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257. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Ces seigneurs et ces dames parées qui passent leur vie à représenter ne se trouvent à leur aise qu’entre des panneaux sculptés, devant des glaces resplendissantes ; s’ils mettent le pied par terre, c’est sur des allées ratissées ; s’ils souffrent les bois et les eaux, ce sont des eaux lancées en gerbes par des monstres d’airain ; ce sont des bois alignés en charmilles. […] Mais notre âme se trouve doucement dans cet être plus simple, et nos images n’en sont que plus délicates, parce que nous sentons qu’à la réflexion elles devront s’évanouir. […] Ils semblent même ne pas sentir l’incommodité de leur situation ; ils restent où ils se trouvent, à la pluie, à la neige. […] Ils montent péniblement, échelon par échelon, jusqu’à une cime ; il se trouve porté naturellement sur cette cime, et tous les pas qu’il fait sont dans le domaine supérieur dont elle est le marchepied. […] Voilà comment le fabuliste peut se trouver du même coup et au même endroit un peintre d’animaux et un peintre d’hommes.

258. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

Si maintenant la conception générale à laquelle la représentation aboutit est poétique, mais non ménagée, si l’homme y atteint, non par une gradation continue, mais par une intuition brusque, si l’opération originelle n’est pas le développement régulier, mais l’explosion violente, alors, comme chez les races sémitiques, la métaphysique manque, la religion ne conçoit que le Dieu roi, dévorateur et solitaire, la science ne peut se former, l’esprit se trouve trop roide et trop entier pour reproduire l’ordonnance délicate de la nature, la poésie ne sait enfanter qu’une suite d’exclamations véhémentes et grandioses, la langue ne peut exprimer l’enchevêtrement du raisonnement et de l’éloquence, l’homme se réduit à l’enthousiasme lyrique, à la passion irréfrénable, à l’action fanatique et bornée. C’est dans cet intervalle entre la représentation particulière et la conception universelle que se trouvent les germes des plus grandes différences humaines. […] Si enfin l’homme réduit à des conceptions étroites et privé de toute finesse spéculative, se trouve en même temps absorbé et roidi tout entier par les préoccupations pratiques, on verra, comme à Rome, des dieux rudimentaires, simples noms vides, bons pour noter les plus minces détails de l’agriculture, de la génération et du ménage, véritables étiquettes de mariage et de ferme, partant une mythologie, une philosophie et une poésie nulles ou empruntées. […] Ce qui la règle dans un corps vivant, c’est d’abord sa tendance à manifester un certain type primordial, ensuite la nécessité où il est de posséder des organes qui puissent fournir à ses besoins et de se trouver d’accord avec lui-même afin de vivre. […] Si par exemple on admettait qu’une religion est un poëme métaphysique accompagné de croyance ; si on remarquait en outre qu’il y a certains moments, certaines races et certains milieux, où la croyance, la faculté poétique et la faculté métaphysique se déploient ensemble avec une vigueur inusitée ; si on considérait que le christianisme et le bouddhisme sont éclos à des époques de synthèses grandioses et parmi des misères semblables à l’oppression qui souleva les exaltés des Cévennes ; si d’autre part on reconnaissait que les religions primitives sont nées à l’éveil de la raison humaine, pendant la plus riche floraison de l’imagination humaine, au temps de la plus belle naïveté et de la plus grande crédulité ; si on considérait encore que le mahométisme apparut avec l’avènement de la prose poétique et la conception de l’unité nationale, chez un peuple dépourvu de science, au moment d’un soudain développement de l’esprit ; on pourrait conclure qu’une religion naît, décline, se reforme et se transforme selon que les circonstances fortifient et assemblent avec plus ou moins de justesse et d’énergie ses trois instincts générateurs, et l’on comprendrait pourquoi elle est endémique dans l’Inde, parmi des cervelles imaginatives, philosophiques, exaltées par excellence ; pourquoi elle s’épanouit si étrangement et si grandement au moyen âge, dans une société oppressive, parmi des langues et des littératures neuves ; pourquoi elle se releva au seizième siècle avec un caractère nouveau et un enthousiasme héroïque, au moment de la renaissance universelle, et à l’éveil des races germaniques ; pourquoi elle pullule en sectes bizarres dans la grossière démocratie américaine, et sous le despotisme bureaucratique de la Russie ; pourquoi enfin elle se trouve aujourd’hui répandue en Europe avec des proportions et des particularités si différentes selon les différences des races et des civilisations.

259. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, le 8 décembre 1885. »

. — Se trouve encore dans le quintette avec une expression voisine de celle du motif 10. […] » Où Wagner fait chanter à un personnage le motif qui se trouve à l’orchestre, on peut affirmer presque toujours que le même sentiment est là sous ses deux formes, poétique et musicale ; ainsi, p. 30, Walther s’écrie : « Mit allen Sinnen euch Zugewinnen !  […] Motif 66 (p. 30, 31, 123, 265, 269, 270, 301, 345, 379). — Se trouve dans le chant de Walther, mais exprime en général l’idée d’obtenir Eva par le concours, par la pureté et le mérite de son chant. […] Outre les motifs de Tristan qui se trouvent naturellement rappelés par les rapports que Sachs établit entre Mark et lui, il serait curieux de comparer page 138 les mesures 3-4-5-6 et 13-14-15-16 à des motifs bien connus de Parsifal […] En se bornant à la seule étude musical du drame, on voit que chaque personnage se trouve éclairé de la chaude lumière du génie de Walther.

260. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

Sorbière avait parlé d’elle tout autrement en effet ; c’est Pellisson, à qui le livre était dédié, qui, s’apercevant qu’à l’article Scarron il y avait des choses qui n’auraient pas fait plaisir à la dame, alors régnante, se conduisit en vrai courtisan, fit réformer toute l’édition, qui était déjà tirée, et mettre un carton où se trouvent aujourd’hui les belles louanges qui passent sur le compte de Sorbière. […] Parlant de la Réponse aux Questions d’un Provincial : « Si l’on examinait bien, dit-il, on y trouverait tout. » Et à propos de je ne sais quelle historiette qui se trouve dans les Nouvelles de la République des Lettres, et d’où lui-même l’avait tirée pour une citation : « Car il faut toujours faire honneur à Bayle qui a tout dit. » — M. de Tracy disait exactement la même chose de Voltaire. […] L’édition de 1720, bien qu’imprimée en Hollande, fut dédiée au duc d’Orléans Régent ; au-dessus de l’Épître dédicatoire due à la plume de La Motte, se trouvait un portrait du Régent au milieu d’une vignette. […] Victor Le Clerc ; il a bien voulu m’indiquer le texte précis qui se trouve dans le De Oratore (II, 58).

261. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

Jomini va se trouver aux prises avec d’autres difficultés, d’autres obstacles, d’autres intrigues. […] Auprès de Schwartzenberg se trouvaient Radetzky, chef d’état-major, Languenau, un émigré saxon. […] En un mot, je me rappelai la célèbre réponse de Scanderbeg au sultan, qui lui avait demandé son sabre (« Dites à votre maître qu’en lui envoyant le glaive je ne lui ai pas envoyé le bras ») ; fiction ingénieuse et applicable à tous les militaires qui se trouveront dans le cas de donner leurs idées sur des opérations qu’ils ne dirigeront pas. » Après la bataille perdue et quand on se décida à la retraite, lorsque, dans la soirée du 27, Jomini vit l’ordre apporté par Toll, — « le brouillon encore tout trempé de pluie56 », — qui réglait cette retraite jusque derrière l’Éger en quatre ou cinq colonnes, « chacune d’elles ayant son itinéraire tracé pour plusieurs jours, comme une feuille de route, par étapes, qu’on exécuterait en pleine paix, sans s’inquiéter de ce qui arriverait aux autres colonnes » ; à la vue de cette disposition burlesque », il n’y put tenir : toute sa bile de censeur éclairé et de critique militaire en fut émue, comme l’eût été celle de Boileau à la vue de quelque énormité de Chapelain ; et il s’écria sans crainte d’être entendu : « Quand on fait la guerre comme ça, il vaut mieux s’aller coucher. » L’ambassadeur anglais, lord Cathcart, présent, crut devoir le prendre à part pour lui conseiller de ménager davantage l’amour-propre de ses nouveaux camarades. […] répondit Jomini en s’excusant, quand il y va du sort de l’Europe, de l’honneur de trois grands souverains et de ma propre réputation militaire, il est permis de ne pas peser toutes ses expressions. » L’empereur Alexandre, dans cette retraite, s’était séparé de l’empereur d’Autriche et du roi de Prusse et se trouvait à Altenberg dans les montagnes avec le prince de Schwartzenberg et le quartier général autrichien.

262. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Ce n’est certes pas de nos jours que Voltaire aurait droit de dire : « La France fourmille d’historiens et manque d’écrivains72. » Car, si la France n’a jamais été plus fertile en historiens dignes de ce nom par la science et par la pensée, plusieurs se trouvent être à la fois des écrivains éminents. […] A propos des similitudes frappantes et presque des symétries d’accidents qui sautent aux yeux entre l’avénement de la seconde race et celui de la troisième, il disait : « Cette analogie de causes et d’effets est remarquable, et prouve combien les choses agissent avec suite, s’accomplissent de nécessité, et se servent des hommes comme moyens, et des événements comme occasions. » Après avoir montré dans saint Louis le principal fondateur du système monarchique, il suivait les progrès de l’œuvre sous les plus habiles successeurs, et faisait voir avec le temps la royauté de plus en plus puissante et sans contrôle, roulant à la fin sur un terrain uni où elle n’éprouva pas d’obstacle, mais où elle manqua de soutien ; si bien qu’un jour « elle se trouva seule en face de la Révolution, c’est-à-dire d’un grand peuple qui n’était pas à sa place et qui voulait s’y mettre, et elle ne résista pas. […] Je vois d’ici venir plus d’un historien futur : on commencera avec le projet de contredire ; puis, chemin faisant, on se trouvera converti, entraîné par le cours des choses, et l’on conclura peu différemment. […] De nouveaux documents arrivés d’Espagne, et relatifs au rôle de Philippe II dans le meurtre d’Escovedo, permettent à l’auteur de préparer une prochaine édition plus complète, et dans laquelle ses premières conjectures se trouveront confirmées.

263. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

En observant les différences caractéristiques qui se trouvent entre les écrits des Italiens, des Anglais, des Allemands et des Français, j’ai cru pouvoir démontrer que les institutions politiques et religieuses avaient la plus grande part à ces diversités constantes. […] Les gouvernements, dans les pays devenus libres, ont besoin, pour détruire les antiques erreurs, du ridicule qui en éloigne les jeunes gens, de la conviction qui en détache l’âge mûr ; ils ont besoin, pour fonder de nouveaux établissements, d’exciter la curiosité, l’espérance, l’enthousiasme, les sentiments créateurs enfin, qui ont donné naissance à tout ce qui existe, à tout ce qui dure ; et c’est dans l’art de parler et d’écrire que se trouvent les seuls moyens d’inspirer ces sentiments. […] Un caractère élevé redevient content de lui-même, s’il se trouve d’accord avec ces nobles sentiments, avec les vertus que l’imagination même a choisies, lorsqu’elle a voulu tracer un modèle à tous les siècles. […] Malgré cela, je suis persuadé qu’on peut être clair, même dans la pauvreté de notre langue, non pas en donnant toujours les mêmes acceptions aux mêmes mots, mais en faisant en sorte, autant de fois qu’on emploie chaque mot, que l’acception qu’on lui donne soit suffisamment déterminée par les idées qui s’y rapportent, et que chaque période où ce mot se trouve, lui serve, pour ainsi dire, de définition. » Après avoir cité cette opinion d’un grand maître contre les définitions, je dirai que je ne donne jamais au mot philosophie, dans le cours de cet ouvrage, le sens que ses détracteurs ont voulu lui donner de nos jours, soit en opposant la philosophie aux idées religieuses, soit en appelant philosophiques des systèmes purement sophistiques.

264. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

En même temps qu’il présidait à la Cour des aides, il se trouva chargé par le chancelier son père d’une place de confiance des plus délicates, celle de directeur de la Librairie. […] Le directeur de la Librairie, par sa position, se trouvait le confident et quelquefois le point de mire de tous les amours-propres inquiets ou irrités ; amours-propres de gens du monde, de grands seigneurs, de dévots, de gens de lettres surtout, il avait affaire à tous ensemble ou à chacun tour à tour, et il en savait plus long que personne sur leurs singularités secrètes et leurs faiblesses. […] M. de Malesherbes, avec sa bonté naturelle, se trouva alors dans la situation la plus pénible, obligé de réserver et de maintenir les droits de son père, de négocier avec le Parlement, qui n’en tint compte et lança son arrêt, de rassurer et de conseiller son ami Helvétius tout en le frappant, et de frapper enfin le pauvre censeur Tercier qu’on demandait de toutes parts pour victime et qui n’avait été que maladroit. […] Dans un endroit des Cacouacs, il est parlé de la géométrie : Fréron, en rapportant cet endroit, a ajouté une note dans laquelle il cite un de mes ouvrages, pour faire connaître que l’auteur a voulu me désigner en cet endroit, quoique la phrase qu’il rapporte ne se trouve dans aucun de mes ouvrages.

265. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

Goethe a très bien raconté comment, ayant écrit Werther, il se trouva tout d’un coup soulagé et guéri ; mais, en s’en débarrassant, il avait inoculé son mal aux autres ; ce fut le tour de bien des lecteurs, par le monde, d’être atteints de la même fièvre. […] Il vécut donc avec les bergers, avec les paysans ; et lorsque les Esquisses de l’état naturel, civil et politique de la Suisse, présentées dans une suite de lettres, par William Coxe, parurent en anglais et obtinrent du succès, Ramond se trouva en mesure à l’instant de les traduire en les perfectionnant, en y ajoutant nombre de chapitres originaux qui les complétaient et en faisaient un ouvrage tout nouveau. […] Jamais je ne suis descendu de ces sommets sans éprouver qu’un poids retombait sur moi, que mes organes s’obstruaient, que mes forces diminuaient et que mes idées s’obscurcissaient ; j’étais dans la situation où se trouverait un homme qui serait rendu à la faiblesse de ses sens inhumains après l’instant où ses yeux, dessillés par un Être supérieur, auraient joui du spectacle des merveilles cachées qui nous environnent.

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