L’histoire nous transmet à cet égard un témoignage populaire que, bien des siècles après, la flatterie savante renouvelait pour Richelieu. […] « Le siècle coupable a profané d’abord le mariage, la famille, le foyer. […] a Le siècle de nos pères, pire que nos aïeux, nous a produits plus méchants encore, pour donner une descendance plus vicieuse que nous188. » Quelle que fût la bonne intention d’Horace pour la gloire d’Auguste, peut-on, dans le tour original même de cette ode, ne pas apercevoir ce qui manquait à cette gloire ? […] Après Horace, en effet, à peine verrons-nous briller quelque lueur du génie lyrique sous la forme païenne ; et il faudra le renouvellement, d’abord de la croyance, puis des races humaines, pour que, de siècle en siècle, se ranime la poésie.
Oui, c’est dans ce siècle, c’est lorsque l’espoir ou le besoin du bonheur a soulevé la race humaine ; c’est dans ce siècle surtout qu’on est conduit à réfléchir profondément sur la nature du bonheur individuel et politique, sur sa route, sur ses bornes, sur les écueils qui séparent d’un tel but. […] Si les nations étaient en paix au-dehors et au-dedans, les arts, les connaissances, les découvertes en divers genres feraient chaque jour de nouveaux progrès, et la philosophie ne perdrait pas en deux ans de guerre civile, ce qu’elle avait acquis pendant des siècles tranquilles. […] Ces diverses réflexions ne pourraient avoir de prix qu’en les appuyant sur des faits, sur une connaissance détaillée de l’histoire, qui présente toujours des considérations nouvelles, quand on l’étudie avec un but déterminé, et que guidé, par l’éternelle ressemblance de l’homme avec l’homme, on recherche une même vérité à travers la diversité des lieux et des siècles. […] Les grands écrivains, deux siècles après, ont admis et fait admettre le genre simple ; et le discours du sauvage qui s’écriait : dirons-nous aux ossements de nos pères, levez-vous et marchez à notre suite ? […] Mais laissez un siècle passer sur nos destinées, vous saurez alors si nous avons acquis la véritable science du bonheur des hommes ; si le vieillard avait raison, ou si le jeune homme a mieux disposé de son domaine, l’avenir.
Au même principe se ramènent bien des pièces qu’on serait d’abord tenté de ranger parmi les poèmes moraux ou satiriques des dits, des débats des États du siècle ou du monde. […] Cependant d’autres dits, d’autres débats, d’autres États du siècle ou du monde, ont un caractère vraiment moral, et forment entre la poésie lyrique et la poésie narrative un corps considérable de poésie didactique. […] Le xiiie siècle aussi est le siècle îles allégories : en ce genre se distingua Raoul de Houdan, avec sa Voie de Paradis et son étrange Songe d’Enfer, où, à la table de Lucifer, il mange de bel appétit les gras usuriers et les vieilles pécheresses à toute sorte de sauces symboliques89. […] Mais presque toutes tes saintes Qui aux églises sont priées, Vierges chastes, et mariées Qui maints beaux enfants enfantèrent, Les habits du siècle portèrent ; Et en ceux-là même moururent, Qui saints sont, seront et furent. […] Même à la Renaissance et même au xviii° siècle, ce sera toujours cette antiquité qui sera la plus accessible à nos Français.
Viennent alors deux chapitres généraux : l’homme, les jugements ; la mode nous ramène aux travers particuliers du siècle ; l’étude de quelques usages découvre les abus radicaux de la société. Enfin le chapitre de la chaire nous explique l’état de cette prédication chrétienne qui a la charge des âmes et la direction morale du siècle ; et le chapitre des esprits forts combat le libertinage. […] Remarquons-le bien : les points touchés par La Bruyère sont précisément ceux par où les philosophes du siècle suivant saperont l’ancien régime ; La Bruyère est déjà philosophe au sens que Voltaire et Diderot donneront à ce mot. […] A certain égard, le style de La Bruyère fait la transition entre les deux siècles. […] Éditions :Les Caractères de Théophraste, traduits du grec avec les Caractères ou les Mœurs de ce siècle, Paris, Michallet, 1688 (réimprimé chez Jonaust, Paris, 1867) ; 4e édit. 1689 ; 8e édit. 1694.
Il ne tint pas à elle qu’on ne pût dire le siècle de Louis XV comme on dit le siècle de Louis XIV. […] , demandait-elle un jour au comte de Saint-Germain, qui avait la prétention d’avoir vécu plusieurs siècles ; c’est un roi que j’aurais aimé. » Mais Louis XV ne pouvait s’accoutumer à l’idée de compter les gens de lettres et d’esprit pour quelque chose, et de les admettre sur aucun pied à la Cour : « Ce n’est pas la mode en France, disait ce monarque de routine, un jour qu’on citait devant lui l’exemple de Frédéric ; et, comme il y a ici un peu plus de beaux-esprits et plus de grands seigneurs qu’en Prusse, il me faudrait une bien grande table pour les réunir tous. » — Et puis il comptait sur ses doigts : « Maupertuis, Fontenelle, La Motte, Voltaire, Piron, Destouches, Montesquieu, le cardinal de Polignac. » — « Votre Majesté oublie, lui dit-on, d’Alembert et Clairaut. » — « Et Crébillon, dit-il, et La Chaussée ! […] … » Quand, pour distraire le roi, elle fit jouer la comédie dans les petits appartements, Montesquieu avait l’air de s’en railler dans une lettre écrite à un ami (novembre 1749) : Je ne puis vous dire autre chose, si ce n’est que les opéras et comédies de Mme de Pompadour vont commencer, et qu’ainsi M. le duc de La Vallière va être un des premiers hommes de son siècle ; et, comme on ne parle ici que de comédies et de bals, Voltaire jouit d’une faveur particulière. […] Si l’abbé Galiani, dans une page curieuse, préférant hautement au siècle de Louis XIV le siècle de Louis XV, a pu dire de cet âge de l’esprit humain si fécond en résultats : « On ne rencontrera de longtemps nulle part un règne pareil », Mme de Pompadour y contribua certainement pour quelque chose. […] C’est une vraie cagoterie de remonter dans le passé pour noircir l’innocence de la liaison actuelle : elle est fondée sur la nécessité d’ouvrir son âme à une amie sûre et éprouvée, et qui, dans la division du ministère, est le seul point de réunion… Que d’ingrats j’ai vus, mon cher comte, et combien notre siècle est corrompu !
