III Sans doute c’est par une porte bâtarde que la réforme entre en Angleterre ; mais il suffit qu’une porte s’ouvre, telle quelle ; car ce ne sont pas les manéges de cour et les habiletés officielles qui amènent les révolutions profondes ; ce sont les situations sociales et les instincts populaires.
Pour tout ce qui regarde les usages, les préjugés, les convenances et les relations sociales, il est aussi positif que le mathématicien le plus exact. […] Le christianisme, et surtout le catholicisme, étant, comme je l’ai dit dans le Médecin de campagne, un système complet de répression des tendances dépravées de l’homme, est le plus grand élément de l’ordre social. » Et avec une ingénuité qui sied à un grand homme, prévoyant le reproche d’immoralité que lui adresseront des esprits mal faits, il dénombre les figures irréprochables comme vertu qui se trouvent dans la Comédie humaine : Pierrette Lorrain, Ursule Mirouët, Constance Birotteau, la Fosseuse, Eugénie Grandet, Marguerite Claës, Pauline de Villenoix, madame Jules, madame de la Chanterie, Ève Chardon, mademoiselle d’Esgrignon, madame Firmiani, Agathe Rouget, Renée de Maucombe, sans compter parmi les hommes, Joseph Le Bas, Genestas, Benassis, le curé Bonnet, le médecin Minoret, Pillerault, David Séchard, les deux Birotteau, le curé Chaperon, le juge Popinot, Bourgeat, les Sauviat, les Tascherons, etc. […] Dans plus de dix ans d’intimité, nous n’en avons reçu qu’une seule qui dérogeât à cette douce raison sociale : c’était celle où le malheureux survivant criait du fond de son désespoir la mort de son frère bien-aimé.
Les espérances, la surprise du peuple ému de voir remonter sur le trône une ancienne famille en qui la majesté respectable du rang était devancée par cette sorte de majesté touchante qu’impriment les longs malheurs ; les premières paroles d’un roi dissipant les craintes, scellant le pacte social, et faisant écouler soudain ces flots d’armées étrangères qui, satisfaites d’avoir expulsé leur ennemi, semblaient craindre de profaner leur triomphe, voilà quelles riches données j’indiquais aux poètes : cet instant d’illusion paraissait favorable à l’épopée : mais qu’elle s’y arrête et n’envisage plus ses suites.
Il m’objectera ici ce qu’il m’a dit plusieurs fois : qu’il n’y a peut-être pas une idée principale, folle ou sage, qui lui appartienne, que la préférence de l’état sauvage sur l’état civilisé, n’est qu’une vieille querelle réchauffée ; qu’on avait fait cent fois avant lui l’apologie de l’ignorance contre les progrès des sciences et des arts ; qu’on retrouve partout la base et les détails de son Contrat social ; qu’un homme d’un peu de goût ne s’avisera jamais de comparer son Hèloïse avec les romans de Richardson, qu’il a pris pour modèle ; que son Devin du village n’est aujourd’hui que de la très-petite musique ; que, si l’on avait un enfant à élever, on laisserait les idées fausses ou exagérées d’Emile, pour se conformer aux sages préceptes de Locke ; que l’on ne clouta jamais que les langes où nous emprisonnons les nouveau-nés, ne les fissent pâtir, et ne les déformassent ; qu’on lit dans la plupart des moralistes et des médecins122, que les mères exposaient leur santé et manquaient à leur devoir en refusant à leurs enfants la nourriture qui gonflait leurs mamelles, et que c’est autant la fréquence des accidents que l’éloquence de Rousseau qui les a persuadées. […] Nous devons à Plutarque et à quelques autres biographes anciens, et nos neveux devront à Moréri, à Bayle, à Chaufepié, à Marchand, à Fontenelle, à D’Alembert, à Condorcet, à notre Académie française, la connaissance utile des vertus sociales ou des défauts domestiques qui rendirent agréables ou fâcheux le commerce des hommes célèbres dont ils admireront les ouvrages210.
On l’avait chargée d’un rôle qu’elle sait jouer, et pourtant qui n’est pas le sien : d’un rôle social, et philosophique, et politique. […] Les théories sociales le tentaient et, en quelque façon, n’a-t-il pas été socialiste ?
Le corps social n’est-il point un organisme sujet à des maladies plus ou moins guérissables ?
Horrible vanité de la décomposition sociale.
Il est agressif, malicieux ; il écrit la célèbre lettre de Dupuis et Cotonet sur « L’Abus qu’on fait des adjectifs » (Revue des Deux Mondes, 15 sept. 1836), où deux bons bourgeois de la Ferté-sous-Jouarre, ayant entrepris de comprendre « ce que c’était que le romantisme », découvrent que c’est une manière d’attrape-nigaud, fabriqué avec du vieux-neuf pris à Shakespeare, à Byron, à Aristophane, aux Évangiles, aux Allemands et aux Espagnols, le tout si adroitement recollé et redoré, que les badauds bayent aux corneilles devant l’étalage, sans s’apercevoir que les étiquettes n’ont aucun sens et que personne n’a jamais su et ne saura jamais ce que peut bien être l’art social ou l’art humanitaire.
Il y a là une solidarité organique et sociale qui entretient dans l’économie animale un mouvement sans cesse dépensé et sans cesse renaissant, jusqu’à l’heure où le dérangement ou la cessation d’action d’un élément organique nécessaire amène un trouble dans le jeu de la machine vivante ou même en provoque l’arrêt définitif.