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390. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

Un seul sentiment peut servir de guide dans toutes les situations, peut s’appliquer à toutes les circonstances, c’est la pitié : avec quelle disposition plus efficace pourrait-on supporter et les autres et soi-même ? […] il faut que ce secret intime qu’on ne pourrait revêtir de paroles, sans lui donner une existence qu’il n’a pas, il faut que ce secret intime serve à rendre inépuisable le sentiment de la pitié4. […] Ces êtres seuls n’ont plus de droits à l’association mutuelle de misères et d’indulgence, qui, en se montrant sans pitié, ont effacé dans eux le sceau de la nature humaine : le remords d’avoir manqué à quelque principe de morale que ce soit, est l’ouvrage du raisonnement, ainsi que la morale elle-même ; mais le remords d’avoir bravé la pitié, doit poursuivre comme un sentiment personnel, comme un danger pour soi, comme une terreur dont on est l’objet ; on a une telle identité avec l’être qui souffre, que ceux qui parviennent à la détruire, acquièrent souvent une sorte de dureté pour eux-mêmes, qui sert encore, sous quelques rapports, à les priver de tout ce qu’ils pourraient attendre de la pitié des autres ; cependant, s’il en est temps encore, qu’ils sauvent un infortuné, qu’ils épargnent un ennemi vaincu, et, rentrés dans les liens de l’humanité, ils seront de nouveau sous sa sauvegarde. […] Vos ennemis sont vaincus, ils n’offrent plus aucune résistance, ils ne serviront plus à votre gloire, même par leurs défaites ; voulez-vous encore étonner ?

391. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

Celle-ci sert trop bien ses projets et ses représailles. […] Si quelqu’un doit être expert en attitudes simples et naturellement nobles, en nuances du cœur et de l’esprit, en charme, en propreté de tenue et de caractère, en goût sûr et sobre, c’est l’être qui, éloigné de tout sport brutal, de tout négoce et de toute violence, sert des intérêts abstraits, fait de la pensée et de la plastique sa principale étude. […] Elle leur sert du moins à cacher fièrement une pauvreté. Elle leur sert à esquiver la suprême injure de la médiocratie, que Murger mendie pour ses héros : encourir la pitié du médiocre, allons donc !

392. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — II. (Suite.) » pp. 149-166

Il n’a jamais fait, en aucun temps, la traversée de l’Atlantique sans se livrer à des expériences sur la température de l’eau marine ou sur la vitesse de marche des vaisseaux, expériences qui devaient servir après lui aux futurs navigateurs. […] Le mérite de Franklin dans cette longue et à jamais mémorable affaire, fut de ne jamais devancer l’esprit de ses compatriotes, mais, à cette distance, de le deviner et de le servir toujours dans la juste mesure où il convenait. […] » demanda-t-on encore à Franklin ; et il répondit : « À se servir des modes et des objets de manufacture anglaise. » — « Et à quoi mettent-ils maintenant cet amour-propre ?  […] Cela veut dire que Franklin avait une religion politique qu’il servait ardemment.

393. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse psychologique »

Mais il faut comprendre que le fait même de l’imitation, le fait intime grâce auquel un écrivain s’enrôle sous telle bannière plutôt que sous telle autre, qu’il parvient à se servir avec quelque succès et quelque originalité de l’esthétique qu’il a choisie, a une cause profonde, et se ramène, comme tous ses actes, à sa constitution intellectuelle, à ses aptitudes, à ses tendances. […] Il ne sert à rien de savoir que tel artiste était ambitieux, amer et bas, que tel autre a une âme d’homme d’affaires, que Stendhal, par exemple, est un homme tendre, cosmopolite, philosophe sensualiste. […] La psychologie se sert aujourd’hui de deux méthodes12. […] Elle servira donc à préciser ces lois et fournira de plus des matériaux précieux à l’un de ses départements les moins explorés, celui des fonctions supérieures de l’intelligence, auquel ne contribue ni la psychophysique qui occupe des fonctions élémentaires, ni la pathologie mentale, ni les données de l’hypnotisme qui étudient des esprits ou délabrés ou dégénérésda.

394. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre I : De la méthode en général »

s’en sert-il pour soigner et guérir les malades ? […] Puis viennent les faits limitrophes, qui sont sur les confins de deux classes de phénomènes, et servent de passage de l’un à l’autre. […] Il arrive même qu’un fait ou une observation reste longtemps devant les yeux d’un savant sans lui rien inspirer ; puis tout à coup vient un trait de lumière. — L’idée neuve apparaît avec la rapidité de l’éclair comme une révélation subite. — La méthode expérimentale ne donnera donc pas des idées vraies et fécondes à ceux qui n’en ont pas ; elle servira seulement à diriger les idées chez ceux qui en ont. » Au reste, il est encore juste de reconnaître que ces réclamations en faveur de l’hypothèse dans les sciences expérimentales ne sont pas absolument neuves, et que les philosophes ont sur ce point précédé les savants. […] « Une théorie établie sur vingt faits, dit-il, doit servir à en expliquer trente, et conduit à découvrir les dix autres ; mais presque toujours elle se modifie ou succombe devant dix faits nouveaux ajoutés à ces derniers25. » De là la nécessité du doute scientifique, qu’il ne faut pas confondre avec le scepticisme ; celui-ci doute de la science elle-même, le premier ne doute que des conceptions arbitraires de notre esprit.

395. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre II. — De la poésie comique. Pensées d’un humoriste ou Mosaïque extraite de la Poétique de Jean-Paul » pp. 97-110

Le démolisseur humoriste doit savoir danser sur la tête au milieu des ruines qu’il entasse ; il doit savoir rêver eu pleine veille, tournoyer à jeun comme s’il était ivre, paraître toujours pris de vertige, écrire en tenant sa plume à l’envers, effacer à mesure chaque trait de son dessin sous l’enchevêtrement des arabesques, jeter la préface au milieu, les réflexions dans le drame, les bêtises dans les réflexions, et l’épilogue avant le titre ; il doit unir Héraclite et Démocrite, et faire le Solon eu démence, pour pouvoir dire au monde la vérité qui rebute, quand elle est servie seule, mais qui s’avale avec le reste dans une olla-putrida 149. […] Entrée des domestiques avec les plateaux De toutes les nations lettrées la France est la moins comique et la moins poétique159. — La poésie française réduit tout ce qui est grand dans la nature aux proportions de mets d’apparat servis sur des plats de cristal160. […] Le comique nous attache étroitement à ce qui est déterminé par les sens ; il ne tombe pas à genoux, mais il se met sur ses rotules, et peut même se servir du jarret , § 35.

396. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VII. Narrations. — Dialogues. — Dissertations. »

Le problème à résoudre, délicat, s’il en fut, est de choisir dans le dialogue réel les mots expressifs, de les achever au besoin, et de se servir ainsi de la réalité sensible épurée et modifiée sans violence, pour atteindre et manifester le vrai intime et invisible. […] Encore moins faudra-t-il les servir après la preuve qui emporte tout : celle-là dite, il n’y a qu’à conclure, elle dispense des autres. […] Vous êtes donc souvent en présence de trois catégories d’arguments : 1º ceux dont l’adversaire se servira pour établir son opinion ; 2º ceux qu’il emploiera à détruire la vôtre ; 3º ceux qui établissent votre opinion.

397. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre IV. La langue française au xviie  »

Vaugelas, très positif et très utilitaire, donne toute autorité à l’usage des honnêtes gens, puisqu’après tout, la langue ainsi constituée ne doit servir qu’aux honnêtes gens pour causer ou pour écrire. […] De ses éléments concrets, colorés, pittoresques, succulents : elle avait gardé, aiguisé, fortifié les éléments rationnels, abstraits et pour ainsi dire algébriques, tout ce qui sert à définir la pensée sans la figurer. La langue que l’Académie avait achevé de faire est la langue de l’intelligence pure, du raisonnement, de l’abstraction : c’est celle qui servira bientôt à Voltaire, à Condillac, une langue d’analyseurs et d’idéologues.

398. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 32, que malgré les critiques la réputation des poëtes que nous admirons ira toujours en s’augmentant » pp. 432-452

Je le dirai ici en passant, ce n’est point parce que les auteurs latins du second siecle et ceux des siecles suivans, se sont servis de mots nouveaux, ou qu’ils n’ont pas construit leurs phrases suivant les regles de leur grammaire, que leur stile nous paroît tellement inferieur à celui de Tite-Live et de ses contemporains. […] Il est même très-ordinaire qu’ils s’écrivent entr’eux en françois, et plusieurs princes se servent de cette langue pour entretenir la correspondance avec leurs ministres, bien que les uns et les autres ils soient nez allemands. […] L’état se sert de cette langue en plusieurs occasions, et il applique même son grand sceau à des actes redigez en françois.

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