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578. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

Elle tient sa cour, et une place brillante à la cour de son frère. […] Ce n’est au fond que le livre d’une honnête femme, qui tient école de savoir-vivre et de bonnes mœurs. […] Marot par toutes ses origines tient au moyen âge : il en est. […] A l’Italie, Marot tient par quelques sonnets. […] Demandez-lui son rêve de bonheur : il tient tout entier dans la Facile existence d’un château des bords de Loire.

579. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

Les Pensées semblent vouloir déshonorer quiconque oserait se trouver content de sa part de cette sagesse humaine que Pascal secoue comme un préjugé, mais qui tient, quoi qu’il fasse, à sa chair et à ses os. […] A égale distance de la colère du satirique et de l’austérité du prédicateur, il se tient dans une sorte de sérénité aimable ; plus heureux d’avoir trouvé le trait vif, saisi le ridicule et créé l’expression qui le peint, qu’affecté de la tristesse de sa matière et du peu d’efficacité probable de la leçon. […] Si l’on tient à noter des différences, ce doit être dans le génie particulier et le dessein de chacun. […] La seule différence à remarquer entre La Bruyère et les grands écrivains de son siècle, et qui ne tienne pas à la matière et au dessein de son ouvrage, c’est qu’en certains endroits le fond n’y égale pas le travail de l’expression. […] Que de moyens de bon aloi pour nous attacher, nous tenir éveillés, nous surprendre !

580. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chansons de Béranger. (Édition nouvelle.) » pp. 286-308

La Bacchante, pièce célèbre dans cette première manière, et qui vise déjà à l’ode, offre des défauts de style qui ne tiennent pas du tout au désordre de l’égarement ni à la flamme. […] On a tant dit et redit que Béranger a fait plus et mieux que des chansons, qu’il est sans doute arrivé lui-même à croire qu’il ne s’est resserré dans ce genre que parce qu’il l’a bien voulu, et qu’il n’eût tenu qu’à lui de tenter une plus vaste carrière, de remplir indifféremment, par exemple, le cadre de l’idylle, de la méditation poétique, ou qui sait ? […] Il n’a pas obtenu ce succès non plus sans faire quelques sacrifices à l’opinion, et des sacrifices qui ont coûté au bon goût ; mais ce ne sont pas les seuls que je tienne à relever ici, et il y en a eu de sa part de plus graves. […] J’ai prononcé tout à l’heure le mot de coquette, et j’y tiens. […] C’est une singularité dont il se flatte, et dont il se vanterait presque si tout le monde ne savait qu’il ne tient qu’à lui d’être un des premiers des Quarante.

581. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

Bien qu’il eût grand besoin de protecteurs pour triompher de la cabale des commis offensés et des auteurs jaloux, Lesage tint ferme, et ne se laissa aller à aucune basse complaisance. […] Pourtant il n’y a pas à se le dissimuler, c’est afin sans doute de mieux se tenir au niveau de l’humaine nature que Gil Blas n’a pas le cœur très haut placé : il est bon à tout, médiocrement délicat selon les occurrences, valet avant d’être maître, et un peu de la race des Figaro. […] Figaro, qui est plus dans la lignée de Gil Blas, a aussi une verve, un entrain, un brio qui tient du lyrique. […] Mais, par un dénouement tout à fait naturel et comique, ce bonhomme amoureux qui se tient pour bien averti par Gil Blas, et qui lui en sait gré jusqu’à un certain point, se rengage avec sa maîtresse au lieu de rompre. […] Trois ans après (1738), il donna Le Bachelier de Salamanque, auquel il tenait beaucoup, dit-on, comme à un fruit de sa vieillesse.

582. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

On sent que, dès l’origine, la source intérieure, intime, n’est pas très abondante, et que cette chevalerie de tête et de cœur, dont le poète s’exalte un moment, ne saurait longtemps tenir devant l’esprit qui est tout à côté dans la même personne, et qui va tout déjouer. […] Cette lettre est peut-être ce que Mme de Girardin a écrit de plus sérieux comme moraliste ; car, plus tard, dans ses feuilletons sur le monde parisien, elle s’en tiendra volontiers aux surfaces et à l’épiderme social ; elle se jouera, elle se plaira à ne voir et à ne décrire la nature humaine que depuis le Boulevard jusqu’au Bois. […] Elles promettent même plus que la suite ne tient. […] Elle arrive, elle entre dans son sujet comme dans un salon, ayant d’avance ses partis pris d’être gaie, aimable, éblouissante, à rebours du lieu commun (je n’ai pas dit du sens commun), et elle tient sa gageure. […] À certains jours, le moraliste en Mme de Girardin rencontre plus vrai, et il ne tiendrait qu’à lui d’être profond.

583. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Le point pour Mirabeau était de convaincre La Fayette que le danger était grand, qu’il ne s’agissait pas de tenir plus longtemps la royauté en laisse, de la rabaisser continuellement et systématiquement dans l’opinion publique, de la garder à vue et de la tenir en chartre privée, avec un ministère étroit et insuffisant ; que M.  […] Et il s’offre nettement, hardiment, à lui pour être son conseil habituel, son ami abandonné, « le dictateur enfin, permettez-moi l’expression, dit-il, du dictateur : — Car je devrais l’être, avec cette différence que celui-là doit toujours être tenu de développer et de démontrer, tandis que celui-ci n’est plus rien s’il permet au gouvernement la discussion, l’examen. […] Il s’en tirait, comme il fit toujours, avec des mots, des compliments, des demi-partis, éludant les difficultés avec une grande habileté de détail, les ajournant, ne les prévenant et ne les embrassant jamais ; « n’ayant pas la force de composer un bon ministère, ni le courage d’en former un trop mauvais ; également incapable de manquer de foi et de tenir parole à temps » ; plus amoureux de louange que de pouvoir réel et d’action ; ménager avant tout de sa gloire et de sa vertu, soigneux de sa chasteté. […] Le temps le frappera assez pour moi. » En attendant, dans les notes à la Cour qu’il eut bientôt l’occasion d’adresser, Mirabeau ne cessa de s’élever de toutes ses forces contre « cette dictature ignominieuse qui séparait le roi de ses peuples, le tenait en quelque sorte en état de guerre avec eux, leur servait d’intermédiaire, et, dans ce rôle non moins indécent que perfide, usurpait l’autorité, le respect et la confiance », absorbant à son profit toute la popularité, et ne laissant remonter au trône que le blâme : tout justement le contraire d’un vrai ministère constitutionnel ! […] Les défauts qu’on y remarque encore par instants, les déviations et les écarts qui naissent surtout de l’impétuosité et du conflit de ses talents divers, ne tiennent peut-être qu’à ce qu’il n’a pas été mis à même par la fortune d’être tout entier et toujours cet homme d’État qu’il est si souvent ; on peut croire qu’il ne lui a manqué que d’être élevé, une fois pour toutes, à son niveau et dans sa plus haute sphère.

584. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

Marmontel n’a pas ce goût sévère qui avertit de s’arrêter à temps et de s’en tenir à la seule nature. […] Le plus infortuné des amants heureux, Marmontel nous raconte d’une manière piquante quelques-unes des bizarreries de démon par lesquelles elle le tenait perpétuellement en haleine dans ce tête-à-tête qu’elle craignait avant tout de rendre monotone. […] Il ne tint à rien que, du coup, Aurore de Saxe ne fût désavouée, déshéritée et marmontélisée. […] Il me semble que ce noble commentaire du xve  chapitre de Bélisaire est fait pour désarmer à jamais la polémique (si elle était tentée de renaître à ce propos), et pour tenir l’ironie en respect. […] Nommé par le tiers état de la Commune de Paris électeur en 1789, avec Bailly, Target, Guillotin, etc., il fut d’abord l’objet d’une faveur marquée, et on peut dire qu’il tenait dans ses mains son élection aux États généraux ; mais, voyant au prix de quelles concessions il fallait l’acheter, il y renonça.

585. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

La Harpe n’eut pas dans le goût la fermeté et la force de sentir cela, ni de se retrancher net ses prétentions contestables, pour se tenir à sa seule et véritable vocation. […] La Harpe ne s’en tint pas à cette première épreuve ; il se remaria à l’âge de cinquante-huit ans (9 août 1797) avec une jeune et jolie personne de vingt-trois ans ; mais, cette fois, ce fut cette jeune personne qui demanda le divorce, et qui se retira après trois semaines d’essai conjugal ou même, dit-on, de résistance. […] Ces qualités qui tiennent à la personne physique ont beaucoup plus d’influence au moral qu’on ne l’imagine. […] Quand on apprit que La Harpe, divorcé et veuf, venait de se remarier le 9 août 1797 avec une jeune et jolie personne (Mlle de Hatte-Longuerue), et presque aussitôt quand on sut que la jeune femme demandait le divorce et se disait trompée par sa mère dans le choix du mari, je laisse à penser si les rieurs se tinrent pour battus. […] Il y avait pourtant quelque chose qui tenait plus avant au cœur de La Harpe converti que l’amour des belles dames et que le goût de la bonne chère, c’était la passion littéraire proprement dite, la démangeaison du critique, et il n’y put jamais résister.

586. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution française »

Pour des penseurs d’une certaine force, qui tient l’origine tient tout et peut tout expliquer. […] Elle ne tenait qu’à un déficit dans les finances, ce qui n’a jamais perdu un gouvernement : preuve, l’Angleterre et sa dette. […] Il s’est dit qu’à toutes les époques l’histoire des nations a tenu toute, en définitive, dans la conscience et les passions de quelques hommes ; que le dessous de cartes de l’Histoire est une suite de biographies ; qu’il y a beaucoup plus d’influences personnelles dans ce monde que de force des choses ; et ainsi il a effacé, pour sa part, le mot obscur qu’on élève dans l’histoire quand on ne la comprend plus et que le sens des hommes échappe, et renversé autant qu’il l’a pu ce phare de ténèbres qui redouble la grande ombre des événements passés, au lieu de la dissiper. […] Cassagnac n’a pas voulu que l’immensité des fléaux qu’ils ont déchaînés sur la France grandît les incendiaires de la Révolution, et après l’histoire qu’il a publiée je tiens cela pour impossible. […] Et, je l’ai dit ailleurs, à côté de l’intérêt de la vérité en elle-même, il en est un autre dû aux circonstances et qui donne au livre de Cassagnac une importance d’opportunité qui tient réellement de l’événement politique.

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