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375. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Stéphane Mallarmé »

Stéphane Mallarmé a mis en tête de sa traduction des poèmes d’Edgar Poe8 ce sonnet préliminaire : LE TOMBEAU D’EDGAR POE Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change Le Poète suscite avec un glaive nu Son siècle épouvanté de n’avoir pas connu Que la Mort triomphait dans cette voix étrange Eux comme un vil sursaut d’hydre oyant jadis l’ange Donner un sens plus pur aux mots de la tribu Proclamèrent très haut le sortilège bu Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange Du sol et de la nue hostiles ô grief Si notre idée avec ne sculpte un bas-relief Dont la tombe de Poe éblouissante s’orne Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur Que ce granit du moins montre à jamais sa borne Aux noirs vols du Blasphème épars dans le futur Qu’est-ce que cela veut dire ? […] Sa conversation se distingue par un tour imprévu et charmant ; il y emploie du reste les mêmes mots que tout le monde, et dans le même sens, ou à peu près. […] « La foule, qui d’abord avait sursauté comme une hydre en entendant cet ange donner un sens nouveau et plus pur aux mots du langage vulgaire, proclama très haut que le sortilège qu’il nous jetait, il l’avait puisé dans l’ignoble ivresse des alcools ou des absinthes.

376. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVII »

Très souvent dans le cliché, un des mots a gardé un sens concret, et ce qui nous fait sourire, c’est moins la banalité de la locution que l’accolement d’un mot vivant et d’un mot évanoui. […] Albalat s’élève, et combien justement, contre les expressions banales, toutes faites et vides de sens. […] Que la langue française est pauvre, que les verbes prendre, concevoir, dissiper, etc., se prêtent à différents sens et acceptent divers régimes.

377. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

Assurément, l’amour réduit au seul plaisir des sens n’a rien de très poétique. […] Qu’est-ce que l’amour sans l’exaltation des sens ou du cœur ? […] Comme il n’a rien rêvé au-delà des sens, et que la joie des sens est limitée dans sa durée, il s’attiédit et meurt au sein du bonheur même. […] Parfois même, soumises à l’épreuve de l’analyse, elles ne présentent pas de sens déterminé, ou n’offrent qu’un sens désavoué par la raison. […] Hugo dit que l’arc est superbe, quel est le sens de cette épithète.

378. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

» Aussi nul en son temps n’a-t-il eu plus que lui le sens du mystère et celui du symbole. […] qu’à nous rendre les esclaves affairés de nos sens et de nos passions ? […] Peut-être aussi ces excès de concentration ou de condensation de sens tiennent-ils encore, chez M.  […] Tout symbole est en ce sens une espèce de révélation. […] En ce sens, le roman de demain sera sans doute idéaliste.

379. (1929) La société des grands esprits

Entendez-le dans un sens large. […] Il semble, en certains passages, ne compter en effet que sur le sens intérieur. Mais que lui apporte ce sens intérieur et a-conceptuel ? […] Quelquefois il en met presque trop, dans un sens ou dans l’autre. […] Il le prenait dans un sens beaucoup trop étroit.

380. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Sur ce que tu bénis, sur ce que tu maudis, Tu sens la pression du monde formidable115. […] Les plaines où le ciel aide l’herbe à germer, L’eau, les prés, sont autant de phrases où le sage Voit serpenter des sens qu’il saisit au passage. […] Les apparents désordres de la nature et ceux de l’humanité ne sont que des occasions de courage et de lutte pour l’homme, du devoir, des symboles de notre destinée, telle qu’un Corneille l’a conçue : …                               … Quand la tempête gronde, Mes amis je me sens une foi plus profonde ; Je sens dans l’ouragan le devoir rayonner, Et l’affirmation du vrai s’enraciner. […] Déjà Lamartine avait représenté l’âme montant et descendant par le poids de sa nature ; Hugo ne prend plus cette théorie dans le sens chrétien, mais dans le sens indien. […] Hugo a cru d’ailleurs lui-même au sens profond et mystérieux de certains mots et des affinités qu’ils présentent.

381. (1920) Action, n° 2, mars 1920

Elle excite le sens de la poésie et n’arrive pas à le satisfaire. […] Parfois je m’irrite, et parfois je sens une joie étrange d’être l’éternel débutant. […] Il les possède assez pour leur inspirer le sens même de ce qu’ils ne sauraient comprendre. […] Ce sens critique a porté Max Jacob à légiférer un peu sur lui-même et sur les autres. […] Mais quelque chose en plus qu’ignorèrent les précurseurs : un paganisme léger et ironique avec le sens de la volupté, hors la métaphysique chrétienne.

382. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

L’Art classique dérive de la philosophie cartésienne : Descartes établissait que la Connaissance nous vient de deux sources, distinctes et opposées : la Raison, vraie et divine, — et l’Imagination, c’est à dire les sens, maîtres d’erreur et de mensonge. […] À mon sens, la connaissance intime des chefs-d’œuvre favorise, au lieu de la gêner, l’indépendance d’inspiration. […] Aussi Beethoven a-t-il suivi la route de Haydn ; il a pris des motifs de danse populaires ; mais au lieu de les faire servir pour la distraction d’une table princière, il les a joués — dans un sens idéal — au peuple lui-même. […] Fantin a rendu le sens profond de la scène, et de ce drame entier, la Goetterdaemmerung, où le jeune Siegfried, avec la joie de sa force, nous donne aussi comme l’angoisse du fait cruel, si prochain. […] — L’auteur fait observer, que représenter Marke comme un vieillard, ce qui a lieu sur plusieurs scènes, est une grave erreur ; c’est dénaturer le sens du poème.

383. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — I. Faculté des arts. Premier cours d’études. » pp. 453-488

Il ne faut qu’un sens ordinaire ; et l’enfant de treize ans qui n’est pas capable de cette étude, n’est bon à rien ; il faut le renvoyer. […] Il y a l’autorité des sens et celle de la raison. […] Eschyle est épique et gigantesque lorsqu’il fait retentir le rocher sur lequel les Cyclopes attachent Prométhée et que les coups de leurs marteaux en font sortir les nymphes effrayées ; il est sublime lorsqu’il exorcise Oreste, qu’il réveille les Euménides qu’il avait endormies, qu’il les fait errer sur la scène et crier : Je sens la vapeur du sang, je sens la trace du parricide, je la sens, je la sens… et qu’il les rassemble autour du malheureux prince qui tient dans ses mains les pieds de la statue d’Apollon. […] Une observation qui se présente ici à mon esprit et qui n’est pas une des moindres raisons de différer l’étude des langues anciennes, c’est l’inversion ; où est l’enfant qui ait assez d’idées et d’étendue de tête pour embrasser toute la suite d’une période de cinq à six lignes où l’ordre des mots suspend le sens jusqu’à la fin ? […] — Par antithèse, un des professeurs de D’Alembert lui interdit la poésie, « parce que, disait-il (et il avait raison dans un certain sens), la poésie dessèche le cœur. » 20.

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