/ 2511
278. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

Durant les relâches forcées qu’il fait dans quelque île de la Baltique, il raconte qu’il allait tous les jours passer quelques heures sur des rochers escarpés où la hauteur des précipices et la vue de la mer n’entretenaient pas mal ses rêveries : Ce fut, dit-il, dans ces conversations intérieures que je m’ouvris tout entier à moi-même, et que j’allai chercher dans les replis de mon cœur les sentiments les plus cachés et les déguisements les plus secrets, pour me mettre la vérité devant les yeux sans fard, telle qu’elle était en effet. Je jetai d’abord la vue sur les agitations de ma vie passée, les desseins sans exécution, les résolutions sans suite et les entreprises sans succès. […] Enfin Regnard était un des hommes d’alors qui, dans sa vue du monde, avait le plus ouvert son compas. […] Pendant qu’il crayonnait en vers quelques épîtres ou satires, et qu’il préludait à son génie comique par quelques farces données à la Comédie-Italienne en collaboration avec Dufresny, Regnard avait à Paris une maison qu’il nous a lui-même décrite ; elle était au bout de la rue de Richelieu, là où est aujourd’hui le faubourg Montmartre, c’est-à-dire située à peu près dans la campagne, ayant vue sur la butte et sur des marais.

279. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Michelet »

Il s’agit de refaire l’âme humaine défaite, de refaire, en vue du bonheur des époux, la famille chrétienne, fondée en vue, de l’amour des enfants ; c’est l’égoïsme à deux de cette pauvre madame de Staël, élevé à sa plus haute, non ! […] S’il n’y avait dans l’Amour de Michelet que la fausseté de l’idée première : tout pour l’épouse et pour l’époux en vue du bonheur qu’ils se donnent tous deux ; s’il n’y avait que la théorie de l’enveloppement, et celle de l’imprégnation, et celle de l’unification… Dieu sait à quel prix ! […] Il répète deux ou trois vues systématiques, empruntées à des livres plus ou moins célèbres.

280. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

Il n’a qu’une allure et qu’une faculté ; ni les choses ni les idées ne semblent le toucher, à moins qu’il n’y trouve une vue d’ensemble ; alors elles le touchent jusqu’au cœur. […] Ce livre, composé d’après une méthode inflexible, écrit avec une éloquence entraînante, rempli de vues supérieures, paré d’images magnifiques et naturelles, n’est connu que des philosophes : l’auteur ne va pas chez les personnes influentes ; voyant qu’il ne se loue point, on ne le loue point ; il a oublié que la gloire se fabrique. […] Il vit aujourd’hui dans un quartier perdu, rue Copeau, dans deux chambres au quatrième étage, ayant vue sur les arbres de l’ancien couvent de George Sand. […] Par exemple, considérant la société à Rome, vous y distinguez la faculté très générale d’agir en corps, avec une vue d’intérêt personnel, faculté instituée en partie par des dispositions primitives102, mais principalement par cette circonstance que Rome, dès sa naissance, fut un asile, ennemi de ses voisins, composé de corps ennemis, où chacun était absorbé par la pensée de son intérêt, et obligé d’agir en corps.

281. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1894 » pp. 185-293

C’est un hasard, ajoute-t-il, qui lui a fait faire du théâtre, qu’il n’en fera sans doute plus, et qu’alors il aime mieux ne pas être joué, que d’être joué avec une interprétation, qui n’est pas dans ses vues. […] C’est un exemplaire de Manette Salomon, décoré, sur les plats de la couverture, de deux émaux de Claudius Popelin, représentant la Manette, sur la table à modèle, vue de face, vue de dos. […] Le bistre de Fragonard est dominé par une sensuelle académie de femme couchée, vue de dos, une jambe allongée, l’autre retirée sous elle. […] Cette contre-épreuve, qui vient de la vente Peltier, représente une femme vue de dos, retroussant d’une main par derrière sa jupe aux plis de rocaille, à côté d’une amie allongée sur le rebord d’une terrasse, où elle s’appuie de la main gauche, tandis qu’elle fait un appel de la main droite, à la cantonade. […] Voici, une vue de la curieuse maison, en bois sculpté, de Mâcon, voici, une vue à la porte Bab-Azoum d’Alger, avec son ciel de lapis ; voici, une vue du matin au bord de la mer, à Sainte-Adresse ; voici, une vue de Bruges, qui ressemble bien à un Bonington ; voici enfin une vue de la sale et pourrie rue de la Vieille-Lanterne, que mon frère a été prendre, le lendemain du jour, où Gérard de Nerval s’était pendu, au troisième barreau de cette grille d’une sorte d’égout.

282. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LVIII » pp. 220-226

Voici ce passage : « Je dirai mon sentiment sur la Trappe avec beaucoup de franchise, comme un homme qui n’a d’autre vue que celle que Dieu soit glorifié dans la plus sainte maison qui soit dans l’Église, et dans la vie du plus parfait directeur des âmes dans la vie monastique qu’on ait connu depuis saint Bernard. Si l’histoire du saint personnage n’est écrite de main habile et par une tête qui soit au-dessus de toutes vues humaines, autant que le ciel est au-dessus de la terre, tout ira mal.

