Cela fait, il se livre à sa sensation ; il exprime comme s’il était seul ; il en jouit ; sa pensée atteint d’elle même au style le plus noble ; et, pour en peindre l’élan, l’ampleur et la magnificence, il faudrait la comparer à quelque eau impétueuse qui tout à la fois monte, bouillonne et resplendit.
Il sait, avec des concisions hardies, en traits rapidement incisés, exprimer des raccourcis saisissants d’histoire, noter des caractères, évoquer des sensations d’art, des paysages darwiniens, des surgissements de rêve, des prodiges de vie pullulante et meurtrière. […] Benjamin Constant, lequel, interrogé dévotement sur les sensations que lui cause sa propre peinture, déclarait modestement ceci : — Oui, je suis le plus grand peintre de ce temps, et peut-être de tous les temps… Mais, que voulez-vous ? […] Non pas un intellectuel à la façon de ces psychologues, raisonneurs et classificateurs, systématiques et glacés qui, sous la morne vitrine de l’analyse, étiquettent et cataloguent leurs sensations, comme l’entomologiste ses insectes morts, le botaniste ses herbes desséchées. […] Léon Daudet, aussi bien les larmes que le rire, les idées comme les sensations, les réalités qui désespèrent, et le rêve qui, après l’exaltation de la minute divine, ne vous laisse que cette affreuse angoisse de n’avoir jamais été atteint. […] Si libre qu’il soit, un vers doit exprimer quelque chose, une idée, une image, une sensation, un rythme.
Dans six mois il ne sera plus temps, au lieu qu’à présent mes observations pourraient faire quelque sensation. […] Quand je me dis : J’aurai un moment très-ennuyeux, ou je me trouverai dans un petit embarras, ou j’éprouverai une sensation désagréable, je me réponds : J’ai une personne avec qui je m’en consolerai bien vite ; et puis il se trouve que je suis à un bout du monde et que vous êtes à l’autre. […] Je vous l’ai dit il y a longtemps, je ne veux point faire sensation, je veux végétailler décemment. […] La sensation qu’elle a produite a été diverse, selon les esprits et les mœurs ; mais, en général, nous sommes indulgents pour qui nous donne du plaisir.
Eh bien, c’est cela même qui est caractéristique chez Victor Hugo, ce sont les choses qui font sa poésie, et la poésie française, avec lui, se charge de sensations. […] Mais lui, il a ouvert nos yeux sur des images nouvelles ; il a ouvert nos oreilles à des sonorités nouvelles ; il nous a donné l’habitude d’éprouver certaines sensations délicieuses, et depuis, nous n’avons plus été capables de nous en passer et nous avons demandé d’abord à tous les poètes qui sont venus ensuite de nous en donner l’absorbante volupté. […] Et, par conséquent, un certain nombre de syllabes, qui ne représentent aucune idée mais qui évoquent ou des images ou des sensations, voilà ce que doit être la poésie. Et ils ont fait le catalogue, la liste, le répertoire des sensations que peuvent-éveiller les syllabes, des rapports qu’il y a entre les voyelles, les couleurs et les sons.
Insurmontablement dédaigneux de toute consigne traditionnelle et contempteur inaccessible de tout lendemain, l’auteur des Fleurs du Bitume et des Lamentations de la Lumière est le Jérémie narquois de tout ce qui n’est pas la minute présente, — la minute précise où tinte pour lui une sensation immédiate ou la plus imperceptible des pulsations réflexes. […] un continent de sensations inconnues pour le réconfort d’un vieux monde épuisé de rengaines C’est possible, quoique nos esprits, oxydés d’argent, ne s’y prêtent guère. […] Cette fière artiste m’a donné la sensation fort inespérée du tragique le plus angoissant et le plus formidable dans le milieu le plus répulsif à toute grandeur aussi bien qu’à toute esthétique supérieure. […] Porté comme je l’étais par ma sensation sur le rebord crépusculaire de la vie normale, je ne pus me défendre, en dépit des différences les plus énormes et les plus essentielles, de songer au désespéré Henri Heine à propos de Rollinat. […] et quel abîme si je pouvais communiquer la sensation de la musique qui accompagne ordinairement les vers de Rollinat et qui leur donne une valeur esthétique presque surnaturelle.
Il y a tant d’artificiel dans l’art que l’artificiel lui-même donne une sensation artistique assez savoureuse. […] — C’est vrai ; j’ai eu souvent cette sensation en lisant le beau livre de M. […] C’est tout à fait la méthode (instinctive) de Théophile Gautier critique : faire d’un auteur aimé un portrait, et d’une œuvre chérie un tableau à la plume, qui donne, plus ramassée, la sensation que produit l’artiste lui-même. […] Cette image, bien vague, qui n’est même pas définie, désignée par un mot, qui est comme une sensation composite, comme une sensation-accolade, c’est une abstraction rudimentaire ; mais c’est bien une abstraction. […] Ce cri, par habitude, par répétition, par convention sociale ensuite, est devenu un signe destiné à se prévenir les uns les autres qu’un cheval s’échappe ; mais il est resté le signe d’une image, d’une image complexe, non d’un des éléments détachés par abstraction de cette image ; il est resté le signe d’une sensation non d’une idée ; il est le signe répété d’une sensation qui se répète.
Ne pas séparer la vie de l’œuvre, c’est toujours très bon, évidemment ; mais cela conduit assez naturellement à ramener sans cesse l’œuvre à la biographie, et quand l’œuvre est immense et la vie petite, cela, au moins en apparence, réduit l’œuvre, laisse l’impression, la sensation d’une grande œuvre qu’on aurait rapetissée à dessein. Cette sensation est celle que j’ai, après avoir lu très attentivement l’essai, si solide du reste, si fortement documenté, si parfaitement informé et si agréable à lire, de M. […] Ce n’est pas l’actualité qui m’y contraint, c’est l’émotion de tout mon être intellectuel, le sentiment de l’immense perte que vient de faire la pensée humaine, je ne sais quelle sensation intime et profonde d’abandonnement et d’orphelinat. […] J’ai dit assez de fois que c’est à cette moyenne que se ramène toujours le vrai réaliste, celui qui sait ce que c’est que le réalisme, par une sorte de nécessité de son art ; les extrêmes, soit dans le vice, soit dans la vertu, ne donnant pas la sensation de la réalité. […] Il en donne absolument la sensation.
Vers ce temps, comme s’il sentait qu’il doit commencer à se réconcilier avec l’idiome natal et à se diriger vers le but où l’appelle son secret talent, il se remet à lire les auteurs anglais, et surtout les plus récents, ceux qui, ayant écrit depuis la révolution de 1688, unissent à la pureté du langage un esprit de raison et d’indépendance, Swift, Addison ; puis, lorsqu’il en vient aux historiens, il est beau d’entendre avec quelle révérence il parle de Robertson et de Hume auxquels on l’adjoindra un jour : La parfaite composition, le nerveux langage, les habiles périodes du docteur Robertson m’enflammaient jusqu’à me donner l’ambitieuse espérance que je pourrais un jour marcher sur ses traces : la tranquille philosophie, les inimitables beautés négligées de son ami et rival, me forçaient souvent de fermer le volume avec une sensation mêlée de plaisir exquis et de désespoir.
Duclos ne tarda pas à faire sensation dans cette société… Le comte de Forcalquier nous est connu par un portrait qu’a fait de lui Mme Du Deffand ; elle l’y montre comme trop dominé par le désir de briller : Sa conversation n’est que traits, épigrammes et bons mots.