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214. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

Quand les vapeurs de la vallée s’élèvent devant moi, qu’au-dessus de ma tête le soleil lance d’aplomb ses feux sur l’impénétrable voûte de l’obscure forêt, et que seulement quelques rayons épars se glissent au fond du sanctuaire ; que couché sur la terre dans les hautes herbes, près d’un ruisseau, je découvre dans l’épaisseur du gazon mille petites plantes inconnues ; que mon cœur sent de plus près l’existence de ce petit monde qui fourmille parmi les herbes, de cette multitude innombrable de vermisseaux et d’insectes de toutes les formes, que je sens la présence du Tout-Puissant qui nous a créés à son image, et le souffle du Tout-Aimant qui nous porte et nous soutient flottants sur une mer d’éternelles délices ; mon ami, quand le monde infini commence ainsi à poindre devant mes yeux et que je réfléchis le ciel dans mon cœur comme l’image d’une bien-aimée, alors je soupire et m’écrie en moi-même : « Ah ! […] On y voit qu’il fit, au printemps de l’année suivante probablement (car les dates précises n’y sont point marquées), un voyage près de Coblentz pour s’y distraire, et qu’il y devint légèrement amoureux d’une des filles de Mme de La Hoche : « Rien n’est plus agréable, dit-il à ce sujet, que de sentir une nouvelle passion s’élever en nous lorsque la flamme dont on brûlait auparavant n’est pas tout à fait éteinte : ainsi à l’heure où le soleil se couche, nous voyons avec plaisir l’astre des nuits se lever du côté opposé de l’horizon : on jouit alors du double éclat des deux flambeaux célestes. » Cela nous apprend du moins que l’amour qu’il pouvait avoir gardé pour Charlotte n’avait rien de furieux ni d’égaré. […] Il faut que je te dise que mon âme se réjouit toujours quand le soleil a disparu depuis longtemps, la nuit occupant l’horizon entier, de l’orient jusqu’au nord et au sud, et qu’un cercle demi-obscur seulement luit du côté de l’occident ; la plaine offre un spectacle magnifique. […] On était au mois de février 1773 ; il écrit à Kestner dans une espèce d’hymne triomphal : Nous avons une glace superbe pour patiner en l’honneur du soleil. […] [NdA] On se rappelle le bel endroit de René : « Quand le soir était venu, reprenant le chemin de ma retraite, je m’arrêtais sur les ponts pour voir se coucher le soleil… » Dans le tableau naturel que nous trace Goethe, on remarquera, comme différence fondamentale avec Chateaubriand, le sentiment cordial et domestique, la joie d’enfants à cette veillée de Noël.

215. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1870 » pp. 321-367

* * * Aujourd’hui, sur le petit chemin ensoleillé du soleil de onze heures, où nous passons tous les jours, en revenant de la douche, il s’est arrêté devant les arbrisseaux qui le bordent. Et longuement, il m’a fait remarquer la ressemblance qu’avaient sur l’allée, les ombres portées des branches, des ramures, des petites feuilles naissantes avec les dessins d’album japonais, en même temps qu’il s’étendait sur le peu de ressemblance que ces dessins, faits par le soleil, avaient avec les dessins français. […] Nous avons dîné à une table sur la place, et nous avions devant nous le soleil couchant, la Seine, les grands arbres du parc, le coteau de Bellevue où Charles Edmond est heureux dans sa maison, et où je n’ose plus le conduire. […] Le soleil entre, à pleins rayons, par la fenêtre ouverte et joue sur sa bière, et dans les fleurs du gros bouquet placé à sa tête. […] 10 heures Au jardin je me cogne contre deux croque-morts, assis sur des morceaux de bois noir, au milieu de grands chandeliers d’église, incendiés de soleil.

216. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Dans le cours de ses longues excursions, après avoir gravi les hauteurs, descendu les pentes rapides, franchi les ruisseaux plus ou moins gonflés ou à sec selon les saisons, il arrive devant un parc seigneurial par où il peut abréger son chemin en le traversant ; il ne fait point comme Rousseau qui éviterait sans doute d’y passer, et qui aimerait mieux faire le grand tour sous le soleil que de rien devoir au riche et au puissant. […] Cowper, au sortir de la rase campagne, entre donc dans ces hautes avenues et y trouve la fraîcheur et l’ombre : Où donc est maintenant le soleil dévorant ? […] Ces hautes avenues, ces grands ormes, et l’atome de loin qui luit dans le soleil ! […] Tes boucles argentées, autrefois d’un châtain luisant, sont encore plus belles à mes yeux que les rayons dorés du soleil levant, ma Marie !

217. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Aloïsius Bertrand »

Il voit les fortifications qui se découpent en étoile, la citadelle qui se rengorge comme une géline dans un tourteau, les cours des palais où le soleil tarit les fontaines, et les cloîtres des monastères où l’ombre tourne autour des piliers. […] Le poëte est comme la giroflée qui s’attache frêle et odorante au granit, et demande moins de terre que de soleil. […] je n’ai plus de soleil, depuis que se sont fermés les yeux si charmants qui réchauffaient mon génie ! […] Encore un printemps,  — encore un rayon du soleil de mai au front du jeune poëte, parmi le monde, au front du vieux chêne parmi les bois !

218. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Que celui que le chagrin mine s’enfonce dans les forêts ; qu’il erre sous leur voûte mobile ; qu’il gravisse la colline, d’où l’on découvre d’un côté de riches campagnes, de l’autre le soleil levant sur des mers étincelantes, dont le vert changeant se glace de cramoisi et de feu ; sa douleur ne tiendra point contre un pareil spectacle : non qu’il oublie ceux qu’il aima, car alors ses maux seraient préférables ; mais leur souvenir se fondra avec le calme des bois et des cieux : il gardera sa douceur et ne perdra que son amertume. […] Les herbes de la vallée et les cèdres du Liban le bénissent, l’insecte bruit ses louanges, et l’éléphant le salue au lever du soleil, les oiseaux le chantent dans le feuillage, le vent le murmure dans les forêts, la foudre tonne sa puissance, et l’Océan déclare son immensité ; l’homme seul a dit : « Il n’y a point de Dieu !  […] Pour moi, j’ai vu, et c’en est assez, j’ai vu le soleil suspendu aux portes du couchant dans des draperies de pourpre et d’or. […] Te souvient-il du lac tranquille Qu’effleurait l’hirondelle agile, Du vent qui courbait le roseau Mobile, Et du soleil couchant sur l’eau Si beau ?

219. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Jasmin. (Troisième volume de ses Poésies.) (1851.) » pp. 309-329

Jasmin y laisse voir un des principaux traits de son talent : il a la gaieté sensible, et, même quand il pleure, on voit rire toujours dans ses larmes un rayon de soleil. […] La poésie de Jasmin est tout émaillée de ces vers charmants qui font luire aux yeux les objets, qui font briller sur la vitre le soleil du matin, et étinceler la maisonnette à travers le bouquet de noisetiers : mais ici cet éclat de description se confond avec le pur sentiment. […] Après la messe, il faut voir tout le village assemblé comme s’ils attendaient un grand seigneur, et Marthe, la fille au front pur, à côté du vieux prêtre, tous riants et plantés là, debout, à l’entrée du chemin : vous avez le tableau, et le grand chemin devant vous dans sa longueur : Rien au milieu, rien au bout de cette longue raie plate, rien que l’ombre déchirée à morceaux par le soleil (encore un de ces vers heureux qui peignent sans rien interrompre). […] Ici, nous faisons tout naître rien qu’en égratignant la terre ; qui en possède un morceau se prélasse chez lui ; il n’y a pas de petit bien sous notre soleil !

220. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre sixième. Genèse et action des idées de réalité en soi, d’absolu, d’infini et de perfection »

Quand je dis que la terre tourne autour du soleil, malgré ma perception actuelle, je veux dire que, si j’occupais dans l’espace un point fixe, à une assez grande distance du soleil et de la lune, je percevrais le mouvement de la terre autour du soleil. […] L’expérience, en effet, nous fait voir elle-même des lignes sensiblement droites, des cercles sensiblement ronds, comme celui de la pleine lune ou du soleil, des surfaces sensiblement planes, comme celle de la mer.

221. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLe entretien. L’homme de lettres »

Chaque matin le soleil, semblable à un globe de fer rouge, se levait au bord de l’horizon ; sa lumière était pâle et sans chaleur, seulement elle agitait dans l’air une infinité de particules glacées qui étincelaient comme une poussière de diamants. […] Ils avaient fait à jeun plus de cinq lieues depuis le lever du soleil. […] Paul, qui ne s’étonnait de rien, dit à Virginie: « Notre case est vers le soleil du milieu du jour ; il faut que nous passions, comme ce matin, par-dessus cette montagne que tu vois là-bas avec ses trois pitons. […] Il monta au haut d’un grand arbre, pour découvrir au moins la montagne des Trois-Mamelles ; mais il n’aperçut autour de lui que les cimes des arbres, dont quelques-unes étaient éclairées par les derniers rayons du soleil couchant. […] les rayons du soleil au matin, au haut de ces rochers, me donnent moins de joie que ta présence.

222. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Rayons et les Ombres » (1840) »

Dans ses poèmes il mettrait les conseils au temps présent, les esquisses rêveuses de l’avenir ; le reflet, tantôt éblouissant, tantôt sinistre, des événements contemporains ; les panthéons, les tombeaux, les ruines, les souvenirs ; la charité pour les pauvres, la tendresse pour les misérables ; les saisons, le soleil, les champs, la mer, les montagnes ; les coups d’œil furtifs dans le sanctuaire de l’âme où l’on aperçoit sur un autel mystérieux, comme par la porte entr’ouverte d’une chapelle, toutes ces belles urnes d’or, la foi, l’espérance, la poésie, l’amour ; enfin il y mettrait cette profonde peinture du moi qui est peut-être l’œuvre la plus large, la plus générale et la plus universelle qu’un penseur puisse faire. […] Il aime le soleil.

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