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255. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre II. De la rectification » pp. 33-65

. — Et, si l’on regarde l’avenir, son cas est le même, puisque son existence future apparaît comme soumise à telle ou telle condition, entre autres à ma volonté variable, et puisque, dans le royaume de l’avenir, elle est encore banale, capable de s’intercaler à tel ou tel moment de mon expérience future aussi bien qu’à tel autre. — Des deux côtés, la situation lui manque ; par essence, elle flotte ; je ne puis la fixer, l’affirmer ; en cela, elle s’oppose aux jugements affirmatifs précédents, prévisions et souvenirs. […] Baillarger, de l’hallucination proprement dite qui naît à l’improviste et sans le concours de la volonté, qui persiste malgré nous, qui se développe d’elle-même, irrégulièrement, hors de toute attente, et qui nous semble l’œuvre d’une force étrangère. — En soi, les deux événements sont pareils. […] Ou bien, après une suite de sollicitations répétées, elles atteignent le détail et la précision de la sensation réelle, en suspendant les sensations contemporaines et les souvenirs ordinaires, mais pour une seconde, par une extase fugitive qu’interrompt au bout d’un instant le retour à l’état normal, et qui alors est déclarée illusoire ou interne, parce que l’effort de volonté interne dont elle est issue surgit de nouveau avec elle dans la mémoire de l’observateur. — Supprimez ces particularités répressives et la rectification qui s’ensuit ; suspendez pour plusieurs heures ou plusieurs minutes les sensations ordinaires et la cohésion des souvenirs enchaînés, comme cela se rencontre dans le sommeil naissant ou complet ; faites, comme il arrive alors, que l’image décolorée et vague se complète, se circonstancie et se colore ; ce qui, à l’état de veille, eût été déclaré simple idée devient hallucination hypnagogique, puis rêve intense. — D’autre part, prolongez cette extase momentanée ; faites que, par un accident organique, elle se répète d’elle-même subitement, sans être attendue ni voulue, en dépit de la volonté ; vous aurez les hallucinations de Nicolaï, et, si le patient n’a pas la raison très ferme, vous aurez les visions d’un fou comme en renferment les hôpitaux, ou d’un mystique comme en fournissent l’Inde et le moyen âge22.

256. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

Cet orgueil sans limite s’accompagnait d’un manque absolu de volonté : effet, ou cause, ou l’un et l’autre. […] Je ne crois pas qu’il y ait à tirer de sa vie un seul acte de volonté : des élans d’instinct, des sursauts de passion, tout au plus. […] La réserve dédaigneuse de son orgueil, dans la quête du pouvoir, le dispense d’exercer sa volonté, de choisir des voies où il engagera son effort : elle couvre superbement un éternel rien faire. […] La réalité ne se laisse pas pétrir à notre gré ; et il faut une rude main, une âpre volonté, pour lui imposer l’apparence qui nous flatte.

257. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre IV. L’ironie comme attitude morale » pp. 135-174

Ce qu’il est à la mode de nous recommander, depuis quelque temps, c’est plutôt l’élan, et c’est la volonté. On ignore ou l’on feint d’ignorer que la volonté mal dirigée est un danger plus qu’une ressource. […] Elle n’est point un procédé pour nous empêcher de sentir, d’aimer, de croire et d’agir, mais plutôt pour éprouver nos impressions, nos pensées et nos volontés. […] Ils sont comme les préfets d’un gouvernement lointain, qui cherchent à se rendre indépendants, à substituer à la sienne leur propre volonté.

258. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

Comme il y a une cité idéale de la religion, il y a aussi une cité idéale de l’art ; mais la première est, pour le croyant, l’objet d’une affirmation et d’une volonté, la seconde est un simple objet, de contemplation et de rêve. […] L’association des idées ou images a besoin d’un moteur, qui est toujours un intérêt pris à quelque chose, un désir, une volonté attachée à quelque fin. […] Mais le propre du génie poétique et artistique consiste à pouvoir se dépouiller non seulement des circonstances extérieures qui nous enveloppent, mais des circonstances intérieures de l’éducation, des conjonctures de naissance ou de milieu moral, du sexe même, des qualités ou des défauts acquis ; il consiste à se dépersonnaliser, à deviner en soi, sous tous les phénomènes moins essentiels, l’étincelle primitive de vie et de volonté. […] En dernière analyse, le génie et son milieu nous donnent donc le spectacle de trois sociétés liées par une relation de dépendance mutuelle : 1° la société réelle préexistante, qui conditionne et en partie suscite le génie ; 2° la société idéalement modifiée que conçoit le génie même, le monde de volontés, de passions, d’intelligences qu’il crée dans son esprit et qui est une spéculation sur le possible ; 3° la formation consécutive d’une société nouvelle, celle des admirateurs du génie, qui, plus ou moins, réalisent en eux par imitation son innovation.

259. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Octave Feuillet »

Mais, après les avoir données, ces raisons, voilà que le Camors se met à pleurer, à mordre de désespoir les barreaux d’une chaise, et à sentir toutes sortes de remords, qu’un Camors, s’il ôtait digne de son nom, de l’éducation de son père, de sa propre volonté intelligente, ne devrait pas seulement connaître. […] Feuillet achève son héros en le faisant père, aussi bêtement père qu’il est, dans tout le roman, amant et mari… Il meurt de son petit, comme d’une maladie… Le bronze de la volonté, de l’intelligence, de l’égoïsme hautain, qui ne devait être brisé que par des foudres, s’amollit et fuit aux moindres contacts, et devient, qu’on me passe le mot ! […] Dans le roman de Feuillet, il n’y a pas la moindre invention, la moindre combinaison, le moindre détail original, le moindre rendu supérieur, la moindre volonté révélée par un effort quelconque de donner de l’accent à cette vulgarité d’un mariage dans le monde, — dans ce monde à la hauteur sociale duquel Octave Feuillet s’est placé. […] Eh bien, aux premières pages de ce roman si peu romanesque, Philippe déclare cette volonté à son père, un gentilhomme de l’ancien temps qui croit qu’on peut continuer, dans son château de province, la tradition des gentilshommes, en ce temps-ci qui les a mis à pied comme des postillons qui ont mal mené !

260. (1898) Les personnages de roman pp. 39-76

Soustraits à certaines obligations, aux travaux absorbants, aux luttes pour le pain quotidien où une grande part de l’attention et de la volonté humaine se dépense, on peut supposer qu’ils ont, mieux que d’autres, le loisir de goûter ce que la vie a d’amer et de doux quand elle est la vie pleine, la vie calme. […] Il y avait là des Françaises, des Anglaises, des Américaines du Nord et du Sud, des Italiennes, des Espagnoles, des Allemandes, des Belges, des femmes venues des îles de l’archipel grec et de l’Asie Mineure, et la race se reconnaissait à la forme des traits, à la nuance de la peau, à un peu plus de raideur, ou d’abandon, ou de volonté tranquille dans la tenue, bien que les chaises fussent toutes exactement alignées, les tailles droites, les mains posées à plat ou jointes sur les robes tombant à plis pareils. […] On ne sacrifie pas, pour un entraînement d’imagination, sa jeunesse, sa beauté, sa joie et sa vie ; on ne s’enferme pas dans un couvent avec les rebuts de la rue ; on ne vit pas quarante ans chaste, pauvre, sans autre volonté que celle d’obéir, parce qu’on a le goût du blanc, des fleurs artificielles et du silence, parce qu’on aime à respirer l’odeur d’un grain d’encens. […] Il y a aussi, vous le devinez, des heures de volonté pleine, de labeur attentif.

261. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Sur le visage presque imberbe, toutes les lignes sont fermes et précises comme sur un bronze ciselé avec insistance ; la peau recouvre d’une pâleur fauve des muscles secs, accoutumés à se manifester par un frémissement sauvage dans le désir ou dans la colère ; le nez droit et rigide, le menton osseux et étroit, les lèvres sinueuses, mais énergiquement serrées, exprimant la volonté téméraire ; et le regard est pareil ù une belle épée, dans l’ombre d’une chevelure épaisse, lourde et presque violette comme les grappes de raisin embrasées par le soleil sur le sarment le plus vivace. […] N’aurait-on pas aperçu, au second plan, une figure sympathique, vaillante, inaccessible même un seul moment au découragement, ce type du précepteur, Augustin, que l’auteur a placé dans son roman pour montrer qu’il croyait à la vie, au contraire, et à la volonté, et à la conquête du bonheur par le travail opiniâtre et la droiture de l’esprit ? […] Vous souvenez-vous de ce passage où Dominique, sans volonté, n’a plus que des caprices, et prend la résolution soudaine de fuir Madeleine et de voyager ? […] Il ne sait pas que l’absence véritable est dans la volonté de l’âme.

262. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre IV. Conclusions » pp. 183-231

. — Ce travail étant fait, l’autorité passe du monarque au peuple ; autre étape vers la liberté ; la démocratie est à la fois un achèvement de la nationalité, par un acte de volonté et par la participation de chaque citoyen, et déjà une préparation à une unité plus grande, par la solidarité sociale, conséquence directe de la démocratie. […] L’essentiel, c’est d’avoir une méthode pour constater ce rythme ; c’est de savoir que nous ne tournons pas, en esclaves stupides, dans le cercle fermé des instincts bestiaux, mais que nous marchons au contraire de la servitude à la liberté, selon une loi qui est dans notre nature, mieux encore, dans notre volonté. […] Le chimiste n’arrive pas plus que l’historien à expliquer la vie ; du moins peut-il répéter presque à volonté une expérience donnée et connaît-il avec précision les réactions de certains éléments ; tel n’est pas le cas, hélas, de l’historien, du psychologue. […] On regrette parfois la bonne vieille psychologie qui croyait aux « tempéraments », qui expliquait l’homme par ses actes et par sa volonté plus que par ses ancêtres plus ou moins authentiques et que par des influences plus ou moins problématiques.

263. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre II. La tragédie »

Prenez un parricide : vous doserez l’horreur à volonté, selon que la mère connaîtra son fils, ou non, et selon que le fils se connaîtra lui-même, ou non475. […] Dans sa première œuvre, dans Œdipe, il bannissait l’amour, et n’introduisait l’idylle surannée de Philoctète et de Jocaste que sur l’ordre des comédiens, trop jeune encore et trop inconnu pour leur imposer sa volonté.

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