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273. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Or, de même que cette méthode tend à réduire la psychologie à une sorte de physiologie cérébrale où la personnalité individuelle se confond avec l’organe, elle tend aussi à ramener l’histoire à une sorte de physiologie sociale où la personnalité nationale s’efface sous l’action sourde, incessante et irrésistible des causes économiques et naturelles. […] L’histoire n’avait guère été précédemment qu’une sorte de psychologie sociale, ayant pour unique objet l’âme des individus et des peuples. Elle est devenue une étude analogue à l’histoire naturelle, une véritable physiologie sociale, où l’influence des causes économiques et physiques se combine avec l’action des causes morales et personnelles pour produire ce résultat concret et complexe qu’on appelle l’histoire d’une nation ou d’une époque. […] Fatalité des passions ou fatalité des idées, l’histoire perd son véritable caractère du moment que la liberté en a disparu ; elle devient une sorte de physique sociale. […] Il est certain que, sur les grands théâtres où se fait l’histoire moderne, l’homme semble bien petit, bien faible, bien impuissant, devant ces forces de toute espèce, physiques, physiologiques, économiques, sociales, qui ont une action si générale, si irrésistible par leur permanence et leur continuité même.

274. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

Duveyrier a raison de dire : « La civilisation, pour tout le monde, c’est la perfectibilité humaine en mouvement, c’est le progrès social vivant et grandissant, en chair et en os. » Je regrette que M.  […] Cela l’eût conduit, en effet, à des discussions épineuses et peut-être brûlantes, à des évaluations de salaires, à la recherche d’une répartition plus égale dans les bénéfices sociaux ; il n’a pas serré la question de ce côté-là, du côté arithmétique et toujours redoutable, par où un Proudhon n’aurait certes pas manqué de la prendre et, en propres termes, de l’empoigner. […] Obéissant à son rôle qui est celui d’un inspirateur, d’un provocateur à bonne fin plutôt que d’un praticien, il lui a semblé que ce qui manquait le plus à l’époque présente, c’était un centre, un groupe, une association s’entendant pour la bonne direction du progrès social. […] Duveyrier l’a senti : « Le nouvel Institut devrait attirer, dit-il, les natures ardentes, communicatives, les talents de parole et de plume, et les employer à rehausser le moral des populations et à créer un courant de libéralités publiques en faveur du progrès social. » En deux mots, M. 

275. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens III) Henri Rochefort »

Quand on est à ce point convaincu de l’injustice, de l’absurdité, de la monstruosité de l’état social, on ne doit guère trouver que cela prête à rire ; du moins on ne doit pas rire toujours. […] Je me dis malgré moi : — Un homme qui souffre de la grande misère du peuple et de toutes les horribles iniquités sociales et qui fait profession de ne point s’y résigner, j’ai beau faire, je ne puis me le représenter sous les espèces d’un boulevardier qui fait des mots. […] Quand un homme passe son temps à attiser les haines des souffrants, à provoquer la révolution sociale, à faire tout, sous prétexte que le monde va mal, pour qu’il aille plus mal encore, il faut qu’il soit bien persuadé de la justice de son œuvre, et cette foi ne suppose pas un très grand fond de gaieté ni surtout une humeur de plaisantin. […] Si je ne garantis point qu’il aime le peuple à la façon des apôtres mystiques de la révolution sociale, je suis sûr qu’il déteste du meilleur de son âme les représentants officiels de l’égoïsme bourgeois et de l’hypocrisie parlementaire.

276. (1900) L’état actuel de la critique littéraire française (article de La Nouvelle Revue) pp. 349-362

Il le voit comme le chien de berger, vigilant et sévère, qui ramène aux voies du bien social, à coups de dents s’il le faut, les capricieux moutons littéraires. […] C’est, alors, que son rôle doit se modifier profondément, et que le temps est venu où, comme toutes les choses sociales actuelles, elle doit prendre une toute autre signification. […] Voici à quel degré, vous fait pour semer et vous pour récolter, vous en êtes dans l’évolution sociale. […] L’homme né pour comprendre les rapports des idées peut rester un simple lettré, s’il se borne là : mais, s’il veut, il est capable de devenir un véritable bienfaiteur social.

277. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre II. L’analyse interne d’une œuvre littéraire » pp. 32-46

Que de lacunes révélatrices et faciles à constater, depuis ceux qui n’ont pas senti la nature extérieure, comme Boileau, jusqu’à ceux auxquels manque le souci de l’au-delà, comme Stendhal ; depuis ceux qui n’ont jamais eu le moindre battement de cœur pour une cause politique et sociale jusqu’à ceux auxquels l’amour de la famille paraît être resté presque tout à fait étranger, témoin l’étrange époux et père que fut notre La Fontaine ! […] Autrement dit : idées relatives à ce qui est du domaine des sciences physiques et naturelles ; idées morales ; idées politiques et sociales ; idées esthétiques ; idées philosophiques et religieuses ; tels sont les principaux cadres qu’il faudra remplir les uns après les autres. […] Qu’il s’agisse de contes de fées qui émerveillent les enfants ou d’histoires de revenants qui leur font si grand’peur, qu’il s’agisse d’hymnes religieuses essayant de percer le mystère de la tombe ou d’utopies sociales s’efforçant d’esquisser l’avenir de l’humanité, qu’il s’agisse de méditations métaphysiques sur l’origine et la fin des choses ou de poèmes paradisiaques et prophétiques, nous rencontrons là des qualités nouvelles, des élans d’imagination, des envolées dans le vaste champ du possible, voire même de l’impossible, dans le royaume des hypothèses et des chimères, en un mot de l’idéal. […] Est-il attiré du côté religieux ou du côté social ?

278. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre XII. Demain »

Demain La plupart des jeunes gens d’aujourd’hui n’ont pas plus de tendances littéraires que de tendances sociales. […] N’y a-t-il donc dans la jeunesse actuelle, qu’âpres arrivistes et naïf bétail social ?

279. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

Il y a sans doute autant de bonhomie robuste et charmante, autant de goût pour la vie simple et les détails familiers, autant de complaisance et d’art à nous faire sentir, quelle qu’en soit l’enveloppe et la condition sociale, combien c’est intéressant et digne d’attention, une âme humaine ; il y a, je le veux bien, autant de tout cela chez le Georges d’outre-Manche que chez le George français ; je dis qu’il n’y en a pas plus, parce que je crois que c’est impossible. […] C’est encore et surtout ce qu’on a appelé l’individualisme ; c’est la revendication des droits de la conscience individuelle contre les lois écrites, qui ne prévoient pas les cas particuliers, et contre les conventions sociales, souvent hypocrites et qui n’attachent de prix qu’aux apparences. […] Dumas visent presque toujours un article déterminé du code civil ou des préjugés sociaux. […] La plupart ont la notion du péché, une vie intérieure au moins aussi développée que leur vie de relations sociales. […] Qui affirmerait que notre ardeur de foi scientifique et de charité révolutionnaire, médiocrement intérieure et plutôt tournée aux réformes sociales, ne compense pas, même aux yeux de Dieu, l’aptitude plus grande des peuples du Nord à la méditation et au perfectionnement intérieur ?

280. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

« De ces deux choses combinées, puissance publique au dehors, bonheur individuel au dedans, résulte la prospérité sociale. « Prospérité sociale, cela veut dire l’homme heureux, le citoyen libre, la nation grande. […] « Il est bien entendu ici que par ces mots, Venise, l’Angleterre, nous désignons non des peuples, mais des constructions sociales ; les oligarchies superposées aux nations, et non les nations elles-mêmes. […] Les esprits tremblaient dans l’anxiété sociale comme les feuilles à l’approche de l’orage. […] Les aspirations de mille passagers sur le vaisseau social ne conduiront pas le navire au port ; il faut qu’un seul monte sur le pont et presse l’auteur pour donner la route.

281. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIVe entretien. Mélanges »

Mais trouver le moyen de les corriger sans détruire du même coup, par l’impraticable utopie, toutes les réalités nécessaires à la vie sociale, l’abbé de Lamennais n’y avait jamais pensé, et le Livre du peuple en était la preuve. […] C’est un baril de poudre qui ferait sauter en l’air tout l’établissement social. […] Ceci n’est que l’ébauche d’une critique générale de l’œuvre sociale écrite au courant de la plume, et destinée à être revue et corrigée à loisir avant de permettre qu’on l’imprime. […] Au lieu de l’appeler le Livre du peuple et de le lancer à cette partie déshéritée, souffrante et irritée de la société, adressez-le, sous un autre titre, à la partie aisée, privilégiée, heureuse et jouissante de l’humanité, et montrez-lui les moyens pratiques d’améliorer sans le renverser l’état social. […] En un mot, au lieu de faire une révolution par la haine et par l’envie, vous ferez la révolution sociale par la charité.

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