Des sermons de Massillon même, il tirait des troubles et des plaisirs sensuels ; d’un amalgame de souvenirs littéraires et de visages entrevus, il forma son idée de la femme, un « fantôme d’amour » qu’il devait exprimer dans tous ses livres, chercher en toutes ses amies. […] Celui-ci, par de lointaines hérédités, par quarante ou cinquante générations d’aïeux chrétiens, par d’indéracinables souvenirs de jeunesse, par toutes les habitudes de sa civilisation, était catholique. […] Comte d’Haussonville, Souvenirs, 1885.
Jean Moréas, pour qu’il nous autorisât à réimprimer certains de ses manifestes, lesquels, on s’en souvient, eurent un grand retentissement, il y a quelques années. […] Oui, ils sont les dignes fils de ce grand et noble poète tant bafoué et calomnié de son vivant, et si mal connu encore à cette heure ; de ce pur artiste qui écrivait : « … La poésie, pour peu qu’on veuille descendre en soi-même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d’enthousiasme, n’a pas d’autre but qu’elle-même ; elle ne peut pas en avoir d’autre et aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d’écrire un poème. » Et, en remontant jusqu’aux premières années du siècle, on trouverait un autre ancêtre, Alfred de Vigny, l’auteur de Moïse, de La Colère de Samson, de La Maison du berger et de ce délicieux mystère où … les rêves pieux et les saintes louanges, Et tous les anges purs et tous les grands archanges… chantent sur leurs harpes d’or la naissance d’Éloa, cette ange charmante née d’une larme de Jésus. […] Zola, s’il vous en souvient, s’est efforcé de prouver que la littérature tend, depuis les âges les plus reculés, au naturalisme, lequel en est la fin nécessaire, et que tous les progrès de l’art d’écrire ont abouti fatalement aux Rougon-Macquart.
Dans la première, il n’y a pas d’art ; il n’y a qu’un souvenir obscur et confus de l’art antique. […] Dans la seconde époque, au souvenir de l’art antique succède l’étude même, et bientôt l’intelligence de ses monuments. […] N’est-ce pas le pays où tel qui a assisté sans émotion visible à la représentation d’une pièce de théâtre rit tout à coup, à quelques jours de là, d’un trait comique, ou s’attendrit au souvenir d’un trait de sentiment, laissé par le poëte dans la pénombre, et que le spectateur a emporté chez lui, pour en jouir par une sorte de rumination ?
Ils apprennent du fabuliste à reconnaître leurs impressions, à se représenter leurs souvenirs. […] Vieillards enfin arrivés au terme « du long espoir et des vastes pensées », le fabuliste nous aide à nous souvenir. […] Dans cette société de quatre amis, qu’il peint au 1er livre des Amours de Psyché, d’où l’on avait banni, dit-il, « la conversation réglée et tout ce qui sent sa conférence académique », on se souvient qu’il est Polyphile, l’amateur de toutes choses87.
Il est de ceux dont il convient de parler à l’heure où ils disparaissent, car il est compliqué, difficile à comprendre, et la postérité n’a le temps de se souvenir que de ce qui se détache avec unité et netteté. […] Et si personne ne l’habite, on y rattache plus librement ses souvenirs. Telle croisée avec son contrevent brun, tel effet de soleil sur les tuiles luisantes après la pluie, un chemin où croissaient des joncs, un arbre ne végétant plus que par les branches inférieures, sont autant d’objets d’émotions et de souvenirs.
L’affaire ainsi commencée, puis bientôt négociée auprès de l’abbé Sieyès, qui y donna les mains, n’aurait manqué, selon Bertrand de Moleville, que par une distraction du ministre qui, deux fois, ne se souvint ni de sa promesse ni de celui qui en était l’objet. […] Quand on le pressait, pendant son exil de Bruxelles, de fixer ses souvenirs, de raconter et de dicter ce qu’il avait vu, il répondait : Cui bono ? […] Des personnes qui l’ont approché dans ses dernières années (et le nombre en est petit) me le peignent immobile, renfermé, pratiquant plus que jamais cette opiniâtre passion de se taire : « Je ne vois plus, disait-il, je n’entends plus, je ne me souviens plus, je ne parle plus ; je suis devenu entièrement négatif. » Il s’arrêtait quelquefois au milieu d’une phrase commencée, et disait : « Je ne trouve plus le mot, il se cache dans quelque coin obscur. » Il revenait pourtant encore avec quelque plaisir sur ses anciens jours, et y rectifiait quelques points de récit qui appartiennent à l’histoire.
Dans ce siècle où les faiseurs de règles, où les législateurs du Parnasse, où les régularistes, si vous voulez les dénommer ainsi, ont été utiles jusqu’à un certain point ils ne sont pas absolument inutiles mais ont été surtout insupportables, à savoir rigoureux, pointilleux sur tous les détails, insistant sur des infiniment petits, et faisant de leur fantaisie souvent, ou de leurs souvenirs poétiques des règles inéluctables, en ce temps-là tous les genres étaient comme soumis aux faiseurs de règles et dominés par eux ; la tragédie plus que tout autre genre ; la comédie presque autant que tout autre genre, le poème épique d’une façon déplorable, abusive et du reste erronée, car c’est sur quoi les faiseurs de règles se sont le plus trompés. […] Il a fait plus, et ici je crois en être sûr : je ne crois pas que Vigny malgré ses souvenirs de chasseur, qui certainement l’ont aidé, je ne crois pas que Vigny aurait écrit la Mort du Loup si La Fontaine n’avait pas existé, et aurait compris aussi bien le sublime stoïcisme du loup qui souffre et meurt sans parler, sous les six couteaux qui lui sont entrés dans le corps ; — et il n’aurait pas dit : Comment on doit quitter la vie et tous les maux, C’est vous qui le savez, sublimes animaux. […] Ensuite, je conclurai sur La Fontaine ; c’est-à-dire je vous donnerai sur le génie de La Fontaine les idées générales qu’il convient, je crois, de garder dans son souvenir.
Il me semble que je pense maintenant à vous avec un souvenir plus tendre… Les idées sont abstraites ; on ne s’y élève que par un effort. […] Le souvenir de ces années pénibles et parfois amères ne s’est jamais effacé de l’esprit de Michelet. […] Naples ne m’a laissé que de pénibles souvenirs. […] Souvenirs de jeunesse. […] Il admirait l’empereur, mais se souvenait qu’il avait ruiné son père et la France.
Mais aussitôt qu’une lecture en ravive le souvenir, il se fait dans notre esprit une représentation subjective de tous les objets dont nous avons conservé les images. […] Ce double souvenir, qui retentit longtemps au fond de nous-mêmes, nous dispose à venir de nouveau savourer cette sensation exquise ; et cette disposition est précisément la marque d’un goût qui s’aiguise au souvenir et à l’espoir d’un plaisir, dans lequel se combinent également l’intelligence et la sensibilité. […] Le décor n’est donc pas fautif en soi, mais il peut dérouter le spectateur en éveillant dans son imagination le souvenir de l’acropole par excellence, qui est celle d’Athènes. […] Qui ne se souvient de l’effet saisissant du De profundis qui glace d’effroi Gennaro et ses compagnons, à la fin du festin où Lucrèce Borgia vient de leur faire verser du poison ? […] Aussi arrive-t-il, quand nous avons assisté à la représentation d’une pièce ayant agi avec quelque force sur notre âme, que nous ne gardons qu’un souvenir vague de la mise en scène, ou que du moins elle ne nous laisse qu’une impression d’autant plus générale que la figure du personnage humain prend plus d’importance et de précision dans notre souvenir.