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1350. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Elle aime mieux briser son cœur. […] Il faut savoir que, tout compte fait, Hebbel ne manquait pas absolument de cœur. […] Rendons justice au grand cœur de Hebbel. […] Elle aime Polyeucte ; elle se souvient, non sans un battement de cœur, d’avoir aimé Sévère. […] Il se fâche de tout son cœur, parle très haut et crie très fort.

1351. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Mais : « De l’opprobre garde mon cœur ; et qu’un beau renom je mérite » m’agace un peu. […] « Mon cœur où rien ne reste, l’amour ôté », comme dit le poète, un peu prosaïquement. […] On sent bien que la haine indéfectible est le fond même de son cœur. […] Du cœur humain telle est sans doute la nature. […] Les Scribe, les Mazères, les Bonjour, les Empis ont donné de tout leur cœur dans ce genre.

1352. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

Il avoit le talent d’émouvoir le cœur & d’intéresser l’ame : il donnoit à sentir à l’un, à penser & à comparer à l’autre. […] C’est le Peintre du cœur, le Poëte de toutes les ames sensibles, qui, dans ses ouvrages, a porté la langue Françoise au dernier degré de perfection & de pureté. […] De-là naissent la plupart des vices du cœur & des travers de l’esprit. […] Pendant le cours de la vie la plus longue, son cœur fut constamment fermé à l’envie & à la basse jalousie. […] Il ne chercha point à exciter le rire de la malignité en faisant la satire du vice ou du ridicule ; il voulut seulement intéresser le cœur, en nous peignant ses foiblesses.

1353. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

Cicéron les écrivait au cœur de cette Italie en armes pour des ambitions qui se disputaient la liberté mourante de Rome ; il faisait abstraction des temps pour s’absorber dans les idées éternelles. […] Il définit la passion un mouvement violent du cœur en disproportion avec la raison. […] Rien sur la terre, ni d’assez formidable pour l’intimider, ni d’assez estimable pour lui enfler le cœur. […] Aussi je ne sais quel charme s’y trouve, qui touche mon cœur et mes sens, et me rend peut-être ce séjour encore plus agréable. […] je ne les ai plus, mais ils ont mon cœur.

1354. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Il nous adresse sur notre livre de chauds compliments qui nous font du bien au cœur, et nous sommes heureux de cette amitié qui vient à nous franchement, loyalement, avec une sorte de démonstration robuste. […] Son âme, son humeur, le battement de son cœur a quelque chose de précipité et de fuyant, comme le pouls de la Folie. […] » N’est-ce point un mot d’esprit du cœur. […] Quand nous entrons dans la salle des femmes, devant cette table, sur laquelle sont posés un paquet de charpie, des pelotes de bandes, une montagne d’éponges, il se fait en nous un petit trouble qui nous met le cœur mal à l’aise. […] En vérité, cela vous arrache l’admiration du cœur, et cela est d’une grandeur simple, qui fait bien petits, les bruyants aimeurs de leurs semblables, les aimeurs de peuple.

1355. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — I. » pp. 381-397

Les prédicateurs éloquents et populaires (et le curé Foulques était de ceux-là) allaient partout excitant les courages et remuant les cœurs. […] à quelques pas de là, Commynes, mandé par le doge de bon matin, voit en entrant tous ces mêmes visages non plus abattus, mais fiers et radieux ; on lui signifie le traité conclu, hostile à la France, et le nom des puissances confédérées : c’est à lui, à son tour, tout avisé qu’il est, d’avoir le cœur serré et le visage défait, car il n’avait eu vent de rien de précis jusqu’à cette heure, le secret avait été rigoureusement observé ; à force de voir traîner les choses en longueur, il avait fini par les croire échouées : en descendant les degrés du palais, il trahissait aux yeux de tous son étonnement manifeste et sa perte de contenance. […] Mais il était de très grand cœur, s’écrie Villehardouin qui le compare involontairement aux faux frères de sa connaissance parmi les croisés. […] Et puis, outre cette culture du millet qu’on a rappelée spirituellement, il y a, ne l’oublions pas, à compter aussi cette autre semence invisible et légère qu’on appelle la gloire, qui n’est point aussi vaine qu’on le croirait, qui étouffe et chasse des cœurs les tièdes mollesses, les empêche à temps de se corrompre, et qui, impérissable par essence, s’entretient dans les âmes et les races généreuses à travers les siècles86.

1356. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

toi que ta famille et ta patrie ont rejetée, parce que ton âme valait mieux que les âmes qui t’environnaient ; toi qui ne reçut de la gloire que le sceau d’infortune qu’elle imprime à ses favoris ; toi que n’ont pu consoler ni l’admiration stérile de ta nation, ni l’impuissante amitié de ceux qui connaissent ton cœur ; innocente victime ! […] Pour préface, on lit simplement dans l’édition première : « Voici les erreurs, les infortunes des cœurs sensibles ; lis, Âme froide, et condamne. » Mais, dans un exemplaire augmenté des notes de l’auteur, je trouve cet autre projet de préface ou d’avertissement : En composant cet ouvrage, j’ai connu ou je n’ai pas connu les unités. […] mon cœur ne s’entend plus. […] Quant à ceux qui ont atteint quelques-unes des hauteurs du globe, je les appelle en témoignage : en est-il un seul qui, à leurs sommets, ne se soit trouvé régénéré et n’ait senti avec surprise qu’il avait laissé au pied des monts sa faiblesse, ses infirmités, ses soins, ses inquiétudes ; en un mot, la partie débile de son être et la portion ulcérée de son cœur ?

1357. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres complètes de Saint-Amant. nouvelle édition, augmentée de pièces inédites, et précédée d’une notice par M. Ch.-L. Livet. 2 vol. » pp. 173-191

On dit qu’il eut dans les dernières années un retour de cœur à des sentiments élevés et religieux, et l’on cite de lui des stances à Corneille, au « noble et cher Corneille », sur sa traduction en vers de L’Imitation. Dans ses nombreuses stances, l’intention me semble valoir beaucoup mieux que le résultat ; voici, au reste, un des meilleurs endroits où il rappelle, en se l’appliquant, une parole du saint livre : Profaner le talent, c’est pis que l’enfouir :   Ces hautes paroles m’étonnent, J’en dois être en mon cœur bien plus touché que toi ;   J’en blêmis, j’en tremble d’effroi, Et jusque dans mon âme à toute heure elles tonnent ; Ma plume en est confuse, et tous ses jeunes traits N’en forment à mes yeux que d’horribles portraits.   Aussi ma main les désavoue ; Leur feu trop estimé me fait rougir le front ;   Leur honneur ne m’est qu’un affront, Et, fussent-ils tout d’or, je les crois tout de boue ; Enfin dans mon regret, mon cœur sincère et franc, Pour en effacer l’encre, offrirait tout mon sang. […] [NdA] Ainsi, pour ne citer que la dernière strophe : Vois de là, dans cette campagne, Ces vignerons tout transportés Sauter comme genêts d’Espagne, Se démenant de tous côtés ; Entends d’ici tes domestiques Entrecouper leurs chants rustiques D’un fréquent battement de mains ; Tous les cœurs s’en épanouissent, Et les bêtes s’en réjouissent Aussi bien comme les humains.

1358. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

Ce fut un rude coup pour le jeune homme, de qui Bonnet se plaisait à dire : « Il a du génie, un cœur droit, la passion de la vertu et du savoir. » On brisait sa vocation au moment où il croyait l’avoir rencontrée ; on intervenait brusquement dans sa crise morale au moment où elle allait trouver sa solution intérieure. […] Le savoir prospérait quelquefois dans ce désert du cœur. […] Gray, en se condamnant à vivre à Cambridge, oubliait que le génie du poète languit dans la sécheresse du cœur. […] Je crois que Gray n’avait jamais aimé, c’était le mot de l’énigme ; il en était résulté une misère de cœur qui faisait contraste avec son imagination ardente et profonde qui, au lieu de faire le bonheur de sa vie, n’en était que le tourment.

1359. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poème des champs, par M. Calemard de Lafayette (suite et fin) »

C. de Lafayette que Buffon dirait ce qu’il disait des chantres des Jardins, des Saisons et des Mois son temps, qu’ils parlaient tous comme s’ils n’avaient jamais vu ni les mois, ni les jardins, ni les saisons : ici tout nous montre l’homme pratique qui habite au cœur de son sujet. […] « Mais heureux aussi celui qui, d’un esprit moins émancipé et d’un cœur plus humble, reconnaît dans la nature un Auteur visible, se manifestant par tous les signes ; qui croit l’entendre dans le tonnerre et dans l’orage ; qui le bénit dans la rosée du matin et dans la pluie du printemps ; qui l’admire et l’adore dans la splendeur du soleil, dans les magnificences d’une belle nuit, et qui ne cesse de le sentir encore à travers la douce et tiède nuaison d’un ciel voilé ! heureux qui l’invoque et le prie à chaque accident de la saison, qui compte sur lui seul comme aux jours de la manne dans le désert qui suit en fidèle ému, entre deux haies en fleur, la procession d’une Fête-Dieu champêtre, ou qui prend part avec foi et ferveur, le long des blés couchés ou desséchés, aux cantiques d’alarmes et aux pieux circuits des Rogations extraordinaires ; qui sait le chemin qui mène à la statue de la Vierge dressée au sommet du rocher ou logée au cœur du chêne antique où hantaient jadis les Fées ; qui ne méprise pas le Saint même du lieu et le miracle d’hier qu’on en raconte, toutes croyances et coutumes innocentes et charmantes, si, au lieu de devenir des affaires de parti, elles restaient ce qu’elles devraient être toujours, de touchantes religions locales et rurales !  […] Mais il est de ces fragments, de ces accidents heureux d’art et d’étude, qui, n’ayant rien à démêler avec les œuvres triomphales, n’en existent pas moins sous le soleil : — un rien, un rêve, une histoire de cœur et d’amour, une vue de nature, une promenade près de la mare où se baignent des canards et qu’illumine un rayon charmant, — et ce que je voyais l’autre jour encore à l’exposition du boulevard des Italiens, une vue de Blanchisserie hollandaise, par Ruisdaël, le Moulin d’Hobbema, ou un simple chemin de campagne regardé et rendu à une certaine heure du soir par un pauvre diable de paysagiste français nommé Michel, qui avait le sentiment et l’amour des choses simples.

