doigts !
il l’emporta dans Galiani, mais, au moins, il attesta aux yeux de ses contemporains qu’il y avait un Machiavel éparpillé dans ses ouvrages et dans ses conversations, qui furent ses plus brillants ouvrages, quand, un jour de sa vie, il voulut davantage : il voulut attester, par un livre spécial, comme il se sentait Machiavel dans la conscience de son esprit !
La science, si vaine qu’elle soit et dont un jour peut-être il sentira le creux, est pour lui présentement ce que la religion est pour nous, et l’avenir ce qu’est pour nous le passé.
Il a publié un volume qu’il intitule, avec assez de fatuité : Poésies complètes 18, et dans lequel l’esprit de l’auteur et ses forces vives se sentent mieux.
quelques mots qui sentent leur collège, mêlés à la traduction interlinéaire, bien faite d’ailleurs, et surtout des notes, des notes dans lesquelles nous trouvons des prétentions de linguiste, de la botanique, de l’histoire naturelle et toutes sortes de choses que j’eusse mieux aimé ne pas y voir, ont donné à penser que M.
Le La Bruyère qui écrira cette page d’observation terrible n’est peut-être pas né, mais tous ceux qui sentent en eux la conscience forte et tressaillante de la société où ils vivent savent si l’histrionisme nous dévore, et peuvent se demander, en lisant des œuvres poétiques comme ce dernier volume, si la fin de notre monde littéraire doit avoir lieu dans un cabotinage universel.
Évidemment, en parcourant ces pages incorrectes et lâchées et ces vers dans lesquels l’émotion ne peut sauver le langage, on a senti que cette fantaisie ne tenait pas toute sa force, que cette langue de poète avait le filet… On ne le lui coupa pas et jamais il ne se l’arracha.
Il me semble que j’en ai senti l’amertume dans la douceur résignée de ses vers.
Chacun d’eux représentant une race, un groupe, une nation, les races, les groupes, les nations ne se sentiraient-ils pas solidaires dans la fraternisation de leurs élites ?
Lorsque l’Empire passa des nobles au peuple, les plébéiens qui faisaient consister toutes leurs forces, toutes leurs richesses, toute leur puissance dans la multitude de leurs fils, commencèrent à sentir la tendresse paternelle.
Ainsi ils sentirent imparfaitement, s’ils ne purent le comprendre, que les droits sont indivisibles.
Il fallait que Racine, lisant de l’Amyot à Louis XIV, en ôtât subtilement tout ce qui sentait le gaulois, et y substituât couramment le mot le plus français. […] comme on sent que ce qu’il sait, il ne le sait pas d’hier ! […] L’article manque en latin, et c’est certainement une imperfection réelle ; mais il existe dans les langues romanes, chez qui c’est certainement aussi un perfectionnement. » Vous savez, messieurs, qu’à l’époque la plus brillante et la plus pure de la langue latine, Auguste était tellement préoccupé de la clarté et de la précision qu’il sentait bien que cette noble langue n’avait pas au même degré que la dignité ou la grâce, qu’il n’hésitait pas à ajouter des prépositions aux verbes, à répéter les conjonctions : « Præcipuamque curam duxit, sensum animi quam apertissime exprimere : quod quo facilius efficeret, aut necubi lectorem vel auditorem obturbaret ac moraretur, neque proepositiones verbis addere, neque conjunctioncs sœpius iterare dubitavit, quoe detractae afferunt aliquid obscuritatis, etsi gratiam augent34. » Les langues romanes, le vieux français en particulier, tout en défigurant à tant d’égards et en étant si prodigieusement loin de valoir la langue d’Auguste, s’acheminaient du moins à répondre, en fait de clarté et de précision, à la grande préoccupation d’Auguste.
Paul Je ne bouge pas, mais votre interruption me prouve que vous sentez la pointe, après l’avoir niée par réflexe optimiste. […] Oui, nous devons au romantisme d’avoir appris à comprendre et à sentir toutes les formes du beau : Homère et Virgile, Phidias et Michel-Ange, Raphaël et Rembrandt, Racine et Shakespeare, La Fontaine et Hugo, Mozart et Wagner. […] Paul M. le maire de Metz prête à Colette ces phrases : « Nous avons juste sujet de nous enfermer dans l’attitude de défense à laquelle nous ont tristement accoutumés quarante-huit années. » La Lorraine et l’Alsace se sentiraient donc aussi opprimées dans les bras de la France que sous la botte allemande.
L’ensemble était d’un homme qui sent sa valeur et qui, sans l’imposer par trop d’orgueil, veut la faire sentir aux autres par quelque emphase dans l’attitude. […] Ce style bref, nerveux, lucide, nu de phrases, robuste de membres, ne se ressentait en rien de la mollesse du dix-huitième siècle, ni de la déclamation des derniers livres français ; il était né et trempé au souffle des Alpes ; il était vierge, il était jeune, il était âpre et sauvage ; il n’avait point de respect humain, il sentait la solitude, il improvisait le fond et la forme du même jet ; il était, pour tout dire en un mot, une nouveauté.
Mais il se sentait trop riche d’imagination et de poésie pour en gaspiller les trésors en menue monnaie de cour et de fêtes, dans une capitale de province. […] C’est de cette double faculté qu’est né le genre héroï-comique ; ce genre a besoin, pour être cultivé et senti, d’une dose égale d’enthousiasme dans le cœur et de raillerie dans l’esprit. […] Quand l’Italie commença à vieillir, elle produisit les poèmes facétieux du Morgante, du Roland amoureux, du Roland furieux ; quand l’Espagne toucha à sa sénilité, elle produisit le Don Quichotte ; quand la France sentit les atteintes de l’âge après son dix-septième siècle, elle produisit Voltaire et la Pucelle ; quand l’Angleterre eut passé son âge de raison pour arriver à son âge de désillusion littéraire, elle produisit le Don Juan de Byron, ce poème de l’ironie de toute chose, même de l’amour et de la poésie.
Pour moi, j’ai toujours mieux senti, en l’écoutant, la bonté de l’auteur de toutes choses, qui, dans chaque lieu sur la terre, a su placer quelque cause de jouissance et de bien-être pour ses créatures. […] Je regardai dedans : il était vide, mais propre et en bon état, comme si les propriétaires absents comptaient y revenir avec le printemps. — Déjà sur chaque tige les bourgeons étaient gonflés ; quelques arbres même se paraient de fleurs ; mais la terre était encore couverte de neige, et, dans l’air, on sentait toujours le souffle glacial de l’hiver. […] Que mon doigt eût pressé la détente, et c’était fait de sa vie ; mais, m’étant aperçu que ce qu’il dirigeait sur ma poitrine n’était qu’une espèce de mauvais fusil qui ne pourrait jamais faire feu, je me sentis au fond assez peu effrayé de ses menaces et ne crus pas nécessaire d’en venir aux extrémités.
Il faudra que l’ensemble du poème se lie intimement au caractère spécial de la musique, qu’on sente que l’un « est enfant de l’autre » ; et le style devra être moulé sur celui de l’original. […] C’est comme un écho de ces mots, « l’épée », et instantanément nous sentons comme la « grande pensée » de Wotan lui traverser l’esprit, celle qui le remplissait de joie et d’ambition démesurée lorsque pour la première fois il salua son Burg du nom de Walhail (Voir Rheingold, partition, page 207). […] Rien d’objectif ; seulement, de l’obscurité et du silence qui précédaient et nous donnaient le besoin devoir et d’entendre avec avidité, est sortie une impression subjective destinée à orienter d’avance notre compréhension et à familiariser notre entendement avec la révélation mystiquement réalisée du drame dont nous sentons déjà le caractère si profond qu’on l’a cru religieux.
