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673. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Le style des livres d’Audin, quand Audin est tout à fait éclos, ce style d’un carmin lumineux quand il écrit Luther ou Henri VIII, n’est pas plus la pâle forme littéraire de l’Essai que sa manière d’entendre l’histoire dans la Saint-Barthélemy n’est celle qu’il finit par dégager, lucide et vivante, du chaos sensible dans le quel elle plongea si longtemps… En se mesurant avec ce grand sujet vierge de la Saint-Barthélemy, qui n’avait encore inspiré que des déclamations ou des impostures, Audin eut plus d’instinct que de puissance, plus d’ailes pour aller à un beau et terrible sujet d’histoire que de serres pour le tenir et de regards pour le percer. […] Mais la plus forte tête vivante du xixe  siècle pensait encore. […] Alors Audin, le Mabillon laïc de notre époque, aussi peu lu que l’énorme Bénédictin, aura les honneurs rétrospectifs des journaux et des revues, ces chacals intellectuels qui aiment à déterrer les morts célèbres, qu’ils n’auraient pas touchés vivants ! […] Audin nous aurait donné le chiffre exact de cette contestable valeur… Augmentée par les protestants, à qui les écrivains catholiques ont laissé tout dire, comme les rois (Louis XIV excepté) ont laissé tout faire, Elisabeth est la vivante preuve du peu qu’il faut, à certains moments, pour mener les peuples. […] Beuchot, et biographe comme Boswell, — un Boswell à distance de trois siècles, — curieux comme Plutarque et Suétone, — plus spirituel et plus artiste que Moore, — plus animé et plus vivant que Walckenaër, — aussi courageux que qui que ce soit, quand l’imagination ne l’entraîne pas vers ces choses de l’art et de la littérature qui furent toujours les Sirènes de sa pensée, — critique d’influences aussi ingénieux que M. 

674. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre II. De la multiplicité des états de conscience. L’idée de durée »

Ne pourrait-on pas dire que, si ces notes se succèdent, nous les apercevons néanmoins les unes dans les autres, et que leur ensemble est comparable à un être vivant, dont les parties, quoique distinctes, se pénètrent par l’effet même de leur solidarité ? […] En soumettant à la même analyse le concept de mouvement, symbole vivant d’une durée en apparence homogène, nous serons amenés à opérer une dissociation du même genre. […] Pour retrouver ce moi fondamental, tel qu’une conscience inaltérée l’apercevrait, un effort vigoureux d’analyse est nécessaire, par lequel on isolera les faits psychologiques internes et vivants de leur image d’abord réfractée, ensuite solidifiée dans l’espace homogène. […] Mais si, creusant au-dessous de la surface de contact entre le moi et les choses extérieures, nous pénétrons dans les profondeurs de l’intelligence organisée et vivante, nous assisterons à la superposition ou plutôt à la fusion intime de bien des idées qui, une fois dissociées, paraissent s’exclure sous forme de termes logiquement contradictoires. […] Même, une psychologie superficielle pourra se contenter de la décrire sans tomber pour cela dans l’erreur, à condition toutefois de se restreindre à l’étude des faits une fois produits, et d’en négliger le mode de formation. — Mais si, passant de la statique à la dynamique, cette psychologie prétend raisonner sur les faits s’accomplissant comme elle a raisonné sur les faits accomplis, si elle nous présente le moi concret et vivant comme une association de termes qui, distincts les uns des autres, se juxtaposent dans un milieu homogène, elle verra se dresser devant elle d’insurmontables difficultés.

675. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

Vivantes, ces saletés n’en valaient pas mieux. […] une voix disait : Julia est vivante ! […] Mais quelles vivantes gloires s’allumèrent à cette aube issue de l’universel trépas ! […] Un peu de justice, lui vivant, l’eût empêché de mourir, peut-être. […] Ce mort mérite d’être traité comme un vivant qui se porterait à merveille.

676. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

« Un jour, c’était un dimanche, le soleil luisait avec cet éclat et cette chaleur de printemps qui épanouissent la nature et toutes les âmes vivantes. […] « En nous efforçant d’arracher cette humble mémoire à l’oubli, continue-t-il, et en risquant aujourd’hui, au milieu d’un monde peu rêveur, ces poésies mystérieuses que Joseph a confiées à notre amitié, nous avons dû faire un choix sévère, tel sans doute qu’il l’eût fait lui-même s’il les avait mises au jour de son vivant. […] Mais si vous tenez à ce que ce feu soit durable, si vous ne pouvez vous faire à l’idée d’être oublié un jour de ces amis si bons, ô Vous, qui que vous soyez, ne mourez pas avant eux ; car cette sorte d’amitié est tellement aimable et douce qu’elle-même bientôt se console elle-même, et que ce qui reste comble aisément le vide de ce qui n’est plus ; la pensée des amis morts, quand par hasard elle s’élève, ne fait que mieux sentir aux amis vivants la consolation d’être ensemble, et ajoute un motif de plus à leur bonheur. […] L’amitié qu’elle implore, et en qui elle veut établir sa demeure, ne saurait être trop pure et trop pieuse, trop empreinte d’immortalité, trop mêlée à l’invisible et à ce qui ne change pas ; vestibule transparent, incorruptible, au seuil du Sanctuaire éternel ; degré vivant, qui marche et monte avec nous, et nous élève au pied du saint Trône. […] à ma lampe mourante Votre souffle vivant a rendu sa splendeur.

677. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

Mais dans le Faust il n’y a qu’un fatras incohérent, sans aucune espèce de composition, des tableaux vivants, quand ils vivent, et une érudition de moyen âge versée à travers ces tableaux qui se succèdent et ne s’engendrent pas. […] Gœthe n’a jamais dans ses œuvres que cette femme-là qui soit vraie et vivante. […] Werther fut écrit en pleine jeunesse, quand les facultés sont le plus à feu dans des hommes vivants ; mais ce beau lymphatique de Gœthe n’a jamais vécu… Il était à Strasbourg. […] … En ses Mémoires, très inférieurs d’ailleurs à ses Voyages de Suisse et d’Italie, il n’y a pas une seule page colorée, bombée et vivante. […] La moralité de ce travail ne regarde pas Gœthe, qu’on ne moralise pas plus mort que vivant.

678. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

Aux créatures vivantes. il préféra les constructions esthétiques et il fut pour beaucoup dans l’actuel divorce de l’Art et de la Vie. […] Croient-ils donc avoir atteint à un pathétique bien élevé ; pour avoir accumulé une infinité de traits ténus, et avoir figuré de beaux mouvements d’âme, ils n’ont pas créé de héros vivants. […] Et tandis que les créatures vivantes prenaient les apparences monstrueuses de plantes animalisées et sensibles de faune tourmentée et plus malsaine que les rêves de M.  […] C’est que, le poète, s’il veut donner naissance à des créatures vivantes et toutes palpitantes d’être, ne peut rester solitaire. […] Aucun de ses gestes ne doit demeurer caché, mais il doit les déployer avec grâce et éloquence Car ses belles actions persistent dans les souvenirs comme des maximes mimées et vivantes.

679. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

Intelligence platonique, vivant au pur soleil des idées, il ne voyait volontiers dans ce flambeau de notre univers qu’une, lanterne de plus, un moment allumée pour la caverne des ombres. […] Vivant, il n’a pas eu d’école ; il n’exerça que des influences individuelles, rares. […] Si la parole éternellement vivante ne vivifie l’écriture, jamais celle-ci ne deviendra parole, c’est-à-dire vie. […] Ces principes, autrefois et hier encore vivants, ainsi replantés, deviennent aussi abstraits et aussi morts que ceux des constitutionistes et des faiseurs sur papier dont il se moque. […] Il est même arrivé que, lui aussi, lui si isolé de son vivant et si dédaigneux de la vogue, il a eu en France une espèce d’école, et qu’on s’est mis à le célébrer, à le contrefaire par lieu-commun.

680. (1856) Articles du Figaro (1855-1856) pp. 2-6

Ayant à juger des vivants nous n’emprunterons pas aux morts leur férule ; nous ne serons ni assez déloyal, ni assez stupide pour juguler un écrivain moderne avec un vers d’Horace ou un passage de Quintilien. […] Baudelaire, — autant qu’on peut dégager une idée du ténébreux chaos de ses vers, — s’enfonce résolument dans le mal, creuse sa fosse de ses propres mains, et s’y couche tout vivant à côté de cadavres en putréfaction. […] Nous n’hésitons pas à le proclamer, la comédie n’a jamais été plus vivante qu’aujourd’hui ; elle ne s’est jamais engagée dans une voie plus féconde, et qui dût nécessairement aboutir à de plus glorieux résultats. […] Quelle terrible et saisissante figure que celle de ce mari qui, portant dans sa main gauche le code, et dans sa main droite un pistolet, plane sur toute l’action comme une redoutable énigme ou comme une vivante menace ! […] Rien de plus étroitement conçu et de moins vivant.

681. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

C’étaient cependant de grands artistes, des artistes sincères, convaincus, pleins de transes, pour eux-mêmes, et de passions pour les autres ; l’admiration les suivait ; la foule heureuse de les entendre obéissait à leur génie ; on leur a dressé de leur vivant, des arcs de triomphe, et le monde entier leur a donné des sérénades. […] » Cette indulgence de Fénelon pour le plus grand poète et le poète le plus vivant de la cour de Louis XIV n’était pas, non certes, dans l’âme et dans l’esprit de Bossuet. […] des stérilités contemporaines, elle retourne aux beautés impérissables, aux choses toujours vivantes, à la grâce éternelle, à l’esprit qui ne peut pas mourir, au chef-d’œuvre enfin, au type éternel. […] À ces causes, Monrose était excellent dans cette vivante image du valet de l’ancienne comédie. […] Quand toute cette société que charmait Marivaux de sa politesse, est emportée et morte au fond de l’abîme, sa comédie est vivante encore et porte légèrement cette couronne de roses à peine ternie.

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