En effet, le vrai mérite d’un écrivain est d’avoir un style qui soit à lui ; le mérite au contraire d’un latiniste tel qu’on le suppose, serait d’avoir un style qui ne lui appartînt pas, et qui fût, pour ainsi dire, un centon de vingt styles différents. […] Cet exemple suffit, je crois, pour prouver que ce n’est pas dans Térence qu’un orateur latin moderne doit former son style. […] Croit-on que le style épistolaire doive être le même que celui de la comédie ? […] Mais, dit-on, nous connaissons, en latin même, la différence des styles ; nous sentons, par exemple, que la manière d’écrire de Cicéron vaut mieux que celle de Sénèque, que le style de Tite-Live n’est pas celui de Tacite, et ainsi du reste ; donc nous sommes très au fait de la langue latine, et par conséquent très en état de la parler et de l’écrire. […] Nous sentons, il est vrai, la différence d’un style simple à un style épigrammatique, d’un style périodique et arrondi d’avec un style coupé ; il suffit pour cela de savoir la langue très imparfaitement.
Avec je ne sais quel critique, Remy de Gourmont appelle « le style des Goncourt un style désécrit ». […] Il faudra toujours dire : un style rapide, un style large, l’ampleur du style. […] Il n’y a pas de style artificiel ; il n’y a guère d’écriture naturelle. Le style tient le milieu entre la pensée et l’écriture. […] Le grand homme qui a un style est à l’écrivain curieux d’écriture comme le savant aux larges conceptions est à l’érudit amusé du détail.
Du style de Voltaire dans ses tragédies. — § VII. […] Du style de Voltaire dans ses tragédies. […] Ces deux grands poètes n’ont pas seulement le style de leurs sujets, ils ont un style personnel, et ce style c’est leur âme. […] Voltaire est le père du style brillant. […] Le style brillant paraît plus beau que le style vrai, et il est plus facile ; nous y sommes donc attirés à la fois par notre vanité et notre paresse.
Qu’est-ce, en effet, qu’un style dramatique ? […] Le style de Racine se présente, dès l’abord, sous une teinte assez uniforme d’élégance et de poésie ; rien ne s’y détache particulièrement. […] Le procédé continu d’analyse dont Racine fait usage, l’élégance merveilleuse dont il revêt ses pensées, l’allure un peu solennelle et arrondie de sa phrase, la mélodie cadencée de ses vers, tout contribue à rendre son style tout à fait distinct de la plupart des styles franchement et purement dramatiques. […] Le style de Racine convient à ravir au genre de drame qu’il exprime, et nous offre un composé parfait des mêmes qualités heureuses. […] Comment ne s’est-il pas rappelé que le style de Corneille, en bien des endroits pathétiques, ne diffère pas essentiellement de celui de Molière ?
Il est temps de dire un mot du style, cette qualité sans laquelle les ouvrages sont comme s’ils n’étaient pas ; on se figure assez généralement parmi les gens du monde, qu’écrire sa langue avec correction et avoir du style, sont une seule et même chose. Non : l’absence des fautes ne constitue pas plus le style que l’absence des vices ne fait la vertu. […] Ainsi, on n’a point de style pour écrire correctement des choses communes, et on peut avoir un style et un très beau style tout en donnant prise à la critique par quelques endroits. […] On corrige quelques détails dans son style, on ne le change pas, Autant d’hommes de talents, autant de styles. […] On peut préférer un style à un autre, mais on ne peut contester qu’il y ait cent façons d’écrire très bien.
C’est un corps d’ouvrage bien singulier que celui qui commence par la Genèse, et qui finit par l’Apocalypse ; qui s’annonce par le style le plus clair, et qui se termine par le ton le plus figuré. […] Vingt auteurs, vivant à des époques très éloignées les unes des autres, ont travaillé aux livres saints ; et, quoiqu’ils aient employé vingt styles divers, ces styles, toujours inimitables, ne se rencontrent dans aucune composition. […] Or, il est certain qu’on trouve dans l’Écriture : L’origine du monde et l’annonce de sa fin ; La base des sciences humaines ; Les préceptes politiques depuis le gouvernement du père de famille jusqu’au despotisme ; depuis l’âge pastoral jusqu’au siècle de corruption ; Les préceptes moraux applicables à la prospérité et à l’infortune, aux rangs les plus élevés, comme aux rangs les plus humbles de la vie ; Enfin, toutes les sortes de styles ; styles qui, formant un corps unique de cent morceaux divers, n’ont toutefois aucune ressemblance avec les styles des hommes.