1360. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Daphnis et Chloé. Traduction d’Amyot et de courier »

On raconte que la poésie idyllique ou bucolique, comme on l’a entendue depuis, fut inventée en Sicile par un berger poète, Daphnis : c’est le beau bouvier Daphnis qui, chez Théocrite, remporte le prix du chant et gagne contre Ménalque la flûte à neuf tuyaux ; c’est lui qui chante ce ravissant couplet où se résume tout le thème, où respire toute la félicité et la douceur du genre : « Que ce ne soit point la terre de Pélops, que ce ne soient point des talents d’or que j’aie à cœur de posséder, ni, au jeu de la course, d’aller plus vite que les vents ! […] C’est l’éveil du cœur, c’est l’éveil des sens ; c’est une confusion aimable et naïve qui va se prolongeant durant plus d’une année, et à laquelle nous fait assister le vieil auteur avec une complaisance et un détail explicatif qu’il faut toute sa grâce et le passeport de l’Antiquité pour faire excuser. […] L’originalité de l’œuvre n’est nullement dans l’action : elle est dans le caractère à la fois rustique et élégant de tout le début, dans la fraîcheur des petits tableaux nets et vifs qui se succèdent, et dans l’analyse graduelle, nuancée, du désir en deux cœurs adolescents, en deux pubertés naissantes et qu’on voit éclore. […] Goethe y voit encore et surtout le paysage, la beauté des lignes environnantes, les contours : j’y vois pourtant d’autres choses moins belles ; j’ai Gnathon qui me dégoûte ; j’ai surtout ces parents qui remplissent le quatrième livre tout entier, ces parents honorables, réputés honnêtes gens dans leur cité, qui ont cependant exposé leurs enfants de gaîté de cœur, les uns parce qu’ils en avaient déjà assez (ils en conviennent) et qu’ils estimaient leur famille assez nombreuse, un autre parce que, disait-il, il était alors sans fortune ; ils les ont exposés, celui-ci comptant sur un passant plus humain que lui, les autres n’y comptant même pas ; ces infanticides qui, s’ils ne sont plus à la carthaginoise et sanglants, sont anodins et à la grecque, m’indignent, m’affligent du moins, m’avertissent que j’ai affaire, malgré toutes les Nymphes et toutes les Grâces, à un niveau de civilisation inférieure et dure.

1361. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

Dirai-je que Racine ne leur ressembla jamais dans sa retraite ; qu’il ne vit plus rien de ce qu’il avait quitté ; qu’il n’eut point, à ses heures de rêverie, des apparitions charmantes qui remuaient, comme autrefois, son cœur ? […] Comme un cœur pur de jeune fille Qui coule et déborde en secret, A chaque peine de famille, Au moindre bonheur, il pleurait ; A voir pleurer sa fille aînée ; A voir sa table couronnée D’enfants, et lui-même au déclin ; A sentir les inquiétudes De père, tout causant d’études, Les soirs d’hiver, avec Rollin ; Ou si dans la sainte patrie, Berceau de ses rêves touchants, Il s’égarait par la prairie Au fond de Port-Royal-des-Champs ; S’il revoyait du cloître austère Les longs murs, l’étang solitaire, Il pleurait comme un exilé ; Pour lui, pleurer avait des charmes. […] Qui démêlera le mystère De ce cœur qui ne peut se taire, Et qui pourtant n’a point de voix ? […] Le procédé en est d’ordinaire analytique et abstrait ; chaque personnage principal, au lieu de répandre sa passion au dehors en ne faisant qu’un avec elle, regarde le plus souvent cette passion au dedans de lui-même, et la raconte par ses paroles telle qu’il la voit au sein de ce monde intérieur, au sein de ce moi, comme disent les philosophes : de là une manière générale d’exposition et de récit qui suppose toujours dans chaque héros ou chaque héroïne un certain loisir pour s’examiner préalablement ; de là encore tout un ordre d’images délicates, et un tendre coloris de demi-jour, emprunté à une savante métaphysique du cœur ; mais peu ou point de réalité, et aucun de ces détails qui nous ramènent à l’aspect humain de cette vie.

1362. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

S’il se rencontre surtout dans une nature aimable, facile, qui n’a en rien l’ambition de ce rôle et qui ignore absolument qu’elle le remplit ; s’il se produit en œuvres légères, courtes, inachevées, mais sorties et senties du cœur ; s’il se termine en une brève jeunesse, il devient tout à fait intéressant. […] Cette pièce que chacun sait par cœur, et qui est l’expression délicieuse d’une mélancolie toujours sentie, suffit à sauver le nom poétique de Millevoye, comme la pièce de Fontenay suffit à Chaulieu, comme celle du Cimetière suffit à Gray. […] Le poëte de Millevoye meurt pour avoir trop goûté de cet arbre où le plaisir habite avec la mort ; l’extrême langueur s’exhale dans cette voix parfaitement distincte, mais affaiblie160 ; il n’a pas su dire à temps comme un élégiaque plus récent, qui s’écrie sous une inspiration semblable : Ôtez, ôtez bien loin toute grâce émouvante, Tous regards où le cœur se reprend et s’enchante ; Ôtez l’objet funeste au guerrier trop meurtri ! […] J’avais lu la plupart de ces petits chants, j’avais lu ce Charlemagne, cet Alfred, où il en a inséré ; je trouvais l’ensemble élégant, monotone et pâli, et, n’y sentant que peu, je passais, quand un contemporain de la jeunesse de Millevoye et de la nôtre encore, qui me voyait indifférent, se mit à me chanter d’une voix émue, et l’œil humide, quelques-uns de ces refrains auxquels il rendit une vie d’enchantement ; et j’appris combien, un moment du moins, pour les sensibles et les amants d’alors, tout cela avait vécu, combien pour de jeunes cœurs, aujourd’hui éteints ou refroidis, cette légère poésie avait été une fois la musique de l’âme, et comment on avait usé de ces chants aussi pour charmer et pour aimer.

1363. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

Si l’objet qui vous est cher vous est enlevé par la volonté de ceux dont elle dépend, vous pouvez ignorer à jamais ce que votre propre cœur aurait ressenti, si votre amour, en s’éteignant dans votre âme, vous eût fait éprouver ce qu’il y a de plus amer au monde, l’aridité de ses propres impressions ; il vous reste encore un souvenir sensible, seul bien des trois quarts de la vie ; je dirai plus, si c’est par des fautes réelles dont le regret occupe à jamais votre pensée, que vous croyez avoir manqué le but où tendait votre passion, votre vie est plus remplie, votre imagination a quelque chose où se prendre, et votre âme est moins flétrie que si, sans événements malheureux, sans obstacles insurmontables, sans démarches à se reprocher, la passion par cela seulement qu’elle est elle, eût, au bout d’un certain temps, décoloré la vie, après être retombée sur le cœur qui n’aurait pu la soutenir. […] Les vérités d’un certain ordre sont à la fois conseillées par la raison et inspirées par le cœur ; il est presque toujours de la politique d’écouter la pitié ; il n’y a pas de milieu entre elle et le dernier terme de la cruauté, et Machiavel, dans le code même de la tyrannie, a dit : qu’il fallait savoir s’attacher ceux qu’on ne pouvait faire périr . […] Une belle cause finale dans l’ordre moral, c’est la prodigieuse influence de la pitié sur les cœurs ; il semble que l’organisation physique elle-même soit destinée à en recevoir l’impression ; une voix qui se brise, un visage altéré, agissent sur l’âme directement comme les sensations ; la pensée ne se met point entre deux, c’est un choc, c’est une blessure, cela n’est point intellectuel, et ce qu’il y a de plus sublime encore dans cette disposition de l’homme, c’est qu’elle est consacrée particulièrement à la faiblesse ; et lorsque tout concourt aux avantages de la force, ce sentiment lui seul rétablit la balance, en faisant naître la générosité ; ce sentiment ne s’émeut que pour un objet sans défense, qu’à l’aspect de l’abandon, qu’au cri de la douleur ; lui seul défend les vaincus après la victoire, lui seul arrête les effets de ce vil penchant des hommes à livrer leur attachement, leurs facultés, leur raison même à la décision du succès ; mais cette sympathie pour le malheur est une affection si puissante, réunit tellement ce qu’il y a de plus fort dans les impressions physiques et morales, qu’y résister suppose un degré de dépravation dont on ne peut éprouver trop d’horreur.

1364. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

Elle a l’imagination troublée et fiévreuse, le cœur ardent, tumultueux, d’où jaillit une inépuisable source de passion. […] Elle ne peut que les faire passer dans son esprit, y appliquer sa réflexion, les analyser, les définir, les noter : il faut, pour qu’elle les traduise, qu’elle eu ait fait des idées ; tout, pour elle, son cœur comme le reste, n’est que matière de connaissance. […] Ses intérêts de cœur ou d’esprit en rendirent la marche irrégulière et inégale. […] Dieu donnait à son esprit l’infini de la science comme à son cœur l’infini de l’amour.

1365. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

Si les rues de Paris, puisque La Bruyère en parle93, n’étaient ni si propres ni si sûres que celles d’Athènes, nous n’avions pas d’esclaves, et en revanche nous avions une religion à laquelle on croyait, parce qu’en même temps que ses dogmes donnent un prix infini au moindre d’entre nous, nulle morale et nulle philosophie n’ont fait plus de découvertes dans le cœur humain. […] Un esprit commun, qui n’a qu’une première vue, peut en être choqué, et quelque déclamateur vulgaire y verra des injures contre la nature humaine, mais quiconque sait lire au fond de son cœur, sans crainte d’y apercevoir, sur les indications si sûres de la philosophie chrétienne, ce fond de corruption où sont les tentations et tout le prix de l’innocence, reconnaîtra dans les plus sévères de ces maximes un avertissement menaçant donné par un des penseurs qui ont le mieux connu ce fond. […] Il semble que La Rochefoucauld eût voulu d’abord décharger son cœur, et qu’il eût écrit cette diatribe sous l’impression récente des ravages de l’amour-propre au temps de la Fronde. […] La Fronde est un épisode ; mais le fond de cet épisode est le cœur humain.

1366. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

On dirait que d’un amour extrême, Violent, effréné (car c’est ainsi qu’on aime), Ton cœur depuis trois mois s’occupait tout entier. […] La tragédie partage avec l’épopée la grandeur et l’importance de l’action, et n’en diffère que par le dramatique seulement ; elle imite le beau, le grand ; la comédie imite le ridicule ; l’une élève l’âme et forme le cœur, l’autre polit les mœurs et corrige les dehors. […] Il veut encore qu’en composant on imite les gestes et l’action de ceux qu’on fait parler ; car, de deux hommes qui seront d’un égal génie, celui qui se mettra dans la passion sera toujours plus persuasif : et une preuve de cela, c’est que celui qui est véritablement agité, agite de même ceux qui l’écoutent ; celui qui est en colère, ne manque jamais d’exciter les mêmes mouvements dans le cœur des spectateurs. […] La fable de la comédie consiste dans l’exposition d’une action prise de la vie ordinaire, dans le choix des caractères, dans l’intrigue, les incidents, etc., au moyen desquels on parvient à faire sortir le ridicule d’un vice quelconque, si le sujet est vraiment comique, ou à développer, divers sentiments du cœur, si le sujet n’est pas véritablement comique.