On sent exister Gillette dans l’Inconstante, on voit moins les autres personnages. […] On peut te dire des paroles touchantes, car tu as l’air de les sentir. […] C’est une confession qu’on devine absolue et sans retour, parce qu’on sent que l’auteur s’y intéresse.
Si ce point prenait conscience de lui-même, il se sentirait changer, puisqu’il se meut : il apercevrait une succession ; mais cette succession revêtirait-elle pour lui la forme d’une ligne ? […] Mais le caractère symbolique de cette représentation devient de plus en plus frappant à mesure que nous pénétrons davantage dans les profondeurs de la conscience : le moi intérieur, celui qui sent et se passionne, celui qui délibère et se décide, est une force dont les états et modifications se pénètrent intimement, et subissent une altération profonde dès qu’on les sépare les uns des autres pour les dérouler dans l’espace. […] Nous ne mesurons plus alors la durée, mais nous la sentons ; de quantité elle revient à l’état de qualité ; l’appréciation mathématique du temps écoulé ne se fait plus ; mais elle cède la place à un instinct confus, capable, comme tous les instincts, de commettre des méprises grossières et parfois aussi de procéder avec une extraordinaire sûreté.
Mais justement parce que nous avons rompu ainsi l’unité de notre intuition originelle, nous nous sentons obligés d’établir entre les termes disjoints un lien, qui ne pourra plus être qu’extérieur et surajouté. […] C’est pourquoi l’opération grossière qui consiste à décomposer le corps en parties de même nature que lui nous conduit à une impasse, incapables que nous nous sentons bientôt de concevoir ni pourquoi cette division s’arrêterait, ni comment elle se poursuivrait à l’infini. […] Là où le rythme du mouvement est assez lent pour cadrer avec les habitudes de notre conscience, — comme il arrive pour les notes graves de la gamme par exemple, — ne sentons-nous pas la qualité perçue se décomposer d’elle-même en ébranlements répétés et successifs, reliés entre eux par une continuité intérieure ?
L’esprit révolutionnaire (rendons-lui cette justice) a senti cela. […] Il y a un degré dans l’absurde où il n’est plus senti comme absurde. […] On sent qu’il n’y aurait pour elle de pire disgrâce que d’être privée d’aliment, par la réussite imprévue de ses aspirations vagues. […] Mais le père de famille, frappé et molesté par des lois iniques et aveugles, a cessé de le comprendre et de le sentir. […] Mais on sent néanmoins que la contradiction scientifique faisait faire de la bile à Pasteur, l’irritait.
Vous sentez, mon cher Monsieur, que Paris s’occupe bien davantage de M. de Musset lorsqu’il paraît et disparaît ainsi, avec son escorte de beaux vers et ses prodigalités d’un moment que s’il vivait comme le commun des êtres, parmi lesquels sont d’aussi grands talents que lui. […] Quoiqu’il en puisse être, son extérieur m’a plu infiniment, et je me suis senti porté à croire tout le bien qu’on me disait de lui, en doutant du mal, quoique la somme de ce dernier l’emportât sur les éloges. […] Le commissaire ayant vu la porte verrouilléeab du placard, et les embarras du peintre lorsqu’il en avait réclamé l’ouverture, avait senti grandir ses soupçons et avait fait ouvrir. […] Félix Davin a été fort douloureusement sentie par toute la littérature française. […] Aussi après un léger assoupissement que le charitable Morphée lui envoya vers l’aube, comme pour lui mieux faire sentir le prix du sommeil qu’il n’avait pas goûté, l’infortuné voyageur se mit-il à crier dans la chambre, l’improvisation suivante, que le voisinage poétique de M.
Il sentait lui-même qu’il avait eu tort de se décourager un moment, et dans des lettres d’un accent pénétré, d’une intention élevée et soutenue, il s’attachait bientôt, au contraire, à remonter le moral de son gendre et ami Paul Delaroche. […] Horace avait dès lors donné tout ce qu’il pouvait de meilleur et de plus grand, il ne se survivait pas, mais il n’avait plus à se surpasser ni à s’égaler, il le sentait et l’exprimait dans l’intimité avec bien de la franchise, lorsqu’il écrivait en 1855 à une amie34, en lui annonçant qu’il allait se remettre au travail : « Avec le retour du beau temps j’espère pouvoir reprendre assez d’activité pour conjurer les attaques que l’idiotisme semble diriger contre moi, depuis que sa sœur la paresse m’engourdit de plus en plus.
Deux amants qui perdent leurs moments à maudire le jour, à chanter la nuit et à invoquer la mort, deux amants, surtout, qui se sentent séparés par des vétilles de morale conventionnelle, lorsque leur impérieux devoir serait de propager l’espèce, c’est pour ce philosophe un spectacle absurde et essentiellement immoral. […] Et puis, par malheur, Tristan ne dit pas cela, mais il dit : « Quand mon œil s’éteindra, alors je serai moi-même le monde. » Cette phrase, comme celles qui la précèdent et qui la suivent, a un sens excessivement vague ; c’est le désir de la mort, un besoin immense de se dissoudre, de se fondre en un tout, d’être enveloppé par lui, de s’étendre à travers l’infini, « de rêver dans des espaces immesurables… » Tout cela ce sont des sentiments, non pas des pensées logiques ; les mots ne sauraient les indiquer que très vaguement, et Wagner, avec un génie admirable, les a donc exprimés dans des phrases dont le sens est atténué au possible, pendant que la musique nous fait voir jusqu’au fond de l’âme des deux amants, en nous faisant sentir ce qu’ils sentent3.
C’est ravivant et exaltant tout de même le succès brut, l’exposition insolente de son livre, de son livre auprès duquel, on sent que les autres n’existent pas. […] Il sent qu’un nouveau livre le laisse où il est, ne le porte plus en avant.
Même lorsque le cours de nos idées semble entièrement livré au hasard, lorsque nous nous laissons aller aux rêveries involontaires de la fantaisie, l’action décisive de nos sentiments secrets ou de nos prédispositions se fait sentir tout différemment à une heure qu’à une autre, et l’association des idées s’en ressent toujours21. » Dans l’art le plus primitif, l’invention se distingue à peine du jeu spontané des images s’attirant et se suivant l’une l’autre, dans un désordre à peine moins grand que celui du rêve. […] Après s’être ainsi simplifié soi-même, on transporte cette vie qu’on sent en soi, non pas seulement dans le cadre où se meut autrui, ni même dans les membres d’autrui, mais pour ainsi dire au cœur d’un autre être.
En montrant et surtout en faisant sentir que la religion apporte une consolation dans les chagrins, une force dans le combat des passions que la philosophie ne donne qu’à très-peu d’âmes, on se placerait, je crois, sur un terrain inexpugnable, sur le terrain de l’expérience intérieure, où chacun est seul juge de ce qu’il éprouve. Comment contester ses consolations à qui se sent consolé, le sentiment de sa force à celui qui l’a éprouvée ?
D’autre part, nous sommes devenus trop individuels, trop ce qu’était Sainte-Beuve, pour nous préoccuper beaucoup des manières de voir et de sentir de l’antiquité, si loin de nous par le fond et la forme des choses, et encore plus loin par les choses que par les années ! […] Il nous aurait fait sentir que ce génie-femme ne l’est pas seulement par les formes de sa beauté, par la placidité, par la tendresse, par la rêverie, par le rythme du sein sous le mouvement du cœur, mais qu’il l’est encore par son amour pour le vieil Homère et par tout ce qu’une longue intimité laisse après elle, par la pudeur discrète des plaisirs qu’il en a reçus.
