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1525. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Léopold Ranke » pp. 1-14

Il y avait en cet ouvrage une belle floraison de jeunesse vigoureuse, un amour de la justice qui révélait éloquemment, malgré les préjugés de l’éducation, cette vive droiture des âmes respectées encore par la vie et que le monde doit plus tard gauchir. Dans ce livre important sur la Babylone écarlate, le protestant Ranke avait montré pour quelques grandes figures, la gloire éternelle du catholicisme et du monde, une admiration si indépendante et si simple, qu’elle fit croire à ces esprits qu’un mot enlève et qui font de leur désir une espérance, que Ranke pourrait bien finir comme le poète Zacharias Werner ou le fameux Frédéric Hürter, l’illustre chroniqueur d’Innocent III, et qu’il embrasserait le Catholicisme. […] Ranke, dont le Protestantisme a subi l’action des doctrines philosophiques qui tendent à le remplacer, n’est pas même le fantôme d’Agrippa, cet homme qui vécut si fort, et qui s’étonnerait, s’il revenait au monde, que la question religieuse qui dominait les esprits des grands protestants du xvie  siècle, ne fût plus la question première pour les historiens, leurs successeurs.

1526. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Silvio Pellico »

Ainsi, la grandeur de Silvio Pellico n’est pas une grandeur de ce monde ; elle n’est ni littéraire, ni politique, ni même humaine. […] Dans les Prisons, Silvio Pellico n’accuse personne, mais il ne s’accuse pas lui-même, tandis que dans ces Lettres, écrites presque toutes après la délivrance, quand il pouvait rester, sans jamais en descendre, sur le piédestal où l’amour des partis et la pitié du monde l’avaient placé, c’est lui, lui surtout qu’il accuse et qu’il accuse seul. […] Quand on voudra juger définitivement désormais le gouvernement autrichien dans ses rapports avec le carbonarisme d’Italie, il faudra invoquer l’opinion de Silvio Pellico pour établir le droit de l’Autriche… Et c’est ce que les démocrates, non seulement de l’Italie, mais de toutes les parties du monde, ne pourront jamais lui pardonner !

1527. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Sismondi, Bonstetten, Mme de Staël et Mme de Souza »

La légèreté de la conversation des femmes, l’agilité de leurs fines articulations intellectuelles, étonnaient et charmaient, comme Miranda charme Caliban, ces esprits d’érudits, massifs et lourds, chargés de notions, et qui semblent faits pour le monde comme les éléphants pour marcher sur le tapis d’un salon. […] , pliée, repliée et figée dans une soixantaine de lettres, à peu près, adressées à Madame d’Albany, une femme dont Sismondi avait hanté la maison à Florence, comme il avait hanté, en Suisse, celle de Madame de Staël, — ces sortes de lanternes magiques où l’on voit passer devant soi beaucoup de figures, ces espèces de belvédères ouverts sur le monde, intéressant beaucoup le badaud qui est le fond de tout érudit, pour peu qu’il ne soit pas un distrait. […] En dehors de l’Histoire, sans l’intérêt des faits de l’Histoire, le pauvre Sismondi, homme du monde, pédant dépaysé dans des Décamérons impossibles, voulant donner gentiment la patte aux dames et ne pouvant pas, devait être ce qu’il est en ces lettres arrachées aux rats, qui en auraient mieux joui que nous ; car, franchement, elles ne sont rien de plus qu’insignifiantes, quand elles ne confinent pas… j’oserai le mot, puisqu’il est mérité !

1528. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VI. Jules Simon »

Dieu trouvé au fond du cœur, quand on l’y trouve ; Dieu inné, étoile inconnue du monde invisible, aimable et brillante, — pas trop brillante cependant, si elle est aimable, — Dieu qui promet par la souffrance et le spectacle de l’injustice une immortalité… probable, et n’ayant pour tout culte qu’une prière qui ne demande rien, par respect pour les lois générales du monde, mais qui remercie, on ne sait trop pourquoi, telle est cette religion naturelle, mêlée d’un stoïcisme incertain qui voudrait bien qu’on lui payât les appointements de sa vertu, mais qui n’est pas sûr de les toucher. […] Simon, c’est la substitution d’un théophilanthropisme, nominalement religieux, aux religions qui furent jusqu’ici l’honneur et la force morale du monde, et c’est cette substitution, qu’il est bon de réaliser sans coup férir et sans danger, sans éveiller les justes susceptibilités de ces religions puissantes encore et en leur témoignant tous les respects !

1529. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVII. Silvio Pellico »

Ainsi, la grandeur de Silvio Pellico n’est pas une grandeur de ce monde ; elle n’est ni littéraire, ni politique, ni même humaine. […] Dans Les Prisons, Silvio Pellico n’accuse personne, mais il ne s’accuse pas lui-même, tandis que dans ces Lettres, écrites presque toutes après la délivrance, quand il pouvait rester, sans jamais en descendre, sur le piédestal où l’amour des partis et la pitié du monde l’avaient placé, c’est lui, lui surtout qu’il accuse et qu’il accuse seul. […] Quand on voudra juger définitivement désormais le gouvernement autrichien dans ses rapports avec le carbonarisme d’Italie, il faudra invoquer l’opinion de Silvio Pellico pour établir le droit de l’Autriche… Et c’est ce que les démocrates, non seulement de l’Italie, mais de toutes les parties du monde, ne pourront jamais lui pardonner !

1530. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre II : La psychologie »

Sensations, sentiments, instincts, intelligence, tout cela constitue un monde à part, mais qui sort de la vie animale, qui y plonge ses racines et en est comme l’efflorescence. […] Entre le monde externe et le monde interne il y a une correspondance constante, nécessaire. […] C’est dans le monde matériel qu’il faut chercher la raison dernière de la nature de nos pensées, de leur ordre, de leur liaison. […] Et de même, quand Newton conçoit le système du monde, il faut que la nature et la suite de ses idées correspondent à la nature et à l’enchaînement des phénomènes réels ; il faut que ce qui est en lui s’ajuste à ce qui est hors de lui. […] Herbert Spencer appelle l’agrégat vif (le monde extérieur) et l’agrégat faible (notre conscience purement subjective).

1531. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

On y lit dans l’immobile physionomie de l’autre monde la confiance dans le jugement irréfléchi des multitudes et l’inquiétude sur les jugements de Dieu, qui pèse le sang répandu contre l’ambition satisfaite. […] Le culte de la gloire et le dénigrement de la paix étaient-ils bien l’évangile du progrès véritablement rationnel du monde ? […] Il lui en coûtait de rentrer dans ses limites territoriales, après avoir tant débordé sur le monde. […] Pour que le monde se passionne sur votre tombe, il faut avoir servi, volontairement ou involontairement, les passions du monde ! […] C’était par là qu’il s’était déjà révélé à quelques esprits d’élite dans ce monde des bons vivants dont le dogme, sous l’Empire, était la Clef du Caveau.

1532. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Le premier avantage que les gens de lettres trouvent à se répandre dans le monde, c’est que leur mérite est, sinon plus connu, au moins plus célébré, et qu’ils sont jugés à un autre tribunal que celui de leurs rivaux. […] Pour éviter un pareil reproche, tirons le rideau sur ces tristes fruits de l’accueil qu’on fait dans le monde aux savants. […] Pour se convaincre de ce que j’avance sur l’opinion peu relevée qu’on se forme communément dans le monde de l’état des gens de lettres, il suffira de faire attention à l’espèce d’accueil qu’ils y reçoivent pour l’ordinaire. […] C’est ce qui fait que le rôle des gens de lettres est, après celui des gens d’église, le plus difficile à jouer dans le monde ; l’un de ces deux états marche continuellement entre l’hypocrisie et le scandale ; l’autre entre l’orgueil et la bassesse. […] Pour peindre les hommes dans un ouvrage d’imagination, il faut les connaître ; faits comme ils sont, on ne doit pas se flatter de les deviner, tant pis du moins pour qui les devine : le commerce du monde est donc absolument nécessaire à cette portion des gens de lettres.

1533. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

Mais après avoir donné quelques ordres et quelques secours, il rentra dans son île, connue si Caprée fût devenue la capitale du monde romain. […] L’empire grec avait ce caractère particulier parmi tous les États de l’Europe, de n’offrir aucune interruption entre l’ancien monde et le monde moderne, et de n’avoir pas éprouvé le passage de la barbarie. […] Constantinople faisait alors seule tout ce qu’il y avait de commerce dans le monde. […] La langue anglaise se parle dans la presqu’île de l’Inde, et dans toute la moitié du nouveau monde qui doit hériter de l’Europe. […] Il jouissait cependant d’une grande renommée dans le monde, et conservait d’illustres amis.

1534. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Mais au moment où ce défaut sommeille, en ces instants reposés où il redevient Italien, Milanais, ou Parisien du bon temps ; quand il se trouve dans un cercle de gens qui l’entendent, et de la bienveillance de qui il est sûr (car ce moqueur à la prompte attaque avait, notez-le, un secret besoin de bienveillance), l’esprit de Beyle, tranquillisé du côté de son faible, se joue en saillies vives, en aperçus hardis, heureux et gais, et en parlant des arts, de leur charme pour l’imagination, et de leur divine influence pour la félicité des délicats, il laisse même entrevoir je ne sais quoi de doux et de tendre dans ses sentiments, ou du moins l’éclair d’une mélancolie rapide : Un salon de huit ou dix personnes aimables, a-t-il dit, où la conversation est gaie, anecdotique et où l’on prend du punch léger à minuit et demi73, est l’endroit du monde où je me trouve le mieux. […] Daru en 1814, il commença sa vie d’homme d’esprit et de cosmopolite, ou plutôt d’homme du Midi qui revient à Paris de temps en temps : « À la chute de Napoléon, dit Beyle en tête de sa Vie de Rossini, l’écrivain des pages suivantes, qui trouvait de la duperie à passer sa jeunesse dans les haines politiques, se mit à courir le monde. » Malgré le soin qu’il prit quelquefois pour le dissimuler, ses quatorze ans de vie sous le Consulat et sous l’Empire avaient donné à Beyle une empreinte ; il resta marqué au coin de cette grande époque, et c’est en quoi il se distingue de la génération des novateurs avec lesquels il allait se mêler en les devançant pour la plupart. […] Il commence cette petite guerre qu’il fera au caractère de notre nation, chez qui il veut voir toujours la vanité comme ressort principal et comme trait dominant : « La nature, dit-il, a fait le Français vain et vif plutôt que gai. » Et il ajoute : « La France produit les meilleurs grenadiers du monde pour prendre des redoutes à la baïonnette, et les gens les plus amusants. […] Que la vanité (puisqu’il veut l’appeler ainsi), élevée jusqu’au sentiment de l’honneur, produise des héros, je l’accorderai encore ; mais que cette vanité produise la gaieté vive, franche, amusante et délicieuse d’un Collé ou d’un Désaugiers, c’est ce que je conçois difficilement, et tous les Condillac du monde ne m’expliqueront pas cette transformation d’un sentiment si personnel en une chose si imprévue, si involontaire. […] Longtemps je n’ai dû qu’à lui (et quand je dis je, c’est par modestie, je parle au nom de bien du monde) le sentiment italien vif et non solennel, sans sortir de ma chambre.