1367. (1912) L’art de lire « Chapitre IV. Les pièces de théâtre »

Plus votre cœur répugne à l’accepter Plus ce sera pour vous matière à mériter ; Mortifiez vos sens avec ce mariage, Et ne me rompez pas la tête davantage. […] Et lorsque j’ai voulu moi-même vous forcer A refuser l’hymen qu’on venait d’annoncer, Qu’est-ce que cette instance a dû vous faire entendre, Que l’intérêt qu’en vous on s’avise de prendre, Et l’ennui qu’on aurait que ce nœud qu’on résout, Vint au moins partager un cœur que l’on veut tout. […] Personne ne doute que les Don Diègue et le vieil Horace ne soient le coeur même de Corneille. […] La raison de Corneille est avec Sévère, son cœur avec Pauline, sa foi avec Polyeucte ; les meilleures parties de lui sont partout répandues dans cette pièce et, par parenthèse, c’est une des raisons pourquoi cette pièce est si admirable.

1368. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Maurice Rollinat »

Seulement, ce ne serait pas un poète rose comme Little Moore, qui chantait l’amour et ses beautés visibles ; c’est, lui, un poète noir, qui chante ses épouvantes de l’invisible et qui nous les fait partager… Ce jeune homme, sombre comme Manfred et comme la nuit dont son cœur est l’image, s’appelle Maurice Rollinat. […] Il l’a avec la femme qu’il vient de presser sur son cœur ! […] Le musicien s’est évaporé dans les airs qu’il chantait avec cette voix chaude et vibrante qui n’a jamais manqué son coup sur les cœurs et qu’aucun musicien ne chantera jamais plus comme il les chantait. […] Rollinat font exactement la même chose, et cette chose doit soulever le cœur de ceux qui croient en avoir un bien placé auprès d’un estomac bien tranquille.

1369. (1903) Considérations sur quelques écoles poétiques contemporaines pp. 3-31

Tels ces vers : Plus belle que Vénus, tu marches : Ton front est beau, tes yeux sont beaux, Qui flambent sous deux noires arches, Comme deux célestes flambeaux, D’où le brandon fut allumé, Qui tout le cœur m’a consumé, Ce fut ton œil, douce mignonne, Qui d’un regard traistre escarté Les miens encores emprisonne Peu soucieux de liberté, Et qui me desroba, le cœur. […] Fondons nos âmes, nos cœurs Et nos sens extasiés, Parmi les vagues langueurs Des pins et des arbousiers. Ferme tes yeux à demi, Croise tes bras sur ton sein, Et de ton cœur endormi Chasse à jamais tout dessein.

1370. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 272-292

Un heureux sujet, comme une physionomie heureuse, prévient d’abord en sa faveur ; & Télémaque, annoncé dès le début, est déjà sûr de tous les cœurs. […] Son grand principe, d’après la Religion chrétienne, est de rappeler tous les hommes à la concorde & à l’union, d’établir entre eux une correspondance de secours mutuels, d’émouvoir tous les cœurs en faveur de l’humanité, & de les intéresser au sort des malheureux, de quelque Nation qu’ils soient. […] Ce genre de triomphe, si glorieux pour sa mémoire, prouve que, si l’esprit peut s’égarer parce qu’il est faillible, la droiture des sentimens, l’élévation de l’ame, la générosité du cœur, sont des ressources puissantes pour contenir l’amour-propre, & faire naître la véritable gloire du sein même de ce que les hommes vulgaires seroient tentés de regarder comme une humiliation.

1371. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édouard Fournier »

Eh bien, nous avons voulu avoir le cœur net de cette inquiétude, et nous avons ouvert ces petits livres (voyez-les, s’il vous plaît), qui font encore si joliment, en ce moment, leurs petites affaires ! […] Il s’agit de l’éducation des hommes par l’histoire, par cette histoire qui nous fait aimer la patrie et qui nous l’enfonce dans le cœur à coups de grands exemples, à coups de grands hommes morts pour elle et dont l’âme vibre en certains mots qui les peignent, — ne les eussent-ils pas dits !  […] Au point de vue absolu de l’histoire et de sa vérité morale, comme au point de vue de son autorité et de son influence sur les imaginations et sur les cœurs, un livre pareil, nous n’hésitons pas à dire le mot, est détestable.

1372. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Sixte-Quint et Henri IV »

Cela déconcerte un peu les idées reçues, mais voyez si avec la nature de Henri, cette nature indifférente aux idées religieuses pour elles-mêmes, son bon sens qui touchait au génie, son ardeur de cœur et de sens, son esprit politique, pratique et si bien fait pour le commandement, voyez si le catholicisme, cette religion de l’unité et de l’ordre et qui était encore la force dans le pays, ne devait pas être préférée à l’anarchie des doctrines protestantes, scindées déjà de son temps par plusieurs communions. […] S’il avait été protestant comme le prince de Condé ou Jeanne d’Albret ; s’il y avait eu en lui une fibre qui eût saigné de protestantisme sacrifié, sous son lourd manteau du roi catholique, accepté au prix d’une abjuration, je comprendrais que lui, l’homme de la politique ambidextre, eût favorisé ses anciens coreligionnaires, étant le Roi, et eût fait encore ce crochet… Faiblesse de cœur, généreux souvenir de ses compagnons d’armes ! […] Que surtout les ennemis du catholicisme apprennent d’un homme qui ne déclame point une seule fois, qui ne crie point et qui s’est peut-être comprimé le cœur pour ne pas crier, en écrivant ces choses désespérées qui, pour lui, sortent de son livre ; qu’ils apprennent ce que fut ce Sixte-Quint qui aima la France, et même Henri IV, mais qui sut résister à Henri, à la France, à la Ligue elle-même, à l’Espagne, la catholique Espagne, qu’il finit par impatienter, — car, chose curieuse !

1373. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de la Révolution » pp. 73-87

À côté de l’aconit, il s’y trouve des laitues assez fades ; mais l’impression générale de cette olla podrida de venin distillé et d’herbes à tisane est une impression dont le cœur ou l’esprit, quand il l’a reçue, doit se ressentir bien longtemps. […] … « Madame de Condorcet — dit Michelet — avait la mélancolie d’un jeune cœur auquel quelque chose a manqué… L’enfant, le seul enfant qu’elle eut, naquit neuf mois après la prise de la Bastille… Ce fut elle qui donna à Condorcet le sublime conseil de… terminer l’Esquisse des progrès de l’esprit humain. » Tels sont les seuls et singuliers mérites de Sophie Condorcet que Michelet a pu trier dans toute sa vie, et c’est sur ce triple mérite que l’hagiographe exécute l’assomption de cette glorieuse sainte. […] , ces deux traits saillants du génie, ne se trouvèrent jamais chez elle. » C’était « une bourgeoise enrichie », le fait est vrai ; mais Michelet veut dire qu’elle était restée bourgeoise d’esprit et de cœur, — ce qui est faux !

1374. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Byron »

… J’imagine qu’il serait peu flatté de la chose, et qu’il ressentirait une de ces superbes colères vert-pâle auxquelles il était sujet et comme il en eut une, par exemple, quand les directeurs de Drury-Lane firent le projet de jouer son Marino Faliero : « Je n’ai rien tant à cœur — écrivait-il alors de Ravenne à Murray (c’était en 1821) — que d’empêcher ce drame d’être joué. » Et cependant les directeurs de Drury-Lane ne travestissaient pas l’œuvre du poète ; ils voulaient seulement l’interpréter. […] Lord Byron, — pour qui ne croit pas ce qu’il dit, car il ne faut pas toujours le croire, — Lord Byron n’est qu’un artiste, qui n’aime que son art, et qui, quand il fait l’amour, pense à son art encore, le fait dans une vue d’art supérieur qui ne le quitte jamais, même sur le cœur de sa maîtresse. […] Plus tard, si, sous la douleur de la vanité blessée au cœur, un peu plus de talent éclate dans les Bardes anglais et les Critiques écossais, c’est un cri et un coup de poing de boxeur, un cri et un coup de poing qui donnent raison à M. 

1375. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « A. P. Floquet »

Mais le bonheur de Goethe tient surtout à l’insensibilité de son âme, tandis que sous la croix pectorale de Bossuet il y avait un cœur qui pouvait être déchiré… Cette incroyable félicité de Bossuet commença pour lui avec la vie. […] Là, enfin il s’enveloppa dans sa fonction de simple chanoine, vivant entre sa maison studieuse et sa cathédrale, embrassant tous les soirs sa sœur et la quittant pour s’en aller à matines ; et cette vie régulière et cachée, racontée pour la première fois par Floquet, cette vie devenue de l’inconnu par l’éloignement et par le temps, cette pénombre au fond de la gloire, cette brune draperie tirée contre le jour, qui tombe toujours plus fort par la fenêtre de cette cellule, tout cela nous prend au cœur et nous fait entrevoir un Bossuet inattendu et touchant. […] Destiné à un bonheur immuable, aux pompes triomphantes et joyeuses de Versailles et de Saint-Germain, Bossuet, cet homme à la vertu robuste, qui ne devait connaître ni nos passions ni nos douleurs, ce cœur vierge qui n’avait soif et convoitise que du salut des âmes, ce front pur à force de hauteur, cet œil d’aigle qui ne voyait que Dieu dans les choses humaines, s’accomplissait alors jusque dans le fond le plus intime de son génie.

1376. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « José-Maria de Heredia »

Ce n’est pas la femme ce n’est pas le cœur qui est là dedans, et que le Génie doit en arracher ! […] « Les femmes — dit Heredia après Salazar — sont les rêts dont Satan lie les cœurs. […] Peut-être est-ce d’une main gourde de vieillesse ou endolorie de blessures que le vieux soldat chroniqueur, Don Quichotte anticipé, avait écrit, pour l’honneur de la vérité, cette pauvre relation ignorée, et bonne pourtant à remettre en lumière à l’usage des grands cœurs, s’il en reste encore, et José-Maria de Heredia l’y a remise.

1377. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme de Girardin. Œuvres complètes, — Les Poésies. »

Mme de Girardin, qui n’eut point d’enfants et qui le regrette dans des vers qui disent comme elle les eût chantés si elle en avait eu, Mme de Girardin ne put pas être une Valmore, et quand elle cessa d’être Delphine Gay, la poésie qui était en elle, la seule poésie qu’elle pouvait avoir, le cri du cœur ou sa rêverie, l’émotion de vingt ans disparut… et pour faire place à l’industrie des vers, à l’application volontaire, au technique de la chose, enfin au métier ! […] Alors l’oiseau qui muait, l’oiseau de l’Élégie, ce bouvreuil à la gorge sanglante, a toutes ses plumes rouges sur le cœur, et dans le gosier, toutes ses notes déchirantes. […] On trouve, en effet, dans ce poème, un mélange de cœur blessé et de mélancolie railleuse, de l’esprit du monde et de révolte contre lui, qui n’a pas, il est vrai, la fierté de la poésie du terrible, cousin que Mme de Girardin se donnait par ce poème, mais qui la compense par la grâce chaste d’une femme se souvenant encore qu’elle est femme, comme après ce poëme elle a pu l’oublier.