Elle était humaine, et sa première impression en apprenant le meurtre fut de sentir ce qu’il avait d’odieux, et aussi quelle tache ineffaçable il en rejaillirait sur elle.
On ne raisonnait pas, on ne disputait pas : on n’en voulait pas à l’Église, pourvu qu’on n’en sentît pas le joug ; et on lui permettait d’être maîtresse ailleurs.
On dirait que, dans ces moments de guerre contre les besoins les plus légitimes du cœur, il avait oublié le plaisir de vivre, d’aimer, de voir, de sentir.
Quand mademoiselle de Montpensier commença à sentir de l’inclination pour Lauzun, elle s’informa de ses habitudes au comte de Rochefort dont il était l’ami : et « elle apprit, dit-elle, que Lauzun allait quelquefois chez une petite dame de la ville, nommée madame de La Sablière.
Ce coin de terre était le point du jour de la civilisation éternelle ; l’imperceptible peuplade sentait battre en elle l’âme du monde.
L’on aura désigné ainsi par le dehors et le dedans, ta sorte d’Athénien, par exemple, qui s’attachait à Aristophane, et celle qui se sentait exprimée par Euripide ; le citadin de la renaissance italienne dont les goûts allaient aux peintures sévères de l’école florentine, et l’habitant de Venise qui, charmé d’abord par le colorisme des Titien et des Tintoret, versa dans les luxurieuses mythologies de leurs successeurs ; de l’habitué des concerts du dimanche à Paris qui, penché toute la semaine sur quelque besogne pratique, retrouve une fois par semaine une âme enthousiaste et grave, digne de s’émouvoir aux hautes passions d’un Beethoven, au religieux naturalisme de Wagner, au trouble de Berlioz.
II Cependant, comme il est facile de le sentir, la parole traditionnelle ne s’est pas retirée des institutions sociales au moment même où la langue écrite a paru, car toutes les révolutions sont successives et graduelles.
de sentir de nouveau cette terre sous nos pieds.
Elle avait beaucoup souffert, et quoiqu’elle n’ait pas éventé ses douleurs dans des phrases qui soulagent parfois, on le voit, on le sent.
Seulement ce qu’il y a et ce qui plaît, du reste, c’est qu’on sent que l’auteur n’a rien voulu de tout cela et que la prétention du bas-bleu qui se tend pour se donner des muscles, comme un homme, n’a pas fait tort à son naturel de femme et d’écrivain.
Si les fins seuls ont senti dans les Soirées de Saint-Pétersbourg, à travers la hauteur, la colère, l’imprécation, l’aigle et les foudres enfin, le commencement de ce sourire qui s’étend, s’accomplit et rayonne si longuement dans les Correspondances, ce sourire, à présent, n’est plus mis en doute, et fait dire déjà ou fera dire demain de l’homme terrible, redouté si longtemps, le bon de Maistre, comme on dit le bon Homère, le bon Shakespeare.
Nous avons bien senti quelques coups de talon de cet enfant enfermé dans les entrailles du siècle, mais ç’a été tout… Naîtra-t-il ?
Taine a si bien senti, du reste le faible intérêt de sa notice sur M.
Le xixe siècle diffère trop essentiellement du xviie pour bien comprendre et pour apprécier toutes les manières de sentir, de penser et d’agir, d’un temps si dissemblable à lui-même ; il en diffère trop… et il n’en est pas assez loin.
… Tous, tant que nous sommes, ne la sentons-nous pas en nous ?
Ils sont rares comme la tranquille conscience du talent qu’on a et de la fierté de l’esprit qu’on se sent… Avec l’effroyable prurit de vanité littéraire qu’ont les moins littéraires de ce temps, et qui fait d’eux des mendiants de publicité se trémoussant comiquement autour du moindre article pour qu’on leur en fasse la charité, un écrivain qui publie son livre et le met tout simplement sous la vitrine de l’éditeur, sans importuner personne de son importance et sans viser à la pétarade des journaux, m’est, par cela seul, plus sympathique que les autres, et je suis très disposé à aller vers lui, parce qu’il ne vient pas vers moi avec ces torsions de croupe respectueuses qu’ont les quêteurs d’articles qui veulent qu’on en mette dans leur chapeau… C’est précisément ce qui m’a fait aller à M.
Il n’y a rien de puéril à sentir vivement le ridicule et la fausseté !)
Il disait, comme l’ours : « Ôtons-nous, car il sent !
ne juge rien, en somme ; mais il sent et il souffre, et il se débat contre la mort et maudit la griffe qu’elle lui a plantée en pleine poitrine.
Eh bien, le gouvernement d’Angleterre — ce gouvernement qui est tout ce que nous venons d’énumérer — a senti, pour la première fois, — depuis qu’il sème des colonies, c’est-à-dire de la graine de société sur les continents qu’il découvre, — l’insuffisance de sa propre action sur la terre d’Australie et la force très suffisante de quelques prêtres, qui n’ont pour toute ressource que la consigne de Rome et leur crucifix sur le cœur !
Il ne sied pas à cet esprit viril, qui n’hésite jamais devant un fait, et pour les formes détachées duquel nous nous sentons une vive sympathie, de demander ainsi presque pardon aux préjugés actuels du mordant de sa plume ou de son sujet.
Il s’y est pris avec l’ingéniosité d’un homme qui sent de quel légume il est construit.
La mort comme nous la connaissons qu’est-elle vraiment, quelle qu’en soit l’agonie, en comparaison de cette torture ignorée, qui peut être la nôtre, à chacun de nous, de la vie reprise tout à coup au fond d’une tombe fermée dont on sent sur soi le poids affreux, autour de soi les ténèbres affreuses et le froid affreux ?
Je le tiens aussi pour l’auteur de ce livre, signé « Vacquerie », parce que ce livre est le plus ingénieux moyen qu’ait pu inventer une vanité aussi vaste, aussi profonde et probablement aussi blasée sur toutes les formes de l’admiration que doit l’être celle de Hugo, pour se donner la sensation dernière d’un coup d’encensoir qu’il puisse sentir encore, après en avoir tant recul II fallait, par Dieu !
La plus haute société n’a point dédaigné de lire ce livre bas… On a respiré avec avidité cette petite infection comme une cassolette, et on a trouvé que cela sentait presque bon… Ah !
Toutes ces sortes d’idées que nous avons vues, tout cet ensemble de sentiments, toutes ces expressions rares prennent leurs racines dans des choses anciennes que la foule n’exprime pas, mais qu’elle sent aussi bien que nous.
Au bout de ce temps, nous sentons que notre liberté est épuisée, nous sommes au bout de la chaîne. […] Il sent la douleur comme la sent un animal. L’imagination fait que, nous autres, nous la sentons mille fois contre lui une seule. […] On sent vivre les siècles. […] De même, l’homme bien portant se sent mené par son instinct vers tel ou tel aliment.
