/ 2078
248. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XV »

Elle a déshonoré un diplomate, en lui volant des secrets d’État. […] Le succès a fait, à la surface, un grand bruit de bravos et d’applaudissements ; on sentait, au fond, une impression trouble et une secrète résistance. […] Quel démon cache, dans son double fond, ce coffre-fort à secret ? […] Quand il sera vide, il se remplira tout seul : il y a un secret pour cela qui est celui d’Aladin.

249. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

Regimbard, dans L’Éducation sentimentale, est le type de ces personnages qui, conseillés par une prudence secrète, fondent l’opinion qu’ils veulent prendre d’eux-mêmes par la seule parodie. […] Il développe sur ces motifs le thème de sa personnalité d’emprunt, et la gravité du masque le dispensant de tout discours, en même temps qu’elle atteste le sérieux de ses convictions, confère à son silence des significations secrètes et à sa mimique une valeur augurale. […] C’est une tâche à laquelle il n’a pas failli avec sa principale héroïne : l’éducation de la paysanne au couvent des Ursulines, dans un milieu aristocratique et mystique, l’influence romantique, agissant sur elle par les lectures publiques ou secrètes, sont les causes où il insiste, des appétits de luxe en même temps que de l’avidité sentimentale qui se développent dans l’âme de la jeune fille. […] À entrevoir les résultats de la science, ils croient en posséder les secrets ; à se promener dans la partie du domaine de la connaissance qui a clé aménagée pour l’intelligence vulgaire ils se croient aptes à s’engager dans ses taillis les plus inextricables et à découvrir des routes nouvelles ; à manier et à posséder tine monnaie qui procure les choses, ils croient, que cette monnaie est frappée à leur effigie et qu’ils ont eux-mêmes le pouvoir d’émettre des pièces d’or nouvelles.

250. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IX. Eugénie de Guérin »

Eugénie qui aimait les oiseaux avec cette tendresse de la jeune fille, perçant comme une pointe de fleur en bouton à travers les innocentes garçonneries du premier âge, Eugénie l’oiselière se trouva un nid, dans les mains, plus grand, plus touchant et plus désolé que ceux que lui dénichait son frère Erembert, à cœur de journée, et malgré les liens secrets et mystérieux qui l’unissaient, esprit de tant d’aile, à ces autres créatures ailées, — le plus charmant symbole de nos âmes, — ce nid sans mère qui lui échéait lui fît oublier tous les autres nids. […] Ils l’étaient par l’essence même de l’âme et les attaches secrètes du cœur. […] Quand, en effet, Mme Eugénie de Guérin commença sa vie de poésie secrète et d’humbles vertus ensevelies, qui auraient pu s’enterrer pour jamais dans ce cimetière de village dont Gray peignit les tombes, un soir, c’était le temps où l’un des hommes qui « ont su le moins rester tranquillement assis dans une chambre », fondait le bronze des canons à force de les faire tonner. […] Dans les lettres d’elle qu’on a publiées, elle parle de l’effrayante vision des cercueils tout autour du salon, pendant que nous dansions avec elle et dont elle garda le secret enfermé sous son sourire languide et sous sa pâleur.

251. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — I. » pp. 19-35

Comme tel, comme arbitre secret des âmes, il a eu ses erreurs, il a dévié, il s’est livré surabondamment à ses goûts et à sa prédilection. […] Je crains pour vous une dévotion lumineuse, haute, qui, sous prétexte d’aller au solide en lecture et en pratique, nourrisse en secret je ne sais quoi de grand et de contraire à Jésus-Christ enfant, simple et méprisé des sages du siècle. […] À cette modification de famille et d’orgueil, il s’en joignait en ce temps-là une autre pour Mme de Grammont, une mortification plus intime et plus secrète, qui tenait à la personne et à la beauté.

252. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — I. » pp. 91-108

Sénac de Meilhan, fils d’un premier médecin du feu roi, maître des requêtes et intendant du Hainaut, fort jeune encore (il n’était pas si jeune, ayant bien près de quarante ans à cette date de 1776), mais ayant du talent et de l’esprit, et qui lui avait été indiqué par ses faiseurs et conseils secrets, qui étaient en grande liaison avec lui. […] M. de Meilhan, sans trop s’expliquer, paraissait avoir un secret sûr pour cela. […] Son livre est comme le testament de cette société, par un homme qui en sait tous les secrets et qui en réunissait les goûts divers.

253. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. (Suite.) » pp. 52-72

Mâtho se sent dévoré d’un mal secret : ce grand corps de géant est abattu et comme anéanti. […] Elle s’imagine que de connaître les mystères de la déesse la soulagerait ; elle voudrait surtout la contempler dans son secret sanctuaire, voir de ses yeux la vieille idole couverte du manteau magnifique, du voile sacré d’où dépendent les destinées de Carthage ; il lui semble que ce voile défendu et dont le seul contact fait mourir, s’il lui était permis du moins de le considérer, lui communiquerait quelque chose de sa vertu. […] C’est au sortir de là qu’Hamilcar se met à visiter sa maison qu’il a depuis si longtemps quittée, et ses magasins, ses entrepôts, ses cachettes secrètes, les caveaux où gisent accumulées des richesses de toute sorte qui nous sont énumérées avec la minutie et l’exactitude d’un inventaire : exactitude est trop peu dire, car nous avons affaire ici à un commissaire-priseur qui s’amuse, et qui, dans le caveau des pierreries, se plaira, par exemple, à nous dénombrer toutes les merveilles minéralogiques imaginables, et jusqu’à des escarboucles « formées par l’urine des lynx. » C’est passer la mesure et laisser trop voir le bout de l’oreille du dilettante mystificateur.

254. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

On lit dans son Journal à cette date : « Le poëte sans fortune est le plus malheureux des hommes : la courtisane ne livre que son corps, libre de garder au fond du cœur les sentiments qui lui restent ; l’autre, au contraire, doit, pour vivre, livrer ses soupirs, ses émotions, les pensées qui lui sont chères, et jusqu’aux plus secrètes profondeurs de son âme, et cela à un public libre de noircir le tout de la plus injurieuse critique ou du mépris le plus insultant. » — C’est le Journal d’où sont tirées ces paroles si senties, qu’il serait curieux de connaître : on nous le doit. […] Lorsque j’étais parvenu dans une de ces profondes solitudes, où je croyais arriver seul, je m’y retrouvais avec toutes mes secrètes angoisses, avec mes passions à demi brisées, mes soifs ardentes de l’inconnu, mes dégoûts infinis et mes prodigieuses lassitudes. […] J’écoute avec une secrète sympathie tes gémissements et tes clameurs.

255. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

Molière, penseur profond, triste au dedans, ayant hâte de sortir de lui-même et d’échapper à ses peines secrètes, sera cette fois d’un comique plus grave ou plus fou qu’à l’ordinaire. […] Comme un cœur pur de jeune fille Qui coule et déborde en secret, A chaque peine de famille, Au moindre bonheur, il pleurait ; A voir pleurer sa fille aînée ; A voir sa table couronnée D’enfants, et lui-même au déclin ; A sentir les inquiétudes De père, tout causant d’études, Les soirs d’hiver, avec Rollin ; Ou si dans la sainte patrie, Berceau de ses rêves touchants, Il s’égarait par la prairie Au fond de Port-Royal-des-Champs ; S’il revoyait du cloître austère Les longs murs, l’étang solitaire, Il pleurait comme un exilé ; Pour lui, pleurer avait des charmes. […] C’est le cas de Racine lorsqu’on vient à lui en quittant Molière ou Shakspeare : il demande alors plus que jamais à être regardé de très-près et longtemps ; ainsi seulement on surprendra les secrets de sa manière : ainsi, dans l’atmosphère du sentiment principal qui fait le fond de chaque tragédie, on verra se dessiner et se mouvoir les divers caractères avec leurs traits personnels ; ainsi, les différences d’accentuation, fugitives et ténues, deviendront saisissables, et prêteront une sorte de vérité relative au langage de chacun ; on saura avec précision jusqu’à quel point Racine est dramatique, et dans quel sens il ne l’est pas.

256. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « La comtesse Diane »

Beaucoup de pensées de cette espèce commencent ainsi : Il y a une douceur secrète… Il y a je ne sais quel charme… Il y a un plaisir délicat… Par exemple : Il y a un plaisir délicat, pour un bel homme, à respecter la femme de son ami. […] Même dans les scènes où elle exprime d’autres passions que celle de l’amour, elle ne craint pas de déployer, si je puis dire, ce qu’il y a de plus intime, de plus secret dans sa personne féminine. […] Ces grandes explosions demeurent harmonieuses, obéissent à un rythme secret auquel correspond le rythme des belles attitudes.

/ 2078