1535. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

Je commence à m’apercevoir que la plupart ne savent que ce que les autres ont pensé ; qu’ils ne sentent point, qu’ils n’ont point d’âme ; qu’ils ne jugent qu’en reflétant le goût du siècle, ou les autorités, car ils ne percent point la profondeur des choses ; ils n’ont point de principes à eux, ou s’ils en ont, c’est encore pis ; ils opposent à des préjugés commodes des connaissances fausses, des connaissances ennuyeuses ou des connaissances inutiles, et un esprit éteint par le travail ; et, sur cela, je me figure que ce n’est pas leur génie qui les a tournés vers les sciences, mais leur incapacité pour les affaires, les dégoûts qu’ils ont eus dans le monde, la jalousie, l’ambition, l’éducation, le hasard. […] Mais, encore un mot de vous : vous enfouissez, si vous ne travaillez, les plus grands talents du monde ! […] — Est-ce qu’il n’y en a pas ailleurs, qui, avec autant de beauté, ont plus de délicatesse, plus de monde, plus de tour, plus de raffinement dans l’esprit, et dont le commerce vous serait aussi avantageux qu’agréable ? […] Mais pendant ce temps-là, Mirabeau court le monde, rompt avec sa dame, arrive à Paris et s’y établit. […] lui qui croit sentir mieux que Mirabeau ce que c’est que l’ambition et la grande, ce que c’est qu’être acteur tout de bon dans ce monde ; qui ne ferait pas fi de cette scène de la Cour s’il y était ; qui ne verrait dans ce Versailles même qu’un vaste champ ouvert à ses talents de toute sorte, y compris l’insinuation et le manège (l’honnête manège, comme il l’entend et dont il se pique avec un reste d’ingénuité), il éclate et tire le rideau de devant son cœur, par une admirable lettre, qui sera suivie de plusieurs autres pareilles ; de sorte que Mirabeau, arrivé en cela à ses fins, a raison de s’écrier : « Ne vous lassez pas de m’en écrire… Je vous aurai par morceaux, mon cher Vauvenargues, et quelque jour je vous montrerai tout entier à vous-même. » Ces lettres, en effet, qui sont mieux que des pages d’écrivain, manifestent l’âme même de l’homme, l’âme virile dans sa richesse première et à l’heure de son entrée en maturité.

1536. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

Je ne songe au monde qu’à m’en bien acquitter, pour mériter avec quelque justice cette manque de votre estime. » Catinat se rendit aussitôt à Turin pour se renseigner et se concerter avec la Cour. […] Les ambassadeurs suisses firent alors un dernier et suprême effort de médiation ; dans une lettre des plus pressantes qui fut lue en chaire par toutes les paroisses vaudoises, ils disaient81 : « Nous avons vu que vous avez beaucoup de peine à vous résoudre de quitter votre patrie, qui vous est d’autant plus chère que vos ancêtres l’ont possédée par plusieurs siècles et défendue valeureusement avec la perte de leur sang ; que vous vous confiez que Dieu, qui les a soutenus plusieurs fois, vous assistera aussi et que vous appréhendez même qu’une déclaration pour la sortie ne soit qu’un piège pour vous surprendre et accabler : nous vous dirons pour réponse que nous convenons avec vous que la loi qui oblige à quitter une chère patrie est fort dure ; vous avouerez que celle qui oblige à quitter l’Éternel et son culte est encore plus rude, et que de pouvoir faire le choix de l’un avec l’autre est un bonheur qui, en France, est refusé à des personnes de haute naissance et d’un éminent mérite, et qui s’estimeraient heureuses si elles pouvaient préférer une retraite à l’idolâtrie. » Quelle tache et quelle honte pour la France de Louis le Grand qu’une atroce injustice comme celle-ci trouve presque à se glorifier et à s’absoudre par l’exemple d’une injustice plus abominable encore, dont elle offrait alors au monde l’odieux et parfait modèle ! […] « Il faut, disaient encore les auteurs de cette lettre éloquemment résignée et presque aussi apostolique que politique, il faut subir les lois de la Providence divine qui, par les révolutions, met la foi de ses enfants à l’épreuve pour leur détacher les cœurs de ce monde, afin de chercher avec d’autant plus d’ardeur la patrie et cité permanente du Ciel. […] Il n’y a point de salaire en ce monde qui puisse obliger les hommes à tant souffrir. […] C’est pourtant là une affreuse conséquence de la guerre, qu’il y ait un lieu au monde où le nom de Catinat soit en exécration, comme celui de Mélac dans le Palatinat.

1537. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

« Les bains de Mme de Dino ont été retardés par les pluies, ce qui fait qu’elle a passé quatre ou cinq jours fort inutilement dans le plus vilain endroit du monde : elle n’a pu commencer son traitement d’eaux qu’hier. — Vous ne me mandez point de nouvelles, et je suis tout près de vous en remercier. […] Je crois que je vous écrirai encore une fois d’ici. — Il me semble que tout le monde a quitté Paris : il n’en arrive point de lettres, de telle sorte que je ne saurai plus comment va le monde, surtout s’il y a censure. — L’affaire Maubreuil, que je lis dans les journaux35, me paraît se réduire à ceci : Donnez-moi de l’argent ou je ferai du scandale. […] La route de Chiswick était couverte de monde, et du monde de toutes les classes. […] Quand on songe qu’en ses heures d’austérité il avait dit ce mot : « Il y a deux êtres dans ce monde que je n’ai jamais pu voir sans un soulèvement intérieur : c’est un régicide et un prêtre marié », on conviendra qu’il eut à y mettre du sien.

1538. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Mais le pusillanime empereur romain qui se cachait dans les latrines de son palais au moment de sa mort avait toujours été le même, et le Breton Caractacus fut aussi noble dans la capitale du monde que dans ses forêts. […] Pour moi, je me suis sauvé dans la solitude, et j’ai résolu d’y mourir, sans me rembarquer sur la mer du monde. […] Ses regards n’ont donc jamais erré dans ces régions étoilées, où les mondes furent semés comme des sables ? […] Le tombeau est-il un abîme sans issue ou le portique d’un autre monde ? […] C’était ordinairement dans ces soirées que mes amis me faisaient parler de mes voyages ; je n’ai jamais si bien peint qu’alors les déserts du nouveau monde.

1539. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

Toute la nature et tous les livres lui fournissent des comparaisons, des images, des agréments : il a une libre fantaisie qui se promène à travers le monde, ramassant toutes les curiosités et toutes les singularités, à la façon de Montaigne. […] Avant lui, Du Bellay et De la Taille n’avaient fait qu’y toucher : Vauquelin fit cinq livres de satires, discours d’un bon homme qui sait par cœur Horace, Perse, Juvénal, et qui a ouvert les yeux avec indulgence sur le monde. […] L’individu qui a tenté de se faire centre et maître du monde, reçoit une règle et restreint ses ambitions. […] La centralisation littéraire n’est pas faite : la littérature échappe encore au joug du monde et de la cour. […] Lanson, la Littérature française sous Henri IV, Antoine de Montchrétien, Revue des Deux Mondes, 15 sept. 1891.

1540. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Victor Duruy » pp. 67-94

Car, si l’univers a un but, il faut que ce soit, pour le moins, d’être connu de l’homme et de se réfléchir en lui, puisque, au surplus, les métaphysiciens nous disent que le monde n’existe qu’en tant qu’il est pensé par nous. « Science sans conscience est la ruine de l’âme ». […] Après tout, la conquête romaine, relativement douce aux vaincus, substitua aux lois étroites de la République les lois générales et moins dures de l’Empire ; elle aplanit sans le savoir, pour la propagande chrétienne, tout le champ méditerranéen, et, d’autre part, respecta presque toujours l’indépendance de la pensée philosophique et commença de fonder, à travers le monde, la république des libres esprits ; elle fut enfin, pour une portion considérable de la race humaine, un puissant agent d’unité, encore qu’imparfaite et bientôt défaite… Et puis, nous venons de Rome ; et Victor Duruy ne peut se défendre d’aimer en Rome, initiée de la Grèce et notre initiatrice dans le travail jamais achevé de la civilisation, l’aïeule même de la France. […] Elle se relèvera si elle reconnaît bien le grand courant du monde, et si elle s’y plonge et s’y précipite… L’humanité, comme Dieu même, n’a que des idées fort simples et en petit nombre, qu’elle combine de diverses manières… » Il marquait alors la suite historique de ces combinaisons et il admirait ce long effort « logique » pour affranchir « le fils du père, le client du patron, le serf du seigneur, l’esclave du maître, le sujet du prince, le penseur du prêtre, l’homme de sa crédulité et de ses passions », pour mettre « légalité dans la loi, la liberté dans les institutions, la charité dans la société, et donner au droit la souveraineté du monde ». […] Sans prétendre définir dans la grande rigueur ces idées entrevues par la conscience et sommées par elle d’être des vérités, il croyait en Dieu, à une survie de l’âme et à une responsabilité par-delà la mort, à une signification morale du monde et, malgré sa marche un peu déconcertante, au progrès.

1541. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

Les images du monde extérieur sont comme les mots d’une langue. […] Les Formes sont le verbe de l’être qui écrivit avec des mondes sa pensée ou lui-même. […] Mais, outre que le nombre est par nature l’intermédiaire du monde idéal au monde des apparences, dans les belles cathédrales le détail du monument est si bien fondu avec les grandes lignes et celles-ci expriment si naturellement l’idée religieuse que chaque courbe est véritablement subordonnée à la perfection harmonieuse d’une unité. […] Vielé-Griffin les prend ordinairement dans le monde immédiatement visible.

1542. (1890) L’avenir de la science « XIII »

Leur spécialité devient ainsi pour eux un petit monde où ils se renferment obstinément et dédaigneusement. […] Ils croient pouvoir combiner à leur façon les notions éparses et incomplètes qu’ils possèdent et multiplient ainsi l’inexactitude, qui, au bout de trois ou quatre siècles, devint telle que, quand au XIVe siècle la véritable antiquité grecque commença d’être immédiatement connue, il sembla que ce fût la révélation d’un autre monde. […] Au XIVe siècle enfin (hors de l’Italie), l’inexactitude atteint ses dernières limites ; la civilisation grecque n’est pas plus connue que ne le serait l’Inde si, pour rétablir le monde indien, on n’avait que les notions que nous en ont laissées les écrivains de l’antiquité classique. […] N’est-ce pas le progrès de la grammaire qui a perfectionné l’interprétation des textes et par là l’intelligence du monde antique ? […] Il faut donc simplement traduire : « Mais mon royaume n’est pas de ce monde. » — Une autre discussion des plus importantes et des plus vives de toute l’exégèse biblique (Isaïe, chap. 

1543. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Le but du monde, c’est l’idée ; mais je ne connais pas un cas où l’idée se soit produite sans matière ; je ne connais pas d’esprit pur ni d’œuvre d’esprit pur. […] Et le résultat final, c’est encore que le plus grand des sages a été l’Ecclésiaste, quand il représente le monde livré aux disputes des hommes, pour qu’ils n’y comprennent rien depuis un bout jusqu’à l’autre. […] L’esprit humain ne serait pas ce qu’il est sans elle, et j’ose dire que vos sciences, dont j’admire si hautement les résultats n’existeraient pas s’il n’y avait, à côté d’elles, une gardienne vigilante pour empêcher le monde d’être dévoré par la superstition et livré sans défense à toutes les assertions de la crédulité. […] Le moment où il est venu au monde est un âge particulier, comme tous les autres âges, dans l’histoire de notre globe et de l’humanité. […] Or, le monde prêtant à la fois au rire et à la pitié, la gaieté a bien aussi sa raison d’être ; une foule de choses ne peuvent s’exprimer que par là.

1544. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVII. Rapports d’une littérature avec les littératures étrangères et avec son propre passé » pp. 444-461

Tel fait, qui s’est passé à Paris ou à Londres, se propage et se répercute au bout du monde avec une merveilleuse rapidité. […] On peut pressentir et, en partie, constater une pénétration mutuelle des races qui habitent notre vieux monde. […] Au moyen âge elles sont peu puissantes, peu nombreuses ; on n’en compte guère que cinq foyers principaux, l’antiquité profane et surtout latine, l’antiquité juive et chrétienne, le monde celtique, la civilisation germanique, l’Orient musulman. […] Chacune d’elles, dans ses instants de rayonnement plus intense, répand sur le monde des idées qu’elle a marquées de son empreinte ; chacune, dans ses intervalles d’obscurcissement relatif et de reploiement sur elle-même, repense, mûrit, amende, perfectionne ce qu’elle a reçu des quatre coins du globe. […] C’est ainsi que la lumière, qui met des années et des années à nous arriver des étoiles lointaines, nous en révèle l’histoire ancienne et peut même nous apporter des nouvelles de mondes qui ne sont plus… » Je suis heureux de pouvoir ajouter que la cause de méprise, signalée ici, n’existe plus au même degré qu’en ce temps-là.