Si quelques malades se plaignent de sentir continuellement des odeurs infectes, il n’est pas certain que l’origine de leur sensation soit dans le nerf lui-même ; elle peut se trouver dans les centres nerveux. — Mais rien de plus fréquent dans le toucher que l’action spontanée des nerfs ; il suffit de citer les névralgies proprement dites ; le jeu propre du nerf en l’absence de tout excitant appréciable éveille, maintient et réveille alors les plus vives et les plus diverses sensations de douleur. […] « Il y a des paralysies dans lesquelles les membres sont absolument insensibles aux irritations extérieures, bien que les douleurs les plus aiguës s’y fassent sentir. » C’est que les nerfs qui se rendent à ces membres, insensibles à leurs extrémités, sont encore irritables et irrités dans les portions supérieures de leur trajet. […] Ces sensations ne sont pas vagues, car l’amputé sent des douleurs ou le fourmillement dans tel ou tel orteil, à la plante ou sur le dos du pied, à la peau, etc. Il finit par s’y habituer et à la fin ne s’en aperçoit plus ; cependant, dès qu’il y fait attention, il voit la sensation aussitôt reparaître, et souvent il sent d’une manière très distincte ses orteils, ses doigts, la plante du pied, la main. » En plusieurs cas, après sept ans, douze ans et même vingt ans, la sensation était aussi nette qu’au premier jour. — On voit que, pour provoquer la sensation, l’action du nerf lui-même est accessoire ; il n’est qu’un intermédiaire ; si le mouvement moléculaire qui se propage sur tout son trajet est efficace, c’est parce qu’il provoque un autre mouvement moléculaire dans les centres nerveux ; pareillement l’action électrique qui court le long du fil du télégraphe n’a d’importance que parce qu’arrivée à son terme elle déplace l’aiguille du cadran.
Dès lors cet esprit moderne s’est senti émancipé ; il a jeté son bagage, il a marché à la légère.
C’est bien en lisant ce volume qu’on sent à nu l’inconvénient d’un système dans lequel le but et le sentiment sont si disproportionnés à l’expression, d’un art exagéré chez qui la forme surmonte, écrase si étrangement le fond, et qui, en ses jours de débauche, édifierait volontiers une église de Brou comme catafalque au moineau lascif de Lesbie.
non : nul esprit, si élevé qu’il se sente, n’a ce droit de se montrer insolent avec les autres esprits, si bourgeois que ceux-ci puissent paraître, pourvu qu’ils soient bien conformés.
Dans les tragédies, comme dans les poèmes, on est sans cesse frappé de ce qui manquait aux affections du cœur, lorsque les femmes n’étaient point appelées à sentir ni à juger.
Dans un festin donné par un prince du sang789, la table de cent couverts, dressée sous une tente immense, était servie par les grenadiers, et l’odeur qu’ils répandaient offusqua la délicatesse du prince. « Ces braves gens, dit-il un peu trop haut, sentent diablement le chausson. » Un grenadier répondit brusquement : « C’est parce que nous n’en avons pas », et « un profond silence suivit cette réponse »
Chez eux, l’école et la science se touchent ; chez nous, tout enseignement supérieur qui, par sa manière, sent encore le collège, est déclaré de mauvais ton et insupportable ; on croit faire preuve de finesse en se mettant au-dessus de tout ce qui rappelle l’enseignement des classes.
Devenues individuelles, elles sont la chose du monde la plus légitime, et l’on n’a dès lors qu’à pratiquer envers elles le respect qu’elles n’ont pas toujours ou pour leurs adversaires, quand elles se sentaient appuyées.
Ceux qui avoient vû le Cid avant que la critique de l’académie françoise parut, avoient senti des défauts dans ce poeme, même sans pouvoir dire distinctement en quoi consistoient ces défauts.
Elles les font sentir dans leur danse aussi-bien que les hommes.
Lui pourtant, qui accepte avec Spencer, contre Guyau, la théorie de l’art fin en soi, désintéressé, il sent bien que l’art doit avoir sa marque propre, que l’émotion esthétique se distingue en quelque chose des émotions ordinaires, et il recourt, pour se tirer d’embarras, à une hypothèse ingénieuse : « Nous croyons, écrit-il (p. 36), qu’il faudra à l’avenir distinguer dans l’émotion ordinaire (non plus esthétique) : d’une part, l’excitation, l’exaltation neutre qui la constitue, qui est son caractère propre et constant ; de l’autre, un phénomène cérébral additionnel, qui est l’éveil d’un certain nombre d’images de plaisir ou de douleur, venant s’associer au fond originel, le colorer ou le timbrer, pour ainsi dire, et produire la peine ou la joie proprement dites, quand elles comprennent le moi comme sujet souffrant et joyeux. » L’émotion esthétique aurait alors ceci de particulier, que, « tout en conservant intact l’élément excitation », elle « laisse à son minimum d’intensité l’élément éveil des images, etc. ».
Il raisonne donc faux, l’auteur des Soixante ans, mais il sent juste.
n’oublie aucune des négations et des impossibilités de la nature de la femme ; seulement, il oppose cette nature très positive, qu’elle sent en elle, à la grande Nature vague, qu’elle n’a jamais vue ni entendue, et qui lui dit, par la bouche de monsieur son père, qu’elle « a voulu (elle, la grande Nature !)
Sainte-Beuve, un des licteurs de Gœthe, voulut faire sentir au critique irrévérent le fil de cette hache qui est Gœthe.
Il se place au cœur de toutes, pour les mieux voir et les mieux sentir, — et c’est de là que le moraliste qu’il est avant tout, ce Carlyle, aperçoit le côté ridicule, abusif, outrancier, caricaturesque de toute chose humaine, et qu’il part de cet éclat de rire qui rappelle cet immense éclaffeur de Rabelais, mais amertumé de la cruelle gaieté anglaise, plus féroce que la nôtre ; la gaieté de Swift et d’Hogarth !
Aborder avec un regard ferme cette Amérique éblouissante et surprendre le secret de tous les mirages avec lesquels elle dupe la pensée, voilà ce qui doit tenter tout homme qui se sent la vue d’un historien.
Ôtez le pittoresque de l’expression dans cette page terrible des Soirées de Saint-Pétersbourg, écrite ainsi pour faire mieux sentir la vérité de sa thèse, de Maistre, en parlant du bourreau, n’a posé que la nécessité de la peine de mort pour la conservation de tout ordre social, ce qu’on peut soutenir, n’est-il pas vrai ?
C’est sa manière de sentir et surtout de dire, qui fait l’intérêt d’une pareille publication.
» Lawrence a cela de particulier dans le talent qu’il ne procède pas par contrastes, cette chose facile, et qu’il se sent assez robuste pour mépriser les ressources de l’antithèse.
Renan, quand il arriva à la Vie des Apôtres, sentit bien que ce cri ne recommencerait pas… Il ne frappait alors que sur un tambour défoncé, qu’il avait crevé dès son premier coup de baguette.
… Pour mon compte, je n’en parlerais pas, je n’aurais jamais songé à en parler, s’il n’était pas d’obligation, pour toute critique qui se sent, de réagir contre les importances ridicules faites à des livres qui, véritablement, n’en ont pas.
Le cœur qui palpitait en lui ne lui ôtait pas la fermeté de son génie, de ce génie que Richelieu sentit, à travers les vertus qu’il n’avait pas, frère du sien.
Destiné à l’enseignement de la philosophie, vivant dès sa jeunesse dans l’accointance des philosophes et dans la préoccupation de leurs études et de leurs influences, il crut, parce qu’il entendait et sentait vivement leurs écrits, que lui aussi aurait le pouvoir d’éjaculer, comme eux, quelque système avec lequel la pensée humaine aurait à se colleter plus tard ; mais, pendant toute sa vie, il put apprendre à ses dépens que la faculté de jouer plus ou moins habilement avec des idées qui ne vous appartiennent pas n’est pas du tout la vraie fécondité philosophique, qui n’a, elle, que deux manières de produire : — par sa propre force, si l’on appartient à la grande race androgyne des génies originaux, — ou en s’accouplant à des systèmes qui ont assez de vie pour en donner à la pensée qui n’en a pas, si l’on n’appartient pas à cette robuste race des génies originaux et solitaires.