1378. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iv »

« Mon cœur de citoyen n’est pas inquiet, écrit le sergent Pierre de Maupeou, tué à vingt-cinq ans, mais mon cœur de chrétien l’est souvent. […] Vous ne porterez pas notre deuil, car nous serons morts le sourire aux lèvres et une joie surhumaine au cœur.

1379. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le théâtre annamite »

Mais il y a, chez ces hommes jaunes, quelque chose qui serait risible si leur vue ne serrait le cœur et n’emplissait les yeux d’épouvante. […] Je demande, quand mon cœur se soulève de dégoût, de pouvoir résister à l’exotisme sans être méprisé de mes contemporains, psychologues, impressionnistes ou simples snobs.

1380. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Nicole, Bourdaloue, Fénelon »

En face du grand ouvrier de la morale de Jésus-Christ, de ce sombre fouilleur du cœur humain, Nicole, avec ses petits traités de morale, ne fait plus l’effet que d’un de ces patients tourneurs en ivoire qui cisèlent des cathédrales à mettre sous le pouce dans un dé de verre, et encore la cathédrale a un détail de fines nervures et de ténuité délicate que n’avait pas Nicole. […] C’est un mystique sans ascension de cœur, comme disent les mystiques !

1381. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Bathild Bouniol »

Bathild Bouniol7 C’est sous ce ciel-là, retrouvé enfin par la muse de l’auteur des Chants du Passé, que se tient la muse de notre autre poète, Bathild Bouniol, mais elle a les pieds sur la terre, et son œil, plus attentif qu’inspiré, est fixé sur les hommes, qu’elle regarde jusqu’au fond du cœur. […] Pour une raison ou pour une autre : nature d’esprit, blessure au cœur, manque de bonté dans la vertu, tous les satiriques ont été cruels plus ou moins, soit dans leur rire, soit dans leur colère, soit dans leurs larmes ; or, pour la première fois, en voici un qui ne l’est pas, et dans les coups duquel on sent la pitié… Oui !

1382. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Champfleury ; Desnoireterres »

On a chaud de toute cette bonne et grasse couleur qu’Hebel étend sur la nature et les choses visibles ; on est encore tout attendri du sentiment moral qui spiritualise et poétise cette couleur d’école hollandaise appliquée sur des sujets allemands, et voilà que de ces fomentations délicieuses pour l’imagination et pour le cœur on entre dans le froid de la nudité et de la pauvreté réunies, — pauvreté d’idées, nudité de style, toutes les indigences à la fois ! […] Quand on touche aux fils saignants des cœurs délicats avec cette délicatesse de main, on est mieux qu’un miniaturiste d’une époque fanée, on est un moraliste et un émouvant écrivain.

1383. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Les nièces de Mazarin et son dernier petit-neveu le duc de Nivernais. Les Nièces de Mazarin, études de mœurs et de caractères au xviie  siècle, par Amédée Renée, 2e éd. revue et augmentée de documents inédits. Paris, Firmin Didot, 1856. » pp. 376-411

Elles n’ont qu’un mot, ces terribles nièces, un premier cri pour déplorer la mort de leur cher oncle, et ce cri du cœur est toute une oraison funèbre : Il est crevé ! […] Et cependant, au milieu des grandeurs et des magnificences qui l’environnaient, il lui manquait encore quelque chose ; son cœur se sentait au dedans un vide qui n’était pas comblé. […] Elle recevait avec beaucoup de douceur ce qu’il lui disait ; mais toutes ces instances ne faisaient au fond que l’importuner et l’aigrir contre la piété, qu’elle regardait comme son ennemie et sa grande rivale dans le cœur du prince. » C’est dans ces disposition d’une lutte intérieure déjà ancienne, qu’un jour elle se trouva tout d’un coup, et sans savoir comment, tournée à Dieu, persuadée des vérités de la foi et brûlant du désir de s’élever à la source suprême. Son cœur fut changé, et il ne le fut pas à demi ; c’est en ceci qu’elle se montra un grand cœur. […] Le grand-père du duc de Nivernais était le propre neveu de Mazarin, ce duc de Nevers, trop connu par sa querelle avec Racine et Boileau ; il s’est ainsi fait, de gaieté de cœur, une méchante affaire auprès de la postérité, et qui pèse encore sur son nom.

1384. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la liberté de l’enseignement »

Les combustions de nos tissus, de nos organes, sont la source de la chaleur et, par conséquent, d’après la grande loi de la transmutation des forces, la chaleur se trouve être indirectement le point de départ de tous les mouvements et de toutes les fonctions, soit du cœur, soit des artères, soit de la respiration. » (Patience, messieurs, nous allons avoir fini de la citation ; mais il est nécessaire de tout entendre :) « Dans l’état de fièvre, il se trouve simplement que les combustions sont exagérées par suite de l’introduction dans l’organisme d’un miasme ou d’un poison développé au dehors ou dans l’économie même. Or, comme la chaleur est la source du mouvement, il est naturel que le cœur et les artères battent avec plus de force que dans l’état normal. […] Joubert, a dit une belle parole : « Les vieilles religions ressemblent à ces vieux vins généreux qui échauffent le cœur, mais qui n’enflamment plus la tête. » Combien je voudrais que cette parole se vérifiât parmi nous ! […] messieurs, prenons garde que notre pays de France n’en vienne à cet état commandé d’hypocrisie sociale où le langage public ne saurait se passer de certaines formules convenues, quand le cœur et l’esprit de chacun n’y adhéreraient pas. […] La mollesse des mœurs, la lâcheté des opinions, la facilité ou la connivence des gens bien appris, laissent le champ libre plus que jamais en aucun temps à l’activité et au succès d’un parti ardent qui a ses intelligences jusque dans le cœur de la place et qui semble, par instants, près de déborder le pouvoir lui-même.

1385. (1888) Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes « Petit glossaire »

L’Anacampsérote au suc vermeil Est éclose au cœur las panacée. […] … Et les atroces fleurs qu’on appellerait cœurs et sœurs, damas damnant de langueur. […] La neige de l’immanent hiver à ton cœur qui croule. […] Et les cœurs des roses au parfum pérennel. […] Vidasse, vidasse ton cœur Ma pauvre rosse endolorie.

1386. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

Le cœur se refroidit ; l’âme baisse. […] Heureux les nobles cœurs et les rares esprits qui gagnent la maturité sans perdre le désintéressement ! […] Elle en est l’expression directe. — C’est ici le cœur même de notre sujet : la Physiologie appliquée à la Critique. […] On l’a défini en deux mots : sans cœur et sans honneur. […] On a le cœur plein d’allégresse, de reconnaissance et d’amour !

1387. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

C’est donc à la caractéristique odeur des cœurs imaginés du roman, qu’ils ont reconnu l’odeur de leur propre cœur. […] Chapuis, j’ai cru qu’il me poussait un chêne dans le cœur… » Je cite de mémoire et au hasard du souvenir. […] Leurs cœurs nous étaient un sûr asile, et une hospitalité merveilleuse, que nous ne retrouverons plus. […] … — ignorance du dessin… Brave cœur ! […] … Si le cœur vous en dit… j’ouvre ce champ, ce champ immense à votre activité… Réfléchissez et revenez me voir… Ça ne vous sourit pas ?

1388. (1890) Les romanciers d’aujourd’hui pp. -357

Il ne fut plus question du cœur que comme d’un viscère, et de l’âme que par métaphore. […] Enfin, dernier reproche, et non celui qui tient le moins au cœur des symbolistes, M.  […] L’éducation du cœur le préoccupe avant tout. […] Jules Hoche, Un cœur fêlé, par M.  […] Abel Hermant reconnaîtra un jour qu’il a, sans le vouloir, offensé un des sentiments qui nous tiennent le plus au cœur.

1389. (1927) Approximations. Deuxième série

Mais le bon sens, le tact, l’esprit et l’imagination ne servent de rien, si l’on n’a pas surtout et avant tout beaucoup de cœur. […] De quel prix n’est pas un cœur dur bien placé ? […] Devant une mort de cette nature, quand même le cœur ne se reproche rien, l’esprit est bien loin d’être aussi tranquille. […] Car comme il répond depuis qu’il est passé « de l’autre côté de notre cœur dans le secret de la vérité », ainsi que le disait Jouhandeau. […] Abel Bonnard, Les Royautés, Le Cœur, [1908..

1390. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Et comme le cœur d’Orphée est douloureusement abîmé, lorsqu’il voit soudain Eurydice à nouveau perdue ! […] » Et c’est l’oubli de soi-même, l’envahissement total du cœur par l’éblouissante gloire. […] Une fièvre de passion évoque, dans nos cœurs, les scènes — atténuées pourtant et combien pâlies !  […] D’autres fois, il lui a opposé la beauté plus haute d’une âme naïve et d’un cœur charitable. […] Sabatier l’a ressuscitée telle que la désirait notre cœur.

1391. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mort de M. Vinet »

Il n’avait rien de ce que ce titre fait d’abord supposer, rien surtout de dogmatique ; et c’est en moraliste principalement, c’est par les voies pratiques du cœur qu’il avait approfondi la foi. […] Il n’est point de petites patries, et le cœur surtout n’y bat ni moins vite ni moins fort que dans les grandes.

1392. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de Dampmartin, Maréchal de camp »

Il est vrai que ces places étaient peu considérées dans le monde, parce qu’on n’y voyait que le salaire des services ; elles étaient néanmoins une consolation et un but pour un cœur plébéien avide d’espérance ; et d’ailleurs l’exemple de Fabert n’était-il pas là, attestant que la gloire avait une fois été permise ? […] Selon le témoignage non suspect de M. de Dampmartin, les cœurs des vieux guerriers furent ulcérés ; cette discipline austère que jusqu’alors ils chérissaient leur pesa, et ils montraient avec amertume leurs cheveux blancs, auxquels on imprimait une si solennelle flétrissure.

1393. (1874) Premiers lundis. Tome II « L. Bœrne. Lettres écrites de paris pendant les années 1830 et 1831, traduites par M. Guiran. »

Ce que lui inspiraient de transports ces glorieux symboles, qu’il interprétait selon son cœur, ce que le mouvement et la conversation de chaque jour lui apportaient d’espérances, d’enthousiasme croissant, puis par degrés, plus tard, de refroidissement et de mécomptes, il l’écrit chaque soir, en quelques mots, sans beaucoup de suite, mais avec verve et sincérité. […] La poésie ne rassasie aucun prince, et s’il a un cœur faible qui ne puisse rien digérer de fort, il s’affaiblit lui-même. » M. 

