Il y en a pour la naissance, le maintien et le développement des sociétés humaines, pour la formation, le conflit et la direction des idées, des passions et des volontés de l’individu humain338. […] Combien d’autres siècles ensuite pour l’invention des arts les plus nécessaires, pour l’usage du feu, la fabrication des « haches de silex et de jade », la fonte et l’affinage des métaux, la domestication des animaux, l’élevage et l’amélioration des plantes comestibles, pour l’établissement des premières sociétés policées et durables, pour la découverte de l’écriture, des chiffres, des périodes astronomiques341 ! […] Dans une société humaine, toutes les parties se tiennent ; on n’en peut altérer une sans introduire par contre-coup dans les autres une altération proportionnée. […] Tels sont enfin le caractère national et la religion. — Toutes ces causes ajoutées l’une à l’autre ou limitées l’une par l’autre contribuent ensemble à un effet total, qui est la société. Simple ou compliquée, stable ou changeante, barbare ou civilisée, cette société a en elle-même ses raisons d’être.
Un intérêt sérieux ramène l’attention sur les hommes qui ont contribué à restaurer la société après les convulsions et les tempêtes. […] Le premier de ces écrits, intitulé : Des préjugés (1762), indique un esprit tourné par goût aux considérations morales ; c’est comme un chapitre des Essais de Nicole, dans lequel sont distingués les préjugés de divers genre et de diverse nature : les préjugés d’usage et de société, ceux de parti, ceux qui tiennent au siècle, etc. […] Il le range, pour son Contrat social, dans ce qu’il appelle la secte des politiques, gens inutiles et dangereux qui, au lieu de s’appliquer à faire aller la société et à la servir, ont la manie de la décomposer pour en rechercher les raisons et les causes, comme si elle n’était pas chose naturelle et conforme à la nature humaine. […] L’influence de Mirabeau, souveraine dans la Provence, l’écarta des États généraux ; il n’en eut point de regret et se retira à la campagne, s’y occupant de méditer un ouvrage Sur les sociétés politiques. […] Il y disait en réponse à ceux qui regardaient le serment comme une garantie : Il eût été digne de notre siècle de reconnaître que le serment est une bien faible épreuve pour des hommes polis et raffinés ; qu’il n’est nécessaire que chez des peuples grossiers à qui la fausseté ou le mensonge coûte moins que le parjure ; mais que dans nos mœurs cette auguste cérémonie n’est plus qu’une forme outrageante pour le ciel, inutile pour la société, et offensante pour ceux qu’on oblige à s’y soumettre.
La liberté dans l’art, la liberté dans la société, voilà le double but auquel doivent tendre d’un même pas tous les esprits conséquents et logiques ; voilà la double bannière qui rallie, à bien peu d’intelligences près (lesquelles s’éclaireront), toute la jeunesse si forte et si patiente d’aujourd’hui ; puis, avec la jeunesse et à sa tête, l’élite de la génération qui nous a précédés, tous ces sages vieillards qui, après le premier moment de défiance et d’examen, ont reconnu que ce que font leurs fils est une conséquence de ce qu’ils ont fait eux-mêmes, et que la liberté littéraire est fille de la liberté politique. […] Les ultras de tout genre, classiques ou monarchiques, auront beau se prêter secours pour refaire l’ancien régime de toutes pièces, société et littérature ; chaque progrès du pays, chaque développement des intelligences, chaque pas de la liberté fera crouler tout ce qu’ils auront échafaudé. […] Dans les lettres, comme dans la société, point d’étiquette, point d’anarchie : des lois.
Ainsi toute rencontre de société, toute personne devient pour lui matière à remarque, à distinction, tout lui est point de vue qu’il relève. […] La société ordinaire qui fréquentait la maison de M. de Meulan ne différait pas de celle de M. […] Guizot a si bien dit94 sur le salon et la société de cet académicien distingué se peut appliquer tout à fait à la feuille qui exprimait les opinions de son monde avec modération, urbanité, et d’un ton de liberté honnête. […] Ces nombreuses pensées, qui ne se contrariaient jamais parce qu’elles étaient justes, et qui même se rejoignaient à une certaine profondeur dans l’esprit de Mlle de Meulan, composaient pour elle une vue du monde et de la société plutôt qu’un ensemble philosophique sur l’âme et ses lois. […] Et ici, tout en gardant la direction dans l’influence, l’esprit victorieux dut subir et ressentir une part essentielle dans le détail, en diminution d’idées absolues, en connaissance précoce du monde et maniement de la société et des hommes.
