Elle est coiffée d’un filet couleur feu, elle porte une robe agrémentée de dessins légèrement cabalistiques, et est couverte de bijoux pareils à des amulettes : un costume de nécromancienne vivant dans le monde des peintres. […] * * * — Les contours des visions, dans le rêve, ont un semblant de la ligne diffuse des dessins, trempant dans l’eau… Quel mystère que le rêve, cet état ressemblant à de la mort vivante… Et pourquoi dans le rêve, cette richesse des sensations de la peur, de l’épouvante, qu’on dirait touchée chez nous, par un bouton électrique correspondant à nos fibres intimes ? […] Elle est plus animée, plus vivante, plus causante qu’à notre première visite. […] Une raccommodeuse de dentelle, vivant avec le lait, nécessaire pour nettoyer les dentelles noires. […] Une gorgerette en batiste, sous laquelle passait le rosé de sa peau, resserrait encore le peu de chair vivante, montrée aux yeux.
Et cela au milieu des malaises de l’un et de l’autre qui s’interrogent de l’œil, et ont conscience de leurs mutuelles souffrances : l’un tourmenté de perpétuelles migraines, l’autre d’un perpétuel malaise d’estomac, qui en fait seulement un vivant, ou plutôt un misérable ressuscité du soir, à l’heure où l’on allume le gaz. […] Derrière l’amabilité figée des figures, tous ces figurants du monde enfoncés dans l’absorption égoïste de leur moi, qu’ils dissimulent sous le badinage vague du bout des lèvres et des paroles vides, et l’on sort de là, le cœur froid, comme si on avait passé la soirée au milieu de vivants de glace. […] » blasphème le journaliste qui, à chaque article, touche le viager de sa courte gloire, et ne la veut pas plus longue pour les autres, non récompensés de leur vivant, — pas plus que pour les livres méconnus qui espèrent leur paye de la postérité. […] Et maintenant dans les oreilles du vivant, le mot la mort, sa mort, ça va être l’effet et la fin de toutes les phrases de l’avocat général faisant son métier, de toutes les phrases de son défenseur s’efforçant d’agir dramatiquement sur la pitié du jury. […] Son voile noir relevé sous son pauvre vieux chapeau laisse voir sa face mourante, ses yeux vaguement errants sur le va-et-vient des vivants qui la croisent.
La vie des personnages résulte chez le romancier russe de ce qu’avec un sentiment inné de tout le possible et de tout l’humain, il nous sont présentés constamment, vivant avec une telle profusion de descriptions, de citations, d’épisodes, de faits et gestes que la trame continue de leurs actes nous apparaît en effet, presque ininterrompue, et forme le déroulement complet et opulent d’une existence vraiment telle, dans laquelle un équilibre délicat est maintenu entre les formes constantes de cette activité et ses formes variables, adventices, illogiques ; une être réellement vivant est un cours continuel d’actes, de pensées, d’émotions, de mouvements ; on le connaît et on le voit exister d’autant mieux qu’une plus large part de ces manifestations est révélée ; et celles-ci sont d’autant plus vraies et plus propres à donner la notion d’un individu, qu’elfes sont, d’une part, mêmes et semblables au point de figurer un caractère, et qu’elles présentent, de l’autre, les variations lentes ou subites d’âge, de condition, de situation, les réactions instantanées aux événements, les crises à prolongés retentissements, et enfin cette simple mobilité vitale d’idées et de sentiments, qui, sur le fond stable de l’être, font apparaître graduellement ou d’un coup de nouvelles âmes. […] Chacun de ces personnages primordiaux, ceux encore que nous négligeons de citer, présentés sans cesse, se témoignant vivants en des incidents toujours renouvelés et produits non tant par la marche même du récit, que par le besoin où est l’auteur, où ils sont pour ainsi dire eux-mêmes, de manifester et d’être manifestés, apparaissent par la constance même de leur mise en évidence, comme irrécusablement existants. […] Sur la foule de nos frères et de nos ennemis, Tolstoï a attaché le regard limpide et tranquille le plus aigûment pénétrant qu’ils aient souffert, et y portant ses larges et calmes mains, il a jeté dans son œuvre le groupe d’êtres d’âmes et de chairs dont elles étaient pleines, un morceau de création soustrait en sa forme mentale à la ruine du transitoire, tel quel, moite encore de la vie surprise, mou, ductile, coloré et bruissant ; tendrement saisie, conservée toute comme le commandait son prix, et laissée emmêlée comme le commandait sa mollesse, cette pêche miraculeuse d’êtres vivants a déterminé la beauté même et la forme de l’œuvre dans laquelle expire leur souple animation. […] Les œuvres de Tolstoï tendent à représenter une société entière ; ils en embrassent et le contenu moyen et les extrêmes de conditions, d’événements, de caractères, de scènes, d’âge ; ils la reproduisent non de haut, de loin, vaguement, par synthèses et abstractions, mais de près, par des descriptions où le lecteur se sent comme mis face à face avec la réalité, par des personnages étrangement vivants et individuels. […] Il connaît en maître l’homme, prodigue à ses créatures les caractéristiques de la vie, les manifeste abondamment, leur infuse une individualité distincte, fait parcourir à celles-ci, flexible et rigide, toutes les étapes d’une carrière et compose le groupe de ses êtres de personnes si nombreuses, si diverses et si vivantes toutes, que l’on reste confondu de cette multitude et de cette création.