Pour Calvin, sa méthode va être la même ; c’est la méthode d’un homme qui sent son néant, et qui lui fait couverture avec des citations successives.
Quoiqu’il ait le sens critique beaucoup trop fin et trop exercé pour ne pas sentir les beautés et les suavités de toutes sortes qui sont dans Guérin, il n’a pas l’enthousiasme qu’il faudrait, l’éclat et la portée de voix, la souveraineté dans la parole, qui peuvent exiger l’admiration comme une justice et la décider du même coup.
Lord Byron, qui ne s’appelait point Rousselot, et qui, malgré la médiocrité radicale de son premier recueil, devait sentir s’agiter en lui sourdement le génie qui écrivit plus tard Childe Harold et Don Juan, aurait été d’un ridicule à faire très justement pâmer de rire la Revue d’Edimbourg, s’il s’était campé devant la Critique comme Rousselot se campe devant nous tous… Je sais bien qu’on passe beaucoup de choses à l’orgueil insignifiant des poètes.
Paul de Musset sent peut-être autant que moi en ce moment l’insuffisance de son volume et le néant d’une entreprise faite à l’instigation des trois éditeurs de son frère, — de ces trois Rois Mages d’éditeurs qui ont suivi la même étoile, et qui ont voulu la faire luire également sur leurs trois éditions !
José-Maria de Heredia se contentera-t-il de publier le second volume de sa traduction, — de cette traduction dont il n’a pas eu besoin de nous donner le texte original, tant elle est pénétrante et tant nous sentons dans notre âme, en la lisant, qu’elle est exacte et sincère ?
Beaucoup, d’ailleurs, de ces Méditations, sentaient la jeunesse, l’indécision, la balbutie.
qui ne sentirait, de prime saut, l’absurdité et le sacrilège de tout cela, si la Poésie ne jetait pas son voile brillant sur le sacrilège et l’absurdité ?
Et d’avoir sublimé ces deux types, de les avoir reproduits avec la grandeur de sa touche, parce qu’il les sentait profonds en lui, serait assez comme cela pour sa gloire de poète, n’y aurait-il pas autre chose dans ce fourmillant poème de Paris, qui n’a rien oublié de Paris.
Fénelon, cet homme de foi et d’amour au xviie siècle, s’il avait senti passer sur lui les mauvais courants du xixe n’aurait peut-être été non plus qu’un sceptique, versant, de désespoir de n’être pas davantage, dans une espèce de fatalisme chrétien, comme Alfred de Vigny — il faut bien le dire, car le livre l’atteste, — y avait versé.
Il n’osait prononcer l’un et se sentait trop faible pour relever l’autre. » Cela n’est pas mâché, comme vous voyez, et on sait que nous ne sommes pas prude, mais nous demandons humblement, soit un peu de poésie, soit un peu de passion, pour faire passer ces franquettes d’expression qui, à froid, et dites comme cela, sont insupportables.
Lawrence a cela de particulier dans le talent, qu’il ne procède pas par contrastes, cette chose facile, et qu’il se sent assez robuste pour mépriser l’es ressources de l’antithèse.
III Rien de pareil ne s’était encore vu, même dans Feydeau, et il a si bien senti lui-même la puanteur de son sujet, choisi probablement par fanatisme d’exactitude, que lui, l’homme de la réalité exacte, et qui persifle si joliment les moralistes dans sa préface, a cru devoir se faire provisoirement moraliste contre l’épouvantable drôle, son héros, et le timbrer, pendant tout le temps que dure son récit, des épithètes de misérable, d’homme affreux, de coquin, comme s’il était, Feydeau, un des vertueux dont il se moque !
Il pense, il sent, il respire dans un autre ; il est d’autant plus fier qu’il est plus asservi, jusqu’à ce qu’une nouvelle révolution amène un autre empire et d’autres esclaves.
Les femmes qui ont vieilli sans amour, et qui sentent les rides se multiplier, ne liardent pas sur les avances. […] Il aurait fait sentir tout ce qu’il y a de romanesque et de mélancolique dans la singulière destinée du héros de Lépante. […] Vous sentez bien que Wilhelm ou Wolfgang ne sonneraient pas comme Luigi et Paolo. […] L’intelligence et le cœur n’ont rien à comprendre, rien à sentir dans ce chaos tumultueux où le meurtre et la débauche se vulgarisent jusqu’à la trivialité. […] L’art, qui se sentait mourir, voulut avoir sa part de la curée.
Que leurs ombres errent autour de moi, portées sur les nuages ; que je voie leurs traits guerriers : à leur aspect, mon âme sentira croître sa constance dans les périls, et mon bras lancera les foudres de la mort. […] Placez trois lances à mes côtés ; volez sur la trace de mes coursiers bondissants ; que mon âme se sente soutenue du courage de mes amis, lorsque la nuit du combat s’épaissira autour de mon épée étincelante. » « Tels qu’un torrent écumant se précipite de la cime escarpée du Cromla, lorsque le tonnerre gronde et que la sombre nuit a déjà noirci la moitié de la colline ; tels et plus terribles encore s’élancent les nombreux enfants d’Erin. […] Que les guerriers de Loclin sentent l’épée tranchante du fils de Morni, et que les bardes puissent célébrer ma renommée.
— que quelque chose du même ordre que ce que nous appelons un choc nerveux soit la dernière unité de conscience, et que toutes les différences entre nos états de conscience, résultent des modes différents d’intégration de cette dernière unité138. » Mais si, laissant toute spéculation sur la composition dernière de l’esprit, nous passons aux observations sur sa composition prochaine, nous trouverons qu’il est composé de deux catégories d’éléments : les feelings (ce qui est senti) et les rapports entre ces états. […] Se rappeler un mouvement fait avec le bras, c’est sentir, à un faible degré, la répétition de ces états internes qui accompagnent le mouvement ; c’est un commencement d’excitation de tous ces nerfs dont une excitation plus forte a été éprouvée durant le mouvement. » Le souvenir est donc un commencement d’excitation nerveuse. […] Il est universel, parce qu’il est connaissable (en employant ce mot, non dans le sens humain, mais dans un plus large) pour tout animal qui possède quelque faculté de sentir ; parce que, en général, toutes les parties du corps de chaque animal peuvent le connaître ; parce qu’il est commun à tous les organismes sensibles ; et commun, dans la plupart des cas, à toute leur surface.
Elle commença alors à battre de ses antennes l’abdomen de chaque Aphis l’un après l’autre, et chacun d’eux, aussitôt qu’il sentait le contact de la Fourmi, levait son abdomen et excrétait une goutte limpide de liqueur sucrée que la Fourmi dévorait avidement. […] Si nous voyions un Loup, encore jeune et sans aucune éducation préalable, demeurer immobile comme une statue la première fois qu’il sent ou aperçoit sa proie, et ramper ensuite vers elle avec une démarche toute particulière ; si nous voyions au contraire une autre espèce tourner autour d’un troupeau de Daims, au lieu de le poursuivre, et le chasser ainsi vers un point déterminé, assurément nous attribuerions de tels actes à l’instinct. […] Il suit évidemment de là qu’elles se sentent parfaitement chez elles et comme en famille.