1394. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les brimades. » pp. 208-214

Mais, que la pitié ne soit pas toujours la bonté, et que la sensibilité nerveuse ne soit pas toujours la pitié, il n’en paraît pas moins qu’il y a eu, de nos jours, un certain amollissement des cœurs et quelque diminution de la cruauté. […] Serait-ce que, après tout, les « humanités » sont humaines en effet ; que les lettres, au moins dans le temps où on ne les pratique pas pour vivre, adoucissent les cœurs, et que la mathématique les endurcit ?

1395. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Introduction » pp. 2-6

S’il n’a pas l’intelligence assez ouverte et le cœur assez calme pour rendre justice aux œuvres les plus contraires à son propre tempérament, qu’il se fasse polémiste, qu’il se jette bravement dans la mêlée, mais qu’il renonce à l’histoire ! […] S’il désire puiser dans les faits des arguments à l’appui d’une doctrine qui lui tient à cœur, il est entraîné malgré lui à grossir les uns et à négliger les autres ; il se crée un intérêt, ce qui est un moyen sûr « pour se crever agréablement les yeux », suivant l’expression de Pascal.

1396. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre premier. Que la Mythologie rapetissait la nature ; que les Anciens n’avaient point de Poésie proprement dite descriptive. »

qu’en résulte-t-il pour le cœur ? […] Le voyageur s’assied sur le tronc d’un chêne, pour attendre le jour ; il regarde tour à tour l’astre des nuits, les ténèbres, le fleuve ; il se sent inquiet, agité, et, dans l’attente de quelque chose d’inconnu ; un plaisir inouï, une crainte extraordinaire font palpiter son sein, comme s’il allait être admis à quelque secret de la Divinité : il est seul au fond des forêts ; mais l’esprit de l’homme remplit aisément les espaces de la nature ; et toutes les solitudes de la terre sont moins vastes qu’une seule pensée de son cœur.

1397. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 4, du pouvoir que les imitations ont sur nous, et de la facilité avec laquelle le coeur humain est ému » pp. 34-42

Section 4, du pouvoir que les imitations ont sur nous, et de la facilité avec laquelle le coeur humain est ému Personne ne doute que les poëmes ne puissent exciter en nous des passions artificielles, mais il paroîtra peut-être extraordinaire à bien du monde et même à des peintres de profession, d’entendre dire que des tableaux, que des couleurs appliquées sur une toile puissent exciter en nous des passions : cependant cette verité ne peut surprendre que ceux qui ne font pas d’attention à ce qui se passe dans eux-mêmes. […] Quand on fait attention à la sensibilité naturelle du coeur humain, à sa disposition pour être ému facilement par tous les objets dont les peintres et les poëtes font des imitations ; on n’est pas surpris que les vers et les tableaux mêmes puissent l’agiter.

1398. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Méry »

Cet ouvrage en est un : il est intéressant, passionné, palpitant, comme la question qui nous prend tous, en ce moment, par le cœur ou par la pensée, par le sang ou par la fierté. […] nous sommes assez loin, comme l’on voit, de l’histoire pâle et sans cœur de Ranke, ce doctrinaire de l’Allemagne, dont nous pouvions dire le vers de Voltaire : L’abbé Trublet m’avait pétrifié !

1399. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VII. Les poëtes. » pp. 172-231

Cette sorte de poésie ressemble à la cuisine ; il ne faut ni cœur ni génie pour la faire, mais une main légère, un œil attentif et un goût exercé. […] « Perdra-t-elle son cœur ou son collier au bal, fera-t-elle un accroc à son honneur ou à sa robe1115 ?  […] Comment de gaieté de cœur un poëte a-t-il pu traîner son talent parmi de telles images, et contraindre ses vers si ingénieusement tissés à recevoir ces immondices ? […] Quoi de plus plat qu’une partie de cartes, et de plus rebelle à la poésie que la dame de pique ou le roi de cœur ? […] Il voyait et aimait la campagne jusque dans ses plus minces détails, non par grimace, comme Saint-Lambert, son imitateur ; il en faisait sa joie, son divertissement, son occupation habituelle, jardinier de cœur, ravi de voir venir le printemps, heureux de pouvoir enclore un champ de plus dans son jardin.

1400. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Quant au style, on ne s’occupe pas de cela chez ce public ingénu, bon diable, facile à émouvoir et qui, se livrant de grand cœur, ne compte pas plus ses larmes que ses rires. […] Dans le livre, ce sont des traits sensationnels qui poignent le cœur et rendent les yeux humides. […] Des confidences qu’il a reçues en particulier de Mme Gourand, il résulterait que cette procréatrice intarissable des Cœurs de France, des Cœurs vaillants, de Dieu et Patrie ! […] Il y a bien encore, dans ce domaine de la fiction simple, des horizons élargis vers lesquels le cœur pourrait s’ouvrir et l’âme se répandre. […] Il y a la littérature humaine et la religion humaine, qui sont les mêmes pour tous les cœurs et pour tous les esprits.

1401. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre X, Prométhée enchaîné »

— « Le cœur me manque ! […] Il en gémit au fond de son cœur ; il gronde sourdement, sous la voix stridente qui l’excite, comme le feu qu’il recèle en lui, sous le fer aigu qui l’attise. […] Quand il regrette de n’avoir pas été enfoui sous l’épaisseur du Tartare, parce qu’alors nul dieu ne pourrait le voir et se réjouir de ses maux : — « Qui donc, parmi les Dieux, s’écrient-elles, a le cœur assez dur pour se complaire à tes tourments ? […] Mon cœur saute sur ma poitrine, mes yeux roulent égarés ! […] Le bec de l’aigle meurtrissant son flanc lui rappelait le coup de lance qui avait percé le cœur du Sauveur.

1402. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1890 » pp. 115-193

Et dire que ce sentiment fraternel qui la remplit, présenté d’une manière si délicate, si émotionnante, dire que ce moyen d’action sur les cœurs, cette chose absolument neuve au théâtre, et remplaçant le bête d’amour de toutes les pièces, aucun critique n’en a signalé l’originalité. […] Gille est un simple fumeur de cigarettes, un jour qu’il s’était laissé aller à fumer un gros cigare, il rencontre Callias boulevard de Clichy, et comme Callias lui demande comment ça va : « Ma foi, lui répond Gille, avec un commencement de mal de cœur ! […] simplement parce que mes souffrances patriotiques et mes deuils de cœur : c’est écrit. […] Je veux encore m’arrêter un moment, sur ce merveilleux récit, sur cette étude apitoyée d’une humble âme de peuple qui a pour titre : Un cœur simple. […] Or, Messieurs, en lisant Un cœur simple, j’ai comme la sensation de lire une histoire qui a pris à ces tablettes de vieux chêne, la naïveté et la touchante simplesse, de ce qu’ont écrit dessus, votre paysan et votre pêcheur.

1403. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Touchés de tant de merveilles, épanchons nos cœurs sur la piété de Louis ; poussons jusqu’au ciel nos acclamations, et disons à ce nouveau Constantin, à ce nouveau Théodose, à ce nouveau Marcien, à ce nouveau Charlemagne, ce que les six cent trente Pères dirent autrefois dans le concile de Chalcédoine ; « Vous avez affermi la foi, vous avez exterminé les hérétiques : c’est le digne ouvrage de votre règne, c’en est le propre caractère. […] Ces ruines, en effet, ce ne sont pas uniquement celles de l’« hérésie », celles d’un petit peuple endurant et fier, ce sont aussi les ruines de la France, que cette élite conduisait lentement à l’avenir, et qui demeure sans force, comme prostrée, après ce coup de poignard dont l’Église l’a frappée au cœur. […] Le fastueux orateur chrétien dont la France n’est pas encore lasse de s’enorgueillir, celui qu’elle présente au monde comme l’une de ses gloires les plus pures, est en vérité celui qui lui donna le plus formidable coup de poignard dont son cœur ait saigné. […] C’est à ces derniers, à tous ceux qui ont dressé dans leur cœur un double autel au catholicisme et au chauvinisme, aux patriotes d’Église, qu’il serait permis d’adresser ces paroles : « Ô naïfs ! […] « Mais l’hypocrisie déprima peut-être trop violemment vos cerveaux et vos cœurs pour vous permettre aujourd’hui de reconnaître louablement la vérité.

1404. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Si, au mystère de leur cœur grandit un amour secret, ils sentent sa force douce éclore en eux « comme un lis de mer s’épanouit au fond des eaux tièdes de l’Océan ». […] Leur cœur de fièvre ne leur permet pas un long repos. […] Quand vous déciderez-vous à l’écouter avec vos cœurs ? […] De l’abîme qu’il aima, admirant « la vastitude de l’image céleste réfléchie », le poète maintenant s’évade, le cœur soulevé. […] Il s’en allait des jours entiers à travers champs, Le cœur en peine et la pensée à l’aventure.

1405. (1913) La Fontaine « VI. Ses petits poèmes  son théâtre. »

Ces rapprochements sont un travail auquel nous n’avons pas le temps de nous livrer, mais c’est un travail charmant que de voir comment l’artiste s’exploite lui-même, et comment l’artiste fait ses réserves, lorsqu’il a rencontré quelque chose qu’il trouve agréable pour en faire quelque chose de plus agréable encore et de plus selon son cœur et selon son goût. […] Toutefois, prenant cœur pour cet exploit guerrier, J’ai vaillamment porté mon pied à l’étrier ; D’une main empoignant le pommeau de la selle, Pour porter l’autre jambe en l’autre part d’icelle, Je me guindais en l’air quand la selle a tourné. […] Il est vrai que jadis, respectant leurs ouvrages, Le cœur était touché de leurs doctes images ; Les vives passions s’y faisaient admirer : On était assez sot pour y venir pleurer. […] Pendant ce temps, le tuteur, qui reçoit ces belles confidences en plein visage, enrage de tout son cœur. […] Agathe est précisément la mère de cet affreux tuteur, et elle n’est pas du tout dans les idées de son fils ; elle le sermonne de tout son cœur sur sa jalousie, surtout sur la stupidité de sa jalousie.

1406. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803 » pp. 2-15

Il n’y a pas un mot dans sa lettre qui ne semble dire au lecteur, quand, on fait ce rapprochement : Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur. Il y a en effet, dans le fond de ce cœur, une sorte de bonté et de pureté qui ne permettra jamais à ce pauvre garçon, j’en ai bien peur, de connaître et de condamner les sottises qu’il aura faites, parce qu’à la conscience de sa conduite, qui exigerait des réflexions, il opposera toujours machinalement le sentiment de son essence ; qui est fort bonne. […] alors, si on laisse la question de talent à part et à ne parler qu’au moral, il se gâta décidément ; il se plissa au front et au cœur d’un repli de plus ; il mit un dernier bouton, sauf à le faire sauter de temps en temps quand cela le gênait.