1545. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

Quand il s’annonça au monde, la société en détresse appelait un sauveur ; la civilisation, épuisée par d’affreuses luttes, était à l’une de ces crises où ce sauvage, qu’elle porte toujours en son sein, se relève avec audace, et se montre tout prêt à l’accabler. […] Rien n’égale en beauté, comme création de génie majestueuse et bienfaisante, l’œuvre pacifique du Consulat, le Code civil, le Concordat, l’administration intérieure organisée dans toutes ses branches, la restauration du pouvoir dans tous les ordres ; c’est un monde qui renaît après le chaos. […] Je ne sais pas de spectacle plus philosophique, plus fécond en réflexions de tout genre, que celui de ces deux hommes accoudés durant des heures à une table, une carte déployée sous leurs yeux, et se partageant à eux deux le monde. […] Je me suis promis, au contraire, de braver son pouvoir tyrannique, car il m’a été infligé de vivre en des temps où elle domine et trouble le monde. […] Ainsi va la Fortune à la guerre comme dans la politique, comme partout en ce monde agité, théâtre changeant, où le bonheur et le malheur s’enchaînent, se succèdent, s’effacent, ne laissant, après une longue suite de sensations contraires, que néant et misère !

1546. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

Je ne l’aime pas quand elle est en adoration devant son idole, quand elle lui parle solennellement de l’univers, quand à propos d’un imprimé de lui, qu’il lui fait parvenir par la petite poste, elle s’écrie : « J’ai soupiré de ne pouvoir pas prendre l’univers à témoin d’une distinction si flatteuse. » Elle me paraît peu aimable quand elle lui dit encore : « Vous avez le plus beau génie du siècle ; moi j’ai le meilleur cœur du monde… Vous êtes digne qu’on vous élève des statues ; moi je suis digne de vous en élever. » Tout cela est déclamatoire, comme une page même de Jean-Jacques. […] Les philosophes avaient eu beau lui dire qu’il ne serait pas encore arrivé à Calais sans s’être brouillé avec lui, Hume n’en croyait rien ; il le voyait si doux, si poli, si modeste, si naturellement gai et de si agréable humeur dans la conversation : Il a, disait-il, les manières d’un homme du monde plus qu’aucun des lettrés d’ici, excepté M. de Buffon, dont l’air, le port, l’attitude répondent plutôt à l’idée d’un maréchal de France qu’à celle qu’on se fait d’un philosophe. […] Rousseau est de petite taille, et serait plutôt laid s’il n’avait pas la plus belle physionomie du monde, ou du moins la plus expressive. […] Il est comme un homme qui serait nu, non seulement nu de ses vêtements, mais nu et dépouillé de sa peau, et qui, ainsi au vif, aurait à lutter avec l’intempérie des éléments qui troublent perpétuellement ce bas monde. […] S’il a été son propre bourreau et s’il s’est beaucoup troublé lui-même, il a encore plus troublé le monde.

1547. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

Marié à la fille du maréchal de Lorges, vivant vertueusement et à la fois dans le plus grand monde, il se montrait, en toute occasion, très jaloux de soutenir les prérogatives attachées au rang de duc et pair ; il s’engagea, à ce propos, dans plusieurs procès et contestations qu’il soutint avec chaleur, et qui lui donnaient, de son temps même, une légère teinte de manie et de ridicule. […] Saint-Simon n’a jamais pu entrer avec utilité, a-t-on dit, dans le train des affaires de ce monde et dans le maniement des choses de son temps. […] Il y a deux manières de prendre les choses et les personnages du monde et de l’histoire : ou bien de les accepter par leurs surfaces, dans leur arrangement spécieux et convenu, dans leur maintien plus ou moins noble et grave ; et cette première vue est facile, presque naturelle, quand il s’agit d’époques comme celle de Louis XIV, auxquelles le décorum a présidé. […] Après avoir mis assez adroitement le Saint-Esprit de son côté, puisque le Saint-Esprit lui-même n’a pas dédaigné de dicter les premières histoires, il en conclut qu’il est permis de regarder autour de soi, d’avoir pour soi-même cette charité bien ordonnée qui consiste à ne pas rester, en présence des intrigants, à l’état d’aveugles, d’hébétés et de dupes continuelles : « Les mauvais qui, dans ce monde, ont déjà tant d’avantages sur les bons, en auraient un autre bien étrange contre eux s’il n’était pas permis aux bons de les discerner, de les connaître, par conséquent de s’en garer… » Enfin, la charité, qui impose tant d’obligations, ne saurait imposer « celle de ne pas voir les choses et les gens tels qu’ils sont ». […] Un personnage, comme dans le monde, en amène un autre ; on accoste, on est accosté ; on fend comme on peut la presse.

1548. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

Lui si affable et si ouvert à tous, il craignait le monde, le beau monde ; il ne put jamais s’acclimater aux salons de Mme Geoffrin, de Mme Du Deffand, de Mme Necker et autres belles dames. […] Il excellait à prendre pour un temps et à volonté cet esprit d’autrui, à s’en inspirer et souvent mieux que cet autre n’avait fait lui-même, à s’en échauffer non seulement de tête, mais de cœur ; et alors il était le grand journaliste moderne, l’Homère du genre, intelligent, chaleureux, expansif, éloquent, jamais chez lui, toujours chez les autres, ou, si c’était chez lui et au sein de sa propre idée qu’il les recevait, le plus ouvert alors, le plus hospitalier des esprits, le plus ami de tous et de toute chose, et donnant à tout son monde, tant lecteurs qu’auteurs ou artistes, non pas une leçon, mais une fête. […] c’est comme tous les autres ennuyeux du monde. » Les analyses ou plutôt les peintures que Diderot a données de L’Accordée de village, de La Jeune Fille pleurant son oiseau mort, de La Mère bien-aimée, etc., sont des chefs-d’œuvre et de petits poèmes à propos et en regard des tableaux. […] On y parle de la nature, de l’art, et de leurs rapports délicats ; on y parle du monde ; de l’ordre universel, et du point de vue relatif à l’optique humaine.

1549. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) «  Mémoires de Gourville .  » pp. 359-379

Gourville aime à s’entremettre, c’est sa vocation ; il est de ceux à qui la Nature a dit, en les créant, de courir à travers le monde et d’y faire leur chemin, en étant les bienvenus de tous et en les servant, sans s’oublier eux-mêmes. […] La destinée veut qu’il ne se passe rien de considérable dans le monde qu’il ne s’y trouve ; et toute la fortune du royaume et de M. le cardinal n’est pas assez grande pour nous faire battre les ennemis, s’il n’y joint la sienne. […] Notez que cet emprisonnement de Gourville paraît être, d’après ce que lui-même raconte, assez injuste et peu fondé en motifs ; mais il ne s’en indigne pas ; il n’a pas cette faculté de s’indigner de l’injustice ; il connaît trop son monde, il ne prétend que faire tourner le plus possible cet accident à profit pour l’avenir. […] Tel il parut encore à la mort de M. de La Rochefoucauld, son premier patron, et qui l’avait mis en circulation dans le monde : « Jamais un homme n’a été si bien pleuré, écrit Mme de Sévigné à sa fille (26 mars 1680) : Gourville a couronné tous ses fidèles services dans cette occasion ; il est estimable et adorable par ce côté de son cœur, au-delà de ce que j’ai jamais vu ; il faut m’en croire. » Dans cette relation finale avec M. de La Rochefoucauld, Gourville se trouvait un peu en rivalité et en délicatesse intestine avec Mme de La Fayette, dont il a laissé un portrait plus malicieux qu’on ne voudrait. […] Je ne sais si le plaisir que j’avais, ou l’honneur que cela me faisait dans le monde, ne pouvait point avoir un peu favorablement augmenté les idées que j’avais de lui.

1550. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Il avait dix-sept ans, et le voilà seul à faire son chemin dans le monde. […] J’ai formé ici une nouvelle connexion qui durera à l’éternité. — Mécontent de ce refus de mon Eurydice, j’ai pris tout de suite la résolution de quitter ces ombres ingrates, et de revenir en ce bon monde revoir le soleil et vous. […] Le dévouement d’un chevalier d’Assas, la passion d’un chevalier Des Grieux, la poésie de Parisina ou d’Ariel, tout cela se tient dans la pensée, et il nous semble, au moins dans la jeunesse, que c’est manquer d’ailes et d’essor que de ne point passer à volonté d’un de ces mondes à l’autre. […] Il était très frappé de ce que peut faire de prodigieux changements dans le monde un seul homme d’une capacité raisonnable, quand il s’applique avec suite et fixité à son objet, et quand il s’en fait une affaire. […] C’était un homme qui ne manquait jamais une occasion de donner une leçon utile, et là-dessus il me dit : « Vous êtes jeune, et vous avez le monde devant vous ; baissez-vous pour le traverser, et vous vous épargnerez plus d’un bon choc. » Cet avis, ainsi inculqué, m’a été fréquemment utile, et j’y pense souvent quand je vois l’orgueil mortifié et les mésaventures qui arrivent aux gens pour vouloir porter la tête trop haute.

1551. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

Je cours après le temps que j’ai perdu si inconsidérément dans ma jeunesse, et j’amasse, autant que je le puis, une provision de connaissances et de vérités. » Plus tard, bientôt, au lendemain de son avènement au trône, la passion le saisira ; l’amour de la gloire, l’idée de frapper un grand coup au début et de marquer sa place dans le monde le fera, coûte que coûte, guerrier et conquérant ; il semblera oublier ses vœux et ses serments philosophiques de la veille ; il oubliera qu’il vient justement de réfuter Machiavel, il distinguera entre la morale qui oblige les particuliers et celle qui doit diriger le souverain. […] Il rappelle plus d’une fois son généreux et plus confiant ami, M. de Suhm, à la réalité et à l’expérience : les Descartes, les Newton, les Leibniz peuvent venir et se succéder, sans qu’il y ait danger pour les passions humaines de perdre du terrain et de disparaître : « Selon toutes les apparences, on raisonnera toujours mieux dans le monde, mais la pratique n’en vaudra pas mieux pour cela. » Dans sa douce et studieuse retraite de Remusberg, regrettant l’ami absent : Il me semble, lui écrit-il (16 novembre 1736), il me semble que je vous revois au coin de mon feu, que je vous entends m’entretenir agréablement sur des sujets que nous ne comprenons pas trop tous deux, et qui cependant prennent un air de vraisemblance dans votre bouche. […] Le comte de Münnich paraît vouloir faire l’Alexandre de ce siècle… Il y a un bonheur à venir à propos dans le monde, sans quoi on ne fait jamais rien. […] Nous allons représenter l’Œdipe de Voltaire, dans lequel je ferai le héros de théâtre ; j’ai choisi le rôle de Philoctète ; il faut bien se contenter de quelque chose… M. de Suhm, qui l’a compris, et qui lit, à travers cette indifférence soi-disant philosophique, le regret et le tourment d’une âme amoureuse des grandes choses, lui va toucher la fibre secrète et le rassure en lui disant : La réflexion que vous faites, Monseigneur, sur le bonheur qu’il y a à venir à propos dans le monde est des plus justes, et serait très propre à consoler le héros (le prince d’Anhalt) dont Votre Altesse Royale a une si haute opinion, si à ses qualités guerrières il savait joindre votre philosophie, Monseigneur. […] Je suis bien aise de vous donner encore ce témoignage consolant avant de descendre du théâtre de ce monde, où vous avez joué le rôle d’un parfaitement honnête homme, qui est bien le plus glorieux pour les mortels.

