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479. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Les écrits qui vivent sont tous marqués de cet esprit, on le sent même dans certains ouvrages d’agrément, qui en ont dérobé la sévérité sons les grâces et la légèreté de l’exécution. […] Il vécut comme suspendu dans le vide, n’ayant plus les goûts qui, sans jamais le contenter, l’avaient du moins tenu occupé de recherches ou distrait par la réputation, et n’ayant pas encore cette curiosité des choses de la foi qu’il devait garder jusqu’à la mort. […] N’est-ce point plutôt dépit que Descartes se fût mis en paix par le seul secours de cette raison qui faisait le supplice de Pascal, et qu’il eût pu vivre tranquille et content, dans l’indifférence pour des vérités auxquelles Pascal s’était attaché avec désespoir ? […] Qui fait vivre les Provinciales de Pascal ? […] De toutes les beautés qui font vivre les Provinciales, celles-là sont les plus hautes.

480. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon16 Lundi 6 novembre 1854 Vivre en plusieurs temps, être en plusieurs lieux, est devenu de jour en jour plus facile. […] Les riches vous donnent de quoi vivre, donnez-leur vos prières. […] Il a été pour moi, le dernier éclair de ton œil mourant, — cette âme qui y brillait intense et désolée à travers le brouillard épaissi. — N’as-tu rien emporté avec toi dans la région inconnue, rien de ce qui vivait dans ce long, dans cet ardent regard ? […] L’autre pièce que j’ai à citer est intitulée Le Retour, c’est l’être humain (homme ou femme) qui, après avoir vécu, souffert et failli, revient au lieu natal, dans le manoir domestique, et y retrouve tous les anciens témoins de son innocence et de son bonheur : « Nous reviens-tu avec le cœur de ton enfance, un cœur libre, pur, aimant ? 

481. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Mémoires du duc de Luynes sur la Cour de Louis XV, publiés par MM. L. Dussieux et E. Soulié. » pp. 369-384

Son petit-fils, le duc de Luynes, celui dont on nous donne aujourd’hui les Mémoires, aussi pieux que son aïeul, mais plus apaisé d’imagination, vivait en homme de grande naissance à la Cour dans la familiarité de la reine Marie Leczinska, dont la duchesse, sa seconde femme, était dame d’honneur. […] Chauvelin, il disait : « Il s’ennuyait de ce que je vivais trop longtemps ; c’est un défaut dont je n’ai pas envie de me corriger si tôt. » Rencontrant dans un de ses salons, au milieu de trente personnes, M. de Bissy, dont on lui avait apparemment rapporté quelque propos, il va droit à lui, et le regardant en face : « Monsieur, vous voyez que je me porte bien ; cependant je ne mets point de rouge pour me donner un bon visage. » M. de Puységur, qui avait quatre-vingt-quatre ans77, demandait depuis longtemps d’être chevalier de l’Ordre, et il pressait là-dessus le cardinal, qui lui répondit tout naturellement : « Monsieur, il faut un peu attendre. » L’archevêque de Paris, M. de Vintimille, fort âgé, mais un peu moins que le cardinal, sollicitait un régiment pour son neveu, et faisait remarquer au cardinal qu’il importait de l’obtenir promptement, d’autant plus que, quand lui, oncle, ne serait plus là, ce serait pour le jeune homme un grand appui de moins : « Soyez tranquille, répondait le cardinal, je m’engage à lui servir de père et de protecteur. » Sur quoi M. de Vintimille, malgré toute sa politesse, ne put s’empêcher d’éclater : « Pour moi, monseigneur, je sens bien que je suis mortel, mais je me recommande à Votre Immortalité. » Jamais on n’a mieux compris qu’en lisant les présents mémoires cette lente et coriace ténacité, ce doux et câlin acharnement au pouvoir qui caractérise l’ancien précepteur de Louis XV. […] Il est amusant, quand on sait de quoi il retourne, de suivre de l’œil jour par jour le train de cette Cour et de ses plaisirs, ces continuelles parties à La Muette, à Madrid, à La Rivière, à Choisy, ces voyages intimes du roi et des quatre sœurs ainsi qu’on les appelle, c’est-à-dire des deux princesses du sang, Mlle de Charolais et Mlle de Clermont, et des deux sœurs, Mme de Mailly et Mme de Vintimille ; car Mme de Mailly, à un certain moment, s’était adjoint une de ses sœurs, avec laquelle elle paraît avoir vécu en parfaite intelligence, quoique celle-ci fût d’une humeur plus hardie et plus inégale. […] Mme de Vintimille, liguée avec Mme de Mailly, ne s’était jamais senti de force à faire ce coup d’État dans l’âme du roi, et un jour qu’en une circonstance critique Mme de Mailly et elle avaient essayé de lutter directement contre l’influence du cardinal, au moment même de réussir sur l’objet en question, elles virent en définitive qu’il fallait céder, et Mme de Vintimille dit fort sensément à sa sœur : « Nous pourrions peut-être l’emporter aujourd’hui sur le cardinal, mais il est absolument nécessaire au roi, et nous serions renvoyées dans trois jours. » Mme de La Tournelle tenta hardiment l’aventure : l’eût-elle emporté si le cardinal eût vécu ?

482. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — III » pp. 174-189

C’est de lui qu’on a dit avant le 18 fructidor : « Cet homme vit encore 31. » Malgré plusieurs blessures et mille dangers, il a échappé aux périls de la guerre ; il vivra longtemps, j’espère, pour la gloire de nos armes, le triomphe de la Constitution de l’an III et le bonheur de ses amis. […] Destitué lui-même par le Directoire peu après le rappel de Brune, et remplacé par Rivaud qui lui apportait l’ordre de sortir de l’Italie : Je n’en tins aucun compte, dit-il, persuadé que le Directoire n’avait pas le droit de m’empêcher de vivre en simple particulier à Milan. […] Cette place ne peut se rendre que faute de vivres, et l’on est sûr qu’elle en a encore pour deux mois. […] La destinée de Joubert n’est qu’une ébauche, mais c’est à ce titre surtout qu’elle vivra.

483. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte. »

La branche castillane dont il sortait, et qui, au xve  siècle, s’était alliée par un mariage avec les Saavedra, était des plus déchues au xvie , et les parents de Michel vivaient pauvrement à Alcala de Hénarès, petite ville à quatre lieues de Madrid. […] Avant d’être lui-même et de dégager son talent original, Cervantes subit la loi commune ; il adopta les modes des temps et des lieux où il vivait. […] C’est dans les loisirs de cette prison qu’il aurait commencé son Don Quichotte, et il se serait vengé, bien doucement d’ailleurs, des gens du lieu par ces premiers mots du livre immortel : « Dans une bourgade de la Manche, dont je ne veux pas me rappeler le nom, vivait il n’y a pas longtemps un hidalgo… » Établi ensuite avec sa famille à Valladodid, où était alors la Cour, il y vivait si pauvrement que sa sœur doña Andréa aidait à la subsistance commune par le travail de son aiguille ; on a retrouvé la note d’un raccommodage qu’elle fit pour les hardes d’un seigneur.

484. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

ils ne feront pas mal peut-être, mais ce ne sera jamais bien complet, ni bien distingué, ce sera manqué par quelque endroit, tandis que, dans leurs vers de tous les jours, dans ces pièces sans prétention qu’ils jettent au gré de leur secrète fantaisie, il peut arriver qu’à tel moment ils atteignent à une note exquise, à quelque chose de pénétrant, à quelque chose de tout à fait bien, et qui mérite de vivre. […] Et puis, à côté de la noble et légitime ambition, la nécessité s’en mêle : il faut vivre, il faut se soutenir, et la muse seule n’y suffit pas. […] Le vivre plus facile, la popularité courante, au prix de son art chéri, au prix d’une seule des perles de son loisir, il n’en a pas voulu. […] Marie enfin, dans sa troisième forme, n’a plus qu’à rester comme cela, sans une épingle de plus ni de moins, et à vivre.

485. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre IV. Poésie lyrique »

Cet homme de Schopenhauer, « qui n’aurait été conduit ni par son expérience personnelle, ni par des réflexions suffisamment profondes, jusqu’à reconnaître que la perpétuité des souffrances est l’essence même de la vie ; qui au contraire se plairait à vivre, qui dans la vie trouverait tout à souhait ; qui de sens rassis consentirait à voir durer sa vie telle qu’il l’a vue se dérouler, sans terme, on à la voir se répéter toujours ; un homme chez qui le goût de la vie serait assez fort pour lui faire trouver le marché bon, d’en payer les jouissances au prix de tant de fatigues et de peines dont elle est inséparable », cet homme-là ne se répandrait guère en chants lyriques ; et cet homme-là, c’est nous. […] Il était naturel que la femme, à qui, surtout en ce temps-là, l’action était interdite, vécût un peu plus de rêves et d’émotions et les épanchât en poésie. […] Elle n’avait guère vécu que d’une vie factice, n’ayant pas eu la bonne fortune de rencontrer un de ces esprits en qui elle se fût transformée, de façon à devenir une forme nécessaire du génie national. […] Il mourut en 1224. — Blondel de Nesles vécut dans la fin du xiie  siècle : on ne sait rien de sa vie. — Gace Brûlé, chevalier champenois, commença à écrire dans les vingt dernières du xiie  siècle.

486. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre III. Grands poètes : Verlaine et Mallarmé, Heredia et Leconte de Lisle » pp. 27-48

Il vécut libre, c’est-à-dire asservi aux seuls mouvements de son instinct et de sa croyance. […] Il partit, il vécut. […] De même qu’il n’est point de coulissier un peu mondain qui n’ait vécu et tenté d’écrire son roman, soit l’adultère où il se dépensa, de même il n’est guère d’étudiant, fût-ce en pharmacie, qui ne s’efforce de rimer, après et selon Alfred de Musset, les griseries et les rancœurs alternatives dont une maîtresse de brasserie fut l’auteur irresponsable. […] Il a dit, comme il a pensé : Sagesse d’un Louis Racine, je t’envie ; il a vécu les épisodes d’Amour : Âme, te souvient-il au fond du Paradis… ……………………………………………………… Oh !

487. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le cardinal de Retz. (Mémoires, édition Champollion.) » pp. 238-254

Il s’était fait à cette manière de vivre déréglée et libertine. […] S’il vécut en Catilina dans sa jeunesse, a dit Voltaire, il vécut dans sa vieillesse en Atticus. […] En 1675 pourtant, il fut saisi d’une idée qui parut extraordinaire et qui causa une grande admiration à ses contemporains : c’était de renoncer au chapeau, et, se dépouillant de la dignité de cardinal, d’aller vivre en Lorraine dans une retraite absolue.

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