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1017. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre I. De l’évolution de la vie. Mécanisme et finalité »

Je dis bien que je change, mais le changement m’a l’air de résider dans le passage d’un état à l’état suivant : de chaque état, pris à part, j’aime à croire qu’il reste ce qu’il est pendant tout le temps qu’il se produit. […] L’apparente discontinuité de la vie psychologique tient donc à ce que notre attention se fixe sur elle par une série d’actes discontinus : où il n’y a qu’une pente douce, nous croyons apercevoir, en suivant la ligne brisée de nos actes d’attention, les marches d’un escalier. […] Car un moi qui ne change pas ne dure pas, et un état psychologique qui reste identique à lui-même tant qu’il n’est pas remplacé par l’état suivant ne dure pas davantage. […] Pour que la vision s’opère, dit l’auteur d’un livre bien connu sur les « Causes finales », il faut « que la sclérotique devienne transparente en un point de sa surface, afin de permettre aux rayons lumineux de la traverser… ; il faut que la cornée se trouve correspondre précisément à l’ouverture même de l’orbite de l’œil… ; il faut que derrière cette ouverture transparente se trouvent des milieux convergents… ; il faut qu’à l’extrémité de la chambre noire se trouve la rétine… 23 ; il faut, perpendiculairement à la rétine, une quantité innombrable de cônes transparents qui ne laissent parvenir à la membrane nerveuse que la lumière dirigée suivant le sens de leur axe 24, etc., etc. ». — A quoi l’on a répondu en invitant l’avocat des causes finales à se placer dans l’hypothèse évolutionniste. […] L’élan vital Nous revenons ainsi, par un long détour, à l’idée d’où nous étions partis, celle d’un élan originel de la vie, passant d’une génération de germes à la génération suivante de germes par l’intermédiaire des organismes développés qui forment entre les germes le trait d’union.

1018. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

Herder remarque avec raison que « la philosophie des arts devait naître dans la Grèce, parce qu’en suivant le mouvement libre de la nature et les inspirations d’un goût infaillible, les poètes et les artistes de cet heureux pays réalisaient la théorie du beau, avant que personne n’en eût encore tracé les lois. […] Suivant lui, l’étude de l’âme n’est qu’une partie de l’histoire naturelle ; elle n’appartient en rien à la métaphysique, à la philosophie première. […] Suivant Platon, au contraire, le témoignage des sens n’est pour l’âme qu’une occasion de s’élever à la notion universelle qu’elle porte en elle, et qu’elle y doit retrouver, quand elle sait rentrer en soi sous la conduite de la philosophie.

1019. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

devant être pratiquée de telle sorte que le numéro du jour tienne au suivant par une espèce de cordon ombilical et qu’il donne à tous l’impatient désir du lendemain. […] En sa candide ignorance elle ne savait pas, elle allait mourir sans le savoir, et il est urgent de le lui apprendre, que « l’air qui nous fait vivre est composé de vingt et une parties d’oxygène mêlées de soixante-dix-neuf parties d’azote et que la combustion du charbon, suivant qu’elle est plus ou moins active, donne de l’acide carbonique ou de l’oxyde de carbone ; … elle ignorait également le changement de composition que subit l’air par suite de l’oxygène remplacé dans l’atmosphère par les gaz carboniques » ! […] Dans le corps du journal sont présentés et discutés les faits du jour, de politique, de sociologie, de morale, etc., suivant telle ou telle conception générale en rapport avec l’état de l’âme contemporaine, et dans le feuilleton du rez-de-chaussée se perpétuent des traditions romanesques qui ne correspondent à rien.

1020. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Ainsi, Wagner et Tolstoï, forcés à des règles détaillées du renoncement, les donnent différentes, suivant la différence de leur race et de leur esprit, et la différence des désirs égarant leurs paroles, dans le vain rêve cruel de la vie égoïste. […] Mais non un compromis d’élégante prose plus exacte : l’entière concordance du mot sous le mot, de l’archaïsme sous l’archaïsme, du néologisme sous le néologisme, de l’expression contournée, obscure, bizarre, sous l’expression contournée et obscure et bizarre, d’une phraséologie françaisement allemande sous la phraséologie du langage allemand ; chaque mot allemand scruté dans ses primitives racines et rendu par l’équivalent français également scruté, — oui, la traduction des mots suivant leur originelle et étymologique signification, rigoureuse ; et, nettement délimité, amené en son ordre, chaque vers, portant son accent propre, une vie et une puissance spéciales, spéciales à lui ; et, encore, — si cela est possible, — l’allitération et le rhythme des syllabes reproduits, l’aspect sonore du vers51 ; le décalque, en mots français, des mots Wagnériens… C’est l’œuvre qu’il faut essayer, l’œuvre modeste après les grandes, populaires et célèbres traductions vulgarisatrices ; l’œuvre intéressante à quelques rares curieux de l’œuvre Wagnérienne ; l’œuvre de petite renommée ; parmi les multiples éditions promises aux poèmes de M.  […] C’est pourtant une idée forte de la Revue, particulièrement de Wyzewa, qui sera reprise par des écrivains de la génération suivante comme André Suarès ou Romain Rolland.

