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815. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VII. Induction et déduction. — Diverses causes des faux raisonnements »

Ce qui fait qu’on trouve dans les choses plus d’évidence qu’elles n’en ont, c’est quelque circonstance locale et personnelle qu’elles contiennent ; c’est l’habitude que l’on a de les voir, le sentiment et l’expérience qu’on a qu’elles sont bonnes et utiles pour nous, la connaissance que ceux parmi lesquels nous vivons en portent même jugement que nous. […] Les gens d’un pays trouvent leur façon de vivre, de s’habiller évidemment raisonnable et de bon goût, manifestement absurdes les coutumes des étrangers. […] Il y a là, si l’on veut, une sorte de contradiction nécessaire et innocente, qui fait que le pessimiste, épris du néant, a droit de vivre, de jouir, d’aimer les bonnes et belles choses ; que le déterministe délibère tout comme le croyant au libre arbitre, et accepte devant les hommes la responsabilité de ses actes : tout comme on se sert dans le langage de mots et d’images qui impliquent mille croyances et une conception de l’univers que nos pères des antiques tribus aryennes s’étaient faites, et que nous avons réformées depuis des siècles.

816. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens II) Henry Fouquier »

Et vraiment les dieux lointains de son antique patrie lui ont donné la finesse, la grâce, le bien dire, la joie de vivre, l’équilibre des facultés intellectuelles. Il est bien fils de cette race qui a vécu si noblement, de la vie la plus naturelle et la plus cultivée à la fois, de cette race qui n’a point maudit la chair et qui n’a répudié aucun des présents du ciel. […] En somme, il y a trois vies dignes d’être vécues (en dehors de celle du parfait bouddhiste, qui ne demande rien) : la vie de l’homme qui domine les autres hommes par la sainteté ou par le génie politique et militaire (François d’Assise ou Napoléon) ; la vie du grand poète qui donne, de la réalité, des représentations plus belles que la réalité même et aussi intéressantes (Shakespeare ou Balzac), et la vie de l’homme qui dompte et asservit toutes les femmes qui se trouvent sur son chemin (Richelieu ou don Juan).

817. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Chefs-d’œuvre de la littérature française (Collection Didot). Hamilton. » pp. 92-107

Nourri de bonne heure en France, ayant vécu ensuite à la cour à demi française de Charles II, de tout temps élève de Saint-Évremond et du chevalier de Grammont, avec une veine en lui des Cowley, des Waller et des Rochester, il ne fit que croiser ce qu’il y avait de plus fin dans les deux races. […] Venu en France à la révolution de 1688, à la suite de son roi légitime, il y vécut dans le meilleur monde, se dédommageant des ennuis de la petite cour dévote de Saint-Germain par des séjours chez les Berwick et chez les Grammont. […] Les personnages qu’Hamilton rencontre sur son chemin et qu’il nous montre, vivent aussitôt.

818. (1893) Alfred de Musset

pourquoi ne pourrais-je vivre entre vous deux et vous rendre heureux sans appartenir ni à l’un ni à l’autre ?  […] Non, je ne guérirai pas, non, je n’essaierai pas de vivre, et j’aime mieux cela, et mourir en t’aimant vaut mieux que de vivre. […] je donnerais tout ce que j’ai vécu pour un seul jour de ton effusion. […] Ces mondes vivent parce qu’ils se cherchent, et les soleils tomberaient en poussière, si l’un d’eux cessait d’aimer. « Ah ! […] Musset a beaucoup trop vécu de la vie de salon et dans la société des femmes.

819. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

C’est que nous vivons à peine ; nous vivons par un effort d’analyse. » On peut dire que M.  […] Avec une pareille ascendance, il ressentit bientôt l’accablement du mal de vivre. […] Et comme le grand optimiste d’Amérique, son aïeul et son maître, il a clamé la joie de vivre. […] Les pages deviennent de véritables créatures, toutes pantelantes de leur outrance à vivre. […] Pour avoir vécu les pensées de Jésus et d’Orphée, il doua les choses d’un caractère d’éternité.

820. (1920) Action, n° 2, mars 1920

Vivre là, sur ton cœur, et boire tes paroles ! […] J’aime tant la musique, j’y ai tant vécu dès le plus jeune âge, que je ne suis pas suspect d’en médire. […] Mais nous vivons — nous croyons vivre — dans un domaine de réalités que nos aïeux depuis des milliers de siècles, ont classé, étiqueté et référencé. […] L’ambitieux est mort d’avoir vécu. […] La parution d’Imaïolé était annoncée dans une publicité pour les éditions d’art Savoir vivre à la fin du n° 1 d’Action.

821. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Il aima Goethe dès lors, et sentit un vague désir de se donner à lui ; mais il faut l’entendre lui-même : « Je vécus des semaines et des mois, dit-il, absorbé dans ses poésies. […] Goethe, à cette époque où Eckermann commence à nous le montrer (juin 1823), était âgé de soixante-quatorze ans, et il devait vivre près de neuf années encore. […] En 1792, Goethe suivit, par dévouement monarchique, le duc de Weimar dans la campagne des Prussiens contre la France ; après la paix, il passa à Bruxelles et revint vivre à Weimar. […] Goethe vivait encore devant moi ; j’entendais de nouveau le timbre aimé de sa voix, à laquelle nulle autre ne peut être comparée. […] J’avais vécu, j’avais aimé, et j’avais beaucoup souffert !

822. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

« Ce sont, lui dit Virgile, les âmes médiocres et lâches qui vécurent sans mériter ni louange ni blâme. […] » Les supplices de ces misérables, qui ne vécurent jamais, étaient d’être piqués par des taons et des mouches faisant dégoutter de leur visage des larmes rougies de sang qui abreuvaient des vers immondes à leurs pieds ! […] Là sont les âmes qui vécurent avant le christianisme et qui vivent maintenant dans le supplice du désir sans espoir. […] Caton, qui n’a, dit-il, rien su refuser à Marcia, son épouse, pendant qu’il vivait, reçoit Dante en commémoration de cette Béatrice dont le poète se réclame. […] « Et pas un de ceux qui vivent maintenant dans ton sein n’est en paix au milieu de tes guerres civiles !

823. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Aujourd’hui que les questions de subsistance, les questions du vivre et de l’économie, priment la question d’honneur dans une société dont l’âme a passé dans le ventre, ce dernier refuge de l’image de Dieu dans les sociétés matérialistes, il faudrait encore du bas de ces questions comprendre la Saint-Barthélemy comme on la comprend du haut des questions spirituelles, à présent délaissées. […] Tracer le tour du xvie  siècle de personnalité en personnalité, — de biographie en biographie, était une idée qu’Audin eût complétée s’il avait vécu. […] Depuis quelques années, il portait le germe de cette maladie des hommes vaillants qui meurent par l’organe dont ils ont le plus vécu, et chez qui l’intelligence émue a envoyé tant de sang au cœur que le cœur périt sous cette masse de forces généreuses. […] Audin n’a pas caché la sienne ; mais naturellement, par le fait de son amour de l’étude et du recueillement, par la tournure d’une imagination tout à la fois positive et rêveuse, par l’élévation d’un caractère qui se trouvait seul en s’élevant, il a vécu à peu près caché à la foule, même à ceux-là qui auraient besoin, dans l’intérêt de sa renommée, d’ausculter et de savoir sa vie. […] Pour conserver leur pureté, il faut leur bâtir des maisons blanches et propres comme celles que l’on bâtit aux paons ; tandis que l’homme, quand il a l’âme pure, peut vivre impunément partout, même dans la cage aux canards ! 

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