On peut se demander si le sourd est bien absolument sourd et s’il n’y a aucun élément sonore dans l’ensemble de ses sensations confuses ; s’il ne suffirait pas d’amplifier certaines de ces sensations, de les combiner d’une certaine manière, pour les enfler en un son. […] Allons plus loin : il y a sous toutes les sensations des éléments de motion : en sentant, on se sent mu et mouvant, c’est-à-dire passivement changé et activement changeant dans la durée avec un rapport vague à l’espace ; mais cet élément sensoriel, même en ce qu’il a de qualitatif, ne peut pas suffire à expliquer toutes les qualités des sensations. […] Il vous suffit d’ouvrir les yeux pour embrasser une infinité de points lumineux ; l’état de conscience enveloppé dans la sensation de la lumière est un océan aux ondes innombrables. […] Bien loin que le mouvement suffise à tout expliquer sans la sensation, qui ne serait ainsi qu’une lumière surajoutée, le plus probable, d’après les indications tirées de la psychologie, c’est que l’élément sensationnel existe déjà jusque dans les mouvements qui semblent les plus insensibles ; que la sensation distincte, au lieu de se produire à côté et à part du mouvement, dans je ne sais quel monde de purs reflets, est la simple accumulation et amplification de ce qui existait déjà dans le processus réel et intime des choses : le mouvement n’en est que la forme extérieure, la traduction pour les sens de la vue et du toucher.
Toutes nos connaissances présupposent l’expérience ; mais l’expérience seule ne suffit pas à les expliquer toutes. […] Il ne suffit plus ici d’analyser le sujet pour en tirer l’attribut ; car j’aurai beau décomposer la notion de corps, la notion de pesanteur n’en sortira pas comme partie intégrante. […] Kant exprime cette distinction en appelant analytiques les jugemens qui affirment le même du même, parce qu’en effet il suffit d’analyser un des termes du rapport qu’ils expriment, pour en tirer l’autre terme, et pour avoir par conséquent et le rapport et le jugement, expression du rapport ; et il appellesynthétiques les jugemens qui affirment d’un sujet un attribut qui n’y est pas contenu logiquement, parce que, pour trouver le rapport, il ne s’agit plus d’analyser un des termes, mais il faut joindre ensemble deux termes logiquement indépendans, et faire par conséquent un assemblage, une synthèse de deux notions auparavant isolées (analytischer und synthetischer Urtheile. […] Voilà les objets de la métaphysique ; ses principes sont les principes même à l’aide desquels l’intelligence humaine tente de résoudre les questions auxquelles elle ne peut échapper ; il suffit d’en citer quelques-uns tout ce qui arrive a une cause ; tout phénomène, toute qualité suppose un sujet ; tout évènement suppose le temps ; tout corps l’espace, etc.
Souvent même un mot dans la phrase suffisait pour lui en faire saisir le suc. […] Un détail lui suffisait, comme à Cuvier le moindre fragment d’os, pour supposer et reconstituer juste une personnalité entrevue en passant. […] Un tel recueil, passé presque inaperçu, eût suffi jadis à fonder la réputation d’un poëte. […] On s’y amusait fort, cependant, mais le siècle est devenu plus raffiné, et de tels plaisirs ne lui suffiraient pas. […] Ces deux années lui suffirent pour se débarrasser des traditions de l’école et conquérir tout d’un coup son originalité.
ce déluge, qu’il invoque après dix ou douze générations, il est déjà sur sa tête ; trente-six mois de tempête et de lutte suffiront pour abîmer une monarchie de plusieurs siècles. […] Je sais du moins à coup sûr, par un passage des Mémoires de Tilly, que M. de Meilhan quand il écrivait des billets doux, employait du papier à vignettes et parfumé : cela suffit à mon exactitude.
Après une de ces exhortations de l’ambassadeur en faveur de la paix, Bentivoglio ajoute : « Sur le visage et dans les paroles du président Jeannin, on croyait voir respirer la majesté et la présence du roi de France lui-même. » Le président Jeannin s’attache à montrer aux États-Généraux qu’une longue trêve équivaut à la paix et vaut même mieux à certains égards, en ce qu’elle ne permet point de s’endormir ; qu’il suffit que cette trêve soit conclue envers eux à d’honorables conditions, c’est-à-dire comme avec des États libres sur lesquels le roi d’Espagne et les archiducs ne prétendent rien ; que si l’on sait bien profiter de cette trêve en restant unis, en payant ses dettes et en réformant le gouvernement, elle pourra se continuer en paix absolue. […] Notre passé est riche pourtant, plus riche encore que nous ne le croyons ; il suffit d’y pénétrer par une étude un peu courageuse pour en dégager maint personnage antique et d’autant plus frappant de nouveauté.
Il suffit de considérer le portrait de Bossuet, peint dans sa vieillesse par le célèbre Rigaud, pour se faire une idée de ce qu’il avait dû être dans sa jeunesse. […] Ces peintures un peu molles et à la d’Aguesseau n’ont pas suffi, on le conçoit, à M. de Lamartine, qui, avec cette seconde vue qui est accordée aux poètes, a su apercevoir distinctement Bossuet jeune, adolescent, Bossuet à l’âge d’Éliacin, avant même qu’il eût abordé la chaire et quand il montait seulement les degrés de l’autel : Il n’avait pas encore neuf ans, nous dit l’auteur de Jocelyn parlant de Bossuet, qu’on lui coupa les cheveux en couronne au sommet de la tête.
Il suffit donc que Dangeau, quelques plaisanteries qu’on fasse de lui, soit d’une utilité réelle à la postérité et qu’il la serve, pour qu’elle lui en tienne compte et ne souffre pas qu’on le sacrifie. […] Ces petits événements, ces particularités à peu près insignifiantes qu’il constate étaient la nouvelle et la curiosité du jour où il écrit, cela lui suffit.
Mais cette esquisse de Voltaire, dans sa simplicité élégante et naturelle, ne suffit point aujourd’hui pour réfuter et repousser le magnifique portrait en laid où Saint-Simon a versé toutes ses ardeurs et son amertume : placée à côté, elle en est éteinte et absorbée. […] Les maréchaux de Lorges, de Choiseul, de Joyeuse, toute cette monnaie de M. de Turenne, paraissent au-dessous des commandements supérieurs, auxquels le courage seul et les qualités secondaires ne suffisent pas.
Si l’on ôte quelques passages où la simplicité est affectée et la sagacité raffinée, on croit entendre un des anciens jurisconsultes ; Montesquieu a leur calme solennel et leur brièveté grandiose ; et du même ton dont ils donnaient des lois aux peuples, il donne des lois aux événements… Suivant moi, pour que le livre sur Tite-Live fût entièrement vrai (car il l’est sur presque tous les points, et pleine justice est rendue d’ailleurs à l’historien), il eût suffi de laisser au sens du génie oratoire, du génie de l’éloquence déclaré dominant chez lui, la valeur d’un aperçu littéraire, sans lui attribuer la valeur d’une formule scientifique ; il eût suffi enfin de ne pas inscrire à la première ligne de cette étude, de n’y pas faire peser le nom et la méthode de Spinosa, de ne pas rapprocher des termes aussi étonnés d’être ensemble que Spinosa et Tite-Live.