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871. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Son vers se tient debout par la seule force du substantif et du verbe sans le secours d’une seule épithète. » C’est en se prenant à ce style « affamé de poésie », qui est riche et point délicat, plein de mâles fiertés et de rudesses bizarres, qu’il espère faire preuve de ressources et forcer la langue française à s’ingénier en tout sens. […] « Un idiome étranger, dit-il, proposant toujours des tours de force à un habile traducteur, le tâte pour ainsi dire en tous les sens : bientôt il sait tout ce que peut ou ne peut pas sa langue ; il épuise ses ressources, mais il augmente ses forces. » Ainsi ne demandez pas à Rivarol le vrai Dante ; il sent le génie de son auteur, mais il ne le rendra pas, il ne le calquera pas religieusement. […] Cette parole aux mains d’un seul semble bientôt une usurpation, et Rivarol, tranchant, abondant dans son sens, imposant silence aux autres, n’a rien fait pour échapper au reproche de fatuité qui se mêle inévitablement jusque dans l’éloge de ses qualités les plus belles. […] Le sens moral et sympathique ne l’avertissait pas. […] Ce n’est que plus tard que l’ouvrage y fut imprimé dans son entier ; il forme le premier volume des Œuvres complètes de Rivarol (1808), mais avec quelques fautes qui en gâtent le sens.

872. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

La cause rectrice est, par elle-même, — indépendamment de la cause efficiente et régie, qui ne peut être pensée isolée, qui ne peut donc, — nos conceptions logiques venant des sens, — exister telle, expérimentalement. […] Il est inutile d’exposer que la naissance d’attractions littéraires ou le dévouement à des causes communes, coïncide avec le relâchement des liens de clan, de cité, de nation, de famille ; que les arts aussi bien que l’humanitarisme tendent à favoriser le cosmopolitisme, et qu’ainsi les liens d’une admiration ou d’une entreprise générale remplacent en un sens ceux du sang. […] D’autre part, l’excitation factice habituelle d’un certain groupe de sentiments tels que la pitié, le dédain, l’enthousiasme, la rêverie, doit comme tout exercice de toute faculté, tendre à augmenter la force de ce groupe de sentiments, à détruire l’équilibre mental précédent et à altérer la conduite dans le sens de l’une de ces inclinations. […] L’esthopsychologie, la science des œuvres d’art considérées comme signes, accompagnée de la synthèse biographique et historique que nous venons d’esquisser, dépeint des hommes réels, des hommes de fortune médiocre ou élevée, ayant vraiment vécu dans un entourage véritable, ayant coudoyé d’autres hommes en chair et en os, étant enfin des créatures humaines, avec, pour parler comme Shylock, des yeux, des mains, des organes, des dimensions, des sens, des affections., des passions, tout comme les vivants que l’on rencontre aujourd’hui sous nos yeux. […] La biographie pure, si clic suffit à nous expliquer un Alcibiade ou un Alexandre, un César même et à peine, ne parvient déjà plus à nous donner le sens intime ni de Frédéric le Grand, ni de Napoléon Ier, ni de M. de Bismarck ; il faut la correspondance et les œuvres littéraires de l’un, le mémorial, les bulletins, les lettres, les paroles de l’autre ; la correspondance ou les discours parlementaires du chancelier ; or le recours à ces ressources est du domaine de la critique scientifique, qui demeure ainsi, en somme, avec tous les auxiliaires dont elle s’entoure, le moyen le plus efficace de connaître tout entiers les esprits dont l’existence a compté et dont la gloire consiste à se survivre.

873. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Art français » pp. 243-257

sa préoccupation et sa gloire de mépriser ses conditions de vie, le sens naturel dont elle vient, le sens naturel qui la perçoit.

874. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Remarque finale. Le Temps de la Relativité restreinte et l’Espace de la Relativité généralisée »

Dès qu’on voudra alors donner un sens à la coordonnée « temps », on se placera nécessairement dans les conditions de la Relativité restreinte, en allant au besoin les chercher à l’infini. […] En ce sens, le Temps relève de la Relativité restreinte, comme l’Espace de la Relativité généralisée.

