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312. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

Il n’y avait eu qu’un roman dans sa vie comme il n’y avait qu’un voyage refait plusieurs fois. […] Dominique, roman de classe moyenne, reste le meilleur des romans qui figurent en France, d’après un vieux rythme humain, une jeunesse qui se dépouille et une classe moyenne qui s’établit. […] Mais le vrai Fromentin, tout aussi bien que le vrai Sainte-Beuve, ne s’étant essayé qu’une fois dans le roman, chacun devait écrire un roman d’analyse, et tous deux deux romans d’analyse se ressemblant assez. […] Une curieuse et non accidentelle rencontre a fait qu’au dix-neuvième siècle chacun de nos trois génies critiques, s’est risqué à écrire un roman, qu’ils n’en ont écrit qu’un, et que ce roman était une autobiographie. […] Un grand analyste comme Amiel n’eût écrit sur lui-même qu’un roman très froid.

313. (1874) Premiers lundis. Tome II « Des jugements sur notre littérature contemporaine à l’étranger. »

Il arrive assez fréquemment de l’étranger des diatribes fort vives contre notre littérature actuelle, nos drames, nos romans, etc., etc. […] En parlant des romans du siècle passé, l’auteur oublie trop que, sur le pied dont il le prend, il n’aurait pas manqué alors, s’il avait vécu, de confondre ce qu’il veut bien séparer aujourd’hui. […] Non, la Notre-Dame de Paris ne ressemble pas à un roman de Walter Scott. […] De loin, et d’une langue à l’autre, on n’y regarde pas de si près ; on ne va qu’au gros du roman, ce qui contribue à faire, en propres termes, un jugement fort grossier, comme j’ai remarqué déjà qu’on le disait fort poliment sous Louis XIV. […] M. de Vigny doit se féliciter d’avoir échappé, tant par ses drames que par ses romans, productions d’un talent si rare et si fin, à cette critique quelque peu cyclopéenne.

314. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre V. Des personnages dans les récits et dans les dialogues : invention et développement des caractères »

Avant tout il faut éviter le roman : même dans un roman, le roman déplaît. […] Il est certain que les limites du roman et de la vérité sont bien subtiles, et qu’elles changent selon la noblesse ou la vulgarité, selon la finesse ou la grossièreté des esprits. Il y a des gens qui traitent de roman tout ce qui n’est ni laid ni dégoûtant, ou pour le moins insignifiant.

315. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « André Theuriet »

Et les romans romanesques en font autant. […] André Theuriet est assurément le meilleur peintre, le plus exact et le plus cordial à la fois, de la petite bourgeoisie française, mi-citadine et mi-paysanne ; et, comme cette classe sociale est la force même de la nation, comme elle lui est une réserve immense et silencieuse d’énergie et de vertu, les romans si simples de l’auteur des Deux Barbeaux deviennent par là très intéressants ; ils prennent un sens et une portée ; peu s’en faut qu’ils ne me soient vénérables. […] André Theuriet a écrit des romans plus parfaits, plus riches en peintures humaines et en descriptions rustiques, que l’Amoureux de la préfète. […] J’ai peu de mémoire, et je n’ai point relu depuis longtemps la plupart de ses romans ; et pourtant je revois, avec une grande netteté, tel verger dans le Mariage de Gérard, telle vieille maison bourgeoise dans Tante Aurélie, tel sentier à travers bois dans Péché mortel ; tel banc sous les grands arbres où un beau garçon et une jolie dame mangent des cerises, dans le Fils Maugars ; tel champ où l’on « fane », dans Madame Heurteloup ; et chaque fois je songe : « Que ne suis-je là ! 

316. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 555-559

Quoique ses Romans soient bien supérieurs à ces Productions extravagantes, fades, frivoles, licencieuses, qui ont infecté notre Littérature, depuis Amadis des Gaules jusqu’à Angola ou aux Bijoux indiscrets, sa plume pouvoit s’élever à des Productions plus dignes d’elle. […] Il ne falloit rien moins que le talent de captiver, d’émouvoir, d’attendrir, porté au plus haut degré, pour rendre la lecture de ses Romans aussi attachante qu’elle l’est pour le commun des Lecteurs, & sur-tout pour les jeunes gens. […] L’ame veut être remuée, & non pas déchirée ; on cesse de plaindre, lorsque l’attendrissement fatigue, ce qui arrive souvent dans les Romans de M. l’Abbé Prévôt.

