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408. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

Le Brun qui avait (il n’est pas besoin de le dire) bien autrement de force et de nerf que Millevoye, mais qui était, à quelques égards aussi, simple précurseur d’un art éclatant, Le Brun tente des voies ardues, heurte à toutes les portes de l’Olympe lyrique, et, après plus de bruit que de gloire, meurt, corrigeant et recorrigeant des odes qui n’ont à aucun temps triomphé. […] De tous les jeunes poëtes qui ne meurent ni de désespoir, ni de fièvre chaude, ni par le couteau, mais doucement et par un simple effet de lassitude naturelle, comme des fleurs dont c’était le terme marqué, Millevoye nous semble le plus aimé, le plus en vue, et celui qui restera. […] Sa vie, aussi simple que courte, n’offre qu’un petit nombre de traits sur lesquels nous courrons. […] Des sentiments de famille naturels et purs, une facilité de talent non combattue, bientôt l’émotion rapide, mobile, du plaisir et de la rêverie, c’est là le fonds entier de sa jeunesse, ce sont les caractères qui, en simples et légers délinéaments, pour ainsi dire, vont passer de l’âme de Millevoye dans sa poésie.

409. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre II. Rapports des fonctions des centres nerveux et des événements moraux » pp. 317-336

. — D’autre part, nous avons vu que les sensations, en apparence simples, sont des totaux ; que ces totaux, en apparence irréductibles entre eux, peuvent être composés d’éléments semblables ; qu’à un certain degré de simplicité leurs éléments ne sont plus aperçus par la conscience ; qu’ainsi la sensation est un composé d’événements rudimentaires capables de dégradations indéfinies, incapables de tomber sous les prises de la conscience, et dont les actions réflexes nous attestent non seulement la présence, mais encore l’efficacité. […] En effet, on a vu que nos sensations ne sont que des totaux composés de sensations élémentaires, celles-ci de même, et ainsi de suite ; qu’à chacun de ces degrés de composition le total se présente à nous avec un aspect tout autre que celui de ses éléments, que par conséquent, plus ses éléments sont simples et reculés loin des prises de la conscience, plus ils doivent différer pour nous du total accessible à la conscience, en sorte que l’aspect des éléments infinitésimaux au bas de l’échelle et celui de la sensation totale au sommet de l’échelle doivent différer du tout au tout. […] Par contrecoup la même dégradation et la même réduction s’opèrent dans les événements moraux ; au plus haut degré de complication, ils constituent les images, les sensations proprement dites et ces sensations rudimentaires que dénote l’action réflexe ; aux degrés suivants, ils sont encore des événements de la même espèce, mais moins composés, et ainsi de suite, leur complication diminuant avec celle du mouvement moléculaire, tant qu’enfin, au degré le plus simple de l’événement physique, correspond le degré le plus simple de l’événement moral.

410. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

En face de ces hâbleurs et encombrants individus, qui ne sont même pas assez propres moralement pour leur être fidèles après les avoir traînées dans une existence de saleté et de misère, elles apparaissent aimantes, simples et travailleuses, indulgentes à ces mâles prétentieux qui les assomment de leurs « rêves » et les laissent cuisiner en barbouillant une toile ou en bâillant sur un poème. […] Si quelqu’un doit être expert en attitudes simples et naturellement nobles, en nuances du cœur et de l’esprit, en charme, en propreté de tenue et de caractère, en goût sûr et sobre, c’est l’être qui, éloigné de tout sport brutal, de tout négoce et de toute violence, sert des intérêts abstraits, fait de la pensée et de la plastique sa principale étude. […] Y a-t-il eu un personnage de plus haute allure officielle que Puvis de Chavannes, ou un homme plus foncièrement simple, de la belle simplicité d’âme, que le pauvre et grand Ernest Chausson ? […] Il en érigera la silhouette stricte, simple, élégante et sévère même dans la pauvreté.

411. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

Et il ajoute, dans un sentiment excellent, qui trouve de lui-même l’expression simple : On ne peut attendre des belles-lettres d’autre récompense qu’un peu de consolation et d’espérance ; et si, par bonheur, les hommes et les esprits que j’aime se trouvent de moitié dans ma récompense, eh bien ! […] Rien de plus simple, on le voit ; c’est le début de Manon Lescaut, ou de Daphnis et Chloé demeurant rue Saint-Denis, et de tant d’autres romans où la passion n’ira pas si loin ; c’est le commencement de toutes les faciles amours. […] Mais supposez que le récit soit partout sur le ton simple et de la vérité, représentez-vous nos amoureux en peine, à travers champs, dans cette marche de nuit, et cherchant depuis une heure ou deux leur invisible château. […] Cette page est vraiment juste, elle est simple et belle, et, puisque je suis en train de découpures, je la donnerai : Malheureux prince (est censé lui dire Henri IV), le plus semblable à moi des petits-fils de ma race, tu avais en toi-même tout ce qui fait les grands hommes, et tu t’en es servi pour accomplir les plus grands vices.

412. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Et sans comprendre la dégradation que la souffrance inflige aux misérables et qui supprime ironiquement ainsi la classe des infortunés digues de commisération, — songeant à la fois à un dehors qu’il a seul aperçu et à une âme qu’il imagine, il montre en Sonia souillée, simple et calme en sa religion, l’extrême cruauté du contraste cuire le viol de toute sa chair et les pimpances de toilette auxquelles l’astreint ce supplice lucratif. […] Sous la chamarrure des uniformes, en le déguenillement des souque-nilles, à travers le poli ou le débraillé des manières, ou des paroles choisies ou éructées, il sait discerner le fond même, boueux ou délicat, de l’homme, la simple créature matérielle, souffrante, transgressante, endolorie, irascible, périssable et vive. […] Son peuple, ce sont les déclassés, les prostituées, les criminels, les ivrognes, les aigrefins, ou encore les simples créatures cordiales et ces impudentes canailles qui sentent parfois le besoin de mettre à l’air leur turpitude. […] Les criminels, les débauchés, les filles séduites et les filles souillées, les petites méchantes gens, toute la saleté et les pustules du corps social, sont oints et pansés de ses maigres mains ; avec de simples paroles de compassion, ils sont consolés et attendris par l’articulation de leur sourd et gros murmure.

413. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « I »

Le simple bon sens conseillait de ne pas s’arrêter à une étiquette un peu hardie et de ne pas nous supposer gratuitement absurde. […] Albalat a lu, la plume à la main, annoté, disséqué les pages de tous nos écrivains français ; et, les textes sous les yeux, il explique comment on peut s’y prendre pour écrire sans recherche, mais avec précision, goût, sobriété et, si possible, de façon originale6. »‌ M. de Gourmont lui-même le reconnaît :‌ « Ce livre, dit-il, est bien meilleur que son titre, en ce sens qu’il soulève toutes sortes de questions de psychologie linguistique, alors qu’ou aurait pu s’attendre à un simple manuel scolaire… L’œuvre garde des parties excellentes ». […] Qu’on n’ait point fait de livres, qu’on en ait fait de passables ou qu’on en ait fait de très bons, chacun a le droit d’enseigner le style, s’il sent le style, s’il a de l’expérience et des idées sur le style, par cette simple raison qu’on est souvent capable de sentir profondément ce qu’on est incapable de réaliser. […] Et, sans aller jusque-là, voici que moi, simple lecteur de bonne foi, je ne puis, en conscience, quoique M. 

414. (1903) Considérations sur quelques écoles poétiques contemporaines pp. 3-31

C’est qu’il ne s’agit pas là, comme on s’est plu à le répéter trop souvent, d’une simple question de phrases à écrire en lignes plus ou moins égales, mais bien de l’inspiration même. […] Voilà ce que signifie pour nous ce verger plein d’ombelles, ce pluriel qui étend, élargit, amplifie la pensée du poète, en évoquant, non pas seulement une simple fleurette, une simple ombellifère, ce qu’eut réalisé ombelle au singulier, mais bien l’ensemble d’une flore agreste, éclose en même temps, d’une flore s’enchevêtrant, s’enlaçant, croissant en liberté sous les arbres à fruits du lieu que les latins qualifiaient joliment de viridarium, cet enclos charmant, si insuffisamment dénommé : verger. […] Faguet, à condition qu’on ne le chérisse et poursuive point comme une beauté. » On ne réclame rien de tel ici, mais seulement la simple facilité d’en user avec tact, le cas échéant, ce qui est fort différent.

415. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre II. Des tragédies grecques » pp. 95-112

L’amour est chez les Grecs, comme toutes les autres passions violentes, un simple effet de la fatalité. […] C’est à leur religion qu’il faut surtout attribuer leur fixité dans les principes du genre noble et simple. […] Nos situations tragiques les plus belles et les plus simples sont tirées du grec.

416. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre I. Malherbe »

Prenons Malherbe dans ses bonnes pièces, dans ses odes historiques et ses stances religieuses : ce sont des œuvres fortes et simples, où il y a, en vertu même des sujets, plus de conviction que de passion, plus de raisonnement que d’effusion ; le mouvement, la chaleur viennent surtout de l’intelligence. […] Il défendait de rimer le simple et composé, comme jour et séjour, mettre et permettre ; ou les mots trop faciles à accoupler, comme montagne et campagne, ou les noms propres, faciles toujours à enchaîner, comme Italie et Thessalie. […] On peut trouver sa forme étriquée, ses rythmes monotones et simples : songeons que la liberté antérieure était indétermination, confusion : il a réglé la cadence de la poésie comme il était possible en son temps, et il fallait passer par la simplicité classique pour arriver à la complexité plus riche de l’harmonie romantique.

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