1552. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Écrivain, il se recommande encore aujourd’hui par de véritables mérites : ses quatre volumes de Souvenirs sont d’une très agréable et instructive lecture ; ses tragédies, pour être appréciées, ont besoin de se revoir en idée et de se replacer à leur moment ; mais ses fables, ses apologues, plaisent et parlent toujours ; un matin, dans un instant d’émotion vraie et sous un rayon rapide, il a trouvé quelques-uns de ces vers légers, immortels, qui se sont mis à voler par le monde comme l’abeille d’Horace et qui ne mourront plus : c’est assez pour que, nous qui aimons à rechercher dans le passé tout ce qui a un cachet distinct et ce qui porte la marque d’une époque, nous revenions un instant sur lui et sur sa mémoire. […] Il avait pour lui ces avantages de la jeunesse et de la nature qui ne sont pas inutiles pour assurer à l’esprit toute sa valeur aux yeux du monde. […] Au milieu d’une vie occupée de devoirs administratifs ou mêlée au monde, c’était sa forme favorite de poésie morale ou légère. […] [NdA] Les affaires et le monde prirent la meilleure partie de la vie d’Arnault. […] j’aime bien à me f… du monde, mais je n’aime pas que les autres se f… comme ça de moi. » Il avait le fin mot, mais il ne se refusait pas le gros mot.

1553. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

Est-il au monde une manière de penser plus personnelle, plus individuelle que celle de Pascal ? […] S’il y a un poëte dans le monde qui ne ressemble à aucun autre, c’est le grand Corneille : j’en dirais autant de Racine, si Virgile n’avait pas existé. […] Bossuet est la plus grande imagination que nous ayons dans notre littérature, c’est une imagination biblique, homérique, grande, fière, simple, naïve, hardie, ayant toutes les qualités sans un seul défaut, et dans cet écrivain si surprenant, le premier de la France sans aucun doute, et qui n’a peut-être de rival dans toutes les littératures du monde que Platon, vous vous oubliez à nous faire admirer son bon sens, à nous montrer les limites de ses pensées, à lui faire un mérite de ces limites mêmes ! […] Ce n’est pas seulement sur deux points particuliers que Bossuet me paraît s’être trompé : c’est sur tout un ensemble de faits qui, dans la politique, dans la science, dans la conscience, se sont produits à partir du xve  siècle, et qui, espérons-le, sont appelés à conquérir le monde. […] « Le bon sens (dit Descaries dans la première phrase du Discours de la méthode) est la chose du monde la mieux partagée. »

1554. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre III : Concurrence vitale »

Ces merveilleuses adaptations nous frappent d’étonnement dans le Pic et le Gui ; elles existent, bien que moins apparentes, dans le plus humble parasite qui s’attache aux poils d’un quadrupède ou aux plumes d’un oiseau, dans la structure du Coléoptère qui plonge sous l’eau, dans la graine ailée que la moindre brise emporte : en un mot, dans le monde organique tout entier, comme en chacun de ses détails nous voyons d’admirables harmonies. […] Bien que quelques espèces soient actuellement en voie de s’accroître en nombre, plus ou moins rapidement, il n’en saurait être de même pour la généralité, car le monde ne les contiendrait pas. […] L’exemple de plusieurs d’entre nos races domestiques redevenues sauvages en diverses parties du monde est encore plus frappant. […] Si ces ennemis ou ces concurrents sont le moins du monde favorisés par un léger changement de climat, ils s’accroîtront en nombre, et, comme chaque région est déjà peuplée d’un nombre suffisant d’habitants, les autres espèces devront décroître. […] Néanmoins, notre ignorance est si profonde, et notre présomption si haute, que nous nous émerveillons d’apprendre la destruction d’une espèce ; et parce que nous n’en voyons pas la cause, nous supposons des cataclysmes pour désoler le monde, ou inventons des lois sur la durée des formes vivantes.

1555. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre X. »

Ô peuple antique d’Athènes, tant loué par vous-même et par tous les peuples, élite ingénieuse du monde, avez-vous jamais senti plus grande ivresse que le jour où, dans votre ville reconquise par vos matelots, en face de vos temples conservés en ruines et tout noircis encore des feux allumés pour les détruire, vous vous pressiez à la grande fête de la destruction ries Perses étalée en drame sur votre théâtre, et vous entendiez retentir, comme l’hymne de votre délivrance, ces cris de douleur de l’Asie vaincue ? […] viens, avance, montre à l’extrémité de la tombe la semelle empourprée de tes pieds ; et dévoilant l’éclat de ta royale tiare, viens, ô père, ô tutélaire Darius, afin d’entendre nos nouveaux, nos derniers malheurs ; et apparais-nous comme le maître du monde. […] Quelle devait être sur les peuples de la Grèce accourus aux pompes sacrées d’Athènes la puissance de ces hymnes de gloire et de ces plaintes funèbres, apothéose et prophétie de la destinée diverse de deux mondes ; du monde civilisé et du monde barbare !

1556. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

Quittons donc un moment l’Europe et les Indes, terres de l’imagination, traversons le Thibet qui sépare d’une muraille presque perpendiculaire de glace les deux plus vastes empires du monde, et jetons un regard profond sur la Chine, ce pays de la raison par excellence. […] Ils ont fait beaucoup de lois, mais ce sont des lois athées, des lois de propriété, des lois d’héritage, des lois de famille, des lois d’administration, aucunes lois vraiment divines et humaines selon la grande acception de ces deux mots ; race de brigands qui s’est contentée de bien distribuer les dépouilles du monde. […] Nous avons lu souvent et attentivement tout ce qui a été écrit sur ce livre sacré des Kings et une partie de ce que leur commentateur Confucius en a extrait ; il est impossible d’y méconnaître l’empreinte d’une vétusté de civilisation, de sagesse morale et d’industrie humaine qui reporte la pensée au-delà des bornes et des dates du monde européen. […] On l’a déjà dit, et nous ne craignons pas de le répéter, il n’y a aucun livre profane, ancien dans le monde, qui ait passé par plus d’examens que ceux que nous appelons King, par excellence, ni dont on puisse raconter si en détail l’histoire et prouver la non-altération. […] Il n’y a pas de barbare au berceau du monde, toutes les races sont nobles, car elles descendent toutes de Dieu !

1557. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

Le premier chantre du monde pouvait-il, en effet, naître d’une autre origine que de l’union d’Apollon, le dieu des vers, avec la muse à la belle voix, Calliope ? […] Avance résolument dans cette voie, les yeux uniquement fixés sur l’Éternel qui a formé le monde ; le voici tel que la parole l’a jadis représenté. […] Et toi, dans ma douleur demeure ensevelie, Je ne t’oublîrai pas, si le monde t’oublie. […] Il ne dit rien à ses amis, ni à sa fiancée ; il disparut pendant plus d’un an du monde ; quand il y reparut, son supplice l’avait amaigri et pâli. […] Tu t’abreuves de la divinité des choses idéales, cette divinité du monde supérieur où tu vis !

1558. (1922) Enquête : Le XIXe siècle est-il un grand siècle ? (Les Marges)

Nous avons eu beaucoup de grands hommes, promis au plus hautes destinées, qui ont été devant nous jetés sur le tapis du monde, disputés entre la vie et la mort, et plus d’une fois la vie a perdu la partie. […] Néanmoins on discerne chez la plupart des écrivains une sorte d’effort critique sur eux-mêmes et sur leur temps pour acheminer la France intellectuelle à ses destinées normales et pour l’aider à remplir son rôle d’initiatrice, d’excitatrice et de guide dans l’évolution du monde moderne. […] Ce sont précisément ceux-là que l’étranger lit et admire le plus, d’abord parce que les contemporains sont toujours plus accessibles à la majorité des lecteurs, et aussi parce qu’ils représentent cette France moderne qui a conquis les sympathies du monde. […] Mais il est vrai aussi que ce temps dans sa frénésie à s’affranchir de toute discipline et sa superstition pour ce qu’il a appelé la Science, sans trop savoir ce qu’il entendait par là, a compromis son génie, altéré son art, et conduit le monde à l’abêtissement. […] Les principales idées dont le monde tressaille trouvent chez nous leurs hommes représentatifs.

1559. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1887 » pp. 165-228

Elle dit que c’est presque une réunion de famille, que les cinq cents personnes, qu’on rencontre partout à Paris, se donnent rendez-vous là, et qu’entre ce monde, il s’établit des courants curieux sur les choses qui se disent, sur les jugements qui se produisent. […] Sur ce ciel, les grands arbres noirs, non feuillés encore, mais à la ramure infinie en éventail, et pareils à ces fougères gigantesques du monde antédiluvien, qu’on découvre calcinées au fond des mines ; et sous cette obscurité toute cloutée de feu, des souffles énormes balançant, et faisant gémir ces arbres couleur de charbon, comme les arbres d’une planète autre que la terre, d’une planète en deuil. […] Ce soir, le violoniste Sivori nous raconte sa vie de voyages, commencée à onze ans, et promenée continuement dans les cinq parties du monde. […] » Et il termine, en me disant aimablement, que la fréquentation de ce monde, lui a fait apprécier la vérité des Frères Zemganno. […] Une jeune femme du monde me disait, ce soir, à propos d’un rêve sur Balzac, donné dans notre Journal, et où il y est parlé de lacunes, comme il y en a dans le Satyricon : — Qu’est-ce que vous avez pu vouloir dire par là… ça doit être salé… si vous saviez comme je me suis creusé la tête pour le deviner.

1560. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

Léonce vint au monde le 31 décembre. […] Ils demeuraient très Anglais dans cette initiation florentine, et le monde florentin, lui, ne changeait pas. […] C’était dans le monde, à la table hospitalière d’une grande dame qui aimait à réunir des notoriétés de tout ordre. […] Déjà le duc d’Aumale écartait ce nom des Trois Grâces et les remplaçait par cet autre les Trois Ages de la Femme, chacune tenant une boule qui figure le monde, « ce qui signifie », disait-il aux dames, « qu’à tout âge la femme tient l’empire du monde. » Une autre hypothèse, que M.  […] Dans quel sens la Revue des Deux Mondes l’a-t-elle servi, ce génie français, dont notre Académie est une des gardiennes ?

1561. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

Le monde va dîner joyeusement, et tout autour de soi, l’on perçoit le bavardage sur les heureux détails du combat d’aujourd’hui. […] En sortant de là, je suis frappé du peu de monde qu’on rencontre. […] Sur le boulevard, du monde, quelques jeunes gens. […] Tout ce petit monde féminin y mangeait, y couchait. […] Les engouffrements du vent rabattaient le bouquet d’épines sur ma tête, et la lumière écliptique, et le paysage ardu, et l’électricité de l’air, et la tourmente de ces branches égratignantes, me donnaient comme la sensation d’un monde inconnu, d’un monde primitif, d’un monde, semblable à ce monde d’avant le déluge, dont les lectures de ces jours-ci m’avaient rempli la tête.

1562. (1902) Le critique mort jeune

Le dieu intérieur tue l’homme, flétrit la vie, obscurcit le monde. […] Les juges en prononcent, le monde en tolère qui ne sont pas si bien fondés. […] Tant pis pour le monde, tant pis pour l’honorabilité, tant pis pour le nom de ma fille. […] Sous son front qui porte un monde, ses yeux sont clos ; il faudra bien qu’il vous suive ! […] Une satire assez atténuée du monde médical — oh !

1563. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

Je le conseille aux hommes rassasiés du monde qui ont passé les deux premiers tiers de leur existence. […] Les temps se répètent plus qu’on ne croit ; le monde tourne, mais ne change pas. […] Le poète justifiait à ses propres yeux son ralliement au maître du monde par les salutaires inspirations qu’il lui insinuait en si beaux vers. […] Les soupers de Frédéric avec Voltaire et ses amis à Sans-Souci, ce Tibur soldatesque de la Prusse, donnaient une idée assez exacte des soupers d’Auguste, où Mécène, Pollion, Virgile et Tibulle soupaient avec le maître du monde. […] « Le monde, dit-il, n’eut jamais d’âme plus candide. » À Capoue ils retrouvent leurs mules, qui portaient les bagages ; là ils quittent la route de Naples pour s’engouffrer dans les gorges de l’Apulie.

