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976. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Ainsi, prisonniers volontaires de l’analyse psychologique et par conséquent du sens commun, il semble qu’après avoir exaspéré les conflits que le dualisme vulgaire soulève, nous ayons formé toutes les issues que la métaphysique pouvait nous ouvrir. […] Il semble donc d’abord que je puisse, comme je voudrai, tenir ce mouvement pour multiple ou pour indivisible, selon que je l’envisage dans l’espace ou dans le temps, comme une image qui se dessine hors de moi ou comme un acte que j’accomplis moi-même. […] La ligne totale représentant la durée totale, les parties de cette ligne doivent correspondre, semble-t-il, à des parties de la durée, et les points de la ligne à des moments du temps. […] Comme notre expérience journalière nous montre des corps qui se meuvent, il nous semble que, pour soutenir les mouvements élémentaires auxquels les qualités se ramènent, il faille au moins des corpuscules. […] Mais cette idée restait obscure par un certain côté, parce que notre perception, et par conséquent aussi notre conscience, semblaient alors participer de la divisibilité qu’on attribue à la matière.

977. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

On ne trouverait, semble-t-il, rien de tel — ou peu de chose — dans notre âge classique. […] Comme il faut que l’un des arts demeure finalement le principal, Fromentin à ce moment semble pencher vers une carrière d’homme de lettres. […] Il se remet à peindre, mais il semble que, n’ayant plus rien à dire, il ait renoncé à la littérature. […] Il semble que Fromentin ait eu l’élégance suprême d’écrire son roman en musicien plutôt qu’en peintre. […] Il semble qu’elle ait rapproché par là Madeleine de Dominique, mais par ailleurs et bien davantage elle l’en a séparé.

978. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — I. » pp. 195-212

Mézeray, d’humeur caustique et franche, plaisanta plus d’une fois, dit-on, de ce bienfait, et il semblait dire qu’en retour, s’il avait eu à écrire sur le cardinal, il aurait dû lui payer tribut en retranchant quelque chose de la vérité. […] Cette pièce de terre semble être ainsi taillée pour être le siège du plus heureux et du plus solide empire du monde, si la prudence l’avait pu étendre jusqu’aux limites que la nature lui a posées. […] Il semble d’abord que la principale chose y soit les portraits des rois et reines, et que le texte n’y vienne que pour accompagner ces illustres images, cette suite de tailles-douces, figures et médailles, recueillies et payées par un amateur généreux, Remy Capitain. […] Mézeray est modeste sur les erreurs ; il reconnaît qu’il a dû en commettre beaucoup : « Et vraiment il n’est pas au pouvoir d’un homme mortel de faire une course de douze siècles sans broncher. » De son style il déclare qu’il ne dira rien ; mais on voit qu’il y tient et qu’à ce début il l’a soigné : « C’est à vous, dit-il aux lecteurs désintéressés, à prononcer si j’ai écrit d’une belle manière, si j’ai découvert quelques lumières qui n’eussent pas encore été démontrées ; là où j’ai touché au but, et là où je m’en suis éloigné. » Il nous rappelle ce que nous ne devons jamais oublier quand nous nous reportons à la première époque où parurent ces ouvrages une fois en vogue, et dès longtemps vieillis : c’est que, si la matière était déjà vieille alors et semblait telle, la forme qu’il lui donnait à son heure la rendait toute nouvelle. […] Au commencement de la seconde race, il lui semble, dit-il, passer d’une nuit obscure à un trop grand jour ; il en est trop ébloui pour en jouir ; il sent en même temps que son sujet s’agrandit, et qu’il lui faut sortir avec les descendants de Charles Martel des limites de la France.

979. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

Pour moi qui me suis occupé de d’Aubigné il y a vingt-sept ans pour la première fois quand je traversais le xvie  siècle, je ne dirai aujourd’hui que ce qui me semble nécessaire pour présenter cette forte figure en son vrai jour, sans exagérer ni ses vertus, ni sa pureté, ni ses mérites, mais sans rien oublier non plus d’essentiel en ce qui le distingue. […] Cette Histoire universelle de d’Aubigné, son grand ouvrage sérieux, et qui semble indigeste à première vue, ne le paraît plus autant lorsqu’on y pénètre, et mérite plus d’une sorte de considération. […] L’Histoire universelle de d’Aubigné, dont Henri IV est le centre et le pivot, avait été entreprise ou projetée par le conseil de ce roi, qui, ce semble, n’aurait pas été fâché d’avoir pour historiens, d’une part le calviniste d’Aubigné, et d’autre part l’ancien ligueur Jeannin : l’un, racontant plutôt les faits de guerre et de parti, l’autre, exposant les choses d’État et de conseil ; mais bientôt Henri IV, soit qu’un jésuite, le père Cotton, lui eut fait sentir les inconvénients ainsi que d’Aubigné le donne à entendre, soit qu’il se méfiât assez par lui-même de cette satirique langue de d’Aubigné, comme il l’appelait, Henri IV insista peu sur sa recommandation première et sur les encouragements qu’il avait promis ; d’Aubigné attendit à la mort de ce roi pour se remettre à l’œuvre, et il s’y remit, on le doit reconnaître, dans un esprit digne d’une aussi généreuse entreprise. […] Il semble même accorder volontiers à ceux de ses lecteurs qui ne se plaisent point à un endroit du livre de courir à un autre, et de jouer du pouce comme il dit ; tout cela est vrai, et cependant si l’on chemine avec lui et si l’on s’attache à sa suite, on est dédommagé, on a mieux que des faits originaux et singuliers, on rencontre de belles, d’admirables scènes. […] Le vicomte de Turenne, depuis duc de Bouillon, opina le premier : c’était un homme de grands discours et habile à donner des infinités de raisons à l’appui des conclusions qu’il embrassait ; ayant été récemment accusé d’avoir été trop prompt à la dernière levée de boucliers, son point de départ, cette fois, fut qu’il fallait changer de méthode, mettre de son côté le droit et l’apparence, éviter avant tout l’odieux : « Si vous vous armez, disait-il, le roi (Henri III) vous craindra ; s’il vous craint, il vous haïra ; s’il vous hait, il vous attaquera ; s’il vous attaque, il vous détruira. » Par ces raisons subtilement déduites et enchaînées, il concluait qu’il fallait introduire, faire couler les gens de guerre dans les armées royales et servir de la sorte sans enseignes déployées : « Le roi devra sa délivrance à notre vertu, et sacrifiera sa haine passée à notre humilité. » Cet avis allait l’emporter, et la majorité semblait s’y ranger lorsqu’un mestre de camp, c’est-à-dire d’Aubigné, commandé de parler à son tour, s’exprima en sens contraire et changea la face de la délibération.

980. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

Malgré les succès partiels et de détail des armes françaises en Italie, on était resté sur le souvenir de la grande défaite de Pavie : une vraie revanche, une bataille rangée, était chose désirée, et il semblait qu’il était temps enfin de remporter une victoire qui allât rejoindre celle de Marignan. […] S’il ne les avait pas lus lui-même, il s’était fait lire quelque chose de Tite-Live, de Langey, de Guichardin (dont il a oublié le nom, mais qu’il appelle un bon auteur) : « Il me semblait, dit-il quelque part, lorsque je me faisais lire Tite-Live, que je voyais en vie ces braves Scipions, Catons et Césars ; et quand j’étais à Rome, voyant le Capitole, me ressouvenant de ce que j’avais ouï dire (car de moi j’étais un mauvais lecteur), il me semblait que je devais trouver là ces anciens Romains. » Voilà le degré de culture de Montluc ; c’était assez, avec son esprit naturel et son amour de la gloire, pour le mener, sans imitation directe, à être l’émule de ces anciens qu’il connaît peu. […] Il semble qu’il veuille épargner ses secrétaires : c’est dommage qu’il n’est greffier du parlement de Paris, car il gagnerait plus que Du Tillet ni tous les autres. » Ayant à entrer quelquefois dans les parlements de Toulouse et de Bordeaux, quand il était lieutenant pour le roi en Guyenne, il n’en revenait pas de voir que tant de jeunes hommes s’amusassent ainsi dans un palais, vu qu’ordinairement le sang bout à la jeunesse : « Je crois, ajoutait-il, que ce n’est que quelque accoutumance ; et le roi ne saurait mieux faire que de chasser ces gens de là, et les accoutumer aux armes. » Mais toutes ces sorties contre ce qui n’est pas gloire des armes et d’homme de guerre n’empêchent pas Montluc de sentir l’importance de ce chétif instrument, la plume : il s’en sert,-sachant bien que ce n’est que par là et moyennant cet auxiliaire qu’il est donné à une mémoire de s’immortaliser, qu’il n’en sera de votre nom dans l’avenir que selon qu’il restera marqué en blanc ou en noir par les historiens ; et son ambition dernière, à lui qui a tant agi, c’est d’être lu : « Plût à Dieu, dit-il, que nous qui portons les armes prissions cette coutume d’écrire ce que nous voyons et faisons ! car il me semble que cela serait mieux accommodé de notre main (j’entends du fait de la guerre) que non pas des gens de lettres ; car ils déguisent trop les choses, et cela sent son clerc. » Les discours de Montluc, qui ne sentent pas du tout leur clerc, et qui restent-si appropriés à son caractère et à son allure, ne sont pas pour cela moins bien menés et moins habiles.

981. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

Ce premier discours semble n’être qu’un épanchement. […] La France était si heureuse durant sa vie, que depuis douze cents ans elle n’avait joui d’une pareille félicité. » Rohan prévoit tous les maux qui vont recommencer, toutes les ambitions qui s’aiguisent déjà : En sa vie, il (Henri IV) contenait par son autorité les méchants : en sa mort, toute crainte de mal faire est ôtée, et semble que toute liberté soit permise aux méchants. […] Le peuple frémit déjà et semble prévoir son malheur ; les villes font garde, comme si elles attendaient le siège ; la noblesse cherche sa sûreté parmi les plus relevés de son corps, mais elle les trouve tous désunis, et y a toute occasion de crainte, et nulle apparence de sûreté. […] Toutefois le caractère du duc de Rohan, bien que surtout formé de politique, et différant peu en cela de celui de Bouillon, semble plus fait pour embrasser les intérêts du parti en lui-même, et on entrevoit dans ses desseins, s’il avait réussi, plus de générosité et de grandeur : à mesure qu’il avance, il est plus sincère dans son rôle de grand seigneur réformé. […] On voit quel rôle jouait en ce temps-là l’envie, « ce vice lâche en soi, et néanmoins assez connu parmi les hommes », qui fait que « souvent on se fâche plus du bien et des honneurs que le compagnon possède que de ce qu’on n’en jouit pas soi-même », vice d’autrefois et qui semble presque supprimé aujourd’hui, tant nos beaux esprits et nos éloquents parleurs se sont fait une loi et une habitude (à laquelle ils ont peut-être fini par croire) de complimenter à outrance, d’encenser en plein nez la nature humaine.

982. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Caractères de La Bruyère. Par M. Adrien Destailleur. »

La première édition des Caractères (1688), sans nom d’auteur, semble d’abord tout à l’intention et à l’honneur de l’ancien Théophraste, dont on offrait au public la traduction : le Théophraste moderne venait, comme on dit, par-dessus le marché. […] Chrétien sincère, bien que souvent inconséquent dans l’application, La Bruyère semble appartenir d’avance, par cette conclusion remarquable, à une classe d’esprits philosophiques que nous connaissons bien, rationalistes, néo-cartésiens, éclectiques, qui auront des tendances et des convictions religieuses intellectuelles plus encore que des croyances. […] Lorsqu’on s’est une fois familiarisé avec lui et avec sa manière, on l’aime bien mieux, ce me semble, hors de ces morceaux de montre et d’apprêt, dans les esquisses plus particulières d’originaux, surtout dans les remarques soudaines, dans les traits vifs et courts, dans les observations pénétrantes qu’il a logées partout et qui sortent de tous les coins de son œuvre. […] J. d’Ortigue l’a trouvée écrite à la main sur le dernier feuillet d’un volume de La Bruyère qui semble avoir appartenu à quelque académicien de la fin du xviie  siècle : « La première place qui vaqua dans l’Académie française, après que M. de La Bruyère y fut reçu, étant à remplir, MM. les abbés de Caumartin et Boileau furent proposés et partagèrent également entre eux les suffrages de l’Assemblée jusqu’à la voix de M. de La Bruyère. Il semblait donc, étant le dernier à opiner, devoir lever le partage et décider entre les concurrents ; chacun tâchait par ses regards de l’attirer dans son parti, lorsque, prenant la parole, il dit :« Je n’ai pas oublié, Messieurs, qu’un des principaux statuts de cet illustre Corps est de n’y admettre que ceux qu’on en estime les plus dignes : vous ne trouverez donc pas étrange, Messieurs, si je donne mon suffrage à M. 

983. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Des prochaines élections de l’Académie. »

Mazères semble avoir pour lui l’ancienneté des titres, leur parfaite convenance dans la circonstance présente, une collaboration heureuse avec des maîtres illustres de la scène, et, en son propre et seul nom, des pièces agréables, dont une, faite de verve, le Jeune Mari, est restée au répertoire ; ce qui était fort compté en d’autres temps. […] Est-ce à dire, maintenant, et quand on a tout expliqué de son mieux à de respectables confrères un peu étonnés, que toutes ces curiosités, ces ragoûts et ces raffinements leur semblent des titres pour l’Académie, et l’auteur lui-même a-t-il pu sérieusement se le persuader ? […] Lacordaire qu’il devait viser, ce semble, comme il aurait pu prétendre dans l’élection précédente à succéder à M. de Tocqueville. […] Il y a eu un moment, toutefois, où il s’est vu assez en faveur et où son baromètre académique semblait remonter : c’est quand il donnait dans l’Ami de la Religion ses articles sur Rome et sur le pape. […] Du moment que M. le prince Albert de Broglie se présente, il semble qu’il ne puisse échouer : M. le duc de Broglie, son père, fait déjà partie de l’Académie.

984. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

Saint-Évremond, l’épicurien à l’âme ferme, avait appris à ce jeu où il semble n’être entré que pour mieux voir, à connaître de près le caractère des grands personnages de l’histoire et à deviner, presque en homme pratique, le génie des anciens peuples. […] Il semblait plus facile, avec des intentions droites et des idées justes, de faire le bien des hommes et des peuples que cela ne s’est vérifié, au fait et au prendre ; on ne comptait assez ni avec les passions, ni avec les intérêts, ni avec les vices. […] Condorcet lui-même, dont le nom se présente d’abord comme celui de l’apôtre puni de son zèle et le plus cruellement déçu dans son ardente poursuite, ne s’est pas tant trompé qu’il semble, et quoiqu’il se mêlât à sa foi dans l’avenir un fanatisme que je n’aime nulle part, il n’a pas désespéré du progrès en mourant, et il a bien fait. […] Non ; si inférieurs aux Retz et aux La Rochefoucauld pour l’ampleur et la qualité de la langue et pour le talent de graver ou de peindre, ils connaissaient la nature humaine et sociale aussi bien qu’eux, et infiniment mieux que la plupart des contemporains de Bossuet, ces moralistes ordinaires du xviiie  siècle, ce Duclos au coup d’œil droit, au parler brusque, qui disait en 1750 : « Je ne sais si j’ai trop bonne opinion de mon siècle, mais il me semble qu’il y a une certaine fermentation de raison universelle qui tend à se développer, qu’on laissera peut-être se dissiper, et dont on pourrait assurer, diriger et hâter les progrès par une éducation bien entendue » ; le même qui portait sur les Français, en particulier ce jugement, vérifié tant de fois : « C’est le seul peuple dont les mœurs peuvent se dépraver sans que le fond du cœur se corrompe, ni que le courage s’altère… » Ils savaient mieux encore que la société des salons, ils connaissaient la matière humaine en gens avisés et déniaisés, et ce Grimm, le moins germain des Allemands, si net, si pratique, si bon esprit, si peu dupe, soit dans le jugement des écrits, soit dans le commerce des hommes ; — et ce Galiani, Napolitain de Paris, si vif, si pénétrant, si pétulant d’audace, et qui parfois saisissait au vol les grandes et lointaines vérités ; — et cette Du Deffand, l’aveugle clairvoyante, cette femme du meilleur esprit et du plus triste cœur, si desséchée, si ennuyée et qui était allée au fond de tout ; — et ce Chamfort qui poussait à la roue après 89 et qui ne s’arrêta que devant 93, esprit amer, organisation aigrie, ulcérée, mais qui a des pensées prises dans le vif et des maximes à l’eau-forte ; — et ce Sénac de Meilhan, aujourd’hui remis en pleine lumière40, simple observateur d’abord des mœurs de son temps, trempant dans les vices et les corruptions mêmes qu’il décrit, mais bientôt averti par les résultats, raffermi par le malheur et par l’exil, s’élevant ou plutôt creusant sous toutes ; les surfaces, et fixant son expérience concentrée, à fines doses, dans des pages ou des formules d’une vérité poignante ou piquante. […] Bertin l’aîné n’a jamais eu la goutte ; le fait est qu’il semblait l’avoir par sa lenteur et sa lourdeur de jambes qui n’étaient, dans ce cas-là, que la difficulté de marcher d’un homme gros et puissant.

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