Je tâcherai, Messieurs, sans répudier cette sympathie que je déclarais tout à l’heure, de n’y pas trop céder, et de vous parler de Larroumet sans donner dans l’éloge funèbre, avec la simplicité, avec la vérité qu’il aimait : vous vous souvenez de quel sourire il accueillait les panégyriques indiscrets qu’on voulait lui présenter comme des essais de critique et d’histoire littéraire. […] Que pouvaient-ils fournir de fragments de vérité sur chaque point ? […] Toutes ses sympathies sont acquises à Racine et à Molière : on le sent ; mais il ne cède pas une parcelle de la vérité à ses sympathies.
L’écrivain qui parle ici se donna donc en toute conscience et en tout dévouement au grave travail qui surgissait devant lui ; et, après trois mois d’études, à la vérité fort mêlées, il lui sembla que de ce voyage d’archéologue et de curieux, au milieu de sa moisson de poésie et de souvenirs, il rapportait peut-être une pensée immédiatement utile à son pays. […] Les modifier, c’était remplacer la vérité par la façon littéraire. […] Leur vérité est leur parure14.
Dans les scènes dramatiques, lorsque les passions sont émues, et que tous les miracles doivent sortir de l’âme, l’intervention d’une divinité refroidit l’action, donne aux sentiments l’air de la fable, et décèle le mensonge du poète, où l’on ne pensait trouver que la vérité. […] Je mourrai où vous mourrez ; votre peuple sera mon peuple, et votre Dieu sera mon Dieu122. » Tâchons de traduire ce verset en langue homérique : « La belle Ruth répondit à la sage Noëmi, honorée des peuples comme une déesse : Cessez de vous opposer à ce qu’une divinité m’inspire ; je vous dirai la vérité telle que je la sais et sans déguisement. […] « Si l’Écriture, dit saint Grégoire-le-Grand, renferme des mystères capables d’exercer les plus éclairés, elle contient aussi des vérités simples, propres à nourrir les humbles et les moins savants : elle porte à l’extérieur de quoi allaiter les enfants, et dans ses plus secrets replis, de quoi saisir d’admiration les esprits les plus sublimes.
Un point important sur lequel j’insisterai, c’est que des députés du sénat se transportent quatre fois par an dans chacune des classes, qu’ils fassent prêter serment aux professeurs et aux maîtres de quartier de dire vérité, et que ceux-ci leur indiquent les sujets ineptes qu’il faut chasser de l’école et renvoyer à leurs parents. […] Qu’un maître qui résout à son élève un problème d’arithmétique ou de géométrie fasse une fausse supposition, qu’il la reconnaisse, qu’il revienne sur ses pas, qu’il avance et qu’il découvre enfin la vérité qu’il cherchait, je pense qu’il instruira mieux son élève qu’en y arrivant par une marche rapide, sûre et non tâtonnée. Il y a bien de la différence entre une erreur d’ignorance ou d’inadvertance et une erreur faite d’industrie ; celle-ci tient en garde l’élève : s’il l’aperçoit, sa petite vanité est satisfaite, elle l’habitue à se méfier, elle le forme insensiblement à la recherche de la vérité, elle lui inspire l’esprit d’invention ; l’autre perd le temps et ne rend que du mépris.
Et dès lors où est la vérité ? […] Probablement cette vérité, elle aussi, nous fuit d’une fuite éternelle ; probablement les auteurs sont inépuisables en raison de ce qu’ils ont et en raison de ce qu’en les lisant, nous mettons en eux ; mais l’essentiel est de penser, le plaisir que l’on cherche en lisant un philosophe est le plaisir de penser, et ce plaisir nous l’aurons goûté en suivant toute la pensée de l’auteur et la nôtre mêlée à la sienne et la sienne excitant la nôtre et la nôtre interprétant la sienne et peut-être les trahissant ; mais il n’est question ici que de plaisir et il y a des plaisirs d’infidélité et l’infidélité à l’égard d’un auteur est un innocent libertinage. […] Je n’ai jamais su lequel aimait le plus Proudhon, de celui qui y voyait une source inépuisable de vérités, ou de celui qui y voyait un océan de sophismes.