La langue, ai-je dit, était à peu près fixée ; mais les tons, les styles, les différentes formes du langage, ne l’étaient pas : ce fut l’ouvrage de la société polie. […] De là naquit la diversité des tons, des styles, des formes de langage qui s’approprièrent à tous les usages de l’art de parler et de l’art d’écrire. Les grands écrivains eurent alors leur style propre ; de grandes et d’heureuses variétés de style charmèrent les esprits polis, surtout par leur appropriement aux choses, aux temps, aux personnes. […] On veut, par exemple, qu’en démêlant les styles, la France se soit privée pendant près de deux siècles de la sagacité, de la naïveté et de l’énergie de Montaigne. […] « L’on est, dit-il, esclave de la construction ; l’on a enrichi la langue de nouveaux mots, secoué le joug du latinisme, et réduit le style à la phrase purement française.
Les autres y voudraient de plus l’harmonie et la facilité du style, deux qualités que les bons écrivains n’ont jamais négligées, et qui font même le caractère de quelques-uns. […] Une des grandes difficultés de l’art d’écrire, et principalement des traductions, est de savoir jusqu’à quel point on peut sacrifier l’énergie à la noblesse, la correction à la facilité, la justesse rigoureuse à la mécanique du style. […] Le caractère des écrivains est ou dans la pensée, ou dans le style, ou dans l’un et dans l’autre. […] Les écrivains qui joignent la finesse des idées à celle du style, offrent plus de ressources au traducteur que ceux dont l’agrément est dans le style seul. […] Dans les endroits où il ne m’a pas été possible d’être aussi serré que l’auteur, j’ai coupé le style pour le rendre plus vif, et pour suppléer par ce moyen, quoique imparfaitement, à la concision ou je ne pouvais atteindre.
Ils ne comprennent pas que pour un curieux de ma sorte, un enthousiaste, un fanatique de style qui se trouve content et satisfait, si par hasard il rencontre en quelque tarte narbonnaise, un mot vrai, un mot trouvé, le commun des lecteurs, le commun des martyrs, rassasié de ces folies du style en délire, aussitôt les rejette et n’en veut plus entendre parler, une fois qu’il a porté à ses lèvres ce breuvage frelaté où se mêlent sans se confondre les plus extrêmes saveurs. […] Quant à notre style, il est encore bien trop plaqué du plus beau romantisme de 1830, de son clinquant, de son similor. […] Il existe un vice plus radical dans le style de ce roman d’En 18.. Il est composé de deux styles disparates : d’un style alors amoureux de Janin, celui du frère cadet ; d’un style alors amoureux de Théophile Gautier, celui du frère aîné ; — et ces deux styles ne se sont point fondus, amalgamés en un style personnel, rejetant et l’excessif sautillement de Janin et la trop grosse matérialité de Gautier : un style dont Michelet voulait bien dire plus tard, qu’il donnait à voir, d’une manière toute spéciale, les objets d’art du xviiie siècle, un style peut-être trop ambitieux de choses impossibles, et auquel, dans une gronderie amicale, Sainte-Beuve reprochait de vouloir rendre l’âme des paysages, et de chercher à attraper le mouvement dans la couleur, un style enfin, tel quel, et qu’on peut juger diversement, mais un style arrivé à être bien un. […] Tâchons donc d’écrire médiocrement, d’écrire mal, même plutôt que ne pas écrire du tout ; mais qu’il soit bien entendu qu’il n’existe pas un patron de style unique, ainsi que l’enseignent les professeurs de l’éternel beau, mais que le style de La Bruyère, le style de Bossuet, le style de Saint-Simon, le style de Bernardin de Saint-Pierre, le style de Diderot, tout divers et dissemblables qu’ils soient, sont des styles d’égale valeur, des styles d’écrivains parfaits.