En lisant une épigramme de Platon sur Pan qui joue de la flûte, il en remarque le dernier vers où il est question des Nymphes hydriades ; je ne connaissais pas encore ces nymphes, se dit-il ; et on sent qu’il se propose de ne pas s’en tenir là avec elles. […] Fidèle à l’antique, il ne l’était pas moins à la nature ; si, en imitant les anciens, il a l’air souvent d’avoir senti avant eux, souvent, lorsqu’il n’a l’air que de les imiter, il a réellement observé lui-même.
Outre le scribe, ils ont avec eux les garnisaires, gens de la plus basse classe, mauvais ouvriers sans ouvrage, qui se sentent haïs et qui agissent en conséquence. « Quelques défenses qu’on leur fasse de rien prendre, de se faire nourrir par les habitants ou d’aller dans les cabarets avec les collecteurs », le pli est pris, « l’abus continuera toujours680 ». […] Nous vous le demandons, sire, avec tous vos autres sujets, qui sont aussi las que nous… Nous vous demanderions encore bien d’autres choses, mais vous ne pouvez pas tout faire à la fois. » — Les impôts et les privilèges, voilà, dans les cahiers vraiment populaires, les deux ennemis contre lesquels les plaintes ne tarissent pas728. « Nous sommes écrasés par les demandes de subsides…, nos impositions sont au-delà de nos forces… Nous ne nous sentons pas la force d’en supporter davantage…, nous périssons terrassés par les sacrifices qu’on exige de nous… Le travail est assujetti à un taux et la vie oisive en est exempte… Le plus désastreux des abus est la féodalité, et les maux qu’elle cause surpassent de beaucoup la foudre et la grêle… Impossible de subsister, si l’on continue à enlever les trois quarts des moissons par champart, terrage, etc.
Marcellus sent le sol s’enfoncer sous ses pas ; il s’évade avec Crispus du sénat, et, adressant à l’orateur qui l’en chasse un ironique adieu : « Nous sortons, lui dit-il, Helvidius, et nous t’abandonnons ton sénat, à toi. […] On croit sentir plus de loisir dans le travail ; les temps aussi sont plus dramatiques ; le passage de la république à l’empire est plus récent, la tyrannie est plus neuve, les hypocrisies, les forfaits plus effrontés, les avilissements plus bas.
Et qui d’amour se sentira saisir, Connoistra bien que je voulus choisir Vie pour moi, et non pour mes écrits. […] Un sot en peut et un sage homme avoir ; Un ignorant et un de bon savoir, Ainsi qu’il plaist au sort les départir Et je voudrois pour heureux me sentir Qu’il plust à Dieu, d’où les vrais biens procedent, M’en octroyer de ceux que ne possedent Nuls vicieux, ny ne sont dispensés A cœurs malins, ni cerveaux insensés, Et sans lesquels d’hommes n’avons que l’ombre.
Notes sur la musique wagnérienne (suite)ba V Durant l’été de 1825, Beethoven s’était senti plus qu’à l’ordinaire souffrant : alors son âme, longuement accoutumée aux émotions, fut — sous l’influence encore de maints embarras matériels, — très saisie par des multiples émotions : le maître les recréa volontairement, les promut à la vie enfin réelle de l’art, en son dernier quatuor 64. […] Il couvrait un cerveau où furent senties, et vécues, et recrées parfaitement, toutes les douleurs et les espérances et les joies de la nature humaine.
Le Titan littéraire s’aplatit ; il a senti le petit souffle qui faisait lever le poil sur le corps endommagé du pauvre bonhomme Job. […] Il n’a plus dans le ventre que la conscience de ses personnages, que leurs ignobles passions, leurs horribles manières de sentir et de s’exprimer.
Les Égyptiens attribuaient à Hermès Trismégiste toutes les découvertes utiles ou nécessaires à la vie humaine), on sentira que la langue poétique peut nous fournir, relativement à ces caractères qu’elle employait, la matière de grandes et importantes découvertes dans les choses de l’antiquité. […] On a donné à ces emblèmes le nom d’héroïques, sans en bien sentir le motif.
Si la raison l’écrase et l’avilit, le sentiment intérieur le relève et l’honore… Quoiqu’il en soit, nous sentons au moins en nous-même une voix qui nous défend de nous mépriser ; la raison rampe, mais l’âme est élevée. » Sans discuter ici cette distinction si absolue entre la raison et l’âme, distinction qu’il ne maintiendra pas toujours à ce degré, il est clair que Rousseau, au lendemain de ses peines et de ses sacrifices dans la tendre passion qu’il ressentait, ne veut chercher de bonheur ou de consolation que dans la paix du cœur et dans la voix de sa conscience.
Enfin, dans les épanchements et l’abandon même de la société intime, il ne contrarie ses amis qu’avec une répugnance où l’on sent la résistance à l’habitude.
Sainte-Beuve, qui s’y sentait provoqué par une allusion assez plate, en prit occasion pour dire une dernière fois ce qu’il pensait de M.
L’autre vie, celle qui suit la tombe, est redevenue un crépuscule nébuleux, boréal, sans soleil ni lune, pareil aux limbes hébraïques ou à ce cercle de l’enfer où souffle une perpétuelle tempête ; des faces mornes y passent et repassent dans le brouillard, et l’on sent à leur souffle ce frisson qui hérisse le poil ; les ailes d’or qui viennent ensuite et les âmes comparées aux hirondelles ne peuvent corriger ce premier effroi de la vision.
Ce premier petit roman nous met en goût et en confiance avec Fléchier ; on sent qu’on a affaire, non-seulement à un écrivain singulièrement poli, mais à un esprit observateur et délié qui s’entend aux beaux sentiments, aux grandes passions, qui en sourit tout bas en les exposant, et les décrit à plaisir sans s’y prendre.
Mais ceci sent le badinage, et Victorin Fabre ne badina jamais.
Nous sentions le besoin de justifier, aux yeux de nos lecteurs et aux nôtres, les expressions de profond mépris qui éclateront plus d’une fois dans notre jugement sur ce pitoyable ouvrage.
Au sortir surtout de l’atmosphère artificielle qu’infectent nos intrigants de tout âge et de tout étage, quand les corrompus de dix régimes coalisés avec les roués d’hier, avec les parvenus acharnés, les intrus encore tout suants, les avocats-ministres tombés dans l’obésité, composent à la surface du pays une écume vraiment immonde, on se sent soulagé en mettant le pied sur cette terre nouvelle, sur ces seuils antiques et vertueux : c’est au moral comme l’odeur végétale des savanes qu’on respire.
Cyprien est une de ces jeunes et ardentes âmes, comme Bucheille, que le mal social agite, dévore, mûrit ou tue avant le temps ; mais Cyprien est plus ferme que Bucheille ; sous son accent amer, sous sa parole un peu fatiguée, on sent l’énergie morale ; il vivra et trouvera à sa volonté intelligente quelque application digne d’elle.
L’on se sent entraîné par lui comme par un ami, un séducteur ou un maître.
Souvent alors on se sent une facilité merveilleuse : les mots viennent sous la plume et s’y rangent docilement.
Pour voir clair, vous avez senti la nécessité de reculer dans l’histoire.
Les gens qui recommandent le nouveau ne sentent pas le vrai et ne haïssent pas le faux.
De plus, les moralistes universitaires, opérant dans l’idéal et dans l’abstrait, n’étant pas d’ailleurs chargés par profession de surveiller et de diriger la pratique morale, ne se sentent pas obligés, comme l’étaient les directeurs de conscience, de rendre leur morale praticable ; de l’adapter à la diversité des circonstances et aux exigences de la faiblesse humaine.
