Depuis plus de vingt années, il le tenait au courant, inscrivant les naissances et les morts, les mariages, les faits de famille importants, indiquant en notes brèves les cas, et les expliquant d’après sa théorie désespérante de l’hérédité. […] Je ne sais rien de plus grand que la théorie religieuse qui émane de la vision d’Hermès, de la migration des âmes à travers les astres : — Vois-tu, dit Osiris, une semence lumineuse tomber des régions de la voie lactée dans la septième sphère ? […] Le développement de cette théorie qui, je le reconnais, doit être rejetée par l’Église, est faite pour séduire bien des esprits ; en tous cas, sa discussion nous entraînerait hors des bornes de cette revue, dans laquelle nous avons voulu seulement donner une idée de l’œuvre importante de M. […] J’y retrouve la forme originale des causeries que nous a donnée parfois le Figaro, j’y sens la science sous tous les mots, des pensées, des assimilations, des théories qui s’élancent d’elles-mêmes d’un cerveau richement muni, mais je ne sais dans quel labyrinthe m’entraîne cet écrivain que j’aime, et j’ai peur de perdre le fil conducteur à chaque pas que j’y fais.
Avec le renouvellement universel de la pensée et de l’imagination humaine, la profonde source poétique qui avait coulé au seizième siècle s’épanche de nouveau au dix-neuvième, et une nouvelle littérature jaillit à la lumière ; la philosophie et l’histoire infiltrent leurs doctrines dans le vieil établissement ; le plus grand poëte du temps le heurte incessamment de ses malédictions et de ses sarcasmes ; de toutes parts, aujourd’hui encore, dans les sciences et dans les lettres, dans la pratique et la théorie, dans la vie privée et dans la vie publique, les plus puissants esprits essayent d’ouvrir une entrée au flot des idées continentales.
À l’époque où s’ouvrit ce grand concile de la politique moderne, Mathieu de Montmorency, philosophe et novateur comme son maître Sieyès, s’élança sur ses pas et sur les pas de Mirabeau au-devant de toutes les théories de liberté et d’égalité qui allaient être soumises à l’épreuve de l’expérience du siècle futur.
Comme il n’avait pas apporté une théorie nouvelle, ni une forme nouvelle de son art, et que les qualités personnelles de son génie faisaient la valeur de son œuvre, il n’exerça pas l’influence qu’on aurait pu croire.
De là sa théorie absolue et provocante de l’art pour l’art : elle affranchit l’art de la morale, elle l’affranchit même de la pensée.
Si ce poète et ce polisseur de syllabes a pu composer un livre qui fait date dans l’histoire du roman par plus de vérité qu’on n’en trouvait chez Balzac, surtout par une vérité plus constante, ce n’était sûrement pas en vertu d’une théorie expresse (pessimisme foncier et religion du style, voilà Flaubert : en critique, il avait fort peu d’idées claires) — mais c’était un peu « pour brider sa fantaisie4 » après la débauche de la Tentation de saint Antoine ; c’était aussi parce qu’il voyait dans la description exacte et ciselée des platitudes une manière d’ironie féroce où se délectait cet ennemi des philistins ; c’est enfin qu’amoureux avant tout d’une langue précise et concrète, il sentait que les détails de la vie extérieure appelaient d’eux-mêmes et lui suggéraient la forme arrêtée et tout en relief où triomphait sa virtuosité laborieuse.
Les absurdes théories qui ont pris pour base l’imitation de la nature, même en indiquant pour but l’aspect du beau, ne méritent pas qu’on s’y arrête.
Si leur amour-propre en rejetait les principes, leur bon sens en suivait les exemples, et Vaugelas pouvait dire de leurs écrits, « que leur pratique ne s’accordait pas avec leur théorie. » Le plus hostile d’entre eux, Lamothe-le-Vayer, n’est nulle part meilleur écrivain que là où il combat les Remarques, dans la langue épurée dont Vaugelas donnait les règles.
Ce sont là de belles théories qui frisent l’idéal, mais la réalité nous montre l’humanité faite de passions, et plus elles sont injustes, moins il est facile de les détruire.