Mais dans ces mœurs de cristal, — non par la pureté, mais par la transparence, qui font à présent une espèce d’aquarium de Paris, — personne n’ignora que la main, — beaucoup trop et vainement gantée, — qui avait écrit ce livre sur Byron, était, puisque la main de Byron est glacée, celle de toutes les mains qui avait le plus le droit de récrire, pour être restée dans la sienne… Si les femmes que nous avons aimées deviennent une part de nous-mêmes, c’était une part de Byron, — encore vivante ici-bas, — qui allait continuer les Mémoires et dire leur vérité dernière. […] Comme les enfants, du reste, Byron, partout, autant dans sa vie que dans ses œuvres, a été l’être vrai de tous les contrastes, et il n’y eut jamais d’autre explication à donner de son génie et de ses œuvres que cette vérité. […] Elle a cru qu’elle allait changer le Byron de l’opinion faite et en nous l’affirmant sans preuves et sans notions nouvelles à l’appui de son affirmation, nous faire son Byron, — à elle, — son Byron purifié et rectifié ; car le sens du livre qu’elle publie, c’est, ne vous y trompez pas, je vous prie, une délicate purification de Byron…… J’ai parlé plus haut de petites chapelles, élevées discrètement et chastement, tout le long du livre, à la mémoire de Byron ; j’ai dit même que je comprenais très bien qu’elles y fussent élevées… Mais je les crois trop en albâtre… Il y en a à la religion, à l’humanité, à la bienveillance, à la modestie, à toutes les vertus de l’âme de Byron (textuellement), à son amour de la vérité, mais c’est aussi par trop de chapelles… Les vertus de Byron font un drôle d’effet… Sont-ce les cardinales ?
C’est là une vérité presque vulgaire. […] « L’incontinence des grands — nous dit-il quelque part — est l’engrais où se développe le germe de la liberté des petits » ; et il a beaucoup de ces pensées, qui montrent un regard résolu, une intuition claire de la vérité, mais de la vérité fragmentée, et que l’on pourrait opposer à sa philosophie générale.
En cela, il a été plus préoccupé d’influence et d’action sur ses contemporains que du double mérite des livres bien faits, c’est-à-dire de la beauté ou de la vérité désintéressée de l’œuvre littéraire. — Cet utilitaire se sera dit que le profit du livre serait bon après le profit de la Conférence, et il a publié son fallacieux Innocent III. […] Heureusement, la logique n’est pas la vérité. […] En vain elle est sortie de l’esprit de Celui qui est toute Vérité et toute Vie ; c’est assez pour elle qu’elle en soit sortie !
Ils assoupliront la rudesse de leurs esprits masculins ; ils dépouilleront leur logique d’une certaine âpreté sèche et brutale ; ils comprendront ce qu’a d’efficace pour persuader et convaincre cette force subtile qui ne s’analyse pas, la sincérité d’un cœur ému ; capables de poursuivre méthodiquement la vérité, ils acquerront de plus le sens de ces choses insaisissables, que nulle méthode ne révèle, et qui sont presque toute la beauté, dans la littérature comme dans l’art ; enfin, ils gagneront insensiblement cette politesse de l’esprit, qui ne se rencontre pas toujours avec la culture, et qui rend la science aimable. […] L’essentiel est de lire les réflexions développées dans ce volume, d’une manière désintéressée, sans le vulgaire désir d’y apprendre des procédés rapides et mécaniques ; si l’on y prend des points de départ, des matériaux, une direction, un stimulant, pour penser par soi-même, pour comprendre comment les écrivains bâtissent leurs ouvrages, ordonnent et expriment leurs conceptions, et comment on doit soi-même travailler, insensiblement l’esprit, familiarisé avec les grandes lois de l’art d’écrire, dont il aura pénétré la vérité et mesuré la portée, s’y conformera en composant, et il conduira, disposera, traduira ses pensées selon des règles qui ne seront plus logées dans la mémoire, mais feront partie de lui-même et auront passé dans sa substance.