283. (1874) Premiers lundis. Tome I « Dumouriez et la Révolution française, par M. Ledieu. »

Mais ce qui est inouï, ce qui caractérise au naturel l’incapacité de cette émigration, sa mesquinerie de vues, sa lésinerie de moyens, ses rancunes invétérées, en un mot toute l’étroitesse de son bigotisme politique, c’est l’accueil hostile et outrageux qu’elle fît au général éminent qui avait tenté de relever, en y inscrivant le mot de Constitution, une bannière dépopularisée. […] Louis XVIII semblait entrer dans ces vues ; il fit venir Dumouriez à Mittau, le traita avec distinction, et le chargea d’une mission auprès de l’empereur de Russie, Paul.

284. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Troisième faculté d’une Université. Faculté de droit. » pp. 506-510

J’abandonne toutes ces vues au jugement de Sa Majesté Impériale, dont la bienfaisance et l’équité seront les meilleurs avocats que le mérite puisse avoir. […] Mais ce qu’il ne faut point perdre de vue, c’est que les parties d’éducation publique qui paraîtront superflues dans ce moment pourront devenir nécessaires avec le temps ; à mesure que le grand ouvrage de la civilisation s’avancera, les intérêts divers, les relations entre les sujets se multiplieront, et c’est cet avenir que Sa Majesté Impériale doit prévénir par sa sagesse, si elle redoute d’abandonner la suite de ses projets à l’ignorance ou aux caprices de la folie.

285. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Je n’admettrai pourtant jamais que Rome, la Rome même du peuple, que nous avons vue depuis si fine et si piquante à la raillerie, n’ait pas eu, dès qu’elle en eut le loisir et l’occasion, l’esprit aiguisé en même temps que le parler agréable et doux. […] On partait dans le christianisme d’un principe trop différent, trop contraire à cette beauté du dehors, pour la saluer à première vue et pour ne pas l’offenser à la rencontre. […] Quand on vit dans une perpétuelle instabilité publique, et qu’on voit la société changer plusieurs fois à vue, on est tenté de ne pas croire à l’immortalité littéraire et de se tout accorder en conséquence. […] Il s’y remue sans cesse quelque chose à vue d’œil ; il s’y perce, comme dans nos vieilles villes, de longues et nouvelles perspectives qui changent les aspects les plus connus. […] quand je vois ces titres qu’on y affiche pas trop complaisamment, ces promesses et ces engagements publics de découvertes, tel ou tel personnage d’après des documents inédits, je me défie un peu du goût et de la parfaite justesse des conclusionsad ; je ne conseillerai pas de mettre, mais j’aimerai tout autant qu’on mît en tête une bonne fois : tel ou tel personnage d’après des idées et des vues judicieuses fussent-elles même anciennes.

286. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

— Je suis à Versailles, du côté du jardin, et je monte le grand escalier ; l’haleine me manque au milieu et je m’arrête ; mais du moins je vois de là en face de moi la ligne du château, ses ailes, et j’en apprécie déjà la régularité, tandis que si je gravis sur les bords du Rhin quelque sentier tournant qui grimpe à un donjon gothique, et que je m’arrête d’épuisement à mi-côte, il pourra se faire qu’un mouvement de terrain, un arbre, un buisson, me dérobe la vue tout entière22. […] La poésie racinienne est construite de telle sorte qu’à toute hauteur il se rencontre des degrés et des points d’appui avec perspective pour les infirmes : l’œuvre de Shakspeare a l’accès plus rude, et l’œil ne l’embrasse pas de tout point ; nous savons de fort honnêtes gens qui ont sué pour y aborder, et qui, après s’être heurté la vue sur quelque butte ou sur quelque bruyère, sont revenus en jurant de bonne foi qu’il n’y avait rien là-haut ; mais, à peine redescendus en plaine, la maudite tour enchantée leur apparaissait de nouveau dans son lointain, mille fois plus importune aux pauvres gens que ne l’était à Boileau celle de Montlhéry : Ses murs, dont le sommet se dérobe à la vue, Sur la cime d’un roc s’allongent dans la nue, Et, présentant de loin leur objet ennuyeux, Du passant qui les fuit semblent suivre les yeux. […] Je ne l’avois jamais vue qu’à cinq ou six pas, et je l’avois toujours trouvée fort belle ; son teint me paroissoit vif et éclatant ; les yeux, grands et d’un beau noir, la gorge et le reste de ce qui se découvre assez librement dans ce pays, fort blanc. […] Un grand art de combinaison, un calcul exact d’agencement, une construction lente et successive, plutôt que cette force de conception, simple et féconde, qui agit simultanément et comme par voie de cristallisation autour de plusieurs centres dans les cerveaux naturellement dramatiques ; de la présence d’esprit dans les moindres détails ; une singulière adresse à ne dévider qu’un seul fil à la fois ; de l’habileté pour élaguer plutôt que la puissance pour étreindre ; une science ingénieuse d’introduire et d’éconduire ses personnages ; parfois la situation capitale éludée, soit par un récit pompeux, soit par l’absence motivée du témoin le plus embarrassant ; et de même dans les caractères, rien de divergent ni d’excentrique ; les parties accessoires, les antécédents peu commodes supprimés ; et pourtant rien de trop nu ni de trop monotone, mais deux ou trois nuances assorties sur un fond simple ; — puis, au milieu de tout cela, une passion qu’on n’a pas vue naître, dont le flot arrive déjà gonflé, mollement écumeux, et qui vous entraîne comme le courant blanchi d’une belle eau : voilà le drame de Racine.

/ 2511