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517. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Buzot nous parle à son tour de ses relations d’amitié avec Roland, et ce n’était pas un homme à jouer avec l’un et avec l’autre deux rôles aussi opposés, Je sais bien que lorsque Buzot apprit à Saint-Émilion la mort de Mme Roland, il en perdit l’esprit pendant quelques jours ; mais l’intimité dans laquelle il vécut avec elle, l’estime qu’il eut pour ses talents, peuvent facilement expliquer cette circonstance, de la part d’une âme ardente. » Honorable héritier du nom et des sentiments de l’un des hommes les plus purs de l’ancienne Gironde, ce même M.  […] Elle avait dû à l’habitude de la langue italienne le talent de donner à la langue française un rythme, une cadence véritablement neuve. […] Dans un admirable article sur les difficultés qu’il y aurait, pour plus d’un demi-siècle encore, à composer une véritable histoire de la Révolution française, parlant des Mémoires nombreux qui commençaient à paraître et dans lesquels chacun plaidait pour son parti et pour son saint et ne présentait que « la portion de vérité qui pouvait servir le mieux à noircir l’adversaire », l’éminent publiciste indiquait, à l’appui de sa pensée, les deux exemples le plus en vue : « Beaucoup de gens, disait-il, écrivent leurs Mémoires pour faire l’histoire personnelle de leurs talents, de leur mérite et de leur conduite. […] En même temps qu’il la voit disciple de Rousseau et modelant en partie ses Mémoires sur les Confessions, il cherche à l’en distinguer par un caractère fondamental : il ne découvre dans ses écrits, dit-il, « ni la tragique sollicitude de Rousseau pour les âmes simples et ignorantes, ni la douloureuse anxiété avec laquelle celui-ci remue et sonde les bas-fonds de la société, ni sa haine contre l’inégalité, même quand ce n’est pas sur le talent qu’elle pèse, ni les cris vengeurs que lui arrache la vue du paysan opprimé par un publicain barbare ou celle de l’homme du peuple étouffant dans les étreintes de la misère. […] Moins de talent, moins d’art, et plus de largeur et d’impersonnalité : c’est là aussi une belle manière de talent.

518. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « THÉOPHILE GAUTIER (Les Grotesques.) » pp. 119-143

Il a, pour les mœurs, pour le déréglement de la vie et de la veine, plus d’un rapport avec les poëtes de ce temps-ci : je lui voudrais pourtant plus de talent eu égard à son malheur. » Je ne me dis simule pas les points nombreux de rapprochement que cette école poétique de Louis XIII peut offrir avec l’école poétique d’aujourd’hui ; mais, loin de m’en applaudir, j’en suis bien plutôt à le regretter, car ces rapports sont en général ceux d’une corruption hâtive et d’une décadence prématurée. […] Mais, pour mener à bien cette inspiration de caprice et de fantaisie, il n’eut ni le talent assez ferme, ni la fortune et les étoiles assez favorables. […] Par malheur, il est trop vrai que, de nos jours, plus d’un jeune auteur s’est accoutumé à tout mettre dans la chaleur du sang et dans la fougue du désir ; leur talent a passé de bonne heure dans le tempérament, et s’y est comme fixé. […] Cet épicuréisme, notez-le bien, caché assez souvent sous de grands airs de croyance et de religiosité, a été la plaie secrète de la poésie en ce temps-ci ; il s’étend plus loin qu’on ne croit, il a gagné et corrompu les plus hauts talents, et je n’en prétends exempter personne. […] Parlant du poëme de la Pucelle, si vanté en son temps et non encore réhabilité du nôtre, Montesquieu disait : « On ne saurait croire jusqu’où est allée dans ce siècle la décadence de l’admiration. » En faisant intervenir ces autorités de haut bord, je crois montrer assez le cas sérieux que je fais du talent de M.

519. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Pensées, essais, maximes, et correspondance de M. Joubert. (2 vol.) » pp. 159-178

« Converser et connaître, c’était en cela surtout que consistait, selon Platon, le bonheur de la vie privée. » Cette classe de connaisseurs et d’amateurs, si faite pour éclairer et pour contenir le talent, a presque disparu en France depuis que chacun y fait un métier. […] Souvent, quand il m’est arrivé de hasarder quelque remarque critique sur un talent du jour, on m’a répondu : « Qu’importe ! ce talent a de la puissance. » Mais quelle sorte de puissance ? […] Joubert va répliquer pour moi : La force n’est pas l’énergie : quelques auteurs ont plus de muscles que de talent. […] Les seconds, délicats surtout, et qui sentent leur idée supérieure à leur exécution, leur intelligence plus grande encore que leur talent, même quand celui-ci est très réel.

520. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

Rulhière a sa physionomie à part ; il a un talent réel, un style ; c’est un écrivain non seulement spirituel, mais savant et habile, qui, après avoir longtemps disséminé ses finesses et ses élégances sur des sujets de société, a essayé de rassembler finalement ses forces, de les appliquer aux grands sujets de l’histoire, et y a, jusqu’à un certain point, réussi. […] Rien ne prouve qu’il ait eu, avec cet homme de talent susceptible et ombrageux, les torts de sottise que suppose M.  […] Dans une autre lettre, écrite au moment où Bernardin partait pour l’île de France, Rulhière, pour lui relever le courage, lui dit : Si vous ne faites pas, mon cher ami, la fortune que j’attends de vos talents et de votre âme, au moins ferez-vous un bon Journal (un journal de voyage), et c’est quelque chose. […] Les regrets qu’excita la mort de Rulhière parmi ceux qui jouissaient de sa société, montrent assez qu’il ne faut pas prendre à la lettre la réputation de méchanceté qu’on a voulu lui faire ; il a dû se calomnier lui-même par son goût et son talent pour l’épigramme. […] Il leur prête des discours qui rappellent avec talent ceux des anciens dans les assemblées publiques, mais j’aimerais mieux quelques-uns de ces mots vrais et qui transportent dans la réalité.

521. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « De la poésie et des poètes en 1852. » pp. 380-400

Quand on juge les ouvrages d’un autre genre, on a affaire aux recherches d’un auteur, à ses raisonnements et à ses jugements, à son talent dans la partie extérieure et plus ou moins aguerrie ; ici, dans la poésie, on a affaire à la chimère secrète de chacun, à son idéal préféré. […] Les Fables de Lachambeaudie, publiées dans un magnifique volume (1851), nous avertissent que l’auteur est poète, homme de talent, doué de facilité naturelle, et sachant trouver des moralités heureuses quand il ne les assujettit point à des systèmes. […] « Son talent est comme le bois de santal, sec et odorant », a dit de lui un ami. […] Les grands chefs d’école, les guides poétiques, se sont mal conduits ou se sont conduits au hasard, en dissipateurs ; sur ce point comme sur tant d’autres, les jeunes talents les ont trop imités. […] Le jour où il plaira à Dieu et à la nature de produire un talent complet doué de cette puissance d’action et de sympathie, il trouvera pour ses créations un rythme, des images, un style propre aux tons les plus divers, en un mot des éléments tout préparés.

522. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édelestand du Méril »

Au premier abord et à distance, cela paraît immense, et on sent que si cela l’était on trouverait dans l’écrivain qui va écrire une telle histoire un talent digne du sujet. […] L’étonnement, je l’avoue, a été profond, quand, dans un livre qui a la prétention, et selon moi la prétention aussi justifiée que le talent puisse la justifier, d’être l’Histoire de la Comédie, j’ai pu voir nettement à quoi se réduit cette grêle histoire. […] Les parentés de talent s’accusent entre eux avec énergie. […] Édelestand du Méril, pour des raisons tirées de la nature de son livre, a rencontré nécessairement sur son chemin les inévitables théories de deux hommes, de talent sans doute, mais dont l’un est gâté par l’opinion comme un vieillard, et l’autre comme un enfant, quoiqu’il ne le soit plus que dans les puériles débilités de sa théorie : Sainte-Beuve et Taine. […] Selon la méthode de Taine, qui indigne du Méril, mais qui l’indigne si doux, le talent lui-même n’est plus qu’un champignon d’une espèce particulière, qui pousse tout à coup quand l’humus se trouve contenir du phosphore, qu’aucun nuage ne neutralise l’action du soleil et que l’air ambiant est suffisamment saturé d’oxygène.

523. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Xavier Aubryet » pp. 117-145

Seulement, disons-le d’abord, pour éviter tout embarras, le livre d’Aubryet brille de tant de talent et de tant de conscience que, pour nous, la vérité n’est pas plus difficile à dire que la reconnaissance n’est difficile à porter. […] Xavier Aubryet, qui a débuté par le journalisme, c’est-à-dire par l’improvisation et l’éparpillement, n’a point gardé sur sa pensée les vices de ce métier dépravant que je regarde comme la plus effroyable épreuve qui puisse être imposée au talent, dans cette obligation de publicité rapide et corruptrice en sa rapidité dont nous sommes tous plus ou moins les forçats. […] Pour ceux-là, il y avait de tout dans le talent, excepté de la critique et de son génie. […] Il est impossible de mettre plus de rouerie de talent que n’en met Aubryet à les peindre, ces femmes bonnes à aimer, quand les autres sont si mauvaises ! […] Il a bien, cependant, assez de talent pour n’avoir pas besoin de se donner tant de peine et pour purifier de cette tache sa piquante originalité !

524. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « I » pp. 1-8

Il y a certes du talent, mais quel usage ! […] C'était bien la peine de faire tant de fracas et de prendre les choses par un si grand tour et de tant tonner contre la philosophie éclectique, laquelle, au pis, n’est qu’un déisme et spiritualisme de cette sorte. — Quant au talent lui-même, il y en a certes, mais moins que ne croient les bonnes gens qui ont oublié Raynal, et qui ne savent pas qu’il n’est pas très-difficile avec une certaine énergie de plume de faire de ces peintures qui sont partout, en leur rendant quelque puissance d’ensemble. […] Son style trop uniforme a un éclat que les pages de l’Indifférence ne surpassaient guère, et qui ne trahit pas la vieillesse d’un talent depuis si longtemps guerroyant.

525. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Note »

Dans ce cas il n’eût pas été tout à fait indifférent, non plus, que les jeunes gens qui s’élevaient et qui marquaient quelque talent fussent conciliés d’avance par de la bonne grâce et ne fussent point abandonnés entièrement à leur humeur irrégulière et frondeuse. […] Je vous félicite d’avoir cédé à votre talent, en le dégageant de tout système. […] « Je vous quitte pour retourner à vous ; je pense avec la joie d’un poëte que je laisserai après moi de véritables talents sur la terre.

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