1564. (1860) Cours familier de littérature. IX « Le entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier (2e partie) » pp. 81-159

Son âme vive, mais tempérée, avait des goûts, mais point de jalousie ; il ne demanda jamais compte à Juliette de ses préférences ; il ne chercha ni à l’arracher à l’amour, ni à l’entraîner à la dévotion ; son affection ne mêle pas à l’encens du monde l’odeur de l’encens des cathédrales ; c’est un gentilhomme, ce n’est point un mystique ; son amour ne rougissait pas d’aimer. […] « Je voudrais réunir tous les droits d’un père, d’un frère, d’un ami, obtenir votre amitié, votre confiance entière, pour une seule chose au monde, pour vous persuader votre propre bonheur et vous voir entrer dans la seule voie qui puisse vous y conduire, la seule digne de votre cœur, de votre esprit, de la sublime mission à laquelle vous êtes appelée, en un mot pour vous faire prendre une résolution forte ; car tout est là. […] Cette piété prématurée n’était pour elle qu’une perspective de l’âge avancé ; l’ivresse du monde ne lui laissait pas le temps des réflexions ; la trempe même de son âme ne l’inclina jamais à la dévotion : celle qui n’avait pas assez de passion pour les hommes n’en avait pas assez non plus pour Dieu ; mais elle se prêtait complaisamment tantôt à ces voix qui voulaient la séduire, tantôt à ces voix qui voulaient la sanctifier. […] « Je me représente votre petit ménage de Val-de-Loup comme le plus gracieux du monde ; mais, quand on écrira la biographie de Mathieu dans la vie des saints, convenez que ce tête-à-tête avec la plus belle et la plus admirée femme de son temps sera un drôle de chapitre. […] Le monde est toujours juste ; il devine le fond des cœurs.

1565. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIe entretien. Molière et Shakespeare »

. — Maintenant sur la moitié du monde la nature semble morte, et des songes funestes abusent le sommeil enveloppé de rideaux. […] Je suis un homme, mon seigneur, tellement indigné par les indignes traitements du monde, ses outrageants rebuts, que pour me venger du monde toute action me sera indifférente. […] cette ligne se prolongera-t-elle jusqu’à ce que le monde se brise au dernier jour ? […] Je le ferai ; mais il faut bien aussi que je le sente en homme ; il faut bien que je me rappelle qu’il a existé un jour dans le monde des êtres qui étaient pour moi ce qu’il y a de plus précieux. […] Dieu seul connaît ce que j’ai souffert et ce que je suis destiné à souffrir encore en disputant, par un travail forcé, l’ombre de la dernière tuile de mon toit à l’inimitié du monde.

1566. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

Pour cela, il n’est pas besoin de fuir le monde : on peut se sauver dans toutes les conditions. […] La mort est l’immense, universelle, irréparable injustice de ce monde. […] Il se fit admirer surtout dans l’oraison funèbre : il eut toutes les qualités mondaines en parlant des gloires du monde, et même le tact suprême d’être sincèrement chrétien. […] Brunetière, la Philosophie de Bossuet, Revue des Deux Mondes, 1er août 1891 (Études critiques, t.  […] Brunetière, Revue des Deux Mondes, 1er février 1892 ; ; G.

1567. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Ainsi, à près de quatre siècles de l’époque où cette ébauche de langue sera la plus grande langue du monde moderne une partie déjà en est mûre, et restera. […] Ce sont ensuite beaucoup de tours propres à cet esprit, où se peignent ses mouvements les plus naturels, et qui lui sont venus du sol même, de l’auteur de toutes les variétés du monde physique et moral de Dieu. […] Je ne regrette pas non plus de trouver Joinville touché, au départ, d’un autre sentiment que la joie simple et profonde du maréchal de Champagne, à la vue de cette belle flotte, qui semblait destinée à conquérir le monde. […] Quelques-uns de ses entretiens avec saint Louis nous transportent dans un monde bien supérieur à celui où vivait Villehardouin. […] Hélas quel malheur ce fut pour l’empereur, Henri et pour tous les Latins de la terre de Remanie, de perdre, un tel homme par une telle mésaventure, un des meilleurs chevaliers, des plus vaillants et des plus généreux qui fût en tout le reste du monde !

1568. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

Il n’est pas rare qu’on aperçoive alors le monde extérieur sous un aspect singulier, comme dans un rêve ; on devient étranger à soi-même, tout près de se dédoubler et d’assister en simple spectateur à ce qu’on dit et à ce qu’on fait. […] Et il est naturel que nous pensions ainsi, parce que l’état de veille est celui qui nous importe pratiquement, tandis que le rêve est ce qu’il y a au monde de plus étranger à l’action, de plus inutile. […] C’est plutôt une oscillation de la personne entre deux points de vue sur elle-même, un va-et-vient de l’esprit entre la perception qui n’est que perception et la perception doublée de son propre souvenir : la première enveloppe le sentiment habituel que nous avons de notre liberté et s’insère tout naturellement dans le monde réel ; la seconde nous fait croire que nous répétons un rôle appris, nous convertit en automates, nous transporte dans un monde de théâtre ou de rêve. […] La perception présente attirerait alors à elle un souvenir similaire sans aucune arrière-pensée d’utilité, pour rien, pour le plaisir — pour le plaisir d’introduire dans le monde mental une loi d’attraction analogue à celle qui gouverne le monde des corps. […] FOUILLÉE, La mémoire et la reconnaissance des souvenirs, Revue des Deux Mondes, 1885, vol. 

1569. (1870) La science et la conscience « Chapitre I : La physiologie »

Dans ce débat entre la science et la conscience, l’opinion du monde savant semble quelque peu complice de la physiologie. […] De tout temps, qu’on s’entendît ou non sur les principes et sur les causes, deux ordres, on pourrait dire deux mondes de phénomènes ont été étudiés, décrits et classés. […] Comment l’aurais-je, si je ne suis pour rien dans ma mise au monde, dans la composition de mes organes, dans l’époque et le lieu de ma naissance ? […] Ainsi se trouvent réconciliées dans une science supérieure les deux écoles, le vitalisme et l’organicisme, qui ont tant occupé le monde savant de leurs débats. […] Ravaisson, que, dans aucune de ses parties, le monde n’est entièrement livré à la fatalité mécanique, que, sous l’action des lois mécaniques, physiques et chimiques, tout être, tout atome obéit à cette idée directrice dont M. 

1570. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — III. (Fin.) » pp. 246-261

Duclos, dans le monde, se déclarait tout haut incompatible avec les fourbes et les méchants. […] Je n’entrerai pas ici dans la discussion du genre de torts intimes que Mme d’Épinay a reprochés à Duclos, et qui sont trop voisins de l’alcôve : en réduisant ces torts à ce qui en rejaillit sur le caractère général de l’homme, il paraît certain que Duclos dans son habitude journalière, sorti de chez lui dès le matin et passant sa vie dans le monde, aimait à s’installer chez les gens, et qu’une fois implanté dans une maison, il y prenait racine, y dominait bientôt, s’y comportait comme chez lui, donnant du coude à qui le gênait, et y portait enfin, avec les saillies et les éclats de son esprit, tous les inconvénients de son impétuosité et de son humeur. […] Partout où il va, il est accueilli à merveille ; il retrouve de ses connaissances du grand monde de Paris et, jusque dans les Italiens de distinction, des compatriotes. […] Il n’est pas favorable aux religieux des ordres mendiants, mais il n’est pas contre toute espèce de communautés religieuses, et il les croit compatibles avec l’ordre politique moyen qu’il conçoit : Les religieux rentés, en France, sortent communément d’une honnête bourgeoisie, dit-il, paraissent peu dans le monde et sont, malgré beaucoup de plates déclamations, plus utiles à l’État qu’on ne le pense.

1571. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Les Chants modernes, par M. Maxime du Camp. Paris, Michel Lévy, in-8°, avec cette épigraphe. « Ni regret du passé, ni peur de l’avenir. » » pp. 3-19

Dans ces tours d’opinions où chaque académicien développe son avis, j’ai vu les hommes politiques qui y prenaient part motiver excellemment, et avec ce bon sens libre qui est la critique des honnêtes gens du monde, leur jugement détaillé sur des ouvrages dramatiques ou autres dont on avait à mesurer le mérite et à graduer le rang. […] …, d’envoyer des missionnaires à la recherche de toutes les belles choses encore inconnues dans le monde (mais c’est là encore une direction bien incertaine !) […] Babinet, est en train de nous le donner petit à petit dans ses articles de la Revue des deux mondes 2. […] À la fin d’une tournée en Écosse, et après en avoir noté en vers les principales circonstances pittoresques, le poète des lacs, revenant au monde du dedans et maintenant à l’esprit sa prédominance vivifiante, disait pour conclusion : Il n’y a rien de doux comme, avec les yeux à demi baissés, de marcher à travers le pays, qu’il y ait un sentier tracé ou non, tandis qu’une belle contrée s’étend autour du voyageur sans qu’il s’inquiète de la regarder de nouveau, ravi qu’il est plutôt de quelque douce scène idéale, œuvre de la fantaisie, ou de quelque heureux motif de méditation qui vient se glisser entre les belles choses qu’il a vues et celles qu’il verra.

1572. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

c’est ce dont il fait le plus de cas : « Ce monde, pense-t-il, appartient à l’énergie. » Lui si moral, si tempéré, il semble même par moments tout près de vouloir cette énergie à tout prix, tant il est l’ennemi de la mollesse et de l’indifférence : « À mesure que je m’éloigne de la jeunesse, écrivait-il à M.  […] Il ne pouvait se résoudre à dire avec Montaigne, « La vertu assignée aux affaires du monde est une vertu à plusieurs plis, encoignures et coudes pour s’appliquer et joindre à l’humaine faiblesse… » La correspondance s’anime beaucoup depuis la révolution de Février, et, toute tronquée qu’elle est, acquiert un grand intérêt. […] Ce n’est pas seulement le découragement de moi-même, mais des hommes, à la vue chaque jour plus claire du petit nombre de choses que nous savons, de leur incertitude, de leur répétition incessante dans des mots nouveaux depuis trois mille ans, enfin de l’insignifiance de notre espèce, de notre monde, de notre destinée, de ce que nous appelons nos grandes révolutions et de nos grandes affaires… Il faut travailler pourtant : car c’est la seule ressource qui nous reste pour oublier ce qu’il y a de triste à survivre à l’empire de ses idées, etc. […] Une pareille promenade devrait suffire pour apprendre à supporter paisiblement le mouvement de toutes les affaires de ce monde.

1573. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Questions d’art et de morale, par M. Victor de Laprade » pp. 3-21

Il met le monde des idées pures d’une part et celui des formes sensibles de l’autre ; il condescend à ce dernier avec peine. […] Je sais qu’en somme l’ordre d’idées qu’il embrasse et qu’il soutient est celui qui date de Platon et qui a partagé le vieux monde par opposition à la méthode d’observation, à celle d’Aristote. […] C’est toute une croisade : on se demande à quel propos, et contre qui elle est dirigée : car l’industrie moderne, tout occupée à se développer, à conquérir le monde et à régner sur notre planète, ne pense guère pour le moment à se traduire en poésie. […] Quant à la poésie véritable, qui ne consiste pas uniquement dans la description des formes, elle saura naître des merveilles de ce monde moderne, elle saura s’en accommoder ou même s’en inspirer, si d’aventure elle rencontre uneâme et un talent faits à sa mesure et d’un tour nouveau : c’est le secret de l’originalité.

1574. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 64-81

Et il y a l’autre Veuillot, celui qui s’amuse, qui, assis dans la tribune des journalistes ou étendu dans son fauteuil, lorgnant et lardant son monde, se tord de rire, a le rictus des servantes de Molière, exerce les justices du bon sens ou les avanies de sa passion, et mord à belles dents à même du prochain. Je pourrais ajouter, si ce n’était ici une digression, qu’il y en a un troisième, celui qu’on rencontre par hasard dans le monde, doux, poli, non tranchant, modeste dans son langage, d’un coup d’œil et d’un ton de voix affectueux, presque caressant ; il est impossible de l’avoir rencontré quelquefois et d’avoir causé avec lui sans avoir reconnu dans cet ogre tant détesté, et qui a tout fait pour l’être, l’homme doué de bien des qualités civiles et sociales. […] Vrai langage des rois et des maîtres du monde, Tu donnes à l’idée un corps ferme et vaillant. […] Frappé dans ses joies de famille, dans ses affections profondes, il a gémi ; il n’a pas seulement prié, il a chanté : écoutez ce chant imprévu qui révèle dans cette âme de lutte et de combat des sources vives de tendresse : Je ne suis plus celui qui, charmé d’être au monde, En ses âpres chemins avançait sans les voir ; Mon cœur n’est plus ce cœur surabondant d’espoir, D’où la vie en chansons jaillissait comme une onde.