1407. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, romans (1832) »

Le jeune homme a le cœur plein ; qu’il parle, qu’il chante, qu’il soupire ! […] Les descriptions, les analyses de cœur, les conversations rapportées, les pièces diplomatiques citées au long, nous font plus d’une fois perdre de vue l’auditoire ; et quand le chien Rask remue la queue, ou que le sergent Thadée pousse une exclamation, on a besoin de quelques efforts pour se rappeler le lieu et les circonstances. […] Gringoire ne va qu’au hasard, pauvre diable rabelaisien, trébuchant à chaque pavé, se relevant, se consolant toujours, promené de mécomptes en engouements, raisonneur et pipé, vêtu de bigarrures, se guérissant d’une manie par une autre ; véritablement homme, moins la chaleur, il est vrai, moins la fécondité et le cœur ; admirable Sosie chargé de la friperie de l’âme.

1408. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « JULES LEFÈVRE. Confidences, poésies, 1833. » pp. 249-261

» Je ne chicanerai pas le poëte sur cette prétendue modestie, qui pourrait sembler à plusieurs une très-innocente et très-excusable vanité ; je serais fâché d’être dur, en insistant sur un simple caprice de cœur souffrant. […] On retrouve toujours l’amant de Maria ; Marguerite de Cérisy est la même que la coquette des Confidences, la femme sans cœur. […] Son intime ami Émile Deschamps, à qui nous devons quelques-uns de ces détails particuliers, l’a défini ainsi, tel qu’il était dans son meilleur temps et dans la saison des espérances. « Génie poétique, cœur ingénu, ayant du bel esprit dans la région du sublime. »

1409. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. Vitet à l’Académie française. »

Que son Ombre se résigne pourtant, qu’elle nous pardonne du moins si ces quelques vers de sa jeunesse sont restés gravés préférablement dans bien des cœurs. […] C’est une source abondante d’inspiration que l’honnêteté du cœur, que le désintéressement de la vie. […] Ce qui est plus rare et plus méritoire, c’est la bonté dans la seconde moitié de la vie, une bonté active, éclairée, le cœur qui se perfectionne en vieillissant : cela prouve qu’on a fait bon usage de la première part et qu’on n’a pas mésusé du premier fonds.

1410. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre II. Le lyrisme bourgeois »

L’un d’eux, Jean Bodel, un talent universel, épique, lyrique, dramatique, fut atteint de la lèpre, et obligé, selon le règlement de police qui était en vigueur, d’aller s’enfermer dans une léproserie ; avant de partir, il fit ses adieux au monde, à sa ville d’Arras, à tous ses amis et voisins, en quarante et une strophes de douze vers, triste et le cœur dolent, comme on peut penser, mais trouvant encore la force de sourire, et faisant en somme belle contenance. […] C’est du fond de son cœur qu’il nous dit et répété : La chose qui soit plus certaine, C’est que la mort nous courra sus : La plus incertaine, c’est l’heure. […] Pour dire son triste mariage, le manque d’argent, le froid, la faim, les amis « que le vent emporte, et il ventait devant ma porte », il a des mots pénétrants, de mélancoliques ironies qui vont au cœur.

1411. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVIII. Caractère essentiel de l’œuvre de Jésus. »

Montrer que la religion fondée par Jésus a été la conséquence naturelle de ce qui avait précédé, ce n’est pas en diminuer l’excellence ; c’est prouver qu’elle a eu sa raison d’être, qu’elle fut légitime, c’est-à-dire conforme aux instincts et aux besoins du cœur en un siècle donné. […] Il n’a pas été impeccable ; il a vaincu les mêmes passions que nous combattons ; aucun ange de Dieu ne l’a conforté, si ce n’est sa bonne conscience ; aucun Satan ne l’a tenté, si ce n’est celui que chacun porte en son cœur. […] Son culte se rajeunira sans cesse ; sa légende provoquera des larmes sans fin ; ses souffrances attendriront les meilleurs cœurs ; tous les siècles proclameront qu’entre les fils des hommes, il n’en est pas né de plus grand que Jésus.

1412. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1852 » pp. 13-28

* * * — Dans l’hypertrophie du cœur, la figure, après la mort, prend le caractère extatique. […] C’était une bête généreuse, noble, vénérable, une bête de cœur et de race. […] — Je hais tout ce qui est cœur imprimé, mis sur du papier.

1413. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre troisième. De la sympathie et de la sociabilité dans la critique. »

Dans la connaissance qu’on prend d’un beau livre, d’un beau morceau de musique, il y a trois périodes ; la première, quand le livre est encore inconnu, qu’on le lit ou qu’on le déchiffre, qu’on le découvre en un mot : c’est la période d’enthousiasme ; la seconde, lorsqu’on l’a relu, redit à satiété : c’est la fatigue ; la troisième, quand on le connaît vraiment à fond et qu’il a résonné et vécu quelque temps en notre cœur : c’est l’amitié ; alors seulement on peut le juger bien. […] Il garde pour un temps cette chose indéfinissable, si fragile et si profonde, l’accent de la personne, qui va le mieux au cœur de quiconque sait aimer. […] Au contraire, dans un simple regard de la personne aimée vous verrez jusqu’à son cœur, avec la diversité infinie des sentiments qui s’y agitent.

1414. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre septième. »

Quelle finesse dans cette peinture du cœur ! […] On voit que La Fontaine parle ici d’abondance de cœur. […] C’est une peinture de mœurs qui est encore fidèle de nos jours ; et ce dernier trait : Pour se faire annoncer ce que l’on desirait, développe les derniers replis du cœur humain.

1415. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

Doué d’une imagination facile, il excellait dans l’à-propos ; mais il dédaignait ces triomphes que l’esprit obtient aux dépens du cœur. […] Tour à tour naïve, tendre, morale, et guerrière, elle fait éclore les idées les plus riantes et les sentiments les plus élevés ; elle inspire l’amour, cimente l’amitié, frappe le ridicule, enflamme le courage ; enfin, est à la fois l’interprète du cœur et l’organe de l’esprit. […] Le dix-huitième commence, et les mœurs se dépravent encore ; mais ce n’est point ce désordre seul qui afflige les regards de l’observateur ; une plaie cruelle porte ses ravages jusque dans le cœur, de l’État.

1416. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XV. Mme la Mise de Blocqueville »

Mais, femme en tout (les femmes le sont, toujours), elle a été tyrannisée par les souvenirs de son esprit, comme on l’est par les souvenirs de son cœur. […] Sa duchesse Eltha qui est une Lélia catholique et mystique ; son Lucio, qui est un Sténio sans débordement ; son critique Malesch, dont l’esprit a dévoré le cœur et qui est un Tremnor sans galère, ne sont pas certainement autre chose que des personnes de la connaissance de Mme de Blocqueville, des habitués de son salon, enchantés et peut-être fiers de se rencontrer dans son livre. […] Eugénie de Guérin, dont Mme de Blocqueville se vante, à la première page de son livre, de s’être inspirée, Eugénie de Guérin qui, si elle revenait au monde, s’effrayerait, dans sa simplicité de cœur et de foi, du fatras auquel on la mêle, n’avait point de ces façons de penser sur le catholicisme que professent Mme la duchesse Eltha et Messieurs ses amis.

1417. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVIII. Souvenirs d’une Cosaque »

… Les rares, les très rares livres qui expriment l’amour, — l’amour pour le compte des cœurs qui les ont écrits, ont un accent sur lequel il ne peut y avoir ni méprise ni doute. […] Cette femme, dont le cœur est dans les oreilles, qui adore le bruit, comme Pythagore adorait l’écho, voudrait faire du bruit à tout prix ; voudrait monter sur le bruit, sur ce vent que souffle la bouche des hommes, comme sur un hippogriffe préférable à tous les chevaux qu’elle a montés, cette écuyère ! […] Je veux la mort de son péché, mais je ne veux point la mort de la pécheresse qui peut nous écrire autre chose que des pamphlets de cœur.

1418. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Les Césars »

Dans les premières années de ce siècle, deux hommes de génie, mais d’un génie qui finissait en rêverie, comme la flamme la plus pure finit en fumée, Ballanche et Niebuhr, frappèrent, avec des préoccupations diverses, au cœur même de la chose romaine ; mais l’exactitude de leurs travaux plus illuminés que lumineux, n’est-elle pas une question encore ? […] L’auteur était un homme froid d’esprit, chaud de cœur. […] Si cela est, le poignard de Brutus atteignit plus loin que le cœur d’un grand homme, il atteignit les temps qui n’étaient pas encore, et Rome elle-même.

1419. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Jacques Cœur et Charles VII »

Seulement, dès qu’on a traversé toute cette splendeur et qu’on a mis la main sur le cœur de l’homme, on ne trouve plus qu’un être abject, auquel Dieu — qui sait seul ses desseins — a fait une grande destinée. […] C’était l’asservissement à une âme impérieuse d’une âme faible, en proie à tous les ennuis du plaisir et du favoritisme ; c’était le croupissement des sens et du cœur, qu’il faut bien se garder de confondre avec cette facilité des âmes fortes et qu’on ne voudrait voir qu’aux âmes pures : la fidélité. […] Grâce à lui, il n’y avait pas « dans toutes les mers de l’Orient — dit Georges Chastelain en ses chroniques — mât de vaisseau revêtu, sinon des fleurs de lys de France. » Il réalisait enfin au pied de la lettre la fière devise d’un blason nouvellement conquis : « À cœurs vaillants rien d’impossible ! 

1420. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme et l’Enfant » pp. 11-26

Soit pour la femme, soit pour l’enfant, ces deux racines, horizontale et verticale, qui attachent nos cœurs à la terre, disait Jean-Paul avec une expression inspirée, soit pour l’homme même qui les opprime, pour la créature humaine enfin, la douleur et la misère ont leur source là où aucune philosophie et nulle économie politique ne sauraient pénétrer jamais. […] Dans ce monde tel que l’a fait, ou que l’a défait plutôt la philosophie, tout n’est pas, pour l’apaisement du cœur et pour le bonheur de la vie, dans l’étanchement des besoins corporels et dans ce qu’on appelle le bien-être. […] À toute cette époque depuis qu’elle est établie elle avait préparé la solution du problème social dans le fond du cœur de chaque homme.

1421. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vacquerie » pp. 73-89

Nous sommes pour la liberté de cœur. » — « Nous estimons par-dessus tout — dit-il ailleurs — les natures dévouées qui s’oublient dès qu’elles aiment, et qui paieraient de leur honneur et de leur paradis les joies de l’amant. » Parmi toutes les passions que Vacquerie respecte et couronne, il n’y en a qu’une seule qu’il ne comprend pas plus que les passions de la tragédie de Racine : c’est la passion de la décence, de la chasteté et du devoir ! […] Quel cri déchirant jeté par le cœur ! […] Et Vacquerie continue à nous montrer le travail du poète : « Il fouille, il creuse, il troue, il frappe du front, il pousse du cœur, il va, il perce le globe de part en part, il crève la terre et il roule échevelé dans les étoiles ! 

