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463. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — II »

Cousin, que l’humanité se développe à la manière de l’individu ; que les périodes de l’une répondent aux âges de l’autre ; que dans son enfance elle débute par la spontanéité et la religion, pour arriver dans son âge mûr à la réflexion et à la science, il est bien vrai, en ce sens, de dire que la destinée de l’espèce peut se lire en raccourci dans celle de l’individu ; mais, après quelques rapprochements ingénieux, quelques perspectives neuves du passé, il faut bientôt quitter ce point de vue trop hasardeux, trop vague, et duquel on ne tire rien de certain ni de vivant sur l’avenir. […] Jouffroy au reste ne se pose pas la question dans ce sens ; il entend surtout par destinée de l’individu, la fin pour laquelle le moi a été placé sur la terre, eu égard à ce qu’il était avant cette vie et à ce qu’il deviendra après la mort. Or l’humanité, dans le sens où il l’entend, l’humanité, collection et succession de tous les individus humains, n’a pas d’âme, n’a pas de vie antérieure, n’a pas de vie ultérieure ; elle n’a qu’un développement historique ; ce qu’on peut entendre par sa destinée ne saurait signifier relativement à elle ce que signifie le mot de destinée appliqué à l’homme. […] Mais qui vous a dit, ô vous qui désespérez si légèrement du moyen le plus commode et le plus sûr ; qui vous a dit que ces révélations antérieures, vraies selon les époques, progressives comme le genre humain qu’elles ont élevé et transformé, ne doivent pas toutes se retrouver et aboutir en une révélation définitive, également inspirée, quoique d’un caractère différent d’inspiration, et qui, leur rendant à chacune leur vrai sens, saura absoudre et glorifier Dieu, apaiser et réjouir l’humanité ? […] Il ne faut pas prendre ici l’expression actif dans le sens que lui donnent les psychologistes.

464. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verlaine, Paul (1844-1896) »

Les efforts contradictoires de sa vie — vers la pureté et vers le plaisir — se coalisent en l’effort de sa pensée, quand sonne l’heure de lui donner la forme artistique, avec une intensité qui le met à part de tous les Modernes (à ce point de vue) et qu’il doit sans doute à sa naïve énergie de vivre… N’ayant que ses passions pour matière de son art, plus factice et plus lâche, il n’eût, comme la plupart de nos poètes français, accumulé que des rimes, sans unité d’ensemble : son instinct vital l’a sauvé, l’instinct triomphant qui n’a pas seulement soumis l’intelligence, mais qui, par un miracle, se l’est assimilée, se spiritualisant vers elle, la matérialisant vers lui, réalisant (au sens étymologique du mot) l’idéal, et puis, pour le conquérir, s’ingéniant, sans laisser jamais l’imagination se prendre à d’autres mirages que ceux de la vie elle-même, tels qu’ils sont peints par le hasard, sur le rideau de nos désirs. […] Verlaine ; mais d’assez grandes parties restent compréhensibles ; et puisque les ahuris du symbolisme le considèrent comme un maître et un initiateur, peut-être qu’en écoutant celles de ses chansons qui offrent encore un sens à l’esprit, nous aurons quelque soupçon de ce que prétendent faire ces adolescents ténébreux et doux… M. Paul Verlaine a des sens de malade, mais une âme d’enfant ; il a un charme naïf dans la langueur maladive ; c’est un décadent qui est surtout un primitif. […] Si j’étais Russe, du moins si j’étais un saint et un prophète russe, je sens qu’après avoir lu Sagesse je dirais au pauvre poète aujourd’hui couché dans un lit d’hôpital : « Tu as failli, mais tu as confessé ta faute. […] Il ne peut guère influer au sens strict, tant ses inventions rythmiques et sa langue s’adaptaient à lui-même.

465. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

C’est en ce sens qu’un homme de goût déclarait qu’aux soirs de gaîté, quand l’envie le prenait d’entendre de l’esprit, au lieu, comme vous et moi, d’aller au Palais-Royal ou d’acheter Le Tintamarre, c’est dans sa bibliothèque qu’il montait, lire les métaphysiciens allemands. […] Mais l’autre avait tort aussi bien, et ses propres articles le condamnaient : sans doute la vie littéraire n’était pour lui qu’un prétexte à causeries d’histoire et mœurs, mais tout de même lui advenait-il de parler des livres et, bon gré mal gré, de les juger, soit de leur assigner non leur valeur absolue (ce qui n’a pas de sens), mais celle qu’ils prenaient à ses yeux. […] Seulement il ne faut pas écrire de critique quand on n’a pas assez le sens historique pour comprendre la nécessité, donc la légitimité de toutes les éclosions littéraires. […] Je ne me sens lié, d’autre part, par aucune amitié au point de fausser un avis. […] Au sens mathématique, la littérature est fonction de l’évolution sociale.

466. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre V. L’antinomie esthétique » pp. 109-129

En ce sens, la théorie de l’art pour l’art est une forme de l’individualisme esthétique. […] Elle parle aux sens. […] Stendhal n’a-t-il pas défini en ce sens la beauté : une promesse de bonheur ? […] Les âmes sont trop différenciées pour que l’art qui est précisément le domaine où s’affirme le mieux cette différenciation en arrive jamais à produire l’uniformité de sentiments souhaitée par Tolstoï. — Quant à Guyau, il oublie que si l’art est, en un sens, un élément de sympathie humaine, il est aussi, en un autre sens, un ferment de rivalités et de discordes.

467. (1890) L’avenir de la science « XXI »

De tous les siècles, le XVIe est sans doute celui où l’esprit humain a déployé le plus d’énergie et d’activité en tous sens : c’est le siècle créateur par excellence. […] Un journal sommait, il y a quelques mois, l’Assemblée nationale de proclamer le droit au repos ; ingénieuse métaphore dont le sens n’échappait à personne. […] Un même siècle n’a-t-il pas porté à la fois dans son sein le Talmud et l’Évangile, le plus effrayant monument de la dépression intellectuelle et la plus haute création du sens moral, Jésus d’une part, de l’autre Hillel et Schammaï ? […] Il peut naître chez les races fortes et aux époques de crise des monstres dans l’ordre intellectuel, lesquels, tout en participant à la nature humaine, l’exagèrent si fort en un sens qu’ils passent presque sous la loi d’autres esprits et aperçoivent des mondes inconnus. […] Quelle différence entre chanter un bout de latin qu’on appelle l’Épître et lire en société la correspondance des confrères, entre un morceau de pain bénit qui n’a plus de sens et l’agape des origines ?

468. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre II. Le cerveau chez les animaux »

Dans le sens propre, il désigne cette portion de l’encéphale qui remplit la plus grande partie de la cavité crânienne, et qui est distincte du cervelet, de la moelle allongée et de ses annexes ; il est le renflement le plus considérable formé par l’axe médullo-encéphalique : sa forme est celle d’un ovoïde irrégulier, plus renflé vers le milieu de sa longueur, et il se compose de deux moitiés désignées sous le nom d’hémisphères, réunies entre elles par un noyau central que l’on appelle le corps calleux. Ces hémisphères sont fictivement divisés dans le sens de la longueur en trois parties que l’on appelle lobes antérieur, moyen et postérieur du cerveau. […] Que l’on enlève à un animal, une poule ou un pigeon par exemple, les deux hémisphères cérébraux, l’animal ne meurt pas pour cela : toutes les fonctions de la vie organique continuent à s’exercer ; mais il perd tous ses sens et tous ses instincts, il ne voit plus, il n’entend plus ; il ne sait plus ni se défendre, ni s’abriter, ni fuir, ni manger, et s’il continue de vivre, c’est à la condition que l’on introduise mécaniquement de la nourriture dans son bec. […] Que le cerveau se perfectionne davantage encore, ainsi que les organes des sens, vous rencontrez les merveilleux instincts des abeilles et des fourmis. […] « Le cerveau et le crâne sont étroits et pointus quand l’animal fouilleur doit se servir de son front et de son museau pour creuser la terre ; larges, au contraire, quand il lui faut pour se nourrir, pour voir et pour entendre, une large bouche, de vastes yeux, de vastes oreilles, entraînant le reste du crâne dans le sens bilatéral, développés en arrière, hérissés de crêtes osseuses, lorsque les exigences de l’équilibre ou celles du mouvement nécessitent elles-mêmes une telle forme. » Ajoutons, d’ailleurs, qu’il est difficile de comprendre à priori, comme le fait remarquer avec justesse M. 

469. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Jules Janin » pp. 137-154

Non, ce ne fut point le Roi de la Critique, ni même le Prince, ni même — j’ose le dire — un critique du tout, dans le sens juste et profond de l’expression. […] Je ne veux que rétablir le sens des choses et des mots. […] … D’ailleurs, tout comme il manquait du sens impersonnel de la Critique, Jules Janin manquait également du sens fécond de l’inventeur. […] Il aurait jugé cette vieille institution, qui n’a plus de sens aujourd’hui — si éventrée qu’on y fourrera des femmes demain — et qui ne tente plus que la petite et sotte vanité française, infatigablement éprise des distinctions, même bêtes, malgré ses affreux mensonges sur l’égalité… Il eût vu cela.

470. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VI. »

Deux vers isolés cependant offrent peut-être la trace, non d’une fiction poétique, mais d’un tourment réel : « Ma douce mère, je ne puis tisser ma toile, toute vaincue que je suis par la pensée de ce jeune homme, grâce à l’entraînante Aphrodite. » D’autres fragments bien courts, et par lit d’un sens douteux, pourront faire croire que Sapho vit le mariage de sa fille chérie, et chanta pour elle : « Heureux gendre, l’union que tu souhaitais s’est accomplie, tu as la vierge que tu aimais !  […] Il est vrai que, pour nous, ce qu’elle décrit, c’est moins l’émotion délicate de l’âme que le trouble des sens et comme la fièvre du cœur. […] Cela m’a fait tressaillir le cœur de t’avoir vue, et il ne me vient plus de voix ; mais ma langue est liée ; et sous le tissu éteint de la peau je sens circuler une flamme. […] Non ; il faut, en admirant le génie du poëte, reconnaître ses égarements et les imputer à ce culte matériel et corrupteur, à cette ivresse des sens où l’âme était plongée sous le beau ciel des Cyclades, entre les charmes de la nature et de l’art, devant les théories gracieuses qui déployaient leurs voiles blanches sur cette mer d’azur, et les processions de jeunes filles qui s’avançaient, en chantant, du rivage au temple de la belle déesse.. […] Tout ce que mon cœur souhaite de faire, fais-le pour moi, combattant toi-même à mon aide. » Autour de ces paroles éteintes, sous les changements du temps et des idiomes, rêvez le ciel de Lesbos, l’harmonie des vers et celle de la lyre, l’accent passionné de la voix, dans le silence des nuits limpides, ou dans le calme sonore d’un jour brûlant d’été : et vous aurez entrevu quelque chose du gracieux délire dont la poésie et la musique, l’imagination et les sens, l’idéal et l’amour, ont parfois enchanté l’âme humaine.

471. (1928) Les droits de l’écrivain dans la société contemporaine

Ils acquièrent le sens du commerce. […] La plupart des réponses sont rédigées dans le même sens : accord bien significatif. […] Il remanie, modifie, fausse complètement le sens primitif. […] Les fossoyeurs de documents historiques retardent et falsifient le sens de l’évolution. […] Celle-ci a bien un sens limitatif.

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