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641. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

Si enfin l’action tragique dans Corneille ne reste pas intérieure jusqu’au dénouement qui extériorise en un acte ou un état définitifs de crime ou de malheur, c’est encore qu’il peint des volontés, et que la volonté tend nécessairement aux effets ; elle aspire à réaliser ses déterminations, elle est active ; de là vient que l’action, chez Corneille, ricoche constamment de l’intérieur à l’extérieur, de la nensée à l’acte et de l’acte à la Densée. […] Psychologie du héros cornélien Nous sommes donc toujours ramenés à ceci que la tragédie de Corneille tend à la vérité humaine des caractères, comme à sa fin essentielle. […] Mais la pièce dont l’ajustement fait le plus honneur au génie de Corneille, c’est Horace : pour tirer parti de la belle et ingrate matière qui lui fournissait Tite-Live, il a fallu que par un coup de génie il fit du meurtre, du crime, le point culminant du drame, que toute l’action y tendit, s’y adaptât, et tous les caractères.

642. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Il y eut dans sa polémique des exagérations, des brutalités, des exécutions sommaires : nous qui voyons quelle œuvre il faisait, où il tendait, nous ne pouvons lui en vouloir d’avoir un peu vivement prié les Chapelain et les Saint-Amant de faire place aux Racine et aux La Fontaine. […] Ainsi s’explique la confiance de Boileau en ses « règles » ; elles définissent la perfection absolue, universelle, nécessaire, celle où doivent tendre toutes les œuvres qu’on fera, et d’après laquelle on doit juger toutes les œuvres qu’on a faites. […] Quand il répète : « Tout doit tendre au bon sens », il n’étouffe pas plus l’imagination qu’un peintre qui recommande à ses élèves de faire « d’après nature ».

643. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

L’autre (les Maximes  ), qui est la production d’un esprit instruit par le commerce du monde, et dont la délicatesse était égale à la pénétration, observant que l’amour-propre est dans l’homme la cause de tous ses faibles, l’attaque sans relâche, quelque part où il se trouve ; et cette unique pensée, comme multipliée en mille autres, a toujours, par le choix des mots et la variété de l’expression, la grâce de la nouveauté. » La Bruyère se caractérise ensuite lui-même : « L’on ne suit aucune de ces routes dans l’ouvrage qui est joint à la traduction des Caractères (de Théophraste) ; il est tout différent des deux autres que je viens de toucher : moins sublime que le premier et moins délicat que le second, il ne tend qu’à rendre l’homme raisonnable, mais par des voies simples et communes. » Aucun auteur n’a mieux défini la nature ni marqué plus nettement le but de ses écrits. […] L’explication qu’il en donne est peut-être plus prudente que vraie. « Les hommes de goût, pieux et éclairés, dit-il100, n’ont-ils pas observé que, de seize chapitres qui composent le livre des Caractères, il y en a quinze qui, s’attachant à découvrir le faux et le ridicule qui se rencontrent dans les objets des passions et des attachements humains, ne tendent qu’à ruiner les obstacles qui affaiblissent d’abord et qui éteignent ensuite dans tous les hommes la connaissance de Dieu ; qu’ainsi ils ne sont que des préparations au seizième et dernier chapitre, où l’athéisme est attaqué et peut-être confondu, où les preuves de Dieu, une partie du moins de celles que les faibles hommes sont capables de recevoir dans leur esprit, sont apportées, où la providence de Dieu est défendue contre l’insulte et les plaintes des libertins ?  […] Toutes les conditions n’ont-elles pas des points communs par où la même leçon peut les toucher ; et l’homme, tel que Dieu l’a fait, ne déborde-t-il pas toujours les cadres et les compartiments dans lesquels l’esprit de société tend à l’enfermer ?

644. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

Le but n’était pas seulement de posséder la personne, c’était aussi et surtout de posséder le cœur et d’obtenir un tendre retour. […] La tragédie, devenue si tendre par la muse de Racine, devient toute pieuse. […]         Je vous dis adieu, muse tendre,         Et vous dis adieu pour toujours.

645. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

On a ses lettres ; elles sont délicates, discrètes, tendres, parfaites de tout point ; et c’est l’une des plus pures et des plus rares figures de femmes sous la Régence, que cette épouse presque vierge et sitôt veuve, modeste, sacrifiée, résignée, et aussi longtemps dévouée qu’il y eut moyen à l’honneur et aux intérêts de cet aimable mauvais sujet, qui court d’aventure en aventure et ne lui répond pas. — Mme de Bonneval mérite d’être placée à côté de Mlle Aïssé, parmi les plus gracieuses exceptions de cette époque de désordre et de licence. […] Songez pourtant que j’ai besoin d’être soutenue par vous dans la situation où me met le péril où vous êtes, que je me retrace sans cesse ; car je vous aime, mon cher cousin, avec de ces sentiments que l’inclination a formés, qu’elle entretient, et dans lesquels elle insinue tout ce qui a jamais produit l’union la plus tendre et la plus solide. […] Ce qu’il y a même de plus cruel, mon cher maître, c’est qu’il peut le devenir aux autres pour être trop tendre.

646. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — II. (Fin.) » pp. 411-433

L’histoire entière des peuples est présentée comme un vaste quiproquo et une fausse route prolongée qui ne doit se rectifier que lorsque les hommes seront éclairés et sages ; et comme le néophyte, effrayé de ce spectacle universel d’erreurs, se met à désespérer de nouveau et à se lamenter, le Génie le rassure une seconde fois et lui démontre que ce règne de la sagesse et de la raison va enfin venir ; que, par la loi de la sensibilité, l’homme tend aussi invinciblement à se rendre heureux que le feu à monter, que la pierre à graviter, que l’eau à se niveler ; qu’à force d’expérience, il s’éclairera ; qu’à force d’erreurs, il se redressera ; qu’il deviendra sage et bon, parce qu’il est de son intérêt de l’être ; que tout sera fait quand on comprendra que la morale est une science physique, etc. […] Je n’ai point à discuter le fond des choses : il suffit que la majorité des hommes en ces matières sente autrement que Volney pour que sa manière de voir, qui tend à s’imposer, soit fausse moralement. […] Les Grecs et les Romains aussi le préoccupent beaucoup ; il leur en veut de l’imitation violente qu’on en a faite, de ce soudain fanatisme qui a saisi toute une génération et qui tend à reproduire les haines farouches des anciennes nationalités.

647. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Le Prince » pp. 206-220

Le marmot sourit, laisse la pomme que sa mère lui offre, et tend ses petits bras vers le chat qui lui est présenté. […] Pour moi qui ne retiens d’une composition musicale qu’un beau passage, qu’un trait de chant ou d’harmonie qui m’a fait frissoner ; d’un ouvrage de littérature qu’une belle idée, grande, noble, profonde, tendre, fine, délicate ou forte et sublime, selon le genre et le sujet ; d’un orateur qu’un beau mouvement ; d’un historien qu’un fait que je ne réciterai pas sans que mes yeux s’humectent et que ma voix s’entrecoupe ; et qui oublie tout le reste, parce que je cherche moins des exemples à éviter que des modèles à suivre, parce que je jouis plus d’une belle ligne que je ne suis dégoûté par deux mauvaises pages ; que je ne lis que pour m’amuser ou m’instruire ; que je rapporte tout à la perfection de mon cœur et de mon esprit, et que soit que je parle, réfléchisse, lise, écrive ou agisse, mon but unique est de devenir meilleur ; je pardonne à Le Prince tout son barbouillage jaune dont je n’ai plus d’idée, en faveur de la belle tête de ce musicien champêtre. […] Un Bel exemple pour les élèves, du secret de désaccorder toute une composition c’est ce rideau verd et dur que Le Prince a tendu au côté gauche de la sienne.

648. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Nisard » pp. 81-110

— je dirais presque le plus tendre. […] Le Christianisme, qui fait des âmes tendres aux Barbares, n’a pas eu grand’peine à verser sa tendresse dans une âme qui n’eut jamais rien de bien fauve, qui d’instinct avait la droiture et la délicatesse, et qui, à toute page de ses livres, se préoccupe surtout de ce que le Christianisme a ajouté de bonté à la bonté humaine : car c’est là une des idées qui revient le plus sous la plume de M.  […] Dieu l’humiliait, mais il lui revenait par la tendresse, et voilà le secret de son scepticisme, à cet orgueilleux qui avait l’âme tendre !

649. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre I. La quantité des unités sociales : nombre, densité, mobilité »

Quand les concepts sociaux s’élargissent ainsi, la moralité tend à se définir, non plus comme la soumission aux besoins d’une collectivité quelconque, mais comme la recherche de la perfection individuelle. […] Il est possible d’aller plus loin et de montrer comment cet accroissement tend à détruire, de lui-même, tout qui empêche les esprits de se plier aisément aux prescriptions égalitaires. […] Tout ce qui tend au contraire à nous faire voir de près et comme toucher familièrement les individus réputés supérieurs nous incite à penser que, eux aussi, ils sont des hommes.

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