1575. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Quoi de plus ravissant au monde que la chambre d’une jeune femme distinguée, honnête et un peu coquette ? […] Le vide et le besoin de croyance est devenu un lieu commun de conversation dans un certain monde poli, et même, apparemment, dans des coins de demi-monde. […] Notre artiste, simple amateur et très-homme du monde, qu’une première maladresse a mis en position un peu fausse vis-à-vis d’elle, n’a d’ailleurs que de l’aversion pour cette petite personne très-inconséquente. […] En fait, les personnages étant ce qu’ils sont et les choses ainsi posées et amenées, que se passerait-il dans le monde, dans la vie réelle et hors du roman ?

1576. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre II. Le mouvement romantique »

Parmi nos sensations, les unes sont représentatives de l’univers, et sont les matériaux avec lesquels nous construisons le monde extérieur dont nous portons en nous l’image ; les autres ne sont pas (directement du moins et facilement) représentatives, comme certaines sensations musculaires, et, pour la plupart des hommes, les sensations d’odorat et de goût : ces dernières, les romantiques en abandonneront l’expression à leurs successeurs, et ils se contenteront des premières. […] Nous avons noté, dans la société du temps, des indices d’exaltation passionnelle, et de dépression mélancolique ; nous y avons vu se faire la liaison des images du monde extérieur et des dispositions intimes de l’âme. […] Écrivains et artistes ont conscience d’être un même monde, de poursuivre pareilles fins par des moyens divers ; et ces rapports tendent à rendre aux écrivains le sens de l’art, leur rappellent qu’ils sont créateurs de formes et producteurs de beauté. […] Échappant aux influences du monde et du collège, nos poètes se trouvèrent affranchis de cette crainte du ridicule, qui paralyse toutes les originalités dans la vie mondaine, et dotés sur les petits secrets de l’art d’écrire de certaines ignorances favorables à la spontanéité de l’expression.

1577. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VII. L’antinomie pédagogique » pp. 135-157

Il insiste sur l’importance d’une « exposition esthétique du monde », en d’autres termes d’une conception intellectuelle et synthétique du monde, qui « place l’individu à sa vraie place dans le monde et dans l’humanité et doit provoquer en lui des sentiments correspondants68 ». […] Le jeune homme se rendra compte que la morale n’est pas la même ici et là ; à l’école et dans le monde ; au village, dans la petite ville et dans la grande ville.

1578. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre II. L’analyse interne d’une œuvre littéraire » pp. 32-46

Quand Théophile Gautier disait : « Je suis un homme pour qui le monde visible existe », — il voulait dire qu’il savait voir et décrire un intérieur, un paysage, un monument. […] On cherchera la conception que l’auteur se faisait du monde extérieur, de la société humaine, de la vie, de l’art, de l’ensemble des choses. […] La plupart du temps, on peut déterminer sans grande peine si une œuvre est d’esprit pessimiste ou optimiste, si elle présente le monde de façon qu’on l’aime et l’approuve tel qu’il existe, ou tout au moins qu’on le croie susceptible d’être amendé, ou bien si elle s’obstine à le montrer incurablement mauvais de façon à tuer l’espérance du mieux. […] Elle peut emporter les esprits au-delà du monde sensible, offrir des visions de choses surhumaines, s’élancer sur les ailes du rêve dans des régions inaccessibles à la science et à la raison.

1579. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIX. Cause et loi essentielles des variations du gout littéraire » pp. 484-497

Voici les premières : quand dans une société a dominé longtemps la tendance en une direction donnée, quand l’art, pendant une série d’années, s’est complu à montrer de préférence une face du monde, il est naturel, comme nous le disions plus haut, qu’on soit las de voir toujours la même chose, de marcher toujours du même côté. […] Il opère ou tente une quadruple révolution : une révolution économique, liée aux découvertes maritimes qui transportent du bassin de la Méditerranée aux bords de l’Atlantique le siège du grand commerce, qui ouvrent d’immenses débouchés à l’Europe soit aux Indes soit en Amérique, qui accélèrent la substitution de la richesse mobilière à la richesse terrienne, base du régime féodal ; une révolution intellectuelle qu’on a baptisée la Renaissance et qui n’est pas seulement la résurrection de l’antiquité classique, qui est aussi le réveil de l’esprit d’examen, l’essor de la pensée moderne, le point de départ d’une activité féconde dans les sciences, les lettres, la philosophie ; une révolution religieuse qu’on appelle la Réformation et qui, séparant l’Europe occidentale en deux confessions rivales, cause les guerres les plus atroces dont la différence de croyance ait jamais ensanglanté le monde ; enfin une révolution politique, conséquence des trois autres, qui ébranle les bases de la royauté, suscite des théories libérales et républicaines, des soulèvements populaires et même des appels au régicide. […] De 1715 à 1750, le monde, la société polie, la vie de salon imposent aux écrivains l’allure sémillante et le ton léger, même quand ils traitent les plus graves questions. […] Est-ce qu’il est possible aux nouveaux venus, même quand ils répudient une partie de ce legs, de faire table rase de ce qui a existé avant eux, de n’en tenir aucun compte, de recommencer toute la civilisation, comme si le monde datait de leur apparition sur la terre ?

1580. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie-Antoinette. (Notice du comte de La Marck.) » pp. 330-346

Son idéal de bonheur évidemment (chacun a le sien) était, au sortir des scènes de cérémonie qui l’ennuyaient, de trouver un monde aimable, riant, dévoué, choisi, au sein duquel elle parût oublier qu’elle était reine, tout en s’en ressouvenant bien au fond. […] Pour moi, je pense hardiment que l’intérêt qui s’attache à sa mémoire, que la pitié qu’excitent son malheur et la façon généreuse dont elle l’a porté, que, l’exécration que méritent ses juges et ses bourreaux, ne sauraient en rien dépendre de quelque découverte antérieure, tenant à une fragilité de femme, ni s’en trouver le moins du monde infirmés. […] Même dans le négligé, c’était une beauté de reine plutôt que de femme du monde : Aucune femme, a dit M. de Meilhan, ne portait mieux sa tête, qui était attachée de manière à ce que chacun de ses mouvements eût de la grâce et de la noblesse. […] L’affaire du Collier fut le premier signal de ses malheurs, et le bandeau qui lui couvrait jusque-là les yeux se déchira, Elle commença à sortir de son hameau enchanté, et à découvrir le monde tel qu’il est quand il a intérêt à être méchant.

1581. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence de la chaire. » pp. 205-232

Cet académicien obscur, un de ces hommes sans imagination, sans génie, sans usage du monde, mais qui percent la foule par la singularité, par de petites manœuvres cachées, par le masque imposant de la sévérité, par le ton caustique & frondeur, s’éleva contre la manière établie d’annoncer les vérités de la religion. […] Dès les premières années qu’il fut dans l’Oratoire, on s’apperçut qu’il aimoit le monde. […] Lorsqu’on demandoit à Massillon où il avoit pu trouver des peintures du monde aussi saillantes, aussi finies & aussi ressemblantes : dans le cœur humain, répondoit-il ; pour peu qu’on le sonde, on y découvrira le germe de toutes les passions. […] Une très-belle religieuse, appellée Béatrix, passa quinze ans dans le monde, vivant en courtisanne, sans que, dans le couvent, on s’apperçût de son absence scandaleuse, parce que la vierge, qu’elle avoit invoquée, ayant emprunté sa ressemblance, s’acquitta de tous ses emplois, jusqu’à celui de portière.

1582. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre I : Rapports de cette science avec l’histoire »

Connaître les lois du système du monde est par soi-même, une chose noble, excellente, et c’est là le véritable but de la curiosité scientifique. […] Enfin, tandis que la géologie et la zoologie entraient dans cette voie historique, l’astronomie elle-même les suivait de loin, et au moins par hypothèse elle nous faisait assister à l’éclosion des mondes et au développement du système planétaire. […] L’individu, étant presque à lui seul un petit monde, surtout quand il est grand, prend une place et joue un rôle qu’aucun individu n’occupe dans la nature extérieure. […] Sans doute tout n’est pas fait encore le monde oriental, malgré les beaux travaux de MM. 

1583. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 13, qu’il est des sujets propres specialement pour la poësie, et d’autres specialement propres pour la peinture. Moïens de les reconnoître » pp. 81-107

Au contraire le peintre à qui ces moïens manquent, ne doit jamais entreprendre de traiter un sujet tiré de quelque ouvrage peu connu ; il ne doit introduire sur sa toile que des personnages dont tout le monde, du moins le monde devant lequel il doit produire son tableau, ait entendu parler. Il faut que ce monde les connoisse déja, car le peintre ne peut faire autre chose que de les lui faire reconnoître. […] Enfin la renommée qui instruit le monde du merite de ces ouvrages, lui apprend en même-tems l’histoire que le peintre y peut avoir traitée. […] Vous ferez encore mieux de choisir le sujet de votre piece parmi les évenemens de la guerre de Troye si souvent mis au théatre, que d’imaginer à plaisir l’action de votre tragedie, ou de tirer de la poussiere de quelque livre ignoré des heros dont le monde n’entendit jamais parler, et d’en faire vos personnages.

1584. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lawrence Sterne »

On s’était battu dans une chambre avec la furie irlandaise, et le père de Sterne fut cloué au mur par l’épée de son adversaire, qui perça le mur et s’y enfonça…, si bien qu’embroché de cette rude manière, il demanda le plus poliment du monde à celui qui l’avait embroché, d’ôter le plâtre attaché à l’épée avant de le débrocher… Histoire réelle, qui enfile — comme l’épée enfila son père — toutes les histoires inventées par Sterne et racontées par l’oncle Toby et le caporal Trim dans le Shandy ! […] Émile Montégut, lequel a fait de Sterne un lilliputien de génie, Sterne a les qualités de la sienne, et la littérature anglaise, la première littérature du monde, atteste par la masse des beautés supérieures qu’elle renferme que le Midi ne peut lutter avec le Nord. […] … Pour ceux qui n’entendent pas l’arabe comme pour ceux qui le comprennent, ce mot de Koran a beau signifier, dans son sens primitif et grammatical, une collection de chapitres, il n’en fait pas moins, dès qu’on le prononce, passer devant nous le monde de l’Orient avec ses dogmes, ses coutumes, ses mœurs, ses tableaux. […] Des Mémoires de Sterne, esprit personnel et pourtant rayonnant, microcosme, à facettes irisées, d’un monde qu’il teignait des suaves couleurs de l’Idéal sans lui ôter les siennes si souvent ternes, quand elles ne sont pas cruelles et sombres ; des Mémoires de Sterne auraient complété le Tristram, comme les admirables Memoranda, mutilés si lâchement par Moore, complètent le Juan de Lord Byron.

1585. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVI. »

On peut rêver à plaisir le pouvoir absolu ; on peut le prétendre un mal nécessaire, dans certain état du monde. […] » Mais il faut quelque chose de plus grave aux oreilles romaines que cette mythologie pittoresque, et le poëte reprend alors : « Que dirai-je avant la louange tant répétée du Père souverain, qui régit les choses humaines et divines, l’Océan, la terre et le monde, dans l’ordre varié des saisons, immortel principe, d’où ne sort rien de plus grand que lui, et près de qui ne s’élève rien de semblable ou d’approchant. […] Une saine culture fortifie les âmes ; quand les mœurs manquent, les mieux nés se déshonorent par des fautes. » Ce ne sont pas cependant les odes politiques et religieuses d’Horace qui pour nous signalent le poëte que le monde lettré lira toujours. […] Créateur de l’ode philosophique sans théâtre et sans appareil, inventeur d’une poésie concise comme la pensée, brillante comme la passion, il a trouvé ce qui charmera toujours les esprits délicats, quels que soient les changements extérieurs du monde.

