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527. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — I. » pp. 80-97

Dans la première partie, il avait eu pour guide, comme il le dit lui-même en commençant, la chronique de Jean le Bel, chanoine de Saint-Lambert de Liège (je change à peine quelques mots dans ma citation pour qu’on puisse lire couramment) : On dit, et c’est vrai, que tout édifice est formé et maçonné une pierre après l’autre, et toutes grosses rivières sont faites et rassemblées de plusieurs ruisseaux et fontaines : de même les sciences sont extraites et compilées par plusieurs clercs et savants, et ce que l’un sait l’autre ne le sait pas : pourtant il n’est rien qui ne soit su de loin ou de près. […] » — « Je le dis, répond le chevalier, pour que vous voyiez bien qu’il est plus neuf que les autres. » — « C’est vrai », répondis-je. — « Or, dit-il, je vous conterai la chose et comment, il y a dix ans, cela arriva. » Et suit une histoire singulière de siège et de brèche faite à la muraille de cette ville de Cazères qu’ils traversaient en ce moment. […] Combien cela semble plus vrai encore lorsque l’on parcourt un de ces beaux Froissart manuscrits comme en possède notre grande Bibliothèque et comme l’Angleterre en a sans doute aussi, tout ornés de vignettes du temps, admirablement coloriées, d’une vivacité et d’une minutie naïve qui commente à chaque page le texte et le fait parler aux yeux, avec une entière et fidèle représentation des villes et châteaux, des cérémonies, des sièges, des combats sur terre et sur mer, des costumes, vêtements et armures ! […] Il est bien vrai qu’il réserve toutes ses sympathies et ses couleurs pour les hautes prouesses et les nobles entreprises d’armes, et ceux qui les font ; il est bien vrai que dans la répression de la Jacquerie, par exemple, et après le tableau des horreurs auxquelles elle s’est livrée, il se réjouit des représailles et de la vengeance qu’en tirent partout les seigneurs, et qu’il nous montre à plaisir les chevaliers qui, en fin de compte, ont raison par le glaive de tous « ces vilains, noirs et petits, et très mal armés ». […] Kervyn de Lettenhove se flatte d’avoir retrouvé dans la bibliothèque de Bourgogne à Bruxelles deux poèmes inconnus et inédits de Froissart, la Court de may et le Trésor amoureux ; ni l’un ni l’autre, il est vrai, ne portent le nom de l’auteur ; « mais pour quiconque a étudié Froissart, dit M. de Lettenhove, il est impossible de ne pas y reconnaître aussitôt son style ».

528. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Il connaissait Mme Dacier ; il lui avait même adressé précédemment une ode, détestable, il est vrai, mais pleine de louanges, au sujet de son Anacréon : il voulut avoir son avis sur cet essai de traduction en vers, et il lui récita son chant sixième où est raconté l’inutile message de Phoenix, d’Ajax et d’Ulysse, auprès d’Achille. […] Elle est comme un lion, et d’autant plus que, remplie du sentiment vrai qui la possède, elle ne peut le démontrer aux autres autant qu’elle le voudrait. […] Tous deux ont cet avantage de si bien raisonner en gens d’esprit qui décomposent leur sujet et le traitent à faux ou à côté du vrai dans tous les sens, qu’ils vous impatientent, vous irritent et vous forcent, pour peu que vous ayez un esprit franc, à mieux raisonner, ou du moins à conclure mieux qu’eux. La Motte vous rejette, de dépit, dans le vrai de la poésie, et Condillac dans le vif de la nature humaine. […] Il est vrai que c’est en grec qu’elle écrivait cette pensée et en se souvenant d’un mot de Sophocle.

529. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

Nous autres, nous avons à revenir sans cesse sur ce que nous avons déjà traité, à revenir vite, il est vrai, mais toujours par un coin plus ou moins vif. […] Il entre dans les voies de la science, il établit de bons groupes d’après l’observation des vrais caractères. […] Cuvier, il est vrai, ne disait pas, comme le fait M.  […] Si ces mêmes choses avaient été dites pour la première fois par quelqu’un en français, on ne les remarquerait guère ; Goethe parle de Buffon en termes élevés, mais vagues, et en passant : ce passage, il est vrai, se lie à une défense de la doctrine de M.  […] C’est ce Buffon vrai, ni plus moins, et commenté çà et là, confirmé ou contredit avec autorité et sobriété, qu’on a dans l’édition de M. 

530. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Le jugement que j’aurai à donner ne sera pas nouveau, mais il n’a pas été mis suffisamment en lumière jusqu’ici, et ce qui a été dit de vrai sur un ou deux points essentiels est demeuré trop épars et sans assez de développement. […] Ces trois vérités qu’il veut établir sont : 1° qu’il y a un Dieu ; 2° que de toutes les religions la chrétienne est la seule vraie ; 3° qu’entre les diverses créances ou communions dites chrétiennes, la catholique romaine est la seule véritable. Il traite brièvement des deux premiers points et réserve tous ses développements pour la troisième vérité qu’il dédie expressément à Henri IV ; et dans cette dédicace il exprime particulièrement sa joie comme Parisien « pour cette tant douce et gracieuse, et en toutes façons tant miraculeuse réduction de cette grande ville du monde à l’obéissance de son vrai et naturel roi, à son devoir et à son repos. » C’était l’heure de la Satyre Ménippée, cette œuvre parisienne aussi et si décisive pour le triomphe de la bonne cause. […] Ainsi cette innocente et blanche surséance et libre ouverture à tout est un grand préparatoire à la vraie piété, et à la recevoir comme je viens de dire, et à la conserver : car avec elle il n’y aura jamais d’hérésies et d’opinions triées, particulières, extravagantes ; jamais pyrrhonien ni académicien ne sera hérétique ; ce sont choses opposites… On ne saurait voir plus à nu toute la méthode de Charron et de son école ; et quant à l’objection qui se présente et qu’il se faisait lui-inême, qu’il reste toujours à savoir si un tel homme ainsi façonné et rompu à l’habitude sceptique, et garanti, il est vrai, des hérésies et nouveautés, sera jamais chrétien au fond et orthodoxe. […] Après tout, assez peu lui importe qu’on atteigne à cette croyance vive qui est la source unique de la vérité et du bonheur, selon Pascal et les vrais croyants.

531. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

La vertu ou vraie prud’homie, que Charron veut édifier là-dessus, est à son tour « libre et franche, mâle et généreuse, riante et joyeuse, égale, uniforme et constante, marchant d’un pas ferme, fier et hautain, allant toujours son train, sans regarder de côté ni derrière, sans s’arrêter et altérer son pas et ses allures pour le vent, le temps, les occasions ». […] » On ne voit pas, en effet, pourquoi, dans une institution et formation parfaite de l’homme, la piété, comme l’entendait dans l’antiquité un Énée selon Virgile, un Plutarque ou un Xénophon, et à plus forte raison comme l’entendent les vrais chrétiens selon l’Évangile, ne contribuerait pas, tout en couronnant et faisant fleurir la probité en nous, à l’arroser de plus et à la vivifier dès le principe et à la racine. […] Il est vrai que quelques-uns lui ont fait cette charité de revoir ses écrits, et nommément sa Sagesse et sa Divinité (probablement ses Discours chrétiens), pour en retrancher les plus apparentes impiétés ; mais on peut dire que les œuvres de ce Charron ressemblent à une vieille roue toute rompue et démembrée, etc. […] Dans le spectacle de ce monde et dans le rôle qui y est départi à l’homme, il plaide, par des raisons plausibles, les causes finales, et maintient pour vrai le but apparent des choses, en se tenant au point de vue de l’optique humaine. […] [NdA] Le peu qu’on sait sur l’auteur de ce livre est dû à Gui Patin, dans une de ses lettres à Spon (17 août 1643) : « Des Considérations sur la sagesse de Charron, dit-il, le vrai auteur, qui n’aime pas d’être connu, est M. 

532. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Une lecture continue remet chaque scène à son vrai point. […] Ces paysages si vrais, si francs, et où respire l’agreste génie des lieux, ne lui serviront qu’à encadrer des êtres vulgaires, plats, sottement ambitieux, tout à fait ignorants ou demi-lettrés, des amants sans délicatesse. […] L’auteur ne semble pas s’être posé cette question ; il ne s’est demandé qu’une chose : Est-ce vrai ? […] J’ai parlé de mots naturels, et terriblement vrais, qui échappent. […] Cependant, l’office de l’art est-il de ne vouloir pas consoler, de ne vouloir admettre aucun élément de clémence et de douceur, sous couleur d’être plus vrai ?

533. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

Et enfin Commynes, qui démêle les vraies raisons, même dans l’héroïsme, remarque que les meilleurs archers sont ceux qui n’ont rien vu, qui n’ont pas vu encore le fer de l’ennemi (nous dirions le feu), parce qu’ils ne connaissent pas le péril. […] Tant il est vrai que « les choses ne tiennent pas aux champs comme elles sont ordonnées en chambre », et que le sens d’un seul homme ne saurait prétendre donner ordre à un si grand nombre de gens ! […] Il convient, pour rester au vrai point de vue, de ne pas oublier que l’idée de patrie n’était pas alors ce qu’elle est aujourd’hui : les liens qui obligeaient un gentilhomme envers son souverain étaient surtout personnels ; et Charles, par ses fureurs, par ses mauvais procédés, par sa déraison croissante, avait tout fait pour délier un conseiller de la trempe de Commynes, de même que Louis XI, en belles paroles et en bons effets, n’avait rien négligé pour se l’attacher. […] On aurait tort pourtant de croire que ce serait faire injure à Tacite que d’en rapprocher en cette occasion Commynes ; celui-ci, dans les réflexions qu’il joint à son récit, sur la misère des hommes et spécialement des princes, a su atteindre aux considérations morales les plus vraies, les plus touchantes. […] Commynes justifie tout à fait pour moi le mot de Vauvenargues : « Les vrais politiques connaissent mieux les hommes que ceux qui font métier de philosophie : je veux dire qu’ils sont plus vrais philosophes. » Mais, pour cela, il faut que ce soient de vrais politiques en effet, et il en est peu qui justifient ce titre à l’égal de Commynes.

534. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Le Palais Mazarin, par M. le comte de Laborde, de l’Institut. » pp. 247-265

« Il était insinuant, dit Mme de Motteville ; il savait se servir de sa bonté apparente à son avantage ; il avait l’art d’enchanter les hommes, et de se faire aimer par ceux à qui la Fortune le soumettait. » Il est vrai que c’était surtout dans les difficultés et quand il avait le dessous, qu’il usait de ces dons flatteurs et de ces paroles de miel dont la nature a pourvu cette race prudente et si aisément perfide des Ulysses. […] Mazarin est de la race des ministres comme Robert Walpole, plutôt que de celle des Richelieu ; il est de ceux (et nous en avons connu) qui ne haïssent pas un certain abaissement dans le génie de la nation qu’ils gouvernent, et qui, alors même qu’ils rendent les plus vrais services, n’élèvent pas. […] Cette scène est vraie, elle doit l’être, car elle ressemble à la nature humaine, à la nature des rois, des ministres et courtisans en ces extrémités. […] Tel paraît avoir été, du moins, l’état vrai de la reine à un certain jour. […] et il n’a dit que trop vrai ; il faut mourir !

535. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Ce sera l’un des mérites de cet ouvrage d’avoir rejeté cette tradition et d’avoir fait avec précision le partage du vrai et du faux classique. […] est-il vrai que Racine nous apprenne à gouverner nos passions ? […] C’est ainsi qu’on avait vu les parlements, ces vieilles citadelles de l’honneur bourgeois s’abaisser jusqu’à légitimer les enfants adultérins du roi, tant il est vrai que sans une certaine vertu civique la vertu domestique elle-même vient à succomber. […] Ajoutez que, dans Rousseau, le faux est presque toujours mêlé avec le vrai, et qu’il se trouve par là en contradiction avec le principe des vérités générales. […] Si c’est au contraire le xviiie  siècle qui a été téméraire, le xviie  siècle vient, avec sa science plus tranquille et plus mûre de l’homme, rabattre ces témérités et remettre les choses au vrai point de vue. » C’est surtout dans le jugement de M. 

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