Mais qui nous dit que si, dès l’âge de vingt-cinq ans, La Bruyère, dans un siècle différent du sien, avait été obligé pour vivre, pour se faire connaître, de tailler sa plume, d’écrire moins bien d’abord, mais vite, mais toujours, il n’aurait point tiré de lui autre chose encore que ce que nous en avons, et je veux dire autre chose de bien, qui sait ? […] Dans un siècle industriel tout se fait industrie ; dans une époque de commerce tout devient marchandise. […] Regardons les auteurs du grand siècle : quelle continence d’écrire ! […] Nous accusons notre siècle d’être sceptique ; peut-être le calomnions-nous. […] Qu’il soit vrai, qu’il soit grand ; qu’il comprenne son siècle et l’exprime ; que, pareil aux végétaux du globe, il aspire l’atmosphère et la respire purifiée ; qu’il s’élève à toutes les hauteurs de l’art, il atteindra en même temps à celles de la morale.
Les noms des animaux domestiques » ; et il traduit un peu longuement, mais noblement : « Cet oiseau domestique, dont le chant annonce le jour et qui n’a que son pailler pour théâtre de ses exploits. » Le docte traducteur oubliait qu’au siècle d’Auguste Horace conseillait de tirer du milieu commun le poëme original : Tantum de medio sumptis accedit honoris ! Enfin, il oubliait que dans son siècle, même à l’époque du grand goût, Corneille, Bossuet, Pascal, et souvent même Boileau et la Bruyère, avaient à propos nommé les choses par leurs noms, et qu’ils avaient enchâssé les mots les plus simples dans des vers et des lignes énergiques ou sublimes. […] Tout cela était loin de Rousseau, et du siècle nouveau qui s’annonçait. […] Par toutes ces préférences, Bossuet, le plus grand lettré, comme le plus grand inspiré des siècles nouveaux de l’Église, et le moderne du génie le plus antique, touchait intimement, sans le vouloir, à cette poésie lyrique et gnomique, dont Pindare fut l’Homère. […] Certes, ce grand bienheureux ainsi nommé par le poëte, n’est pas le Jupiter corrupteur et profane, le dieu de la fable et du vice : c’est plutôt la pure et suprême intelligence que, deux siècles après, concevait Aristote, accusé d’athéisme dans son temps, mais loué par Bossuet pour avoir parlé divinement de l’âme.
Un philosophe éloquent du dernier siècle a voulu surprendre et décrire l’entrée du premier homme dans la vie, son action instinctive, l’éveil de ses sensations, et ce qu’il nomme les plaisirs de sa grande et noble existence. […] « Que le Seigneur règne durant les siècles, sur les siècles et par-delà ! […] C’est ainsi que cette poésie sacrée des Hébreux, demi-voilée dans les obscures ellipses de sa langue antique, ignorée dans ses mètres, dépouillée de son harmonie, souvent transmise dans des versions informes ou faibles, n’en a pas moins, depuis quinze siècles, défrayé de sublime l’imagination des hommes. […] Le Seigneur a mis là ses bénédictions et la vie pour les siècles à venir. » Ne peut-on pas reconnaître ou présumer ici le type le plus antique et le plus saint de cette douceur majestueuse, de cette gravité sacerdotale qui devait inspirer, parmi les chants de Pindare, ceux qu’on nommait Marches et Hyporchèmes, et dont quelque trace se retrouve encore dans la seule forme de poésie qui nous reste de lui ? […] Tel était donc, trois siècles avant les luttes de la Grèce contre l’Asie barbare, le degré de sublime où, devant les maux de la patrie juive et la chute espérée de son oppresseur, s’élevait la voix d’Isaïe, d’un homme de race sacerdotale et royale, de celui qui plus tard paya sa dette à la tyrannie, et, dans sa patrie délivrée du joug étranger, subit, sous un roi ingrat et féroce, le supplice d’être scié par le milieu du corps.
Elle se trouvait, en bien des points, dans une situation, analogue à celle qui avait marqué le commencement du siècle. […] L’idéal, dans le vrai sens du mot, resté inconnu à M. de Balzac, est absent ; il n’y a rien là qui résume un siècle ou une âme. […] Comment notre siècle pourrait-il recueillir autre chose que ce qu’il a semé ? […] langes des siècles enfants, déchirés et dispersés par le souffle de l’esprit nouveau ! […] La politique a eu dans notre siècle, ses dotations populaires ; pourquoi la poésie n’aurait-elle pas les siennes ?