Madame de Sévigné sentait la nature à sa manière, et la peignait au passage, en charmantes couleurs, quoique ayant une prédilection décidée pour la conversation et pour la société mondaine. […] Bernardin, qui devait être un prêcheur aussi séduisant que l’autre était un rebutant apôtre, projetait tout d’abord son arrangement de société imaginaire sur des fonds de tableau et dans des cadres dignes de Fénelon, de Xénophon et de Platon. […] L’histoire des révolutions civiles et politiques, l’établissement laborieux et compliqué des sociétés modernes, se réduisaient pour lui à peu de chose. […] Il fut adressé par M. de Bretceuil à d’Alembert, qui le reçut bien, et qui l’introduisit dans la société de mademoiselle de Lespinasse : il ne pouvait plus mal tomber en fait de pittoresque. […] Une dispute qu’il eut avec son libraire le mit mal, à ce qu’il crut, dans la société de mademoiselle de Lespinasse, et il s’en retira malgré une lettre rassurante de d’Alembert.
messieurs, je vous en conjure, que les représentants et les organes de l’État moderne, que les hommes vraiment politiques ne mettent pas le pied sur ce terrain glissant de la discussion métaphysique ; ce terrain-là, pas plus que celui de la théologie, n’est bonet sûr pour qui accepte l’établissement de la société présente et à venir. […] Pour moi, les lois sont essentiellement fondées sur l’utile ; la société a droit à tout ce qui la protège efficacement : rien de moins, rien de plus ; c’est la pierre solide. […] Un de nos honorables collègues, il y a une année environ, M. le comte de Ségur d’Aguesseau, croyait devoir parler au Sénat d’un danger selon lui imminent, et qui menaçait la société, le Gouvernement même, ce Gouvernement auquel nous sommes tous dévoués. […] Ce serait pour un moraliste, pour un nouveau La Bruyère ou pour un nouveau Molière, un bien beau sujet et plus vaste qu’aucun de ceux qu’a pu offrir une cour ou une classe restreinte de la société en ce temps-là, sous l’ancien régime. […] Il y a eu déjà quelques esquisses, mais la société française actuelle, dans son hypocrisie de forme nouvelle, mériterait un grand tableau.
Le mot de Cocu, si souvent employe par ces deux Auteurs, mais surtout par le premier, est depuis long temps proscrit au Théatre, & même dans la société. Ce n’est pas qu’il y en ait moins ; c’est au contraire parce qu’il y en a davantage ; car plus la société est corrompue, plus on est attentif à proscrire tous les termes qui en rappellent les déréglemens.
C’est une remarque à faire qu’aux approches des grandes crises politiques et au milieu des sociétés en dissolution, sont souvent jetées d’avance, et comme par une ébauche anticipée, quelques âmes douées vivement des trois ou quatre idées qui ne tarderont pas à se dégager et qui prévaudront dans l’ordre nouveau. […] Ils aspireront à quelque chose de mieux, au simple, au grand, au vrai, et se dessécheront et s’aigriront à l’attendre ; ils voudront le tirer d’eux-mêmes ; ils le demanderont à l’avenir, au passé, et se feront antiques pour se rajeunir ; puis les choses iront toujours, les temps s’accompliront, la société mûrira, et lorsque éclatera la crise, elle les trouvera déjà vieux, usés, presque en cendres ; elle en tirera des étincelles, et achèvera de les dévorer. […] Ce sont des espèces de victimes publiques, des Prométhées dont le foie est rongé par une fatalité intestine ; tout l’enfantement de la société retentit en eux, et les déchire ; ils souffrent et meurent du mal dont l’humanité, qui ne meurt pas, guérit, et dont elle sort régénérée. […] Les détails de cette société charmante, où vivaient ensemble, vers 1782, Lebrun, Chénier, le marquis de Brazais, le chevalier de Pange, MM. de Trudaine, cette vie de campagne, aux environs de Paris, avec des excursions fréquentes d’où l’on rapportait matière aux élégies du matin et aux confidences du soir, tout cela est resté couvert d’un voile mystérieux, grâce à l’insouciance et à la discrétion des éditeurs. […] La Révolution, qui brisa tant de liens, dispersa tout d’abord la petite société choisie que nous aurions voulu peindre, et Le Brun, qui partageait les opinions ardentes de Marie-Joseph, se trouva emporté bien loin du sage André.
La poésie dramatique dépend, plus que tout autre genre, de cette profonde et générale union des arts avec la société. […] Une société de braconniers exerçait ses déprédations dans les environs de Stratford, et Shakespeare, éminemment sociable, ne se refusait guère à ce qui se faisait en commun. […] Un tel état de la société amène l’aisance avec la confiance ; et là où règne l’aisance, où la confiance s’établit, arrive bientôt le besoin d’en jouir en commun. […] Ne demandez ni vraisemblance, ni conséquence, ni étude profonde de l’homme et de la société ; le poëte ne s’en inquiète guère et vous invite à vous en inquiéter aussi peu que lui. […] Dans cet état de la société, un nouveau système dramatique doit s’établir.