1422. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Horace Walpole »

Comme Swift, qui fut affreux, à plus de cinquante ans, comme un vieux homme à bonnes fortunes, avec les deux femmes qui l’aimèrent et dont il brisa le cœur par une férocité d’égoïsme qui le déshonora, Walpole a été cruellement dur avec l’unique femme qui l’ait aimé et dont l’amour, le seul amour octogénaire qui ait jamais existé dans l’histoire des cœurs, exalta, humilia et inquiéta tout à la fois ses mille vanités de dandy. […] Un moment, la vie les avait séparés, mais ils s’étaient rapprochés par la force des premières années, qui décident toujours des dernières dans nos pauvres cœurs, si craie soient-ils !

1423. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIX. M. Eugène Pelletan »

quand on veut élever ce mot à la hauteur d’une démonstration qui force la foi et en moule énergiquement l’expression dans un symbole, il se trouve des difficultés embarrassantes auxquelles tout d’abord on ne pensait pas… Et nous ne parlons pas pour nous, qui n’avons ni dans le cœur ni dans l’esprit la même foi que M.  […] Il y a en lui des tendresses de cœur, des forces de sentiment qui ne savent plus que devenir dans ce système, sans Dieu personnel, de l’humanité progressive ! […] Nous sentons battre le cœur sous toutes ces cuirasses, quand il bat fort, comme celui de M. 

1424. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Raymond Brucker. Les Docteurs du jour devant la Famille » pp. 149-165

Mais il n’écrivait plus ; il avait donné sa démission de la littérature… L’ancien éventailliste du premier Figaro, dégoûté des Célimènes et des journaux pour lesquels il avait travaillé, dégoûté même des livres qu’il avait écrits, dégoûté des philosophies par lesquelles il avait passé, s’était fait chrétien pour en finir avec tous ces dégoûts, qui sont les égouts de nos cœurs… Il était devenu chrétien, — mais le christianisme de Brucker n’était pas ce haut balcon d’où l’on peut cracher sur le monde méprisé. […] Le livre des Docteurs du jour porte cette marque glorieuse d’être l’expression exaspérée ou désespérée du sentiment paternel, que les docteurs d’aujourd’hui comme d’hier ont pour sagesse de vouloir arracher du cœur des hommes et de leurs législations ! […] Et, en effet, tant que la Paternité, qui est dans la famille ce que Dieu même est dans l’univers, restera debout dans un seul code ou dans un seul cœur ; — tant que cette Paternité discutée, diminuée, méprisée, imbécillisée comme elle l’est par de lâches tendresses, n’aura pas cependant entièrement perdu la notion de son imprescriptible droit et n’aura pas été remplacée par l’État, ce tyran eunuque qui n’a pas d’enfants !

1425. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Gratry »

Ici est le cœur même du livre de l’abbé Gratry. […] Une chose qui nous paraît, du reste, encore plus considérable et plus nouvelle que la méthode inductive elle-même, que ce passage du fini à l’infini dont l’abbé Gratry décrit le mouvement dans l’intelligence avec une si rare précision, c’est la disposition morale de la volonté exigée pour que le mouvement de l’esprit s’opère aisément et s’accomplisse : « Le mouvement intellectuel vers l’infini, c’est-à-dire vers Dieu, est toujours vrai, — a dit l’auteur de la Connaissance de Dieu ; — il est toujours possible, dès que l’homme est doué de raison ; mais il ne s’exécute pas dans l’âme sans un mouvement de cœur correspondant. » Et c’est ainsi que l’abîme entre l’homme moral et l’homme intellectuel est comblé, cet abîme que n’avait pas franchi l’audacieuse pensée de Kant ! […] C’est enfin la justification par la métaphysique du mot sublime de nos saints livres : Il n’y a que ceux qui ont le cœur pur qui verront Dieu !

1426. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Hector de Saint-Maur »

Esprit ouvert, cœur ouvert, main ouverte à tous les amis ! […] Elle aurait dû le dépasser, — Si paresseuse à se lever, cette aurore, attardée jusqu’au crépuscule, a souvent montré combien, dans les vrais poètes, immortels d’esprit et de cœur, le couchant ressemble à l’aurore. […] Mais je crois bien que s’il est un poète qui puisse devenir populaire, c’est Saint-Maur, malgré la hauteur de la sienne, et par la raison que sa poésie, avec son accent profondément humain et sensible, est au niveau de tous les cœurs.

1427. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Stendhal et Balzac » pp. 1-16

Or, tel est le livre de Stendhal : il est didactique ; il est réfléchi, profond, analysé jusque dans les dernières fibrilles du cœur ; et il a cette originalité hautaine et charmante qui choque les vanités vulgaires, dont elles se vengent en l’appelant souvent prétention. […] Quoiqu’il n’ait pas eu à se plaindre de la destinée autant que bien d’autres, plus grands que leur vie, qui passent lentement, qui passent longtemps, qui vieillissent, leur chef-d’œuvre à la main, sans que les hommes, ces atroces distraits, ces Ménalques de l’égoïsme et de la sottise, daignent leur aumôner un regard ; quoique son sort, matériellement heureux, n’ait ressemblé en rien à celui, par exemple, du plus pur artiste qu’on ait vu depuis André Chénier, de cet Hégésippe Moreau qui a tendu à toute son époque cette divine corbeille de myosotis entrelacés par ses mains athéniennes, comme une sébile de fleurs mouillées de larmes, sans qu’il y soit jamais rien tombé que les siennes et les gouttes du sang de son cœur, Beyle, de son vivant, n’eut pas non plus la part qui revenait aux mérites de sa pensée. […] Le livre de l’Amour, — ce chef-d’œuvre de pointillé dans l’observation et de grâce inattendue dans le bien dire, que Sterne aurait admiré, et où les nuances, qui ondoient, chatoient, se fondent et s’évanouissent comme des lueurs d’opale dans le merveilleux observateur du Sentimental Journey, sont nettement fixées sous le regard par un procédé supérieur d’analyse sans rien perdre de leur ténuité et de leurs qualités presque immatérielles, — ce livre d’un agrafeur de nuances (ces mots-là sont faits pour lui seul), ce livre qui a tout dit et fait le tour du cœur, de ce muscle qui renferme l’infini, comme on fait le tour de la terre, de cette misérable petite chose que Voltaire appelait « un globule terraqué », nous ne croyons pas que Paulin Limayrac l’admire et l’aime mieux que nous.

1428. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Arthur de Gravillon »

J’aime les Morts est un livre de cœur, profond et bizarre comme la chose même dont il parle. […] Je n’ai point voulu percer devant vous une croisée régulière, à carreaux blancs, sobrement encadrée, selon les règles de la maison bourgeoise ; mais, disposant capricieusement ces quarante chapitres autour d’une idée centrale, j’ai prétendu élever, tout au fond de votre cœur, avec des images entassées jusqu’au fouillis et des couleurs étendues jusqu’à la profusion, la flamboyante rosace de la mort. » Et ce qu’il a voulu faire, il l’a fait, cet enlumineur de vitrail jusqu’à l’incendie, ce faiseur de rosace de la mort, dont il grave les feuilles de flamme jusque dans les plus noires obscurités de nos cœurs !

1429. (1927) Des romantiques à nous

Vue métaphysique qui ne saurait aller, nous en convenons, sans une certaine émotion du cœur. […] Et ce qui est du cœur, ce qui est des sens ne se distinguent-ils d’aucune façon ? […] Et c’est un point que j’ai fort à cœur. […] Mais leur chant, à tous deux, s’il se déroule avec une habileté consommée, part du cœur. […] Il avait le cœur simple et grand, l’intelligence vaste, avide et vigoureuse.

1430. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Notes et pensées » pp. 441-535

. — Turbidus me trouve enfin et m’embrasse, il me demande si je l’aime, et avec son cœur il m’ouvre bientôt son tiroir, son portefeuille. […] » Cette garantie qu’il me donne d’amitiés si distinguées dans le passé est une façon indirecte de jugement qui chatouille bien agréablement le cœur. […] De là un revers de main violent, et ces injustices de détail dont souffrent de près et saignent les cœurs honnêtes. […] Grave-les dans ton cœur, n’y réponds jamais. […] Voici cet article du Globe, cet en-tête qui est de moi : La poésie s’est montrée empressée de célébrer la grandeur des derniers événements ; ils étaient faits pour inspirer tous ceux qui ont un cœur et une voix.

1431. (1890) Le réalisme et le naturalisme dans la littérature et dans l’art pp. -399

L’amour s’est à la lettre « emparé de ses sons », elle respire en haletant, son cœur bat dans sa poitrine à la lui rompre. […] Mais la souffrance, qui révèle les cœurs, fait transparaître les mauvais sentiments de Saintré. […] Leur imagination devient païenne, tandis que leur cœur reste chrétien. […] Il a le cœur sur la main, et le donne à Pierre, son sauveur, dès le premier instant. […] On aime à se souvenir qu’un autre réaliste, de plus de cœur et par là même de plus de pénétration — car c’est par le cœur que l’on comprend le peuple, bien plus que par l’esprit — Tolstoï, a fait l’apologie de l’âme populaire, si méprisée chez nous.

1432. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Un génie apparut à sa nourrice, dit la rumeur antique, et lui prédit qu’elle allaitait, dans cet enfant, le salut de Rome, ce qui signifie que la physionomie et le regard de cet enfant répandaient dans le cœur de sa mère et de sa nourrice on ne sait quel pressentiment de grandeur et de vertu innées. […] Invention des arguments, enchaînement des faits, conclusion des témoignages, élévation des pensées, puissance des raisonnements, harmonie des paroles, nouveauté et splendeur des images, conviction de l’esprit, pathétique du cœur, grâce et insinuation des exordes, force et foudre des péroraisons, beauté de la diction, majesté de la personne, dignité du geste, tout porta, en peu d’années, le jeune orateur au sommet de l’art et de la renommée. […] Pourquoi me suis-je laissé glacer le cœur par cette froideur de Pompée ? […] La mort lui ayant enlevé bientôt après sa fille Tullia, délices et orgueil de son cœur, il en conçut une telle douleur qu’il s’offensa de ce que cette douleur n’était pas assez partagée par sa nouvelle épouse, jalouse, sans doute, de n’être pas le seul objet de ses tendresses, et qu’il s’éloigna d’elle et se renferma dans la solitude avec ses larmes et son génie. […] Il ne pouvait s’arracher à cette dernière plage de l’Italie, ni désespérer tout à fait du cœur et de la reconnaissance d’Octave.

