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229. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXIX » pp. 319-329

Elle suppose que la retraite de madame Scarron, dans cette maison solitaire, avait donné lieu à des conjectures et à des propos injurieux pour elle. […] Ces points établis, qu’est-ce que cette petite aventure qui suppose madame de Montespan supplantée, et que madame de La Fayette ne veut pas croire ; cette aventure pour laquelle on dit madame Scarron enfermée, et dont la suite doit être pour elle de chercher un refuge à la Trappe ; cette aventure, qui a fait jaser l’abbé Testu et l’a refroidi pour madame Scarron, et qui fait qu’elle rassure de sa très bonne santé ?

230. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXV » pp. 402-412

Supposons-la perdue pour le roi dans une vaine galanterie, comme la précédente ; perdue pour madame de Montespan, dans les tourments d’une ambition réprimée et dans les fureurs d’une jalousie sans amour. Et supposons madame de Maintenon, malgré des alternatives fréquentes de dégoûts et de contentements, suivant que madame de Montespan exerçait de douces ou de malignes influences sur le roi, marchant néanmoins d’un pas lent, égal et ferme vers son but, qui était la considération du public par celle du roi, celle du roi par celle du public ; et vers un but plus éloigné qui se laissait entrevoir dans les nuages.

231. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Seconde faculté d’une Université. Faculté de médecine. » pp. 497-505

J’ai quelquefois pensé que les charlatans qui habitent les faubourgs des grandes villes n’étaient pas si pernicieux qu’on le supposait. […] Cette petite provision, suffisante pour l’homme bien élevé, serait trop légère pour le médecin, dont la profession suppose une connaissance approfondie des substances de la nature et de leurs analyses, ses deux arsenaux.

232. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 37, des défauts que nous croïons voir dans les poëmes des anciens » pp. 537-553

Tacite raconte que les allemands chantoient dans le temps où il écrivoit ses annales, les exploits d’Arminius mort quatre-vingt ans auparavant. étoit-il libre aux auteurs de ces cantiques cherusques d’aller contre la vérité des faits connus et de supposer, par exemple, pour faire plus d’honneur au heros, qu’Arminius n’eut jamais prêté serment de fidélité aux aigles romaines qu’il abbatit ? […] Mais supposé que cela fut vrai, imaginer un jardin merveilleux, c’est la tâche de l’architecte.

233. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

L’une suppose des commencements épiques, dont on retrouverait les traces chez certains historiens et dans les poèmes conservés d’une époque plus récente ; l’autre suppose une poésie lyrique, populaire, surtout orale, donc aisément disparue. — Si la loi que j’ai déjà esquissée est exacte pour d’autres ères, elle doit l’être aussi pour les origines, et la question serait résolue pour ainsi dire par équation mathématique ; mais je ne veux pas commettre une pétition de principe, ne fût-elle qu’apparente ou partielle. […] Même les partisans d’une épopée primitive admettent la coexistence d’une poésie lyrique (« il va sans dire qu’on ne nie pas l’existence de chants lyriques », Lanson) ; les uns supposent des cantilènes lyrico-épiques, devenues poèmes par « juxtaposition » ; les autres supposent de « petits poèmes », agrandis plus tard par « étirement ». […] S’il faut exclure l’étirement et la juxtaposition de « petits poèmes », il ne resterait plus, en admettant des origines épiques, qu’à supposer de véritables poèmes ; il y a à cela une nouvelle difficulté. […] Supposer une épopée contemporaine des événements, c’est se méprendre encore sur la psychologie populaire, sur l’imagination qui n’embellit qu’à distance, par une lente élaboration de légendes4. […] Je me suppose des lecteurs à qui ces noms suffisent pour en évoquer d’autres ; des lecteurs à qui les œuvres et les tempéraments du xvie  siècle apparaissent dans la fraîcheur de leur printemps.

234. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

Je lui parlais, il me parlait, nous nous entendions à demi-mot ; mais je n’osais pas lui demander son nom, de peur de paraître ignorer ce qu’on devait supposer que je connaissais. […] On doit les supposer dans tous ces êtres, mais à des degrés différents, et seulement dans la proportion indispensable à la destination de chacun d’eux. […] Supposons que pour les laboureurs ait lieu la communauté des femmes avec la division des biens : qui sera chargé de l’administration, comme les maris le sont de l’agriculture ? […] « Mais cette égalité même, si on la suppose établie, n’empêche pas que la limite légale des fortunes ne puisse être ou trop large, ce qui amènerait dans la cité le luxe et la mollesse ; ou trop étroite, ce qui amènerait la gêne parmi les citoyens. […] L’oligarchie est née de ce qu’on a prétendu rendre absolue et générale une inégalité qui n’était réelle que sur quelques points, parce que, tout en n’étant inégaux que par la fortune, ils ont supposé qu’ils devaient l’être en tout et sans limite.

235. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

Admettons-le44 ; cela n’empêche pas que chacune de ces intuitions suppose la précédente et en garde quelque chose ; dès lors, dire que intuition c’est expression, c’est, non pas jouer sur les mots (M.  […] Brunetière l’a bien entrevu dans Les Époques du théâtre français, mais il s’est arrêté à mi-chemin ; à plusieurs reprises, faute de distinguer assez entre les éléments traditionnels et la création individuelle, il a essayé de sauver le bloc par une argumentation un peu spécieuse ; c’est le vice de son livre, qu’il faut lire pourtant ; toutes les pages en sont éminemment suggestives ; je les suppose connues de mes lecteurs. […] En effet, des lieux divers, tous nettement caractérisés, supposent des milieux divers que le poète est bien forcé de caractériser aussi ; supposez trois conspirateurs dans un salon où l’on danse : vous serez bien forcé de faire bouger et parler, autour d’eux, des danseurs et danseuses ; d’où perte de temps, déviation de l’intérêt ; qu’il s’agisse d’un atelier de peintre, ou d’une table de whist, c’est toujours un milieu nouveau qui impose une certaine mentalité et des accessoires inutiles à l’action. […] Qu’il s’agisse d’une symphonie de Beethoven, des fresques de Puvis de Chavannes, d’une tragédie de Racine ou d’un roman de Flaubert, toute œuvre d’art suppose, chez celui qui la contemple, un état d’âme qui n’est pas celui du passant dans la rue ; elle suppose une adhésion tacite (consciente ou inconsciente) à telles vérités immatérielles exprimées par certains procédés ; die implique un acte de foi. […] Tenons-nous en à ce simple fait, que la moindre nature morte suppose une convention ; devant ce bœuf à l’étal de Rembrandt ou devant ces pèches de Chardin, je sais que le peintre a voulu me donner, non de la viande, ni des fruits mûrs, mais quelque chose d’autre, par la forme et la couleur ; j’y consens ; tout est là. — Or, de tous les arts, c’est bien l’art dramatique qui implique le plus grand nombre de conventions, précisément parce qu’il se sert des moyens les plus matériels, les plus semblables à la nue réalité.

236. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre premier. Les caractères généraux et les idées générales. » pp. 249-295

Lorsque Oken, rencontrant un squelette de mouton, imagina que le crâne est un composé de vertèbres élargies et soudées, lorsque Goethe, observant des étamines pétaloïdes, supposa que tous les organes de fleur sont des feuilles transformées, lorsque Newton, voyant une pomme tomber, conçut la lune comme un corps pesant qui tend aussi à tomber sur la terre, ils répétaient l’opération mentale et retrouvaient le ravissement du petit garçon qui, voyant des chiens sur l’abat-jour, criait oua-oua. — Entre une vertèbre et le crâne, entre la feuille verte et un pistil ou une étamine, entre la pomme qui tombe et la lune qui chemine dans le ciel, entre le chien de chair et aboyant et la petite figure de l’abat-jour, la dissemblance est énorme ; il semble que les deux représentations diffèrent du tout au tout. […] III Supposons ce travail achevé et l’enfant arrivé au seul de l’âge adulte.  […] Bien mieux, par une réduction plus profonde, il se trouve que le point et le mouvement suffisent pour reconstituer les deux autres sortes de limites que nous avons nommées la ligne et la surface, et, en outre, ce corps solide duquel nous avons tiré, avec les idées de surface et de ligne, celles de point et de mouvement. — En effet, supposez un point, c’est-à-dire la limite d’une ligne, et admettez qu’il se meuve ; la série continue des positions qu’il occupe fait une ligne. […] À présent, introduisons dans notre composé mental une condition nouvelle, la plus simple qu’il se pourra ; supposons que la force initiale, au lieu d’agir seulement au premier instant, continue à agir pendant toute la durée du mouvement et que, par suite, la vitesse du mouvement croisse uniformément. […] En effet, nous supposons des solides parfaits, c’est-à-dire absolument durs et tels que, toutes leurs parties étant unies indissolublement, l’une ne puisse être déplacée sans déplacer toutes les autres, en sorte que jamais leur situation réciproque ne soit altérée.

237. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

Esprit et cœur, sa République est en tout le paradoxe de Dieu, le contrepied de la nature, le roman de l’homme, depuis l’égalité des biens, aussi impossible à réaliser que le niveau constant des vagues sur la surface incessamment mobile de l’Océan ; depuis la communauté des produits, produits aussi impossibles à répartir qu’à créer, puisque la répartition suppose l’infaillibilité divine dans le gouvernement, et que le produit lui-même suppose l’uniformité du travail dans l’oisif, qui consomme sans rien faire, et dans l’homme laborieux, qui travaille sans salaire ; depuis la destruction de la famille, ce nid générateur et conservateur de l’espèce humaine, pour remplacer le père et la mère par une maternité métaphysique de l’État, qui n’a pas de lait, et par une paternité métaphysique de l’État, qui n’a pas d’entrailles ; depuis la communauté des femmes, qui change l’amour en bestialité, jusqu’à la communauté des enfants, qui détruit la piété filiale en défendant aux enfants de connaître leur père ; depuis le meurtre des nouveau-nés mal conformés, pour épurer la race, jusqu’au meurtre des vieillards, pour écarter des yeux le spectacle de la décadence et la céleste vertu de la compassion. […] Le premier de ces ridicules, c’est d’écrire, pour l’éducation universelle d’un peuple qui ne vit que de travail et de pauvreté, un livre qui suppose dans la famille et dans l’enfant qu’on élève une opulence de Sybarite ou des délicatesses de Lucullus, des palais, des jardins, des serviteurs de toutes sortes, des gouverneurs mercenaires attachés par des salaires sans mesure aux pas de chaque enfant, des voyages lointains à grands frais avec le luxe d’un fils de prince, voyages d’Alcibiade avec un Socrate à droite et un Platon à gauche de l’élève. […] On ne comprend pas aujourd’hui que l’engouement du dix-huitième siècle ait pris un seul jour au sérieux un livre soi-disant écrit pour le peuple, et dont tous les enseignements supposent dans les pères, les maîtres et les élèves la plus insolente aristocratie. […] Si l’éducation est nécessaire dans le monde des arts, ou pour le plus vil des métiers d’ici-bas, comment supposer qu’elle soit moins indispensable pour le plus sublime et le plus difficile des arts, l’art d’instituer des sociétés et de gouverner des républiques ou des empires ? […] Aucun génie, quelque grand qu’on le suppose, ne pourrait suffire à cette orgueilleuse tâche.

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