L’erreur a commencé quand, voulant préciser ce mot : naturels, ils l’ont traduit par cet autre : vivants. […] Il a pareillement situé l’individu dans son milieu vivant, en se refusant à le considérer hors de la famille. […] Les morts ont une hypothèque imprescriptible sur la propriété des vivants. […] En outre, les morts n’ont pas seulement légué le résidu de leur effort à tous les vivants actuels, ils l’ont légué à tous les vivants à naître. […] Vous y verrez une mise en œuvre vivante de cette règle.
Les choses ne sont point mortes, elles sont vivantes ; il y a une force qui produit et organise ce groupe, qui rattache les détails et l’ensemble, qui répète le type dans toutes ses parties. […] Ils ont la vision d’effets lointains ou d’actions vivantes ; ils sont révélateurs ou poëtes. […] Il parle comme Fichte « de l’idée divine du monde, de la réalité qui gît au fond de toute apparence. » Il parle comme Gœthe « de l’esprit qui tisse éternellement la robe vivante de la Divinité. » Il emprunte leurs métaphores, seulement il les prend au pied de la lettre. […] Quel est cet être immobile dont la nature n’est que la « robe changeante et vivante ? […] Bien pis, la plupart d’entre eux sont devenus de simples formes creuses, des masques sous lesquels nulle figure vivante, nul esprit n’habite encore, où il n’y a plus que des araignées et de sales scarabées, horrible amas, qui de leurs pattes tracassent à leur métier.
Il faut se détacher de toute préoccupation et s’absorber dans son rêve pour pouvoir créer ce qui est bien vivant. […] Il faut avant tout qu’un ouvrage soit vivant, et il n’est vivant qu’à la condition d’être vrai. […] Très liés, vivant côte à côte, ils ont tous deux le sens intime de l’homme et du paysage méridional. […] Si l’art dramatique n’est qu’une convention, comment faire vivant sans quitter le convenu ? […] Saint-Simon lui-même n’a rien fait de plus vivant.
Bazin, avec le tour d’ironie piquante et épigrammatique qui lui était trop habituel, aimait constamment à opposer, au héros un peu convenu de La Henriade ; ce Henri paradoxal et vivant, mais accidentel, et qui n’est que la moindre partie de tout l’homme, on ne doit pas le chercher dans les pages sérieuses de cette Histoire. […] Pour dernier coup de crayon à ce vivant et naturel portrait tracé d’une main si ferme au milieu du tumulte et en plein orage, Du Fay insiste sur un point qui n’est pas indifférent en un chef de peuple : c’est que Henri IV est heureux, heureux à la guerre, heureux en toute chose. […] Que tout cela disparaisse, c’en est fait de tout le prix de la vie pour les vivants. […] Je veux ici (et quoique ce ne soit plus de l’histoire) introduire un témoignage assez inattendu, celui d’un traducteur dès longtemps décrié, mais homme instruit, curieux, et galant homme de son vivant, le bon abbé de Marolles, qui, né en 1600, était âgé de dix ans à l’époque de la mort de Henri IV, et qui conserva toujours un très vif souvenir de ses années d’enfance passées en Touraine.
Ce n’est point pourtant dans les Mémoires de Mme Roland que je trouverais précisément ce rapport de ressemblance entre l’art et la littérature ; ils sont trop courants, trop naturels, trop vivants ; si l’on excepte deux ou trois traits, elle s’y montre plus fille de Jean-Jacques encore que des vieux Romains. […] Cette Eudora si souvent nommée et invoquée dans les Mémoires de sa mère, elle était devenue à son tour une des preuves vivantes d’une disposition générale des esprits, un des symptômes du temps. […] Après Mme Roland, l’histoire ne pourra guère nommer que Mme de La Valette et Mme la duchesse de Berry. » Beyle s’amuse ; il pirouette, il fait le léger et un peu l’insolent, comme c’est son plaisir : mais il a recueilli un souffle vivant, une voix de plus, une impression enthousiaste sur Mme Roland, et c’est pourquoi je l’ai introduit. […] Toutes ces bonnes et justes méthodes d’éducation que je vois appliquées et adressées au sexe et dont des femmes agréablement sérieuses, les Pauline de Meulan, les Tastu ont dès longtemps donné les préceptes et la pratique, se rapportent à la méthode vivante et personnelle de Mme Roland.
J’ai souvent aimé à me figurer, moyennant quelques images qui parlent aux yeux, ces degrés successifs d’approximation, en quelque sorte décroissante, par où passe inévitablement l’histoire, toujours refaite à l’usage et dans l’intérêt des vivants. […] Cette idée est en quelque sorte le personnage intéressant et vivant, l’héroïne de l’ouvrage ; suivons-en l’histoire, selon M. de Saint-Priest, en ne touchant que légèrement aux épisodes dont elle se trouve, chemin faisant, enveloppée. […] Nulle part, je le crois, on n’avait expliqué d’une manière aussi vivante et aussi suivie, dans un relief aussi palpable, le fait du passage même, le secret d’une métamorphose qui, plus sensible dans ce grand cadre, n’y fut point pourtant circonscrite et dut se répéter en diminutif sur plus d’un point de l’empire : Des prêtres fortunés foulent d’un pied tranquille Les tombeaux des Catons et la cendre d’Émile, a dit Voltaire. […] Je regretterais trop de quitter ses savants volumes sans donner idée du caractère animé, brillant et tout à fait heureux de bien des pages, et je détache de préférence, comme échantillon, celles où il nous exprime l’état vivant des croyances et des mœurs rustiques dans le midi de l’empire au lendemain de Théodose.