1021. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre II : La psychologie »

Ces associations ont une force invincible, parce qu’elles sont la conséquence des expériences enregistrées non seulement dans l’individu mais dans tous ses ancêtres humains et, pour quelques-unes, comme le temps, l’espace, dans tous les organismes animaux dont dérivent les organismes humains, suivant la théorie évolutionniste. […] Les changements ne forment que la matière brute de la conscience ; il faut de plus qu’ils soient organisés, c’est-à-dire classés suivant des ressemblances et des différences. […] Il a résumé d’ailleurs, dans le tableau suivant, cette opposition du sujet et de l’objet ramenés à des états de conscience151 : États de la première classe.

1022. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre quatrième. L’idée du temps, sa genèse et son action »

Les représentations suivantes : — gravure regardée à la lumière d’une bougie, vent violent, fenêtre ouverte, bougie éteinte, obscurité, — une fois produites dans mon expérience, tendront à se reproduire dans un certain ordre déterminé, qui est celui même do leur production primitive. […] On voit maintenant quelle perspective devra se produire dans la conscience : image intense de la fenêtre, puis, simultanément, image à demi intense du vent et image de la gravure au troisième degré d’intensité : c’est le côté du passé ; d’autre part, du côté du futur, image intense de la bougie éteinte, puis, après celle-là, image intense de l’obscurité, et, après celle-ci, les images suivantes. […] Guyau, Genèse de l’Idée de temps, p. 11 et suivantes.

1023. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

Il ne faut pas les regretter, il ne faut pas non plus se trop féliciter de ces ridicules oubliés, et de ces vices disparus ; d’autres sont venus à la suite de ceux-ci ; nous n’avons plus Les Femmes savantes de 1666, nous avons les bas-bleus de 1830 et années suivantes. […] Comme aussi je reconnais à certains signes ineffaçables, l’antiquaire acharné dont les filles à peine vêtues se refusent un tour de lit et du linge blanc. — Celui-ci est toujours le premier homme du monde pour les papillons ; celui-là rêve, la veille, par où et comment il pourra se faire remarquer le jour suivant. […] Elle s’abandonne librement à l’espièglerie de son rôle ; elle est, tour à tour, la fille d’un grand seigneur à l’ancienne marque, et la digne suivante d’une belle dame à la mode des petits appartements !

1024. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

De ces faits et de beaucoup d’autres du même genre on dégagera, croyons-nous, la conclusion suivante : notre conscience d’un accroissement d’effort musculaire se réduit à la double perception d’un plus grand nombre de sensations périphériques et d’un changement qualitatif survenu dans quelques-unes d’entre elles. […] Comme l’effort par lequel votre voix passe d’une note à la suivante est discontinu, vous vous représentez ces notes successives comme des points de l’espace qu’on atteindrait l’un après l’autre par des sauts brusques, en franchissant chaque fois un intervalle vide qui les sépare : et c’est pourquoi vous établissez des intervalles entre les notes de la gamme. […] Delbœuf, une échelle d’intensités lumineuses où l’on passerait de chaque sensation à la suivante par contrastes sensibles égaux : nos sensations se mesureraient ainsi les unes par les autres.

1025. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre IV. De la pluralité des temps »

Mais il se pose alors la question suivante : deux événements (par exemple deux éclairs A et B) simultanés par rapport à la voie sont-ils aussi simultanés par rapport au train ? […] Nous arrivons donc au fait capital suivant. […] Jamais un spectateur extra-terrestre ne me fera de reproche, jamais il ne me prendra en faute, parce que, considérant mes unités de mesure pour l’espace et le temps, observant le déplacement de mes instruments et la marche de mes horloges, il fera les constatations suivantes : 1° j’attribue sans doute la même vitesse que lui à la lumière, quoique je me meuve dans la direction du rayon lumineux et qu’il soit immobile ; mais c’est que mes unités de temps lui apparaissent alors comme plus longues que les siennes ; 2° je crois constater que la lumière se propage avec la même vitesse dans tous les sens, mais c’est que je mesure les distances avec une règle dont il voit la longueur varier avec l’orientation ; 3° je trouverais toujours la même vitesse à la lumière, même si j’arrivais à la mesurer entre deux points du trajet accompli sur la Terre en notant sur des horloges placées respectivement à ces deux endroits le temps mis à parcourir l’intervalle.

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