Le berger, indiquant le tombeau que la tradition désigne pour celui d’Ariane, ajoute : « Ce monument, ainsi que tous ceux de ce pays, a été mutilé par le temps et encore plus par les barbares ; mais le souvenir de la vertu malheureuse n’est pas sur la terre au pouvoir des tyrans. » Et Bernardin, après avoir achevé son tableau, ajoute à son tour : « Je doute qu’un athée même, qui ne connaît plus dans la nature que les lois de la matière et du mouvement, pût être insensible au sentiment de ces convenances présentes et de ces antiques ressouvenirs. » Qu’a de commun, je vous prie, un athée avec les idées naturelles que fait naître l’histoire d’Ariane d’après Catulle, dans la bouche du berger ? […] « Dans cette halte de victoires qu’on appelait la paix, au bruit de ces crosses de fusils posées un moment à terre », il a montré le public d’élite accouru en foule à cette paisible fête littéraire, les bancs des académiciens envahis, l’auditoire en attente, et il s’est écrié : Quel contraste dans toutes les âmes, entre ces purs, ces gracieux souvenirs et ce ciel d’airain ? Quelle émotion grave et presque terrible dans l’assemblée, lorsque le mélodieux orateur, comme le Nestor d’une autre Iliade, mais Nestor qui flattait au lieu d’avertir, avec sa voix encore si accentuée sous la faiblesse de l’âge, abordant le sujet inévitable, retraça les derniers prodiges du Conquérant, qu’il nommait le Libérateur… Puis est venue une citation du discours de Bernardin de Saint-Pierre sur l’aigle, — l’aigle impériale d’alors ; — et là-dessus l’habile orateur, toujours ému et comme entraîné par ses souvenirs, s’est de nouveau écrié : « À cette image hardie, nouvelle, qui semblait suspendre la foudre sur toutes les têtes, l’auditoire se souleva tout entier d’enthousiasme, et ces voûtes parurent s’abîmer au bruit des applaudissements. » — Le morceau achevé, avec tous ses contrastes et ses ironies, M. Villemain est rentré dans son sujet de rapporteur en disant : « Vous pardonnez, Messieurs, l’exactitude de ces souvenirs, un de ces privilèges du temps, que le talent seul des jeunes candidats ne suppléerait pas. » Il y a, à toute cette éloquence moins foudroyante qu’il ne semble, et plus épigrammatique que sérieuse, un seul malheur, c’est que les choses ne se sont point passées tout à fait ainsi, c’est que M. […] De cette étude bien imparfaite, mais qui repose sur plus de lectures et de comparaisons que je n’ai pu en apporter ici, il me semble résulter que Bernardin de Saint-Pierre, dans sa vie, n’a été qu’à demi un sage, et que, dans ses écrits, il a presque aussi souvent erré que rencontré avec bonheur : mais, une fois, il a eu une inspiration simple et complète, il y a obéi avec docilité et l’a mise tout entière au jour comme sous le rayon ; il a mérité par là que son souvenir reste à jamais distinct et toujours renouvelé dans la mémoire humaine, et qu’autour de ce chef-d’œuvre de Paul et Virginie, la curiosité littéraire rassemble, sans en rien perdre, les grâces éparses de l’écrivain.
Il faut voir encore comme en toute occasion le poëte a conscience de lui-même, comme il a foi en sa gloire, et avec quelle sécurité sincère, du milieu de la tourbe qui l’importune, il se fonde sur la justice des âges : Ceux dont le présent est l’idole Ne laissent point de souvenir ; Dans un succès vain et frivole Ils ont usé leur avenir. […] La nature de France, les bords de la Seine, les îles de la Marne, tout ce paysage riant et varié d’alentour se mire en sa poésie comme en un beau fleuve ; on sent qu’il vient de Grèce, qu’il y est né, qu’il en est plein : mais ses souvenirs d’un autre ciel se lient harmonieusement avec son émotion présente, et ne font que l’éclairer, pour ainsi dire, d’un plus doux rayon. […] On se souviendra qu’il l’aima longtemps, qu’il le prédit, qu’il le goûta en un siècle de peu de poésie, et qu’il sentit du premier coup que ce jeune homme faisait ce que lui-même aurait voulu faire. […] Au livre second des odes de Le Brun, la quinzième A un jeune Ami s’adresse évidemment à André : Souviens-toi des mœurs de Byzance ; Digne de ton berceau, maîtrise la beauté !
. — Portraits et souvenirs littéraires (1875). — Poésies complètes, en 2 vol. (1876). — L’Orient, 2 vol. (1877). — Fusains et eaux-fortes (1880) […] (1881). — Guide de l’amateur au musée du Louvre (1882). — Souvenirs de théâtre, d’art et de critique (1883). […] [Mes souvenirs (1882).] […] [Souvenirs intimes (Le Temps, 1890).]
