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245. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lawrence Sterne »

Tout le double génie de Sterne est dans ce rire fixé aux lèvres et cette tristesse fixée aux yeux. […] On y pleurait et on y riait, et seule l’Église anglicane ne riait ni ne pleurait.

246. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

L’homme d’esprit en rit ; le sot même n’ose plus les croire. […] Qu’un homme se livre à un de ces mouvements, l’effet est prévu, il ne produit rien ; on croit voir quelqu’un qui s’échafaude pour étonner, et cette espèce d’appareil fait rire ; quelques hommes même ont pris ces formules pour de l’éloquence : autre source de ridicule. […] Il en est des ouvrages d’éloquence comme d’une pièce de théâtre ; si l’illusion ne gagne, le ridicule perce, et l’on rit.

247. (1788) Les entretiens du Jardin des Thuileries de Paris pp. 2-212

Chacun se mit à rire, & nous reprîmes le chapitre des réformes. […] Le vieux poëte rit de tout son cœur, & l’on se quitta de part & d’autre, avec beaucoup de regrets. […] d’ailleurs que me fait un jardin anglais, si l’on n’y danse & si l’on n’y rit pas ? […] il n’y a rien de plus raisonnable à mon avis, que de rire d’un mal qu’on ne peut empêcher. […] Si on le supporte, ce n’est que pour rire à ses dépens.

248. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

Elle tient trop à émerveiller pour ne point faire rire. […] Jean était mort pour de rire, et le brave colonel n’est pas homme à manquer à sa parole. […] Plusieurs lui conseillèrent sans rire d’imiter Jeanne d’Arc. […] Parce que son public exige qu’elle rie de leur noblesse ou de leur fantaisie, elle a l’air de s’amuser seulement. Mais, à bien regarder, elle est supérieure à sa besogne et à ses auditeurs : parfois elle se contient pour ne pas être émue, se force pour rire.

249. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre II. Le Roman (suite). Thackeray. »

Riez, c’est ici la règle, non pas cruellement et par inimitié visible, mais par belle humeur et par agilité d’esprit. […] Ces difformités calculées n’excitent qu’un rire triste. […] Je le répète, madame, depuis la cave jusqu’à la mansarde : je désire, je supplie, j’ordonne que les malles de mistress Hoggarthy, du château de Hoggarthy, soient en ce moment même portées dans ma voiture. » Ce style fait rire, si l’on veut, mais d’un rire triste. […] Il jure, boit, plaisante avec les filles d’auberge, vide un verre de vin à la table d’un fermier qu’il exproprie le lendemain, rit avec un braconnier qu’il envoie deux jours après convict en Australie. […] Et les domestiques qui commencent à rire, les infâmes gredins !

250. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1890 » pp. 115-193

C’est une parole blagueuse, coupée de rires gamins, et de remuements qui ne peuvent tenir en place sur sa chaise. […] … C’est lui… il m’a parlé d’une pièce pour moi… il l’avait sur lui… je l’ai fait monter dans ma voiture… Bref, il m’a lu son premier acte en chemin… il y a bien eu à travers la lecture, quelques cahots… Tenez, le voilà qui m’attend pour me lire le second acte, en me reconduisant aux Variétés. » Et elle disparaît en pouffant de rire. […] Une jolie petite fille, et une charmante belle-sœur, qui a la voix et le rire de sa sœur à s’y méprendre. […] » Et vraiment Gille est un charmant conteur de ces épisodes parisiens, par la bonhomie du racontar, les sous-entendus, les phrases inachevées, complétées par de petits rires gouailleurs, et les interrogations comiques, les : « Vous comprenez bien !  […] Pourquoi l’horreur à un certain degré dans les histoires, au lieu d’apitoyer, pousse-t-elle à rire ?

251. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Dimanche 11 mars On sort de table… Femme au délicat profil, au joli petit nez droit, à la bouche d’une découpure si spirituelle, à la coiffure de bacchante donnant aujourd’hui à sa physionomie une grâce mutine et affolée, femme aux yeux étranges qui semblent rire, quand sa parole est sérieuse. […] Le Garçon avait des gestes particuliers qui étaient des gestes d’automate, un rire saccadé et strident à la façon d’un rire de personnage fantastique, une force corporelle énorme. […] Une pâle vierge à la Holbein apparaît jouant avec des fruits sur une assiette, grignotant, et riant d’un rire de songe… Puis me voici dans la lumière rousse d’un petit café enfumé. […] * * * — Dans les sociétés de la vie, le lendemain ne rit jamais comme la veille. […] 29 novembre À propos d’un croquis de Mme Hercule, le modèle de femme, célèbre par ses histoires extravagantes, Gavarni revient sur sa jeunesse, sur cette vie de noctambule qu’il affectionnait, sur ces nuits où il se trouvait avec Mlle Aimée et toute une bande de jeunes et honnêtes femmes au bois de Boulogne, dans le faubourg du Roule, à la campagne, sur ces parties qui n’avaient que le plaisir apporté par le rire fou de Mlle Aimée et les cocasseries de Chandellier.

252. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXVIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 385-448

J’étais bien aise qu’il ne sût pas où j’étais, et bien fâchée de ce qu’il ne venait pas me surprendre ; le moindre saut d’un petit poisson hors de l’eau, la moindre branche d’osier qu’un oiseau faisait tressauter en s’envolant me faisaient tressaillir ; quelquefois même je pleurais sans savoir de quoi, puis je riais quand il n’y avait pas sujet de rire ; enfin une quenouille emmêlée de contradiction, quoi ! […] L’oiseau fait ses ailes, la chevrette fait ses dents, l’enfant fait son cœur. » Et je les entendais rire tout bas. […] Cet air coulait des lèvres et du hautbois comme l’eau coulait en cadence et en glouglous mélodieux de la source cachée au fond de la voûte de l’antre ; puis il s’épanchait, comme l’eau prisonnière, en murmures de paix et de contentement entre les roseaux ; puis il imitait, en finissant par cinq ou six petites notes décousues et argentines, le tintement des gouttes de rosée qui tombent par instants des feuilles mouillées par la cascatelle dans le bassin, et qui la font chanter aussi, on ne sait pas si c’est pour pleurer, on ne sait pas si c’est pour rire ; en sorte que, quand le couplet était fini, on entendait comme un écho moqueur ce petit refrain de notes insignifiantes, mais jolies à l’oreille ; elles avaient l’air de se moquer, ou du moins de badiner avec le motif tendre et religieux du couplet de la zampogne : c’étaient des Tyroliens passant en pèlerinage, pour aller à San Stefano des Camaldules, qui nous avaient donné, avec leurs ritournelles à perte de voix, l’idée de ce refrain vague et fou à la fin de notre air d’amour et de dévotion, près des cascades. […] disaient-ils, ça donne envie de pleurer au commencement, et ça fait presque rire à la fin ; c’est un air d’enfants qui ne peuvent pas tenir leur sérieux jusqu’au bout, mais dont le sourire se mêle aux larmes comme le rayon de soleil à la pluie du matin.

253. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

Printanière, dans l’aube éternelle du rêve Et dans l’aurore assise, Elle tisse en rêvant Des choses qu’Elle sait, et sourit ; et, devant Elle, au gré de sa main agile, court sans trêve La navette laborieuse, et le doux vent D’avril emmêle ses cheveux qu’Elle soulève Et rejette sur son épaule ; et, relevant La tête, Elle fredonne un air qu’Elle n’achève… De l’ombre, Elle apparaît, comme en un cadre d’or : Derrière Elle l’azur et des plaines qu’arrose Un fleuve ; et, sur sa tête, un rameau de laurose Étend ses fleurs contre l’azur clair ; — et l’effort Du métier, comme un chant monotone et morose Se plaint très doucement : — on envierait le sort De celui qui baiserait la main qu’Elle pose Négligemment, parfois, et lasse de l’effort… Mais moi, la voyant rire en rappelant sans doute Quelque doux jour mort de sa joie un soir de mai, Je songeai que, peut-être, pour avoir aimé Son rire, d’autres ont repris la lente route Tristes d’un souvenir et le cœur affamé D’un mets où nulle lèvre impunément ne goûte. […] L’exemple suivant indique assez nettement le mélange des mesures et des rythmes ; et il contient, ce qui importe davantage, une exquise vision printanière : Des oiseaux sont venus te dire Que je te guettais sous les lilas mauves, Car tu rougis en un sourire Et cachas tes yeux en tes boucles fauves Et te pris à rire. […] Déjà, à certaines places, il est vrai, le rythme se montrait seul maître de lui-même, avec l’accompagnement d’une mesure, non plus traditionnelle, mais logique ; encore peu divers, il était franc, ingénu et de primesaut : « Vous, si claire et si blonde et si femme, Vous tout le rêve des nuits printanières, Vous gracieuse comme une flamme Et svelte et frêle de corps et d’âme, Gaie et légère comme les bannières ; Et ton rire envolé comme une gamme En écho, par les clairières — ». […] On en trouve des exemples typiques : Voici ma pensée : Si la flèche Que mon arc lance aux étoiles Retombe et blesse Ma main qui l’a lancée Vers les étoiles ; Et si le cri d’opprobre Que je jette à l’écho des bois — Bavard ou de réponse sobre, Selon ma voix- Se retourne comme une insulte Qui brûle mon cœur en moi ; Ainsi tout vieux rêve vers toi, Tout vieil émoi (Qu’un nouveau rire, croit-il, achève) Surgit encore comme un tumulte, Hélène, Et tout vieux rêve Me pèse jour et nuit en honte vaine Comme un remords : Tel l’espoir d’une aube qui jamais ne se lève, Tel que mon jour est las de porter mes jours morts.

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