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15. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Guy de Maupassant »

Il est étrange de songer que ce cerveau, en qui la réalité avait reflété des images si nettes, qui avait su interpréter, ramasser, coordonner ces images avec une vigueur et dans des directions si décidées, et nous les renvoyer, plus riches de sens, à l’aide de signes si fortement ourdis, n’ait plus, à partir d’un certain moment, reçu du monde extérieur que des impressions confuses, incohérentes, éparses, aussi rudimentaires et aussi peu liées que celles des animaux, et pleines, en outre, d’épouvante et de douleur, à cause des vagues ressouvenirs d’une vie plus complète ; et que l’auteur de Boule-de-Suif, de Pierre et Jean, de Notre Coeur, soit entré, vivant, dans l’éternelle nuit. […] Un écrivain célèbre qui souffre de la grande misère humaine en souffre surtout par procuration, songez-y. […] Songez qu’Homère n’est peut-être pas le nom de l’auteur de l’Iliade, et dès lors qu’est-ce que la gloire du chantre d’Achille ? […] Pour que la philosophie du Cas de Mme Luneau ou même de Marroca fût le vrai, il faudrait que la douleur fût absente du monde, et qu’on pût ne jamais songer à la mort.

16. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Anatole France »

Il eut cette impression que la vie est bien un songe et que Dieu, s’il fait à la fois le songe de tous et s’il le sait, doit se divertir prodigieusement. […] Il les peint exactes et vivantes, mais réverbérées, si je puis dire, dans l’esprit d’un vieux sage qui sait beaucoup et qui a beaucoup songé. […] Si peut-être ces petits récits font songer, par quelques-unes des réflexions qui y sont mêlées, au Voyage sentimental de Sterne, au moins sont-ils composés avec soin et les digressions ne sont-elles qu’apparentes. […] Et tous les êtres qui n’y songent point, même ceux qu’on aime, vous font sourire par quelque endroit, fût-ce le plus affectueusement du monde. […] Ne souriez pas à ce que je dis là, ou n’y souriez que par amitié et songez-y : quiconque vit, fût-il un petit chien, est au milieu des choses.

17. (1903) Propos de théâtre. Première série

Je ne songe qu’à vous l’épargner. […] Ce songe me poursuit. […] y songez-vous ? Mais y songez-vous vraiment ? […] Vous, songez à obéir. » Il s’éloigne.

18. (1910) Propos littéraires. Cinquième série

Songez à M.  […] À quoi vais-je songer ? […] Jamais on n’aurait songé à m’en mettre. […] Je songe à beaucoup de choses. […] Elle songea à y revenir, à cet ancien titre.

19. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

Il a sa correspondance directe avec Chamillart ; il lui écrit des environs de Haguenau (10 juillet 1702) : Pour moi, Monseigneur, je vois M. le maréchal de Catinat persuadé que, Landau pris, les ennemis pourront songer au siège de Sarre-Louis. […] Il allait avoir fort à faire encore malgré sa victoire ; l’électeur de Bavière n’était pas à portée pour qu’on pût songer à le joindre, et il fallait ajourner l’exécution de ce principal dessein. […] Les courtisans n’y regardaient pas de si près : Villars, nouvellement marié et père, avait fait venir la maréchale à Strasbourg, et l’on prétendait que ce n’était que pour elle et par jalousie, pour ne la point perdre de vue, qu’il avait songé à procurer ce repos à son armée après la prise de Kehl. […] Car nul cœur n’a senti plus au vif que Villars l’aiguillon de la louange, et nul aussi n’est plus affecté d’un reproche : Vous eûtes la bonté, écrit-il, de me mander que je m’étais fait maréchal de France la campagne précédente par de très grands services et de belles actions ; qu’il fallait songer à me faire connétable. […] En vérité, cela est plus sûr que de suivre l’avis des courtisans, qui, ne songeant qu’à détruire ceux qui n’ont pour eux que leurs services, pourraient établir, sous un roi moins juste et moins grand que celui que la bonté de Dieu nous a donné, cette maxime si dangereuse pour les maîtres de la terre, qu’il vaut mieux songer à leur plaire qu’à les servir.

20. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre I. Shakespeare — Sa vie »

On songe, le cœur serré, aux vieilles baraques paysannes de France, en bois, joyeuses et noires, avec des vignes. […] Tous deux songeaient, absorbés peut-être par cette coïncidence d’un commencement d’hiver et d’un commencement d’exil. […] Il fit ce quatrain étant ivre lui-même, à la belle étoile, sous un pommier resté célèbre dans le pays à cause de ce Songe d’une nuit d’été. Dans cette nuit et dans ce songe où il y avait des garçons et des filles, dans cette ivresse et sous ce pommier, il trouva jolie une paysanne, Anne Hatway. […] On a beaucoup ri de cette mise en scène de clair de lune, devenue fameuse par le Songe d’une nuit d’été, sans se douter que c’est là une sinistre indication de Dante.

21. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

il vous faut du songe ? Eh bien, songez l’homme meilleur. […] L’abbé de Saint-Pierre a laissé derrière lui un mot et un songe ; le mot est de lui : Bienfaisance ; le songe est de nous tous : Fraternité. Ce songe, qui faisait écumer le cardinal de Polignac et sourire Voltaire, n’est plus si perdu qu’il l’était dans les brumes de l’improbable ; il s’est un peu rapproché ; mais nous n’y touchons pas. […] Il n’en est pas moins en tiers avec ceux qui aiment, avec ceux qui songent, avec ceux qui soupirent, passant sa tête dans l’ombre entre deux têtes d’amoureux.

22. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre V. Les âmes »

On songe. Songer, c’est penser çà et là. […] Qui a bu boira, qui a songé songera. […] quelques-unes semblent pleines du songe d’un monde antérieur.

23. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « EUPHORION ou DE L’INJURE DES TEMPS. » pp. 445-455

Steele et Addison139, et de correspondre avec leur feuille excellente dont le goût tout classique n’excluait le songe ni l’allégorie, voici comment je tournerais la difficulté. Je n’aurais qu’à supposer que le soir ayant lu, avant de m’endormir, quelques pages des Analecta alexandrina, les auteurs eux-mêmes m’apparurent en songe, accompagnés de toute la foule des ombres poétiques dont le temps a dispersé les restes et nivelé les tombeaux. […] Et je me demandais (toujours dans mon songe), par un retour sur nos époques paisibles et sûres d’elles-mêmes, si de telles vicissitudes étaient à jamais loin de nous ; si, en accordant un laps suffisant d’années, les révolutions inévitables des mœurs et du goût, sans parler des autres chances plus funestes, n’infligeraient pas aux littératures modernes quelque chose au fond de plus semblable qu’on n’ose de près se l’imaginer. […] Et pourtant de tels motifs de garantie future que j’embrassais de grand cœur, et auxquels je ne cessais de croire dans mon songe (car vous n’oubliez pas que c’en est un), ne le rendaient pas moins mélancolique et moins sombre ; mon pauvre Euphorion, avec la foule innombrable et confusément plaintive de ces poëtes déshérités, déchus, ensevelis, ne se laissait pas oublier, et ils faisaient tous la ronde autour de moi, tellement que mes idées commençaient à vaciller un peu.

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