Il restera une foule de ces vers admirables qui n’empêchent pas les poèmes d’être médiocres, et qui sont les dernières fleurs dont se parent les poésies mourantes ; il restera le souvenir de grandes facultés poétiques, supérieures à ce qui en sera sorti ; il restera le nom harmonieux et sonore d’un poète auquel son siècle aura été trop doux et la gloire trop facile, et en qui ses contemporains auront trop aimé leurs propres défauts. […] Le Lac, quoique la langue en ait vieilli par endroits, me paraît un absolu chef-d’œuvre ; et, pour l’unité, la simplicité, l’émotion, l’emporte à mes yeux sur la Tristesse d’Olympio et le Souvenir. […] [Souvenirs personnels (1883).] […] Mais c’est toujours la voix intérieure, tour à tour douce et triomphante ; et ainsi le poète de l’Isolement , du Soir, du Souvenir, de l’Automne a été le chantre de Bonaparte, de la Marseillaise de la Paix et de Révolution.
Le mort, que ce tombeau recouvre, l’habite, en effet, non point à l’état abstrait de mémoire et de souvenir, mais en présence réelle, selon la croyance primitive. […] Le Chœur entend sa pensée cachée et il y répond : — « Prie pour ceux qui aimèrent ton père… Pour toi et pour quiconque hait Égisthe… Souviens-toi d’Oreste… Parle des meurtriers… Souhaite qu’un vengeur arrive et les égorge à leur tour. » — La libation est empoisonnée, Électre peut la verser sur la tombe ; ses paroles l’imprègnent encore d’une mortelle amertume. […] « Souviens-toi du bain où tu fus tué ! » — « Souviens-toi du filet où ils t’ont fait mourir !
M. de Fezensac, nourri de souvenirs littéraires, a eu le droit de mettre en tête de son écrit ces vers touchants du plus pieux des poètes antiques, de Virgile faisant parler son héros : « Iliaci cineres, et flamma extrema meorum… », ce qu’il traduit ainsi, en l’appropriant à la situation : Ô cendres d’Ilion ! […] Cette illusion fut promptement détruite ; mais j’aime encore à en conserver le souvenir, et c’est le dernier sentiment doux que j’aie éprouvé dans le cours de cette campagne. […] » De semblables souvenirs peuvent naturellement se rappeler au sujet de l’auteur de la narration présente : il est de ceux qu’un Xénophon lui-même n’aurait pas désavoués pour le ton, et il se souvient de Virgile.
Le système de Thalès, dont la trace est visible dans plus d’un souvenir de Pindare, n’était qu’une tradition reçue de l’Orient par un Grec d’Ionie. […] Sans doute, il s’y souvient encore et du penchant au plaisir, et des libres idées de sa première patrie ; mais il y mêle un sentiment moral, que relève l’accent de la poésie, pt qu’on n’attendrait pas d’un prétendu devancier du matérialisme moderne. […] Pythagore, dont il n’est demeuré qu’une tradition et un souvenir, partagea l’empire des esprits avec ces chants homériques répétés des côtes d’Asie dans toutes les villes de l’ancienne Grèce. […] Et toi, Muse aux mille souvenirs, vierge aux bras blancs, je sollicite de toi ce qu’il est permis d’apprendre dans cette vie passagère.
Ampère, Albert Stapfer ; dans une correspondance curieuse et touchante que j’ai sous les yeux, et qui, entre les mains de l’ami qui me la confie, pourra devenir un jour la matière d’un beau livre de souvenirs, je lis d’autres noms encore de cette jeune intimité ; j’en lis un que j’efface, parce que l’oubli lui vaut mieux ; j’en lis deux inséparables, qui me sont chers comme si je les avais connus, parce qu’un grand charme de pureté les enveloppe, Edmond et Lydia, amants et fiancés. Tous vivent aujourd’hui, excepté Sautelet, qui est mort de sa main ; bien peu se souviennent encore de ces années, ou du moins s’y reportent avec regret et amour, excepté Lydia, qui est demeurée, me dit-on, fidèle aux pensées de cette époque, et les a gardées présentes et vives dans son cœur. […] Une existence agitée est un suicide, si elle fait perdre le souvenir du monde meilleur ; et, quand on a conscience de sa dignité, il me semble que c’est une profanation d’employer son énergie et de ne pas lui laisser toute la sublimité des possibles… J’aime à vivre retiré, à faire les mêmes choses, à passer par les mêmes chemins : il me semble qu’ainsi je me mêle moins à la terre, et que je conserve toute ma pureté.
L’idée de corrompre Carnot eût été par trop absurde ; mais, disposé comme il l’était en ce moment, lassé du régime des coups d’État, troublé peut-être de quelques importuns souvenirs, et, par une sorte d’expiation, voulant désormais l’ordre légal avec autant d’énergie qu’il avait voulu la dictature, il y avait moyen de l’entreprendre et de l’abuser. […] Le plus actif, le plus nécessaire et le plus méritant des cinq membres, vers cette époque du 18 fructidor et durant les vingt mois qui suivirent, celui qui représente du gouvernement directorial toute la partie bonne et honnête, de même que Barras en représente toute la partie cupide et honteuse, est La Révellière, au nom duquel se rattache, comme un ridicule, le souvenir des théophilanthropes, et dont jusqu’ici on s’est plu à nous faire une espèce d’abbé de Saint-Pierre, tour à tour occupé de sa botanique et de ses hymnes à l’Être suprême. […] Saint-Marc Girardin, que le sang coulait dans Paris depuis les journées de la Révolution (Souvenirs et réflexions politiques d’un journaliste pag 8). »