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511. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

L’homme, par un instinct occulte, mais universel, semble avoir senti, dès le commencement des temps, le besoin d’exprimer dans un langage différent ces choses différentes. […] En un mot, la prose a été le langage de la raison, la poésie a été le langage de l’enthousiasme ou de l’homme élevé par la sensation, la passion, la pensée, à sa plus haute puissance de sentir et d’exprimer. […] L’homme n’a pas besoin de le discerner, il le sent. […] Tout est poétique à qui sait voir et sentir. […] On sent que ce sont des traditions guerrières, conservées et transfigurées par des prêtres.

512. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Alexis Piron »

……………………………………………………… Or il faut, quelque loin qu’un talent puisse atteindre, Éprouver pour sentir, et sentir pour bien feindre. […] Ce trait de faux bonhomme irrita Piron, surtout quand d’obligeants amis lui en eurent fait sentir le venin. […] Il n’était pas homme à sentir la portée des idées, l’éloquence des sentiments ; cela ne rentrait pas dans son genre. […] La vulgarité n’est pas seulement dans sa vie ; elle se fait sentir jusque dans les jeux de sa verve. […] A peine sentait-il la démangeaison, il se grattait vite et le bourgeon lui sortait.

513. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

Ne croyez pas que le cœur s’endurcisse, mais il se résigne ; il sent profondément ses blessures, mais il ne s’effraye plus de les voir, il trouve à les sonder, à les rouvrir, je ne sais quelle joie triste qui l’anoblit. […] Cette manière de sentir intime et profonde qu’on vient de voir se révéler était bien en accord avec la sévérité des devoirs futurs qu’il acceptait à l’avance. […] Il le sentait bien à la veille du départ, il regrettait ce qu’il allait quitter. […] Mais il n’était pas mauvais non plus pour lui de se sentir l’aiguillon au flanc, d’avoir à presser le pas et à entrer en campagne, sauf à achever de s’équiper en marchant. […] Avec les différences d’application qui tiennent à l’individualité des esprits, on y sent les fruits d’une même méthode, d’une même culture critique saine et sûre.

514. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

On s’attache surtout à l’élite, à ce qui est apprécié de quelques-uns, des meilleurs, à ce qui nous fait sentir à sa source la vie de l’esprit. […] Il se plaisait à traduire pour s’exercer au style ; la forme le préoccupait plus que le fond, et il se sentait même une sorte de prévention contre la pensée et les systèmes. […] On le sent, cette roideur d’un premier stoïcisme est dès lors en voie de se détendre, de même que ce style, déjà tout formé et si subtil, s’assouplira. […] On peut dire que sa formation complète et définitive date de ce moment, et qu’en posant le livre, tout l’homme en lui se sentit achevé. […] Le doyen du groupe ne sentit pas autrement que le plus jeune initié.

515. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

Il y a un peu trop d’apprêt, un peu trop de déclamation juvénile, on y sent trop l’avocat, pas assez le citoyen. […] Dans ses discours contre Catilina on sent autant l’orateur, mais on sent mieux le consul, l’homme d’État, le vengeur, le sauveur, le père de la patrie. […] On y sent le poète comme l’orateur. […] Dans cette page sur l’amitié, on sent l’homme qui a fait ses délices d’aimer et d’être aimé. […] Mais vous, Lucius, continua-t-il, est-il besoin de vous y exhorter, et ne vous y sentez-vous pas tout naturellement enclin ?

516. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 81-82

Les épithetes doivent être sobrement placées par-tout, plus particuliérement dans le style familier : l'usage des exclamations devient gauche & froid, quand il est trop répété ; & les réticences ne produisent un grand effet, que lorsqu'on sent que l'Auteur ne dit pas tout ce qu'il pourroit dire, non lorsqu'il s'arrête dans l'impossibilité de pouvoir rien dire davantage. A ces défauts près, qui se font sentir dans presque toutes ses Productions, Madame Riccoboni ne mérite que des éloges & des applaudissemens.

517. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Certes il ne sent pas comme Virgile, comme Molière, comme Racine. […] Aussi bien, la raison dans Boileau n’est pas la raison d’un géomètre ; c’est celle d’un homme qui sent en poète ce qu’il enseigne en théoricien. […] On l’a si bien senti, qu’il est d’usage de dire : la vérité des genres. […] Ce n’est pas au poète à spéculer et à raffiner ; il sent et il peint. […] En revanche, il y en a un plus grand nombre qui sentent leur poète.

518. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff » pp. 237-315

On ne sent nulle part chez lui les bornes de son imagination. […] On y sent l’Asie molle et obéissante dans le Nord. […] Il vit, il sent, il palpite, il invente ou il raconte avec naturel, sympathie, chaleur, finesse. […] » Et Boris sentit s’accroître sa rougeur. […] Il sentait que son ami avait raison.

519. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

Et cela aussi, fleurs et couple, s’agitait sur moi, absolument comme les flots de la mer du théâtre, et sur tout mon corps, je sentais un chatouillement dardé. […] vous ne connaissez pas la jouissance de sentir, sous ses bottes, des tas de chrétiens !  […] Mais il sent comme tout un omnibus du Midi. Nieuwerkerke remonte épouvanté, disant : « Il y a en bas un auteur qui sent l’ail !  […] On sent l’auteur traversé d’inquiétudes, de préoccupations.

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