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533. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Que de femmes, dont les noms resteront attachés au sien, il émut, il enflamma par ses seuls écrits ! […] Mme de Verdelin mérite d’être distinguée entre les diverses dames amies de Rousseau, en ce qu’elle n’était nullement bel esprit ni bas-bleu, ni rien qui en approche70 ; qu’avec un esprit fin elle n’avait nulle prétention à paraître ; qu’elle aimait l’écrivain célèbre pour ses talents et pour son génie sans doute, mais pour lui surtout, pour ses qualités personnelles, non pour sa réputation et sa vogue : elle n’apporta dans cette liaison aucun amour-propre ni ombre de susceptibilité, lui resta activement fidèle tant qu’il le lui permit, et elle ne cessa, elle ne renonça à la douceur de le servir que lorsqu’il n’y eut plus moyen absolument de l’aborder ni de l’obliger ; et alors même elle garda intact son sentiment d’amitié, comme un trésor, hélas ! […] J’ai resté bien des jours occupée de lui cacher ma douleur, tant il m’était douloureux de troubler son âme ! […]  » Quoique lectrice et admiratrice de Rousseau, Mme de Verdelin n’était donc pas une insurgée du sexe ni une émancipée ; elle était bien restée femme, au sens habituel du mot ; elle n’allait qu’à mi-chemin en bien des choses. […] Rousseau va nous l’avouer, il ne peut rester incrédule ni insensible à des preuves si claires, non plus qu’aux instances réitérées et obligeantes qui lui arrivaient avec un accent pénétré.

534. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

Cette bizarrerie est restée inexpliquée. […] Il avait toutefois insisté pour que les vers restassent. […] Pour rester poétique, la prose montant comme elle fit au siècle de Jean-Jacques et de Buffon, il fallait changer de ton et hausser d’un degré les moyens du vers. […] Ce qu’il y a de certain, c’est que Delille, entouré d’un monde plutôt royaliste, resta en dehors de la faveur impériale. […] Son corps resta exposé plusieurs jours au Collège de France, sur un lit de parade, la tête couronnée de laurier et le visage légèrement peint.

535. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

Une demi-heure après, tout s’éteignait ; il ne restait plus qu’un pan de ciel clair derrière le Panthéon ; des fumées roussâtres tournoyaient dans la pourpre mourante du soir et fondaient les unes dans les autres leur couleur vague. […] Le même observateur, ayant pris du haschich, ne pouvait faire disparaître ses hallucinations s’il restait dans l’obscurité ; il était obligé d’allumer une lumière. — Divers malades, qui dans les ténèbres voient des figures effrayantes, des agonisants, des cadavres, sont délivrés de leurs visions sitôt qu’on allume un flambeau dans leur chambre. […] Peu à peu, ils devinrent plus vaporeux, parurent se confondre avec l’air, tandis que quelques parties restèrent encore visibles pendant un temps considérable. […] Je restai préoccupé de cette conversation, et il me vint à la pensée que mon maréchal des logis pourrait bien faire un rapport contre moi au ministre de la guerre. […] Chaque figure restait visible cinq ou six secondes, puis disparaissait en s’affaiblissant par degrés jusqu’à ce qu’il ne restât plus qu’une vapeur opaque, sombre, au milieu de laquelle se dessinait immédiatement une autre figure. » 41.

536. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IX »

Par la faute de ces soi-disant Wagnériens, le Wagnérisme n’apparaît guère plus que comme le nom d’une mélomanie de la pire espèce, et la lutte a été déplacée ; au lieu de rester ce qu’elle était, un combat que livrait l’Art à la vulgarité et au commerce, elle est devenue une querelle entre divers engouements. […] Noufflard, Richard Wagner d’après lui-même, promettait d’être fort intéressant ; malheureusement ce livre en est resté à son premier volume, qui ne nous conduit que jusqu’en 1849. […] Quoi qu’il en soit, la Revue Wagnérienne restera la seule chose vraiment intéressante qu’on ait tentée durant ces années dans le domaine wagnérien, en France. […] Il est fort possible qu’il y ait des projets de drames restés inconnus. […] Chamberlain cite ici des œuvres de jeunesse de Wagner totalement oubliées aujourd’hui et restées à l’état d’ébauches.

537. (1903) La renaissance classique pp. -

Quand rien de tout cela ne serait vrai, il n’en resterait pas moins que, sous peine de nous renier nous-mêmes, nous ne pouvons pas de toute nécessité percevoir le monde autrement que par la Poésie. […] Même en entrant dans le domaine réservé de la science, nous resterons des poètes. […] Mais, que nous le voulions ou que nous ne le voulions pas, nous sommes une nation, nous resterons une nation. […] Mais pour ceux-là qui veulent renouer la tradition classique, il est des raisons peut-être plus pressantes de rester attachés de tout leur cœur au symbole de la Patrie. […] Si le corps de la patrie est gangrené, quelques membres sont restés sains.

538. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

Spinoza, peu lu, peu compris, était resté dans l’ombre : mais d’autres incrédules moindres et plus éloquents avaient tracé ouvertement leur sillon sous le soleil et propagé en tous sens leurs germes : bien des âmes, bon gré mal gré, les avaient reçus ; on avait beau faire, chacun se ressentait plus ou moins à son jour d’être venu au monde depuis Voltaire et depuis Rousseau. […] Que lui sert d’être loué pour avoir lu presque en prophète dans les cœurs et dans les plus secrets penchants de ceux qui l’écoutent, si les penchants résistent, si les cœurs restent les mêmes et ne se corrigent en rien ? […] Un nouveau règne, un nouveau siècle, en effet, venait de naître : à côté des désordres qui faisaient irruption et scandale dans les mœurs publiques, une grande espérance se faisait sentir dans tout ce qu’il y avait d’âmes restées encore honnêtes. […] L’accueil plein de bonté que nous lit ce vieillard illustre, la vive et tendre impression que firent sur moi sa vue et l’accent de sa voix, est un des plus doux souvenirs qui me restent de mon jeune âge.

539. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

Ce n’est pas un Gaulois resté pur. […] Il comprend la dignité du genre qu’il traite ; il est des particularités honteuses ou incertaines que l’histoire doit laisser dans les satires, pamphlets et pasquins, où les curieux les vont chercher : d’Aubigné, qui aime trop ces sortes de pasquins ou de satires, et qui ne s’en est jamais privé ailleurs, les exclut de son Histoire universelle, et, s’il y en introduit quelque portion indispensable, il s’en excuse aussitôt : ainsi en 1580, à propos des intrigues de la cour du roi de Navarre en Gascogne, quand la reine Marguerite en était : J’eusse bien voulu, dit-il, cacher l’ordure de la maison ; mais, ayant prêté serment à la vérité, je ne puis épargner les choses qui instruisent, principalement sur un point qui, depuis Philippe de Commynes, n’a été guère bien connu par ceux qui ont écrit, pour n’avoir pas fait leur chevet au pied des rois… Quand il s’étend longuement sur certaines particularités purement anecdotiques, il s’en excuse encore ; il tient à ne pas trop excéder les bordures de son tableau ; il voudrait rester dans les proportions de l’histoire : mais il lui est difficile de ne pas dire ce qu’il sait de neuf et d’original ; et d’ailleurs, s’il s’agit de Henri IV, n’est-il pas dans le plein de son sujet, et n’est-il pas en droit de dire comme il le fait : « C’est le cœur de mon Histoire ?  […] Le nom du baron des Adrets, de ce chef cruel entre tous les partisans protestants du Midi, était et est resté en exécration. […] Un soir que les deux seuls serviteurs fidèles qui étaient restés près de lui, d’Aubigné, son écuyer, et Armagnac, son premier valet de chambre, découragés eux-mêmes et se disposant bientôt à partir sans dire adieu, veillaient une dernière fois à son chevet ; comme il était malade et tremblant de lièvre sous ses rideaux, ils l’entendirent soupirer et chanter un psaume, au couplet qui déplore l’éloignement des fidèles amis ; Armagnac alors pressa l’autre, c’est-à-dire d’Aubigné, de prendre cette occasion pour parler hardiment.

540. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

Malgré les succès partiels et de détail des armes françaises en Italie, on était resté sur le souvenir de la grande défaite de Pavie : une vraie revanche, une bataille rangée, était chose désirée, et il semblait qu’il était temps enfin de remporter une victoire qui allât rejoindre celle de Marignan. […] Il semble qu’il veuille épargner ses secrétaires : c’est dommage qu’il n’est greffier du parlement de Paris, car il gagnerait plus que Du Tillet ni tous les autres. » Ayant à entrer quelquefois dans les parlements de Toulouse et de Bordeaux, quand il était lieutenant pour le roi en Guyenne, il n’en revenait pas de voir que tant de jeunes hommes s’amusassent ainsi dans un palais, vu qu’ordinairement le sang bout à la jeunesse : « Je crois, ajoutait-il, que ce n’est que quelque accoutumance ; et le roi ne saurait mieux faire que de chasser ces gens de là, et les accoutumer aux armes. » Mais toutes ces sorties contre ce qui n’est pas gloire des armes et d’homme de guerre n’empêchent pas Montluc de sentir l’importance de ce chétif instrument, la plume : il s’en sert,-sachant bien que ce n’est que par là et moyennant cet auxiliaire qu’il est donné à une mémoire de s’immortaliser, qu’il n’en sera de votre nom dans l’avenir que selon qu’il restera marqué en blanc ou en noir par les historiens ; et son ambition dernière, à lui qui a tant agi, c’est d’être lu : « Plût à Dieu, dit-il, que nous qui portons les armes prissions cette coutume d’écrire ce que nous voyons et faisons ! […] Il n’en fit rien pourtant et se retira à demi fâché en sa Gascogne, où il ne resta d’ailleurs que très peu. […] Le maréchal de Biez qui y commandait et qui, ne pouvant reprendre Boulogne, était chargé de le bloquer par ce côté, se trouvait dans l’embarras par la fuite des pionniers : il lui restait un pan de courtine ou de mur à élever pour sa ligne de fortification, et pour empêcher les secours d’entrer dans la ville.

541. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — III » pp. 337-355

Dans sa dernière guerre, il avait fait négocier à Venise par la duchesse sa femme, qui y était allée en compagnie du duc de Caudale, récemment converti par elle au calvinisme, et qui lui servait de cavalier ; la duchesse de Rohan et sa fille s’étaient offertes à rester comme otages, afin d’assurer Venise que l’argent fourni serait dûment employé selon qu’on le stipulerait. […] L’Espagne avait tout fait pour leur en enlever la possession, et elle y avait réussi ; la Valteline s’était révoltée et espérait rester affranchie du joug ; les Impériaux avaient retrouvé par là un chemin ouvert pour descendre en Italie ; ils y avaient fait des forts pour s’y maintenir. […] Un autre lieutenant, Landé, était pour qu’on en restât là, vu la lassitude des troupes et le manque de pain ; ce parti fut accueilli par Rohan. […] M. de Rohan est souvent resté aux deux tiers du chemin, et il n’a pas triomphé à nos yeux de toutes les obscurités qui pouvaient résulter des replis de son caractère autant que de la conjuration des circonstances.

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