1586. (1927) Des romantiques à nous

J’ai laissé agir sur moi les événements, les figures, les créations du monde breton présent et passé. […] Pour comprendre le monde et établir les justes institutions de l’humanité, il a prétendu se fier exclusivement aux données du rationalisme expérimental. […] Enveloppée, écrasée d’un monde de lourds nuages, l’alouette intérieure n’ose plus percer jusqu’aux régions élevées et lumineuses où elle respire. […] Mais celui-ci a ce que tous les millions du monde ne donnent pas : l’aristocratie de race. […] Les quais extérieurs étaient noirs de monde.

1587. (1886) Le naturalisme

Peu de peuples au monde sont privés de ces fictions. […] Un monde, un monde imaginaire, poétique, doré, mystérieux et extra-naturel comme celui que vit au fond de la caverne de Montesinos le chevalier de la Triste-Figure, s’avance à la suite du roi Périon de Gaule. […] Ses voyages d’exploration, il les fait à travers le monde social. […] En dehors du monde parisien, Daudet réussit à décrire sa province avec une grâce toute particulière. […] Ils n’énervent pas les intelligences en peignant un monde imaginaire et en dégoûtant du réel.

1588. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — I. La Thébaïde des grèves, Reflets de Bretagne, par Hyppolyte Morvonnais. »

En quittant le romancier raffiné de la Torpille, on ne saurait passer dans un monde plus différent. […] Stanislas Cavalier, après ce premier essai qui est comme un voyage de curiosité et une visite émue dans le monde de poésie, c’est de choisir, s’il se peut, quelque endroit non occupé, ne fût-ce qu’aux rebords des chemins, de le marquer pour sien, et de le féconder assez pour avoir le droit de dire : Ceci est à moi !

1589. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bouchor, Maurice (1855-1929) »

[L’Art dans les deux mondes (1890-1891).] […] N’épuisent point sa face en labeurs superflus, L’esprit, plus sûrement, maîtrisera le monde.

1590. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé aux funérailles de M. Stanislas Guyard, Professeur au Collège de France »

Son nom figurera parmi ceux des vaillants travailleurs qui auront marché au premier rang à la conquête de ce monde nouveau. […] Imitez-le en tout, jeunes amis, excepté en cette espèce de tension dangereuse qui fait qu’on ne peut plus associer au devoir le sourire, le divertissement honnête, le plaisir de contempler un monde, où, à côté de tant de parties sombres, il y a des touches si lumineuses.

1591. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVII » pp. 193-197

Aujourd’hui que nous possédons les œuvres de ces quatre poètes, nous pouvons nous figurer quelle était la force de leur alliance par leur position dans le monde, par la puissance de leurs talents divers, par le besoin de produire dont ils étaient pressés, par l’émulation qui naissait de leur concours, par la combinaison de leurs efforts pour mériter la bienveillance d’un roi galant et la protection des femmes les plus séduisantes et les plus voluptueuses de sa cour. Molière, le plus âgé des quatre amis, le seul à portée de connaître les secrètes dispositions du roi ; La Fontaine, le plus répandu parmi les dames du grand monde, donnaient à leurs jeunes amis, l’un l’exemple de plaire au roi, l’autre celui de plaire aux femmes qui plaisaient au roi : ce qui ramenait toujours à plaire au roi.

1592. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Préface »

Replacer les tragédies et les comédies grecques dans le milieu qui les a produites, éclaircir et élargir leur étude en l’étendant sur monde antique, par les aperçus qui s’y rattachent et les rapprochements qu’elle suggère, soulever le masque de chaque dieu et de chaque personnage entrant sur la scène pour décrire sa physionomie religieuse ou son caractère légendaire ; commenter les quatre grands poètes d’Athènes, non point seulement par la lettre, mais par l’esprit de leurs œuvres et par le génie de leur temps ; tel est le plan que je me suis tracé et que j’ai tâché de remplir. […] Il m’a rapatrié dans le monde antique, il m’a ramené aux sources sacrées ; j’y ai puisé les plus pures joies qui puissent rafraîchir et ravir l’esprit. « Les Grecs » — a dit Goethe dans un mot célèbre — « ont fait le plus beau songe de la vie. » Ce songe, je l’ai refait avec eux ; et il me semble que je m’en réveille en écrivant les dernières lignes de ces pages pleines de leur gloire et de leur génie.

1593. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre IV. De la morale poétique, et de l’origine des vertus vulgaires qui résultèrent de l’institution de la religion et des mariages » pp. 168-173

Mais Tacite nous assure que les sacrifices humains étaient en usage dans la Germanie, contrée toujours fermée aux étrangers ; et les Espagnols les retrouvèrent dans l’Amérique, inconnue jusque-là au reste du monde. […] Sous l’influence de cette religion se sont formées les plus illustres sociétés du monde ; l’athéisme n’a rien fondé.

1594. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

L’article sur Varron est un modèle parfait de ce genre d’érudition et de doctrine encore grave, et déjà ménagé à l’usage des lecteurs du monde et des gens dégoût ; l’étude sur Lucile également ; et nous pourrions citer vingt autres articles gracieux et sensés, et finement railleurs, qui attestaient une plume faite, et si nombreux que de sa part, sur la fin, on ne les comptait plus. […] Le premier article de quelque étendue par lequel il débuta véritablement dans les lettres est celui de Gabriel Naudé, qui parut dans la Revue des Deux Mondes le 15 août 1836. […] Je prie qu’on veuille bien ne pas se méprendre sur ma pensée et n’y rien lire de plus que je ne dis : ce ne sont pas le moins du monde les estimables recherches en elles-mêmes que je viens blâmer ; personne au contraire ne les prise plus que moi quand l’esprit s’y contient à son objet ; je parle simplement des conclusions exagérées qu’on y rattache. […] Ce morceau a été écrit pour la Revue des Deux Mondes et pour acquitter en quelque sorte la dette commune. […] Revue des Deux Mondes, livraison du 1er septembre 1842.

1595. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Le roi, au temporel, le pape au spirituel, sont les vicaires de Dieu, commis au gouvernement des hommes par la Providence qui dirige visiblement les affaires du monde. […] Il appartint d’abord au monde, il se fit recevoir avocat ; il professa le voltairianisme. […] Mais il ne renonça point à ses tendances, à son désir de réconcilier l’Église et le monde moderne, le dogme et la liberté. […] Janet, la Philosophie de Lamennais, Revue des Deux Mondes. 1889, 1er févr., 1er et 15 mars. […] Brunetière, Lamennais, Revue des Deux Mondes. 1er février 1893.

1596. (1912) Enquête sur le théâtre et le livre (Les Marges)

Et c’est elle qui montrera au monde par son mysticisme sans religion, par son goût de l’inexploré, par son avidité des vérités sauvages, de ce Vrai inconnu de la femme et de l’homme, que le théâtre et que le livre, quand ils sont créateurs, sont un. […] Et par quel moyen contraindre tout un monde et presque tous les mondes à lire, à avoir lu dans le même temps, un roman ? […] C’est pourquoi ceux que le bridge n’a pas encore isolés tout à fait du monde préfèrent le théâtre à la lecture. […] Au théâtre comme dans le monde, la scène à faire est toujours dans la salle. […] Nous nous instruisons, en attendant, au théâtre ; nous apprenons à comprendre l’évolution d’où sortira le monde futur.

1597. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1878 » pp. 4-51

Il est arrivé quelques personnes de tous les mondes, qui, le dîner fini, ont pris place autour de la table. […] Décidément, à l’exposition du Japon, l’écran au héron d’argent, et le paravent avec toute cette flore sur laque, en pierre dure, en ivoire, en porcelaine, en métaux de toutes sortes : ce sont pour moi les deux plus beaux objets mobiliers, que depuis le commencement du monde a fabriqués l’art industriel chez aucun peuple. […] Mardi 14 mai Degas, en sortant d’une maison, ce soir, se plaignait de ce qu’on ne trouve plus d’épaules abattues dans le monde. […] Il vivait, cet épicurien, dans un petit monde de jouisseurs délicats, dont était Pingard, l’huissier de l’Académie, qu’on retrouvait à la vente des vins, faisant de la dégustation savante avec la petite tasse d’argent des gourmets-piqueurs de vin, et tout débordant d’indignation comique, quand l’expert se trompait d’un an, sur la date d’un cru. […] Mardi 19 novembre L’on causait de l’industrialisme du monde des lettres sans humanités, de ces littérateurs appelés peut-être à devenir les éducateurs des générations, commençant à épeler.

1598. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Le feuilleton parle pour tout le monde. […] dans le monde de la Chute ! […] Lorsque la Revue des Deux Mondes publia, l’an dernier, quelques-unes des poésies de M.  […] Nous avons inventé un mode de publication qui s’adresse à tous indistinctement, à l’homme du monde comme à l’artiste, aux jeunes filles comme aux érudits. […] Certes, avec notre prétention de parler toujours pour tout le monde, — journaux pour tous, lectures pour tous, — nous finirons par ne plus faire ni livres, ni journaux.

1599. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

Parce qu’il fait petit, cet artiste spécial, à qui Pascal a très bien pu souffler tout bas que l’infini est dans l’atome aussi bien que dans un monde. […] Son livre est donc l’histoire tragique des bohèmes impuissants, vaniteux, envieux, dont ce malheureux monde moderne et révolutionné fourmille. […] Je ne sache pas de livre plus terrible contre la société actuelle et Paris, Paris surtout, qui a la prétention de mouler le reste du monde à son image. Je ne connais pas de livre plus capable de faire mépriser le monde moderne et ses mœurs. […] Le monde parisien a des limites ; cette chaudière infernale bouillonne entre des bords qu’on trouve bientôt.

1600. (1930) Les livres du Temps. Troisième série pp. 1-288

La morale du monde n’y trouvait rien à redire. […] Il ne craint que deux choses au monde : les ennuyeux et l’air humide. […] La montagne en travail a enfanté un monde nouveau. […] Ces deux-là étaient du même monde et du même rang. […] Elle voudrait continuer d’aller dans le monde, à l’Opéra, etc.

1601. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

Le monde est de plus en plus une jolie forêt de Bondy, — parfois très amusante. […] le joli monde ! […] C’est bien le confesseur qu’il lui faut ; il n’y en a pas un autre au monde. […] ) se révèle comme le meilleur homme du monde. […]  ) Qu’on m’apporte le monde !

1602. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

Quand les vapeurs de la vallée s’élèvent devant moi, qu’au-dessus de ma tête le soleil lance d’aplomb ses feux sur l’impénétrable voûte de l’obscure forêt, et que seulement quelques rayons épars se glissent au fond du sanctuaire ; que couché sur la terre dans les hautes herbes, près d’un ruisseau, je découvre dans l’épaisseur du gazon mille petites plantes inconnues ; que mon cœur sent de plus près l’existence de ce petit monde qui fourmille parmi les herbes, de cette multitude innombrable de vermisseaux et d’insectes de toutes les formes, que je sens la présence du Tout-Puissant qui nous a créés à son image, et le souffle du Tout-Aimant qui nous porte et nous soutient flottants sur une mer d’éternelles délices ; mon ami, quand le monde infini commence ainsi à poindre devant mes yeux et que je réfléchis le ciel dans mon cœur comme l’image d’une bien-aimée, alors je soupire et m’écrie en moi-même : « Ah ! […] Goethe, comme tout le jeune monde allemand d’alors, fut très frappé de cette mort sinistre, et il s’enquit très curieusement des détails auprès de Kestner, qui les lui donna par écrit. […] Je te dis cela en ma qualité d’homme du monde, qui apprend peu à peu comment les choses se passent. […] Je serais le plus ingrat des hommes, si je n’avouais pas que j’ai une meilleure position que je ne mérite. » Il sent que dans ce monde de luttes et où si peu arrivent, ce serait offenser Dieu et les hommes que de se plaindre pour quelques ennuis passagers, quand il a trouvé un cadre si orné et si paisible à son développement et à toutes les nobles jouissances de son être. […] Les imitateurs français se sont surtout rattachés à Werther par la fièvre de tête, par les dehors, le costume, le suicide et l’explosion finale, enfin par les défauts. — Je lis dans la Revue des deux mondes du 15 juillet 1855 un article sur Werther, par M. 