Rien qui sentît le collège sacerdotal régulièrement organisé ; les listes des « douze » qui nous ont été conservées présentent beaucoup d’incertitudes et de contradictions ; deux ou trois de ceux qui y figurent restèrent complètement obscurs.
Le grec, assez peu senti pour qu’on ose y toucher sans scrupule, offre aux fabricants de mots nouveaux une facilité vraiment excessive.
La fillette, spécialement, y apparaît à nu, tantôt se laissant mourir de désespoir, tantôt ne disant pas non au cavalier qui passe, pourvu qu’il ait bourse pleine, tantôt victime de sa paresse et de sa mauvaise conduite : Les soldats l’ont laissée Sans chemise et sans pain… Telle chanson, comme la Mal Mariée, révèle le pessimisme résigné de gens qui sentent que la vie est mauvaise, et mauvaise sans remède ; mais telle autre dit bellement la joie héroïque de l’amour, comme la Fille dans la Tour, dont voici une version mutilée : Le roi Louis est sur son pont, Tenant sa fille en son giron.
Celle de Térence est toujours pure, toujours élégante, & sent l’homme du monde ; ce qui fait dire à Cicéron que toute la politesse Romaine est renfermée dans cet écrivain.
Quand il applique le premier, c’est-à-dire quand il se contente de rechercher dans les écrits les vérités qu’ils contiennent, sans distinguer si ce sont des vérités de tradition ou des vérités d’invention, des vérités de discipline ou des vérités de liberté, sa critique est large et sûre, à la fois souple et forte : elle rajeunit les sujets les plus épuisés par la manière mâle et solide dont elle les relève ; mais, quand il applique le second de ces principes, le principe de la discipline, sa critique prend quelque chose de partial, de jaloux, je dirais presque d’étroit : on sent que ce n’est plus de la critique absolue, mais de la critique relative faite pour un temps, pour combattre certaines passions, pour défendre certains écrits : c’est une critique de combat.
On sent tout ce qu’il y a de hardi dans cette idée ; et si on trouvait une telle fable dans les écrits de ceux qu’on nomme philosophes, on se récrierait contre cette audace.
On sent le jet de l’écrivain dans ce style haché et hachant, rapide (c’est sa qualité), mais tendu, forcé, violent, audacieux et de parti pris, abracadabrant !
La Critique s’est sentie émue jusqu’aux larmes devant ce dessin de Carpeaux, et ce dessin, indigne de lui, a été une des causes du succès du livre, demandé passionnément, je le sais, dans les cabinets de lecture.
À travers ses compilations d’histoire et de voyages, écrites sans expression et sans couleur et où un déisme insignifiant est affirmé comme pour couvrir des marchandises suspectes, on sent le libre penseur qui, au tournant d’une phrase, salue presque respectueusement le honteux, grotesque et simiesque Darwin, — la Bête du temps, — et on croit ailleurs deviner çà et là le positiviste très peu positif qui se dissimule… Au vague de son esprit, sans conclusion comme sans vue fixe, Faliés ajoute le vague des doctrines, et si, parmi les civilisations qu’il pouvait étudier et dont il a oublié les principales, il a choisi (pour parler comme lui) les civilisations américaines, c’est qu’il a obéi — la chose n’est pas plus grosse que cela — au hasard de ses lectures et à la préférence de ses admirations.
Nous pensons qu’en les dirigeant, qu’en exerçant sur eux la haute main qu’ils doivent toujours sentir, invisible et présente, sur leur tête, les théâtres peuvent servir à mieux qu’à l’amusement, c’est-à-dire à l’éducation des peuples ; seulement, ici, oserait-on vraiment nous opposer la littérature dramatique ?
C’était Platon qui bouquinait, qui s’en allait flânant le long des quais et toussant, à l’air de la rivière, de cette petite toux dont on aurait dit qu’elle sentait la sapinette.
On sent sous ce visage, aux fibres visibles et tendues, la contractilité d’un esprit puissant, et dont la puissance s’exerça toujours sur lui-même… Positif et pratique, Montesquieu, qui écrivait, sans métaphysiquer, sur les gouvernements, gouverna sa vie et sa maison mieux que personne.
Excepté son dernier et son plus magnifique ouvrage, intitulé « Les Paroles de Dieu », d’une hauteur de mysticisme qui épouvante l’admiration et dont je ne me suis pas senti digne de rendre compte, j’ai toujours parlé de ses livres avec l’intérêt passionné qu’ils excitent.
Entre les manières de penser et de sentir d’un peuple mort, mais qui laissa sur le front du peuple vivant comme les dernières haleines de son génie, entre la civilisation de l’un et de l’autre, il y a un lien, un rapport, une espèce de communauté qui tient à bien des causes, visibles ou mystérieuses, mais qui est.
Il a bien senti qu’il n’y pouvait y avoir d’organisation efficace et forte sans l’esprit de suite, sans le lien qui unit, dans leurs tendances et leurs aspirations, la génération qui vit à celle qui l’a précédée et à celle qui va la suivre, et que, là où le père de famille ne laisse point à son fils d’exemple à imiter et de nom à grandir, l’organisation politique, à proprement parler, n’existe pas.
Il n’en sentait point les dépendances.
Nous ne voudrions pas sentir, même de loin, la caresse de cette affreuse amabilité !
Si Charles-Quint put se tromper à la clarté de sa raison, l’Espagne ne pouvait, elle, se tromper à la clarté de sa foi, et s’il ne se repentit pas sous les désillusions de l’expérience, il dut sentir, en sa qualité de grand politique, qu’il avait profondément blessé son peuple, et cela reconnu comme un mal pour son pouvoir et pour sa race, il dut chercher à l’amoindrir et à l’effacer.
L’auteur de Saint Louis et son temps ne comprend son sujet qu’avec son esprit, et il ne le fait point sentir avec son cœur… Je sais bien qu’il est rare qu’on ait à mettre son cœur dans une histoire politique, où le jugement est bien assez pour la besogne qu’ordinairement on a à y faire ; mais la politique de Saint Louis n’est pas une politique d’homme d’État « qui a son cœur dans sa tête », comme le voulait Napoléon.
L’auteur de La Renaissance n’était pas dans les mêmes conditions de talent que Stendhal, et je vais dire tout à l’heure en quoi il en différait, mais il était peut-être dans des conditions d’existence et de manière de sentir assez analogues.
MM. de Goncourt ont senti cela comme tous les hommes de leur temps, et cette passion pour le xviiie siècle a faussé quelquefois et souvent leur histoire, en y mettant par trop de rayons.
Comme tous les poètes dramatiques qui se sentent prêtres et dieux, Vacquerie met la main sur l’universalité des choses et parle de tout en homme qui peut jeter sur tout « la forme divine ».
Cette substitution du vivant au mort, en changeant l’objet, diminue l’importance d’un livre où l’on sent, comme un vent coulis, la froideur de l’abbé Maynard entre soi et le chaleureux Crétineau !
… Côté très inférieur dans sa personne pour un dandy, c’est-à-dire pour un homme qui sent en soi quelque chose de plus grand que ce qui se voit et qui doit avoir le beau don naturel de l’indifférence !
