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494. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Procès de Jeanne d’arc, publiés pour la première fois par M. J. Quicherat. (6 vol. in-8º.) » pp. 399-420

Ce dernier conseil revenait chaque fois plus pressant, plus impérieux, et la pauvre enfant ne pouvait plus tenir en place où elle était. […] La voix ne cessait de répéter à la jeune fille qu’il lui fallait aller à tout prix en France ; elle le lui redit surtout à dater du jour où les Anglais eurent mis le siège devant Orléans, ce siège dont l’issue tenait alors en suspens tous les cœurs. […] Presque toujours seule à l’église ou aux champs, elle s’absorbait dans une communication profonde de sa pensée avec les saints dont elle contemplait les images, avec le ciel où on la voyait souvent tenir ses yeux comme cloués. […] Mais il faut convenir qu’elle tenait moins au sang des Bourguignons et des Anglais. […] Elle croyait fermement à la réalité et à la divinité de ses voix ; comme tous les voyants, elle croyait tenir l’esprit à sa source et jaillissant du sein de Dieu même.

495. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Buffon, d’ailleurs, disait tenir surtout de sa mère, dont il parlait avec tendresse et complaisance. […] On a dit qu’il tenait de Newton et de Descartes, et qu’il oscillait un peu entre leurs deux méthodes : j’oserai penser que c’est plutôt de Newton et de Milton qu’il participe, et que la part systématique chez lui avait surtout le caractère poétique le plus élevé. […] Ce à quoi Buffon tenait avant tout en écrivant, c’était à la suite, au lien du discours, à son enchaînement continu. […] C’est des rameaux les plus touffus qu’elle le fait entendre ; elle s’y tient ordinairement couverte, ne se montre que par instants au bord des buissons, et rentre vite à l’intérieur, surtout pendant la chaleur du jour. […] Buffon reconnaissait à Montesquieu du génie, mais il lui contestait le style : il trouvait, surtout dans L’Esprit des lois, trop de sections, de divisions, et ce défaut, qu’il reprochait à la pensée générale du livre, il le retrouvait encore dans le détail des pensées et des phrases ; il y reprenait la façon trop aiguisée et le trop peu de liant : « Je l’ai beaucoup connu, disait Buffon de Montesquieu, et ce défaut tenait à son physique.

496. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Né à Paris le 10 avril39 1767, fils d’un riche restaurateur qui tenait de plus un somptueux hôtel garni, et d’une mère fort belle, le septième de seize enfants, il put voir, dès son enfance, l’ancien grand monde de fort près, et il s’accoutuma à l’observer d’autant mieux qu’il était à la fois tout à côté et en dehors : il le voyait passer devant lui. […] Fiévée, qui n’était qu’un royaliste d’opinion, et qui ne tenait pas essentiellement aux personnes, voyant un gouvernement ferme s’inaugurer par l’ascendant d’un seul, se délia du côté de l’exil, et se tint prêt à servir ou à conseiller le pouvoir nouveau. […] Fiévée a manqué, sur ce point, du goût qui tient au sentiment du respect et à celui des proportions. […] Il met une grande importance à ce que le pouvoir se tienne en accord avec l’opinion publique ; il insiste « sur la nécessité de la soigner, de faire quelques frais pour se l’attacher ». […] Sans doute plus d’une des causes secrètes qui le firent agir alors et varier, lui qui se pique toujours si fort d’indépendance et de paresse, nous échappe aujourd’hui : tenons-nous à l’ensemble des idées.

497. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Toutefois le judicieux, le fin et l’aimable guide ne nous tient plus par la main jusqu’au bout, et cela manque. […] Benjamin, dans son humble sphère première, tenait donc d’une forte et saine race ; il en fut le rejeton émancipé, et il la perfectionna en lui. […] Le dévouement d’un chevalier d’Assas, la passion d’un chevalier Des Grieux, la poésie de Parisina ou d’Ariel, tout cela se tient dans la pensée, et il nous semble, au moins dans la jeunesse, que c’est manquer d’ailes et d’essor que de ne point passer à volonté d’un de ces mondes à l’autre. […] Franklin eut, pendant toute sa vie, une marche constante, progressive, et qui tenait à un plan invariable. […] La pauvreté prive souvent un homme de tout ressort et de toute vertu : il est difficile à un sac vide de se tenir debout.

498. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Saint-Simon »

Toute une œuvre historique, écrite par un homme qui a prouvé, par ses fameux Mémoires, qu’il est un des plus éclatants génies d’écrivain que la France ait jamais eus, va sortir de l’engloutissement dans lequel on la tenait, le croira-t-on ? […] Ce n’est plus le désespéré qui serait mort chaque jour si, chaque soir, en prenant la plume, il n’avait pas tenu sa vengeance ! […] IV On ne sait vraiment que penser de ce changement de front entre ces deux fronts, dont l’un, hautain et sourcilleux, se tenait si roide devant l’autre, relevé maintenant de sa poussière, essuyé de son abjection ! […] On aura mieux la compréhension de cette tête où tout se tenait dans une unité pleine de force. […] Même les plus enchantés de Saint-Simon ont souri — quand ils n’ont pas bâillé — aux questions du bonnet, du tabouret, du brevet, qui tiennent une si grande place dans les Mémoires.

499. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger, 1833. Chansons nouvelles et dernières »

La poésie alors, orale, vivante, forme naturelle et souveraine, support et enveloppe de tout, de la science, de l’histoire, de la morale, du culte, tenait au fond même de l’existence d’une race, et enserrait, comme en un tissu merveilleux, mœurs, exploits, souvenirs, les dieux et les héros d’une nation. […] Béranger tient au terroir ; la nature qu’il peint à la dérobée et qu’il aime, ce sont nos cantons fleuris, notre joli paysage entrecoupé, des vignes, des bois, de petites maisons blanches, Passy, même Surène. […] Le côté individuel de son talent, les sentiments capricieux ou tendres qu’il avait si heureusement entrelacés mainte fois, comme des myrtes autour de l’épée, lui restaient sans doute ; il pouvait s’y récréer à l’aise : mais s’en tenir là, après la vaste action publique qu’il avait exercée, c’était déchoir. […] Ainsi, pour exprimer que trop souvent la pauvreté ôte à l’homme le sentiment de fierté et de dignité personnelle, Franklin disait : « Il est difficile à un sac vide de se tenir debout ; » ainsi, dans le Bonhomme Richard :« Un laboureur sur ses pieds est plus haut qu’un gentilhomme à genoux. » Comme Franklin, dont jeune il apprenait le métier à Péronne, dont plus vieux il renouvelle l’ermitage à Passy, Béranger a l’imagination du bon sens. — Un art ingénieux et délicat règne insensiblement dans la distribution du recueil, dans l’ordonnance et le mélange des matières, dans ces petits couplets personnels jetés comme des sonnets entre des pièces d’un autre ton, et surtout dans ce soin scrupuleux de faire revenir tous les noms des amis et anciens bienfaiteurs comme on ramène les noms des héros au dernier chant d’un poëme.

500. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

« Tenez-vous prêts, car les temps approchent. […] « Et les hommes se regarderont à cette lumière, et ils diront : « Nous ne connaissions ni nous ni les autres, nous ne savions pas ce que c’est que l’homme : à présent nous le savons. » « Et chacun s’aimera dans son frère, et se tiendra heureux de le servir ; et il n’y aura ni petits ni grands, à cause de l’amour qui égale tout, et toutes les familles ne seront qu’une famille, et toutes les nations qu’une nation.  […] À la rigueur, et à ne s’en tenir qu’au détail de l’expression et à l’ensemble du vocabulaire employé, quelqu’un de Port-Royal aurait pu écrire en cette manière et peindre avec ces images. […] — Mais nos grands hommes d’État régnants vivent en esprits forts ; ils tiennent et dévorent le présent : à d’autres, à d’autres qu’eux les augures et l’avenir !

501. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. Vitet à l’Académie française. »

Il est assez ordinaire, on le sait, d’être bon dans la première partie de la vie ; cette première bonté tient à la nature, à la jeunesse, à ce superflu de toutes choses qu’on sent au-dedans de soi ; on a de quoi prêter et rendre aux autres. […] Cette seconde bonté qui est durable, définitive, qui tient au développement de l’être moral à travers les pertes des années, est à la fois une vertu et une récompense. […] Au-dessus de ces sept ou huit volumes qui tenaient sur un seul rayon, on voyait, en manière de trophée, une plume d’aigle donnée par Émile Deschamps, et avec laquelle Soumet était censé avoir écrit son poëme ; il vous la montrait sans sourire ; mais bientôt toutes ces solennités d’apparat ne tenaient pas, et quelque plaisanterie soudaine, quelque frivolité spirituelle venait plutôt trahir le trop peu de sérieux du fond.

502. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Victor Vousin. Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. »

Mais l’esprit humain ne se comporte pas ainsi ; il est impatient et même un peu séditieux de sa nature, il ne sait pas se tenir tranquille au gré des régnants. […] Cousin mit d’abord le pied dans la trace exacte de son respectable devancier ; il se rattacha comme lui à Reid, mais il n’était pas homme à s’y tenir. […] Aussi l’éclectisme, qui tint toujours à honneur de le proclamer et de le révérer, eut-il sans doute, en certains moments, quelque peine à lui faire accepter toutes les aventures et les conquêtes dont l’éclat devait être réversible jusque sur lui. […] Dans cette prévention légère on ne tient nul compte de cette autre méthode et de cette doctrine d’analyse et de description intérieure qu’institua M. 

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