1603. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. (Suite et fin.) »

S’il y a pour les mots des à-propos et des moments propices qui semblent dépendre du souffle de l’air et des étoiles, il ne leur est pas inutile non plus, quand ce ne sont pas des mots populaires, d’avoir un bon parrain et qui réponde pour eux au début, qui les mette sur un bon pied à leur entrée dans le monde. […] La façon de questionner, quand il voulait s’éclaircir d’un doute, n’était pas indifférente : pour saisir l’usage au passage et le prendre sur le fait, il ne s’agissait pas d’aller demander de but en blanc à un courtisan ou à une femme du monde : « Comment vous exprimez-vous dans ce cas particulier ? […] L’auteur est poli ; il est de ceux qui, par humeur, ne parleraient de qui que ce fût en mauvaise part, et qui, pour rien au monde, « n’offenseraient personne par un mauvais trait de plume. » Il loue même Vaugelas pour plusieurs belles Remarques que contient son livre ; mais il réitère et renouvelle ses regrets sur plus d’un point. […] Dupleix, dans cette plaidoirie de l’autre monde, ne fait que reprendre, à trente ans de distance, le rôle que la vieille demoiselle de Gournay avait tenu dans ses querelles contre l’école de Malherbe : ce sont là des revenants ou des sibylles, des caricatures, des demeurants d’un autre âge, qui apparaissent tout affublés à la vieille mode et font rire, même quand ils ont des lueurs de raison. […] Ô Vaugelas, Vaugelas, que tout ce monde-là, sec et rogue, pédant et illettré, voit les choses de bas et n’est en rien de votre famille !

1604. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Petrucci, alarmé par le trouble évident de l’archevêque, venait d’entr’ouvrir la porte des bureaux et d’appeler du monde à son aide. […] X Les rapports passionnés que Laurent établit entre la Grèce et l’Italie, les livres dont il enrichit sa patrie, les hommes célèbres auxquels il offrit un asile, furent le signal de la Renaissance, époque brillante où un monde moral nouveau sort tout à coup d’un monde qui s’éteint. […] Cette faveur, si importante par elle-même, le devient plus encore par les circonstances qui l’ont accompagnée, et particulièrement par la considération de votre jeunesse et de notre situation dans le monde. […] « Vous n’ignorez pas l’importance extrême du caractère dont vous êtes revêtu, car vous savez très bien que le monde chrétien jouirait de la paix et du bonheur si les cardinaux étaient ce qu’ils devraient être, puisque alors les papes seraient toujours vertueux, et que le repos de toute la chrétienté est essentiellement dans leurs mains. […] XIII Laurent avait choisi pour ami hors de ce monde le supérieur des augustins, l’abbé Mariano, à qui il avait fait construire pour ses religieux un magnifique monastère, dans lequel il se rendait quelquefois avec ses amis pour parler des choses plus hautes que la terre.

1605. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

Elle est la plus jolie du monde, elle est naïve, elle est bien née et bien élevée. […] Il semble à vous ouïr parler que les règles de l’art soient les plus grands mystères du monde, et cependant ce ne sont que quelques observations aisées que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l’on prend à ces sortes de poèmes. […] Jamais comédiens plus heureux et plus illustres n’occupèrent un théâtre. — Eux-mêmes ils étaient, dans ce monde à part, une passion nouvelle, quelque chose d’inconnu dont on s’approchait avec un plaisir mêlé d’un certain effroi. […] le salon de Célimène, plus rempli d’hommes que de femmes, de petits marquis que de grands seigneurs, de femmes sur le retour que de jeunes femmes, de comtesses que de bourgeoises, c’est le salon de mademoiselle Molière, situé comme il était entre Paris et Versailles, sur les limites de deux mondes qui venaient à elle ; elle n’appartenait qu’à demi à ce monde-ci, elle n’appartenait qu’à moitié à ce monde-là.

1606. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIX. M. Cousin » pp. 427-462

Il s’est donné toutes les peines du monde pour refaire un portrait en pied de Mme de Longueville, avec toutes les prétentions à la vie. […] C’est que, pour l’esprit, on ne peint pas seulement avec des mots qui expriment des accidents de couleur et de forme, mais avec des analogies qui remuent des mondes ! […] La philosophie est-elle comme le monde ? Une femme d’esprit disait : « Il faut quitter le monde avant qu’il ne nous quitte. » M.  […] Cousin ne s’adressent pas qu’à des tombes chaque jour plus enfoncées et moins visibles dans la poussière du passé, mais à des choses plus contemporaines… Sous leur forme presque religieuse et si soudainement éjaculatoire, ces solennels adieux s’adressent aussi à la tribune, au Conseil d’État et à tout ce monde parlementaire que M. 

1607. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Appendice — Mémoires du comte d’Alton-Shée »

Un essai fort dramatique, le Duc Pompée, publié par la Revue des Deux Mondes, témoignait d’une aptitude remarquable ; une pièce composée depuis en vue du Théâtre-Français, l’ivresse, n’a pu s’y faire jour. […] lui, l’un des privilégiés de la naissance, l’héritier d’une pairie, il entrait dans le monde en irrité, en déshérité presque : il était tenté d’aborder la société en opprimé, en vaincu et avec toute l’âpreté de rancune d’un prolétaire. L’amitié de sa sœur, son aînée de sept ans, Mme Jaubert, une des plus aimables et des plus spirituelles femmes de son temps, contribuait pourtant à l’adoucir un peu, à lui donner quelques lumières sur le monde et à le mettre en rapport avec quelques-uns des esprits distingués qui fréquentaient son salon.

1608. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier après les funérailles »

L’intérêt public, celui du monde proprement dit celui du peuple même ; on l’a vu aux funérailles de Nodier cet intérêt d’autant plus touchant ici qu’il est plus désintéressé, éclate de toutes parts ; le nom de celui qui n’a rien été, qui n’a rien pu, qui n’a exercé d’autre pouvoir que le don de plaire et de charmer, ce nom-là est en un moment dans toutes les bouches, et tous le pleurent. […] Les pages suivantes parurent quelques jours après, dans la Revue des Deux Mondes. […] Revue des Deux Mondes du 1er juillet et du 15 août 1843.

1609. (1874) Premiers lundis. Tome I « Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la Révolution de 1830. »

La renommée de madame de Staël était due également à l’opposition politique, à la persécution qui la rendait intéressante, et à la philosophie sentimentale qui était en vogue alors dans tout un certain monde ; l’art n’entrait presque pour rien dans leur gloire ; à ce titre d’artistes, on était disposé plutôt à les railler. […] Quand M. de Chateaubriand, bien autrement artiste que madame de Staël, voulait s’enfermer dans l’art pur, il composait son poème des Martyrs, qui ressemble si peu au monde dans lequel il vivait, qui se détache si complètement des affections et des sympathies contemporaines ; véritable épopée alexandrine, brillante, érudite, désintéressée ; hymne auguste né du loisir, de l’imagination, de l’étude, et consacrant un passé accompli ; groupe harmonieux en marbre de Carrare restitué par le plus savant ciseau moderne sur un monument des jours anciens. […] Qu’il y eût bien des inconvénients dans cette manière un peu absolue d’envisager et de pratiquer l’art, de l’isoler du monde, des passions politiques et religieuses contemporaines, de le faire, avant tout, impartial, amusant, coloré, industrieux ; qu’il y eût là dedans une extrême préoccupation individuelle, une prédilection trop amoureuse pour la forme, je n’essaierai pas de le nier, quoiqu’on ait exagéré beaucoup trop ces inconvénients.

1610. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre I. Vue générale »

Elle exprime sereinement, impartialement, le monde et la vie, dans leur commune réalité, sans aspirer à en changer les conditions actuelles. […] On nomme encore les anciens avec éloge : c’est que l’éducation classique subsiste dans les collèges, et fait partie des « perfections » nécessaires à l’homme du monde. […] On copie donc les chefs-d’œuvre du xviie siècle ; on en imite les procédés, on en suit les règles servilement, par préjugé ; le monde, qui a adopté cette littérature faite pour lui, ne permet pas qu’on change rien aux formes qu’elle présente.

1611. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Édouard Rod »

Édouard Rod « Pourquoi avez-vous été créé et mis au monde ? demande le catéchisme romain  J’ai été créé et mis au monde pour aimer Dieu, le servir et, par là, mériter la vie éternelle. » M.  […] Mais il est, lui, profondément désolé, parce que cela va le déranger dans ses habitudes et parce qu’il n’aura plus sa femme à lui tout seul… L’enfant vient au monde.

1612. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVIII. Gentils conteurs » pp. 218-231

Les personnages de ce Tallemant des Réaux archifin de siècle correspondent à un milieu particulier, ni l’aristocratie, ni la finance juive, ni le monde artiste : c’est le clan de la bourgeoisie surmenée, la bourgeoisie très millionnaire et gagnant beaucoup d’argent. […] Monde inexistant que le monde de Gyp, mais auquel sa virtuosité a donné une valeur de suggestion créatrice : j’entends que des femmes du dernier tiers de ce siècle ont été, sont, seront des Paulette, insensibles et chercheuses, parce que Gyp leur a fourni cette artistique figuration de l’hystérique.

1613. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVI. Miracles. »

Il est impossible surtout de savoir si les circonstances choquantes d’efforts, de frémissements, et autres traits sentant la jonglerie 740, sont bien historiques, ou s’ils sont le fruit de la croyance des rédacteurs, fortement préoccupés de théurgie, et vivant, sous ce rapport, dans un monde analogue à celui des « spirites » de nos jours 741. […] C’était une opinion universelle, non-seulement en Judée, mais dans le monde entier, que les démons s’emparent du corps de certaines personnes et les font agir contrairement à leur volonté. […] L’admirable traité « De la maladie sacrée » d’Hippocrate, qui posa, quatre siècles et demi avant Jésus, les vrais principes de la médecine sur ce sujet, n’avait point banni du monde une pareille erreur.

1614. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

Louis XIV, qui n’aimait pas la province, on sait pourquoi, l’insultait par ses écrivains ; mais MM. de Goncourt, dont le nom semble révéler une vieille origine provinciale, n’ont-ils jamais su, ou les traditions de la famille ne leur ont-elles jamais appris, que la province — et surtout la province d’avant la Révolution — gardait dans ses châteaux et dans ses grandes villes un exemplaire plus pur que Paris lui-même de ce qu’on appelait la société française, de ce mélange heureux et si admirablement réussi de lumière, d’élégance, d’amabilité et presque de vertus, qui faisait de la France l’aimant du monde ? […] Ils ont voulu être plus que des Tacites de boudoir et de monde, racontant la ruine de cet édifice de colifichets, — le xviiie  siècle, — qui allait s’écrouler dans un incendie. […] Un écrivain sérieux aurait d’abord examiné ce qu’il y a de semblable et de différent entre Paris, ce caravansérail du monde et de la province, ce home de la France, — comme diraient les Anglais, — entre Paris, le vaste déversoir de toutes les vagues sociales qui viennent s’y engloutir avec leurs impuretés et leurs écumes, et la province, cette multitude de baies où le flot se circonscrit et séjourne ; — Paris, patrie anonyme de tous les hommes qui ont brisé le lien de la famille et qui ont quitté la province pour en éviter le regard qui tombait de trop près sur eux, et la province, cette vraie patrie de la famille française qui en garde plus austèrement l’honneur et les traditions ; — entre Paris enfin, spirituel, mobile, éloquent, au cœur un peu trop tendre aux révolutions, qui s’habille, babille, se déshabille et brille… de cet éclat de strass qui exagère les feux du diamant, et la province, perle sans rayon, mais d’un bon sens si tranquille et pourtant d’une action si puissante quand il s’agit de dire des mots décisifs, la province, qui a toujours répondu par des empires — parfaitement français — aux républiques parisiennes.

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