875. (1898) Impressions de théâtre. Dixième série

Albert Guinon n’aurait presque plus de sens. […] Ne cherchez pas le sens de cette histoire. […] Je ne le dis point au sens d’Hamlet. […] C’est que, bénévolement, je les croyais de sens droit et d’âme haute. […] il n’avait que du sens, ou, si l’on veut, de l’esprit.

876. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

Ernest La Jeunesse, dont l’irrévérence ne dissimule pas le grand sens critique. […] De plus en plus, et peu à peu, s’affaiblissait le sens de la nature. […] Nos sens vibrent comme d’inconscientes lyres. […] Charles Maurras, un sens péjoratif à ce terme, un artiste romantique. […] « Ils interprètent, tels des Sens, la Nature.

877. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

Laissez là ce qui se passe et cherchez ce qui est permanent, fermez toutes les portes de vos sens pour écouter ce que Dieu vous dit en vous-même. […] Notre raison et nos sens voient peu et nous trompent souvent. […] et ferme la porte de tes sens, afin que tu puisses entendre ce que le Seigneur ton Dieu dit en toi. […] Ils exposent la lettre, mais vous en découvrez le sens. […] Et je me sens convaincu, tranquillisé et heureux, car le silence est une conviction, la tranquillité est une preuve, le bonheur est une paix.

878. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La Divine Comédie de Dante. traduite par M. Mesnard, premier vice-président du Sénat et président à la Cour de cassation. » pp. 198-214

Cependant je sens que je commence à te goûter, et je l’admire comme un rare génie, surtout pour le temps où il a vécu… Mais cette lecture ne profite pas à de Brosses, qui continue de trouver Dante un poète tout à fait sec et sans aménité : Je ne puis m’empêcher d’ajouter encore ici que plus je lis le Dante, plus je reste surpris de cette préférence que je lui ai vu donner sur l’Arioste par de bons connaisseurs : il me semble que c’est comme si on mettait le Roman de la rose au-dessus de La Fontaine. […] Ce n’était point précisément l’aspect bizarre qui effrayait Népomucène Lemercier lorsqu’il appréciait, avec instinct et sens toutefois, le poème de Dante dans quelques pages de son Cours analytique de littérature, et lorsqu’il faisait précéder plus tard son étrange drame de la Panhypocrisiade d’une épître dédicatoire À Dante Alighieri. […] Le poème de Dante, c’est l’expression de l’histoire de son temps prise au sens le plus étendu, l’expression non seulement des passions, des haines politiques, des luttes, mais encore de la science, des croyances et des imaginations d’alors. […] Ayant chanté ses premières amours d’enfant dans des poésies délicates et subtiles, il se dit que ce n’était point assez et qu’il fallait élever à la beauté et à la reine de son cœur un monument dont il fût à jamais parlé : La Divine Comédie naquit dans sa pensée, et il mit des années à la construire, à la creuser, à l’exhausser dans tous les sens, à y faire entrer tout ce qui pouvait la vivifier ou l’orner aux yeux de ses contemporains, afin de faire plus visible et plus brillant le trône d’où il voulait présenter Béatrix au monde.

879. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — II » pp. 76-92

Je ne saurais toutefois, et bien que j’abonde en général dans son sens, accorder à M.  […] Cette pièce de Ronsard, où il y a d’ailleurs du sens et du bon, me paraît être de celles où il tombe dans un prosaïsme ennuyeux et dans la prolixité. […] C’est même un faux sens dans l’esprit de la pièce ; car il n’est pas précisément agréable à un vieillard de se souvenir qu’il a couru là où maintenant il marche à peine ; mais il peut aimer à se dire qu’il s’est traîné tout petit enfant là où il se traîne encore. […] Pour moi, je ne l’estime grand que dans le sens de ce vieux proverbe : Magnus liber, magnum malum, et me suis déclaré là-dessus dans une de mes lettres latines que vous avez laissée passer sans y former d’opposition.

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