Rappelez-vous encore les Lettres à une inconnue, du triste Mérimée vieilli, devenu le croquemort de lui-même, et celles à la Princesse, de Sainte-Beuve (Trissotin à la princesse Uranie), et vous sentirez sur-le-champ la différence qui existe entre les lettres intimes de la comtesse de Sabran, écrites en toute vérité de sentiment et sans aucune préoccupation de la galerie, et toutes ces raclures de secrétaire et de chiffonnière que publient, après la mort des gens, des éditeurs intéressés ou badauds.
Au moins, pour expliquer de cette façon le problème surnaturel de l’homme et de sa destinée, pour revenir en plein dix-neuvième siècle, — après les travaux philosophiques de Hegel et de Schelling, — à ce risible système de la métempsychose, digne tout au plus d’inspirer une chanson au marquis de Boufflers ou à Béranger qui l’a faite, fallait-il se sentir une force d’induction et de déduction irrésistibles ; fallait-il que la grandeur des facultés philosophiques sauvât la misère du point de vue que l’on ne craignait pas de relever.
Mais le Père Lacordaire, moderne lui-même comme le roman, a trouvé que ce n’était pas assez que les quelques mots, rayonnants dans les placidités du divin récit, que les quelques faits qui donnent Dieu et l’homme en bloc ; il a voulu, qu’on me passe le mot, y mettre plus d’homme, et il l’a voulu pour émouvoir les âmes où il y a plus de créature humaine que de chrétienne, car ce livre — on le sent par tous ses pores, — est écrit surtout pour les femmes et pour les âmes femmes, quel que soit leur sexe.
Elle en avait senti le fil de feu s’abattre sur elle et sur son frère, à la lecture de la Vie des Saints.
Le moraliste, dans la vraie acception de ce mot, est tout simplement l’homme qui sait la nature humaine, qui la connaît à fond, qui l’a sentie en lui, qui l’a étudiée dans les autres.
Il y a, en effet, entre Caro, qui a fait ce livre que j’aime, et moi qui viens vous en parler, bien des différences de manière de sentir, de penser et d’être.
Je sens, — comment la sent-il ?)
» Et ce n’est pas non plus sur la venue tardive du poème de du Clésieux dans la poussée des choses du temps qu’il faut exprimer des regrets, mais sur la perte de ce grand sentiment chrétien, mort comme Turenne, et qui serait nécessaire pour bien sentir cette poésie, austère et attendrie à la fois.
Il y eut longtemps de ce juif-là dans d’Aubigné, dur même quelquefois et intuitif comme un prophète, quand, par exemple, il sentait chanceler le protestantisme de son ami et de son maître.
Au moins, dans tous les autres poètes qui chantent les angoisses familières aux âmes passionnées, ou même dans Baudelaire, le Vampire, ce pourlécheur des pourritures devant lesquelles, vivantes, le malheureux se prosternait, il y a, au milieu des ruines et des désolations de la créature qui se sent mourir et qui croit que tout va finir avec elle, des pages éclairées, des tableaux qui passent accentués plus ou moins de fraîcheur et de mélancolie, des souvenirs qui attirent et retiennent comme des yeux fascinateurs rouverts, des caresses qui se reprennent aux beaux cadavres pressés autrefois sur le cœur.
Dessous, il y a l’homme qui sent, et madame de Neers, qui, en fait de plaisir, met la charrue avant les bœufs, trop lents au gré de cette pressée, puis cache les bœufs et la charrue, madame de Neers, malgré toute son hypocrisie, a pourtant sa sincérité.
On sent que pour résister à cette poignante et cruelle ironie de l’ange qui regarde la terre et lève les épaules sous ses ailes, — dernier mouvement de la femme que la religieuse n’ait pas réprimé, — il faut que Christian ait jeté dans l’âme troublée d’Éliane de bien brûlantes impressions.
. — Je l’avais expectoré d’indignation, vraiment provoqué par d’écœurantes réalités. » Et on le sent bien, malgré les retouches de l’écrivain devenu plus difficile, et ses apaisements d’âme et de vie, et le mûrissement de trois ans passés.
Matérialiste, comme est généralement le Midi, leur plaisanterie sent toujours la cuisine et le mauvais lieu.
disait-il, je t’invoque ; parmi toutes les divinités, nulle ne parle plus puissamment au cœur de l’homme que toi. » Un autre, qui conseillait de fuir les villes et sentait que la situation des lieux influe sur l’âme : « Habite et parcours les montagnes, disait-il, le soleil les frappe de ses premiers rayons ; les derniers rayons du soleil reposent sur elles ; élève-toi vers les cieux, sors de l’ombre, et respire la lumière et la pureté du jour » ; un autre, après la mort de son épouse, ramasse tous les ornements qui servaient à sa parure, et les suspend dans un temple pour les consacrer à la divinité du lieu.
A l’accent dont Turpin exhorte, bénit et absout les soldats martyrs qui meurent avec Roland, on sent que les temps sont proches où l’Occident lancera ses barons contre les infidèles gardiens des Lieux-Saints. […] De plus, à mesure que se multipliaient les chansons, on sentait le besoin de mettre un ordre dans cette abondance : or quoi de plus simple que de grouper les récits selon les rapports de parenté qui en unissaient les acteurs ?
On le sent protecteur et on le veut maître. […] On s’aperçoit que cette impartialité, dont on lui sait gré malgré tout, lui était facile : il écrit pour des gens qui ne reconnaissent que la chevalerie, et qui sentent leur cœur plus près de l’ennemi qu’ils combattent que du peuple dont ils se disent les défenseurs.
Il en est, enfin, par le manque de goût, surtout parce qu’il ne sent pas le besoin du goût : il en aurait, s’il voulait ; mais il laisse aller sa verve, comme sa vie. […] Voilà une poésie qui est la résonance d’une pauvre âme, battue d’outrageuses misères, et qui n’est que cela : et dans cette voix bouffonne ou plaintive, qui crie son vice ou son mal, passe parfois le cri de l’éternelle humanité : nous, honnêtes gens, paisibles bourgeois, ce louche rôdeur du xvie siècle parle de nous, parle pour nous, nous le sentons, et c’est ce qui le fait grand.
Toutefois lorsque nous avons l’occasion d’entendre Œdipe à Colone, ou Œdipe-Roi, Horace, Athalie, Le Misanthrope, nous sentons qu’aucune lecture, fût-ce la plus belle de toutes, n’est capable de nous donner le ravissement, l’émotion supérieure, que nous éprouvons au spectacle d’un de ces chefs-d’œuvre. […] Mais, direz-vous, ce théâtre-là n’a qu’une scène, une demi-douzaine d’acteurs et de très rares représentations où l’on sent l’insuffisance des répétitions ?
Gustave Michaut, très diligent, très érudit, très consciencieux et très sûr, les rassemble pour nous, je veux bien vous les lire dans son volume : Certain enfant qui sentait son collège, Doublement sot et doublement fripon Par le jeune âge et par le privilège Qu’ont les pédants de gâter la raison… Ailleurs : Je ne sais bête au monde pire Que l’écolier si ce n’est le pédant. […] On sent l’anecdote au fond de laquelle il y a quelque vérité, mais qui a été, puisqu’elle est si drôle, infiniment arrangée, infiniment adornée par les amis de La Fontaine et de Racine, qui l’a racontée à son fils, à Louis Racine.
Qu’a-t-il voulu nous faire sentir ? […] On sent bien avec lui qu’au fond on a affaire à un impie, pour qui toutes les religions sont parfaitement égales entre elles ; mais, enfin, l’impiété n’est pas expressément articulée ici.
On ne se sentait pas gouverné.
La nature l’avait fait singulièrement impropre entre tous à sentir une époque brillante où se déploie le génie des beaux-arts.