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340. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

IV13 Alphonse Daudet a maintenant, littérairement, pignon sur rue, quoique ce soit là un mot bien pesant pour dire le succès de ce talent aérien, charmant et charmeur, et qui est en train, pour l’heure, de prouver qu’il a aussi la fécondité. […] En résumé, son livre n’aura de succès que par l’attendrissement qu’il causera à ceux qui le liront ; car la maîtresse faculté de Daudet, c’est la faculté de l’attendrissement, et, je l’ai dit en commençant, elle perce encore (heureusement !) […] Des deux côtés, c’est le succès. […] L’auteur des Rois en exil n’aura pas assurément un succès à la Zola, — le succès du premier venu qui nous parlerait abjectement de quelque fille, l’idolâtrie du temps où le Veau d’Or a été remplacé par des vaches dorées… Mais il aura son succès, néanmoins, pour une triple raison : c’est qu’il est moderne, parisien, et qu’il montre audacieusement et presque cyniquement la Royauté sous la fille encore, la fille partout et toujours !

341. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

L’Histoire de la baronne de Luz, qui parut en 1740, et Les Confessions du comte de…, publiées l’année suivante, eurent beaucoup de succès ; ces ouvrages ont perdu tout agrément aujourd’hui. […] On ne s’explique aujourd’hui le succès, même fugitif, de ses romans qu’en se souvenant qu’il y avait fait entrer beaucoup de portraits réels et qu’on les y cherchait, au risque peut-être de mettre au bas de chacun plus d’un nom à la fois. […] Excité par l’exemple, encouragé par les succès dont je suis depuis longtemps témoin et jaloux, mon dessein a été de faire une sottise. […] Malgré ces éloges mérités, le livre de Duclos manque d’agrément, et eut peu de succès à son heure ; l’effet général en est terne, et il y règne un air d’ennui.

342. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire. »

Je vous remercie de tout mon cœur du succès que vous me désirez. On trouve en général que mon ouvrage est simple et sans incidents ; mais mon succès fût-il un triomphe, ce que je suis bien loin d’espérer, recevez d’avance ma protestation, Monsieur, que je pose ma couronne sur la base et aux pieds de la statue de Shakespeare. […] L’auteur s’y montre encore plus insensé que son héros. » — « Cet ouvrage obtient pourtant un grand succès. » — « Ouvrage détestable !  […] Ces triomphes obscurs et journaliers sont plus méritoires que les grandes vertus, où l’on est soutenu par l’importance de la victoire et l’étendue même du sacrifice ; ces triomphes, mon ami, sont dignes de vous. » De loin, il cherche à le distraire en lui donnant des nouvelles du théâtre, des succès ou des chutes, — de l’arrivée de Voltaire, fêté, couronné, visité, qui vient de se rompre un petit vaisseau dans la poitrine et qui va succomber à son triomphe : « Bon Dieu !

343. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

Cette explication était nécessaire pour faire comprendre la naissance, le succès, la valeur des genres sérieux issus de la comédie, et qu’on a nommés comédie larmoyante et drame. […] La Chaussée eut un immense succès : les femmes surtout, plus avides de sentiment, se déclarèrent pour lui. […] Le succès de La Chaussée encourage les imitateurs ; et, aux environs de 1750, le nouveau genre semble sérieusement établi. […] Il semble qu’on en ait eu le sentiment : car, vers la fin du siècle, après les bruyants et multiples succès de la comédie larmoyante et du drame, on revient tout doucement à la comédie traditionnelle, à celle qui fait rire, ou y prétend.

344. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Il a eu, en paraissant, un succès prodigieux, qui a fait un moment concurrence aux premiers événements de la Révolution, et qui a duré tant qu’ont vécu nos pères. […] Il eut, dès le collège, des succès brillants, et montra des goûts déjà académiques : il avait reçu, comme en naissant, un sentiment littéraire très prononcé. […] Cette jeune femme, sur laquelle tous les portraits s’accordent, était, dès l’âge le plus tendre, une perfection mignonne de bon sens, de prudence, de grâce et de gentillesse : Mme de Stainville, à peine âgée de dix-huit ans, nous dit l’abbé Barthélemy, jouissait de cette profonde vénération qu’on n’accorde communément qu’à un long exercice de vertus : tout en elle inspirait de l’intérêt, son âge, sa figure, la délicatesse de sa santé, la vivacité qui animait ses paroles et ses actions, le désir de plaire qu’il lui était facile de satisfaire, et dont elle rapportait le succès à un époux digne objet de sa tendresse et de son culte, cette extrême sensibilité qui la rendait heureuse ou malheureuse du bonheur ou du malheur des autres, enfin cette pureté d’âme qui ne lui permettait pas de soupçonner le mal. […] Lorsque, arrivé à l’âge de soixante-dix ans, on lui conseilla de ne plus différer de publier son Jeune Anacharsis, l’ouvrage de toute sa vie, il hésita longtemps, et, lorsqu’il se décida enfin à le laisser paraître, en décembre 1788, c’est-à-dire à la veille des États généraux, son espoir était que l’attention publique, occupée ailleurs, ne se porterait que peu à peu et insensiblement sur le livre, et qu’il n’y aurait lieu ainsi ni à un succès ni à une chute : « Je voulais, dit-il, qu’il se glissât en silence dans le monde. » En tout ce qui précède, je n’ai voulu présenter l’abbé Barthélemy que dans l’ensemble de son existence et dans la distinction tempérée de son caractère : il nous en sera plus facile de parler de l’ouvrage même.

345. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Saint-Bonnet » pp. 1-28

Les grands livres dont la pensée fait surtout la grandeur n’ont point de grands succès immédiats. […] Patiens quia æterna… Il n’y a en ce monde, après la sympathie dans la sottise, qui fait, elle, les succès les plus rapides et les plus sûrs, il n’y a que la passion pour le succès d’un livre, la passion et la circonstance, à laquelle parfois le talent ne dédaigne pas d’attacher sa pensée, comme Samson attacha la torche à la queue de ses renards, pour tout incendier ! […] Puis il publia, sous un mauvais titre, — métaphysicien qui ne voyait pas le succès et qui voyait par trop sa pensée, — ce chef-d’œuvre de la Restauration française, qui est à son propre talent ce qu’il est lui-même à l’abbé Noirot ; le chef-d’œuvre absolu qu’on ne recommence pas.

346. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Il y a dans Shakespeare des beautés du premier genre, et de tous les pays comme de tous les temps, des défauts qui appartiennent à son siècle, et des singularités tellement populaires parmi les Anglais, qu’elles ont encore le plus grand succès sur leur théâtre. […] Ses pièces tirées de l’histoire anglaise, telles que les deux sur Henri IV, celle sur Henri V, les trois sur Henri VI, ont beaucoup de succès en Angleterre ; mais je les crois cependant très inférieures, en général, à ses tragédies d’invention, Le Roi Lear, Macbeth, Hamlet, Roméo et Juliette. […] La découverte de l’imprimerie a nécessairement diminué la condescendance des auteurs pour le goût national : ils pensent davantage à l’opinion de l’Europe ; et quoiqu’il importe que les pièces qui doivent être jouées aient avant tout du succès à la représentation, depuis que leur gloire peut s’étendre aux autres nations, les écrivains évitent davantage les allusions, les plaisanteries, les personnages qui ne peuvent plaire qu’au peuple de leur pays.

347. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre III. Retour à l’art antique »

Barthélémy répand sur sa solide érudition, sont pour quelque chose dans le succès du Voyage du Jeune Anacharsis : mais le goût du public y a été pour beaucoup aussi ; le livre est venu à son heure. […] Le succès fut considérable, mais l’heure était passée où Chénier pouvait exercer une influence par ses propres et réelles qualités. […] Il a même, comme Ronsard, et avec le même succès, tenté l’ode pindarique ; une de ses odes offre la strophe, l’antistrophe et l’épode.

348. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IV. La littérature et le milieu psycho-physiologique » pp. 126-137

Son ami Sedaine vient d’avoir un succès au théâtre : Diderot court chez lui, l’embrasse, veut le féliciter ; mais la voix lui manque et les larmes lui ruissellent le long des joues. […] J’ai les bras raccourcis aussi bien que les jambes, et les doigts aussi bien que les bras ; enfin je suis un raccourci de la misère humaine. » Qui sait si cette apparence simiesque ne fut pas une des causes qui déterminèrent le succès de Scarron, si elle ne contribua pas à faire de lui la vivante expression du goût littéraire contemporain ? […] Le drame et le succès qu’il obtint étaient en plein accord avec le vent de folie et d’épouvante, le souffle délétère et putride qui venaient de passer sur la grande ville.

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