317. (1887) Études littéraires : dix-neuvième siècle

Pressé de suivre sa renommée, il détacha du manuscrit du Génie du Christianisme l’épisode d’Atala qui formait un petit roman, et le publia. […] D’autres en ont écrit ou en écriront le « roman »22 ou la philosophie, ou la théologie, ou la romance ; il la voit, et il l’aime. […] Mais cela ne fait jamais qu’un héros par roman. […] C’est en quoi Dumas père avait raison quand il disait : « Lamartine a élevé l’histoire à la dignité du roman. » Le roman à son tour fit l’histoire, ou contribua à la faire. […] Le personnage principal d’un roman sera une cathédrale, parce qu’elle serait en effet le personnage principal, avec son air sombre, austère et pensif, dans un tableau.

318. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

* * * — L’homme qui fait un roman ou une pièce de théâtre, où il met en scène des hommes et des femmes du passé, peut avoir la certitude que c’est une œuvre destinée à la mort, — et quand même il aurait tout le talent possible. […] Une curieuse entrée d’un domicile de roman. […] * * * — Tous les manuscrits des romans faits en collaboration avec mon frère, ont été brûlés, sauf celui de Madame Gervaisais, que j’ai donné à Burty. […] Au fond, c’est un tolle européen contre mon roman. […] L’originalité de l’abominable livre, elle n’est pas pour moi dans l’ordure, la cochonnerie féroce, je la trouve dans la punition céleste de la vertu, c’est-à-dire dans le contrepied diabolique des dénouements de tous les romans et de toutes les pièces de théâtre.

319. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

Il me dit que le premier roman qu’il a lu, est Sœur Philomène, et que cette lecture avait peut-être eu une influence sur sa carrière. […] c’est vraiment de la bien grosse psychologie, que la psychologie de romans, comme celui de La Morte. […] Ainsi le bleu avait été choisi pour les romans intimes ; le vert pour les romans champêtres et les voyages, le citron pour les satires, les épigrammes : le fauve pour les sujets populaires ; le rouge pour les romans à tendances de réforme sociale. […] Il s’excuse en disant, que dans la pièce et dans mon roman, il y a des prétentions littéraires. […] C’est là un caractéristique symptôme d’une fin de société, et ça ferait bien, comme terminaison d’un roman sur le grand monde.

320. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

Clarisse Harlowe et Werther ont transporté sa jeunesse ; Walter Scott charmera ses derniers jours : à travers toute son existence, elle persistera à croire que le roman a raison contre la vie, et que la vérité, c’est le roman. […] Corinne, entre autres caractères, a celui d’être un roman international : l’Anglais, l’Italien, le Français y sont définis en formules un peu sèches, dont la réalisation actuelle a quelque chose d’abstrait et mécanique. […] Ces romans ne valent que si l’on y cherche les passions et les idées de Mme de Staël : si on les considère dans leur objectivité d’œuvres d’art, ce sont de purs poncifs. […] Elle dit un mot sur l’épopée, de façon à ruiner l’idée française, née à la Renaissance, que l’épopée est un roman allégorique et mythologique : l’Iliade et l’Odyssée n’étaient originairement que des contes de nourrice. […] Elle avait épousé en 1811 M. de Rocca, beaucoup plus jeune qu’elle.Editions : De la littérature considérée dans ses rapports avec les constitutions sociales, an viii, 2 vol. in-8 ; Delphine, roman, 1802 ; Corinne, roman, 1807 ; de l’Allemagne, Londres, 1813 ; Considérations sur la Révolution française, publ. par le duc de Broglie et le baron de Staël, 1818 ; Dix années d’exil, publ. par le baron de Staël, 1821.

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