1433. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

Il trouve qu’on s’est trompé sur ces peuples… que leur douceur pour les animaux n’est pas venue de la métempsycose ; bien au contraire, c’est elle, la métempsycose, qui vient de cette douceur : « Ce n’est pas leur foi, dit-il, qui a fait leur cœur, c’est leur cœur qui a fait leur foi !  […] En le voyant entrer tout essoufflé, il lui croyait une maladie de cœur, il ne lui a trouvé qu’un catarrhe. […] Grande femme échevelée, l’air poitrinaire et fou, valsant la taille presque entièrement ployée, la tête renversée, les cheveux balayant l’air, pâmée et défaillante, et qui faisait tournoyer indéfiniment sous vos regards, ainsi que sur un oreiller, le visage d’une convalescente, aux yeux demi-fermés, ne laissant voir que le petit point noir de sa pupille, à la bouche ouverte comme un cœur de fleur, où il y aurait de l’ombre. […] Des citrons, des tomates, de l’absinthe, du laudanum, c’était l’alimentation de la princesse Narichine, et la duchesse de M… ne se nourrit que de salade et de bonbons, éprouve des maux de cœur devant le bouillon et la viande, et à ses dernières couches, on n’a pu la faire revenir d’une syncope qu’au moyen d’une bouteille de rhum. […] Nous l’avons ce vieil ami devant nous, dans la voiture, et nous sommes péniblement remués et frappés au cœur, par sa faiblesse, l’abandon de son corps voûté, les quintes de sa petite toux de gorge qui ne cesse pas, la souffrance qui traverse visiblement l’expression de sa figure, l’absorption qui la fait muette, enfin tout cet aspect navrant d’un homme qui s’en va.

1434. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Au contraire, que de vieillards dont le cœur reste toujours jeune et la vie toujours féconde, comme ces arbres patients et tardifs qui fleurissent jusqu’en automne, à l’époque où les feuilles meurent ! […] La soif insatiable de tout ce qui est au-delà et que voile la vie est la preuve la plus vivante de notre immortalité… Ainsi le principe de la poésie est stricte ment et simplement, l’aspiration humaine vers une beauté supérieure, et la manifestation de ce principe est dans un enthousiasme, un enlèvement de l’âme, enthousiasme tout à fait indépendant de la passion, qui est l’ivresse du cœur, et de la vérité, qui est la pâture de la raison. […]         Mon cœur, comme un tambour voilé,         Va battant des marches funèbres316. Lui-même intitule Obsession la pièce qui commence par ces vers : Grands bois, vous m’effrayez comme des cathédrales ; Vous hurlez comme l’orgue ; et dans nos cœurs maudits, Chambres d’éternel deuil où vibrent de vieux râles, Répondent les échos de vos De profundis. […] Fait-il un hymne à la beauté, il s’écrie : Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques, De tes bijoux l’Horreur n’est pas le moins charmant.Voici d’ailleurs sous quelles couleurs il nous dépeint son propre cœur : Mon cœur est un palais flétri par la cohue ; On s’y soûle, on s’y tue, on s’y prend aux cheveux !

1435. (1903) La renaissance classique pp. -

Mais le poète qui l’a solidement enfoncé au cœur même de sa race et de sa patrie sait que le fondement en est immuable et qu’on ne peut l’en arracher sans le détruire. […] Mais pour ceux-là qui veulent renouer la tradition classique, il est des raisons peut-être plus pressantes de rester attachés de tout leur cœur au symbole de la Patrie. […] Si ces mauvais maîtres ont amolli nos corps, ils ont gâté nos cœurs par les sentimentalités les plus basses. […] Nous sommes au cœur de la France. […] Nos mains ne seront point lâches, ni nos cœurs tremblants, puisque leur souvenir s’est réveillé dans nos âmes.

1436. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

C’est ainsi que pour exalter Corneille, en qui il voit Eschyle, Sophocle, tous les tragiques grecs réunis, il sacrifie et diminue Racine ; c’est ainsi que, pour mieux célébrer l’époque de Louis XIII et de la régence qui succéda, il déprime le règne de Louis XIV ; que, pour glorifier les Poussin et les Le Sueur, dont il parle peut-être avec plus d’enthousiasme et d’acclamation que de connaissance directe et de goût senti et véritable, il blasphème et nie l’admirable peinture flamande ; il dit de Raphaël qu’il ne touche pas, qu’il ne fait que jouer autour du cœur, « Circum praecordia ludit ». […] De là vient que nous admirons dans ses admirables Épîtres une certaine vertu plus qu’humaine qui persuade contre les règles, ou plutôt qui ne persuade pas tant qu’elle captive les entendements ; qui ne flatte pas les oreilles, mais qui porte ses coups droit au cœur. […] Il recherche par les exemples d’un Néron ou d’un Nabuchodonosor « ce que peut faire dans le cœur humain cette terrible pensée de ne voir rien sur sa tête. […] ce discours où Bossuet avait dû répandre les reconnaissances de son cœur et déployer déjà ses magnificences historiques n’a pas été imprimé.

1437. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

Il gardait au cœur, en toutes ses licences, un coin de puritain qui persista sans jamais tuer le vieil homme, et qui gagna seulement avec l’âge. […] C’est un grondeur et un mécontent par humeur que d’Aubigné ; il était inapplicable en grand et n’aurait su devenir tout à fait homme d’État ni principal capitaine ; il était né ce que nous appelons de nos jours un homme d’opposition : pourtant, dès qu’on le presse et qu’on lui met la main au cœur, comme il est fier de son Henri IV, du « grand roi que Dieu lui avait donné pour maître », dont les pieds lui ont servi si souvent de chevet ! […] Il comprend la dignité du genre qu’il traite ; il est des particularités honteuses ou incertaines que l’histoire doit laisser dans les satires, pamphlets et pasquins, où les curieux les vont chercher : d’Aubigné, qui aime trop ces sortes de pasquins ou de satires, et qui ne s’en est jamais privé ailleurs, les exclut de son Histoire universelle, et, s’il y en introduit quelque portion indispensable, il s’en excuse aussitôt : ainsi en 1580, à propos des intrigues de la cour du roi de Navarre en Gascogne, quand la reine Marguerite en était : J’eusse bien voulu, dit-il, cacher l’ordure de la maison ; mais, ayant prêté serment à la vérité, je ne puis épargner les choses qui instruisent, principalement sur un point qui, depuis Philippe de Commynes, n’a été guère bien connu par ceux qui ont écrit, pour n’avoir pas fait leur chevet au pied des rois… Quand il s’étend longuement sur certaines particularités purement anecdotiques, il s’en excuse encore ; il tient à ne pas trop excéder les bordures de son tableau ; il voudrait rester dans les proportions de l’histoire : mais il lui est difficile de ne pas dire ce qu’il sait de neuf et d’original ; et d’ailleurs, s’il s’agit de Henri IV, n’est-il pas dans le plein de son sujet, et n’est-il pas en droit de dire comme il le fait : « C’est le cœur de mon Histoire ?  […] Parlant d’un brave tué à l’une des premières affaires, en 1589 : « Le roi de Navarre, dit-il, perdit à ce siège le mestre de camp Cherbonnières, esprit et cœur ferré, homme digne des guerres civiles… » D’Aubigné dit cela comme on dirait en d’autres temps : « homme digne de servir contre les ennemis de la France ».

1438. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

Montluc réplique à M. de Saint-Pol par de nouvelles raisons et assez bien fondées : il montre que le moral de l’armée de Piémont est excellent ; que, dans toutes les précédentes occasions et rencontres, l’avantage lui est demeuré sur l’ennemi ; qu’il ne s’agit que de pousser outre et d’achever : « Regardez donc, nous qui sommes en cœur et eux en peur, nous qui sommes vainqueurs et eux vaincus, nous qui les désestimons cependant qu’ils nous craignent, quelle différence il y a d’eux à nous !  […] À celle nouvelle, il éprouva une impression soudaine et qu’il a rendue bien énergiquement ; tout son sang se glaça, en écoutant le gentilhomme qui lui faisait ce récit : « S’il m’eût donné, dit-il, deux coups de dague, je crois que je n’eusse point saigné ; car le cœur me serra et fit mal d’ouïr ces nouvelles ; et demeurai plus de trois nuits en cette peur, m’éveillant sur le songe de la perte. » Il se représentait la scène du conseil, sa promesse solennelle de la victoire, la conséquence incalculable dont une défaite eût été pour la France, et dans ce prompt tableau que son imagination frappée lui développa tout d’un coup, cet homme intrépide retrouva la peur à laquelle il était fermé par tout autre côté. Ce qui est touchant, c’est la tristesse de M. d’Enghien, ce jeune vainqueur, lorsque Montluc l’aborda ; il avait encore dans le cœur et sur le front une ombre de l’impression désespérée qui l’avait si longtemps et si cruellement oppressé. […] Hors cela, et dans ses guerres d’Italie, on le voit faisant tout pour ses soldats, aimé d’eux et possédant le secret de leur « mettre les ailes aux talons et le cœur au ventre », dès que l’un et l’autre étaient nécessaires.

1439. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Ce qui lui manque, c’est ce qui fait l’âme et l’honneur, je ne dirai pas de la méthode (elle peut paraître hasardeuse), mais de la doctrine et du génie de Pascal, ce qui en fait la puissance et l’attrait : c’est le désir et le tourment, c’est le cœur. […] Par vulgaire, il n’entend pas le peuple proprement dit, « mais les esprits populaires, de quelque robe, profession et condition qu’ils soient », gens opiniâtres à ce qu’ils ont une fois pris à cœur, et qu’il y a péril à venir heurter dans leurs préjugés établis : dont il a semblé à plusieurs, dit-il, qu’il n’y faut aucunement toucher, mais laisser le moutier où il est, laisser rouler le monde comme il a accoutumé, et se contenter d’en penser ce qui en est ; et que ce n’est raison que les sages se mettent en peine pour les fols opiniâtres. […] Il faut l’entendre parler, quand il est chez lui et non plus dans la chaire, de ceux à qui, par crainte et faiblesse, le cœur fait mal, étant sur une haute tour et regardant en bas. […] Qu’on veuille bien se reporter au temps : des membres du Parlement comme les Harlay, plus tard les Molé, les Lamoignon, étaient de bons et fidèles sujets, et à la fois ils étaient ou ils se croyaient un peu Romains : il y en avait qui étaient Pompéiens, c’est-à-dire pour Pompée et le parti de la république contre César, ce qui ne les empêchait pas d’être en réalité de bons royalistes ; de même jusqu’à un certain point alors, quand on était homme d’étude et de cabinet, on était stoïcien ou sceptique en philosophie, on était partisan de Sénèque ou d’Épictète ou de Cicéron (selon son goût et son humeur), et l’on était cependant chrétien dans la pratique et l’habitude, dans le cœur même un peu.

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